Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal

Publié le par Nébal

Réparer les vivants, de Maylis de Kerangal

KERANGAL (Maylis de), Réparer les vivants, Paris, Gallimard, coll. Folio, [2014] 2015, 298 p.

 

Cela faisait tout de même un moment que je n’avais pas lu de vrai litté… broumf, de littérature dite « générale ». Emporté dans les cycles d’imaginaire, je n’ai guère trouvé de temps récemment à consacrer à la « blanche ». Et c’est dommage, sans doute, mais cela s’explique en bonne partie par ce dont je dispose dans mon ermitage… Je végète en ce moment dans un désert culturel. Pas de librairie, ici, on se procure des livres – si l’on ose – au supermarché (ou sur Internet, certes, mais le réflexe n’est pas le même) ; et il n’y a vraiment pas grand-chose en la matière à l’Intermarché local. Forcément, la « littérature générale », ici, c’est d’abord et avant tout Musso-Lévy-etc. En fouinant, cependant, on peut éventuellement tomber sur quelque chose de plus intéressant, mais sans vraie garantie, c’est rien de le dire…

 

Mais il y avait bel et bien, au milieu des horreurs, ce récent roman de Maylis de Kerangal. Le bandeau affichant fièrement ses « dix prix littéraires » n’y est sans doute pas pour rien. Et, si je n’accorde pas une grande importance à ce genre de prix le plus souvent, je ne peux que me féliciter d’un tel succès critique, puisqu’il m’a permis, lui seul, de mettre la main sur ce livre.

 

J’avais (forcément) déjà entendu parler de ce roman – et en bien. Cela faisait un moment que je souhaitais découvrir cet auteur estimé, même si je ne pensais pas commencer par ce Réparer les vivants : j’avais noté dans un coin de ma tête Naissance d’un pont, beau projet, beau concept… mais ça viendra donc plus tard. On fait avec ce qu’on a : Réparer les vivants, donc.

 

Là encore, le roman repose (en partie ou en apparence, comme vous voudrez) sur un concept, une forme de « contrainte » narrative légitimant le récit. On peut craindre, parfois, que ce procédé tienne de l’artifice au pire sens du terme, et manque d’âme… Mais Maylis de Kerangal est sans doute trop intelligente et compétente pour sombrer dans ce travers. En travaillant sa contrainte, elle parvient, avec Réparer les vivants, à raconter une véritable histoire, à construire un authentique roman ; loin de l’exercice un peu gratuit, son texte touche et remue – avec un sujet au diapason, certes, mais le miracle est là : l’émotion ne relève ici jamais du presse-bouton, aussi étonnant que cela puisse paraître.

 

Réparer les vivants tient en l’espace d’une journée : on commence à 5h50 un matin, on achève à 5h50 le lendemain. Entre-temps, on suivra le destin d’un cœur, vibrant tout d’abord de passion juvénile, puis continuant à battre quand le cerveau s’éteint, avant d’être retiré, transféré, transplanté, porteur d’une vie à laquelle on ne croyait plus. La portée symbolique est là, essentielle sans doute, même si la quatrième de couverture en fait probablement un peu trop…

 

Simon Limbres, donc. Dix-neuf ans, passionné de surf. Du côté du Havre. Il part en camion avec ses potes, au petit matin, défier les vagues quand elles sont parfaites. Quelques moments de joie, renforcée sans doute par la maîtrise des éléments, à même de générer un sentiment d’immortalité. Mais, à vrai dire, on peut se demander si Simon, dix-neuf ans, conserve ne serait-ce qu’une petite place au fond de son cœur pour envisager l’éventualité de la mort. Dix-neuf ans… Peut-être, cependant ; comment savoir ? Mais sur le chemin du retour, de toute façon, c’est l’accident : Simon, pas attaché à la différence de ses camarades, est propulsé contre le pare-brise, s’écrase la tête la première contre un poteau.

 

On le transfère à l’hôpital, et il n’y a bientôt plus aucun doute le concernant : si son cœur bat, son cerveau, lui, se précipite vers l’extinction. Or, depuis quelques décennies, la définition médicale de la mort a changé : le cœur a beau battre, Simon est donc cliniquement mort ; les dégâts sont irréversibles, on ne le sauvera pas. La fin est là, terrible, insurmontable.

 

Commence alors véritablement le ballet qui est au cœur (…) de Réparer les vivants. On tourne autour de Simon. Le personnel de santé, d’une part, mais sa famille, de l’autre : Marianne, sa mère, la première à arriver sur place, puis son père Sean ; hors-champ, on entraperçoit sa petite sœur, et surtout sa copine, Juliette… Autant de scènes insoutenables, suscitant une douleur intense – elle devrait être insaisissable, ou se muer nécessairement en un pénible pathos dégoulinant d’effets de manche… Mais non : Maylis de Kerangal parvient à l’exprimer au mieux, au plus juste ; elle attrape le lecteur et lui tord le ventre, à la mesure de ce que ressentent bel et bien ces figures entourant Simon. L’émotion est puissante, justement parce que ces personnages entrevus sont d’une humanité parfaite ; car l’auteur prend soin de les narrer eux aussi : quelques paragraphes lui suffisent, pour infuser dans ces hommes et ces femmes une terrible authenticité. Cela vaut pour la famille, certes, mais aussi pour les soignants, qui sont bien plus que des silhouettes en blanc…

 

Puis viendra le moment d’envisager la transplantation. On laisse entendre à la famille effondrée que Simon contient dans son corps à la dérive de quoi faire vivre d’autres que lui. Une douleur supplémentaire en résulte, confinant un temps à la révolte – tout ceci est si difficile à accepter… Comment débattre d’éthique dans une situation pareille ? Mais oui. Dès lors, il faudra faire vite, très vite, trouver les receveurs, répartir les organes, opérer pour enlever, puis transférer… Le roman se mue alors en un combat contre la montre, mais sans jamais négliger pour autant l’humanité essentielle de tous les intervenants.

 

On sent la documentation, on voit le travail derrière. Mais si la technique est essentielle, elle ne relève jamais d’une vulgaire froideur détachée de tout sentiment. Au-delà des symboles, la perspective est sans doute ici plutôt matérialiste, mais celui-ci n’exclut en rien l’émotion, contrairement à ce que certains clichés pseudo-philosophiques pourraient laisser croire.

 

C’est sans doute là qu’intervient la plume. Elle est à n’en pas douter brillante – peut-être même un peu « trop » à l’occasion, si tant est que cela veuille dire quelque chose : la perfection formelle confine parfois à l’épate. Mais oui, c’est un style fort, saisissant, générateur de pure beauté, habile à susciter puis accompagner les sentiments les plus intenses. La quête au centre de Réparer les vivants, qui a parfois des accents d’épopée (la quatrième de couverture parle de « chanson de geste », ce qui me paraît pour une fois plutôt approprié, bizarrement), tient en partie du poème en prose. La finesse des tableaux et situations est impressionnante ; et, là encore, l’alliance inattendue d’un fond que l’on pourrait croire sordide à une forme que l’on pourrait craindre démonstrative s’avère en définitive d’une parfaite justesse, qui remue, bouleverse, convainc.

 

Réparer les vivants est donc bel et bien un superbe roman, douloureux mais juste, éprouvant mais nécessaire. Une lecture puissante, qui sublime la vie en littérature, puis accomplit la littérature en vie ; une transplantation aussi délicate qu’essentielle.

Commenter cet article

G
Bonjour <br /> Je voudrais demander à MAYLISS de KERANGAL pourquoi le jeune chirurgien s'appelle VIRGILIO BREVA et surtout pourquoi l'auteur insiste sur ses origines :Italie du nord avec surtout entre parenthèse FRIOUL .pourquoi?<br /> plusieurs n'ont pas su répondre;<br /> Comment contacter l'auteur ?
Répondre
Z
Un titre non encore lu, mais je le lirai c'est sûr
Répondre
E
Les titres de ses romans me séduisent, et ce que je survole ici (pour ne pas me spoiler) me confirme que c'est un auteur qui devrait me toucher. <br /> <br /> (Et donc, tu es en rase campagne ? Tu as quitté T. ?).<br /> <br /> <br /> E.
Répondre
N
Si... Mais j'ai pas forcément le choix.
E
Ah d'accord, bon je rattrape les wagons comme je peux mais là c'est encore ceux de l'Orient express... La Dordogne pour la bonne cause, ça peut le faire. J'espère que la ville te manque pas trop.
N
(Je vis en principe sur Paris depuis cinq ans... Mais là je suis exilé en Dordogne depuis juillet - raisons de santé, on va dire, même si bon...)