Jessica Jones (saison 1)
Marvel’s Jessica Jones, saison 1 (treize épisodes), 2015
Au cas où, SPOILERS probables…
Très agréablement surpris par l’adaptation en série télé (enfin, sur Netflix) de Daredevil, j’étais curieux de tenter d’autres choses dans ce goût-là. Or, parallèlement à la série consacrée à Matt Murdock, Marvel et Netflix ont lancé un ambitieux programme plus ou moins centré sur le quartier de Hell’s Kitchen, et destiné à mettre en scène plusieurs super-héros dans une optique globalement « street level » (me semble que c’est comme ça qu’on dit ?), dans un véritable univers partagé autorisant bien des passerelles, voire de véritables crossovers, d’une série à l’autre ; on a ainsi annoncé une série consacrée à Luke Cage, et, ai-je cru comprendre, une autre à Iron Fist (forcément ?). Mais, en attendant, la deuxième série de cet ensemble a donc été consacrée à Jessica Jones, personnage sans doute bien moins célèbre – et bien plus récent, faut dire.
À vrai dire, je ne connaissais pas le moins du monde ce personnage quand je me suis lancé dans le visionnage de la série qui lui est consacrée – du fait de bons à très bons échos, globalement, outre ma curiosité attisée par la réussite de Daredevil. Tout au plus savais-je qu’elle était apparue dans une série du nom d’Alias – rien à voir avec la série télé du même nom – sous la plume de Brian Michael Bendis (que j’ai surtout apprécié pour ses vieux polars en noir et blanc, Torso, Jinx et Goldfish, qui mériteraient bien d’être réédités de par chez nous – mais ça tombe bien, Jessica Jones jouant clairement dans cette catégorie, au-delà de la thématique super-héroïque pour le coup « déplacée » pour en faire quelque chose d’inattendu et plutôt intéressant) et le crayon de Michael Gaydos. Mais au-delà ? Rien. Ceci étant, il n’est pas dit que ce soit forcément un handicap, cette série télé prenant visiblement quelques distances avec le matériau de base (malgré la présence de Bendis en consultant ? Probablement bien plus que pour Daredevil, en tout cas – ultra-violence mise à part… On notera au passage que celle-ci n’est somme toute guère de mise ici, en dépit de quelques rares exceptions – par contre, il y a bien plus de fesses, même si rien de frontal ; malédiction inhérente aux personnages féminins ?).
Jessica Jones, donc, est une détective privée (ça n’arrive pas forcément tous les jours), nécessairement alcoolique et vulgaire, et dont la vie est passablement merdique (elle est interprétée par Krysten Ritter, que je trouve plus que correcte dans le rôle, en dépit du fait qu’elle souffre elle aussi du syndrome de la bouche toujours ouverte ; mais son physique bien éloigné des inévitables poupées Barbie auxquelles on confie usuellement les rôles titres – même si elle n’est certainement pas dénuée de charme –, ainsi que sa vulgarité plus authentiquement punk que naïvement punkette, collent bien au personnage, ou du moins en créent un de parfaitement convaincant). Il se trouve qu’elle dispose de superpouvoirs (essentiellement une force surhumaine, et une habilité parfois fort utile à faire des sauts improbables), mais c’est une chose qu’elle vit très mal – et, contrairement à tous ses « collègues » ou presque, elle n’a nullement l’intention d’enfiler un costume craignos pour coller des super-tatanes aux super-vilains… Dans la BD, elle avait semble-t-il un passé de justicière costumée, mais je n’ai pas l’impression que ce soit vraiment le cas ici (en dehors, peut-être, de quelques vagues allusions comme quoi elle aurait « essayé », mais non, décidément, non).
Par contre, elle a bel et bien eu maille à partir avec un beau spécimen de super-vilain, mais débarrassé lui aussi de l’attirail costumé : il s’agit du redoutable Kilgrave, inspiré par le personnage Marvel de l’Homme-Pourpre tout en en prenant ses distances sur bien des points, et joliment interprété ici par le fantabuleux David Tennant (je ne vous ferai pas l’affront de citer son rôle crucial du côté des séries télé…), qui s’amuse visiblement comme un petit fou à incarner un gros, gros connard, pour un résultat pleinement convaincant. C’est même probablement le plus gros atout de cette première saison… D’autant que Kilgrave dispose lui aussi d’une faculté anormale, d’un « don », et non des moindres : il peut, de sa voix, prendre le contrôle de qui que ce soit, ordonnant alors à ceux qui ont le malheur de se trouver à portée de commettre les actes les plus atroces (avec une prédilection pour le meurtre et plus encore l'automutilation et le suicide). Chose qu’on ne sait pas forcément au tout début – on ne sait alors qu’une seule chose : Jessica Jones souffre d’un syndrome de stress post-traumatique, qui suscite régulièrement des hallucinations et des cauchemars, et qu’elle ne peut tenter de combattre qu’en récitant vainement la litanie des rues de son enfance… Mais, bien sûr, Kilgrave revient – il n’allait pas se cantonner au rôle de fantasme ! Et sa perversité – dont on verra l’origine, dans des passages plus ou moins convaincants – l’amène bientôt à monter toute une série de plans plus tordus les uns que les autres, afin de « relancer » sa relation intime avec Jessica ; qui devra l’aimer, et/ou souffrir… C'est ainsi un lien tout personnel qui fournit le moteur de la série, chose très appréciable.
Et, du coup, une banale enquête sur une disparition – au cours de laquelle Jessica sauve une jeune fille du nom de Hope Schlottman (Erin Moriarty, vite insupportable…) – vire bientôt au cauchemar le plus névrotique : Kilgrave, une fois de plus, a attrapé Jessica dans ses filets… Et celle-ci est d’autant moins en mesure de l’affronter qu’elle est bouleversée par les horreurs que son « maître » lui a fait commettre jadis.
Il existe d’autres personnages récurrents – mais plus ou moins réussis… Du côté des plus intéressants, je relève, et c’est tout particulièrement appréciable, Luke Cage (Mike Colter, doté d’une solide présence dépassant le seul physique de colosse, et bénéficiant ainsi d’un vrai charisme), qui entretient une relation aussi passionnée que houleuse avec notre détective – je n’ai aucune idée de ce que pourra donner la série basée sur ce personnage, mais ça me donne un a priori plutôt positif. Un rôle plus secondaire m’a également parlé : le personnage de Malcolm Ducasse (Eka Darville), que l’on découvre en junkie mais versant plutôt rigolo, autorisant dans les premiers épisodes des gimmicks clairement axés comédie, puis que l’on voit sombrer de plus en plus dans l’horreur de l’addiction… mais qui s’avèrera en définitive le personnage le plus positif de la série, sans que le contraste verse dans la caricature – à mes yeux tout du moins.
D’autres, hélas, sont plutôt ratés... ou peut-être plus exactement « frustrants », tant on devine en eux un potentiel certain, mais qui ne parvient, pour le moment en tout cas, pas du tout à briller – quand ce n’est pas carrément le contraire… Il en va ainsi de Patricia Walker, autrefois « Patsy », maintenant « Trish », animatrice de talk-show après avoir été une grande star de la télé quand elle était encore gamine – elle est en fait la demi-sœur de Jessica Jones, adoptée après le terrible accident de la route qui a provoqué la mort de ses parents et de son petit-frère… et qui a probablement « révélé » ses étonnants pouvoirs, d’une manière qui reste ambiguë tout au long de la série (à ceci près que les tout derniers développements de cette première saison mettent en place un fil rouge à ce sujet, pour une éventuelle deuxième fournée). Trish est ainsi la meill… la seule amie de Jessica Jones, et a l’ambition parfois envahissante de faire le bien, ou de pousser Jessica à le faire. Il y a incontestablement du potentiel dans ce personnage à part et, finalement, tout aussi improbable qu’une super-héroïne (ce qu’elle a semble-t-il été dans de vieilles BD de la Marvel, mais je n’ai pas creusé le sujet ; on suppose cependant qu’elle pourrait bien vouloir endosser ce rôle…) ; pour le moment, hélas, je ne le trouve guère bien servi… D’autant que – même si cela se justifie sans doute, dans un jeu d’opposition –, elle adopte bel et bien pour sa part une allure ô combien lisse de poupée Barbie, ce qui, si l’on y ajoute une interprétation bien mollassonne de Rachael Taylor, la vide bientôt de tout charisme – quant aux scènes où elle veut jouer à la super-héroïne, qui auraient pu être fortes, ou du moins drôles, elles se contentent la plupart du temps d’être bien prosaïques et bien ternes, et parfois à la limite du ridicule… Le pire rôle de la saison, dans son entourage d’ailleurs, est cependant celui de Will Simpson (Nuke dans l’univers Marvel, interprété ici horriblement par Wil Traval), flic au passé trouble, qui s’avère bien vite parfaitement insupportable – au-delà du seul fait qu’il s’agit à l’évidence d’un gros, gros connard. Au rang des personnages ratés ou du moins frustrants, il faut enfin mentionner Jeri Hogarth (Carrie-Anne Moss, bien loin de Matrix ; le personnage était semble-t-il masculin à l’origine), monstre froid d’avocate talentueuse, qui vire bien trop vite à la caricature, que ce soit dans l’exercice de son métier, ou dans ses relations lesbiennes tumultueuses – avec un divorce forcément éprouvant en cours. Dommage : là encore, il y avait sans doute de quoi faire…
Mais cette frustration a été un sentiment récurrent lors de mon visionnage de cette série. Car, si Jessica Jones abonde en bonnes idées et parfois en scènes très efficaces, jouant sur des twists joliment tordus et authentiquement surprenants mais pour le mieux, elle croule aussi sous les idées… moins bonnes, disons gentiment, voire les scènes odieusement ratées, et les twists vraiment beaucoup trop tordus pour qu’on les gobe, avec en prime des coïncidences qui exigent beaucoup trop de la suspension volontaire d’incrédulité du spectateur, et, inévitablement peut-être, un abus du deus ex machina qui, à l’occasion, fait passablement soupirer… Notamment sur le tard, d’ailleurs – au début, ça va. Mais du coup, si j’ai retenu une chose de Jessica Jones, c’est ainsi son caractère foncièrement inégal – qui a pu me rappeler, dans un tout autre genre et il y a pas mal de temps de cela, mon visionnage de Battlestar Galactica, mais peut-être encore un degré au-delà : on y trouve de même le pire comme le meilleur, et l’on passe sempiternellement de l’un à l’autre, parfois sans la moindre transition… Il y a à l’occasion des scènes tout à fait brillantes, oui : quand Kilgrave débarque au commissariat, par exemple, ça marche très bien, pas de doute à ce sujet (ce sont d’ailleurs assez souvent les utilisations les plus inventives du don de Kilgrave qui débouchent sur les scènes les plus enthousiasmantes) ; mais bien d’autres tournent complètement à vide – comme, presque systématiquement, toutes celles impliquant Simpson, ou, sur le tard, les parents de Kilgrave, qui apparaissent comme par magie – on nous fait un peu trop souvent le coup des « intuitions » de la brillante détective pour que cela convainque véritablement, surtout quand tout cela se montre aussi « simple » en définitive, la vraisemblance n’y survivant pas… Il faut aussi y ajouter du mélo on ne peut plus soap, inévitable sans doute, mais pour le coup souvent très pénible – gâchant, donc, le potentiel de bien des personnages, y compris le rôle-titre…
Par ailleurs, la réalisation est globalement très plan-plan, parfois même foireuse – et tout particulièrement pour ce qui est des scènes d’action. Bon, on ne va pas se leurrer, hein : sous cet angle, Jessica Jones n’a somme toute rien à voir avec Daredevil ; il y a beaucoup moins d’action au sens le plus bourrin, beaucoup moins de scènes de combat notamment – ce qui, en soi, n’est pas forcément un problème, hein : l’à-propos de la série implique sans doute qu’on limite cette dimension, en comparaison. Mais le fait est que ces scènes ne sont pas seulement rares : elles sont aussi à peu près systématiquement ratées… En fait, c’est le cas d’à peu près toutes les séquences où Jessica Jones use de ses superpouvoirs : le gimmick de la détective qui pète des cadenas est vaguement amusant pendant un temps, puis clairement saoulant à force de tourner dans le vide ; mais, surtout, les coups qu’elle porte à ses adversaires, ou les sauts surhumains qu’elle réalise à l’occasion, sont à peu près systématiquement gâchés par des ralentis malencontreux – qui pètent le dynamisme des séquences, mais aussi qui, pire encore, confèrent à la série, bien loin de son supposé réalisme noir – par ailleurs son principal atout, au-delà de la personnalité de Kilgrave –, une invraisemblable kitscherie pour le moins navrante… Pourtant, une des premières scènes d’action de la série – Luke Cage et Jessica Jones baratant des petites frappes dans le bar du premier – était plutôt réussie, en étant à la fois vivante et drôle, finalement… Mais, par la suite, on ne trouve plus rien de la sorte.
Bilan très mitigé, donc. J’ai regardé la série jusqu’au bout, hein, mais en soupirant parfois… Je ne prétendrai tout de même pas le contraire, j’ai parfois vibré à l’occasion de scènes bien vues, à même de m’inciter à poursuivre malgré tout. Regarderai-je une éventuelle deuxième saison ? Très franchement, je n’en sais rien… Une chose m’effraie d’ailleurs tout particulièrement : Kilgrave étant le gros atout de cette première saison, et entretenant une relation aussi intime avec Jessica Jones, j’ai du mal à voir comment une suite potentielle pourrait se dégager de sa mainmise et rester au pire « à la hauteur »…Quant aux autres séries parallèles, peut-être ; j’ai plutôt apprécié, ici, le personnage de Luke Cage, donc – mais en me demandent bien ce qu’une série à sa gloire pourra donner… Et peut-être, à terme, faudra-t-il aussi prendre en compte la dimension « crossover » ? Il n’y a pas grand-chose pour le moment, mais, je ne prétendrai pas le contraire, l’apparition de Claire Temple (Rosario Dawson) dans le dernier épisode m’a plu (on y croise aussi brièvement la proc au masque d’Innsmouth de la deuxième saison de Daredevil, c’est plus anecdotique…) ; dernier épisode qui, par ailleurs, figure dans la sélection des Hugo 2016, ce que je m’explique mal – d’autant que, ces quelques éléments mis à part, je l’ai globalement trouvé tout particulièrement pénible…
Reste donc l’image d’une première saison frustrante – à la limite à vrai dire du gâchis… Du moins à la considérer après coup et dans son ensemble : sur le moment, globalement, ça marche ; mais ça se contente de marcher… Dommage, tant les personnages, les centraux comme ceux de leur périphérie, avaient tout pour me plaire. On verra…
Commenter cet article