Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth
Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth
Sans surprise, nombreux sont les jeux vidéos qui s’inspirent plus ou moins des écrits de H.P. Lovecraft, officiellement ou pas. Pour n’en citer que quelques-uns auxquels j’ai pu me frotter, le célébrissime Alone in the Dark, ou encore Prisoners of Ice ; je n’ai que très peu tâté du MMORPG, mais ce que j’ai pu voir du tout début de The Secret World rentre également dans cette catégorie. Le problème, dès lors, réside dans l’adéquation du type de jeu avec l’univers lovecraftien. Et c’est probablement ce qui m’a fait longtemps différer l’acquisition de cet étonnant jeu de Bethesda (The Elder Scrolls, les Fallout les plus récents…) qu’est Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth ; en effet, le jeu était largement présenté comme un FPS, et les images qu’on pouvait en voir – sans s’y intéresser de trop près – donnaient bien l’impression d’un jeu où l’action est essentielle ; j’aime bien les FPS, hein, mais ça correspond tout de même assez peu à l’ambiance lovecraftienne typique, faite d’enquêtes et de rapports (on s’attendrait plutôt à quelque chose comme un point’n’click, sans doute). Je craignais donc un peu une bourrinade, prenant prétexte d’une licence (empruntée à Chaosium, d’aileurs) pour aboutir à un gros n’importe quoi pas vraiment lovecraftien. Mais j’étais malgré tout curieux (forcément, hein), et me suis dit finalement qu’il était bien temps de m’y mettre.
Et ce fut dans l’ensemble une très bonne surprise. Notamment du fait de son ambiance que j’aurais bien envie de qualifier d’extraordinaire, qui a su rendre au mieux l’univers lovecraftien sans négliger pour autant une dimension ludique cohérente.
On incarne dans ce jeu un détective du nom de Jack Walters. Lors d’un bref prologue (qui sert de tutoriel), Jack, qui se rend dans une demeure assiégée par la police, aux mains d’une secte étrange, découvre que les cultistes qui y résident ont monté un dossier très complet sur lui… Et s’ensuit une longue amnésie et un séjour à l’asile – les amateurs reconnaissent largement dans le récit de cet interlude un emprunt à « Dans l’abîme du temps », qui servira de leitmotiv (peut-être un peu gratuit, ceci dit) tout au long du jeu.
Mais l’inspiration essentielle de Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth est bien « Le Cauchemar d’Innsmouth ». Ce qui n’a rien d’étonnant, tant cette nouvelle délicieusement horrifique fournit un cadre idéal pour un jeu façon « survival horror », avec de nombreux antagonistes ; la fuite éperdue du narrateur est bientôt reproduite par Jack avec le joueur aux commandes… Avant cela, cependant, il y a la découverte d’Innsmouth (Jack s’y rend pour enquêter sur la disparition du jeune épicier…) ; une séquence d’aventure relativement longue, et passionnante quand bien même dénuée d’action : le rendu est tout à fait remarquable, très fidèle au texte, et plonge directement le joueur dans l’ambiance glauque au possible de ce patelin perdu, pour le moins hostile à l’égard des étrangers.
Et l’action survient très brusquement, quand Jack est assiégé dans sa chambre de l’hôtel Gilman. Désarmé, il n’a d’autre choix que de fuir. Séquence ô combien stressante, ne laissant pas la place à la moindre hésitation, la moindre erreur : là, verrouiller le loquet ; ici, pousser une bibliothèque pour bloquer l’entrée ; emprunter la fenêtre pour rejoindre les toits, etc. Disons-le : la séquence est passablement difficile et a de quoi faire criser à plus d’une reprise… Elle n’en est pas moins exceptionnelle d’horreur et de tension, donnant le la d’un éprouvant jeu à frissons, déconseillé aux cardiaques.
Une bonne partie – l’essentiel, sans doute – de ce premier chapitre se déroule donc sans armes. Évidemment, quand Jack parvient enfin à mettre la main sur des flingues, la donne change un peu… Cependant, même dans son deuxième chapitre (j’entends ici l’assaut de l’affinerie Marsh – pas très crédible sur le plan scénaristique, d’ailleurs, Jack étant forcé par nul autre que J. Edgar Hoover de venir en aide aux hommes du FBI…), qui est à mon sens le moins difficile… et le moins réussi, le fait de posséder des armes n’implique pas pour autante que l’on peut foncer dans le tas comme une brute épaisse ; loin de là, un assaut frontal du genre ne pourrait déboucher que sur la mort du personnage, très vite… On préfèrera quand même de loin la première partie, mais aussi la troisième et dernière (le Récif du Diable, en gros), où la dimension « survival horror » reprend de nouveau le pas sur le FPS, avec un Jack plus démuni que jamais face à des ennemis sans nombre… Infiltration et précision sont ici des constantes dans l’approche des antagonistes. Mais on comptera aussi pas mal d’énigmes, parfois un brin capillotractées à vrai dire, qui imposeront la réflexion et dissuaderont là encore de se précipiter au devant des ennuis.
Mais, dans tous les cas, l’ambiance est d’une justesse vraiment appréciable. Même dans les pires moments de stress, on se régale de la reproduction vidéoludique de l’univers lovecraftien ; « Le Cauchemar d’Innsmouth », pour l’essentiel donc, y est très adroitement disséqué : on sent que les responsables du jeu ne se sont pas contentés de plaquer des clichés plus ou moins lovecraftiens sur un jeu qui pourrait se passer, au fond, de cette référence : tout ou presque, ici, est parfaitement justifié et bien vu. On appréciera d’ailleurs, sous cet angle, la relative discrétion des éléments les plus ouvertement mythiques : les créatures autres que les hybrides sont finalement assez rares, et leur intervention toujours redoutable. Et même si le jeu, dans la tradition des « boss de fin de niveau », nous conduit à « tuer » Dagon puis, dans les dernières minutes du jeu, Hydra, les scènes sont assez fortes pour que cela passe (d’autant qu’il ne s’agit évidemment pas de vider ses chargeurs sur les grosses bébêtes…).
Autre trait notable, emprunté plus directement au jeu de rôle L’Appel de Cthulhu : la gestion de la santé mentale. Ici, je suis un peu plus partagé, toutefois, l’idée étant bonne, mais sa réalisation peut-être un peu outrancière : les hallucinations sonores et visuelles sont les bienvenues, le vertige a un bon rendu (même si c’est un peu too much à mon sens), mais les autres séquences « floutées » en condition de stress sont parfois à la limite de l’injouable… Notons aussi qu’il est des passages où la santé mentale vacillante peut entraîner la fin du personnage (éventuellement en le poussant au suicide), mais je n’ai eu à en souffrir qu’une seule fois dans toute la durée du jeu.
Ceci, cependant, nous conduit aux quelques critiques que l’on peut formuler à l’encontre de Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth. La principale, en effet, concerne essentiellement la difficulté, pas toujours très bien dosée. Il y a du challenge (et je n’aurais certainement pas pu franchir les dernières minutes du jeu sans un patch de tricheur bienvenu…) ; ceci, en soi, n’est pas nécessairement un problème, même si cela m’a un peu rappelé mes morts à répétition dans Alone in the Dark (je ne suis jamais allé bien loin dans ce célèbre titre…), ce qui peut très logiquement s’avérer frustrant. Le problème, c’est plutôt que des séquences extrêmement difficiles en précèdent d’autres bien plus tranquilles, puis redébouchent d’un seul coup, pour constituer un « pic » régulièrement agaçant. Il y a à cet égard un contraste un brin fâcheux entre l’évasion de Gilman House et la majeure partie de la scène de l’affinerie, qui m’a paru en comparaison bien simple… Jusqu’à une scène à mon sens absurde où l’on est poursuivi par un shoggoth dans un couloir, scène chronométrée au poil de couille, et que je ne suis parvenu à franchir qu’après bien des tentatives infructueuses et horriblement frustrantes… La fin du jeu, par ailleurs (disons après l’excellente séquence du bateau, vraiment bien foutue), est très, très ardue, et j’ai mis un bon moment à arpenter le très dangereux Récif du Diable, là où l’arrivée dans ses profondeurs est tout d’abord assez tranquille, avant que la difficulté ne devienne carrément insoutenable pour les dernières séquences…
La santé mentale, donc, n’arrange rien à l’affaire. La santé physique est par ailleurs gérée selon un système qui se veut plus réaliste sans l’être forcément, où l’on doit faire un usage économique de bandages, attelles et points de suture (avec parfois un petit shoot de morphine), parfois très frustrant là encore (quand le personnage a une jambe cassée et se traîne horriblement, par exemple). Les munitions sont de même assez rares, comme de juste – et cela rend notamment la toute fin du jeu, très, très, trop difficile à mon sens (pas de rechargement automatique, par ailleurs).
Un aspect qui m’a clairement déplu – même s’il était sans doute délibéré, notamment donc dans une optique de renforcer le challenge –, c’est l’impossibilité de faire des sauvegardes au moment de son choix : on doit ici trouver des points de sauvegarde, plus ou moins à l’abri des adversaires, et il peut parfois s’écouler un long moment avant d’en dénicher un nouveau… ce qui, en cas d’échec, implique de se retaper pas mal de choses, parfois bien coton ; ce qui est aussi ennuyeux qu’agaçant.
Ces petits défauts n’empêchent cependant pas Call of Cthulhu : Dark Corners of the Earth de constituer un bon jeu, qui, dès l’instant que l’on aura appris à en gérer les aspects les plus éprouvants, sera à même de ravir les joueurs – et probablement en premier lieu les amateurs de Lovecraft, même si cela peut éventuellement constituer une porte d’entrée très raisonnable pour des néophytes. L’ambiance tout à fait remarquable de ce soft en fait un titre, peut-être pas incontournable, mais néanmoins tout à fait recommandable ; bien meilleur en tout cas que ce que je redoutais frileusement avant de m’y lancer. Bonne surprise, donc.
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