AD&D2 : Dark Sun : Liberté
AD&D2 : Dark Sun : Liberté, TSR – Hexagonal, [1991] 1993
Ma redécouverte, dans la joie, de ma vieille Boîte de Dark Sun m’a vraiment donné une très forte envie d’en faire quelque chose. Certes, je ne sais pas encore avec quel système (je vais fouiner notamment du côté de Tranchons & Traquons via Sable & Soleil, et probablement aussi du côté de Savage Worlds et D&D5, pour lesquels on trouve des adaptations en ligne), mais dans l’immédiat j’ai tout de même envie d’en savoir plus sur cet univers, en en explorant un peu plus le background et les scénarios qui en découlent. Or la gamme de Dark Sun (datant essentiellement de l’époque AD&D2, même si l’on trouve quelques trucs – pas grand-chose – pour D&D4) n’a pas très bonne réputation… On m’a nettement fait entendre, en tout cas, que la plupart de ces suppléments étaient au mieux dispensables (à part L’Alliance voilée, Négociants des sables et Tribus-esclaves, que je comptais de toute façon lire en priorité), voire très mauvais, notamment en ce qu’ils révèlent des « secrets » de l’univers de Dark Sun, généralement jugés plutôt ridicules. On m’en a dit un peu plus, et je suis partagé à ce sujet : en fait, c’est l’idée qu’il y ait quelque chose à « révéler » qui me gêne un peu, davantage que le contenu de la révélation en lui-même… Mais on verra le moment venu.
En attendant, j’ai poursuivi ma (re)découverte avec Liberté, qui est un scénario destiné à des personnages débutants, signé David « Zeb » Cook. J’ai une certaine tendance à me méfier des scénarios « classiques » pour Donj’, dont je crains toujours (peut-être par ignorance et préconçus, hein) qu’ils ne tournent à l’enchaînement stérile de bastons, voire au « porte-monstre-trésor », qui ne m’a jamais intéressé. Le calamiteux scénario d’introduction de La Boîte de Dark Sun, intitulé Un brin de savoir…, n’a certes rien arrangé à cette image… En outre, Liberté, pour le peu que j’en savais en fouinant ici ou là, n’avait pas lui non plus bonne réputation. Je l’ai lu néanmoins, sans trop savoir si j’y cherchais un scénario vraiment utilisable, ou l’équivalent scénaristique d’une boussole indiquant le sud. Et, en définitive… ben je ne l’ai pas trouvé si mauvais que ça. Je suis même convaincu qu’il y a des choses à en tirer, même si cela peut impliquer de retravailler la chose. Je vais tâcher de vous dire pourquoi… mais pour cela il va me falloir SPOILER comme un porc – vous êtes prévenus.
Liberté adopte une forme particulière, reprenant celle d’Un brin de savoir… Il se présente sous la forme d’un fourreau, avec dans son rabat des caractéristiques de PNJ génériques, et contenant deux carnets à spirales, un Carnet du Maître de Jeu détaillant le scénario à proprement parler (une introduction et six parties), et un Carnet des Joueurs (avec une introduction consistant en une visite guidée de la cité-État de Tyr, beaucoup d’illustrations – généralement assez moches… –, quelques plans, de rares aides de jeu d’un autre ordre, et enfin des personnages prétirés), ainsi qu’un livret de 16 pages, Chaînes, essentiellement constitué d’une très mauvaise nouvelle horriblement mal écrite (et qui développe des éléments essentiels du scénario, ne pas la lire en premier lieu et ne pas laisser les joueurs tenter la lecture du machin), complétée par quelques portraits de PNJ pouvant intervenir dans le cadre de l’aventure.
Le thème essentiel de Liberté est très commun, et son titre éloquent : dans la décadente cité-État de Tyr, les joueurs vont être amenés à participer à une révolte d’esclaves, façon Spartacus. Mais cet événement majeur se produit en parallèle d’un autre : la mort du Roi-Sorcier kalak, suite à un complot ourdi notamment par Tithian, un de ses principaux arkhontes, et ce alors même qu’il exécutait un rituel magique particulièrement odieux, vampirisant la force vitale des esclaves de la ville via sa ziggourat tout juste achevée…
Et c’est en fait là ce qui peut poser problème : j’ai lu plusieurs retours se montrant très critiques, voire scandalisés, par le fait que les personnages, à bien des égards, assistent à cet événement capital, sans y participer vraiment ; ils sont (au mieux) des seconds rôles, chose qui en agace plus d’un… Mais pas moi. En fait, je trouve ça parfaitement cohérent et pertinent, et d’autant plus que les personnages sont des débutants : il serait absurde à les yeux de leur confier un rôle décisif dans cette situation qui les dépasse forcément (d’autant plus qu’ils sont esclaves, d’ailleurs). Mais ils ne sont pas de simples spectateurs : ils ont bien des choses à faire en parallèle, qui devraient normalement atténuer la frustration de ne pas être tout le temps au centre de l’action (ou d’être les seuls à briller par leurs supposés hauts faits). Personnellement, j’aime bien cette idée que le monde évolue et vit sa propre histoire au-delà des seules actions des joueurs, régulièrement dépassés ; j’ai essayé de mettre en scène des situations comparables, avec une réussite certes variable, dans plusieurs des jeux que j’ai maîtrisés, et suis convaincu qu’il y a là bien des choses à faire, et matière à une bonne histoire.
Ce qui me gêne, moi, à cet égard, est d’un autre ordre. Un bouleversement d’une telle ampleur dès le tout début d’une campagne (car Liberté a bien des accents d’introduction), ça me laisse un peu sceptique, mais pourquoi pas ? Par contre, j’ai l’impression que tout cela est bien trop facile pour les comploteurs : Kalak est un puissant Roi-Sorcier, âgé de plus de mille ans, je trouve assez peu probable qu’il crève comme ça, paf… Et je m’interroge aussi sur les conséquences de cet événement : l’arkhonte Tithian, à l’origine du complot, et qui succède en toute logique à Kalak, donne en effet l’impression d’être un « gentil »… Il libère tous les esclaves (ou l’annonce, en tout cas), et semble garantir une nouvelle ère pour Tyr, ainsi débarrassée de son Roi-Sorcier tyrannique. Autant de choses qui me paraissent peu compatibles avec un profil d’arkhonte, et avec la logique d’Athas. Mais il faut probablement voir ce qui en est fait plus tard…
En l’état, cependant, Liberté peut poser d’autres problèmes. La première partie consiste en pistes alternatives (plus ou moins satisfaisantes… la meilleure est probablement celle qui fait intervenir l’Alliance voilée) destinées à « justifier » (pas plus que ça, certes) la capture des PJ afin qu’ils deviennent des esclaves, travaillant à l’achèvement (pour bientôt) de la ziggourat de Kalak ; du coup, il y a une nette impression d’arbitraire – celui des arkhontes comme celui du MJ.
Les PJ deviennent donc des esclaves ; le travail répétitif et exténuant sur le chantier de la ziggourat (avec plein de pertes temporaires de Constitution à la clef, dont je crains qu’elles soient vite fatales pour les personnages les moins « physiques »…) est complété, là encore, par des scènes alternatives (mais qui, là encore, peuvent se cumuler), destinées tant à poser l’ambiance qu’à créer des liens avec des PNJ éventuellement fort serviables (mais il y a aussi des antagonistes, comme de juste). Et tout ça me paraît assez intéressant ; ce n’est sans doute pas très évident à gérer, mais il y a vraiment de quoi faire, à condition de bien travailler l’atmosphère, au travers des diverses rencontres et rumeurs, assaisonnées de dilemmes moraux (j’avais lu une critique disant que, parce que les personnages étaient des esclaves sur un chantier, cette partie se montrait nécessairement linéaire et répétitive, mais, à la simple lecture en tout cas, je n’ai vraiment pas cette impression).
La suite est plus resserrée dans le temps : on en arrive finalement aux jeux monumentaux destinés à célébrer l’achèvement des travaux, auxquels tous les esclaves sont invités en tant que spectateurs (ultime ruse de Kalak pour son rituel…), même s’il n’est pas exclu, en fonction des événements précédents, que certains PJ brillent dans l’arène en tant que gladiateurs…
Et soudain, tout va très vite (et de manière assez confuse, mais j’imagine que c’est dans l’ordre des choses) : Kalak est empalé par un gladiateur alors qu’il exécute son rituel et que les portes de l’arène sont fermées. La foule des esclaves, incontrôlable et paniquée, cherche sans trop savoir comment à quitter ce piège mortel, éventuellement en lynchant au passage quelques nobles ou arkhontes – ça fait toujours plaisir. Et les PJ, ici, ont bel et bien un rôle à jouer : s’ils ne sont pas au premier plan des événements déclencheurs, ils peuvent néanmoins, et peut-être doivent, se poser en leaders informels de cette émeute (plutôt que d’une insurrection ou rébellion à proprement parler) ; il s’agit de guider autant que faire se peut la foule jusqu’à une hypothétique sortie, en éliminant au passage les quelques arkhontes qui entendent toujours faire leur sale boulot, souvent accompagnés de gardes demi-géants… Là encore, il faut sans doute travailler l’ambiance, pour bien rendre l’hystérie collective et assurer un cadre de choix aux divers combats émaillant cette apothéose.
Certes, quoi que fassent les PJ, la situation finale sera peu ou prou la même (et c’est visiblement ce qui a gêné plus d’un lecteur de la chose) : Kalak meurt, son rituel échoue (même s’il a tué plus d’un spectateur des jeux, en commençant par les plus jeunes et les plus vieux, qui tombent comme des mouches), et Tithian prend le pouvoir, en annonçant qu’il libère tous les esclaves et qu’il n’y aura plus d’esclaves à Tyr. Ce qui peut offrir pas mal de pistes pour la suite des événements, dans une atmosphère probable de chaos urbain au sein de la cité – et je vois bien quelques arkhontes tondus à l’occasion de cette Libération… –, ou par rapport aux domaines ruraux fortifiés dans lesquels les nobles apeurés ne manqueront pas de se réfugier… Quant aux conséquences politiques à long terme, par rapport aux autres cités-États bien sûr, mais il faut sans doute également prendre en compte les tribus-esclaves, elles sont incalculables pour le moment, mais riches de potentiel… Ceci, bien sûr, si Tithian ne ment pas, hein.
Du coup, Liberté ne me paraît pas si mauvais que ça ; loin de là, en fait. Je craignais le pire en entamant ma lecture, et du coup c’est plutôt une bonne surprise, à mes yeux en tout cas. Je ne garantis certes pas de l’utiliser, mais ce scénario peut offrir matière à réflexion, et au fond je ne lui en demandais pas davantage…
Commenter cet article