Achtung ! Cthulhu : Guide du Gardien pour la Guerre Secrète
Achtung ! Cthulhu : Guide du Gardien pour la Guerre Secrète, Sans-Détour, [2012-2013] 2014, 368 p.
Complément indispensable au Guide de l'Investigateur pour la Guerre Secrète, le présent Guide du Gardien pour la Guerre Secrète est d'une tout autre ampleur. Et correspond sans doute bien davantage à mes attentes ; en effet, ainsi que j'en avais fait la remarque lors de ma chronique du premier livre de la gamme, celui-ci était presque totalement dépourvu d'éléments spécifiquement lovecraftiens. S'il débordait de matériel (plutôt bienvenu – et bien fait) pour créer des investigateurs impliqués dans la « guerre secrète » sous-jacente au second conflit mondial, il ne donnait quasiment aucun élément sur le pourquoi et le comment de cet affrontement occulte. Tout cet aspect essentiel, ou peu s'en faut, a été réservé pour ce deuxième titre. J'avoue que la séparation en deux volumes, qui vient de l'édition originale, sauf erreur, me laissait un peu perplexe... Mais bon, hein, bon : admettons...
Une précision d'emblée, cependant : à la différence donc du Guide de l'Investigateur, le volume qui nous intéresse aujourd'hui ne contient que très peu de technique, et renvoie aux livres de base, soit de L'Appel de Cthulhu, soit de Savage Worlds. Deux brefs chapitres évoquent ainsi les spécificités de l'affrontement militaire pour ces deux systèmes ; par la suite, on trouve à vrai dire surtout des éléments concernant Savage Worlds, dans la mesure où la plupart des livres maudits, sorts et créatures du « Mythe » avaient déjà été couverts autrement pour L'Appel de Cthulhu ; mais ça ne vaut étrangement pas pour l'ensemble du livre, dans la mesure où il se conclut (de manière un peu « bizarre » là aussi...) par les deux premiers épisodes (largement indépendants il est vrai) de la campagne « Point Zéro », dans laquelle les (rares il est vrai) données techniques... se basent uniquement sur le BRP de L'Appel de Cthulhu ; ce qui est un peu dommage, tout de même...
L'essentiel est cependant ailleurs, dans le background (entendu très largement), qu'il soit spécifiquement « lovecraftien » ou adapté à l'époque du conflit et à ses conditions dans notre histoire. Même si, à vrai dire, l'essentiel du background original se rapporte aux sociétés secrètes occultistes de part et d'autre du Front de l'Ouest (oui, il faut préciser ça aussi : le front russe, celui du Pacifique, celui d'Afrique du Nord seront couverts par d'autres suppléments – celui du Front Pacifique est sorti il y a peu en français, d'ailleurs). Les plus longs développements concernent ainsi deux groupes occultes nazis, le Soleil Noir et Nachtwölfe. Ce qui nous vaut des choses très intéressantes... mais aussi, hélas, quelques déconvenues, la principale à mon sens concernant le sous-texte de cette histoire parallèle, qui s'avère plus derlethien que lovecraftien à proprement parler (et va même à l'occasion jusqu'à flirter avec le sinistre Brian Lumley) ; en effet, les auteurs ont eu recours à la mauvaise idée d'Auggie – véritable falsification philosophique des œuvres de son mentor – selon laquelle il y a un conflit manichéen entre les Grands Anciens et de prétendus « Dieux Très Anciens », lesquels auraient « enfermé » les meuchants Cthulhu et compagnie ; en l'occurrence, ici, on parle surtout [SPOILER!] de Yog-Sothoth, prisonnier dans les Contrées du Rêve – ce qui fait bizarre, pour un gazier indicible dont on nous dit par ailleurs qu'il réside entre les dimensions et qu'il est la porte et la clef de la porte...
Bon, après, il y a quelques machins d'un goût douteux, ou disons plus exactement très pulp ou bisseux, mais dans un sens pas terrible, quand même (j'en veux pour preuve cet ersatz d'Ilsa la Louve SS qui y joue un rôle important, et qui agite frénétiquement sa cravache de cuir, ce qui est à n'en pas douter très lovecraftien une fois de plus).
Mais bon : là, je dis du mal, alors que j'ai dans l'ensemble bien aimé ma lecture : le mélange entre l'histoire authentique et les délires conspirationnistes les plus weird passe plutôt bien dans l'ensemble. J'ajouterais – ce n'est jamais négligeable – que le livre est beau, avec des couleurs douces qui mettent bien en valeur les illustrations (très mignolesques, avec des aplats de noir en veux-tu oui en voilà merci), ou encore les cartes quand on en vient aux deux épisodes de la campagne « Point Zéro ».
Quelques mots d'ailleurs sur ces scénarios : le premier, « Opération : Trois Rois », se déroule dans le Protectorat de Bohême-Moravie, après Munich mais avant le déclenchement du conflit ; on y croise une résistance embryonnaire, confrontée à des atrocités nazies (déjà) qui constitueront probablement un des premiers épisodes authentiques de la « guerre secrète » ; cela, dit, ce scénario ne m'a pas vraiment convaincu – ou pas plus que ça, disons – et je lui ai de loin préféré le deuxième épisode, « Opération : Wotan », qui a la bonne idée de se dérouler en pleine opération Dynamo (l'évacuation des troupes britanniques et françaises de la poche de Dunkerque), ce qui fournit un cadre de choix, à condition de savoir le gérer utilement pour infliger de bonnes grosses doses de stress aux personnages (l'auteur propose des tables de rencontre, dont le principe me laisse tout de même assez sceptique, même si elles sont bien réalisées).
…
Mais il est une chose que je ne peux taire, et qui m'a fait fulminer plus qu'à son tour. Bon. Je ne regrette pas mon achat, hein, et suis curieux de voir où tout cela va nous mener... Mais, bordel, les gens de Sans-Détour, vous pourriez faire gaffe à ce que vous êtes supposés éditer et que vous vendez à un prix tout de même conséquent ! Parce que ce bouquin n'est « pas fini ». Le problème de base, c'est la traduction, qui est calamiteuse ; cependant, il y a eu en principe deux relectures, mais j'ai du mal à le croire, tant ce Guide du Gardien pour la Guerre Secrète, au-delà de la langue maladroite et trop souvent moche, déborde littéralement de conneries grosses comme moi. Il ne s'agit pas ici de simples coquilles (même s'il y en a : le grand incendie de Londres a ainsi lieu, à en croire ce texte, en 1966...), mais de bêtises pures et simples : les confusions et contresens ne manquent pas, et l'anglais mal digéré (enfin : pas digéré du tout...) est hélas de la partie, ce qui nous vaut régulièrement un affreux gloubi-boulga où le français, l'anglais et tant qu'à faire l'allemand se mêlent pour nous piquer les yeux. J'ai été particulièrement agacé par certains anglicismes inacceptables, notamment pour ce qui est des noms propres (même si, au-delà, le traducteur – euh... – nous inflige bien, à plusieurs reprises, un « Beer Hall Putsch » reproduit tel quel, en lieu et place de « Putsch de la Brasserie »... ce n'est qu'un exemple, il y en a plein d'autres, hélas) ; ainsi, on trouve (plusieurs fois) « Burma » quand on devrait trouver « Birmanie », ou encore « Warsaw » et pas « Varsovie »... Et « les œuvres complètes de Tacite », ça aurait peut-être été mieux, et sans coûter plus cher, que « les travaux complets de Tacitus », non ? J'en passe et des pires. Boulot bâclé par des gens qui ne savent pas de quoi ils parlent... et surtout qui s'en foutent. Quitte à faire mon « grammar nazi » (c'est de circonstance), voilà : j'en ai marre de lâcher de la thune pour des bouquins pas finis, et néanmoins onéreux ; à ce stade, je trouve ça pathétique, et même probablement scandaleux.
Bon... J'ai quand même apprécié ma lecture, hein, tout en fulminant régulièrement. Je suis même assez bête pour poursuivre les gammes cthulhiennes de Sans-Détour... Ma faiblesse a quelque chose de coupable, peut-être... Mais merde : appliquez-vous !
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