CR 6 Voyages en Extrême-Orient : Lame, l'arme, larmes (06) - conclusion
Sixième et dernière séance du scénario de Fabien Fernandez « Lame, l’arme, larmes », tiré de 6 Voyages en Extrême-Orient. Vous trouverez les éléments préliminaires ici, la première séance là, et la précédente séance là.
Je maîtrisais. Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient Goto Yasumori, la voleuse, Hira Ayano, la montreuse de marionnettes, Kuzuri Hideto, l’apothicaire, et Masasugi Takemura, l’ancien soldat.
I : SUR LA ROUTE
[I-1 : Yasumori : Gen] Yasumori est encore sous le choc de sa rencontre avec un fantôme, et le groupe avance plus lentement, à son rythme. Mais, à vrai dire, tous sont pour le moins perplexes, et inquiets quant à l’avenir : la perspective d’affronter une créature aussi puissante et rusée que le kitsune Gen est pour le moins déprimante – mais ils n’ont pas le choix ; l’esprit lui-même le leur a confirmé, en leur adressant, porté par un petit chien en kimono, un faire-part moqueur pour un mariage qui sera célébré dans la forêt de Koryo…
[I-2 : Yasumori, Takemura, Hideto : Sekine Senzo ; Gen] En chemin, ils échangent, mais de manière somme toute peu constructive, sur les moyens dont ils disposent pour mettre fin à la malédiction. Il y a l’optique martiale : affronter et tuer le kitsune. Mais, parmi eux, seul Takemura est en mesure de véritablement se battre – parce qu’il a été soldat, si c’est dans une autre vie, et parce qu’il a en main un sabre « magique »… celui-là même, en fait, que Gen a maudit. À l’évidence, une approche aussi brutale relève peu ou prou du suicide, et les chances de l’emporter, pour le vieil homme, sont infimes… « Piéger » le kitsune, quel que soit le sort que les aventuriers lui réservent ensuite, s’annonce tout aussi difficile : il est après tout nécessairement rusé, et bien plus qu’eux, ce renard à neuf queues qui sévit depuis des siècles, sinon des millénaires… Ceci étant, ils discutent des méthodes récurrentes colportées dans le folklore, et Hideto, notamment, suppose que préparer un de ces plats aux haricots rouges dont les kitsune raffolent tant pourrait, dans une certaine mesure, les aider… Sinon, jouer de la carte surnaturelle ? Ils ne sont guère religieux – et l’onmyôji Senzo est plus taciturne que jamais : il n’ose certainement pas le dire, mais est bien conscient, ainsi que ses compagnons de route, que le yôkai est largement au-dessus de ses compétences… Faire jouer un esprit contre un autre apparaît impensable – même s’ils passent quelque temps à envisager ce genre d’hypothèses, Hideto s’interrogeant notamment sur les relations entre tanuki et kitsune ; mais ils n’ont de toute façon pas de ces ratons-laveurs aux testicules proéminentes sous la main... Yasumori s’interroge toujours sur les éventuelles affiliations élémentaires de l’esprit – l’eau, le feu… –, mais ils ne savent toujours rien de tout cela, et pas même si cela aurait la moindre utilité…
[I-3 : Yasumori, Ayano, Hideto, Takemura : Gen, Shim Na Yung, Someyo, Akiharu, Aki, Yôko, Itô] Pourtant, au fil de la marche, un semblant de plan, d’un ordre différent, commence à s’esquisser : tous ont remarqué que les interventions de Gen, et ce dès l’origine même de la malédiction (son alliance avec la princesse coréenne Shim Na Yung), étaient souvent en rapport avec des mariages ratés – celui entre Someyo et Akiharu, qui devait avoir lieu à Kengo mais a été retardé par la mort d’Aki ; à Hizotachi, le mariage entre Yôko et Itô, annulé du fait de la disparition de ce dernier ; les fiançailles rompues qui ont dégénéré en guerre à Ashiga Tomo ; la jeune femme enceinte laissée à demi morte au bord de la route, avant le village de Sagara ; le couple de fantômes qu’ils ont croisé à peine quelques heures plus tôt… Sans compter bien des ruminations sentimentales à chacune de leurs étapes, qui auraient pu déboucher sur un mariage, mais ne l’ont pas fait… Yasumori, tout particulièrement, y songe – et la charmante et cynique jeune fille, aux motivations incertaines pour les autres, et peut-être aussi pour elle-même, se demande s’il ne serait pas possible de mettre fin à la malédiction en organisant le mariage de Gen… avec elle-même. Séduire le kitsune s’annonce certes difficile, mais elle y croit, bzarrement, et l’idée fait sens pour les autres également – d’une manière ou d’une autre, cette approche, aussi folle soit-elle, paraît plus satisfaisante que toutes les autres… Ayano aussi y songe – mais indirectement : peut-être son art théâtral pourrait-il leur venir en aide ? Se dessine l’idée d’une ample cérémonie, où le mariage de Gen et Yasumori passerait aussi par une représentation théâtrale originale d’Ayano ; les plats à base de haricots rouges chers à Hideto y auraient également leur place… et, en dernier ressort, Takemura serait là, la main sur le sabre maudit. Impossible de définir un plan plus concret pour l’heure, mais, en chemin, tous réfléchissent à cette nouvelle manière d’envisager le problème.
II : UNE HALTE DANS LES RUINES
[II-1 : Yasumori] Au bout de quelques heures de marche, les aventuriers commencent à discerner, au loin, des traces d’habitation – quelques maisons aux contours vaguement esquissés, surmontées de panaches de fumée : un village dont ils ne connaissent pas le nom, mais qui n’est plus très loin… Mais Yasumori n’en peut plus, littéralement : à vue de nez, il faudra bien deux heures de marche pour arriver à ce village, et elle ne s’en sent clairement pas capable – elle a besoin d’une pause. Les autres veulent bien s’arrêter, d’autant que la malédiction ne les autorise pas à rester trop longtemps dans une communauté humaine, quelle qu’elle soit…
[II-2 : Takemura, Ayano] Takemura et Ayano, qui ont les yeux les plus perçants, repèrent des sortes de ruine à proximité, à la lisière des bois de plus en plus omniprésents. Difficile de dire ce dont il s’agissait, mais il y a bien de la pierre – un vieil ermitage, peut-être ? Voire les débris d’un petit sanctuaire antique ? Ils se rendent sur place… et découvrent alors que les lieux sont occupés : surgissent cinq hommes armés, mais de nature bien différente – quatre paysans, en fait, visiblement guère rompus aux armes et terrifiés à l’idée de se battre (trois brandissent maladroitement des sortes de machettes, tandis qu’un archer, qui semble plus sûr de lui, reste en retrait), et sans doute forcés de suivre un rônin d’allure sévère, qui dirige les opérations – peut-être chargé de la défense du village à proximité ? Le rônin, d’un geste de son sabre, donne l’ordre aux paysans d’attaquer – et ceux-ci obéissent, criant pour se donner du courage mais tremblant de tous leurs membres.
[II-3 : Takemura, Yasumori, Hideto, Ayano] Deux paysans se ruent sur Takemura, qui s’était le plus avancé ; le vieux soldat en immobilise un sans même y penser, désormais trop blessé pour combattre, mais pas assez pour en mourir. Yasumori, de son côté, a pu blesser un troisième paysan qui s’avançait sur elle en lui logeant une flèche dans le bras. À ce spectacle terrible, témoignage éloquent de ce que la partie est jouée, le deuxième paysan à s’être lancé sur Takemura recule, tétanisé d’horreur, et fuit bientôt le champ de bataille en hurlant. Le rônin est furieux, mais entend conserver sa dignité : il marche sur Takemura d’un pas inflexible ; mais il a trop fixé son attention sur le vieux soldat, le seul qu’il percevait comme une menace – or Hideto et Ayano, le premier avec ses fléchettes empoisonnées, la seconde en s’emparant de pierres qu’elle lui jette à la figure, ralentissent son approche… Sa dignité est une pose : ce samouraï déchu n’est pas homme à se contenir. Excédé, il change de cible : Ayano est la plus proche… Il lui adresse un coup vicieux, que la marionnettiste esquive de justesse ; mais Takemura surgit dans le dos du rônin, et le fend en deux : contre ce combattant-là, il n’a pas retenu ses coups, à la différence de ce qu’il avait fait pour les paysans…
[II-4 : Ayano : Gen] Le dernier d’entre eux, l’archer, n’a quasiment rien fait durant le bref assaut : il avait encoché une flèche, était grimpé sur un muret… mais il décide alors de lâcher l’affaire. Littéralement : il jette son arc ! Puis il s’éloigne de la scène du combat en maugréant : « Ces manchots, impossible d’en tirer quoi que ce soit... » Ayano court après lui… alors que les neuf queues du kitsune jaillissent soudain de ses vêtements ! Mais Ayano n’a pas le temps de l’atteindre ; Gen excédé touche nonchalamment un arbre de la main, et disparaît dans le tronc… Toutefois, Ayano prend bien soin d’inspecter l’arbre – et remarque que la magie du kitsune y laisse des traces particulières, qu’elle sera en mesure de reconnaître plus tard, si jamais… Un moyen de pister le renard ?
[II-5 : Yasumori, Takemura : Sekine Senzo] Yasumori, quant à elle, est d’autant plus furieuse qu’elle est épuisée. Elle hurle après les arbres, intimant le renard de venir les affronter ; devant l’absence de réponse, elle s’en prend au paysan qu’elle avait blessé et qui s’était écroulé au sol, elle le roue de coups de pied – Takemura la rejoint et fait en sorte qu’elle cesse, mais elle le repousse, agacée, et s’en prend aussi verbalement à l’inutile Sekine Senzo… avant de s’écrouler : elle qui était déjà fatiguée n’en peut tout simplement plus – elle ne succombe pas à une nouvelle crise cardiaque, non, mais s’adosse à un muret, les yeux las, et se tait…
[II-6 : Takemura, Hideto : Gen, Tadakiyo] Takemura interroge les deux paysans blessés, tandis que Hideto leur apporte quelques soins – ils savent que ces pauvres fermiers ne représentent pas une menace, de quelque ordre que ce soit. Le paysan le moins atteint, entre deux suppliques geignardes, explique enfin qu’un marchand de saké était arrivé quelques heures plus tôt dans le village tout proche, et avait dénoncé une bande de brigands qui l’aurait agressé – bande qu’il avait décrite précisément : exactement le groupe des aventuriers. Avec le recul, le paysan ne peut qu’avouer que l’idée que ces gens-là, si disparates et si peu martiaux, soient des brigands, était absurde… Mais sur le moment, ils y ont cru. Le rônin engagé pour la protection du village a pris les affaires en mains, et désigné quatre paysans pour l’accompagner et tendre une embuscade aux brigands, qui, à en croire le marchand de saké, ne tarderaient guère à approcher du village. Et concernant l’archer ? C’était un kitsune ! Oui – mais le paysan ne comprend tout simplement pas ce qui s’est passé le concernant : pour lui, pour tous les villageois, c’était simplement Tadakiyo ! Un des leurs, un paysan du village, qui a toujours vécu avec eux, et savait se débrouiller avec un arc – certainement pas un esprit renard… Mais en parlant du yôkai, le paysan est visiblement terrifié – d’une manière toute particulière, et qui appelle sans doute quelques éclaircissements… Il faut aller au village – quel est son nom, d’ailleurs ? Koryo...
III : LE VILLAGE MAUDIT DE KORYO
[III-1] Le petit village de Koryo est d’une extrême pauvreté – rien de commun avec Kengo ou Hizotachi, pourtant guère riches : les pauvres huttes des fermiers suintent littéralement la misère. Les habitants, d’abord méfiants voire effrayés devant l’arrivée des étrangers, commencent à se montrer quand le paysan blessé accompagnant les aventuriers (celui qui était le plus amoché a dû être laissé en arrière, dans les ruines) dit qu’ils n’ont rien à craindre, et que les nouveaux venus ne sont pas les brigands dénoncés par l’imposteur se faisant passer pour un marchand de saké… Un vieil homme d’allure digne même dans la misère, visiblement le chef de la petite communauté, sort de sa demeure guère plus riche que les autres et présente ses excuses aux voyageurs ; quand on lui explique qu’il reste un villageois blessé dans les ruines, il désigne d’un simple geste de la tête deux hommes pour qu’ils aillent s’en occuper.
[III-2 : Yasumori : Sekine Senzo ; Tadakiyo, Gen] Et concernant Tadakiyo ? Le vieil homme, désolé, se rend à une cabane toute proche, dont il ouvre la porte : à l’intérieur gît le cadavre du paysan habile à l’arc… La population de Koryo, qui multipliait les excuses, sombre encore davantage dans le désespoir, plus que dans la colère – leur village est maudit, le « démon » est revenu pour les faire souffrir de ses mauvais tours… Ils font des gestes étranges, qui les désignent comme chrétiens – sans l’ombre d’un doute aux yeux de Yasumori, qui en avait fréquenté à Nagasaki, et de Senzo, qui s’était intéressé, par pure curiosité intellectuelle, aux croyances étranges des barbares européens…
[III-3 : Sekine Senzo ; Gen] Le vieil homme explique aux étrangers que le village de Koryo, de toute éternité, subit périodiquement les méfaits du « démon » qui réside dans la sombre forêt encerclée de collines de l’autre côté des habitations, et qui marque la fin de cette route ; il se fait parfois oublier quelque temps (quelques années du moins dans le cas présent), mais revient toujours, et les paysans en souffrent. Koryo est maudit, oui – un village en proie aux maléfices du renard ; un village, notamment, où l’on ne peut pas se marier… Ceux qui veulent le faire doivent quitter le village pour exécuter la cérémonie dans un lieu qui s’y prête davantage – c’était vrai avant la conversion des fermiers au christianisme, ça l’est toujours depuis, à cet égard rien n’a changé. De ces jeunes qui partent, nombreux sont ceux qui ne reviennent pas – et on ne peut guère les en blâmer, sans doute… Mais d’autres reviennent – et les anciens restent. Pour prix de leur péchés, ils se doivent de perpétuer le village de Koryo – et c’est leur village, c’est celui de leurs ancêtres : les pires maléfices de Gen ne sauraient les en faire fuir ! Senzo, qui connaît donc quelque peu la spiritualité chrétienne, discute abondamment avec le vieil homme – supposant à bon droit que des siècles à subir le joug de Gen malgré les pratiques cultuelles shintoïstes et bouddhistes, voire les exorcismes qui en découlent, ont pu favoriser la conversion de la petite communauté au christianisme… Senzo obtient d’ailleurs confirmation de ce que les ruines où ils se sont battus étaient celles d’un petit sanctuaire où un ermite, il y a quelques siècles de cela, pensait pouvoir affronter les maléfices du renard… et a perdu la bataille. Mais la conversion, en dépit de tous les espoirs qu’elle avait suscités, n’a au fond rien changé, et, si les paysans s’y tiennent, dans le doute, le fait est qu’ils sont plus fatalistes que jamais. L’onmyôji en apprend aussi davantage sur la petite forêt de Koryo, de l’autre côté du village : c’est un forêt maudite, très dense, coincée entre les collines – la lumière du soleil n’y pénètre qu’à peine, et rôdent dans les bois nombre d’esprits, yôkai de toutes sortes et âmes en peine des innombrables victimes de Gen… dont bien des fiancés n’ayant jamais pu se marier, ou des jeunes époux que le malheur a vite frappés, dans la joie même des cérémonies.
[III-4 : Gen] La conversation n’est pas à sens unique : à mesure que le vieil homme, parfois appuyé par ses villageois, évoque la malédiction pesant sur le village de Koryo et la vilenie de Gen, les aventuriers jouent franc jeu, et ne cachent rien de leur situation, de leur propre malédiction. Les villageois ne sont pas le moins du monde méfiants : tout les incite à croire chacune des paroles des aventuriers. Du coup, ces derniers expliquent qu’ils ne peuvent pas passer la nuit au village – mais ils ne s’enfonceront certainement pas dans la foret hantée pour l’heure ! Et l’idée de dormir dans les ruines où Gen vient tout juste de se manifester ne les enchante guère… Les villageois les guident jusqu’à une grange inutilisée à mi-distance : c’est là que s’installe le petit groupe.
[III-5 : Hideto, Yasumori, Ayano : Sekine Senzo ; Gen, Shim Na Yung] La fin est proche – tous le savent. Ils sont arrivés à Koryo, et ne pourront pas atermoyer. La discussion reprend donc sur les moyens de se libérer de la malédiction de Gen – avec la crainte de devoir livrer bataille sur son terrain… Entrer dans la forêt de Koryo leur paraît suicidaire : ils vont donc tenter d’attirer le kitsune en dehors – peut-être dans les ruines, du bon côté du village ? Mais c’est aussi l’occasion, en dernière extrémité, de revenir sur les idées qu’ils avaient développées en chemin : Hideto pourra certes user de ses gâteaux aux haricots rouges (le village est pauvre, mais il y a néanmoins de quoi cuisiner ce genre d’appâts), mais l’idée de Yasumori, tournant autour de son mariage avec l’esprit renard, s’associe aux projets théâtraux d’Ayano, à la lumière des derniers développements. La marionnettiste a beaucoup d’idées, et se met en place un projet de représentation théâtrale, mêlant marionnettes et « vrais comédiens » (eux-mêmes, en fait), qui consisterait dans un premier temps à mettre en scène l’histoire de Gen et de la princesse Shim Na Yung, dans une perspective d’excuses rituelles pour les méfaits causés par les ancêtres des aventuriers, introduisant le moment venu une offre de « réparation » consistant en le mariage du renard avec la charmante Yasumori. Ayano a bien conscience qu’il lui faudra réaliser une prestation extraordinaire – véritablement brillante, dans le texte comme dans l’exécution : le kitsune ne se contentera pas de moins. Mais elle est persuadée que c’est la meilleure carte à jouer, et le petit groupe l’approuve (dont Maître Senzo, tout disposé à l’aider pour rédiger le texte de la pièce – la conjonction de leurs deux éruditions, si différentes, pourrait aboutir à quelque chose d’intéressant !) –, ainsi que les paysans de Koryo quand ils leur font part de leur plan. Ils décident ensemble de jouer la pièce dans les ruines où ils ont survécu à l’embuscade de Gen, choix accepté là encore par les villageois ; ils fixent enfin la date de la représentation à la prochaine pleine lune, ce qui leur laisse quelques jours pour peaufiner le texte et les accessoires : la première du spectacle sera aussi la dernière, ils le savent très bien – ils n’ont pas droit à l’erreur… Mais, tandis que l’heure de la représentation approche, Ayano et Senzo, travaillant sur le texte, après que la première a conçu des marionnettes adaptées, vêtues de kimonos qu’elle a dessiné et conçu en empruntant à ses propres vêtements et à ceux de Yasumori (les paysans de Koryo sont bien trop pauvres pour disposer d’étoffes de qualité), ont la conviction de faire un bon travail – un excellent travail, même...
[NB : Les joueurs, jusqu’alors, n’avaient que rarement eu recours à leurs Points de Destin et Points de Personnage (si ce n’est Yasumori çà et là, et Hideto quand il lui avait fallu adresser le message secret à la forteresse d’Ashiga Tomo assiégée), mais ils lâchent tout au fur et à mesure du déroulement de cette ultime séquence ; je ne vais pas tenir le détail des dépenses, seulement mentionner à l’occasion les résultats les plus brillants : or l’élaboration du texte de la pièce par Ayano et Senzo, pour le coup, relève largement de la réussite exceptionnelle, et, par la suite, Ayano se montrera toujours plus que compétente dans la gestion de la mise en scène, que ce soit au stade de la préparation ou en cours même de représentation, quand la tournure des événements lui imposera d’improviser.]
[Ellipse de quelques jours, durant la préparation de la pièce, jusqu’à la pleine lune, date retenue pour la représentation.]
IV : LE THÉÂTRE À L’ORÉE DES BOIS
[IV-1 : Ayano : Gen] Le grand soir est venu. La nuit est tombée, et la pleine lune dégagée éclaire les ruines où a été montée la scène. Outre le dispositif proprement théâtral, d’autres éléments ont été agencés, dont une table riche en victuailles (autant que faire se peut dans le pauvre village de Koryo, qui a néanmoins sacrifié ses réserves dans l’espoir que la pièce de théâtre mise en scène par les étrangers les débarrasse enfin de Gen), comportant entre autres de ces pâtisseries aux haricots rouges dont raffolent les kitsune… Les villageois viennent ensemble pour assister à la pièce, dont l’ouverture ne tardera plus guère ; en fait, au moment précis où Ayano, plus que jamais maîtresse de cérémonie, assurant le récital de la pièce autant que son accompagnement musical et gérant par le menu tous les détails de la mise en scène, commence à se demander s’il ne faudrait pas commencer, Gen fait son apparition… et sans artifices ou déguisement : il apparaît sous la forme d’un renard bipède vêtu d’un kimono anachronique mais de qualité d’où jaillissent ses neuf queues. Il rejoint d’ailleurs le théâtre sans la moindre débauche d’effets spéciaux, se contentant d’arriver « naturellement », à pieds et sans escorte ; seul petit détail incongru à cet égard : il a emporté avec lui une bûche… Arrivé sur place, il adresse quelques signes de tête polis mais narquois aux paysans terrifiés, fait une halte à la table où sont entreposées les victuailles pour razzier les gâteaux aux fruits rouges, dont il se bâfre littéralement, puis, faisant s’écarter deux villageois dont le vieil homme qui dirige la communauté, il prend place entre eux au premier rang, la bûche entre les pattes : le spectacle peut commencer – il le fait clairement entendre entre deux bouchées de gâteaux, équivalent dans ce cadre d’un mangeur de pop-corn dans une salle de cinéma...
[IV-2 : Ayano, Takemura, Yasumori, Hideto : Sekine Senzo] Premier acte. Ayano fait des merveilles, déployant tous ses talents d’artiste – car elle est à l’évidence extrêmement talentueuse, bien plus que ce que son statut de marionnettiste ambulante pouvait laisser supposer : elle allie ici au divertissement populaire une qualité de fond digne des plus éminents dramaturges. Le texte conçu avec Maître Senzo coule tout seul, avec naturel, aussi élégant que poignant. La mise en scène est à l’avenant, qui repose aussi sur la disposition de ses compagnons : Ayano dirige le spectacle au centre ; à sa droite se trouvent Senzo et Takemura ; à sa gauche, Yasumori et Hideto. Tous font office de « chœur » des accusés – les descendants endossant les méfaits de leurs ancêtres ; ils ne sont pas des comédiens brillants, quant à eux, mais Ayano les a suffisamment formés pour qu’ils jouent leur rôle dans cette représentation cruciale. Le spectacle est de très bonne tenue – et Ayano sait l’orienter de sorte qu’il implique directement Gen, mais avec subtilité. Le rusé kitsune est sans doute imbattable sur le plan du bluff, mais Ayano se montre très fine dans son propre registre, et cela semble fonctionner : en tout cas, Gen a l’air de plus en plus intéressé, happé même par le récit et sa mise en scène – au point d’avoir abandonné son comportement de rustre gourmand. Ayano a le sentiment que le poisson a mordu à l’hameçon, mais se garde bien de tout triomphalisme prématuré : au contraire, elle sait apporter à la pièce les inflexions qui lui semblent les plus productives pour captiver le plus éminent de ses spectateurs.
[IV-3 : Gen : Shim Na Yung] La pièce en arrive au deuxième acte : la mise en place achevée, le récit approche d’un premier morceau de bravoure, son moment le plus périlleux peut-être – la reconstitution des noces de Gen et de la princesse Shim Na Yung… et le meurtre de cette dernière. La tension est palpable – pour tout le monde… Mais Gen a encore des tours dans son sac, et, volonté délibérée de nuire à la pièce ou autre chose, il en perturbe le déroulement en faisant arriver « les siens » en pleine représentation : tout un cortège d’esprits et de fantômes, ses familiers de la forêt de Koryo, complices et victimes, qui arrivent en groupe et s’installent nonchalamment au milieu des paysan apeurés – mais suffisamment contenus pour ne pas fuir en hurlant : le vieux chef de la communauté y a veillé. Pourtant, la scène est aussi folle que terrifiante…
[IV-4 : Takemura, Ayano, Yasumori, Hideto : Gen, Sekine Senzo, « Aki »] Et Gen a pris soin de mêler à ce cortège démoniaque des personnages inédits, destinés à désarçonner les comédiens : Takemura remarque ainsi, parmi la foule, des soldats défunts qui furent ses compagnons d’armes, peut-être ceux-là même qui l’ont incité à prendre sa retraite – autant de morts-vivants dont les blessures fatales marquent l’apparence : là un jeune homme décapité, ici un autre compagnon à la main droite tranchée, un troisième les yeux crevés et ruisselant de sang… Senzo, quant à lui, voit le daimyô à la cour duquel il avait longtemps servi – mais qui avait dû mourir par seppuku après qu’il avait rejoint le « mauvais camp » à la bataille de Sekigahara ; le vieux noble a le ventre ouvert, dont jaillissent régulièrement les tripes, qu’il « range » autant que faire se peut à chaque fois, avec des gestes qui auraient été burlesques si le tableau n’était pas si terrifiant. Concernant Ayano, c’est sa défunte sœur Aki qui fait son apparition – la prostituée ivrogne de Kengo, dont le corps porte les stigmates de sa rude vie… et de sa fin tragique, victime de la malédiction du sabre. Yasumori, elle, l’orpheline, revoit ses parents – le couple aimant et souriant qui l’avait élevée, toute petite, à Nagasaki, dans cette époque bénie où elle n’était qu’une enfant comme les autres, dans cette ville qui lui plaisait tant ; Hideto, enfin, remarque immanquablement parmi la foule certains de ses clients « mécontents », parfois, autant le dire, ses victimes… et nombre de chats, ses petits animaux de compagnie, tant aimés, qui l’avaient suivi au fil de ses errances.
[IV-5 : Takemura, Ayano : Gen ; Shim Na Yung] La plupart des « comédiens » s’attendaient à quelque mauvais tour de la sorte, et, globalement, ils l’encaissent plutôt bien… Mais Takemura est visiblement perturbé, et Ayano s’en rend compte. Or son rôle sera bientôt crucial dans la pièce : lui qui porte toujours le sabre maudit dans son fourreau est supposé le déposer comme en offrande devant le public – et donc devant Gen – avant la grande scène du meurtre de la princesse Shim Na Yung. Ayano redoute qu’il n’en soit pas capable, ou tente alors de commettre quelque bêtise… Elle improvise : tout en adaptant le texte sur le moment, avec l’aisance des plus grands artistes, elle déambule sur la scène, et, passant devant Takemura, elle lui demande le sabre ; le vieux soldat, livide, comprend bien la raison de cette modification imprévue, et lui donne l’arme maudite, qu’Ayano va déposer devant la scène, à la place prévue.
[IV-6 : Ayano : Gen ; Shim Na Yung] La tentative de Gen de perturber le cours de la pièce a donc échoué ; mais le kitsune n’en est que plus impénétrable… Il a l’air d’être captivé par la pièce – ne tenant pas compte du manque de réussite de son intervention. Ayano se demande s’il a compris qu’elle avait improvisé – et si cela doit changer quelque chose à la suite de la représentation… Elle n’a de toute façon pas le choix : avec ses marionnettes, elle « joue » le meurtre de Shim Na Yung, et le désespoir non feint du prince Gen ; elle s’y prend bien, le résultat est aussi émouvant qu’artistiquement bien conçu – le renard ne semble certes pas réagir, mais, plus exactement, c’est qu’il contient l’expression de ses sentiments. Ayano sait cependant qu’elle n’aurait jamais pu faire mieux, de toute façon, et poursuit.
[IV-7 : Ayano : Sekine Senzo] Car la pièce n’est pas finie : elle a un troisième acte, qui lui est propre, et inconnu en tant que tel dans la vieille légende conservée dans les archives d’Ashiga Tomo – les excuses des descendants des officiers traîtres, sinon des officiers eux-mêmes… C’est ici que la pièce prend une tournure plus « rituelle », qui en change l’allure générale, même si Ayano et dans une moindre mesure Senzo ont fait en sorte que le propos demeure cohérent. Cette fois, la marionnettiste ne présage pas du théâtre jôruri à venir, mais emprunte des procédés au théâtre nô, pour exprimer la dimension spirituelle et surnaturelle du récit. Cela va cependant au-delà : il est temps pour les « comédiens », qui constituaient jusqu’alors le chœur maudit se répandant en solennelles excuses quand le texte y appelait, de rendre ces excuses plus concrètes… en simulant le seppuku.
[IV-8 : Takemura, Hideto, Yasumori : Gen, Sekine Senzo] Takemura est le premier : avec la dignité quelque peu sèche qui sied à son passé martial, le vieux soldat promène un tantô sur son ventre, simulant à la perfection ce rite auquel il avait sans doute déjà assisté. Mais Gen, qui en revient à ses sinistres farces, décide de perturber à nouveau le cours de la pièce : alors même que Takmura se contente de simuler le seppuku, le vieux soldat comme ses compagnons et l’ensemble de l’assistance voient ses tripes fumantes se répandre devant lui ! L’illusion est parfaite – dans l’assistance, plusieurs paysans tournent de l’œil… mais, plus gênant, Hideto aussi blêmit. Les autres encaissent le coup : c’est une illusion, rien d’autre, ils le savent, et déploient des trésors de concentration pour conserver leur sang-froid. Ce dernier trait de caractère, marqué chez Sekine Senzo, lui permet de dépasser la répétition sur son propre ventre de la même illusion. Yasumori, chez qui le rite est subtilement différent, du fait de son vœu d’épouser Gen, qu’elle doit exprimer alors, joue justement de cette implication tout autre pour faire la démonstration de son assurance et permettre à la pièce de suivre son cours.
[IV-9 : Hideto, Ayano, Yasumori] Mais Hideto… bloque. Alors qu’il sait bien qu’il ne s’agit que d’une simulation, au moment d’appuyer le tantô sur son ventre, il est obnubilé par l’idée d’effectuer véritablement le seppuku – d’autant qu’il voit toujours, lui, les simulacres de tripes tombés devant chacun de ses compagnons. La pièce, qui jusqu’alors suivait magnifiquement son cours même au milieu des pires difficultés, en est cette fois affectée de manière visible : les trésors d’inventivité d’Ayano lancée dans une improvisation particulièrement ardue n’y changent rien, et la tentative désespérée de Yasumori décidant « d’aider » Hideto à simuler le seppuku sonne faux… au point où ça en devient franchement gênant. Ayano, tant bien que mal, conclut la pièce – la représentation parfaite a été gâchée par cet ultime ratage.
V : RÉCEPTION CRITIQUE DE LA TRAGÉDIE
[V-1 : Ayano : Gen, Sekine Senzo] Mais Gen, après un silence prolongé et très inconfortable, se met à applaudir – d’abord très lentement, et seul, puis de manière plus vive, et il est enfin suivi par les esprits et autres fantômes de la forêt de Koryo, et enfin par quelques paysans indécis. Il se lève, tend les bras pour obtenir le silence – qui tombe d’un seul coup –, puis prend la parole : il remercie tout d’abord « la troupe », et de manière sincère à vue de nez ; depuis des siècles qu’il s’attire l’inimitié des hommes, c’est bien la première fois que ses victimes tentent d’user avec lui de quelque chose de subtil et même raffiné – quel contraste avec cette théorie de brutes se jetant sempiternellement sur lui, persuadés de mettre fin à sa longue existence d’un coup de sabre mal assuré ! Les autres… se contentaient toujours de larmoyer sur leur sort, implorant la pitié du renard – il les imite, alors, ridiculisant ces pathétiques geignards ! Dans le fond, peut-être la démarche des aventuriers n’est-elle pas très éloignée de ces médiocres tentatives – mais elle a pour elle d’avoir été distrayante et inventive, et finalement bien plus honorable : au moins ont-ils reconnu les torts de leur lignage ! Les compliments du kitsune visent alors tout particulièrement Ayano, qu’il félicite pour son art – louant aussi le texte conçu avec Maître Senzo. Remarquable ! Qu’importe le petit ratage final – même s’il promet d’y revenir : le fait est que c’était du grand art ! Le renard dit même que, un siècle ou deux plus tard, pour une aussi belle pièce de jôruri, Ayano aurait pu être acclamée dans les meilleurs théâtres d’Osaka, peut-être même entrer dans l’histoire à l’instar de ce Chikamatsu qui n’est même pas encore né… Hélas pour elle, cette représentation unique sombrera inévitablement dans l’oubli. Ce qui lui importe peu, cela dit : il a apprécié le spectacle, et c’est bien l’essentiel. La Dramaturge s’en contentera, sans doute ?
[V-2 : Gen] Le renard s’interrompt – puis leur adresse à tous un grand sourire carnassier : cette représentation produira-t-elle ses fruits ? Gen les libèrera-t-il de sa malédiction ? Il laisse un silence pesant s’instaurer… Puis tranche enfin : oui ! Il a vraiment apprécié. Mais il est un critique exigeant… Et en position de force : il pose ses conditions, au nombre de deux.
[V-3 : Yasumori : Gen ; Shim Na Yung] Gen se tourne tout d’abord vers Yasumori – qui offrait donc d’épouser le kitsune en paiement des crimes de ses ancêtres. L’idée séduit le renard – d’autant que la jeune fille n’est pas seulement charmante... Fort charmante en vérité ! [NB : le joueur avait régulièrement dépensé PD et PP dans ses jets de Charme, Compétence de toute façon élevée à la base chez Yasumori, et a obtenu des succès considérables.] Mais le renard perçoit aussi tout son cynisme, son égocentrisme marqué, sa morale très relative… et son goût des mauvaises farces ! Elle n’en est que plus séduisante à ses yeux. Oui, elle fera une épouse très satisfaisante – bien plus, si ça se trouve, que la pauvre Shim Na Yung en son temps… Yasumori n’en dit rien, restant digne telle une fiancée dans ces circonstances, mais elle n’en pense pas moins : ils ont bel et bien des points communs – et épouser le renard, au fond, n’a rien d’un sacrifice pur elle ! Gen en est ravi : il y aura enfin un mariage en forêt de Koryo ! Les paysans rentrent la tête…
[V-4 : Hideto, Yasumori : Gen] Puis Gen se tourne vers Hideto – qui voyait venir le coup, s’il n’osait rien dire… C’est la deuxième condition du renard : il ne se satisfera pas du lamentable ratage de l’apothicaire. Déjà qu’à tout prendre il ne devrait pas se satisfaire d’un simulacre en la matière, dit-il en dévisageant ses autres « victimes »... Mais il est bon prince : Hideto seul devra mourir. Qu’il accomplisse le seppuku – qu’il l’accomplisse vraiment –, et le kitsune libèrera les survivants de la malédiction du sabre ! Hideto sait qu’il n’a pas le choix – mais cela n’arrange en rien les choses : sa volonté trop faible, en dépit de tous ses efforts, ne lui permettra jamais de s’ouvrir le ventre… Et tout le monde ici en est conscient. La situation semble coincée dans une impasse, malgré les fiançailles de Gen et de Yasumori… et cela réjouit visiblement le renard, dont le sourire carnassier se fait plus inquiétant encore, si c’était possible ! Le silence est pesant…
[V-5 : Takemura, Hideto : Gen] Mais c’est Gen qui le rompt enfin : oui, le renard est bon prince ! Il permettra à Takemura d’officier en tant que kaishakunin pour Hideto – qu’il use du sabre maudit pour trancher la tête de l’apothicaire, à la condition que celui-ci ait bien fait le geste de se suicider, et Gen récompensera le vieux soldat en lui léguant le katana libéré de sa malédiction. Takemura n’est pas très enchanté à cette idée – même s’il sait que c’est là une sortie honorable, et qu’officier en tant que kaishakunin n’a en principe rien du travail d’un bourreau ; en la circonstance présente, cependant… Le vieux soldat demeure digne, mais tente de négocier : il est tout disposé à mourir à la place de Hideto – l’apothicaire est encore jeune, il a bien des choses à vivre… Cela énerve Gen – et la tension monte d’un cran : il ne négociera pas ! Il se montre déjà bien trop généreux avec cette offre, que l’on n’abuse pas de sa gentillesse ! Il le ferait chèrement payer… Chose que Takemura, qui, l’espace d’un instant, avait songé à se ruer sur le renard sabre en main, sait fort bien : l’emporter sur le renard est peu vraisemblable, et si, par miracle Takemura parvenait à le tuer, nul doute que le kitsune emporterait avec lui dans la tombe tout le village de Koryo assemblé ici même… ainsi que ses compagnons, dont Hideto, décidément condamné. Takemura se résout à obéir à Gen – alors même que Hideto en larmes le prie d’accepter : il est dévasté par la honte… Takemura prend place aux côtés de l’apothicaire ; Hideto, au milieu des sanglots, trouve enfin la force d’âme nécessaire, et enfonce le tantô dans son ventre dans un cri de douleur, de honte et de rage mêlées. Takemura, avec application et sans plus attendre, livre le plus beau coup de sabre qu’il ait jamais exécuté sur tant de champs de bataille : la tête de Hideto roule par terre, et l’apothicaire s’effondre en avant sur sa propre lame – le seppuku a été exécuté dans les formes, l’apothicaire est mort honorablement.
[V-6 : Takemura : Gen ; Kuzuri Hideto] Takemura, abattu par son rôle tout en en pesant bien la dignité et la nécessité, se tourne alors vers Gen – non sans colère dans ses yeux. Le renard le fait mariner quelque temps, avec son sourire plus carnassier que jamais, puis offre un spectacle plus débonnaire et gentiment moqueur : il est certes un farceur, mais pas un menteur, en pareilles circonstances du moins… D’un geste majestueux, et d’une extrême lenteur, il redresse la lame maudite, que Takemura tenait pointée vers le sol et qui dégoulinait du sang de Hideto : avec soin, Gen passe sa patte droite sur le fil de la lame, en en essuyant le sang – puis, en se montrant autrement léger, il affirme que « c’est fait » : le sabre est débarrassé de sa malédiction. Et, aux oreilles de tous ceux qui sont rassemblés dans les ruines, cela ne fait aucun doute – le kitsune a bien tenu sa promesse : d’une manière ou d’une autre, ils savent qu’il a tenu parole.
[V-7 : Yasumori, Ayano, Takemura : Sekine Senzo, Gen ; Kuzuri Hideto] Yasumori comprend qu’il est temps pour elle de faire ses adieux : elle se montre assez démonstrative envers Ayano, dont le talent seul a permis de parvenir à cette conclusion heureuse – plus heureuse que tout autre, du moins… Elle se montre plus expéditive concernant Takemura… et le cadavre de Hideto, qu’elle honore cependant d’un hochement de tête. Quant à Maître Senzo… Le sourire chafouin et les yeux rieurs, elle se moque une dernière fois du « couard pédant », qui n’ose rien répondre. Gen, resplendissant dans son apparence de renard – vêtu pour le mariage, maintenant –, et visiblement des plus réjoui, saisit alors sa promise par le bras, non sans délicatesse, et jette à l’assistance médusée : « Un mariage en forêt de Koryo ! » Puis tous deux s’avancent à la lisière des bois, Gen appuie sa patte contre un tronc, et les fiancés sont engloutis ensemble dans l’arbre…
[V-8 : Ayano, Takemura : Sekine Senzo ; Kuzuri Hideto] Le départ du renard et de sa promise – bientôt suivis par tous les esprits de la forêt – a plongé les ruines dans un profond silence. Ayano, Takemura et Senzo échangent des regards interloqués, peut-être pas tout à fait convaincus de ce qui s’est produit – sans doute la plus heureuse des fins qu’ils pouvaient souhaiter, pourtant ! Même en prenant en compte le cadavre du pauvre Hideto, accusateur, et sa terrible humiliation – qu’une mort honorable a peut-être racheté, sans vraie certitude… et sans que cela ait rendu la scène moins douloureuse, en tout cas. Les villageois sont tout aussi perplexes. Ils ne semblent tout d’abord pas bien réaliser les conséquences de la scène… Mais, bientôt, des chuchotis en témoignent, ils comprennent : leur village est enfin libéré de sa malédiction ! Après des siècles, des millénaires peut-être, à souffrir des méchantes facéties de Gen, ils sont enfin libres ! Pourtant, ils ne se répandent pas en cris de joie… Sentiment que comprennent les aventuriers : eux-mêmes ne réalisent pas tout à fait qu’ils ont, autant que faire se peut, obtenu de ne plus être maudits. Mais il y a autre chose, chez les villageois… Un non-dit, qu’exprime enfin, après quelques atermoiements, le vieil homme à la tête de la communauté : peuvent-ils prétendre avoir triomphé du « démon » ? Loin de là ! Ils ont pactisé avec lui… C’est donc lui qui l’emporte, en définitive ! Nul remerciement, donc, pour avoir libéré le village de Koryo de sa malédiction… Et Ayano, Takemura et Senzo ne se sentent pas de protester contre l’ingratitude manifeste des villageois. Taciturnes, ils ne s’attardent pas davantage à Koryo – ce village qu’ils ont sauvé, en se sauvant eux-mêmes… Mais quelque chose ne va pas ; ils le sentent bel et bien, d’une manière ou d’une autre. Et ils reprennent la route, incertains quant à leur avenir dans ce monde cruel et changeant...
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