Guide des comics lovecraftiens, de Patrice Allart
ALLART (Patrice), Guide des comics lovecraftiens : Le Mythe de Cthulhu en bandes dessinées, [s.l.], Éditions de l'Hydre, [2011] 2012, 96 p. [+ 60 p. de pl.]
De Patrice Allart, j'avais déjà lu le Guide du Mythe de Cthulhu, qui s'intéressait aux prolongements littéraires de l'œuvre de Lovecraft, des « Légendes dy Mythe de Cthulhu » compilées par August Derleth à tout ce qui a suivi : entreprise nécessairement un peu vaine, tant la matière est vaste et en constante évolution (on ne compte plus aujourd'hui les fanzines et anthologies s'inscrivant dans ce cadre...), mais qui donnait cependant un ouvrage fort sympathique. Le monsieur a depuis sorti un ouvrage sur les adaptations de Lovecraft au cinéma, dont je n'avais jamais entendu parler, mais qui ne saurait être pire que la bouse à Pelosato, même en passant par les griffes du légendaire Norbert Moutier.
Aussi le présent Guide des comics lovecraftiens (« comics » désignant ici les bandes dessinées en général, pas seulement les productions américaines, ni a fortiori les seules aventures de tapettes en collants) est-il présenté par son auteur comme le troisième essai d'une trilogie. On ne fait donc pas ici dans le lovecraftisme orthodoxe, mais peu importe ; le lovecraftophile a l'habitude d'ingérer des substances parfois peu ragoutantes, dès l'instant qu'on lui promet des tentacules. Certes, on se doute qu'il doit y avoir un paquet d'atrocités dans ces « adaptations » ou développements, mais aussi quelques très belles choses à l'occasion – Breccia ! Breccia ! –, et, de temps à autre, des bizarreries et autres curiosités d'autant plus savoureuses qu'elles sont improbables.
Bon : une chose est certaine, on fait là dans la micro-édition (voire nano ou pico, diraient certains), et ce petit bouquin souffre d'une fabrication très cheap (trop cheap, beaucoup trop : la reliure s'est très vite décollée sur mon exemplaire). On appréciera quand même les 60 pages de planches en couleurs – uniquement des couvertures, cela dit – qui reposent un peu les yeux après les pages de texte, pour le moins rudes.
Mais on ne s'arrêtera pas à ce premier contact, hein ? Il y a de quoi faire – et je dois dire qu'étant presque totalement inculte en la matière – Breccia ! Breccia ! est peu ou prou mon seul cri de guerre –, je m'attendais à faire d'étranges découvertes, et n'ai certes pas été déçu sous cet angle.
Il y a sans doute une certaine logique à ce que les premières adaptations de Lovecraft en BD firent leur apparition dans les légendaires EC Comics (Les Contes de la crypte et ce genre de choses)... avant que le couperet de la censure ne tombe, bien sûr. Cela dit, ce sont des textes parmi les plus « classiques » qui ont alors été retenus, et pas les grandes œuvres plus personnelles relevant de l'horreur cosmique, et que l'on qualifierait alors comme constituant le « Mythe de Cthulhu » (il y aura plus tard des héritiers de cet état d'esprit, cependant, qui s'aventureront davantage dans ces merveilles indicibles).
L'aventure se poursuit, cependant, y compris dans des BD un peu improbables pour ce genre de choses : des super-héros, si je ne m'abuse dans la période creuse entre « golden age » et « silver age », et notamment Superman, connaissent ainsi quelques incursions plus ou moins lovecraftiennes ; quand des petits nouveaux déboulent, dans un cadre d'horreur plus affirmé, comme Swamp Thing ou le Dr Strange, c'est à nouveau le cas, de manière sans doute plus appropriée.
Mais que doit-on dire alors de l'apparition de thématiques lovecraftiennes dans les fumetti per adulti transalpins ? Le gentleman, je n'en doute pas, aurait adoré voir ses textes ainsi malmenés dans un déluge pornographique et gore typique de certaines de ces BD, qui ont fait la GLOIRE ÉTERNELLE d'Elvifrance...
Mais, à vrai dire, c'est souvent au travers d' « adaptations » plus ou moins fidèles dans des univers autres que les lovecrafteries vont tout d'abord rencontrer un important écho. Ici, forcément, il faut mentionner les géniales BD autour du personnage de Conan le Barbare chez Marvel, qui ont cartonné notamment dans les années 1970 (autre période creuse pour les justiciers aux costumes ridicules ?). Ce n'est sans doute que justice, à certains égards, connaissant les liens unissant Robert E. Howard et H.P. Lovecraft (et là, je ne peux m'empêcher de regretter la disparition dans les limbes de ma collec pré-ado de ces aventures épiques en diable... que j'aimerais bien me refaire, du coup).
Cependant, si ces BD-là se vendent bien, il ne faut pas négliger pour autant les nombreuses adaptations dans des milieux plus confidentiels, comme l'underground américain (avec notamment Richard Corben) ou, bien sûr, de par chez nous, Métal hurlant (qui avait d'ailleurs commis un hors-série spécial Lovecraft, faudrait que j'arrive à mettre la main dessus un jour...). Et entre les deux, comme de juste : Breccia ! Breccia !
La donne va changer progressivement vers la fin des années 1980 et le début des années 1990 (les « anniversaires » respectivement de la mort et de la naissance de Lovecraft), avec pas mal d'œuvres revenant sur l'auteur et contribuant à le populariser, en attendant le grand succès de BD à fortes connotations lovecraftiennes, comme, bien sûr, Hellboy de Mike Mignola, et aussi un certain nombre de choses signées par DIEU, c'est-à-dire Alan Moore (dans La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, pour citer un gros succès, mais il y en a d'autres, avant le récent Neonomicon qui m'avait un peu déçu...).
À tout cela, et sur toute la période, il faut ajouter les adaptations en BD de films eux-mêmes inspirés (plus ou moins...) de Lovecraft, ainsi de ceux de Roger Corman (même s'ils avançaient le nom d'Edgar Allan Poe...), ou, plus tard, de gros succès des années 1980, tels les Re-Animator du tandem Gordon/Yuzna ou même les Evil Dead de Sam Raimi... sans même parler d'œuvres fortement influencées mais ne revendiquant pas de filiation directe, comme la saga des Alien.
Aujourd'hui, à l'évidence, Lovecraft est partout (pour le meilleur et pour le pire, comme de juste...), parfois carrément transformé en « héros » lui-même, ou servant de clin d'œil éloquent (ainsi dans Locke & Key, dont on m'a dit du bien, faudra un jour que...). Cela dit, je n'avais certainement pas conscience que c'était à ce point, et dans tous les registres, du plus sérieux et arty au plus pop et pulp, des grosses machines aux trucs beaucoup plus confidentiels.
Le guide de Patrice Allart est ainsi l'occasion de faire bien des découvertes, plus qu'à leur tour alléchantes... même si, pour certaines, le terme « consternantes » serait peut-être plus approprié. Une réussite, donc. Et rappelez-vous : on ne juge pas un livre à sa couverture... sauf, peut-être, si elle est reliée en peau humaine. Et encore...
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