L'Origine des Victoires, d'Ugo Bellagamba
BELLAGAMBA (Ugo), L’Origine des Victoires, édition révisée et augmentée par l’auteur, Chambéry, ActuSF, coll. Hélios, 2015, 225 p.
Ugo Bellagamba s’est fait assez rare en tant qu’auteur ces dernières années – tout en restant bien présent dans le petit monde de la science-fiction, notamment via son rôle aux Utopiales, ainsi qu’à Peyresq, sauf erreur. Il a tout de même trouvé le temps, en 2013, de publier un roman, L’Origine des Victoires, chez Mémoires Millénaires (où il avait déjà publié auparavant un roman historique). Et ce livre nous revient aujourd’hui dans une édition « révisée et augmentée par l’auteur », dans la collection Hélios partagée par les Indés de l’Imaginaire (sous le patronage ici d’ActuSF).
J’ai toujours eu envie d’aimer ce que fait Ugo Bellagamba – je suppose qu’un embryon particulièrement absurde d’esprit de corps a pu jouer dans les premiers temps : pensez donc, un historien du droit et des idées politiques qui écrit de la science-fiction ! Son goût pour la matière, de même que son érudition (encore que le terme ne soit peut-être pas très bien choisi, tant il peut s’avérer connoté de lourdeur envahissante – or Ugo Bellagamba use bien de sa science et de sa culture, mais sans étalage), transparaissent régulièrement dans ses œuvres (ici, les allusions à saint Thomas d’Aquin ou à Rome, l’Empire naissant et la gloire de son droit, me paraissent en témoigner), où l’histoire joue un grand rôle le plus souvent – l’exemple le plus frappant étant probablement son roman Tancrède, qui a été bien reçu par la critique (très bien, même)… tout en me laissant un peu sceptique. Je n’avais pas été pleinement convaincu par cette uchronie, et l’enthousiasme qu’elle avait suscité m’avait paru un brin incompréhensible…
Or le problème se pose à nouveau – mais sans doute de manière plus flagrante encore – avec L’Origine des Victoires. En parcourant les chroniques du roman (essentiellement de sa première édition, quand bien même relativement confidentielle), j’ai vu partout des marques d’approbation enjouées, qui, pour le coup, me dépassent pas mal. Cela dit, je n’entends pas démontrer ici que L’Origine des Victoires serait un « mauvais roman »… À vrai dire, il se lit bien, je ne peux pas prétendre le contraire – il n’a rien d’un pensum. Il n’en reste pas moins que je l’ai trouvé plutôt… médiocre, disons. Dans un entre-deux ne déchaînant guère ma passion…
Il faut dire que j’avais un problème, à la base, avec le postulat. L’idée, c’est donc qu’il y a un conflit millénaire, traité façon « histoire secrète » (ce que je n’apprécie guère de manière générale, même s’il y a de belles exceptions), opposant les femmes (ou des femmes), les Victoires, à une entité démoniaque (non, extra-terrestre), l’Orvet, se délectant de la douleur et de la haine, qu’elle génère et entretient en « possédant » des hommes (car les femmes lui sont inaccessibles…). Une idée qui ne m’emballe pas plus que ça, c’est rien de le dire. D’autant que je ne suis pas certain que cette dimension « hommage aux femmes » soit très pertinente a fortiori sous cette forme, qui entretient en fait et renforce même la division sexuelle en conférant arbitrairement aux deux genres des attributs distincts dans une perspective étrangement manichéenne – on pourra tourner la chose autant qu’on le voudra, en dépit de quelques allusions tardives qui allègent un chouia le propos (très éventuellement, je n’en suis vraiment pas convaincu), la base reste celle d’un conflit caché opposant des femmes bienveillantes à des hommes violents et haineux, vulgaires pantins d’une entité toute dévouée au mal…
Bon, admettons, hein, puisqu’il le faut… L’histoire, dès lors, se déroule au travers de huit vignettes lorgnant parfois sur le portrait, toutes à des époques différentes : on commence en 1973, on recule progressivement jusqu’en 31 avant Jean-Claude, on se propulse dans le futur (d’abord 2032, puis un avenir indéterminé mais qu’on peut supposer lointain), avant de rebrousser radicalement chemin pour s’arrêter en 19 000 avant notre ère.
En soi, cette idée n’est pas mauvaise, mais je suis plus sceptique quant à ce qui concerne son exécution. Dans les premiers chapitres tout du moins, on réitère en effet quelque peu un même schéma, ce qui lasse un tantinet : exposition générale, la région (j’y reviens), révélation du rôle des Victoires, affrontement avec tel ou tel orvet, fin plutôt ouverte… C’est moins vrai par la suite, heureusement, mais ça m’a quand même un brin gêné.
La dimension historique est par ailleurs accentuée de manière relativement ludique, l’auteur faisant intervenir des personnalités dans son récit – Alexandra David-Néel, Gustave Eiffel, saint Thomas d’Aquin, Octavien (futur Auguste)… Le jeu uchronique en la matière est assez classique, même s’il est donc envisagé ici sous l’angle différent de l’histoire secrète. Mais ces personnages brillent plus ou moins… Alexandra David-Néel est probablement celle qui s’en tire le mieux : je crois que c’est son chapitre qui m’a le plus parlé, avec son oppressant huis-clos ferroviaire tout en faux-semblants ; la révélation finale tient plus ou moins la route, et pourrait d’un instant à l’autre sombrer quelque peu dans le ridicule, mais non, ça passe, plutôt bien, même. Par contre, j’ai trouvé le chapitre impliquant saint Thomas d’Aquin parfaitement grotesque – le twist final, pour être « logique » dans le cadre du récit, n’est guère crédible à mes yeux, et accentue à sa manière malhabile la caricature du postulat… À mon sens en tout cas : à lire ici ou là d’autres retours sur ce chapitre « central » et sans doute essentiel, tous n’ont pas eu cette impression, loin de là. Mais bon…
Une autre dimension du roman me paraît autrement plus intéressante – toujours dans la perspective de « l’hommage », mais à la région cette fois. La majeure partie du roman se déroule dans le sud-est de la France, autour de Nice forcément (Nikaia renvoyant à l’idée de Victoire ; et Ugo Bellagamba y est né et y enseigne), mais aussi plus loin vers l’ouest, au fil de la Provence et un peu au-delà. Il ne s’agit pas ici de faire dans la bête « fierté locale » avec ce qu’elle peut impliquer d’absurdité chauvine, façon « gens qui sont nés quelque part » ; simplement de témoigner d’un intérêt pour la région, bien connue et ressentie, ce qui débouche sur d’assez jolis passages – la nuance, ici, est essentielle.
Reste un dernier aspect à envisager : le style. Là encore, j’ai lu plusieurs comptes rendus enthousiastes quant à la plume de l’auteur. Mais là je ne comprends vraiment pas… L’Origine des Victoires, ici, est assez semblable somme toute aux autres œuvres de l’auteur que j’ai pu lire, et notamment Tancrède : ce n’est pas « mal écrit »… mais de là à dire que c’est « bien écrit », il y a un pas que je ne saurais franchir. C’est utilitaire, en somme. Fonctionnel. Ça passe, ça se lit bien, sans déplaisir ni a fortiori haussements de sourcils, mais, très franchement, le roman ne me paraît vraiment pas briller sous cet angle. Là encore, au fond, il m’a paru avant tout… « médiocre ». Au sens le plus strict de cet entre-deux qui n’emballe pas sans rebuter pour autant.
Et c’est donc l’impression que je retiens globalement de ce court roman. Je ne doute pas qu’il soit très personnel, comme ça a été souvent dit – comme sur la quatrième de couverture de cette réédition ; mais parler de « subtilité » et de « finesse » me paraît plus difficile… J’ai envie d’aimer ce que fait Ugo Bellagamba, encore une fois ; mais pour le coup, ce n’est pas encore, et loin de là, l’œuvre pleinement convaincante que j’en attends…
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