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At the Mountains of Madness & other novels, de H.P. Lovecraft

Publié le par Nébal

At the Mountains of Madness & other novels, de H.P. Lovecraft

LOVECRAFT (H.P.), At the Mountains of Madness & other novels, selected and with an introduction by August Derleth, Sauk City, Arkham House, [1934, 1939, 1941, 1943] 1964, XI + 432 p.

 

Suite de mes relectures lovecraftiennes en anglais dans le texte. Après, il y a quelque temps de cela, The Dunwich Horror and others, présenté comme le « best of » des fictions lovecraftiennes, je suis donc passé à At the Mountains of Madness & other novels, recueil de taille équivalente rassemblant les trois longs textes de Lovecraft considérés comme des romans : At the Mountains of Madness, donc, The Case of Charles Dexter Ward et The Dream-Quest of Unknown Kadath ; ce dernier est entouré des trois nouvelles formant le « cycle de Randolph carter » (publié à l’origine en français sous le titre Démons et merveilles) : « The Statement of Randolph Carter », « The Silver Key » et « Through the Gates of the Silver Key » (ce dernier texte en collaboration avec E. Hoffmann Price, qui en avait fourni le premier jet). Enfin, bizarrement, on y trouve deux nouvelles de taille « classique », qui auraient sans doute été tout à fait à leur place dans The Dunwich Horror and others : « The Shunned House » et surtout « The Dreams in the Witch-House » (ce dernier faisant clairement à mon sens partie des meilleurs récits de l’auteur).

 

La préface d’August Derleth est un peu déconcertante. Si elle ne tarit bien sûr pas d’éloges sur At the Mountains of Madness et The Case of Charles Dexter Ward, elle se montre étrangement sévère pour The Dream-Quest of Unknown Kadath ; ce roman est pourtant loin d’être inintéressant, mais il est vrai qu’il se montre très différent de tout ce que Lovecraft a pu faire par ailleurs. Baroque et d’une extrême densité, sur un rythme soutenu, là où les autres romans se montrent plus lents et pointilleux, il ne relève certes pas vraiment de l’horreur (même si, chassez le naturel…), et pas vraiment non plus du « Mythe de Cthulhu » (même si Nyarlathotep y joue un très grand rôle, et des Anciens Dieux y sont par ailleurs régulièrement évoqués, dont Nodens – on voit bien ce que Derleth en a fait, avant que Brian Lumley n’en rajoute une couche…). Nous sommes en plein dans une sorte de fantasy onirique très vive, où l’inspiration dunsanienne des années antérieures est reprise et parachevée – assumée dans un sens, mais en même temps dépassée – dans un délire apparent, sous-tendant un questionnement philosophique omniprésent, d’une importance capitale pour l’auteur, mais pouvant dévier aux yeux du lecteur vers une conclusion en demi-teinte, certes. The Dream-Quest of Unknown Kadath s’inscrit en plein dans les « Contrées du Rêve » ; aussi peut-on trouver que le classement opéré par Derleth, avec pour seul critère la longueur des textes, a quelque chose de malvenu (d’autant, il est vrai, que plusieurs textes tardifs de Lovecraft sont au fond à peine moins longs – le cas le plus flagrant étant « The Shadow over Innsmouth ») : Ulthar, Celephaïs, ce genre d’endroits, sont développés dans les nouvelles du cycle, dont le manque ici peut être jugé préjudiciable ; de même, le contenu allégorique d’une nouvelle comme « The White Ship » éclaire sans doute The Dream-Quest of Unknown Kadath et « The Silver Key » (texte qui vaut surtout à mon sens pour ce questionnement sous-jacent). À vrai dire, la constitution même du « cycle de Randolph Carter » peut sans doute prêter à débat : « The Statement of Randolph Carter », qui l’introduit, a beau être inspiré d’un cauchemar fait par Lovecraft (et impliquant si je ne m’abuse Frank Belknap Long), n’a au fond pas grand-chose d’onirique, ou en tout cas nettement moins, et sous un tout autre aspect, que les autres textes du « cycle » ; et, au fond, c’est un texte dont l’absurdité délibérée débouche sur une chute un tantinet ridicule… Le ridicule, certes, ne manque pas forcément dans The Dream-Quest of Unknown Kadath, mais la coloration toute différente autorise bien des bizarreries qui en deviennent rafraichissantes, voire charmantes dans leur caractère grotesque (l’armée des chats qui bondit sur la Lune, à titre d’exemple…). Du coup, le roman, avec son caractère unique, se montre en définitive tout à fait convaincant, pour peu qu’on l’aborde sans trop de préconçus hérités de la conception « mythique » des œuvres de Lovecraft ; pour trancher avec le reste, il n’en est pas moins intéressant. « The Silver Key », avec ses allures de conte philosophique tardivement réduit à une nouvelle, séduit un peu moins, même si l’on y trouvera des choses intéressantes. Reste enfin à évoquer « Through the Gates of the Silver Key », qui est le texte faisant le lien entre les trois précédents, avec plus ou moins de réussite : le récit des errances oniriques de Randolph Carter y est relativement correct quoique bavard, mais le cadre de cette réunion de mystiques a quelque chose de grotesque – et d’irrationnel, bien éloigné de la philosophie lovecraftienne – qui passe mal (et cette putain d’horloge de Marigny m’a inévitablement renvoyé aux abominations lumleyennes, mais ça Lovecraft comme E. Hoffmann Price n’y pouvaient rien…).

 

Mais j’ai commencé par la fin. Le recueil s’ouvre sur le texte qui lui donne son titre, At the Mountains of Madness. J’ai longtemps fait de celui-ci mon récit lovecraftien préféré (le cadre antarctique y était pour beaucoup), mais cette relecture m’amène à reconsidérer un peu mon point de vue ; non que ce long texte soit mauvais : il est assurément brillant. Seulement, il y a un contraste entre les fascinants premiers chapitres – jusqu’à l’arrivée dans la Cité des Choses Très Anciennes –, qui constituent bien à mon sens le sommet de la fiction lovecraftienne, et les chapitres ultérieurs, consacrés à l’exploration de la Cité et au déchiffrement (bien improbable, d’ailleurs…) de son histoire ; si le propos est passionnant, saturé d’implications inquiétantes voire bouleversantes, et constitue probablement le cœur de l’intention de l’auteur dans ce long récit, avec cette présentation d’une étonnante utopie pré-humaine, tout juste teintée d’un soupçon de shoggoths errants pour réintroduire l’horreur pure dans la fascination érudite, on peut néanmoins trouver que le récit se traîne un peu à ce stade (ce qui rend les coupes suggérées voire effectuées – dans le cas de l’ancienne traduction française – plus « compréhensibles », même si pas plus légitimes). Et il y a en outre un problème de crédibilité, donc… Je continue d’accorder une place de choix à At the Mountains of Madness, du coup, mais les relectures récentes de nouvelles aussi parfaites que « The Call of Cthulhu », « The Colour out of Space » ou encore « The Shadow over Innsmouth » m’amènent donc à reconsidérer mon enthousiasme : ces nouvelles portent en elles une réussite, dans la construction sans faille notamment, qui peut faire paraître le roman antarctique de Lovecraft un peu bancal en comparaison.

 

Reste un roman, The Case of Charles Dexter Ward. Un récit ne tenant pas vraiment du « Mythe » (même si Yog-Sothoth, notamment, y est mentionné), qui joue bien davantage la carte de « l’investigation occulte ». Sous cet angle, c’est une réussite exemplaire : la plongée dans la généalogie trouble de Ward, les questionnements autour de l’étrange figure de Joseph Curwen, sont vraiment passionnants ; la tentation est grande, en outre, d’y déceler une forme d’autobiographie fantasmée, riche en substrats philosophiques… Tout ne fonctionne certes pas aussi bien – à mon sens, ce récit se montre bien plus pertinent et bien foutu quand il enquête sur le passé, là où l’enquête « contemporaine » se révèle un poil plus faible – mais juste un poil. Dans l’ensemble, c’est là un récit remarquable ; un des plus brillants, sans doute, de la veine « fantastique classique » de l’auteur.

 

Les deux nouvelles qui complètent ce volume, « The Shunned House » et « The Dreams in the Witch-House », sont d’une veine assez similaire – et relativement « classique », donc. Dans la première, variation lovecraftienne sur le vampire, le principal intérêt réside là encore dans l’investigation sur le passé de cette maison maudite, avec là encore une bonne louche de généalogie – mais cette fois, le moment présent ne convainc pas vraiment à mon sens… « The Dreams in the Witch-House » me paraît bien plus satisfaisante dans la continuité, ce qui en fait à mon sens une des meilleures nouvelles de l’auteur (pour l’anecdote, c’est un des très rares récits, tous auteurs confondus, à m’avoir fait faire des cauchemars à ma première lecture : satané Brown Jenkin ! Il aurait tout pour être ridicule, mais se montre pourtant un catalyseur d’horreur remarquable…). Et peu importe que le « Mythe » y soit aussi secondaire, voire inexistant (Nyarlathotep y tient du diable du Sabbat, ce qui ne correspond pas vraiment à l’indifférentisme cosmique des Grands Anciens). Le questionnement mathématique (astucieux, qui tire la nouvelle du fantastique vers une certaine science-fiction) et la description du quartier populaire et immigré qui complètent l’enquête généalogique et historique confèrent à cette nouvelle une puissance d’évocation tout à fait singulière.

 

Une très bonne relecture, donc. Et je vais poursuivre un de ces jours, avec Dagon & other macabre tales, probablement.

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E
Salut Nébal,<br /> <br /> J'ai justement découvert récemment qu'une nouvelle vague de traduction française de Lovecraft était actuellement en cours chez Points seuil, signée François Bon. Vu que tu es apparemment parti sur une irremplaçable lecture en VO, j'imagine que ça n'est du coup plus trop d'actualité pour toi, mais je me demandais si tu en avais eu connaissance. Je suis resté sur la traduction de la collection Bouquins, mais je me dis que ça doit être un peu comme avec Tolkien, un travail qui méritait d'être repensé aujourd'hui, offrant peut-être un nouvel éclairage (d'autant que tu m'apprends qu'on ne s'est pas privé d'y faire des coupes).<br /> <br /> Et je reste moi aussi sur le souvenir d'une lecture particulièrement terrifiante de La Maison de la sorcière, que j'ai découvert alors que je logeais à l'étranger dans une chambre qui ne m'était donc pas familière.
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N
je n'ai pas lu les nouvelles traductions de François Bon, je ne sais pas ce qu'elles valent. Celles de David Camus ("Les Contrées du Rêve", "Les Montagnes Hallucinées") sont bien.