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Inversions, de Iain M. Banks

Publié le par Nébal

Inversions, de Iain M. Banks

BANKS (Iain M.), Inversions, [Inversions], traduit de l'anglais par Nathalie Serval, préface de Gérard Klein, Paris, Fleuve Noir – LGF, coll. Le Livre de poche Science-fiction, [1999, 2002-2003] 2010, 412 p.

 

Inversions est présenté comme le cinquième roman rattaché au « cycle de la Culture ». Ce qui ne prête sans doute pas à débat, mais, autant prévenir les fans : il n'a pas forcément grand-chose à voir avec les autres, et l'expression même de « Culture » n'y apparaît pas une seule fois ; sans doute la Culture y joue-t-elle un rôle, et non négligeable, mais c'est en creux, à l'appréciation du lecteur qui sait décrypter le récit et interpréter les indices. Gros contraste néanmoins avec les précédents, et notamment Excession : Inversions est une sorte de planet opera (on n'y voyage pas entre les étoiles, l'action est confinée sur un unique monde), et son cadre a quelque chose d' « archaïque » ou « primitif » (je n'aime pas ces termes, mais bon...). La quatrième de couverture le présente comme « un monde engagé dans le difficile passage de la féodalité à la Renaissance, de la théocratie à la science ». Expression qui a pu me faire tiquer tant elle évoque un décalque de l'histoire terrestre (et plus précisément de celle de l'Europe), mais qui est, j'imagine, somme toute justifiée, notamment en ce que l'ombre d'un empire antique y plane sur les potentats du présent ; si la Culture intervient dans ce cadre, c'est probablement au travers d'envoyés étudiant la situation de l'intérieur, en préparant le cas échéant un contact (ce qui a pu m'évoquer, d'une certaine manière, les « mobiles » du « cycle de l'Ekumen » d'Ursula K. Le Guin).

 

Le roman se divise en deux trames narratives alternées. Les chapitres « le docteur » s'intéressent au personnage de Vosill, médecin de la cour royale d'Haspide, et par ailleurs – horreur glauque – une femme... ce qui peut faire penser là aussi à Le Guin. Vosill, forcément, a bien du mal à paraître sérieuse aux yeux des vieux croûtons qui polluent la cour, qui ne comprennent pas sa médecine ultra-moderne, que ce soit sur le plan du diagnostic ou du traitement ; le fait qu'elle soit une femme – et donc inférieure, hein – n'arrange bien évidemment rien à l'affaire, et produit cet édifiant paradoxe : sa médecine scientifique fait l'effet aux yeux de presque tous de « remèdes de bonnes femmes »... Le roi, cependant, lui fait confiance. Mais il est par ailleurs dans une situation délicate : les complots abondent dans son entourage, et les relations internationales sont complexes, notamment avec UrLeyn, Premier Protecteur de Tassasen, qui n'a pas revendiqué le titre d'empereur – il laisse ça à d'autres factions qui ne cessent de se déchirer –, mais qui a établi un pouvoir ne manquant pas d'évoquer cette gloire antique (même s'il a quelque chose de plus « moderne » encore, évoquant dans un sens un Napoléon).

 

La seconde trame se déroule justement à la cour d'UrLeyn. « Le garde du corps » est un nommé DeWar, qui a juré de défendre contre vents et marées le Protecteur. Et il y a beaucoup à faire : les menaces sont à l'aune du pouvoir qu'il a établi, et son impérialisme (pouvant fonctionner comme un rappel de celui de la Culture ?) multiplie encore ses ennemis, ainsi chez des aristocrates frontaliers qui n'entendent pas se plier à son autorité. Et il est sans doute bien des moyens de s'en prendre à lui, jusqu'aux plus vicieux : son fils est en première ligne...

 

Les deux trames sont présentées comme des rapports relevant largement de l'espionnage, mais celle du « garde du corps » donne bien vite l'impression d'un narrateur externe et omniscient. L'approche est différente pour ce qui est du « docteur » : l'espion – l'apprenti de Vosill – écrit à la première personne, et laisse s'exprimer sa subjectivité, et même ses sentiments. Or Vosill est fascinante, à la mesure des perturbations que son emploi suscite ; et, parce que femme, elle suscite inévitablement le désir... Encore que cette thématique ne soit pas totalement absente dans les chapitres du « garde du corps » : la relation de DeWar à la charismatique courtisane Perrund n'est ainsi pas exempte de sentiments refoulés.

 

Tout cela pourrait sans doute donner un roman intéressant... et pourtant, je n'ai pas su apprécier Inversions. Ce qui m'a ramené à la déception relative que j'ai dans l'ensemble éprouvée depuis le début du « cycle de la Culture », même si j'avais l'impression que les choses tendaient à s'améliorer – et, je le rappelle, j'avais vraiment beaucoup aimé le précédent roman du cycle, Excession. Mais Inversions, en en prenant le contre-pied (ne serait-ce que l'absence des Mentaux...), m'a à nouveau déçu. Je n'irais pas jusqu'à le qualifier de mauvais, hein ; mais je l'ai quand même trouvé très anecdotique.

 

J'ai un problème, décidément, avec le tirage à la ligne de Banks, qui m'a gêné dans chacun des romans de la Culture que j'ai lus jusqu'à présent. Inversions, sauf erreur, est pourtant le plus court... Mais il ne m'en a pas moins semblé trop long, avec des scènes sans grand intérêt et indûment prolongées. Problème qui m'a paru d'autant plus agaçant que la fin du livre m'a donné quant à elle une impression de bâclage tant elle était expédiée ! Aussi me suis-je régulièrement ennuyé à la lecture d'Inversions, avant d'être frustré par sa conclusion. Difficile, dans ces conditions, de lui attribuer une note positive...

 

Par ailleurs, un autre aspect m'a gêné, qui est la relative tendance à la caricature du roman – et ça m'a vraiment surpris de la part de Banks. J'ai évoqué à plusieurs reprises Ursula K. Le Guin dans ce compte rendu : la comparaison s'imposait à mes yeux, c'était plus fort que moi ; or Le Guin est à mon sens autrement plus subtile que Banks, tout en usant d'un matériau similaire. La question du progrès dans un monde jugé « archaïque » est beaucoup plus finement envisagée dans ses œuvres (par exemple dans Le Dit d'Aka), là où Banks use et abuse de clichés médiévalisants – on ne compte pas les séjours en salle de torture, ça en devient risible à force là où cela devrait être terrifiant... Et il en va de même, bien sûr, pour le questionnement du genre et de la place des femmes dans la société (La Main gauche de la nuit, Quatre Chemins de pardon, L'Anniversaire du monde...). À la comparaison, Banks perd indubitablement à mes yeux. Et je n'ai pas pu en faire abstraction...

 

Un roman assez anecdotique, donc, qui n'a certes pas le brio d'Excession, et rate un peu son projet, à mes yeux en tout cas. Bon, ben, la Culture, c'est pas encore ça, pour moi... Une pause s'impose...

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