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La Ménagerie de papier, de Ken Liu

Publié le par Nébal

La Ménagerie de papier, de Ken Liu

LIU (Ken), La Ménagerie de papier, ouvrage proposé par Ellen Herzfeld & Dominique Martel, traduit [de l'américain] et harmonisé par Pierre-Paul Durastanti, Saint-Mammès – Aulnay-sous-Bois, Le Bélial' – Quarante-deux, [2004, 2009, 2011-2014] 2015, 438 p.

 

C'est sans doute vrai dans tout milieu, a fortiori s'il est relativement fermé, mais ça se constate en tout cas très clairement dans le fandom SF : il y a une propension à l'enthousiasme exagéré, une tendance à voir dans telle ou telle nouveauté un « chef-d'œuvre », en tablant sur sa pérennité, une volonté de qualifier de « génie », de « prodige » ou de « surdoué » tel ou tel auteur qui fait l'actualité. Mais au final, tout cela nous donne régulièrement de bons bouquins, cependant rarement aussi bons que ce que l'on prétendait...

 

Ces derniers temps, dans cette catégorie, on a beaucoup vu circuler le nom de Ken Liu, jeune auteur américain d'origine chinoise, qui a livré en quelques années à peine tout un tas de nouvelles, de toutes tailles, dont bon nombre ont su attirer l'attention. C'est peu dire : ainsi que ne manquent pas de le rappeler un bandeau et la quatrième de couverture, la seule nouvelle qui donne son titre à ce recueil (sans équivalent en anglais) a été lauréate à la fois du Hugo, du Nebula et du World Fantasy Award, fait unique (« Mono no aware » a également été lauréate du Hugo 2013, mais ça me paraît plus discutable). Tout cela pouvait bien légitimement susciter la curiosité pour cet auteur au parcours déjà bien rempli, et l'idée de ce recueil s'imposait d'autant plus que, de son propre aveu (dans un avant-propos qui fait un peu peur pour la suite, à tort heureusement), l'auteur se tourne aujourd'hui davantage vers la forme longue et la traduction.

 

Alors ? Enthousiasme ? Chef-d'œuvre ? Génie ? Prodige ? Surdoué ?

 

Ben pour une fois c'est bien possible.

 

En tout cas, à la lecture de ce seul recueil, on ne peut que reconnaître que Ken Liu figure parmi les plus brillants nouvellistes SF actuels, même si j'avoue pour ma part ne pas le trouver aussi systématiquement bluffant qu'un Ted Chiang ou un Greg Egan ; il joue néanmoins indubitablement dans leur cour des grands.

 

L'auteur dit ne pas attacher beaucoup d'importance à la distinction entre les sous-genres de l'imaginaire (science-fiction, fantasy, fantastique), ni même, à vrai dire, accorder une grande importance à la notion de genre. Tant mieux pour lui comme pour nous, même si l'on note malgré tout dans ce recueil (au-delà du titre renvoyant à une nouvelle de fantasy, pour le coup) une assez nette prédominance de la science-fiction (mais cela traduit peut-être les goûts des Quarante-deux plutôt que ceux de Ken Liu à proprement parler?).

 

Quoi qu'il en soit, on trouve bien des choses variées dans cette Ménagerie de papier (dont quelques short short, mais pas vraiment de novelettes ou novellas). On est même parfois à la limite de l'exercice de style, mais le plus fort, c'est que ça marche quand même à chaque fois (ou presque : je trouve personnellement que le registre humoristique ne lui sied guère, ainsi qu'en témoigne à mon sens « Le Golem au GMS » – mais c'est un cas unique dans ce recueil). On ne prétendra pas que Ken Liu fait dans la « hard science », lui préférant un registre plus poético-philosophique. Mais, ceci mis à part, on trouve vraiment de tout ou presque dans ce recueil très bien conçu (et dont les dernières nouvelles, sans que l'on puisse forcément parler de « cycle » au sens strict, constituent un ensemble presque insécable jouant sur un lexique et des thèmes communs).

 

Le recueil est par ailleurs parcouru de thèmes transversaux, le plus important, et de loin, et ce dès la première nouvelle, étant le souvenir (ou la mémoire, comme vous voudrez) ; on s'interroge ainsi régulièrement sur la part jouée par le souvenir dans la constitution de la personnalité, ou sur le sens des traditions à l'heure de la conquête spatiale et des nanotechnologies. Se pose aussi, tout naturellement (?), la question de l'exil (ou immigration)...

 

Or le recueil sait systématiquement ou presque poser ces questions délicates avec une grande finesse... doublée d'une certaine astuce dans la manipulation du lecteur. Ainsi, on croit à un moment lire un énième pamphlet anti-Facebook-Apple-Google et compagnie, mais la vérité s'avère autrement plus complexe qu'une simple hostilité remâchant sans cesse les même arguments qui n'en sont pas. La première nouvelle est à vrai dire exemplaire (et d'autant mieux placée), qui joue des stéréotypes « gentil/méchant » jusqu'à l'extrême limite de la tension des contraires, avec une intelligence parfaite, et donc éloignée de tout manichéisme au final.

 

L'intelligence, oui : c'est sans doute ce terme qui, retourné dans tous les sens, définira le mieux La Ménagerie de papier. On a vanté les qualités de nouvelliste de Ken Liu ? On avait bien raison : là, on tient effectivement quelque chose, pour une fois. On en veut davantage, du coup ; d'autres traductions de nouvelles, déjà ; mais si le monsieur se montre aussi brillant dans la forme longue... Bon, verra bien. Mais avec impatience.

 

EDIT :

 

Raoul et Gérard Abdaloff en causent ici.

Commenter cet article

L
J'ai été un peu déçu, malgré de très bonnes choses comme la première nouvelle, effectivement, l'histoire titre ou Le Peuple de Pélé.<br /> Ca m'a souvent semblé un peu trop vite écrit, avec de bonnes idées un peu gâchées. La productivité impressionnante du monsieur me confirme un peu dans cette idée... Je ne saisis pas trop l'intérêt d'un texte comme la Plaideuse, par exemple.<br /> C'est peut-être la sélection ou la traduction qui veulent ça, mais j'en doute de la part du Belial.
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