Patient 13
Patient 13 (édition Blouse Blanche), Mister Frankenstein, 2015, 164 p.
Patient 13 est un jeu de rôle signé Anthony « Yno » Combrexelle, qui fut un temps publié par John Doe. Il est revenu tout récemment avec cette « édition Blouse Blanche », qui marque un retour à l’indépendance, j’imagine. Les modifications sont essentiellement cosmétiques par rapport à la précédente édition. Cela dit, puisque l’on cause de cosmétique, on signalera ici l’aspect très « pro » de la bête, joliment mise en page et bien servie par des illustrations et autres gimmicks à base de sentences absurdes à la typographie dénaturée, qui plongent immédiatement le lecteur dans l’ambiance remarquable de ce jeu tout de même bien perturbant.
J’avais déjà entendu parler de Patient 13 dans sa précédente édition, et il me faisait sacrément de l’œil… Ce jeu, en effet, adopte pour cadre un bien étrange hôpital psychiatrique, coupé du reste du monde (si tant est que le reste du monde existe). Les Patients y aboutissent sans savoir pourquoi, et ne pourront jamais le quitter… Riche d’enthousiasmantes références très diverses et dans tous les médias, Patient 13 propose ainsi de jouer dans une atmosphère de huis-clos étouffant, où les notions de folie et de réalité s’entrechoquent sans cesse pour plonger les joueurs, qui sont autant de patients, dans la démence la plus horrible (le personnel de l’hôpital – le Directeur qui n’est connu que sous cette désignation, les Supérieurs qui font office de médecins pour les patients, et les Blouses Blanches apathiques, voire zombifiques, qui les gendarment –, bien loin de chercher à les guérir, cultive cette folie…).
Bien évidemment, il s’agit là d’une conception totalement fantasmée de l’hospitalisation psychiatrique : Patient 13 est un jeu d’horreur pleinement assumé, qui joue des clichés et préconçus en rapport avec ce thème pour malmener les joueurs (non, pardon, leurs personnages) dans un enfer aseptisé d’où ils ne parviendront jamais à sortir ; il abonde cependant en idées clairement fantastiques, et son ambiance est avant tout « weird ». Sous cet angle, Patient 13 n’a donc aucune prétention au réalisme – et c’est bien normal. Il use cependant avec astuce de certains renvois au réel (via le règlement intérieur, les consultations, les prises de médicaments, les sanctions, etc.), qui contribuent grandement à sa réussite (l’ambiance y est essentielle, c’est même à mon sens sa plus grande qualité), mais qui peuvent aussi poser problème à certains joueurs… dont votre serviteur.
Je ne vais pas m’étendre ici sur le sujet, ce n’est pas le lieu, mais je suis hélas passé par un certain nombre d’hospitalisations en psychiatrie qui, sans être cauchemardesques – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, un vrai hôpital psychiatrique n’a bien évidemment rien à voir avec l’institution horrifique ici décrite –, ont néanmoins laissé des traces. Les thématiques traitées par Patient 13, en même temps, m’ont toujours fasciné, que ce soit en littérature, au cinéma, que sais-je encore, ce qui a bien sûr joué dans mon acquisition du jeu… Sans me croire totalement blindé (après tout, dans un genre différent, j’avais été un peu affecté par Mnémosyne, dont j’ai apprécié la lecture mais auquel je ne jouerai probablement jamais), je supposais que la distance ludique, la distorsion par rapport au réel, tout ça, me permettraient de lire la chose sans états d'âme malvenus – voire en m'en amusant (c'est un jeu, après tout...). Mais le fait est, bizarrement, que la lecture de Patient 13 m’a chatouillé à l'occasion, en renvoyant malgré tout à un certain vécu… Cela peut paraître absurde, j’imagine, mais, pour une fois, l'avertissement de la première page concernant les précautions à prendre en y jouant, et déconseillant ce jeu aux « personnes instables ou sensibles », n'est probablement pas gratuit, aussi dingue (aha) que ça puisse paraître… Il vaut mieux, très probablement, que je n’y joue jamais, que ce soit en tant que Docteur (maître de jeu) ou Patient (PJ).
Et pourtant j’en crève d’envie… Parce que la lecture de Patient 13 m’a vraiment convaincu : je suis persuadé de l’excellence de ce jeu. Le système m’a pourtant laissé relativement froid : très simple, il repose pour l’essentiel sur quelques traits pouvant influencer les actions (on jette 3d6, on modifie éventuellement le dé intermédiaire du fait d’un trait approprié, on compare le résultat à un seuil), et des jauges (Lucidité, Sang-froid, Vitalité) qui bougent en permanence. Ça tourne probablement, mais sans m’enthousiasmer plus que ça, à la lecture tout du moins ; c’est un peu tordu, par ailleurs, mais j’imagine que ça peut se justifier par les principes fondamentaux du jeu…
Le véritable intérêt est ailleurs, dans une ambiance remarquable qui fait tout le sel du produit. Les points du règlement, qui ont une incidence directe dans le jeu (la prise de médicaments, par exemple) sont tout à fait pertinents, et n’ont absolument rien de gratuit. La description de l’asile est par ailleurs fort bien faite, complète sans être exhaustive, histoire de laisser de la place aux inventions du Docteur et des Patients, mais suffisamment inspirante pour garantir bien des heures de jeu en l’état. Mais je me suis surtout régalé à la lecture des trois chapitres présentant un certain nombre d’habitants de l’hôpital (personnel, patients… et autres) : ça déborde littéralement d’idées, à un point que je crois avoir rarement constaté dans quelque jeu de rôle que ce soit.
Et surtout, tout cela ne se contente pas d’être d’une richesse impressionnante pour un format aussi relativement resserré : la moindre ligne ou presque suscite des émotions fortes, de fascination et de malaise éventuel, et plus généralement de peur ; j’ai pas mal pratiqué l’horreur en jeu de rôle – genre délicat tant les risques sont grands de passer à côté de l’effet recherché –, mais je ne crois pas avoir jamais lu un bouquin de jeu aussi véritablement effrayant et perturbant avant Patient 13. Franchement. Bon, mon ressenti particulier joue peut-être, hein…
Le livre se conclut sur une « thérapie » (campagne) intitulée « Thanatos », composée de treize (forcément, il y a toute une symbolique autour de ce nombre récurrent) « séances ». La première est un peu plus détaillée que les suivantes, mais surtout en ce qu’elle montre comment mettre en œuvre les divers conseils donnés précédemment pour plonger les joueurs dans l’univers inquiétant de l’hôpital… Du beau boulot là encore, avec des moments impressionnants : les idées fusent, décidément, et elles sont généralement très bonnes. Par contre, j’ai l’impression que le Docteur doit avoir une certaine expérience pour bien gérer ce cadre, et les joueurs aussi probablement (le côté « bac à sable » est à noter, et le jeu, s’il bénéficie ici de trames qui sont amenées à se rejoindre, repose tout de même beaucoup à mon sens sur les interactions entre joueurs et avec les PNJ, ce genre de choses ; il faut sans doute être en mesure de créer une atmosphère de « quotidien » au-delà de la seule résolution d’énigmes et d’enquêtes).
Et donc voilà : Patient 13 est vraiment un excellent jeu, d’une richesse étonnante, et bénéficiant d’une ambiance absolument superbe. Mais je n’y jouerai probablement jamais… quand bien même c’est très frustrant. Je suppose que je ne suis pas le seul dans ce cas, bien sûr, et c’est bien pour cela que j’évoque ce problème : tout le monde ne peut probablement pas y jouer…
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