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Le Guide Howard, de Patrice Louinet

Publié le par Nébal

Le Guide Howard, de Patrice Louinet

LOUINET (Patrice), Le Guide Howard, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2015, 277 p.

 

Avec le temps, les « petits guides » publiés par ActuSF ont pris de l’ampleur, et c’est pas plus mal. Les dernières publications dans cette série sont autrement plus alléchantes que les premières tentatives bien trop lapidaires – faudrait d’ailleurs que je me fasse celui sur l’uchronie, tiens –, et ce Guide Howard concocté par ZE spécialiste français (et même mondial) de l’auteur, Patrice Louinet, en est une illustration éloquente – et d’autant plus bienvenue, sans doute, qu’elle peut à certains égards surprendre : c’est le deuxième guide ActuSF consacré à un unique auteur, après celui sur l’inévitable Philip K. Dick – mais si la postérité du Texan, avec tout ce qu’elle peut avoir d’ambigu, en même temps, justifie amplement l’entreprise, le fait est qu’on est encore en pleine redécouverte du personnage comme de son œuvre, les deux ayant longtemps pâti des mensonges et manipulations de margoulins en tout genre – le principal étant Lyon Sprague de Camp (qui avait également sévi quant au camarade Lovecraft, tiens…), qui s’en prend ici plein la poire, sans surprise mais à juste titre… Aussi l’œuvre de Robert E. Howard, malgré des antécédents légendaires via notamment François Truchaud et NéO, est-elle encore mal connue en France – et cantonnée aujourd’hui pour l’essentiel aux superbes éditions chez Bragelonne de bon nombre de ses récits, et pas seulement ceux relevant de la fantasy ou du fantastique, d’ailleurs ; superbes éditions par ailleurs coordonnées et traduites par Patrice Louinet himself… Il y a là peut-être un vague paradoxe : si l’on excepte le « best of » des récits de Conan repris en Milady, le lecteur français ne dispose pas d’éditions « populaires » d’un auteur qui le fut assurément, mais seulement d’ambitieux volumes « scientifiques » ; mais cela fait peut-être partie du problème, témoignant là encore de ce que l’auteur est à redécouvrir – et à intégrer pour ce qu’il fut vraiment.

 

Dès lors, on ne s’étonnera guère du parti-pris de Patrice Louinet, consistant – avant même toute biographie, celle-ci ne vient que plus tard, et s’avère comme de juste irréprochable (mais pouvant être complétée, si je ne m’abuse, par celle, plus ample, figurant dans le très chouette volume Échos de Cimmérie) – à tordre d’emblée le cou à quelques préjugés concernant Howard ; autant d’héritages regrettables des mensonges de Lyon Sprague de Camp, notamment, mais aussi d’erreurs d’analyse tenant à ce que l’on s’est longtemps basé sur des œuvres d’inspiration howardienne plutôt qu’émanant véritablement de l’auteur, pour juger globalement ce dernier sans même jeter un œil aux textes de référence – ici, la BD de Marvel et le film de John Milius ont incontestablement joué un grand rôle ; et Patrice Louinet se montre du coup régulièrement narquois… Plus loin, son très bref chapitre sur « Howard au cinéma » consiste ainsi en une unique phrase : « Il n’existe à ce jour aucune adaptation d’un texte de Howard au cinéma. » Bien sûr, après ce charmant trollage, l’auteur concède qu’il y a eu çà et là des inspirations, ou du moins que des œuvres ont usé de noms howardiens… Attitude bien compréhensible, et évidemment légitime, dès lors que l’on entend, à l’instar de Patrice Louinet ici, s’en tenir à Howard même ; ce qui ne m’empêchera pas de conserver des souvenirs émerveillés des séries conanesques de la Marvel – qui m’ont fait découvrir le personnage, certes « slip de fourrure » – et plus encore du film Conan le Barbare, qui, pour être l’œuvre d’un « fasciste zen » autoproclamé trippant sur Gengis Khan, n’en reste pas moins à mes yeux, et de loin, la meilleure œuvre de fantasy cinématographique – sans véritable concurrence encore à ce jour (n’en déplaise aux apôtres des peterjacksonneries hobbitesques – dont le rapport à Tolkien pourrait d’ailleurs être commenté, j’imagine).

 

Le plan de cet ouvrage a cependant quelque chose de déconcertant, au-delà de cette relégation de la traditionnelle biographie aux pages 105-132 ; mais c’est que Patrice Louinet entend mettre en avant cette dimension « guide » plutôt que de donner un « essai » à proprement parler – d’où, peut-être, une vague impression de bric et de broc, finalement guère dommageable. Aussi, une part importante de ce livre consiste-t-elle stricto sensu en un guide de lecture, examinant récit après récit ce que le lecteur, qu’il soit déjà fan ou entreprenne timidement de découvrir cette œuvre étonnamment prolifique pour une période aussi brève, ferait bien de lire en priorité – « Les vingt nouvelles qu’il faut avoir lu (et pourquoi) », pp. 51-102, résumées et commentées en une ou deux pages chacune –, ce qu’il lirait également avec profit au-delà de ces essentiels – « Vingt autres textes qui méritent aussi votre attention », pp. 137-167 –, et quelques mots laconiques sur d’autres nouvelles pour conclure.

 

Ce guide de lecture, très enthousiaste, témoigne d’une éloquente passion pour l’œuvre de Howard, au sens large – bien évidemment, il ne s’agit pas ici de s’arrêter au seul Conan, le barbare qui cacherait la horde : le préjugé à ce sujet, faisant de Conan un personnage « à part » dans la production de l’auteur, et sous-entendant vaguement une qualité « supérieure » dans les récits consacrés au Cimmérien, est combattu d’emblée, et à bon droit. Les autres personnages récurrents sont examinés (tels Kull, Solomon Kane, Bran Mak Morn – qui est peut-être mon préféré, au fond, le volume qui lui avait été consacré m'avait vraiment séduit –, Steve Costigan, etc.), et tout autant bien sûr les nombreux textes « indépendants ». Ces brefs commentaires, toujours pertinents – même si très laudateurs, forcément (ou pas ?) –, remplissent en tout cas parfaitement leur office : ils illustrent tant le travail acharné que la singularité d’un auteur rattaché aux pulps, mais qui n’en avait pas moins quelque chose d’iconoclaste y compris dans ce milieu, et savait se montrer inventif au-delà du jeu des influences – qui l’affectait, mais qu’il savait rapidement dépasser, globalement ; et tout ça donne une sacrée envie de lire et relire… Faut d’ailleurs que je m’y remette, moi, j’ai pris du retard – attendent dans ma bibliothèque Les Ombres de Canaan, Almuric, El Borak et Agnès la Noire… Je vais tâcher d’y remédier dans les semaines qui viennent.

 

Cette passion pour l’œuvre ressort aussi dans une profonde empathie à l’égard de l’auteur envisagé à son tour en tant que personnage – tout en balayant donc les mensonges des époux De Camp, qui en faisaient par exemple un enfant chétif et malheureux, et plus tard, en conséquence directe, un psychotique au dernier degré. Comme pour son comparse Lovecraft (qu’il n’a jamais rencontré malgré une correspondance abondante), on ne peut pas vraiment dire que la (très courte…) vie de Robert E. Howard a quelque chose de foncièrement palpitant, mais elle intrigue néanmoins, au point d’avoir pu devenir un sujet proprement littéraire, ainsi dans un important ouvrage qui lui fut consacré par sa fiancée Novalyne Price. Là encore, les présupposés – dans un sens ou dans l’autre, d’ailleurs – ont longtemps nui à l’appréhension au plus près de la personnalité réelle de Howard ; d’autant que sa vie, probablement plus encore sa mort, ont été à certains égards mises en scène (y compris par son propre père !). Il n’en reste pas moins, au-delà des dérives psychologisantes (à base d’Œdipe et d’asexualité… comme pour Lovecraft, tiens ?) effectivement condamnables dès lors qu’elles procédaient d’une distorsion de la réalité au seul service d’une image à susciter, entretenir et colporter, que l’auteur garde à certains égards une aura de mystère vaguement perturbante – notamment, donc, en ce qui concerne son suicide…

 

Le Guide Howard, au-delà de ces grandes rubriques, comprend encore d’autres éléments, plus discrets mais pas moins intéressants – sans surprise, je relève notamment ces quelques commentaires concernant sa correspondance avec Lovecraft (et plus largement son rapport au gentleman de Providence), dont quelques extraits éloquents sont par ailleurs fournis – balayant notamment, s’il en était encore besoin, le cliché d’un Howard « fasciste » (ce qu’il n’était certainement pas, à l’évidence – on relèvera au passage quelques lignes lucides et tempérées sur son racisme, d’emblée affiché, et à bon droit, comme étant une tout autre question). Enfin, l’ouvrage comprend quelques suggestions de lecture permettant à l’amateur d’aller plus loin – et dresse, comme un contrepoids nécessaire à la noire statue de Lyon Sprague de Camp, un éloge de Glenn Lord, englobant dans un sens tous les lecteurs passionnés qui, à son instar, ont travaillé contre vents et marées pour rétablir l’œuvre howardienne ainsi que l’auteur dans ce qu’ils étaient réellement… Entreprise encore en cours, et dont on espère qu’elle continuera à porter ses fruits.

 

Un très chouette guide, donc. Passionnant autant que passionné, par ailleurs d’un sérieux irréprochable ; utile au néophyte, parlant à l’initié… Le Guide Howard remplit pleinement son ouvrage.

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A
Très belle chronique. D'autant mieux executée je trouve que je me suis moi-même essayé à le chroniquer, ce Guide Howard ; avec moins de bonheur, dois-je avouer.<br /> <br /> A.C.
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N
Allons bon.