Traité des Cinq Roues, de Miyamoto Musashi
MIYAMOTO Musashi, Traité des Cinq Roues, [Gorin no sho 五輪書], introduction, traduction intégrale [du japonais] et épilogue par Maryse et Masumi Shibata, Paris, G.-P. Maisonneuve et Larose – Albin Michel, coll. Spiritualités vivantes, [c. 1645, 1977] 1983, 188 p.
Miyamoto Musashi est une légende – ou pas ; entendons par-là qu’il s’agit bel et bien d’un personnage historique, mais dont la vie a tellement fasciné qu’elle a suscité bien des mythes, au sein desquels il n’est pas toujours aisé de trier le vrai du faux ; c’est au point où il est devenu lui-même un personnage de fiction, suscitant quantité de livres (par exemple le Musashi de Yoshikawa Eiji, en deux tomes chez nous, La Pierre et le Sabre et La Parfaite Lumière, faudra que je lise ça un jour ; mais dans un autre registre, on peut noter qu’il figure dans La Voie du Sabre de Thomas Day, par exemple), de films (dont la série d’Uchida Tomu – faudra que je voie ça –, mais il y en a bien d’autres), et la liste pourrait être prolongée indéfiniment. Il faut dire qu’il a peut-être lui-même contribué à sa légende – je suppose que pour un personnage pareil l’humilité n’est pas davantage envisageable que la vantardise. Quoi qu’il en soit, il est le plus grand sabreur de son temps (en gros le début de l’époque d’Edo, ou juste avant – il est né en 1584 et mort en 1645), et on dit de lui qu’il n’a jamais été vaincu en duel (on lui attribue 60 affrontements du genre, qu’il a donc tous remportés – certains ont été abondamment commentés, constituant sa légende ; l’introduction du présent ouvrage revient volontiers sur ces récits « biographiques », et c’est tout à fait enthousiasmant). Ce qui est assurément suffisant pour en faire une figure à part…
Mais il y a plus. Car la Voie de la Tactique qui fait l’objet du présent ouvrage implique, d’une certaine manière, une curiosité globale et une incitation à connaître bien des arts, et à s’y exprimer dans une égale mesure. Miyamoto Musashi n’était donc pas qu’un immense sabreur – et qu’il compare dans le présent ouvrage le samouraï au charpentier n’a rien d’un hasard. Il s’est donc exercé dans plusieurs domaines, notamment artistiques – la peinture, la calligraphie, l’écriture enfin, surtout avec cet essai fondamental rédigé dans ses vieux jours, alors qu’il s’était retiré dans une caverne afin de méditer sur le monde : le Traité des Cinq Roues (Gorin no sho – c’est une traduction possible, on trouve aussi Livre des cinq anneaux, ce qui devrait tout particulièrement parler aux rôlistes).
À s’en tenir à une vision simpliste, forcément réductrice, le Traité des Cinq Roues est un essai sur l’escrime, et une méthode de l’escrimeur. En fait, cela va très vite bien plus loin : Miyamoto dénonce ceux qui prétendent suivre la Voie en se focalisant sur la seule escrime – ce n’est pas la Voie. Car il s’agit de la Voie de la Tactique, et cela va bien au-delà du seul maniement du sabre, des gardes et des gestes destinés à pourfendre. La Voie de la Tactique est plus englobante – et notamment, si elle enseigne comment un sabreur peut triompher dans un duel, elle vaut tout autant pour la « tactique de masse », c’est-à-dire les batailles : ici, Miyamoto Musashi inscrit son Traité des Cinq Roues dans la filiation, disons, de L’Art de la guerre de Sun Tzu. Mais cela va encore au-delà – car la Voie de la Tactique est riche d’enseignements pour quiconque, et dans un cadre quotidien. D’où la portée inattendue de l’ouvrage – qui, bien loin de ne rester qu’un manuel d’escrime passablement pointu et à même de séduire les seuls samouraïs, dans leurs seules activités martiales ou éventuellement militaires, s’est hissé au statut d’ouvrage fondateur, mêlant philosophie et « spiritualité » (d’où la collection…), peut-être un des plus essentiels à la compréhension de la mentalité japonaise : les traducteurs l’inscrivent dans une filiation directe avec le Kojiki, moment shintoïste, et les Dialogues dans le Rêve, moment bouddhiste (zen), le Traité des Cinq Roues étant alors le moment du bushido (je dois avouer toutefois ne pas être plus convaincu que ça par ces développements hermétiques et tenant régulièrement de la paraphrase… ou de l’incantation) ; par ailleurs, l’anecdote est connue, le Traité des Cinq Roues a connu au XXe siècle des applications inattendues dans le monde économique, les finances et la gestion – des écoles dans ces matières, au Japon, inscrivaient l’étude du traité de Miyamoto Musashi dans leurs programmes, et, de l’autre côté du Pacifique, on disait aux traders et compagnie affolés par la concurrence nippone que c’était là l’ouvrage à lire pour comprendre comment pensait l’Ennemi…
Si ces applications ultimes sont parfois étonnantes, il n’en demeure pas moins que le Traité des Cinq Roues est effectivement englobant dans son propos, et susceptible de bien des lectures dans bien des domaines. Il est une méthode – et une méthode critique, rationaliste d’ailleurs (ce qui le distingue par exemple du Hagakure) –, résultant de l’expérience et de l’étude, deux aspects de la Voie de la Tactique auxquels l’auteur revient sans cesse ; les très brefs « chapitres » des cinq « livres » le répètent systématiquement, exhortant le lecteur à réfléchir, à méditer sur ce qu’il vient de lire (cela participe énormément du caractère incantatoire du manuel) – mais en lui rappelant toujours qu’il faut avant tout pratiquer.
Les « cinq roues », ou « cercles », ou « anneaux », sont issus de la tradition extrême-orientale, sensible notamment dans les cimetières japonais imprégnés de symbolique shintoïste. Entendus au sens le plus strict, ils représentent les cinq éléments (successivement, Terre, Eau, Feu, Vent et Vide), et je suppose qu’ils peuvent tout autant renvoyer au cinq directions, etc. Cette symbolique – riche par essence d’un contenu latent qui ne demande qu’à s’exprimer – fournit la trame de l’essai de Miyamoto Musashi (par ailleurs assez bref : dans la présente édition, le paratexte occupe en gros le même volume que le texte), ou plus concrètement son plan. La succession de ces « cinq roues » permettra d’exposer au mieux la Voie de la Tactique – qui est celle de « l’école » martiale de Miyamoto Musashi, qu’il a fondée lui-même, celle des « deux sabres »
Le premier livre est celui de la Terre. L’auteur s’y présente rapidement, et développe surtout ses intentions dans l’essai – ce qui passe par l’explication de ce plan. D’autres points sont sans doute plus saillants et d’emblée constructifs – ce qui inclut les exhortations à étudier et expérimenter, mais aussi l’attention essentielle apportée à la question du « rythme », fondamentale, et mettant au premier plan des préoccupations du sabreur l’adaptation, seule à même d’assurer sa victoire ; or il faut que cette victoire soit assurée. La bonne compréhension de la méthode, assortie de sa pratique quotidienne, devrait en être la garantie. Pour autant, la Voie de la Tactique n’est donc pas que la voie de l’escrime – cette focalisation excessive reviendrait à se fourvoyer, et c’est une chose que l’auteur dénonce dans les autres « écoles » (qu’il critiquera concrètement dans le quatrième livre, celui du Vent). Enfin, le sabreur sur la Voie de la Tactique ne doit pas être isolé des autres activités, artistiques comme laborieuses ; sa spécificité a sans doute quelque chose d’une illusion, d’où la comparaison éloquente avec le charpentier – c’est aussi manière d’appuyer sur la nécessité pour l’escrimeur de bien connaître son art, sur un plan théorique mais tout autant pratique, ce qui passe par exemple par la bonne connaissance de ses « outils » (là encore, cela vaut pour les outils « théoriques », mais aussi plus concrètement pour les armes – et pas seulement les siennes, d’ailleurs, mais tout autant celles de ses ennemis ; à noter d’ailleurs que si le Gorin no sho traite avant tout de l’usage du sabre, il consacre pourtant des développements aux autres armes, telles que lances, hallebardes… et fusils, d’introduction relativement récente alors au Japon, et qui changent tout).
Deuxième livre, celui de l’Eau – qui est probablement celui qui attire le plus directement l’attention de l’escrimeur, dans la mesure où c’est ici que Miyamoto Musashi décrit le plus concrètement une méthode martiale, les principes essentiels de son école des « deux sabres ». Ce qui inclut notamment les gardes, les assauts, interruptions, parades, mais aussi le regard, la position des mains, celle des pieds… On y retrouve toutefois l’importance supérieure de l’adaptation. Mais le plus important est peut-être ailleurs – et, paradoxalement, dans ce qui éloigne le livre de la seule escrime : Miyamoto Musashi inscrit ici dans la pratique concrète du duel la nécessité d’un regard plus étendu, englobant notamment la spiritualité (qui est avant tout vision du monde, dans l’optique « rationaliste » du traité, et surtout pas fausse dévotion d’essence superstitieuse – cela renvoie à la fameuse anecdote de Musashi se rendant à un duel, trouvant heureusement un sanctuaire sur sa route, et s’y arrêtant pour prier les dieux et les bouddhas de lui accorder la victoire ; mais Musashi réalise qu’il n’a jamais prié auparavant, et qu’il serait sans doute malvenu d’en appeler aux puissances supérieures pour ce seul motif utilitaire, et motivé par la peur – aussi le jeune sabreur s’en va-t-il sans prier… et gagne son duel, bien sûr).
Troisième livre, celui du Feu – qui porte sur le combat. Ce qui n’est donc pas la même chose que l’escrime, du livre de l’Eau… Le combat va bien au-delà, impliquant mille et une choses que celui qui se concentrerait sur la seule escrime serait bien en peine de comprendre – ce qui, immanquablement, le conduira à sa perte. C’est du coup, des cinq livres, celui qui établit le plus le parallèle entre le duel et la bataille, ou « tactique de masse » : ce qui vaut pour un contre dix, vaut pour dix contre cent, etc. Chaque point traité, chaque méthode, est ainsi envisagé sous les angles complémentaires du duel et de la bataille. Il y a cependant plus : des exhortations à repérer les failles et à en tirer profit, à tirer avantage de tout pour se placer d’emblée dans la meilleure des positions et pourfendre sans coup férir son adversaire. Cela concerne notamment la bonne connaissance de l’environnement – afin de piéger l’ennemi dans une position difficilement défendable ; mais cela va encore au-delà de ce passage obligé de la stratégie ou tactique. Ce qui m’a le plus séduit dans ce livre (qui est à mon sens et de loin le plus intéressant et stimulant du Traité des Cinq Roues), c’est sa propension à l’opportunisme et à la ruse – qui tranche peut-être sur les représentations instinctives du guerrier « honorable » (peut-être d’autant plus pour nous autres Occidentaux abreuvés de mythes chevaleresques, arthuriens et compagnie ?) ; non que Miyamoto Musashi manque d’ « honneur » – mais il sait qu’il s’agit avant tout de tirer parti de la situation, afin de l’emporter ; car l’emporter est tout ce qui compte au regard de la Voie de la Tactique. Par exemple, c’est pourquoi il faut se battre dos au soleil, et faire tourner l’adversaire le cas échéant pour s’assurer la meilleure position. Les cris relèvent également de cette approche : il s’agit d’effrayer et déstabiliser l’adversaire ; mais il est bien des moyens de le déstabiliser, qui vont au-delà de la seule peur, s’ils relèvent bien de la psychologie – l’adaptation, comme toujours, y a une part essentielle… mais sans doute des anecdotes concernant les plus fameux duels de Miyamoto Musashi éclairent-ils tout particulièrement cet aspect, en mettant en avant la ruse du sabreur – ainsi arrivait-il souvent en retard sur l’horaire convenu, laissant son adversaire bouillir pour lui faire perdre son calme et en profiter le moment venu ; bien sûr, cette réputation étant connue, arriver à l’heure ou même en avance était alors une tactique préférable… et pas moins déstabilisante. Cela pouvait même concerner les moyens de se rendre sur place – tout étant propice à susciter l’incertitude chez l’adversaire, opportunité supplémentaire de le vaincre. Même l’usage (récurrent) par Musashi de sabres de bois plutôt que de vrais sabres peut éventuellement éclairer cet aspect sous un jour particulier – la part d’humiliation dans cette pratique n’est probablement pas innocente… Je le suppose, du moins – mais je dis peut-être des bêtises. En tout cas, l’initiative demeure essentielle ; on pense au dicton « la meilleure défense, c’est l’attaque », et il y a sans doute un peu de ça ici, mais, une fois de plus, cela va au-delà – d’autant que l’on y retrouve l’idée essentielle du rythme : il ne faut jamais le perdre, mais tout faire pour que l’adversaire s’en éloigne – en le livrant à l’improvisation (j’emploie ce terme avec une connotation négative, par opposition à l’adaptation), et en le poussant à réagir au coup par coup, afin de l’empêcher de garder en tête la seule chose qui compte : pourfendre l’ennemi. Du coup, ce livre consacré au combat est probablement celui qui est le plus riche d’enseignements au-delà des seules disciplines martiales et militaires…
Quatrième livre, celui du Vent – il s’agit cette fois pour l’auteur de décrire les autres écoles que la sienne : il y a celle qui privilégie le sabre long, celle qui privilégie le sabre court… Certaines décortiquent tout particulièrement les gardes, en rajoutant de nouvelles à celles que Musashi avait décrites dans le livre de l’Eau, d’autres encore qui insistent sur la position et le mouvement des pieds… Sans surprise, cette description a un but essentiellement critique : Miyamoto Musashi entend bien démontrer, après tout, que son école des « deux sabres » est la meilleure, qu’elle est pleinement la Voie de la Tactique. Outre cette dimension « promotionnelle », deux aspects doivent sans doute être retenus de ce livre : d’une part, on y retrouve cette idée essentielle que la focalisation sur la seule escrime est une erreur, un dévoiement de la Voie – la Voie de la Tactique véritable est autrement englobante, et guide le sabreur en dehors des seuls duels ; d’autre part (et surtout, puisque c’est là une idée qui n’avait pas été développée avant, cette fois ?), même si ces autres écoles se fourvoient, il est important, capital même, de les connaître : la Voie de la Tactique impose de savoir comment agissent et réfléchissent les autres – c’est là une condition essentielle et peut-être même nécessaire de la tactique, dans l’optique sans cesse répétée de pourfendre l’ennemi, but à ne jamais perdre de vue.
Et reste enfin un cinquième livre, celui du Vide – qui tient en deux pages… C’est le plus déconcertant, à n’en pas douter, car il relève d’une mystique passablement ésotérique – et empruntant sans doute à des traditions philosophiques et religieuses de l’Extrême-Orient avec lesquelles nous ne sommes que trop rarement familiers (votre serviteur ignare parmi tant d’autres). L’hermétisme du texte ne me facilite pas la tâche, tant celle de la compréhension que celle de la communication… Miyamoto Musashi semble y revenir sur son idéal de connaissance – celle-ci est essentielle sur la Voie de la Tactique. Pour autant, je crois y comprendre qu’elle ne doit surtout pas paralyser le sabreur – qui doit savoir, mais ne doit pas se laisser intimider ou circonvenir par ce savoir au point de perdre l’initiative. Ce « Vide » en lui a donc des aspects paradoxaux et pourtant essentiels. Il a aussi – dimension absente jusqu’alors – des implications éthiques, éventuellement : la Voie de la Tactique n’est pas seulement méthode pour l’emporter – dans cette perspective mais aussi dans bien d’autres, elle est intrinsèquement « bonne ». Je n’ose pas m’avancer davantage sur ce terrain intimidant et qui me dépasse à n’en pas douter. Notons seulement que c’est sans doute, dans le Traité des Cinq Roues, le moment le plus « spirituel », expliquant sa portée inattendue sous cet angle (même si je tends donc à croire que, toutes choses égales par ailleurs, c’est le livre du Feu qui est le plus riche d’enseignements au-delà de la seule pratique du sabre) ; en tout cas, on voit ici plus particulièrement sa « sagesse quotidienne », valable pour tous.
Ceci étant dit, que penser de ce texte ? Il est d’un abord relativement malaisé, tout d’abord. Miyamoto Musashi, s’il n’était sans doute pas dénué d’intentions littéraires – et je suppose que ses répétitions incantatoires ont quelque chose de délibéré et peut-être même d’essentiellement littéraire –, n’était probablement pas le plus habile et élégant des essayistes. Ce n’est pas seulement une question de distance culturelle : à comparer par exemple le Traité des Cinq Roues avec un autre essai majeur de la tradition japonaise, disons les Notes de ma cabane de moine de Kamo no Chômei, antérieures, il en ressort une certaine sécheresse de l’essai de Miyamoto Musashi, bien éloignée de tout raffinement poétique ; et sans doute ai-je choisi mon camp… Pourtant, il y a probablement de la beauté dans l’art du sabreur bien compris – sous cet angle, le traité n’est donc pas exempt d’aspects esthétiques. On avouera que la traduction de Maryse et Masumi Shibata (relativement ancienne, et qui aurait bien bénéficié d’une mise à jour – d’autant qu’elle passe par des procédés étranges, ainsi des notes de traduction insérées dans le texte même plutôt qu’en bas de page ou en fin de volume, ce qui est régulièrement pénible… sans même parler de choix de traduction « douteux » : Musashi qui explique comment il faut « shooter » dans la balle, ça m’a quand même fait tout drôle… Je vous épargne les bizarreries typographiques) n’arrange peut-être pas les choses, ne brillant pas exactement par l’élégance ; en fait, ce style pénible et lourd ressort tout autant du paratexte, ce qui est probablement révélateur… Quoi qu’il en soit, le Traité des Cinq Roues, en l’état, ne brille pas par le raffinement stylistique, ou la beauté, plus humblement. Par ailleurs, j’avoue (mais ça c’est moi) être passablement rétif à la spiritualité, sinon hostile : le mysticisme me fatigue vite… et m’irrite bientôt. Ici, on ne va sans doute pas jusque-là, mais cela explique sans doute que je n’ai pas trouvé plus instructives que cela nombre des prescriptions du livre. Même à l’égard de la littérature de stratégie et tactique, le Traité des Cinq Roues est à mes yeux écrasé par la superbe et la majesté de L’Art de la guerre. Pourtant, on y trouve des choses tout à fait intéressantes (j’insiste : surtout dans le livre du Feu en ce qui me concerne), et parfois à la limite de la fascination…
Dimension importante du livre sans doute, incluant cette fois le paratexte : une longue préface et un long épilogue (ce dernier mentionné comme étant du seul fait de Masumi Shibata, je ne sais pas ce qu’il en est du reste), qui, malgré la lourdeur stylistique mentionnée à l’instant, et certains développements abscons et guère convaincants, mais pas moins récurrents, sur la spiritualité nippone, focalisés sur les œuvres antérieures que sont le Kojiki et les Dialogues dans le Rêve, se révèlent globalement bienvenus voire passionnants.
De la préface, on retiendra surtout les éléments de biographie de Musashi – essentiellement les plus célèbres duels de sa jeunesse (où sa ruse me paraît donc essentielle – tranchant sur les clichés de courtoisie chevaleresque), mais aussi, si ses errances de vagabond plus ou moins rônin sont mal connues, d’autres anecdotes ultérieures pas moins intéressantes (j’ai tout particulièrement retenu celles concernant son fils adoptif, qui ont quelque chose d’aussi romanesque que les récits mythifiés des duels ; de même pour les conditions de rédaction du Gorin no sho).
L’épilogue s’éloigne davantage de la matière du texte… au point de ne pas avoir toujours de véritable rapport, ni avec le Traité des Cinq Roues, ni avec Miyamoto Musashi. Toutefois, l’article consacré aux relations entre Japonais et Européens de 1543 (premier contact, avec des Portugais) à la fermeture des frontières (avec le bémol des Hollandais au large de Nagasaki) est tout à fait intéressant, et détaille quelque peu un sujet que j’aurais bien envie d’approfondir (parmi les anecdotes qui y sont narrées, j’aime beaucoup celle du marin espagnol un peu niais expliquant comment l’Espagne a bâti son empire colonial à partir des missionnaires chrétiens… et le confiant tout naturellement à un représentant des autorités nippones : bien ouéj… Mentionnons aussi les développements témoignant de ce que les fusils n’ont pas forcément été introduits par les Européens, même si leur rôle a bien été déterminant en la matière). L’article suivant, portant censément sur le choix du soleil pour emblème du drapeau nippon, est d’un intérêt autrement limité – d’autant qu’il s’éparpille beaucoup, avec une énième reprise de la rengaine du Kojiki et des Dialogues dans le Rêve complétés par le Traité des Cinq Roues, etc. Reste peut-être le jugement, mais sans doute trop lapidaire, sur la vie intellectuelle durant la période de fermeture… Bof ; en l’état du moins.
Au final un livre séduisant sans doute au premier abord, déconcertant peut-être ensuite, plus ou moins convaincant dans le fond comme dans la forme, au-delà de son statut de classique suffisant à en faire une lecture plus que recommandable. Et un paratexte globalement bienvenu, en dépit de sa forme lourde au possible. Et derrière tout ça, la figure du sabreur invaincu, Miyamoto Musashi, sage autant que guerrier…
Commenter cet article