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The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos, de S.T. Joshi

Publié le par Nébal

The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos, de S.T. Joshi

JOSHI (S.T.), The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos, second edition, New York, Hippocampus Press, [2008] 2015, 412 p.

 

(Splendide couverture, n’est-ce pas ?)

 

L’éminent exégète lovecraftien S.T. Joshi, on le sait, n’est pas exactement un tendre – mais c’est aussi pour ça qu’on l’aime, hein. Avec ses camarades, mais probablement plus encore du fait de son statut de patron de Lovecraft Studies et de ses très nombreuses publications faisant autorité dans le domaine (dont, s’il ne fallait en citer qu’une, son imposante biographie du Maître, la référence à l’heure actuelle : I am Providence, réédition bien bien augmentée de H.P. Lovecraft : A Life ; avouons, au passage, que Joshi, bien conscient de tout cela, se la pète quelque peu à l’occasion, sans doute…), il a participé d’un ample mouvement critique qui a passablement chamboulé le sujet, en déboulonnant bon nombre de… mythes. Aha.

 

Et, au premier chef, en fait, le prétendu « Mythe de Cthulhu » – même s’il s’en est trouvé quelques-uns pour se montrer encore plus violents à cet égard, David E. Schultz, par exemple (pour une brève synthèse de la question en français, voir Qu’est-ce que le Mythe de Cthulhu ?, paru chez La Clef d’Argent, sous la direction de Joshi, d’ailleurs). Ces divers critiques rechignent à vrai dire souvent à employer l’expression même de « Mythe de Cthulhu », trop connotée – en rappelant sans cesse, au cas où cela serait encore nécessaire, qu’elle n’est pas le fait de Lovecraft lui-même (qui parlait pour sa part de « yog-sothotheries » ou de « cthulhuïsme », ce qui en dit long, ou au mieux, de manière plus neutre sans doute, de « cycle d’Arkham »), mais est une pure création du « disciple » August Derleth, qui s’est longtemps posé en Gardien du Temple, ce qui était à n’en pas douter le meilleur des moyens pour assurer la pérennité de la nouvelle religion – sa religion, cependant, en rien orthodoxe, mais d’emblée hérétique…

 

Je ne vais pas revenir ici sur le détail de la « lutte » des critiques contre ce concept largement frauduleux – mais n’en recouvrant pas moins, qu’on le veuille ou non, une certaine réalité, et c’est bien le souci. Mais cet ouvrage, en tant que tel, témoigne tant de la « révolution critique » à ce sujet… que d’une réévaluation plus tardive, faisant peut-être davantage la part des choses, et évitant désormais de balancer systématiquement le bébé (sans doute un hybride de Profond il est vrai) avec l’eau du bain.

 

The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos est en effet une deuxième édition, d’un livre (pourtant récent) qui s’intitulait autrefois simplement The Rise and Fall of the Cthulhu Mythos (que j’avais d’ailleurs depuis un bon moment dans ma pile de lovecrafteries à lire – mais ce changement notable m’a incité à passer directement à la deuxième édition…). Joshi lui-même y confesse que le titre original n’était sans doute pas très bien choisi : voir, ainsi qu’il le faisait, la « grandeur » seulement du vivant de Lovecraft, et la « décadence » tout de suite ou presque, unilatéralement, était sans doute excessif ; après tout, lui-même, ô combien sceptique voire instinctivement hostile aux productions « mythiques » via Derleth, n’en avait pas moins l’envie de louer certains textes, voire plus globalement certains auteurs (par exemple, Robert Bloch, Fritz Leiber ou, un peu plus tard, Ramsey Campbell)… Et sans doute fallait-il de toute façon prendre acte du fait que la lovecrafterie, que ce soit dans une optique derlethienne ou, a fortiori depuis les bouleversements de la critique dans les années 1970, dans une lignée pouvant être, soit plus « orthodoxe », soit – et c’est finalement ce qui intéresse le plus Joshi, à l’en croire – plus personnelle, était plus que jamais devenue un sous-genre à part entière, suscitant une quantité incroyable de publications, dans un mouvement d’ampleur tendant même probablement à s’accélérer durant ces dernières années. Joshi lui-même n’était certainement pas épargné par cette vague de fond – lui qu’on avait connu globalement si sévère pour les pastiches suscités par l’œuvre originale du gentleman de Providence (qui, de toute façon, en prenait elle-même régulièrement pour son grade dans ses essais…), s’est fait ces dernières années de plus en plus souvent anthologiste de fictions lovecraftiennes, notamment au travers de sa série intitulée Black Wings (comprenant déjà quatre volumes – je n’en ai lu pour l’instant que le troisième, que j’avais trouvé fort sympathique)…

 

Il était donc bien temps de réévaluer tout ça – en partant de la base (Lovecraft lui-même) pour en arriver à l’état présent de l’édition, tout en étant bien conscient que le genre est en constante évolution (ce qui peut constituer une limite de l’ouvrage, d’ailleurs, encore que sa dimension sans doute davantage théorique, en partie du moins, par rapport au Guide du Mythe de Cthulhu de Patrice Allart, pour citer une publication française qui date un peu, lui évite de sombrer trop vite dans une inévitable obsolescence – mais il y a bien un aspect « catalogue » dans tout ça, hein).

 

Ce qui implique toutefois de se livrer à un tri – la masse de textes est telle qu’on ne peut humainement pas en faire une analyse exhaustive, qui serait par ailleurs sans doute absurde. D’où ces quelques précisions : tout d’abord, seule la littérature est ici envisagée (la BD n’y a pas sa place, pas davantage que le cinéma, sans même parler du jeu de rôle, etc.). Ensuite, le présent ouvrage ne traite que de la production anglo-saxonne (ce qui est humain et probablement inévitable, même si parfois fortement regrettable – à titre d’exemple, le Suédois Anders Fager, traduit chez nous avec Les Furies de Borås, aurait clairement sa place parmi les meilleurs auteurs contemporains du genre, mais tant pis…). Enfin, Joshi reste un critique passablement sévère (une histoire de naturel et de galop) et, s’il massacre à l’occasion tel ou tel tâcheron, ou du moins tel ou tel de ses textes, avec le cas échéant un brin de complaisance, il préfère néanmoins garder un silence charitable, globalement, pour nombre de sous-produits ne méritant certes pas qu’on en parle – déjà sombrés dans le néant de toute façon, ou en voie de le faire très rapidement et c’est tant mieux.

 

Ceci étant, même en prenant en considération tout cela, on peut relever quelques « oublis » étonnants, sans savoir d’emblée ce qui est censé les justifier – ainsi de certains auteurs par ailleurs notables, ayant leur propre univers, mais s’étant livré, parfois en passant, parfois plus régulièrement, à l’exercice lovecraftien, même et surtout à leur sauce : Stephen King n’est cité que deux fois (pour sa nouvelle « Jerusalem’s Lot », et pour son roman The Dark Half – Joshi, semble-t-il guère fan du Roi, reconnaît cependant dans les deux cas que c’est « bien fait »…), quand il aurait sans doute pu l’être davantage, mais admettons. J’admets cependant moins facilement que Neil Gaiman ne soit cité qu’une seule et unique fois (pour « Only the End of the World Again »), et de même pour Charles Stross (pour « A Colder War », excellente nouvelle il est vrai, mais on peut s’étonner que son cycle de la « Laverie » ne soit pas mentionné une seule fois…). Quant à China Miéville ou Jeff VanderMeer, par exemple, ils sont tout simplement absents… J’imagine qu’on pourrait évoquer d’autres cas, ceux-ci n’étant que les plus étonnants à mes yeux.

 

Mais passons. Le premier tiers de l’ouvrage en gros est consacré au « Mythe » chez Lovecraft lui-même – du coup assez classiquement qualifié de « Mythe de Lovecraft », pour le distinguer du « Mythe de Cthulhu » postérieur (en relevant cependant, histoire de simplifier les choses, que certains textes chez Lovecraft anticipaient en fait le « Mythe de Cthulhu » – j’aurai l’occasion d’y revenir, notamment pour « The Dunwich Horror » –, mais aussi que certains textes ultérieurs d’autres auteurs, souvent parmi les plus intéressants, pour être instinctivement rangés dans la nébuleuse du « Mythe de Cthulhu », tenaient en fait bien davantage du « Mythe de Lovecraft », eh eh…). L’œuvre du Maître est inspectée sous ce crible, en distinguant trois périodes : les anticipations ou présages de 1917 (« Dagon ») à 1926 (« The Call of Cthulhu »), l’émergence de 1926 à 1931, l’expansion enfin (avec parfois des allures de redéfinition ?) de 1931 à 1936.

 

On peut, à en croire Joshi, relever divers éléments constitutifs permettant de qualifier un texte de « mythique » dans ce sens ; au moins quatre : 1) la topographie d’une Nouvelle-Angleterre imaginaire (Arkham, Kingsport, Dunwich, Innsmouth, le Miskatonic, etc. – notons que ce critère, chez les héritiers, sera parfois directement repris, mais aussi susceptible d’adaptations personnelles, par exemple avec la vallée de la Severn chez Ramsey Campbell ou encore celle de la Sesqua chez Laird Barron) ; 2) un corpus de « livres interdits » imaginaires (en expansion rapide, chaque auteur ou presque s’étant senti tenu d’ajouter à cette bibliographie fantastique sa propre contribution, éventuellement multiple) ; 3) des « dieux » et/ou entités extraterrestres suscitant éventuellement un culte (avec là aussi nombre de rajouts par chacun – c’est sans doute l’aspect le plus « visible » du « Mythe ») ; 4) et enfin, une dimension « cosmique » (on est là en plein dans le domaine philosophique, et c’est souvent là que tout se joue selon Joshi – nombre des disciples de Lovecraft ne partageant pas sa conception du monde, ou du moins ne s’en embarrassant guère dans leurs fictions, quand c’est essentiel chez le Maître ; il ne s’agit pas nécessairement de blâmer ceux qui ont une vision différente, bien sûr, mais bien davantage ceux qui ne se posent même pas la question : à titre d’exemple, Joshi trouve certains textes de Colin Wilson d’autant plus intéressants et intellectuellement stimulants qu’ils adoptent une philosophie parfaitement contraire à celle de Lovecraft, et même… optimiste !). On peut, éventuellement, relever un cinquième élément (non, Luc, ce n’est pas l’Amour, et ta gueule), à savoir le narrateur ou du moins protagoniste « érudit » (mais, chez Lovecraft, on le croise bien au-delà des seuls récits « mythiques »).

 

Il est important cependant de noter la juste place du « Mythe » dans les textes : en effet, chez Lovecraft, le plus souvent sinon toujours, les histoires ne portent pas à proprement parler sur le « Mythe » – ces différents éléments sont avant tout des outils d’ambiance (sauf sans doute la dimension cosmique, et c’est bien là tout le propos), ce qui explique peut-être, à en croire Joshi, un certain malentendu ultérieur quant aux « autorisations » censément données par Lovecraft à ses camarades pour piocher dans ses trouvailles (tandis qu’il piocherait à son tour dans les leurs) afin de participer d’une sorte d’œuvre globale : Lovecraft lui-même n’envisageait tout cela que comme du « background material » ; l’intérêt de l’histoire devait être ailleurs – c’est en fait, là encore, Derleth qui se plantera dans les grandes largeurs, en faisant passer ces divers éléments au premier plan du récit…

 

S.T. Joshi, dans ces trois premiers chapitres, décortique donc l’œuvre lovecraftienne dans l’optique bien particulière du « Mythe » (qui change passablement la donne, et évite de trop sombrer dans la redondance par rapport à ses autres essais critiques – sauf, bien sûr, pour « The Dunwich Horror », sans doute…). Ce qui nous vaut bien des développements intéressants (dès le départ avec « Dagon », d’ailleurs, texte éventuellement médiocre en lui-même, néanmoins d’une importance cruciale et d’une influence déterminante pour la suite des opérations – encore que pas forcément pour les raisons que l’on croit, tant les malentendus sur ce texte sont nombreux), et à l’occasion d’un enthousiasme certain et ô combien communicatif (notamment, bien sûr, pour la pierre de touche, « The Call of Cthulhu » – récit fascinant que je ne cesse de réévaluer à chaque relecture, en le tirant toujours plus vers le haut…).

 

Néanmoins, c’est Joshi ; alors, à l’occasion, il tape… « The Dunwich Horror » est clairement sa bête noire au sein du corpus lovecraftien. Il déteste littéralement ce texte et, à l’en croire, c’est le cas de la majorité des critiques contemporains – avec bien sûr au moins une exception notable, à savoir Robert M. Price, et pour cause : le patron de Crypt of Cthulhu a une approche radicalement différente de celle de Joshi en ce qui concerne le sens et la production de pastiches du « Mythe de Cthulhu », et s’est même attelé à réévaluer positivement l’apport d’August Derleth… En fait, « The Dunwich Horror » est probablement la nouvelle de Lovecraft que préfère Price ! Rien d’étonnant, donc : pour Joshi, c’est avant tout ce récit qui fonde l’émergence d’un « Mythe de Cthulhu » distinct du « Mythe de Lovecraft »… Il pointe de nombreux problèmes, avec une pertinence indéniable – s’attardant notamment sur la morale manichéenne du texte (ici, contrairement aux meilleurs récits de Lovecraft – le plus bel exemple étant « The Colour out of Space » –, on distingue clairement un camp du « bien » et un camp du « mal », alors que Lovecraft lui-même avait souvent répété que notre morale anthropocentrée ne pouvait en rien s’appliquer à des entités extérieures, et que c’était justement ce qui faisait leur intérêt ; l’auteur trahissait donc ici rien de moins que ses propres principes ! L’indifférentisme cosmique, dès lors, ne pouvait que passer à la trappe…), le rôle de la « magie » (y compris chez les entités extérieures ; c’est donc un retour en arrière par rapport à la dimension matérialiste et « scientifique » des meilleurs récits du « Mythe », mais Lovecraft corrigera globalement cette erreur avec des textes essentiels de la troisième période), les « héros » croisés du « bien » mais pas moins (voire d’autant plus) ridicules, pompeux et bouffons (Armitage s’en prend plein la poire…), et une fin « anticlimax » à un point absurde, via les gesticulations ésotériques desdits guignols traquant la bébête sur la colline tandis que les bouseux les guettent à bonne distance, les yeux rivés sur des jumelles, alors même que Lovecraft ne cesse de répéter dans le texte même, notamment via Armitage d’ailleurs, que le véritable danger dans cette histoire était Wilbur Whateley et non son jumeau invisible – or Wilbur est déjà mort à ce moment du récit, qui perd donc sa dimension cosmique pour devenir une banale chasse au monstre on ne peut plus terre à terre… On pourrait continuer comme ça longtemps. Donald R. Burleson (autre éminent critique, même si son déconstructivisme à la Derrida me dépasse allègrement, c’est rien de le dire – aussi me laisse-t-il régulièrement au mieux perplexe…) a même pu avancer que cette nouvelle était une parodie (au-delà du seul gag sur la Passion du Christ à la toute fin)… Mais peut-être, plus raisonnablement, peut-on supposer que Lovecraft, au moins pour cette fois, avait essayé de coller davantage à l’agenda de Weird Tales après plusieurs refus (et non des moindres) ? On peut probablement y trouver un prédécesseur avec « The Horror at Red Hook », que Joshi qualifie de « tout aussi mauvais », mais qui l’est bien davantage à mes yeux… Car, je le confesse, même si j’accorde bien des points aux critiques hostiles, qui m’ont fait réévaluer mon opinion globale de ce récit (et de quelques autres), je continue cependant de bien l’aimer et d’y trouver de très bonnes choses – ne serait-ce que l’ambiance, notamment dans les premières pages, jouant à merveille de la thématique de la dégénérescence chez des ersatz de rednecks en Nouvelle-Angleterre ultra-paumée (Joshi admet qu’il y a là quelque chose d’intéressant, tout en maintenant que c’est moins subtil que dans « The Colour out of Space »… Oui, moins subtil, sans doute ; néanmoins très bien vu et très efficace), mais aussi d’autres choses, jusque dans les dernières pages grand-guignolesques : le frangin invisible qui ravage l’arrière-pays et dont on suit les déplacements sur les lignes partagées du téléphone, j’aime bien, par exemple… Et si l’aspect « magique » de « The Dunwich Horror » constitue bel et bien une trahison de l’orthodoxie lovecraftienne (si tant est qu’on puisse s’exprimer ainsi, ce qui revient en effet absurdement à se montrer plus lovecraftien que Lovecraft… mais bien des critiques me semblent sombrer à l’occasion dans ce travers !), il n’en est pas moins générateur de très bons et très effrayants passages.

 

Mais Joshi est sévère, donc – et au-delà de ce seul cas, d’ailleurs. Il décortique ainsi bien des nouvelles ultérieures, en mettant le doigt sur les faiblesses ou incohérences dont elles sont truffées, mais j’avoue avoir trouvé ça plus ou moins convaincant : je le suis volontiers pour ce qui est de « The Whisperer in Darkness » (nouvelle que j’apprécie par ailleurs, notamment pour sa très belle ambiance une fois de plus, mais qui n’en est pas moins effectivement percluse de « difficultés » pour ne pas dire d’incohérences, c’est indéniable), probablement aussi pour « The Thing on the Doorstep » (texte sympathique mais que je tends à trouver un brin mineur de toute façon), nettement moins pour « The Haunter of the Dark », probablement pas du tout pour « The Dreams in the Witch House »… Il a cependant sans doute raison quand il pointe combien ce sont précisément ces nouvelles « problématiques » qui définiront bon nombre des traits essentiels du futur « Mythe de Cthulhu » (même si, sans doute, il ne faudrait pas sous-évaluer l’influence de textes autrement plus convaincants aux yeux de Joshi comme aux miens, notamment « The Call of Cthulhu » bien sûr, et probablement « The Shadow over Innsmouth » aussi). L’idée, en tout cas, est que ces textes ont constitué une sorte de vulgate propice au pastiche, mais en s’accordant parfois (hélas ? Le jugement de valeur intervient bien ici) la facilité de « revenir en arrière » sur les implications du « Mythe » tel qu’il prenait progressivement forme chez Lovecraft – se pose au passage la question au mieux douteuse d’une éventuelle cohérence globale, probablement illusoire (en témoignent les confusions sur « Old Ones », « Great Old Ones », « Elder Ones », etc.) –, et tel qu’il trouvera son aboutissement dans les récits de science-fiction « démythologisant » en définitive le « Mythe » que sont notamment At the Mountains of Madness et « The Shadow out of Time » (auxquels on peut sans doute adjoindre « The Mound »).

 

Voici pour Lovecraft lui-même – inutile de développer davantage ici. Mais le « Mythe de Cthulhu » dépasse largement sa propre personne, c’est notoire – et c’est une particularité fascinante, débouchant sur une œuvre collective unique en son genre : certes, le « Mythe de Cthulhu » peut souvent faire grincer des dents tant il croule sous les mauvais pastiches d’un creux navrant, intrinsèquement médiocres, et d’une pauvreté esthétique comme d’une indigence intellectuelle ne faisant guère honneur au matériau de base… mais, et au-delà des arguties critiques par essence peut-être plus ou moins fondées, il constitue en tant que tel un phénomène des plus intéressants.

 

Joshi se penche donc ensuite sur le développement du « Mythe » chez les « pairs » de Lovecraft (Frank Belknap Long, sans doute médiocre à bien des égards, néanmoins celui qui a initié le mouvement ; Clark Ashton Smith, qui a toujours su garder sa singularité, et a influencé Lovecraft en retour, et qu’il faut vraiment que je lise, bordel ; Robert E. Howard, là encore plus ou moins dans un jeu d’influences réciproques – même si, aux yeux de Joshi, sa tentative de livrer un authentique pastiche de Lovecraft avec « The Black Stone » ne s’est guère montrée concluante, tant le style adopté était étranger au créateur de Conan ; Donald Wandrei, enfin, un peu en retrait sans doute, mais pas forcément pour de bonnes raisons), puis chez ses « héritiers » (Robert Bloch, sur lequel Joshi s’attarde volontiers et positivement, et qui reviendra par la suite – Les Mystères du Ver ne m’avaient pas emballé plus que ça, pourtant, et Retour à Arkham encore moins, mais Joshi en parle plus tard ; Henry Kuttner, semble-t-il guère convaincant dans le sous-genre – j’ai son Livre de Iod à lire, mais n’en fais décidément pas une priorité ; Fritz Leiber, que Joshi admire clairement et célèbre pour sa personnalité et sa finesse, et qui reviendra lui aussi par la suite ; quelques autres plus anecdotiques enfin, et sans forcément de lien direct avec Lovecraft, à la différence de ceux qui ont été cités jusqu’à présent – ce qui n’a pas empêché ces « inconnus » de puiser dans le « Mythe » en expansion, du vivant même de son créateur). On s’en doute, c’est ici que l’analyse de Joshi commence à emprunter des allures de catalogue – non exempt de subjectivité à l’évidence ; c’est néanmoins tout à fait intéressant, notamment en ce que ça « casse » relativement certains mythes (si j’ose dire, aha) et réévalue des œuvres pas forcément bien appréhendées dans le détail jusqu’alors.

 

Il convient maintenant de se pencher sur August Derleth, bien sûr – qui a comme de juste une position « à part ». Il s’agit dès lors de voir comment le patron d’Arkham House a trituré à sa sauce le « Mythe de Lovecraft » pour engendrer le « Mythe de Cthulhu », et en faire une doxa impossible à ignorer ou presque – pour un temps du moins. Et le tableau qui nous est livré de ce processus m’a un tantinet surpris, dois-je dire…

 

En effet, très vite après la mort de Lovecraft, Derleth commence à célébrer son ami (on ne doutera par ailleurs pas de sa sincérité, hein ! On peut lui reprocher bien des choses, mais son amitié et son estime pour son aîné sont indéniables) via de brefs essais, un peu partout, qui contiennent d’emblée nombre de déformations (mais Derleth en avait-il conscience ?). Dans ces articles, on trouve en effet bien des choses fausses – sur quatre points, notamment : 1) le « Mythe » trouverait ses sources chez des auteurs tels que Edgar Allan Poe, Robert W. Chambers ou encore Ambrose Bierce ; 2) Lovecraft serait lui-même à l’origine de la désignation « Mythe de Cthulhu » ; 3) il aurait donné à quelques auteurs de son cercle, nommément, la « permission » d’écrire des récits du « Mythe de Cthulhu » ; 4) surtout, son « Mythe » serait essentiellement similaire au « mythe chrétien », opposant notamment, et de façon cohérente et réfléchie, des « dieux mauvais » pratiquant la magie noire à l’instar de leurs adeptes, et des « dieux bons » qui auraient exilé ou enfermé les premiers, à la façon de Dieu et ses anges livrant combat contre Satan et ses démons (c’est sans doute le point essentiel, cette interprétation, que l’on ne peut que juger absurde et incompréhensible aujourd’hui, se fondant sur un document sans cesse mentionné par Derleth – mais dont il était bien incapable de produire l’original, et pour cause : c’est ce qu’on appelle la « black magic quote »).

 

Mais, en fait – et c’est surtout cela qui m’a surpris, je n’en avais pas bien conscience –, Derleth a commencé à bâtir le « Mythe de Cthulhu » à sa sauce (avec notamment l’idée de dieux « bons », et par ailleurs, de manière plus ou moins cohérente à défaut d’être pertinente, les attributs élémentaires des Grands Anciens, ce genre de choses…) du vivant même de Lovecraft, via plusieurs pastiches (qu’il n’avait pas manqué de communiquer au Maître) développant d’ores et déjà ces diverses conceptions – tout en étant à la limite du plagiat par d’autres côtés (Farnsworth Wright de Weird Tales lui en avait d’ailleurs fait la remarque, et assez sèchement à vrai dire, pour justifier un refus…). En fait, Lovecraft, à sa manière courtoise et bienveillante, avait lui-même laissé entendre à Derleth (qu’il qualifiait dans une lettre à un autre de ses correspondants de « earth-gazer », signifiant par là son inaptitude à envisager les choses à sa manière « cosmique » ; ce qui ne l’empêchait pas de l’apprécier par ailleurs) que leurs deux conceptions étaient très différentes, sans que cela pose nécessairement problème, même si, à son goût, celle de Derleth péchait sans doute, au moins sur le plan esthétique (j’y reviens) ; et, dans le « cercle Lovecraft », peu après la mort du gentleman de Providence, Clark Ashton Smith, au cours d’un échange épistolaire avec Derleth, a bien montré au jeune homme – désireux de rassembler très vite tout le corpus du « Mythe », et s’en enquérant donc auprès de ceux qui l’avaient pratiqué – en quoi il se trompait du tout au tout dans sa perception du « Mythe » et des intentions sous-jacentes de Lovecraft… Il s’était d’ailleurs montré très étonné, pour ne pas dire sceptique, quand Derleth avait évoqué dans une de ses lettres la « black magic quote »…

 

Attardons-nous un brin sur cette citation : « All my stories… » On a longtemps cru que cette dernière était une pure invention de Derleth, mais c’est semble-t-il plus compliqué que ça ; en fait, elle lui avait été communiquée par Harold S. Farnese, un compositeur qui avait brièvement été en correspondance avec Lovecraft (il avait adapté en musique des sonnets de Fungi from Yuggoth, et avait demandé à Lovecraft s’il ne lui serait pas possible d’écrire une œuvre originale à cet effet – mais l’écrivain avait vite signifié au musicien qu’il ne s’en sentait pas capable, faute de vraies connaissances en la matière) – mais cette « citation » n’apparaît pas dans les deux lettres de Lovecraft à Farnese qui subsistent ; elle pourrait bien sûr figurer dans les quelques autres qui ont été perdues, et on n’a pas manqué d’en faire la remarque dans le camp pro-Derleth, mais c’est peu probable – tout laisse à croire que Farnese a en fait forgé cette citation apocryphe (on a pu constater, dans d’autres lettres, qu’il avait trafiqué d’autres citations, au mieux parce qu’il citait de mémoire)… dans des conditions troubles, et avec des intentions éventuelles difficiles à déterminer. Ce qui vient dédouaner le catholique Derleth d’une certaine responsabilité à cet égard, mais pas totalement non plus : le fait est que la « black magic quote » était pour lui du pain-bénit, puisqu’elle allait dans son sens, conférant une légitimité indispensable à sa propre interprétation – qu’il avait cependant développée du vivant de Lovecraft, et donc avant d’avoir connaissance de cette forgerie. Il l’a dès lors acceptée sans le moindre regard critique, et contre l’évidence – une évidence qu’il était semble-t-il de toute façon incapable de bien saisir, quoi qu’on ait pu lui signifier à cet égard…

 

Joshi, cependant, voit venir la critique de sa critique, et précise donc, à bon droit, que le problème n’est pas qu’August Derleth ait revisité le « Mythe de Lovecraft » à sa façon – pourquoi pas, après tout, et bien d’autres auteurs par la suite ont joué du « Mythe de Cthulhu » en en tordant les préceptes plus ou moins affichés pour livrer des récits qui leur étaient propres (parfois bien meilleurs, d’ailleurs, que ceux qui prétendaient s’en tenir aux concepts originaux)… Ce qui n’est pas excusable, à son sens, c’est qu’il ait attribué, sans la moindre marge de manœuvre et d’une manière incontestablement aveugle au mieux, frauduleuse au pire, ses propres conceptions à Lovecraft lui-même ; ensuite, il en est résulté des histoires autrement faibles sur les plans esthétique et philosophique – ce qui, en tant que tel, ne serait pas forcément si grave que ça… s’il n’en avait pas, là encore, imputé la responsabilité à Lovecraft lui-même, en prétendant par exemple toute sa vie que ses médiocres voire calamiteuses « collaborations posthumes » n’étaient pas de son seul fait, mais bien conçues par Lovecraft – y compris dans leurs éventuelles implications philosophiques, donc, à mille lieues pourtant des véritables préoccupations du Maître (cette paternité supposée a d’ailleurs sans doute joué un rôle dans le développement et/ou la perpétuation d’une « mauvaise image » de Lovecraft auprès de la critique « généraliste », pas très bien renseignée…). Enfin, il paraît difficile d’exonérer Derleth pour ses emprunts tenant peu ou prou du plagiat, que ce soit dans les intrigues (bancales et faites de bric et de broc, un élément emprunté ici, un autre là, etc.) ou même dans le texte à proprement parler (des phrases entières sont directement pompées à la source) ; en résultaient des textes inévitablement mauvais, mais ne se contentant pas de cela, et devenant en fait carrément nuisibles (en parlant de « livres maudits » qui contaminent la réalité…).

 

Certains, cependant, ont bien tenté de prendre la défense d’August Derleth : j’avais évoqué plus haut Robert M. Price – Joshi, tout en relevant que leurs interprétations ne sauraient être plus divergentes, aucun doute à cet égard, se montre globalement « courtois », disons, à l’égard de son collègue critique (relevant bien à l’occasion quelques arguments précis qui paraissent « infondés », et qu’il écarte « poliment »…). Il en va différemment d’un certain John D. Haefele, auteur d’un récent ouvrage intitulé A Look Behind the Derleth Mythos… et que Joshi massacre littéralement, pulvérisant le moindre aspect de l’argumentaire du bonhomme, et éviscérant par ailleurs le bonhomme lui-même, avant de lui arracher la tête, de lui chier dans le cou, et de pisser sur son cadavre fumant (j’en rajoute à peine : ces pages sont d’une violence sidérante…).

 

Il n’y en a pas moins, selon le mot de Joshi, un « interrègne » où la conception derlethienne du « Mythe de Cthulhu » est prépondérante, sinon omniprésente. Ce qui n’a pas empêché la publication de bons textes chez de bons auteurs : à l’évidence, Joshi raffole de Ramsey Campbell, et, même si ce dernier fera ultérieurement bien mieux en affichant davantage sa personnalité (Joshi évoquera certains de ses textes dans chaque chapitre ultérieur ou presque), il y a à l’en croire déjà des choses intéressantes dans ses premières nouvelles, écrites plus ou moins par un adolescent doué, compilées dans The Inhabitant of the Lake (j’ai, il faut que…). Le cas de Colin Wilson est sans doute différent : l’auteur avait commencé à se faire connaître dans le monde lovecraftien sous un jour guère favorable, en se montrant très critique envers l’œuvre du gentleman de Providence (ne pas confondre pour autant Colin Wilson avec un autre critique hargneux, Edmund Wilson), et notamment en ce qui concerne son « cosmicisme indifférentiste » (qu'il percevait donc malgré tout), aux antipodes de son propre optimisme ; chose que Derleth avait prise personnellement, au point d’en parler vertement dans la préface de The Dunwich Horror and others, et de mettre au défi le critique d’écrire un texte lovecraftien… Chiche ! Ce sera The Mind Parasites (que j’ai dans un coin, de même que les titres suivants de Wilson, faudra quand même que je lise ça un jour), qui joue astucieusement du « Mythe », et pousse la blague jusqu’à inclure August Derleth parmi les personnages… lequel lui demandera alors une nouvelle pour Tales of the Cthulhu Mythos (ce sera « The Return of the Lloigor ») ; Wilson reviendra sur le thème, toujours à sa manière, dans The Philosopher’s Stone, et avec moins de réussite et nettement plus par la bande dans The Space Vampires… avant de se perdre dans l’occultisme. Autre hommage inattendu (et longtemps ignoré des « lovecraftiens » !), le Dagon de Fred Chappell a décidément l’air très intéressant (celui-là aussi, je l’ai, faut que je trouve le temps…) ; Joshi cite enfin, dans les Tales of the Cthulhu Mythos, « The Deep Ones » de James Wade (un des rares récits de cette anthologie à m’avoir marqué, sans doute). L’idée étant que tous ces auteurs (même si ça serait peut-être à débattre pour les premiers récits de Ramsey Campbell ?) étaient bien trop singuliers et talentueux pour gober le « Mythe de Cthulhu » façon Derleth…

 

Et on en arrive ainsi à la démolition progressive de l’emprise derlethienne sur les pastiches lovecraftiens, longue entreprise émanant d’une « révolution critique » à laquelle Joshi lui-même avait pris part. Il en place le début dans un très bref article (500 mots ; je devrais méditer cet exemple...) de Richard L. Tierney de 1972, développant donc, lapidairement, l’idée que le prétendu « Mythe de Cthulhu » était une création de Derleth et non de Lovecraft. D’autres critiques s’engouffrent bientôt dans la brèche, et au premier chef Dirk W. Mosig (voir ici, par exemple), bientôt suivi par une ribambelle de « disciples », parmi lesquels on pourra mentionner Donald R. Burleson, Peter Cannon, David E. Schultz, et bien sûr Joshi lui-même, entre autres. Ceux-ci (qui écrivent pour la plupart dans Lovecraft Studies, fanzine dirigé par Joshi – tandis que Crypt of Cthulhu, lancé parallèlement par Robert M. Price, se montre nettement moins hostile à Derleth, et prétend prendre ainsi ses distances avec la « nouvelle orthodoxie » du fanzine d’en face) ont dû s’atteler à la difficile tâche de réduire à néant la « black magic quote », l’endroit le plus sensible de l’édifice derlethien – à même, une fois atteint, de faire s’écrouler l’ensemble…

 

Il était bien temps, sans doute – on subissait alors les atrocités de Brian Lumley, le dernier auteur du « Mythe » à avoir été en rapport direct avec Derleth, et qui avait brodé sur cette base fragile et douteuse des romans et nouvelles pires encore (dont les abjects « Titus Crow »)… Il y avait cependant des choses intéressantes çà et là (même si moins fréquentes et autrement moins visibles) : Karl Edward Wagner s’était montré habile (à son habitude ?), Basil Copper et Walter C. DeBill, Jr., plus inconstants et capables du pire comme du meilleur, tandis que la perception « dunsanienne » de Gary Myers l’éloignait du lot commun. T.E.D. Klein, enfin, est loué pour son « Black Man With a Horn ». Il y avait aussi des auteurs qu’on avait déjà lus auparavant et qui revenaient au genre : Fritz Leiber pour « The Terror of the Depths », son seul « vrai » pastiche ; Robert Bloch pour Strange Eons (Retour à Arkham, chez nous ; Joshi concède que cela n’a rien d’un chef-d’œuvre, mais pour le coup c’est moi, cette fois, qui me montrerais autrement sévère…) ; Ramsey Campbell toujours (avec plus ou moins de réussite par rapport à quelques textes antérieurs témoignant plus pertinemment de sa fusion de l’horreur cosmique lovecraftienne avec ses propres conceptions d’une horreur « interne »). Le boom de l’horreur dans les années 1970 a pu jouer, par ailleurs – par exemple avec Stephen King pour « Jerusalem’s Lot » du côté des réussites (même si Joshi n’est visiblement pas très enthousiaste), mais aussi, hélas, avec Graham Masterton (pour Manitou, qui s’en prend plein la poire – et Joshi confesse ne pas avoir eu le masochisme d’en lire les suites), F. Paul Wilson pour The Keep (moins pire, néanmoins médiocre) ou encore Michael Shea pour The Colour out of Time, remake de « The Colour out of Space » complètement à côté de la plaque (mais Joshi relève que l’auteur s’est amplement racheté de ce péché de jeunesse ultérieurement). Dans un genre à part, enfin, et autrement plus confidentiel, Joshi mentionne Peter Cannon, notamment pour « The Madness out of Space » : l’auteur, critique lovecraftien notoire, a en effet commis nombre de pastiches et parodies bien foutus et souvent drôles (j’en ai lu quelques-uns çà et là, dont Pulptime, et j’ai notamment Scream for Jeeves qui m’attend).

 

Le mouvement a pris de l’ampleur, et les anthologies se sont multipliées, bonnes ou mauvaises (par exemples les « Cycles » compilés par Robert M. Price pour Chaosium, repris chez nous pour certains d’entre eux dans la collection Nocturne d’Oriflam – évidemment, on y distingue l’influence du jeu de rôle L’Appel de Cthulhu) ; le phénomène a touché aussi bien des gros éditeurs que des petits (pas seulement en langue anglaise, d’ailleurs, mais Joshi ne développe donc pas cet aspect). Au-delà des seules anthologies (où l’on peut relever, côté réussites, des noms tels que Brian Stableford, David Langford, Neil Gaiman, Nicholas Royle, Caitlín R. Kiernan, Steve Rasnic Tem, Kim Newman, Reggie Olivier, Adrian Cole, Conrad Williams ou Brian Hodge, outre des habitués comme Ramsey Campbell, ou Fred Chappell que l’on reconnaît enfin dans le milieu lovecraftien – il avait sa réputation au-delà), d’autres auteurs se distinguent de manière plus singulière, comme Thomas Ligotti (loin d’être populaire mais ô combien fascinant dans sa veine très personnelle), Stanley C. Sargent malgré quelques textes passablement faibles, ou encore W.H. Pugmire, plus régulier, qui a pu collaborer avec Jeffrey Thomas, lequel a également lovecraftisé en solo.

 

On en arrive au dernier chapitre de l’essai – celui qui, plus que tout autre, justifie son changement de titre. Joshi s’y montre en effet globalement très positif, très enthousiaste. Côté romans, il y a pourtant eu des déceptions, comme avec Richard L. Tierney (qui, après avoir sonné l’hallali anti-derlethien en 1972, a ici commis un pastiche étonnamment derlethien…), mais Joshi loue Résumé with Monsters de William Browning Spencer (pourtant, ce qu’il en dit ne m’emballe pas plus que ça…), un peu moins Mr. X de Peter Straub (sur une base comparable… mais cette fois, les aperçus m’intéressent davantage, bizarrement !), reconnaît la qualité de The Dark Half de Stephen King, est déçu par Nightmare’s Disciple de Joseph S. Pulver, Sr., loue le Alhazred de Donald Tyson (tout en le trouvant trop « timide » à l’égard du « Mythe de Cthulhu » et en appelant de ses vœux une suite, le roman s’arrêtant au milieu de la vie de l’Arabe dément – n’empêche que j’ai ça dans ma liseuse, faudra que ; je suis d’autant plus curieux que j’ai entendu des sons de cloches très divers concernant ce gros roman, et que l’intérêt pour l’occultisme de l’auteur m’effraie un peu… Cela dit, si Joshi a pu apprécier au-delà de cet obstacle, je devrais pouvoir le faire moi aussi, hein ?), apprécie The Cthulhu Cult de Rick Dakan, et enfin passe très vite (et un peu confusément ?) sur son propre The Assaults of Chaos (en parlant de lui à la troisième personne, c’est également le cas plus tard pour le Joshi anthologiste, alors qu’il n’hésite pas à employer la première personne dans le livre en tant qu’essayiste…). Mais c’est surtout du côté des nouvelles que tout se joue (avec des auteurs qui ont beaucoup écrit dans le sous-genre, parfois aussi des romans d’ailleurs) : Caitlín R. Kiernan, Laird Barron, Jonathan Thomas, Michael Shea (qui, avant son récent décès, s’est donc amplement rattrapé de son très mauvais The Colour out ot Time), Brian Stableford, Jason V. Brock, Donald Tyson, David Hambling, Ann K. Schwader… Autant d’auteurs qu’on retrouve régulièrement dans les anthologies que Joshi décrit par la suite, du moins les meilleures d’entre elles, et notamment bien sûr dans sa propre série des Black Wings ; il fait un peu sa promo en fin de volume, à vrai dire… mais son enthousiasme a l’air sincère.

 

Nous en sommes là. Au fil de cette longue et complexe histoire (plus complexe du moins que ce qu’on pourrait croire vu de loin), le « Mythe de Cthulhu » relooké par l’abandon du paradigme derlethien se porte bien, semble-t-il – quantitativement, ça ne fait aucun doute, mais on peut donc supposer que c’est aussi le cas qualitativement, en définitive… Disons, plus exactement, qu’il est possible de tirer d’excellents récits de la masse informe et protoplasmique des mauvais pastiches – car il y en a bien des mauvais, il y en aura toujours (enfin, à l’échelle insignifiante d’une civilisation humaine s’échinant à laisser une vague trace de sa misérable présence dans un cosmos indifférent, bien sûr), mais il n’y a donc pas que cela. The Rise, Fall, and Rise of the Cthulhu Mythos n’est certainement pas le meilleur essai de S.T. Joshi, qui s’y montre sans doute moins carré qu’ailleurs, et laisse, une fois franchies les indispensables considérations théoriques, sa subjectivité s’exprimer à plein ; on le trouvera donc plus ou moins juste, plus ou moins convaincant… Il n’en déblaye pas moins le champ de la fiction lovecraftienne, surtout contemporaine, avec un relatif enthousiasme, qui fait plutôt plaisir. J’ai relevé des noms… même si je ne sais pas quand je vais bien pouvoir trouver le temps de lire tout ça. Arf.

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M
Et en plus il ose écrire qu'il n'a pas encore lu un seul Clark Ashton Smith. Tout mon estime évaporée sous le coup du choc. Que c'est dur de lire des trucs pareils.<br /> <br /> ;)
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N
Je sais, je sais...<br /> ...<br /> J'ai lu "La Flamme chantante" ? Et quelques lovecrafteries smithiennes çà et là ?<br /> ...<br /> Je sais, je sais...<br /> (J'ai beaucoup de lacunes, c'en est une terrible...)