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Le Sentiment du Fer, de Jean-Philippe Jaworski

Publié le par Nébal

Le Sentiment du Fer, de Jean-Philippe Jaworski

JAWORSKI (Jean-Philippe), Le Sentiment du Fer, Lyon, Les Moutons électriques, coll. Hélios, 2015, 206 p.

 

En même temps que le recommandable (malgré tout) Chasse royale, première moitié du deuxième volet (…) d’une trilogie désormais en quatre volumes (mais on sait jamais pour la suite, hein), un autre (court) livre de Jean-Philippe Jaworski, ZE auteur de fantasy de par chez nous, est paru dans la collection poche « Hélios » des « Indés de l’Imaginaire ». Oui, en même temps : l’achevé d’imprimer « mars 2013 » sur ce Sentiment du Fer est une étrange boulette… Il y en a d’autres, faut dire, oscillant entre le vague foutage de gueule (afficher clairement « inédit » un recueil qui ne contient rien de neuf – lire « inédit sous cette forme », donc ; les cinq nouvelles le composant n’ont par ailleurs pas été révisées, contrairement à ce qui avait pu être dit ici ou là : s’il y a parfois des différences par rapport aux éditions antérieures, c’est semble-t-il parce que des passages coupés y ont été réintroduits…) et, hum, pour le coup, j’aurais envie de dire, de manière relativement neutre, l’incompétence (absence de table des matières – ce qui tombe bien –, quatrième de couverture rédigée à l’arrache – la relire aurait pu être utile, il y manque probablement quelque chose…). Tout cela – même si cela peut certes sembler être autants de détails – navre le pinailleur en moi…

 

Mais bon : parlons du contenu, hein.

 

Cinq nouvelles, donc, déjà publiées auparavant dans différentes anthologies, et qui nous ramènent au Vieux Royaume, l’univers des deux premiers titres de Jean-Philippe Jaworski, le très bon recueil de nouvelles Janua Vera avec lequel on l’avait découvert, et l’excellent roman Gagner la guerre, qui a définitivement assis sa réputation. Les nouvelles – toutes datées selon le système en vigueur dans cet univers – s’étendent sur un peu moins de vingt ans. Comme dans Janua Vera à certains égards, Le Sentiment du Fer ne s’embarrasse cependant pas plus que ça de cohérence : les thèmes et les univers des différents textes sont variés, même si l’on y trouve moins la dimension « exercices de style » du premier recueil. Il y a tout de même une vague trame de fond, à propos d’une guerre civile en Léomance (qui a des répercussions un peu partout), suscitée par l’émergence d’une nouvelle et étrange religion…

 

En tant que petit fan de ce que fait M. Jaworski, je m’attendais à du très bon – et me réjouissais de retrouver au travers de nouvelles le cadre du Vieux Royaume. J’avais eu quelques échos un brin déçus, cependant… Et je me vois contraint aujourd’hui de leur donner raison : oui, Le Sentiment du Fer est décevant ; peut-être pas mauvais, mauvais… mais au mieux très moyen ; et franchement dispensable. On est en tout cas très, très loin de la qualité bluffante des autres publications de l’auteur.

 

On trouve quelques points communs entre ces différentes nouvelles, participant de ce jugement défavorable. Le plus gênant est sans doute que les fins tombent systématiquement à plat ; un peu comme si l’auteur, tout en ne rédigeant pas son texte dans l’esprit d’une nouvelle à chute, était en définitive rattrapé par de vieux réflexes de narration. La première nouvelle (« Le Sentiment du Fer », donc), donne à vrai dire une déconcertante impression, comme s’il s’agissait au fond de l’introduction, non poursuivie, d’un nouveau roman… qui, avec son « héros » assassin errant dans une Ciudalia toujours très « Renaissance italienne », ne manque pas d’évoquer Benvenuto dans Gagner la guerre. Une redite vaguement ennuyeuse, qui s’achève là où elle aurait dû (ou pu) commencer… « L’Elfe et les égorgeurs » commence sympathiquement, repose pour l’essentiel sur une astuce de récit correcte, mais n’en fait rien au final. « Désolation », qui s’ouvre sur une citation de Tolkien et lui emprunte beaucoup (pour l’essentiel, la Désolation de Smaug et la Moria), est une longue nouvelle donjonneuse régressive, avec des Nains, des Gnomes et des Gobelins, à la conclusion bâclée – paradoxalement trop hâtive, là où il y aurait sans doute eu de quoi faire bien mieux. « La Troisième Hypostase », enfin, après avoir présenté un intéressant personnage de femme humaine vivant au milieu des Elfes, n’en fait rien, et se contente de détailler un affrontement de haute-magie vite lassant. Seule la troisième nouvelle, « Profanation », me paraît échapper à cette critique ; assez drôle, avec son détrousseur de cadavres faux-derche, elle est clairement la meilleure nouvelle du lot – probablement la seule qui mérite vaguement le détour. Mais vaguement…

 

Un autre souci m’a plutôt étonné, en ce qu’il va dans le sens d’une critique plusieurs fois adressée à Jean-Philippe Jaworski, et que je n’avais jamais fait mienne jusqu’à présent : son abus des mots rares, lexique soit précieux (jugé pédant…), soit argotique à l’excès – franchissant la ligne séparant l’effet amusant et enrichissant suscité par ce vocabulaire choisi, pour devenir un triste procédé sans âme. Ici, c’est essentiellement l’argot qui rentre en compte ; l’auteur en use et en abuse à plusieurs reprises (mais surtout dans les deux premières nouvelles), et ce n’est hélas guère convaincant. Et surtout beaucoup moins approprié que tout jeu sur le vocabulaire auquel l’auteur avait pu se livrer avec malice et adresse dans ses autres publications. Sous cet angle, et malgré quelques défauts, Wastburg de Cédric Ferrand (par exemple, même éditeur) se montre plus convaincant à mes yeux – car plus sobre.

 

Au final, les histoires ne séduisent guère, l’ambiance est réduite à peau de chagrin, la subtilité n’est plus de mise, le style peine à s’élever aux sommets habituels de l’auteur, la construction souffre de failles diverses… Non, ça ne va pas. C’est vraiment très, très moyen. Et dispensable, donc. Une triste déception, de la part d’un auteur dont on sait qu’il est bien meilleur à l’habitude – et même le meilleur de par chez nous dans ce domaine. Ça ne m’empêchera certainement pas de me précipiter avec avidité sur ses prochaines publications – je reste un petit fan –, mais cela témoigne d’une chose inacceptable : Jean-Philippe Jaworski, horreur glauque, est humain ; et ne réussit pas tout ce qu’il écrit…

Commenter cet article

E
Réunir ces textes n'étaient sans doute pas une bonne idée. Vu le nombre de textes déjà publiés j'ai passé mon tour. Par contre je te trouve la dent dure avec Désolation qui m'avait bien plu dans son anthologie initiale. Un texte BEUAAAH qui menait vers autre chose. Plus que Tolkien c'est la touche Warhammer que j'avais vu dans l'ambiance.
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N
Oui, "Warhammer", ou "Donjons & Dragons", tout simplement. C'est vrai que Tolkien est assez loin ; mais la nouvelle est introduite par une citation de la Moria, et le terme "désolation" n'a probablement pas été choisi au hasard. Après, bon, ça m'a déçu, je trouve qu'il y avait un potentiel pas très bien utilisé...