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Le Choix, de Paul J. McAuley

Publié le par Nébal

Le Choix, de Paul J. McAuley

McAULEY (Paul J.), Le Choix, [The Choice], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par Gilles Goullet, Saint Mammès, Le Bélial’, coll. Une Heure-Lumière, [2011] 2016, 82 p.

 

Le Bélial’ a tout récemment lancé une nouvelle collection, baptisée « Une Heure-Lumière », et accueillant dans son sein des novellas, a priori toutes inédites. Principe qui me paraissait alléchant, et j’ai eu globalement de bons à très bons échos des quatre premiers titres, un français (Dragon de Thomas Day) et trois anglo-saxons (Le Nexus du Docteur Erdmann de Nancy Kress, Cookie Monster de Vernor Vinge et Le Choix de Paul J. McAuley).

 

Pour découvrir la chose, j’ai jeté mon dévolu sur le quatrième titre, donc – parce que j’en avais eu des échos tout particulièrement positifs, et aussi, paradoxalement peut-être, parce que je n’ai jamais vraiment lu de Paul J. McAuley jusqu’à présent (voire jamais lu tout court ?), auteur qu’on m’a pourtant souvent recommandé, et dont j’ai conçu une image séduisante – peut-être erronée globalement ? Mais elle colle ici, en tout cas – d’une science-fiction mêlant élégamment « sense of wonder » aux connotations passablement « hard science » et, éventuellement, finesse psychologique teintée d’humanisme… Le meilleur de deux mondes, en somme. Mais je ne suis pas très sûr de moi, ici…

 

Le Choix, novella lauréate du prix Theodore Sturgeon 2012, s’inscrit dans un ensemble plus vaste de textes tournant autour du même univers (deux de ces nouvelles ont déjà été traduites en sus de celle-ci, une dans Bifrost et une autre dans l’anthologie consacrée au Nouveau Space Opera, semble-t-il). Elle se lit cependant parfaitement de manière indépendante, comme de juste.

 

Quelques mots, donc, sur cet univers : les humains ont sans surprise foutu un bordel colossal sur leur pauvre planète Terre, et l’apocalypse écologique leur tombe sur le coin de la gueule (notamment, le réchauffement climatique a grosso modo fait fondre la calotte glaciaire du Groenland, ce qui a entraîné une radicale montée des eaux – la novella se déroule ainsi dans une Angleterre méconnaissable, aux rivages en constante évolution, et où les hommes se sont tant bien que mal adaptés à la vie maritime sur des îlots isolés ; ce n’est pas encore le stade ultra-catastrophiste du Monde englouti de Ballard, hein, mais c’est… différent, quoi). Mais c’est alors que les extraterrestres ont fait leur apparition, comme un bien étrange Deus ex machina. Les premiers d’entre eux, les Jackaroos, ont rapidement entraîné d’autres espèces dans leur sillage, et sont venus en aide à l’humanité, en lui fournissant par ailleurs une éventuelle échappatoire via un réseau de trous de vers permettant d’accéder à des exoplanètes ; depuis, cependant, ces extraterrestres ont peu ou prou disparu… Et s’ils n’ont du coup pas tout à fait l’indifférence à l’égard des humains des pique-niqueurs de Stalker, ils n’en ont pas moins, comme eux, semé derrière eux leur lot d’artefacts incompréhensibles, qui fascinent autant qu’ils inquiètent une humanité dépassée – et par ailleurs très clivée dans son appréhension des « sauveurs » extraterrestres : s’ils ont séduit un certain nombre de Terriens désireux de suivre leurs traces quasi divines, tout aussi nombreux sont ceux qui refusent toute ingérence dans leurs affaires de la part de ces étrangers malvenus – « ET go home ! »

 

La novella adopte le point de vue de Lucas, un ado anglais qui s’est fait à la vie maritime et a conçu de lui-même un petit voilier. Il s’occupe par ailleurs de sa mère, une militante écologiste radicale adepte des réseaux sociaux mais devenue impotente du fait d’une maladie qu’elle n’entend pas soigner autrement qu’avec les potions d’une « sorcière » locale – elle est sans surprise farouchement hostile aux extraterrestres, a longuement milité dans ce sens et a élevé son fils dans cette optique.

 

Damian, qui a approximativement le même âge que Lucas, est son meilleur ami. Il est le fils du propriétaire d’une ferme crevettière, brute épaisse qui le bat pour un oui, pour un non. Il s’est sans doute fait à cette vie misérable, du moins le prétend-il, mais on devine bien vite en lui un désir exacerbé et fort compréhensible de fuite – vers l’infini et au-delà, le cas échéant.

 

Or un artefact extraterrestre (baptisé « dragon », mais pas grand-chose à voir avec Smaug et consorts) s’est échoué non loin, fournissant une distraction bienvenue aux autochtones. Damian demande donc à Lucas de se rendre sur place à bord de son bateau, histoire de profiter du spectacle…

 

Les deux garçons se lancent dans cette « aventure », mais sans doute dans une optique bien différente : Damian voit dans le dragon la clé des étoiles, évocatrice d’un autre monde, infiniment loin de son existence injuste et de ce père abusif qui lui fait souffrir quotidiennement le martyre – là où Lucas est plus perplexe, disons (probablement sans être aussi borné que sa militante de mère, cela dit). Mais les conséquences de leur excursion seront bien plus graves que tout ce qu’ils pouvaient imaginer…

 

… et le lecteur aussi, peut-être. Après une mise en situation relativement classique, le récit prend tout d’abord son temps, au rythme du voilier s’approchant lentement de l’artefact ; le tempo reste assez nonchalant une fois les deux ados arrivés sur place… Puis le rythme change radicalement, et la novella passe à une succession de saynètes, généralement douloureuses, et qui m’ont fait l’effet d’être plutôt inattendues : le récit, sans opérer pour autant de bouleversement artificiel, et tout en obéissant à une logique interne sans doute discernable dès les premières pages et jamais mise en défaut, emprunte des voies éventuellement surprenantes, lui permettant d’affirmer son propos avec une force insoupçonnée.

 

La novella bénéficie bel et bien de cette optique « humaniste », voire « intimiste », supposée un peu gratuitement plus haut. Si le « sense of wonder » est là, incarné dans le dragon incompréhensible, le récit reste cependant à hauteur d’homme (ou d’ado). Les portraits sont assez fins, au-delà des clichés que l’on pouvait craindre à la mise en place ; et la tonalité douce-amère de l’ensemble tempère la noirceur du propos global d’une manière astucieuse et bien vue.

 

Sans aller jusqu’à faire de ce Choix un chef-d’œuvre indispensable, on l’appréciera pour ce qu’il est : un récit imbriquant rêve et amertume avec une sensibilité fort appréciable. Je reviens bientôt sur les autres titres inauguraux de cette collection « Une Heure-Lumière », mais ce premier contact s’est avéré plus que sympathique.

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