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Gunnm, t. 2 : La Vierge de fer (édition originale), de Yukito Kishiro

Publié le par Nébal

Gunnm, t. 2 : La Vierge de fer (édition originale), de Yukito Kishiro

KISHIRO Yukito, Gunnm, t. 2 : La Vierge de fer (édition originale), [銃夢, Gannmu], traduction depuis le japonais [par] David Deleule, Grenoble, Glénat, coll. Manga Seinen, [1990-1995, 2014] 2017, 212 p.

 

RETOUR D’UN CLASSIQUE, ÉTAPE 2

 

Où l’on fait dans l’actualité (éditoriale, française), avec ce deuxième tome de Gunnm dit (un peu paradoxalement) « édition originale », qui vient tout juste là maintenant de sortir, donc – ou ressortir, d’une certaine manière.

 

J’avais donc déjà lu tout ça, mais il y a looooooooooooooooooongtemps, lors de la première édition française du manga culte de Yukito Kishiro, dans les années 1990 – lecture qui, alors, m’avait procuré beaucoup de plaisir, et ce souvenir émerveillé n’est certes pas pour rien dans mon acquisition maintenant de cette « édition originale ».

 

En notant que celle-ci, outre une nouvelle traduction que je ne me sens toujours pas de juger, est essentiellement caractérisée (mais c’est une raison suffisante, certes) par le sens de lecture japonais – distinction essentielle par rapport à l’édition ori… euh, la première édition française, donc. Notons cependant, une fois de plus, ce choix d’une couverture très souple et de pages assez fines, qui m’évoque un avertissement du genre : « à manipuler avec précaution ».

 

Je redoutais, pourtant, en relisant le premier tome, que ça ne passe plus aussi bien que quand j’étais un pré-ado ou ado (disons ado : 1995, si j’en crois Wikipédia, j’étais persuadé que c’était bien deux ou trois ans plus tôt, mais à tort, faut croire)… Sauf que si, en fait : avec peut-être un peu plus de mesure dans le propos, et la prise de conscience que tout ceci n’était pas forcément bien original, mais le plaisir était toujours là – plaisir tenant certes avant tout à deux dimensions essentielles de la BD : un graphisme parfait dans son genre, et un univers attrayant et riche, s’exprimant autant dans la narration que dans ledit graphisme parfait. En dehors de ça, la trame était fort commune, et l’action omniprésente (un peu trop à mon goût), mais ça passait bien.

 

Ce deuxième tome est assez différent, mais je ne suis pas bien certain de ce qu'il faut en penser… Est-ce en mieux, est-ce en moins bien ? Probablement les deux à la fois, en fait – pour un résultat de qualité équivalente.

 

FAUSSE FIN ET FAUX DÉPART ET PAS DE FIN

 

Avec une bizarrerie, cependant – dont je me suis aussitôt rappelé qu’elle figurait déjà dans la première édition française, mais sans savoir au juste ce qu’il en est des tomes japonais : ce deuxième tome s’ouvre en fait sur l’épisode… qui aurait dû conclure le premier.

 

On y voit en effet Gally achever son combat contre Makaku – qui continue donc après la dernière planche du tome précédent, qui semblait pourtant exprimer, sur un mode inévitablement sentencieux, la victoire de Gally.

 

Plus que l’action, ici, on en retient surtout la « confession » de Makaku – ou plutôt son autobiographie rapide, qui accentue les traits pathétiques du personnage, en exprimant la souffrance qui l’a amené à devenir ce terrible tueur psychopathe ; le trait est forcé, mais ne peut sans doute pas laisser Gally indifférente – et il en va sans doute de même pour le lecteur…

 

Notons rapidement que cette « discussion » contient une brève remarque lapidairement explicitée plus loin dans ce tome 2, mais vraiment en passant, et qui sera sans doute d’un certain poids pour la suite des événements.

 

Et c’est donc après ce premier épisode en forme de rattrapage que débute véritablement l’histoire propre à ce deuxième tome – avec les habituelles pages en couleurs, d’ailleurs, qui ne sont donc pas les premières du bouquin…

 

À noter d’ores et déjà que ce schéma « éditorial » semble amené à se répéter, puisque ce tome 2 « édition originale » (comme son prédécesseur des années 1990, en fait, j’en suis à peu près certain maintenant) se conclut cette fois carrément sur un cliffhanger, laissant entendre que la véritable fin de ce tome 2… se trouvera au début du tome 3. Et donc pas à proprement parler de « fin » ici, pas même de « fausse fin » comme dans le tome 1, rien qui fasse même illusion. Un peu « bizarre », tout de même.

 

LE RÊVE DE GALLY

 

Mais, si l’on met donc un peu à part ce premier épisode avec Makaku, l’essentiel de ce tome 2 est consacré à un arc narratif resserré, une intrigue courant sur l’ensemble du volume, et qui, donc, exprime toute la différence entre les deux premiers tomes – que ce soir pour le mieux ou pas, au choix du lecteur.

 

Nous retrouvons Gally affalée dans l’herbe (?), et abîmée dans la contemplation du ciel, même si elle s’avère se trouver dans une usine désaffectée. Elle ne sait pas ce qu’elle fait là – mais on s’en doute, et on en obtient vite confirmation : elle faisait son boulot de hunter warrior, et, d’une manière ou d’une autre, s’est retrouvée sonnée…

 

Mais c’est ainsi – comme dans un rêve – qu’elle fait la rencontre de Yugo, un jeune homme (ou garçon, à ce stade) qui fait des bricoles dans Kuzutetsu : entretien et réparations diverses, ce genre de choses…

 

LE RÊVE DE YUGO

 

Yugo aussi a un rêve – et les yeux qui brillent en permanence, à cette idée qui ne le quitte jamais. D’une manière ou d’une autre, il a toujours les yeux fixés vers le ciel… C’est le projet d’une vie : un jour, il en est certain, il ira sur Zalem, la cité mythique qui flotte majestueusement au-dessus de sa répugnante Décharge…

 

Bien sûr, le premier volume, même sans se montrer trop explicite à ce sujet, avait bien laissé entendre, comme allant de soi, que la scission entre les deux mondes était absolue, la frontière rigoureusement hermétique… Ce deuxième tome est d’ailleurs l’occasion de mettre en avant des modalités et nuances de cette séparation : l’interdiction, pour tout habitant de Kuzutetsu, de construire et utiliser un engin volant, et, en miroir de la ville parfaite abandonnant ses détritus dans le sous-monde (littéralement) de la Décharge, des câbles qui convoient biens et denrées depuis le sol et ses usines qui y font la loi, à destination des privilégiés invisibles de la cité haute.

 

Yugo n’est donc pas censé pouvoir aller sur Zalem – il n’en est pas moins convaincu qu’il y parviendra. Et c’est vrai qu’il est débrouillard, le bougre… Mais, quand bien même il y parviendrait, que ferait-il là-haut ? Rien, si ça se trouve… Le rêve censé devenir réalité, c’est qu’il s’y rende – il constitue à lui seul l’objectif. Peu importe si, une fois là-haut, Yugo est aussitôt réduit à la condition de clochard… au mieux. L’important, c’est de s'y rendre.

 

LA GAMINE AMOUREUSE

 

Et Gally, comme de juste, fond pour le garçon. Ses grands yeux ronds qui lui mangent son si charmant minois, sous sa coiffure toujours aussi épique, font quant à eux fondre le lecteur, sans doute…

 

Globalement (en dehors de la couverture, une nouvelle fois ratée ?), Gally délaisse ici ses poses de pin-up (et sa bouche systématiquement quasi « duckface ») qui me navraient vaguement dans le premier tome – elle devient une gamine amoureuse, autrement mignonne et attendrissante…

 

Ici, je dois forcément revenir sur la première mouture de ce compte rendu : quand je l'avais rédigé, c'était dans l'optique que Gally était une sorte de « robot », une créature parfaitement artificielle ; d’allure féminine, certes, et, était-ce instinct, programmation, conditionnement ou éducation, son apparence semblait influencer sa psyché. Je dois dire que, si Gally est donc bien « humaine », l'histoire perd quelque peu en piquant à mes yeux... Il n'y a pas de « si », d'ailleurs : c'est bien le cas, mea culpa.

 

Reste que la gamine aux yeux mouillants se demande (et demande à Ido) si elle peut tomber amoureuse… ou plutôt, non : ça, c’est d’ores et déjà un fait acquis – c’est le lecteur qui se pose la question (surtout s'il commet ma boulette), Ido avec, éventuellement : Gally, elle, sait parfaitement ce qu’il en est. Sa vraie question est donc tout autre : Yugo, lui, pourrait-il tomber amoureux d’elle ? Question qui, là encore, n'a plus le même sens (et, je le crains, pour un effet amoindri).

 

Les amourettes adolescentes… Y a-t-il quoi que ce soit de plus terrible et douloureux ? Citons le Procureur de la République Desproges Française – parce que c’est forcément pertinent dans une chronique de manga : « Certes, elle est cruelle, l'heure où l'adolescente ou l'adolescent voit son corps lui échapper et se métamorphoser en un corps étranger, velu, acnéen, plein de fesses et de seins et de poils partout, alors que s'estompe l'enfance et que déjà la mort... »

 

Heure cruelle !

 

Je l'admets : ces gamineries dites « romantiques », directement issues de quelque collège où les hormones se mettent subitement à bouillir à mesure que les formes apparaissent, auraient sans doute tout pour m’agacer, de manière générale (j’assume, et livrez-en le diagnostic psychanalytique que vous souhaitez). Et pourtant, non…

 

Je crois qu’ici encore le graphisme y est pour beaucoup – Gally amoureuse est véritablement irrésistible, et Yukito Kishiro est bien plus pertinent dans sa représentation sous cette forme que sous celle du fantasme en mode automatique, cuir et formes, qui finissait par (me) lasser dans le premier volume. C’est certes passablement convenu, mais ça fonctionne très bien.

 

Ceci dit, il y a quelques à-côtés, hein… Gally qui ramène chez lui Yugo bourré (on verra pourquoi), et prend aussitôt sur elle de faire sa lessive, c’est… c’est… Bon.

 

CE QU’EST VRAIMENT GALLY

 

Mais cela renvoie à une autre dimension essentielle du personnage : Gally, instinctivement (ou… ? Voir plus haut), refuse que Yugo perçoive qui elle est vraiment – c’est fâcheux, pour une amourette… et si commun ? Mais voilà : il ne doit pas savoir qu’elle est une hunter warrior, et que son visage si charmant et son corps parfait mais d’allure si fragile abritent une bête de combat, championne de panzerkunst !

 

Dans mon premier compte rendu, j'avançais donc qu'en fait, mais en imaginant qu’il y avait là quelque chose d’assez juste, le risque que Yugo entrevoie cette réalité semblait bien plus faire peur à Gally que la possibilité (ou nécessité) qu’il découvre… qu’elle est un robot, en rien humaine – si ce n’est dans sa psyché. Ce qui ne manquerait bien sûr pas d’arriver, et sans doute y avait-il comme une vague suspicion d’emblée… mais dans un monde où cette dimension n’a au fond pas la moindre importance, « naturellement » ?

 

Là, pour le coup, j’avais l’impression qu’il y avait quelque chose de très bien vu ; à voir ce que l’auteur en ferait par la suite… S’il en faisait quelque chose : après ce tome, j’avoue que mes souvenirs de lecture adolescente, de toute façon bien parcellaire, sont, même plus flous à ce stade, mais carrément opaques…

 

Mais, là encore, je me trompais, donc (et je le regrette un peu...).

 

LES HISTOIRES D’AMOUR FINISSENT MAL EN GÉNÉRAL

 

Mais les histoires d’amour finissent mal en général, hein ? Et encore, quand elles commencent, et quand elles commencent bien…

 

Il n’y a pas de secret, Yukito Kishiro lâche le morceau presque aussitôt : dans son rêve fou, son désir irrépressible de se rendre sur Zalem, Yugo n’est certes pas étouffé par les scrupules… et il a de très mauvaises fréquentations – un certain Vector, notamment, beau spécimen de mafieux retors.

 

Le si gentil garçon s’est fait une spécialité de dérober à ses victimes leur (précieuse et ô combien rémunératrice, car impossible à « fabriquer ») colonne vertébrale. Dans ce monde où les humains sont pour partie des machines et peuvent être « réparés », ça ne les tue pas, il n’est tout de même pas un assassin, mais ça n’en fait pas moins un criminel…

 

Inévitablement, Gally s’en rendra compte – et ses espoirs que tout puisse s’arranger, d’une manière ou d’une autre, s’avèreront plus vains que jamais quand la tête du joli garçon, inévitablement, sera mise à prix – à charge pour les hunter warriors comme elle de la lui trancher, contre une jolie récompense…

 

Occasion de remettre en scène un archétype du gros con, le « grand » (?) Zapan, que Gally avait humilié dans le tome 1.

 

MOINS D’ACTION – MAIS DE LA BONNE ACTION

 

On s’en doute, mais disons-le : cette trame sentimentalo-pas-de-bol implique un volume nettement moins tourné vers l’action que le premier.

 

Sans excès, hein : Gunnm demeure un manga d’action, et ça se bastonne régulièrement entre ces pages – mais de manière bien moins systématique, et sans doute aussi plus « directe », au sens que les combats ne s’éternisent pas.

 

D’autant sans doute que Gally, on en a eu amplement confirmation dans le premier tome, est forcément d’une classe au-dessus, tant par rapport à ses pairs que par rapport à ses proies.

 

C’est une évolution appréciable – les scènes d’action sont très bonnes, mais qu’elles ne s’éternisent pas contribue (paradoxalement ?) au dynamisme de la BD.

 

D’AUTRES NUANCES

 

Autre évolution notable, pour un résultat peut-être plus ambigu : Gally est plus que jamais au cœur de l’intrigue, avec Yugo ; dans leur proche périphérie figurent bien Vector et Zapan, mais pas grand-monde autrement – et, notamment, Ido est cette fois bien plus discret. Son rôle n’est pourtant pas inintéressant : le « papa » de Gally n’est plus aussi possessif que dans le tome 1, il a accepté le fait accompli – Gally est une guerrière, et il n’a pas son mot à dire à ce propos, elle vivra sa vie et fera ses choix, comme une « vraie » personne, car elle n'a rien d'une poupée sans âme. Il n’en reste pas moins, à sa manière, une figure paternelle – mais sur le mode du papounet compréhensif, qui est là pour accompagner Gally dans ses déboires sentimentaux, mais sans plus se montrer envahissant.

 

Enfin, il y a l’univers, qui était à mon sens un atout marqué du premier tome. C’est toujours le cas ici, mais en mettant l’accent sur des dimensions guère abordées jusqu’alors. Demeure cette impression, très positive, que le graphisme a au moins autant que le récit sa part dans l’exposition du contexte.

 

OUI – ÇA MARCHE TOUJOURS

 

Le graphisme est de toute façon une qualité fondamentale de cette BD. Dans ce deuxième tome, certains aspects de la question sont donc particulièrement affichés, et globalement pour le mieux : Gally des étoiles dans les yeux, qui fait plus que jamais fondre le lecteur, sans plus jouer à la pin-up ; une action moins systématique, et par ailleurs plus « directe » (mais toujours aussi lisible) ; un univers qui se constitue case après case, sans jamais en faire trop.

 

Autant d’atouts qui incitent à se montrer bon prince quant à d’autres aspects d’une qualité plus ambiguë. Et jusqu’à l’essentiel : cette histoire somme toute convenue de la gamine amoureuse d’un « mauvais gentil garçon » ; à ce stade, que la gamine en question soit une bête de combat, avec son comptant de décapitations à son actif, est d’une certaine manière secondaire… ou pas : car il y a là, bien sûr, un moteur de la narration.

 

Je ne suis plus un collégien de longue date, et heureusement – tant cette époque reste pour moi une des pires de toutes. L’amourette collégienne de ce tome 2 avait donc tout pour m’irriter, d’autant que je ne pouvais certes pas y accoler une vague nostalgie de ma première lecture dans un contexte plus propice, c’était même tout le contraire…

 

Et pourtant, c’est bien passé. Très bien, même. Sans doute parce que, dans sa conception et son illustration, dans tous les sens du terme, la BD est habile, et sonne juste. Ça n’en fait certes pas un chef-d’œuvre, mais assurément une lecture tout ce qu’il y a de plaisante. Parfois, les histoires les plus simples sont les meilleures, dit-on… « Meilleures » est peut-être un bien grand mot, mais, avec ce tome 2, Gunnm s’affiche toujours comme une réussite notable en son genre.

 

À suivre – le tome 3 « édition originale » est supposé sortir le 22 mars prochain. Hop !

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