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"Elle est pas belle, la vie ?", de Kurt Vonnegut

Publié le par Nébal

"Elle est pas belle, la vie ?", de Kurt Vonnegut

VONNEGUT (Kurt), Elle est pas belle, la vie ? Conseils d’un vieux schnock à de jeunes cons, [If This Isn’t Nice, What Is ?], traduit de l’anglais (États-Unis) par Guillaume-Jean Milan, postface de Dan Wakefield, [s.l.], Denoël, [2014] 2015, 153 p.

 

Décidément, ces derniers temps, on publie du Vonnegut en français, et cela est bon. Après les rééditions bienvenues du Petit Déjeuner des champions et de Dieu vous bénisse, monsieur Rosewater chez Gallmeister, voilà que Denoël publie (dans un joli grand format, mais sans doute un peu onéreux pour le coup : 15,50 € pour un bouquin qui se lit en même pas deux heures…) ce bref recueil de neuf conférences de Kurt Vonnegut (essentiellement dans le cadre de cérémonies de remises de diplômes universitaires), sous le titre un peu effrayant Elle est pas belle, la vie ?, et avec le sous-titre autrement plus engageant Conseils d’un vieux schnock à de jeunes cons.

 

Le titre est un peu effrayant, donc. Enfin, surtout pour un gros con tel que moi qui, dès lors qu’on lui pose avec un grand sourire épanoui cette question, a instinctivement envie de se braquer et de répondre :

 

« Non. »

 

Et, plus largement, même si j’adoooOOOooore les romans de Kurt Vonnegut – j’en ai lu tout de même quelques-uns depuis ma découverte époustouflante de l’époustouflant Abattoir 5, le livre qui l’a rendu célèbre en 1969, et qui figure sans aucun doute parmi les romans les plus importants du XXe siècle –, j’avoue, un peu honteux, que je le redoutais vaguement sur ce coup-là… En effet, je craignais de renouveler l’expérience un peu navrante (à mes yeux, en tout cas) d’Un homme sans patrie, sorte de pamphlet, le dernier livre de Kurt Vonnegut (et un très gros succès de librairie outre-Atlantique, ai-je cru comprendre), qui s’en prenait essentiellement à l’administration Bush, Jr., et plus globalement à la politique de droite américaine. Le propos était sans doute juste, hein, ou en tout cas j’y adhérais volontiers, au fond ; c’était davantage la forme qui me chagrinait : la simplicité réconfortante et l’humanisme généreux de Vonnegut passaient certes magnifiquement bien dans ses romans, mais, ici, je trouvais que la « fausse naïveté » de ses fictions se muait en une naïveté « authentique », et du coup un peu gênante dans le cadre d’un « essai »… Tout cela faisait bien, effectivement, « vieux schnock » distribuant ses perles de sagesse aux « jeunes cons », mais avec plus ou moins de réussite. Et donc je craignais de retrouver ce travers, voire de le subir encore davantage, le contexte s’y prêtant tout particulièrement, dans le présent recueil de conférences (d’autant que celles-ci datent toutes, à l’exception de la première – 1978 –, des années 1990-2000).

 

Mais bon : c’était un livre de Vonnegut, alors je ne pouvais pas décemment faire l’impasse dessus.

 

Lu, donc. Très, très vite (ça se lit en une à deux heures grand max). Et pour tirer un bilan lapidaire : oui, on y retrouve les travers d’Un homme sans patrie… Ça passe cependant beaucoup mieux : là où la colère de Vonnegut rendait son pamphlet parfois fatiguant, l’humour presque omniprésent ici en rend la lecture autrement plus agréable à mes yeux. Cela n’en est pas moins très, très dispensable.

 

Les conférences ici recueillies sont très différentes dans leur format (plus ou moins construit) comme leur ton (plus ou moins sérieux). On y retrouve tout de même quelques thèmes essentiels : au-delà de la défense de l’humanisme en général, inévitable chez Vonnegut, mais qui passe aussi par un éloge de Jésus l’homme et de son Sermon sur la montagne, au-delà de la défense aussi d’un certain socialisme (il évoque des personnalités politiques du Midwest : un candidat à la présidentielle, un syndicaliste issu d’un milieu plutôt aisé mais qui s’est fait mineur, etc.), l’auteur – qui fait sans doute jouer quelques souvenirs de ses propres études d’anthropologie à son retour de la Deuxième Guerre mondiale (qui n’ont pas débouché sur une thèse, parce qu’on a refusé son sujet et qu’il n’avait sans doute pas les bons contacts…) – entend insister sur l’importance des « rites de passage » (ce qui s’explique il est vrai particulièrement pour des cérémonies de remise de diplômes, transformant les jeunes filles et jeunes garçons en femmes et en hommes, et ne laissez personne prétendre le contraire !), et plus encore des « familles élargies » (le problème du mariage, selon Vonnegut, est qu’il ne constitue pas une vraie « famille » : le mari n’est « pas assez de gens » pour la femme, la femme n’est « pas assez de gens » pour le mari), et dit même quelques mots en faveur de la « communauté » au sens de « là d’où on vient » (pour lui : Indianapolis). Tout cela est dit sur un ton frais et léger (naïf…), entrecoupé de nombreuses blagues idiotes et autres effets de rhétorique montrant bien que l’orateur connaissait parfaitement sa tâche. Bien sûr, Vonnegut ne s’arrête pas là : il saute à vrai dire volontiers du coq à l’âne (la première conférence est une suite de digressions, si tant est qu'on puisse parler de digressions quand il n'y a peu ou prou pas de fil principal), alternant le plus sérieux (la politique, la science, la religion, l’enseignement, la musique – car il n’est rien de plus important que la musique) et le plus frivole, et tout y passe, y compris – sans grande surprise – l’actualité la plus immédiate (sa conférence la plus « sérieuse » s’étend longuement sur la guerre en Afghanistan et en Irak).

 

Tout cela, oui, se lit bien (même si ça s’écoutait probablement beaucoup mieux). Au fil de ces quelques pages, une complicité s’instaure – ou se renforce – avec ce vieux type à la sagesse simple, presque évidente : comme un grand-père idéal, un peu frondeur, sans aucun doute grinçant, mais ô combien aimable et admirable. Il n’en reste pas moins que ça s’épuise vite – a fortiori pour un lecteur tel que vous et moi, pas directement impliqué : j’imagine qu’un jeune étudiant voyant débarquer, au milieu des cérémonies compassées, ce vieux bonhomme si charismatique, qui venait lui livrer personnellement ou peu s'en faut les fruits de son expérience, pouvait en être retourné à jamais… mais nous ne sommes pas cet hypothétique jeune étudiant.

 

Peut-on dès lors retirer grand-chose de ce petit ouvrage ? Je ne sais pas… J’en doute. Mais il est vrai que je suis d’un naturel beaucoup trop cynique et pessimiste, de manière générale, pour apprécier la « sagesse » et les « sages » (même si cela passe extraordinairement bien dans Abattoir 5, dont j’ai effectivement tiré des leçons)… Vonnegut évoque dans trois de ces conférences son « bon » oncle Alex, un type tout simple qui prenait le temps de vivre, et, de temps en temps, s’arrêtait subitement, et disait à voix haute : « Elle est pas belle, la vie ? » Vonnegut incite en conséquence les jeunes gens auxquels il s’adresse à faire de même…

 

Mais je ne m’en sens pas capable. Parce que je n’y crois pas…

 

À vous de voir si cette « sagesse » peut vous toucher.

 

EDIT : Gérard Abdaloff en cause ici.

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