Les Ombres d'Esteren : Livre 0. Prologue
Les Ombres d’Esteren : Livre 0. Prologue, Agate, 2011, 80 p.
Les Ombres d’Esteren est un jeu de rôle de création française, qui s’est depuis exporté, et qui me faisait de l’œil depuis un moment. Les livres très agréables à l’œil, les bons échos que j’en avais reçus dans l’ensemble, aguichaient ma curiosité, ainsi que sa revendication d’être un jeu mêlant fantasy et horreur, dans une perspective relativement sombre et « gothique ». Un mélange qui me plaît bien : même si je suppose que cela n’a pas grand-chose à voir, mes bons souvenirs de Ravenloft (l’univers de Donjons & Dragons dans lequel j’ai le plus joué, avec Dark Sun) m’ont incité à y regarder de plus près.
Et inutile pour cela de dépenser immédiatement mes rares sous : le Livre 0. Prologue, qui préfigurait la gamme à proprement parler, est en effet aujourd’hui disponible gratuitement au téléchargement ; une bonne occasion de découvrir, quand bien même de manière considérablement abrégée, les traits essentiels de l’univers des Ombres d’Esteren ainsi que son système de jeu – et trois scénarios viennent compléter le petit ouvrage, constituant une sorte de « prologue » (donc) à la campagne officielle en Dearg.
L’action se déroule dans la péninsule de Tri-Kazel, sorte de vilaine Bretagne (beuh) en marge d’un continent sobrement baptisé… le Continent. La vie y est passablement rude, tant du fait de la géographie montagneuse et du climat hostile, que pour des raisons plus mystérieuses (même si l’idée est de jouer dans un univers plutôt low fantasy, avec un surnaturel certes présent mais discret), comme la menace perpétuelle d’étranges créatures répondant au nom de feondas (on n’en saura pas davantage).
La péninsule est par ailleurs divisée, schématiquement, en trois royaumes, offrant des cadres de jeu très différents, basés de manière caricaturale sur des niveaux de développements variables : le premier, le plus antique en apparence, révère les traditions les plus obscures dans un cadre ouvertement celtique et druidique ; le deuxième est une théocratie féodale, où un dieu unique a remplacé les esprits d’antan ; le troisième, enfin, évoquant davantage la Renaissance, combine les études de la magie et de la science (on parle de magience) dans une perspective progressiste et rationnelle. Ces oppositions arbitraires sont certes plus ou moins crédibles, mais me paraissent néanmoins fournir un cadre de jeu tout à fait correct. On notera cependant que l’univers obéit à un lexique abondant qui lui est propre, rendant plus qu’utile un glossaire (il n’y en a pas ici).
Le système est relativement commun, tout en se voulant très simple, voire dispensable (les auteurs insistent, un peu bizarrement il est vrai, sur ce caractère ; je les suis tout à fait quand il s’agit de privilégier ambiance, récit et roleplay sur la mécanique, quand bien même souple, mais il y a peut-être là une sorte de paradoxe, dans la mesure où un système est bel et bien proposé…).
L’élément essentiel, ce sont probablement les Voies, qui définissent la manère d’agir d’un personnage, à la fois à son avantage et contre lui (ce qui m’a un peu fait penser, même si cela diffère pas mal, au système de FATE Accelerated, les Voies tenant pour partie – essentielle – de l’approche, et pour partie de l’aspect – dans cette perspective d’ambivalence). On y ajoute des disciplines en nombre relativement réduit (pour la base ; l’évolution ultérieure est très libre), et quelques jets de dés pour la forme ; c’est assez simple, même si cela nécessite de faire quelques petits calculs (qui sont déjà effectués pour les six personnages prétirés proposés ici). Notons enfin que la santé mentale joue un rôle assez important dans le jeu, mais le système proposé ici est semble-t-il passablement différent de celui du jeu « complet ». Dans l’ensemble, on a donc une mécanique assez simple, qui se veut discrète, assez « traditionnelle » au fond mais avec quelques traits plus modernes.
On trouve ensuite six personnages prétirés, un poil caricaturaux, mais en même temps assez subtilement définis quant à leur psychologie et leurs relations aux autres, idéaux pour interpréter les trois scénarios qui concluent le livret – qui constituent donc une introduction à la campagne officielle en Dearg, et peuvent être joués dans des ordres différents, même si celui qui est proposé à la lecture me paraît le plus cohérent… mais certes pas le plus simple (on suggère également de faire usage des prétirés du Livre 1. Univers, ou, bien sûr, d’user de personnages entièrement créés par les joueurs – ce qui nécessite dans les deux cas un petit travail d’adaptation, les personnages étant directement impliqués dans le cadre de jeu). Les trois scénarios sont par ailleurs reliés par un thème commun : le Flux Fossile, précieuse matière riche en énergie, mais pouvant tout autant constituer une sérieuse menace, tant pour ses effets particuliers qu’en raison de la convoitise et des intérêts de tout un chacun.
« Loch Varn » est un scénario assez bizarre, et même déroutant, de manière délibérée, dans la mesure où la chronologie y est chamboulée : les personnages débutent l’histoire en pleine scène d’action, sans savoir ce qu’ils font là au juste ; tout s’éclairera cependant par la suite, mais au travers de flashbacks et de cauchemars, où la réalité est passablement malmenée et distordue. Sur le papier, c’est assez intéressant, même si passablement complexe (on ne confiera pas ce scénario à un MJ débutant), et peut-être un peu frustrant pour les joueurs, dans la mesure où leur emprise sur les événements est ainsi considérablement réduite (et puis, personnellement, j’ai plusieurs fois fait usage de ce procédé, faut voir sans doute à ne pas en abuser…).
« Poison » est un scénario d’enquête, autrement plus classique, mais tout à fait correct. Là encore, des indications de mise en scène sont données, notamment quant à la manière d’introduire les PJ dans l’histoire, dont on tiendra compte ou pas. Le titre est par ailleurs éloquent quant au fin fond de l’histoire…
« Automne rouge » est un autre scénario d’enquête, où il s’agira pour les PJ de disculper l’un d’entre eux d’un meurtre… qu’il a pourtant bel et bien commis (mais il ne s’en souvient plus, là encore parce qu’il se réveille à côté d’un cadavre, sans savoir ce qui s’est passé ; exemple d’abus dont je parlais plus haut…). C’est probablement le scénario le moins intéressant du lot.
Au final, ce Livre 0. Prologue remplit bien son objectif : il permet de découvrir en douceur un univers attrayant au-delà de sa tendance à la caricature, car bénéficiant d’une belle ambiance ; les règles abrégées et simplifiées, les prétirés, les scénarios, permettent de se lancer directement dans l’aventure, sans même se référer aux ouvrages de la gamme à proprement parler ; enfin, le livret, agréable à l’œil (on regrettera d’autant plus les quelques coquilles qui le parsèment, comme toujours ou presque…), plaide en faveur de la gamme ultérieure, et donne envie de s’y pencher. On verra, peut-être, plus tard…
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