Midnight Meat Train, de Ryūhei Kitamura
Titre : Midnight Meat Train
Réalisateur : Kitamura Ryūhei
Titre original : The Midnight Meat Train
Année : 2008
Pays : États-Unis
Durée : 98 min.
Acteurs principaux : Bradley Cooper, Leslie Bibb, Vinnie Jones, Brooke Shields…
Entorse à mon programme cinéphile nippon – car, de nippon, ici, il n’y a que le réalisateur, Kitamura Ryūhei, qui y tente son exportation à Hollywood. Le peu que je connais de sa carrière au Japon m’avait cependant plutôt séduit – ou du moins était-ce le cas du stupidissime Versus, dont l’hystérie jubilatoire avait quelque chose de chouettement rafraichissant à la manière d’un bon vieux Evil Dead, ainsi que du très drôle moyen-métrage Heat After Dark, bénéficiant d’une ambiance aussi jolie qu’improbable ; mes deux autres tentatives auprès du réalisateur s’étaient certes avérées moins convaincantes : Aragami bénéficiait de plus que sympathiques scènes de baston passablement vidéoludiques (dans la lignée de Versus, du coup), mais le vide absolu derrière tout ça était pour le coup un peu trop voyant ; quant au rigolo Godzilla Final Wars, il s’éternisait quand même un peu trop, hein… Mais le style très tape-à-l’œil du réalisateur, tout dans l’esbroufe clipesque (ou vidéoludique, donc), passant par des expérimentations improbables et un goût des angles de vue incongrus, me paraissant étrangement enthousiasmant – là où, chez d’autres, ces caractéristiques tendent à me filer très vite des boutons… Une certaine sincérité, peut-être ? Une alchimie hystérique qui, à force de tripoter le mauvais goût, et de l’assembler et réassembler perpétuellement, touche paradoxalement au bon ? Je ne suis pas bien certain, au fond, de ce que je pense de toute cela – demeure, en dépit des déceptions, un a priori étonnamment favorable : au moins, je veux bien tenter de voir ce que cela donne…
C’était sans doute tout particulièrement vrai pour ce Midnight Meat Train, qui ne se contente pas d’être le premier film hollywoodien de l’auteur : c’est aussi (et surtout ?) une adaptation du grand (quand il le veut bien) Clive Barker – en l’espèce d’une nouvelle originaire des « Livres de sang » (et figurant plus précisément, en français, dans le premier tome de la série, justement titré Livre de sang). Et, disons-le, une nouvelle qui, aussi chouette soit-elle, demande sans doute un certain travail d’adaptation, car l’étirer au format d’un long-métrage de durée conventionnelle n’a rien d’évident… Travail qui a donc été effectué ici, avec plus ou moins de réussite.
Il est vrai aussi qu’adapter Clive Barker à l’écran n’a jamais été une mince affaire – que ce soit directement par lui (il est par ailleurs producteur du présent Midnight Meat Train) ou par d’autres… Les livres de Barker se singularisent souvent par leur outrance, leurs excès systématiques – une débauche de sexe et de sang versant le cas échéant dans le gore, sinon dans la pornographie (encore qu’au sens large…), mais un gore bien particulier, baroque d’une certaine manière, ou peut-être remontant encore au-delà, jusqu’à un Jérôme Bosch disons, le traditionnel Grand-Guignol source presque inévitable du gore cinématographique contemporain n’étant plus dès lors qu’une étape dans une histoire peut-être plus longue et complexe qu’on ne se l’avoue d’habitude. Et rendre à l’écran cette dimension est toujours délicat. Un problème qui, à vrai dire, touche le gore en général : il n’est pas donné à tous de parvenir à faire dans le gore « sérieux » (à la Romero en forme, disons), le gore sous-tendu par une intention d’ordre philosophique, tant la volonté de choquer le bourgeois, finalement plutôt pour en rire, est difficile à réfréner – ce qui n’est pas forcément plus mal : aux sources généralement reconnues du genre, le Blood Feast de Hershell Gordon Lewis est bien un sinistre navet, après tout, là où le rigolard 2000 Maniacs est autrement plus sympathique… Mais, qu’il s’agisse de gore « sérieux » ou de gore « rigolard », la pente fatale qui transforme le sublime en ridicule, le grotesque au sens positif en grotesque au sens méprisant, est souvent difficile à éviter – en témoignent bien des exemples dans le cinéma d’exploitation italien, notamment, où, pour un Fulci, ou éventuellement un Deodato (quand ils sont en forme, là encore…), nous avons quantité de Lenzi ou de Mattei… Chez Barker lui-même, la dégringolade des Hellraiser est probablement éloquente à cet égard. Et sans doute sa prose s’accommode-t-elle bien mal du gore « rigolard », qui est tout particulièrement dangereux dans son cas…
La nouvelle originelle, aux sources de Midnight Meat Train, n’a sans doute pas grand-chose de rigolard. Par ailleurs, elle est assez courte, consistant peu ou prou, si ma mémoire ne me fait pas totalement défaut (rien de garanti…), en l’enchaînement de deux scènes – un massacre « en rien fantastique » dans le métro, puis une « explication » qui ramène le surnaturel dans la partie, avec une certaine dose de « conspirationnisme » (par ailleurs non dénué d’aspects lovecraftiens, trouvé-je). Impossible de faire un film sur cette base : si le matériau est au fond assez riche, il est concrètement limité par le médium de la nouvelle.
Le film doit donc poser un cadre – et, s’il enchaîne bientôt les séquences où un étrange et taciturne serial-killer, toujours très élégant, mais bientôt identifié comme étant un boucher travaillant dans un abattoir, massacre à tour de bras, de son maillet, des passagers malencontreux du dernier métro, il prend pourtant soin de construire un personnage de « héros » et de l’inscrire dans son quotidien. Ce personnage, c’est Leon Kauffman (incarné par Bradley Cooper, bof, bof), un photographe qui aimerait « saisir » la ville (le film a été tourné à Los Angeles) ; ses prétentions artistiques se heurtent cependant à la banalité de son travail – à en croire en tout cas Susan Hoff (Brooke Shields), vendeuse d’art qui l’incite à « rester », pour capturer, non pas l’anecdotique, mais le réellement puissant. Prenons cette photo prise dans le métro, qu’il lui soumet, avec cet homme d’affaires propre sur lui qui recule devant le clochard endormi assis non loin, et qui, dodelinant de sommeil, se rapproche sans cesse du pingouin… La photo de Leon, en l’état, est (pardon) un cliché ; s’il veut vraiment « saisir » la ville, en tirer quelque chose de véritablement artistique, il doit « rester » : la photo sera bonne, ou du moins méritera d’être prise, quand le clochard s’effondrera bel et bien sur le cadre. Pas avant.
Et je trouve qu’il y a là quelque chose d’assez intéressant – quelque chose qui renvoie en fait à mon adaptation de Barker préférée, Candyman (par Bernard Rose ; encore une nouvelles des « Livres de sang », au passage – « Lieux interdits », dans Prison de chair), où l’histoire d’horreur, pour être essentielle, se mêle de choses plus complexes, dessinant un sens supplémentaire, laissant entrevoir une profondeur insoupçonnée : le jeu de Candyman sur les « légendes urbaines », la prolifération, sous la forme de rumeurs, de mythes éventuellement anciens mais toujours remis au goût du jour dans les populations les plus pauvres des cités les plus sordides, suscitant une jolie résonnance avec les ambitions froidement théoriques et sans doute pas qu’un peu condescendantes de la sociologue enquêtant sur le Candyman. Qu’on ne s’y méprenne pas : je n’ai rien contre les bisseries voire zèderies centrées sur la seule horreur, dans l’optique honnie et scandaleuse du « divertissement », je m’en suis coltiné pas mal, et avec un plaisir constant. Mais je n’ai rien, vraiment rien, contre ce petit « plus » qu’une attention supplémentaire au propos peut éventuellement construire, ce petit « plus » qui transcendera l’horreur pour lui conférer un sens plus ample ou du moins plus ambitieux.
L’espace d’un instant, j’ai voulu croire que Midnight Meat Train jouerait un peu de ce registre – mais, ne nous leurrons pas, globalement, c’était une erreur… Pas dramatique, hein – juste un poil décevante au regard de mes attentes plus ou moins conscientes : disons du moins que les scènes où Leon, plus que jamais voyeur, mitraille l’agression d’une jeune femme dans le métro, sur le fait, puis se met à jouer au « stalker », auraient sans doute autorisé des développements intéressants, voie que Kitamura ou son scénariste n’ont finalement pas choisi d’emprunter. Bon, tant pis…
Leon, quoi qu’il en soit, est bientôt amené à jouer à l’enquêteur, et non plus simplement à l’artiste vaguement bohème errant dans la nuit en quête de clichés faisant sens. Il tombe par hasard sur le boucher, suspecte son rôle dans la disparition de la jeune femme dont il avait photographié l’agression par des racailles autrement banales, et se met à le suivre… Et cela devient une obsession plus forte que tout le reste – quête de sens, peut-être, malgré tout ? À voir ; car cette entreprise adopte bien vite (et sans doute bien trop vite) des atours de folie pure et simple. Ici, le film pèche et pas qu’un peu dans la caractérisation des personnages – le cabotinage effréné de Bradley Cooper plongeant du jour au lendemain dans son enquête, et tout particulièrement en envisageant la série de disparitions comme remontant carrément à la fin du XIXe siècle, mais sans que cela paraisse l’étonner plus que cela, rend une scène essentielle, qui aurait dû être forte, finalement plus ridicule qu’autre chose, ou peut-être même pas – simplement terne avant tout. Il faut dire qu’il n’est pas aidé par Leslie Bibb, dans le rôle de sa compagne Maya Jones, serveuse dans un bouiboui, dont l’interprétation est au mieux médiocre… Le pire étant pourtant que son personnage aussi pèche sur le plan de la motivation : elle qui est supposée redouter l’évolution de l’état mental de son compagnon, et par ailleurs faire un blocage – bien compréhensible – sur les investigations délirantes de Leon… se met pourtant à enquêter sur le boucher à son tour ! Et nous savons bien sûr comment tout cela va se terminer…
Enfin… Pas tout à fait. C’est sans doute là que la nouvelle se montre forte – en dévoilant brièvement, tout à la fin, une dimension supplémentaire du récit, et qui a bien des égards le fonde, sans consister pour autant en une « explication » exhaustive, balayant le propos de A à Z. L’horreur du serial-killer taciturne, façon slasher, adopte alors un tout autre sens, en ramenant enfin le surnaturel dans la partie – et, par ailleurs, en injectant dans le récit une dose bienvenue de « conspirationnisme » (que je trouve donc un brin lovecraftienne, mais c’est à débattre). Ici, contrairement à ce que j’avais noté jusqu’alors, je trouve que le film se montre bien plus habile, en distillant çà et là des indices quant à la réalité profonde de l’horreur : dans un premier temps, cela ne vaut que dans le cadre spécifique du métro, et n’engage donc pas forcément à grand-chose – on sait cependant que le métro bifurque quand le boucher frappe, et l’on voit même le chauffeur lui venir en aide et lui parler (le boucher est pour sa part des plus taciturne – il ne prononcera, bien évidemment à la toute fin, qu’un seul mot ; et là, pour le coup, ça n’est pas seulement cliché, c’est maladroit…) ; plus tard, l’implication probable de la police dans l’affaire est bien autrement inquiétante… conduisant à la « révélation » ultime, qui se montre d’autant plus pertinente qu’elle ne révèle au fond pas grand-chose – ou du moins ne sombre pas dans la pénible facilité des « paragraphes d’exposition » ou de leur transposition scénaristique : n’est dit que ce qui doit l’être. Et peu importe à ce stade que l’épilogue soit convenu – en fait, le fatalisme qu’il induit est parfaitement approprié.
L’intérêt du film – ou ce qui est supposé faire son intérêt – est sans doute ailleurs, cependant : dans la réalisation et la mise en scène, notamment des scènes de meurtre dans le métro. Ici, Kitamura Ryūhei se montre égal à lui-même : clipesque et m’as-tu-vu, avec pourtant quelque chose de frais voire de jouissif qui sauve la partie et plus encore, il privilégie les angles inattendus, les enchaînements improbables, les plans impossibles. Cela marche le plus souvent bien voire très bien… mais c’est une approche dangereuse, et le réalisateur se foire parfois dans les grandes largeurs.
Le numérique a sa part de responsabilité dans l’affaire : quand il est employé pour frapper de plein fouet le spectateur avec la dynamique du métro, cela fonctionne globalement très bien ; mais le résultat est tout autre quand il entend participer au « gore »… En fait, dans ces conditions précises, il sombre bien vite dans le ridicule achevé – d’autant que c’est souvent en injectant une dimension « rigolarde » dans le gore ou quasi-gore (à débattre : Midnight Meat Train est bien un film d’horreur, et ne lésine pas sur la barbaque, comme de juste ; de là à dire qu’il est gore, c’est peut-être aller un peu vite en besogne, même si j’aurais tendance à employer ce qualificatif pour ma part) autrement sérieux du film. Je n’en ai pas cru mes yeux (si j’ose dire) quand j’ai vu ces hideux globes oculaires en CGI giclant dans un « bloup » ridicule suite à un violent coup de marteau à l’arrière du crâne… Défaut commun du numérique mal employé fut un temps (j’ai l’impression toutefois qu’il y a eu de sacrés progrès en l’espèce – mais pas ici, de toute évidence) : on n’y croit pas deux secondes, ça manque beaucoup trop de matérialité et de chair… Et donc aussi d’à-propos : une idée à la con dans ce genre m’aurait faire rire aux éclats et applaudir des deux mains (parce que d’une seule c’est difficile) dans une réjouissante couillonnade à la Versus – mais Midnight Meat Train n’est pas Versus. C’est aussi la raison pour laquelle un certain nombre de plans « expérimentaux » m’ont paru totalement à côté de la plaque – ainsi de ce reflet parfait de la scène en cours, vue dans une flaque de sang d’une limpidité plus qu’improbable… Le jeu de Kitamura sur les miroirs, etc., est globalement bien vu – il sait par ailleurs construire des plans astucieux à la manière des maîtres de l’horreur (et peut-être tout particulièrement de la « J-Horror », qui s’invite ainsi discrètement dans le film ?), prenant toujours soin de laisser entrevoir à l’arrière-plan, si ce n’est la menace elle-même, du moins – ce qui est autrement efficace – sa possibilité… Simplement, ça ne marche pas à tous les coups ; loin de là.
Midnight Meat Train n’étant donc pas Versus (ou peut-être davantage Aragami, à ce compte-là), d’autres procédés rendent tout aussi mal que ces fâcheux effets numériques : Leon qui s’arme de matériel de boucher, avec tablier façon armure, fourreaux multiples pour ses nombreuses lames, etc., avant d’aller affronter sa Némésis dans le métro, c’est parfaitement ridicule – comme une parodie de Rambo, d’autant plus inacceptable qu’il y a eu Hot Shots 2 depuis : on ne peut pas prendre une scène du genre au sérieux…
Il est heureusement d’autres choses qui fonctionnent bien mieux. Et, si le gore numérique manque bien trop de chair pour convaincre, le gore plus « traditionnel », globalement, passe bien. Si le film ne se prive certes pas de gratuités en l’espèce, lorgnant peut-être dès lors sur le gore « rigolard » (je pense tout particulièrement à la séquence de dentisterie, suivie par un toujours agréable arrachage d’ongles ; la séquence « à la Terminator » où le boucher se livre à une opération dermatologique sur son propre torse est sans doute un peu moins pertinente), c’est globalement à bon droit. En résulte en tout cas une sensation peut-être similaire à celle du gore façon Romero – exprimer une matérialité ultime et dégagée de toute morale, où l’homme est réduit à sa condition de viande ; évidemment, là est le propos du film, comme de la nouvelle à l’origine… Ces plans d’abattoirs – qu’il s’agisse du véritable abattoir ou du wagon de métro employé à cet effet – sont bien vus. Que le « héros » soit un végétarien contrarié, par contre… Boarf. Je ne sais pas.
Alors que penser, globalement, de Midnight Meat Train ? Je n’en suis pas bien certain… Disons qu’il s’agit probablement d’une bisserie plus qu’honnête, où le bon, car il y en a, rattrape globalement le mauvais. Le film aurait pu se montrer un peu plus ambitieux, un peu plus constant, mais il fonctionne dans l’ensemble. Sur le plan formel, on compte bien quelques effets numériques foireux, une direction d’acteurs assez terne, une bande originale ratée, mais la virtuosité clipesque de Kitamura se montre souvent bien plus inspirée. Quant au fond… Non, Midnight Meat Train n’est pas Candyman – mais au fond, on ne le lui demandait pas. Il parvient dans l’ensemble assez bien à rendre la nouvelle originelle, et c’est déjà ça ; il parvient même, parfois, à exprimer pourtant une certaine singularité au-delà, ce qui est toujours appréciable. Le film ne fera certainement pas date dans l’histoire du cinéma d’horreur, mais s’accommode bien de bière et de pop-corn. Quant à Clive Barker, il a été bien autrement maltraité dans d’autres adaptations – y compris par lui-même ? Alors « chompf, chompf », et contentons-nous de ça…
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