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"Epées et démons", de Fritz Leiber

Publié le par Nébal

"Epées et démons", de Fritz Leiber

LEIBER (Fritz), Epées et démons, [Swords and Deviltry], traduit de l'américain par Jacques Parsons (et Brian Hester pour la préface), Paris, Opta – Temps Futurs – Pocket, coll. Science-fiction, [1970, 1972, 1977, 1982] 1984, 251 p.

 

Et là j'ai d'emblée envie de demander pourquoi.

 

POURQUOI ?

 

À l'heure où l'on nous abreuve jusqu'à plus soif, mais depuis longtemps à vrai dire, de sous-fantasy, qui trouve certes aisément preneur dans notre triste monde tragique, pourquoi certains des plus grands classiques du genre, ses meilleurs représentants, sont-ils relégués dans les tréfonds de l'inconscient fantaisiste ? On a certes fini par avoir des belles éditions des « Conan » de Robert E. Howard (et plus puisque affinités) chez Bragelonne, de « Kane » de Karl Edward Wagner en Lunes d'encre puis en Folio-SF (un terrible flop, ai-je cru comprendre), et d' « Imaro » de Charles Saunders en Mnémos... Autant de contre-exemples qui semblent démontrer que j'abuse un peu avec mon « pourquoi ». Eh. Bon, d'accord, en fait, une seule chose le « justifie » : à l'heure où j'écris ces lignes, le « cycle des Épées » de Fritz Leiber n'est pas disponible en neuf. Constat déprimant, aggravé par un début de réédition chez Bragelonne... qui n'a jamais été conduit à terme.

 

Et je trouve ça triste, quand même. Parce que, qu'on le veuille ou non, Fafhrd et le Souricier Gris figurent parmi les personnalités les plus notables de l'heroic fantasy (ou sword'n'sorcery, comme vous voudrez), et que Lankhmar, la métropole cosmopolite où ils séjournent régulièrement, est sans doute LA ville emblématique du genre (je ne vois qu'Ankh-Morpork pour rivaliser, dans un genre bien différent – même si je ne serais pas étonné d'apprendre que Terry Pratchett, pour le coup, s'était justement inspiré de Fritz Leiber). Avec le « cycle des Épées », classique d'entre les classiques, Fritz Leiber a donné une coloration urbaine à la fantasy, qui lui manquait jusque-là, et a mis au premier rang un semi-barbare frustré dans sa quête de civilisation (et donc à la fois un nouveau Conan, et un anti-Conan) et un apprenti magicien raté, tout deux contraints de se faire voleurs (ou parfois contre-voleurs), ce qui changeait un peu la donne, et a eu une influence considérable – sur les œuvres de fantasy ultérieures, mais aussi en matière de jeu de rôle, par exemple : si l'on prend le vénérable Donjons & Dragons, il apparaît clairement que la classe de voleur trouve ici une bonne part de son inspiration (même s'il faut y rajouter Jack Vance, notamment avec « la Terre mourante ») ; la suite, du coup...

 

Ce tome inaugural qu'est Épées et démons obéit, comme les volumes ultérieurs, à une chronologie interne qui n'a rien à voir avec les dates de publication (elles-mêmes potentiellement différentes des dates de composition) ; je suppose que les nouvelles ont été quelque peu retouchées en vue de leur publication en volume de la sorte.

 

Aussi s'agit-il d'une pure introduction, mais qui passe cependant très bien, sous la forme de trois nouvelles (assez longues dans l'ensemble). La première, « Les Femmes des Neiges », explique comment le barbare nordique Fafhrd a fui sa tribu et sa tyrannie (empruntant une forme matriarcale...), délaissant toutes ses responsabilités pour assouvir sa soif de civilisation. Dans la deuxième, « Le Rituel profané », nous nous tournons cette fois vers l'apprenti sorcier Souris, et voyons comment il devient le Souricier Gris, du fait notamment de son échec à choisir entre magie blanche et magie noire (on peut d'ores et déjà noter que par la suite, pour ce que j'en ai lu, la dimension « magique » du personnage est un peu mise de côté, tandis qu'il devient surtout un archétype de voleur).

 

Les deux héros souffrent grandement dans ces deux nouvelles, qui ne leur épargnent rien, physiquement comme psychologiquement. Mais il y trouvent aussi tous deux l'amour... Un amour qui ne saurait être que tragique, comme le dévoile le titre de la dernière nouvelle, « Mauvaise Rencontre à Lankhmar », qui introduit, dans une débauche de magnificence comme de caniveaux débordant de fange, la métropole de la Toge Noire, la plus grande ville de Newhon. Mais quelle est au juste cette mauvaise rencontre ? Celle de Fafhrd et du Souricier Gris (la seconde, en fait, après un épisode anecdotique précédant les deux premières nouvelles) ? Celles de leurs amantes respectives ? Celle de la Guilde des Voleurs à laquelle ils s'opposent en contre-voleurs « chevaleresques » – même si, nobles intentions et ivresse mises à part, ils n'ont jamais tant ressemblé à leurs ennemis ? Celle – plus probablement – du mage employé par la Guilde, dont la brume noire et les toiles d'araignées auront des effets si terribles ?

 

C'est par ailleurs ce qui fait la force de ce premier tome du « cycle des Épées » : si, par la suite, l'horreur comme l'humour auront leur rôle à jouer, je retiens ici une certaine puissance tragique fort à propos, jusque dans les scènes les plus cocasses à vrai dire (car il y en a déjà), et jusque dans les scènes d'action les plus rondement menées. Autant dire que cette « vieillerie » n'a en rien vieilli...

 

Suite avec Épées et mort...

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L
Ah oui, Notre Dame des Ténèbres, c'est formidable.<br /> Sinon, d'Epées et Démons, je n'ai justement lu que le roman, Epées de Lankhmar, je crois. Très bon souvenir, même si on sent que c'est l'amalgame de deux novellas de taille différente.<br /> Comme A., qui en parle très bien, je ne peux qu'encourager à lire du Leiber, c'est un auteur profondément "sympathique" sans rien de niais pour autant.
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E
En plus d'être un des père fondateur de la fantasy, Leiber est le père de la Sword & Fantasy. Son influence sur les univers de jeu de rôle et leur avatar informatique actuelle est énorme...
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A
Tu as oublié les indispensables éditions de Gemmel ! Beuheuhar !<br /> <br /> Les premiers personnages rencontrés dans la série du Disque-Monde sont Bravd l'Axlandais et la Fouine, qui sont clairement Fafhrd et le Souricier Gris. Je pense qu'effectivement, on peut croire que Pratchett s'est inspiré de Leiber pour certains éléments de son décor.<br /> <br /> Leiber est un auteur très intéressant, en particulier c'est un excellent novelliste, extrêmement polyvalent au niveau des genres. On part toujours à l'aventure en lisant Leiber, et c'est bien agréable. Il garde une certaine unicité au niveau du ton, cette espèce de détachement ironique qu'on trouve dans le cycle des épées, je trouve ça très plaisant.<br /> <br /> Si tu peux mettre la main sur ses recueils de nouvelles, n'hésite pas.<br /> Je suis un peu moins enthousiasmé par ses romans, mais au moins ils sont rigolos. Si tu as l'occasion de lire _les oeufs d'argent_, je crois que ça t'amuserait. <br /> <br /> Par ailleurs, ça me fait plaisir de te lire à nouveau.
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N
Tiens, j'avais oublié Bravd l'Axlandais et la Fouine. Effectivement...<br /> <br /> Et je note tout ça, merci.<br /> <br /> (Par ailleurs, j'ai "Notre-Dame des Ténèbres" qui prend la poussière dans ma bibliothèque de chevet, j'en avais entendu dire beaucoup de bien.)