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Chasse royale, de Jean-Philippe Jaworski

Publié le par Nébal

Chasse royale, de Jean-Philippe Jaworski

JAWORSKI (Jean-Philippe), Chasse royale, Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, 2015, 282 p.

 

Je suis bon client, quand même. Mais bon, c’est du Jaworski, aussi ; et j’avais adoré le premier tome de cette nouvelle série, Même pas mort. « Série », oui ; on va éviter dorénavant de dire « trilogie »… Car le livre dont je vais vous entretenir aujourd’hui, Chasse royale, n’est pas le deuxième volet d’une trilogie, comme annoncé à l’origine… mais la première partie de ce deuxième volet. Et je dois dire que ça m’a un peu pété les couilles. Même si je l’ai acheté quand même, lu et aimé. Ça sent la margoulinade de plus de la part d’un éditeur capitalisant sur son auteur bankable ; la sortie en parallèle, dans la collection « Hélios », du Sentiment du fer, recueil de nouvelles du même auteur s’affichant fièrement comme « inédit » alors que les textes le composant avaient été publiés auparavant (mais l’absence de table des matières – ! – rend délicat d’en juger), renforce cette impression. La politique des Moutons me gave un peu, ces derniers temps ; en l’espèce, l’hypocrisie consistant à dire « oui mais euh c’est parce qu’on n’aurait pas pu sortir le livre complet parce que trop gros », de la part de ceux qui avaient sorti Gagner la guerre, du même Jaworski, il y a quelques années de ça (avec des rééditions luxueuses à la clef…), m’a un poil énervé. Mais je suis bon client… J’ai donc acheté ce livre incomplet – et, autant le dire, j’ai effectivement eu une sensation de « trop peu » arrivé à la fin, même si celle-ci se tient en tant que telle. Je ne regrette pas mon achat ni ma lecture… Mais je n’ai plus envie, aujourd’hui, de louer les Moutons comme je le faisais jadis, parce que j’en ai marre qu’on se foute de ma gueule de lecteur-consommateur. Mais bon : je réserve ma vraie colère pour le crowdfunding à venir du premier tiers de la deuxième moitié du deuxième volume, hein…

 

Bon…

 

Nous retrouvons donc Bellovèse, qui poursuit le récit de ses mémoires à un ami grec. Au début du roman (enfin, de cette première partie…), Bellovèse accompagne le meurtrier de son père, son oncle le haut roi de la Celtique Ambigat, à une cérémonie en territoire carnute, témoignant du passage à l’été. La troupe assez conséquente du haut roi – qui comprend notamment le frère de Bellovèse, Ségovèse, et leur mentor Sumarios – est ralentie par une chasse impromptue, un beau cerf improbable surgissant sur leur chemin, animal rusé qui les perd dans une forêt aux lugures découvertes… Ce prologue fait sens, et participe de l’exposition d’une belle brochette de personnages, qui se verra complétée dans la ville d’Autricon.

 

Et c’est là que les véritables problèmes surgiront, en fait une résurgence de haines et rivalités anciennes, de la vieille guerre des Sangliers, issue de conflits dans la désignation du grand druide, guerre au cours de laquelle Ambigat avait vaincu et tué le père de Bellovèse et Ségovèse… Or, s’il est de toute évidence déconseillé de se mêler des affaires des druides, celles-ci se compliquent en l’espèce par tout un réseau d’allégences politiques branlantes, et par des liens familiaux tissés dans cette complexe trame ; tous les « héros » des divers rois que l’on rencontre à Autricon semblent liés les uns aux autres, et souvent par le sang…

 

La position de Bellovèse est particulièrement ambiguë, lui qui se montre fidèle à Ambigat, quand on voudrait voir en lui le meneur, si ça se trouve, de la dissidence, en raison de la fidélité jugée plus importante encore envers son défunt père… Le conflit, cependant, surgira bel et bien, et opposera les amis de la veille dans une furie guerrière absurde, riches en hauts faits « héroïques » qui sont autant de viles trahisons, envisagées sous un autre angle. Bellovèse choisira de rester fidèle au haut roi… ce qui l’éloignera notamment de son frère.

 

Il incarne ainsi une sorte de rébellion plus ou moins consciente, pourtant. Mais pas une rébellion envers le haut roi, ou envers son père, d’ailleurs : une rébellion à l’égard des dieux, des cruels dieux celtiques qui manipulent rois et héros, lesquels ne sont que des pions entre leurs mains… Mais Bellovèse a de la ressource, tout de même. Il aura amplement l’occasion de le démontrer… et de retourner ainsi, si ça se trouve, dans les griffes du destin et des dieux, prompts à s’accaparer ses faits et tirer parti des retournements de situations.

 

Un goût de trop peu, indéniablement… Cette première partie a bien une certaine unité, la « fin » en est acceptable en tant que telle, mais – peut-être à cause des conditions de cette publication, certes – j’en aurais bien repris davantage… L’arrivée très tardive du surnaturel dans ce roman autrement assez « réaliste » a pu jouer en ce sens, également – encore que ce soit assez courant chez l’auteur.

 

Par ailleurs, quitte à lister les « défauts », j’avoue avoir été un brin gêné par les dialogues dans Chasse royale : si leur côté « familier » voire « vulgaire » se défend amplement au vu des personnages braillards et agressifs, il n’en reste pas moins qu’ils font souvent tache par rapport aux descriptions et récits, assez sophistiqués pour leur part et en tout cas délicieux ; ce contraste, sans doute voulu, est parfois un peu trop brutal à mon goût…

 

Mais si ces remarques m’ont paru nécessaires, il n’en reste pas moins que mon sentiment au sortir de Chasse royale est tout à fait positif. Je n’ai probablement pas été aussi bluffé par ce deuxième volet que par l’excellent Même pas mort, mais c’est avec un grand plaisir que je me suis replongé dans les complexes troubles politiques de cette Celtique fantasmée. Le roman, en outre, a un côté très visuel, et les scènes d’action – assez nombreuses, d’ailleurs – sont étrangement mais efficacement rythmées, suscitant de forts tableaux sans jamais lasser. Le fond, intelligent et sensible, bénéficie de cette forme astucieuse, pour conférer à Chasse royale un parfum d’authenticité remarquable, une certaine puissance évocatrice plutôt rare dans nos littératures de l’imaginaire. C’est le talent de Jaworski, talent autorisant le lecteur-consommateur à céder aux aléas de la publication même les moins justifiables pour avoir sa dose de vraie pertinence dans le genre…

 

Bon, ben, à suivre, donc…

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N
J'ai beaucoup aimé moi aussi, même si en effet c'est plus "facile" d'accès que le tome précédent et sa structure entrelacée de plusieurs époques de la vie de Bellovèse, et surtout beaucoup moins perturbant avec un surnaturel plus en retrait et qui laisse plus difficilement planer le doute entre surnaturel et cauchemars/visions enfiévrées...<br /> <br /> Par contre pour moi, la grosse enculade Jaworski/moutons électriques (je ne sais qui est réellement le responsable de la margoulinade), ça restera toujours la réédition de Janua Vera avec deux nouvelles, trois contes et un peu d'encyclopédique en plus. Toujours le sentiment de s'être fait rouler en achetant la première version et de devoir repasser à la caisse si je veux lire quelques pages de plus.
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