Le Vent se lève, de Hayao Miyazaki
Titre : Le Vent se lève
Réalisateur : Hayao Miyazaki
Titre original : Kaze tachinu
Année : 2013
Pays : Japon
Durée : 126 min.
Il était bien temps de me remettre à Miyazaki – et peut-être tout particulièrement à cet ultime film qu’il a réalisé, censément le dernier, le génial réalisateur ayant pris sa retraite (mais je me demande s’il ne l’avait pas déjà fait ?). Un film qui, sans doute, se démarque de bon nombre des productions de son célèbre studio Ghibli – encore que pas forcément autant qu’on a bien voulu le dire. Ce qui est certain, c’est que Le Vent se lève a suscité des réponses partagées à sa sortie en salles : d’aucuns y ont vu un superbe film, un « ultime chef-d’œuvre », avançant même parfois qu’il s’agissait peut-être d’un des meilleurs Ghibli ; mais d’autres… ont considéré que cet ultime film avait un contenu polémique, pour quelque raison que ce soit : on a évoqué, en vrac, la question politique, essentielle… mais pour en tirer des conséquences différentes et même radicalement opposées, ce qui est pour le moins éloquent ! Il y en a ainsi eu pour critiquer le film au regard de son supposé contenu nationaliste et belliciste – hein ? sérieux ? –, quand d’autres, au Japon surtout – des nationalistes et bellicistes, donc… –, l’ont vilipendé comme antipatriotique et insultant… Dans un autre registre, on a aussi mentionné le personnage féminin principal – en déplorant que ce soit une femme soumise à son homme et se sacrifiant pour lui ; on a d’ailleurs insisté sur ce que l’homme en question était nécessairement un gros con et un égoïste… Cerise sur le gâteau, on s’est même plaint de ce que plusieurs personnages du film, dont le héros, fument à longueur de temps ! C’EST MAL !
Autant de critiques qui m’interloquaient un brin, voire me dépassaient complètement, a priori. Maintenant que j’ai vu le film – et que je m’en suis régalé, autant le dire de suite : je l’ai trouvé parfaitement superbe et pertinent –, ces allégations aussi diverses soient-elles me dépassent toujours autant… Je reviendrai sur tout cela en temps utile, mais décrivons d’abord un peu le film en lui-même.
On sait la fascination de Hayao Miyazaki pour l’aéronautique, et les machines volantes les plus fantasques – parmi les témoignages les plus éloquents à cet égard, on peut mentionner les très bons Porco Rosso et Le Château dans le ciel, mais c’est là un trait tellement récurrent qu’on peut sans doute affirmer sans trop de risques de se tromper qu’il infuse peu ou prou dans la quasi-totalité de l’œuvre du maître. Pour son ultime film, il a donc décidé d’aborder ce sujet de manière plus frontale, mais aussi plus réaliste (ce pourquoi, là encore, on l’a autant loué que critiqué…) –, en guise de dernier témoignage de cette passion obsédante, sans doute en forme de récapitulation de l’œuvre globale, qu’il s’agisse ensuite d’y voir une justification ou une pondération (sujet complexe, à débattre).
Le héros du film s’appelle Jirō Horikoshi, et c’est à la base un personnage bien réel : un ingénieur aéronautique japonais, connu surtout pour avoir conçu les fameux chasseurs appelés « Zéros », et qui devaient jouer un rôle crucial durant le second conflit mondial… Ce titre, de gloire ou de déshonneur, oriente déjà le propos du film, en appuyant sur l’ambiguïté du personnage – encore que l’expression ne soit peut-être pas tout à fait juste : est-ce bien le personnage qui est ambiguë, ou son œuvre ? Les deux sont-ils nécessairement liés à ce point ? À tout prendre, Jirō, durant l’ensemble du film, est somme toute quelqu’un de plutôt sympathique : rêveur, mais pas au point d’en oublier totalement le monde réel, où, enfant, il se fait justicier pour protéger les plus petits que lui ; ingénieur habile et consciencieux, qui fait preuve d’un enthousiasme de tous les instants pour son travail – au point où ce dernier perd de sa substance en tant que telle pour devenir occupation artistique délibérée et toujours enthousiasmante… Ou peut-être pas ; peut-être sa petite sœur a-t-elle raison, qui, à plusieurs reprises durant le film, sermonne Jirō en raison de son égoïsme… Peut-il vraiment, le naïf ou le faussement naïf, se livrer à son activité de conception d’avions sans être outre-mesure affecté par le fait que son client principal sinon unique sera l’armée japonaise ? Les avions de Jirō, c’est un fait, seront équipés de bombes et de mitrailleuses, et cibleront à n’en pas douter des populations civiles dans les guerres absurdes que le Japon, tenant toujours plus de la dictature militaire ultra-nationaliste, livre déjà en Chine, et bientôt dans le Pacifique…Le travail de Jirō sur ces engins de mort, dès lors, peut-il vraiment être embelli et justifié par ces nombreuses et belles séquences oniriques, où Jirō, le jeune Japonais, croise la route de son modèle, l’ingénieur aéronautique italien Caproni, confronté tout au long de sa vie à la même terrible ambivalence, mais s’en accommodant en définitive au seul motif de créer de « beaux avions », toujours plus improbables ? Le propos politique est bien là – mais il n’a heureusement rien d’unilatéral, et, si Le Vent se lève ne dissimule en rien cette problématique essentielle, qui est bel et bien en son centre, c’est néanmoins en la proposant au regard inquisiteur du public au travers d’allusions globalement discrètes et subtiles. Bon, tous les spectateurs ne sont sans doute pas aussi subtils et discrets – d’où les polémiques, peut-être inévitables, stigmatisant le scandaleux pamphlet nationaliste/militariste et tout autant l’odieux brûlot antipatriotique… Certains personnages de l’entourage de Jirō, pourtant, envoient à cet égard des signes assez forts (mentionnons notamment son collègue plus austère, Honjō, et le mystérieux dissident allemand Castorp, sympathique anti-nazi qui se lie avec Jirō, mais ne lui cache en rien sa conviction de ce que, dans les années à venir, le Japon pâtira de ses alliances malvenues et de son impérialisme belliciste, et en viendra même à « exploser » ; au passage, le personnage de Castorp est emprunté à La Montagne magique de Thomas Mann, inspiration revendiquée encore que de manière assez tordue, mais pas moins jubilatoire), mais il faut croire que cela n’a pas suffi… Je reviendrai là-dessus plus tard.
Il faut tout d’abord envisager une autre question. L’ambiguïté de Jirō, tout sympathique et enthousiasmant car enthousiaste qu’il puisse paraître, est cependant souligné d’une autre manière, dans un cadre plus intime – pas exempt pourtant de conséquences politiques plus larges, à en croire bien du monde… Si l’évocation de la carrière professionnelle de Jirō correspond largement à celle du véritable Jirō Horikoshi, Hayao Miyazaki lui a cependant accolé une autre dimension puisant à d’autres sources : une romance… Bon, je ne suis pas le dernier à pester quand un réalisateur, adaptant ceci ou cela, trafique la chose pour y injecter à tout crin de la romance « tout public », PARCE QU’IL LE FAUT… Sinon, c’est pas un vrai film, hein ? Le cas de Hayao Miyazaki est sans doute bien différent, heureusement – car cette romance participe bien du propos global du film, et avec finesse… encore qu’il s’en soit là aussi trouvé pour la critiquer vertement. C’est la deuxième dimension du film, qui renvoie au roman Le Vent se lève (un vers emprunté à Paul Valéry, se prolongeant par « Il faut tenter de vivre », leitmotiv qui parcourt l’ensemble du métrage en suscitant presque à chaque nouvel emploi un sens entièrement nouveau, c’est très bien joué), écrit par Tatsuo Hori – un livre largement autobiographique, où l’auteur se confie quant à ses liens avec son épouse souffrant de tuberculose.
D’où le personnage de Nahoko (nom tiré dudit roman), rencontré par le plus grand des hasards à bord d’un train, contraint de s’arrêter par le séisme du Kantō ; ici, Jirō l’égoïste se montre des plus serviables, en venant en aide à la jeune fille inconnue et à sa compagne à la cheville fracturée… Bien plus tard, les jeunes gens se croiseront à nouveau – ayant toujours en tête le souvenir de cette romanesque première rencontre –, et il en découlera comme de juste un tendre flirt, émaillé de séquences touchantes et certainement pas innocentes, qui illustrent déjà le cœur partagé de Jirō entre la charmante et souriante jeune femme d’une part, et d’autre part ses avions toujours plus performants et toujours plus beaux. Et on en arrivera à la proposition de mariage – la jeune femme mentionnant cependant à son promis qu’elle souffre de tuberculose, à l’instar de sa mère, et ne l’épousera qu’une fois guérie… On se doute bien sûr qu’il n’en sera rien : la santé de Nahoko décline sans cesse, impliquant bientôt de l’envoyer dans un sanatorium, dont elle fuira pourtant afin d’épouser Jirō malgré la demande initiale – il s’agit de profiter du peu de temps qu’il leur reste… Nahoko, clairement, se sacrifie pour Jirō – et il n’est effectivement pas dit que ce dernier s’en rende bien compte, ou plus exactement soit en mesure d’envisager pleinement la portée de ce sacrifice ; tandis que son épouse affaiblie reste à la maison (d’abord, en fait, celle de son supérieur Kurokawa, où Jirō recherché par la police politique, pour une raison jamais pleinement déterminée, a trouvé refuge ; Kurokawa, petit homme tout sec, un peu bouffon et agaçant d’exigence lors de ses premières apparitions à l’écran, mais qui s’avère au fond avoir le cœur sur la main, et, contre toute attente, une empathie autrement développée que Jirō – il n’hésite d’ailleurs pas, ainsi que sa sœur, à critiquer l’égoïsme du jeune homme, la certitude que son épouse ne survivra pas à la lubie de leur union de dernière minute…), Jirō se consacre en fait toujours à son travail avant toute chose. Sa femme mourante l’aide, mais de par sa seule présence – et semble très bien s’accommoder de cette situation qu’un œil extérieur ne pourrait trouver que douloureuse et sans doute aussi navrante… Jirō laisse faire, et en profite à sa manière : n’a-t-il donc pas de cœur ? Ou bien est-ce là le meilleur hommage qu’il puisse rendre au dévouement choisi de sa femme ? Viendra pourtant le moment pour elle de retourner au sanatorium afin d’y mourir – loin des yeux de Jirō : tout ceci, après tout, visait à ce qu’il n’ait que de beaux souvenirs en tête…
L’ultime prise de conscience de Jirō, quant à l’horreur militaire promise par ses avions, n’en est peut-être pas tout à fait une ; et si le Caproni onirique, dans le cimetière des avions, amène le jeune Japonais à se ressouvenir de tout ce que son épouse affaiblie a fait pour lui, la réaction de l’ingénieur nippon a pourtant de quoi laisser perplexe – ce « Merci, merci ! » larmoyant, emprunt d’émotion sans doute, mais pour quelle raison précisément ? Au fond, on n’en saura rien… ou du moins le film ne nous imposera-t-il pas ici un point de vue – Miyazaki est trop juste pour cela. Le Vent se lève s’achève donc sur une fin ouverte, déconcertante à n’en pas douter – et convoquant une dernière fois dans la carrière du grand réalisateur la faculté de ses spectateurs à tirer leur propre interprétation du film, et peut-être aussi, du fait de ce statut revendiqué d’œuvre ultime, de procéder de même à l’égard de la carrière entière du patron de Ghibli, Le Vent se lève en étant une bien singulière coda…
Le Vent se lève est donc un film qui fait sens, mais avec une remarquable délicatesse – bien loin de tout manichéisme (façon Disney ? La qualification de Miyazaki sous le nom de « Walt Disney japonais » m’a toujours paru au mieux contestable et en tout cas guère pertinente…), ou de tout caractère « unilatéral ». Mais ce sont là à n’en pas douter des qualités ! Enfin, en ce qui me concerne…
Mais l’accueil du film a donc été variable – et parfois pour de très mauvaises raisons. J’avais un vague préjugé à cet égard, et j’ai le sentiment qu’il a été tristement confirmé : il s’en est en effet trouvé beaucoup pour regretter que ce film ne soit pas aussi « familial » que la plupart des Ghibli – qualificatif d’ailleurs un peu biaisé, puisque l’on entend alors par-là davantage « films destinés aux enfants, ou du moins qu’ils peuvent regarder », que « familial » à proprement parler. À l’évidence, ce n’est pas du tout le cas de Le Vent se lève, métrage clairement destiné à un public adulte, même si les toutes premières scènes – portant sur l’enfance de Jirō – peuvent un temps susciter cette illusion, bien vite balayée, toutefois : la scène du tremblement de terre du Kantō de 1923 ne laisse plus aucun doute à cet égard. Nulle violence graphique, ici, toutefois – on a vu bien pire dans des films de Miyazaki censément regardables par des enfants, sinon destinés à eux, comme par exemple l’immense Princesse Mononoké : non, ce qui dissuade de montrer Le Vent se lève à des mioches, c’est un amalgame de divers traits, une lenteur relative touchant parfois aux limites de la contemplation, un propos technique complexe qui dépassera à n’en pas douter les gniards (d’ailleurs, moi-même, à vrai dire…), une ambiguïté tant politique que « sentimentale », où le pays et ses alliances sont questionnés comme le sont dans une autre sphère le couple et le sacrifice intime, qui passera au-dessus de la tête de la très grande majorité des mioches… Ils s’ennuieront. La critique, dès lors, ne porte en rien, puisqu’elle s’applique à un autre film : Le Vent se lève n’est pas un dessin animé pour les enfants ; le critiquer sous cet angle me paraît donc parfaitement absurde… D’autant plus, sans doute, que tout Ghibli n’est pas (l’excellent) Mon voisin Totoro – des films tels que Princesse Mononoké, déjà cité, ou encore Le Voyage de Chihiro (probablement le chef-d’œuvre de Miyazaki en ce qui me concerne), développent régulièrement des propos complexes, et si des enfants pouvaient éventuellement les regarder, ils n’étaient clairement pas le cœur de cible… Mais, à tout prendre, Le Vent se lève s’inscrit bien davantage dans la lignée du phénoménal Le Tombeau des lucioles, de Isaho Takahata (d’après le récit d’Akiyuki Nosaka) ; vous tenez vraiment à le montrer à des enfants, celui-là ? Ou à vous plaindre de ce qu’il ne soit pas « familial » ? J’ose espérer que non… Dès lors, comment peut-on critiquer Le Vent se lève sur cette base ? Ça me paraît totalement incompréhensible…
Une critique essentielle lui est corrélée, qui porte sur l’ambiguïté du film : que penser de Jirō ? Le doux rêveur qui construit des armes de guerre, et s’accommode très bien, faut-il croire, de ce que ses créations sèmeront la mort – tant que les avions sont beaux… Le travailleur enthousiaste, qui néglige sa femme, laquelle reste à demeure, contrainte et forcée, et meurt à petit feu pour lui, pour son travail – sacrifice dont il n’a peut-être même pas pleinement conscience… Le « justicier » qui se pique de donner généreusement des gâteaux aux enfants trainant dans la rue – gâteaux dont ils ne veulent pas, eux qui sont des millions, et privés d’un réconfort et d’une aide sociale pourtant nécessaires, au seul motif que le Japon préfère avant tout s’armer pour les conflits à venir – industrie dans laquelle s’engouffrent les fortunes que Jirō lui-même ne perçoit pas vraiment, tout en en profitant sans se poser davantage de questions…
Oui, tous ces aspects figurent dans le film – et c’est tant mieux ! Mais que reprocher ici à Miyazaki ou à son personnage Jirō ? Que le film soit « ambigu » serait donc une faiblesse ? Miyazaki aurait dû dire, plus encore qu’il ne le fait déjà (malgré tout, et de manière assez explicite) que LA GUERRE, C’EST PAS BIEN ? Il aurait dû insister plus encore qu’il ne le fait déjà sur l’égoïsme et l’aveuglement de Jirō ? Il aurait dû faire de Nahoko une femme plus libre et certainement pas soumise comme elle l’est – et peu importe qu’elle soit un personnage de femme dans le Japon ultra-patriarcal de la première moitié du XXe siècle, et peu importe aussi, là ça devient surréaliste, la dimension volontariste du personnage, qui est toujours celle qui fait les choix en pleine connaissance de cause, s’assumant pleinement et vivant sa vie, pour le peu qu’il en reste, à la façon qu’elle a choisie ?
Je ne comprends rien de tout cela ; ça me dépasse vraiment… J’ai l’impression de spectateurs qui ont mal admis le film parce qu’il avait une part « dérangeante » dans son propos, et ne se montrait pas unilatéral et explicite pour condamner vertement tout ce qu’il y a de « mauvais » dans le par ailleurs « bon » Jirō. Mais, bon sang, pourquoi ? Le film ne gagne-t-il pas à cultiver cette complexité des personnages et de leur contexte historique ? C’est un Miyazaki, que diable – on l’a assez souvent vu exprimer des positions claires sur tous ces sujets (condamnation des horreurs de la guerre, personnages de femmes fortes et libres, etc.), et, en sens inverse, on a par ailleurs appris à l’apprécier justement parce que ses dessins animés (et donc « pour enfants », allons bon) n’avaient le plus souvent rien d’unilatéral ! Avec des personnages complexes, et aux défauts aussi marqués que leur qualités (là encore, Princesse Mononoké est pourtant un exemple particulièrement éloquent de tout cela…), et c’est ce qui en faisait tout l’intérêt !
Là je vais dire une chose très douloureuse : je déteste viscéralement le stupide acronyme de « SJW », pour « Social Justice Warrior » ; il ne fait aucun doute que je suis globalement bien plus proche desdits « SJW » que des couillons bornés et réac qui pensent les insulter en les qualifiant ainsi ; mais, parfois, très exceptionnellement mais cela arrive quand même à l’occasion, il y a de ces comportements qui me dépassent et m’énervent – surtout en matière d’art, avec cette revendication (que je trouve pour le coup fascisante, joli paradoxe – ou pas…) de clarté, de pureté, d’ « insoupçonnabilité » du propos d’une œuvre quelle qu’elle soit ; Il FAUT dire que LA GUERRE C’EST PAS BIEN (ce que dit Miyazaki, d’ailleurs, mais pas assez fort, faut-il croire), etc. Ce qui revient sans doute, en ce qui me concerne, à prendre un peu les spectateurs pour des cons, incapables de se faire leur propre idée, voire susceptibles – les cons ! – d’être influencés par l’ambiguïté du métrage au point de développer des conceptions fondamentalement néfastes. Quant à moi, si je me traite volontiers de con moi-même, et admets volontiers qu’on me traite de con, je déteste par contre être pris pour un con, par essence incapable de trier le bon grain de l’ivraie, et qui bénéficierait bien d’une rééducation déterminant sans ambiguïté aucune le BIEN et le MAL. Ce qui m’évoque parfois un certain « 2 + 2 = 5 »… Mais pour ma part, je prise bien autrement l’ambiguïté, justement – qui est tout autant complexité et donc humanité –, et je ne peux tout simplement pas m’intégrer dans un monde où tout serait, ou devrait être, blanc ou noir, quand je préfère pour ma part me débattre dans le gris… Il est bien temps de relire la préface d’Oscar Wilde au Portrait de Dorian Gray, tiens – ça fait toujours du BIEN. Pardon : du bien…
Mais je m’éloigne du film… Revenons-y pour louer sa technique, forcément. Le dessin animé, comme d’habitude chez Miyazaki, est d’une grande beauté autant que d’une grande fluidité. La richesse thématique du film résonne avec sa maestria visuelle pour susciter des scènes remarquables, pouvant renvoyer à toute une palette d’émotions contrastées : que préférer, des rêves fantasques de Jirō et de Caproni, où les avions les plus improbables génèrent l’émerveillement, ou bien du « monstre » personnifiant le grand tremblement de terre du Kantō ? De l’application cabalistique de Jirō créant le monde sur sa planche à dessin, ou de la grâce irréelle et anachronique de son mariage avec Nahoko ? Dans l’intime comme dans le spectaculaire, Le Vent se lève se montre toujours aussi juste – dessin animé « old school » à bien des égards, il incarne ainsi que bon nombre d’autres Ghibli, le sommet de cet art quelque peu délaissé peut-être aujourd’hui, mais sans rien de réactionnaire pour autant : il s’agit « simplement » de l’expression d’une vision du monde, engagée dans un cercle vertueux, la vision et sa concrétisation se renforçant sans cesse. Préférer quoi que ce soit, alors ? C’est sans doute un peu vain – mais j’ai envie de mentionner, cependant, les séquences nocturnes, imprégnées d’irréalité, que celle-ci soit réconfortante ou cauchemardesque…
La conclusion, à mes yeux, ne saurait donc faire de doute : Le Vent se lève, ultime Miyazaki (jusqu’à nouvel ordre ?), est une vraie merveille, un film superbe visuellement autant que pertinent dans ses problématiques, dimensions qui se confortent et entretiennent, pour le plus grand bonheur du spectateur transi d’admiration – ou en tout cas du Nébal transi d’admiration. Car les défauts que l’on a parfois voulu y pointer sont à mes yeux des qualités supplémentaires, le plus souvent…
Superbe.
A-do-ré.
Voilà.
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