AD&D2 : Dark Sun : L'Alliance Voilée
AD&D2 : Dark Sun : L’Alliance Voilée, TSR – Hexagonal, [1992] 1995, 96 p.
L’Alliance Voilée est le deuxième supplément de contexte pour Dark Sun que je lis après le très correct Tribus-esclaves. Et il avait lui aussi une réputation assez bonne, ce qui est loin d’être le cas de l’ensemble de la gamme (mais faut voir…). Son sujet est donc l’organisation secrète des magiciens préservateurs connue sous le nom d’ « Alliance Voilée »… mais il va en fait un peu plus loin que ça – et c’est en partie ce qui fait son intérêt.
Quelques généralités s’imposent d’emblée – même si, là encore, c’est quand le supplément s’intéresse aux aspects les plus spécifiques, particuliers, dans le monde d’Athas, qu’il se montre le plus intéressant (et c’est comme de juste la plus longue partie du bouquin). Un point essentiel est que l’Alliance Voilée… n’existe pas. On pourrait en effet s’imaginer une vaste société secrète répandue dans tout Athas – ou du moins dans la Région de Tyr, avec ses sept cités-États –, mais cela relève pourtant du fantasme : il n’y a pas d’organisation centralisée, avec des principes hiérarchiques fixes et partout semblables. En fait, chaque cité-État a sa propre Alliance Voilée, qui n’entretient absolument aucun lien avec les autres. Seul véritable point commun, au-delà du nom : l’attachement de ces diverses Alliances aux « cinq desseins » (d’abord et avant tout protéger l’Alliance ; ensuite, et à des degrés divers selon les organisations locales, protéger les préservateurs, protéger les auxiliaires – élément important : tous les membres d’une Alliance ne sont pas nécessairement des préservateurs, ils ont aussi besoin d’auxiliaires issus d’autres classes, et c’est tout bénéf pour les PJ –, combattre les profanateurs, et enfin miner les rois sorciers).
L’Alliance Voilée, en tout cas, ainsi qu’on le voit notamment dans les deux derniers desseins, a une nature éminement subversive qui justifie son attachement au secret (ce qui passe par des principes d’organisation en cellules, avec des variantes ici ou là). Mais celui-ci s’explique aussi et surtout par la position peu enviable des préservateurs sur Athas, trop souvent (systématiquement, en fait) confondus avec les profanateurs responsables du dépérissement du monde, par une populace ignorante, aisément manipulée par les rois-sorciers et leurs arkhontes, et incapable de faire le distinguo. Hors cas très spécifiques (les rois-sorciers eux-mêmes, bien sûr, et quelques profanateurs locaux à leur service), il ne fait pas bon révéler au grand jour ses facultés arcaniques : c’est le meilleur moyen de se faire lyncher. Les praticiens de la magie tendent donc à se montrer discrets, dissimulant leurs gestes quand ils lancent un sort, et devant recourir à un circuit parallèle (par exemple via les marchés elfes si peu fiables) pour s’en procurer les composantes. Autant dire que la magie est de manière générale illégale et mal vue. C’est à bien des égards ce qui a justifié la création des Alliances dans les diverses cités-États, à des époques variées ; elles en sont venues à regrouper les rares préservateurs (estimés à 0,5 % de la population de la cité en moyenne), d’abord pour les protéger, ensuite pour s’en prendre à leurs ennemis de toujours.
Mais il n’y a donc pas d’organisation centralisée. Un membre de l’Alliance de Tyr ne sera pas de facto membre de l’Alliance d’Urik. S’il est amené à quitter la première cité pour la seconde (en prévenant ! J’y reviens à la fin de ce paragraphe…), il devra plus ou moins repartir de zéro. Les diverses Alliances tendent bien à protéger les étrangers membres d’une autre Alliance, et on peut les contacter au travers d’un ensemble un peu confus de mots de passe et autres signes de reconnaissance. Mais l’adhésion, c’est encore autre chose ; et elle implique des tests, différents selon les Alliances, mais parmi lesquels on trouve généralement une variante du « test vert », consistant à faire jeter un sort au candidat près de végétaux pour s’assurer qu’il ne provoque pas d’effet de profanation (mais il y a ici une ambiguïté dommageable à mes yeux : on nous dit tout d’abord que les préservateurs, comme de juste, utilisent toute une ribambelle de méthodes pour éviter la moindre triche… mais plus tard, dans les descriptions des différentes Alliances, on nous montre des agents infiltrés des rois-sorciers – on les appelle « myrmiléons » –, notamment des profanateurs, donc, qui parviennent à tricher sans se faire repérer…). Il y a un dernier fait essentiel, valable partout : un membre de l’Alliance l’est à vie, il ne peut pas démissionner – les déserteurs sont d’office condamnés à mort (on parle pudiquement de « représailles ») de crainte qu’ils trahissent, volontairement ou non, les secrets de l’Alliance, contrevenant au Grand Dessein…
Mais on en arrive alors au gros du bouquin, qui décrit les différentes Alliances des sept cités-États de la Région de Tyr, chacune ayant sa propre « atmosphère ». Mais cette longue partie dépasse en fait le seul cadre des campagnes impliquant l’Alliance Voilée : on y trouve bien des éléments de background sur les cités qui n’ont absolument rien à voir avec les préservateurs, même s’ils peuvent influer les intrigues spécifiques à l’Alliance – en fait, on se retrouve ici face à un guide un peu plus précis que les quelques éléments figurant dans le Journal du Vagabond de La Boîte de Dark Sun. Et on y trouve bien des choses intéressantes, même si j’aurais tendance à y mettre un gros bémol : c’était déjà sensible dans le Journal du Vagabond, mais c’est encore plus marqué ici, il y a un côté patchwork dans le développement des cités qui me laisse un peu perplexe ; en effet, chacune a sa culture propre – et c’est bien –, mais elles renvoient un peu trop lourdement à des cultures de notre bonne vieille Terre, au mépris d’un certain réalisme : on a un peu de mal à concevoir comment, dans une région somme toute limitée, on peut rencontrer des choses aussi drastiquement différentes, parfois pour des cités qu’on peut bien qualifier de voisines ; l’une tiendra de la Mésopotamie antique, l’autre de l’Amérique précolombienne, une autre encore évoquera l’Inde, une autre encore la Grèce classique et Rome… Je ne suis pas très convaincu par la pertinence de cette approche. Un autre point m’a gêné, même si on peut y voir un détail sans grande importance, et c’est la contradiction existant entre différents suppléments (j’espère qu’il n’y en aura pas trop dans le reste de la gamme…) : ici, par exemple, on nous dit que Balic accorde une grande importance au théâtre (son côté grec n’y est sans doute pas pour rien), là où Tribus-esclaves nous présentait cet art comme étant une invention récente des esclaves en fuite de Point-Salé… ce qui me paraît plus intéressant, personnellement.
Mais bon. On commence par Tyr, qui a une situation résolument à part. En effet, là encore, on part des événements du scénario Liberté : le roi-sorcier Kalak a été tué, l’arkhonte « gentil » Tithian l’a remplacé, et Tyr connaît une grave crise de transition – notamment dans son rapport aux esclaves, donc, mais l’Alliance Voilée est également impliquée, en ce qu’elle se scinde en deux courants s’opposant violemment, l’un, conservateur, souhaitant garder l’ancien modus operandi de la société secrète, l’autre considérant qu’il est bien temps de se révéler au grand jour – c’est la « Divulgation » – afin d’enseigner et propager la différence fondamentale entre profanateurs et préservateurs… au risque de livrer les membres de l’Alliance pieds et poings liés à la colère d’une foule qui ne veut rien entendre.
Les six autres cités sont ensuite présentées dans l’ordre alphabétique, avec des particularités notables souvent intéressantes, au niveau de l’Alliance ou de manière plus générale ; sont en outre décrits, au-delà de l’histoire et de la culture de la ville, des éléments variés sur l’organisation locale de la société secrète (contact, signes particuliers, initiation, quartier général…), avec des PNJ essentiels, plutôt bien foutus dans l’ensemble ; et tout cela débouche sur des suggestions d’intrigues très correctes – avec donc un ton bien spécifique à chaque cité (ici l’Alliance Voilée se montre forte et « agressive », là elle connaît des difficultés et doit s’en tenir à une posture défensive, et entre les deux on trouve toutes les situations possibles et imaginables). Il ne serait sans doute guère intéressant de détailler dans ce compte rendu ce que l’on y trouve précisément, je vais garder le secret (ben oui, c’est un manuel spécifiquement réservé au MJ, hein…). Notons toutefois qu’on trouve, après la description des sept cités-États, quelques éléments – sans doute trop lapidaires – sur des villages de la Désolation, notamment Altaruk (un cas à part, les magiciens ne s’y cachent pas vraiment), ce qui permet d’établir un lien avec Les Négociants des Dunes, et Point-Salé (lien avec Tribus-esclaves… mais avec la contradiction notée plus haut).
Reste enfin un dernier chapitre, fort bref, consistant essentiellement – après une étrange pseudo-nouvelle, faut-il y voir un récit (bof, bof…) de l’origine de l’Alliance Voilée ? – en conseils au maître pour faire intervenir l’Alliance Voilée dans une campagne, en alliés comme en ennemis, ce qui se montre plus ou moins utile.
Mais bilan global très satisfaisant – probablement un peu plus que pour Tribus-esclaves, d’ailleurs. L’Alliance Voilée contient bon nombre d’idées exploitables et d’autres éléments permettant de mieux appréhender Athas et de donner un cachet particulier aux campagnes. Prochaine lecture : Les Négociants des Dunes, à propos duquel j’ai un bon a priori… On verra.
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