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L'Appel de Cthulhu (V7) : Kingsport, la cité des brumes

Publié le par Nébal

L'Appel de Cthulhu (V7) : Kingsport, la cité des brumes

L’Appel de Cthulhu (V7) : Kingsport, la cité des brumes, Sans-Détour, [1963-1965, 1991, 2003] 2017, 160 p.

 

KINGSPORT AT LAST

 

Alors, celui-ci, je l’attendais depuis un bail… Kingsport était la seule des « quatre villes lovecraftiennes » à ne pas avoir droit à son supplément dans la gamme de L'Appel de Cthulhu chez Sans-Détour. Or les guides des trois autres étaient bons, voire très bons, même si j’aurais tendance à placer Dunwich en tête (un merveilleux cadre « bac à sable », bien conçu, avec une belle ambiance, et aussi enthousiasmant que terrifiant) et Innsmouth en dessous (un supplément très ambitieux, mais d’un maniement bien plus délicat, car l’adversité se doit d’y être conséquente, c’est après tout l’âme même du sinistre petit port – d’où un cadre de jeu très mortifère, pas évident d’y jouer à terme), ce qui laisse la place intermédiaire à Arkham, forcément le plus classique des trois – néanmoins un très bon supplément, et d’un usage sans doute plus « évident ».

 

Ces trois suppléments, éventuellement (grands) anciens, avaient été publiés pour la V6 sous l’intitulé Les Terres de Lovecraft (on disait semble-t-il auparavant Le Pays de Lovecraft), et pouvaient être complétés par quelques autres, comme L’Université Miskatonic, notamment. Arkham, Dunwich, Innsmouth La suite logique aurait été Kingsport, la dernière des villes fictives de Nouvelle-Angleterre figurant dans les nouvelles de Lovecraft – ou en fait la première, puisqu’elle a été employée par l’auteur avant toutes les autres (j’y reviendrai). Mais non – rien. Ces trois suppléments avaient été publiés par Sans-Détour en 2010-2011, j’attendais Kingsport depuis cette époque… En vain.

 

Or le supplément existait – et je le savais très bien. Les guides que je viens d’évoquer reprenaient pour l’essentiel des suppléments antérieurs – les publications originelles de Chaosium avaient le plus souvent été traduites chez Descartes. Et cet ancien éditeur français de L’Appel de Cthulhu avait publié Kingsport, cité des brumes en 1992, sur la base du supplément en anglais signé Kevin Ross (paru la même année !). Mais ce volume était épuisé de longue date… Et, à mes yeux, l’absence de tout supplément consacré à Kingsport chez Sans-Détour était donc particulièrement regrettable.

 

Mais, aujourd’hui, nous l’avons enfin. Il a fallu un prétexte, qui j’imagine en vaut bien un autre : le financement participatif des Contrées du Rêve. Quel rapport ? Eh bien, Kingsport, telle qu’elle a ici été extrapolée notamment sur la base de la nouvelle « L’Étrange Maison haute dans la brume », est intimement liée à la facette onirique de l’univers lovecraftien – la ville bénéficie sans doute de cette ambiance à part, et, comme la nouvelle citée, elle peut constituer une sorte de pont entre le Monde de l’Éveil et les Contrées du Rêve. La dimension onirique du supplément est donc appuyée. Sous cet angle, associer Kingsport, la cité des brumes à ce financement participatif était assurément pertinent (et depuis le temps que je l’attendais, de toute façon…). Il me semble toutefois utile de préciser que cette association, si elle est possible et sans doute profitable, n’est pas pour autant une obligation – et, si Kingsport, la cité des brumes a été inclus dans l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve, il me semble que l’on peut l’employer indépendamment, ou du moins sans que la possession du supplément Les Contrées du Rêve au sens strict ne soit un prérequis.

 

Précisons enfin que, comme l’essentiel de ce dernier supplément, le présent volume n’a rien d’inédit, et reprend le supplément Descartes antédiluvien – simplement adapté à la 7e édition de L’Appel de Cthulhu.

 

FORMELLEMENT

 

Et, bien sûr, à ses codes éditoriaux. Comme Les Contrées du Rêve, le présent supplément, sous une belle couverture rigide (mais moins lourde que du temps de la V6 et c'est tant mieux) signée Loïc Muzy, adopte une pagination en trois colonnes, mais globalement moins fatigante que dans le précédent supplément, car plus aérée. Il en va de même pour la dimension graphique, qui fait le grand écart entre des photographies d’époque (et d’autres « reconstituées » ?) et, surtout pour les scénarios, des illustrations remontant j’imagine à l’édition originale, et, bizarrement, ce n’est pas sans charme, ai-je trouvé…

 

Un regret tout de même, mais minime : il n’y a pas de carte détachée et grand-format de Kingsport. J’ai cru comprendre qu’il y en avait eu une dans le financement participatif « Prestige » de la 7e édition ? Qu’importe : elle manque un peu ici – d’autant plus, en fait, dans la mesure où nous parlons d’une autre édition « Prestige » où cette carte aurait bien davantage été à sa place… Mais ce n’est pas rédhibitoire, car les annexes se concluent sur neuf pages de cartes en très gros plan (de même que les aides de jeu, ça fait toujours plaisir) : les environs de Kingsport, la vue d’ensemble de la ville, et les sept quartiers, très détaillés. Des cartes claires et pratiques – ça compense utilement l’absence du poster, qui, soyons honnêtes, aurait été appréciable mais éventuellement un peu gadgétoïde.

 

Côté gadgets, d’ailleurs, il faut sans doute mentionner ici la petite brochure touristique émise par la Chambre de Commerce de Kingsport… L’idée n’est pas mauvaise – car Kingsport a bel et bien des prétentions touristiques, elle se veut accueillante, et l’est, globalement : elle est sous cet angle l’exacte opposée de Dunwich ou Innsmouth. Hélas, la finition du document laisse plus qu’à désirer – et son papier sans doute trop fin est à cet égard bien moins nuisible que sa traduction à l’arrache…

 

En fait, il s’agit – comme souvent, hélas – du principal problème « formel » de ce supplément : une traduction au mieux médiocre, souvent maladroite, croulant sous les anglicismes, calques et faux-amis… Mais bon : il semblerait donc que s’en plaindre revienne uniquement à pisser dans un violon, et comme je n’ai pas de violon à proximité, hein...

KINGSPORT ET LOVECRAFT

 

Mais Kingsport, donc. Avant de nous pencher sur le supplément à proprement parler, sans doute faut-il remonter un peu aux sources...

 

Généralités

 

Kingsport est la première ville fictive de Nouvelle-Angleterre créée par Lovecraft : elle précède de peu Arkham, de beaucoup plus Dunwich et Innsmouth. La ville, sauf erreur, fait en effet son apparition dans la nouvelle « Le Terrible Vieillard », rédigée en janvier 1920 – Arkham n’apparaîtra (et, en fait, simplement mentionnée en passant pour l’heure, sans autres développements) que dans « L’Image dans la maison déserte », nouvelle rédigée en décembre de la même année.

 

Mais peu de nouvelles, en fait, usent pleinement du cadre de Kingsport – même s’il est donc récurrent, ce que ne sont pas vraiment Dunwich et Innsmouth (sinistres patelins qui ont chacun leur nouvelle, respectivement « L'Abomination de Dunwich » et « Le Cauchemar d'Innsmouth », et ne sont autrement, et au mieux, que mentionnés en passant). Après « Le Terrible Vieillard », la ville ne ressurgira véritablement que dans deux autres nouvelles : « Le Festival », rédigée en octobre 1923, et enfin « L’Étrange Maison haute dans la brume », rédigée en novembre 1926 ; on peut d’ailleurs noter que cette dernière nouvelle a été conçue immédiatement après « L’Appel de Cthulhu », et que « Le Festival », bien qu’antérieure à cette nouvelle séminale, est parfois incluse dans la notion contestée de « Mythe de Cthulhu ».

 

En dehors de ces trois textes, nous ne trouvons guère que quelques allusions çà et là, même si elles ont été dûment compulsées pour la rédaction de ce guide : par exemple, dans Les Montagnes Hallucinées, on évoque une station radio sur Kingsport Head, qui est ici reprise – elle est censément en travaux en 1928, date canonique du supplément, et apparaît d’ailleurs comme telle dans le premier des trois scénarios le concluant.

 

Mais trois nouvelles, donc – et dont, bonne idée dans le fond même si, formellement, ça coince plus qu’à son tour du fait d’une traduction déficiente, deux sont reproduites intégralement en tête de volume, « L’Étrange Maison haute dans la brume » et « Le Festival » (dans cet ordre, ce qui est peut-être significatif).

 

Le Terrible Vieillard

 

Manque donc à l’appel « Le Terrible Vieillard », mais, à vrai dire, on s’en passe probablement très bien : c’est une très brève nouvelle au mieux mineure, probablement moins que cela (malgré son inclusion dans The Dunwich Horror and others, alors que les deux autres nouvelles ont été reléguées par Derleth dans Dagon and other macabre tales), et son sous-texte assez clairement xénophobe ne contribue pas exactement à la rendre plus appréciable…

 

Cela dit, ce sous-texte constitue aussi, d’un point de vue critique disons, un trait saillant voire essentiel de la nouvelle, propice à l’interprétation – même si sans guère d’assurance, avouons-le. On a l’impression, à lire ce vieux texte, que Lovecraft, qui se considérait souvent lui-même comme un anachronisme, ce qu’est à n’en pas douter le personnage, se projette dans ce Terrible Vieillard fantasmatique, qui a, quant à lui, les sombres talents à même d'opérer la nécessaire purge de ces immigrés tous voleurs qui inquiétaient tant l’auteur – et il n’hésite pas un seul instant à y recourir, dans un ricanement macabre… Généralement, dans ses nouvelles (presque toutes ultérieures, pour le coup...), on a pourtant tendance, en matière de projection, à deviner l’auteur dans ses personnages de victimes. Mais ce récit primitif et presque en forme de fable a sans doute quelque chose d’un peu puéril…

 

Qu’il n’ait pas été repris ici est plus que compréhensible, même s’il fallait le mentionner – ne serait-ce que parce que le Terrible Vieillard, même sur cette base douteuse… s’avère un excellent PNJ ! Mais d’autant plus, sans doute, que Lovecraft a su le « recycler », et avec pertinence : il joue un rôle notable dans « L’Étrange Maison haute dans la brume », nouvelle autrement appréciable – et qui développe son ambiguïté fondamentale. Pour le coup, le personnage y devient véritablement… lovecraftien.

 

Le Festival

 

Procédons par ordre chronologique dans la bibliographie de Lovecraft, et enchaînons donc avec « Le Festival ». C’est une nouvelle assez courte, et que j’aime beaucoup – même si Lovecraft a fait bien mieux par la suite.

 

En fait, à tout prendre, c’est une sorte de préfiguration du « Cauchemar d’Innsmouth », mais sur le mode décadent propre à une bonne part de l’œuvre lovecraftienne d’alors – et sans la surprenante dimension de « survival » qui voit le narrateur terrifié tenter de fuir le sinistre petit port envahi par les hybrides et les profonds… Kingsport a une atmosphère autrement feutrée, incomparablement moins physique – s’il y a menace, et sans doute y a-t-il menace, c’est de manière plus souterraine, littéralement... Les ancêtres y ont également pactisé avec des forces innommables, ce que découvre avec stupéfaction le naïf jeune homme obéissant pour le principe à leurs injonctions dont il ne connaît tout d’abord pas le moins du monde les motifs, mais l’ambiance est tout autre, davantage occulte, et, sans doute, « abstraite ».

 

Cela fonctionne très bien – et donne lieu à un développement essentiel de ce supplément, concernant « le culte de Kingsport » : passé trouble, généalogies morbides, non-dits et vilaines bébêtes, on fera difficilement plus lovecraftien.

 

L’Étrange Maison haute dans la brume

 

Reste donc « L’Étrange Maison haute dans la brume », nouvelle d'une longueur comparable à la précédente, mais c’est tout autre chose... Sans doute s’agit-il de la représentation la plus emblématique de Kingsport, celle qui lui donne sa touche si particulière. Rien d’étonnant dès lors à ce que le supplément mette l’accent sur cette nouvelle et ses implications – ce qui lui vaut entre autres de figurer sur la couverture, et d’être au cœur du premier des trois scénarios concluant ce guide, au titre éloquent, « La demeure au bord de l’abîme » (hélas d’une manière qui ne me paraît pas pertinente).

 

« L’Étrange Maison haute dans la brume », au-delà de son titre pour le moins étrange lui aussi, est un de ces récits qui permettent d’établir une passerelle entre le Monde de l’Éveil et les Contrées du Rêve – ce qui justifie le parti-pris du supplément de placer la ville entière de Kingsport sous ses auspices : à maints égards, elle définit le petit port (l’association du supplément au financement participatif des Contrées du Rêve est elle aussi justifiée de la sorte, je suppose).

 

Et c’est une nouvelle très bizarre, oui – où Lovecraft emploie, sans doute, et pas avec le dos de la cuiller, le vocabulaire du cauchemar, mais dans un cadre qui est au fond plus curieux et fascinant que véritablement menaçant. L’habitant de la maison dont la seule porte donne sur le vide (habitant que l’on appelle ici « l’Unique », pour « the One »…) a sans doute quelque chose d’un sorcier, mais sans malice – et le dieu qui lui rend visite n’est pas l’indicible Yog-Sothoth, le répugnant Cthulhu ou le vil trickster Nyarlathotep, mais Nodens, figure autrement positive (hélas ? On sait comment Derleth a ensuite détourné le procédé, sur la base notamment de ce texte et de la « black magic quote »…). La folie est bien de la partie – essentielle, sans doute… mais en fait au point où elle constitue le seul véritable antagoniste de la nouvelle. La menace pèse sur Thomas Olney, et le Terrible Vieillard, parmi d’autres, se fait l’écho de terribles rumeurs, mais il n’y a finalement pas d’autre adversité que la seule curiosité fatale du personnage – trait éminemment lovecraftien, au fond, mais généralement accompagné de figurations plus concrètes de ce qui est à craindre.

 

Cette absence de véritable antagoniste me paraît un aspect important de la nouvelle, et je crois qu’elle a eu son influence, notamment, sur les scénarios de ce supplément : deux d’entre eux procèdent ainsi, et tout particulièrement, bien sûr, celui qui tourne autour de la maison. Mais, pour le coup, c’est un principe pas forcément très aisé à mettre en scène...

 

D’autres emprunts à Lovecraft

 

Voici pour les trois nouvelles de Lovecraft mettant en scène Kingsport. Comme dit plus haut, on ne trouve guère au-delà que quelques allusions en passant, dûment reprises ici cependant. Mais Kevin Ross a en outre choisi d’intégrer à son guide des éléments appartenant à d’autres textes, en rien liés à Kingsport à la base, mais qui s’intègrent pourtant très bien dans ce cadre – très bonne idée, donc !

 

Cela vaut d’abord pour « Le Bateau blanc », qui est comme de juste un moyen d’approfondir encore un peu le lien entre le Monde de l’Éveil et les Contrées du Rêve. Cette nouvelle, intégrée au « cycle du rêve », date de 1919 – elle est donc antérieure, même de très peu, à la première mention de Kingsport dans « Le Terrible Vieillard » en janvier 1920, et a fortiori à « L’Étrange Maison haute dans la brume » ; mais, rétrospectivement, cette dernière nouvelle, employée pour justifier la porosité entre les deux univers caractérisant Kingsport, accueille fort bien cette réminiscence. Nous trouvons donc, non loin à l’est de la ville, le phare où Basil Elton guide les bateaux jusque dans la baie traîtresse, et observe parfois de curieux navires dans la brume… Même si ce qui se trouve de l’autre côté de la brume, pour le coup, on le cherchera dans le supplément Les Contrées du Rêve.

 

Kevin Ross effectue un autre emprunt tout à fait bienvenu, cette fois à la nouvelle « Horreur à Martin’s Beach » (ou « Le Monstre invisible », on trouve alternativement les deux titres), un texte écrit en collaboration par H.P. Lovecraft et Sonia Greene – ou plus exactement, semble-t-il, écrit par Sonia en 1922, et révisé par Howard en 1923, pour publication la même année dans Weird Tales ? C’était, en tout cas, avant leur mariage (1924). À quelques rares exceptions près (au premier chef « Le Tertre », peut-être aussi « La Malédiction de Yig », en fait deux récits entièrement écrits par Lovecraft, s'ils étaient signés Zealia Bishop), on ne prise guère, le plus souvent, les « révisions »… Mais j’aime bien ce texte ancien, très visuel – sur une base sans doute absurde, mais que je trouve très savoureuse, et véritablement terrifiante. Martin’s Beach, un petit village, figure ici tout près, au nord-est de Kingsport, par-delà Kingsport Head et l’embouchure du Miskatonic. Ce n’est sans doute pas un apport crucial ni débordant d’originalité, mais, avec le phare de Basil Elton, il permet d’enrichir encore un peu la dimension « horreur maritime » du supplément, qui, pour le coup, emprunte éventuellement aussi à William Hope Hodgson – le scénario « Les eaux de la perdition », notamment, donne cette impression.

 

De manière bien plus anecdotique, le scénario « Rêves et songeries », sans en être une adaptation à proprement parler, emprunte à la très décadente nouvelle « Hypnos » (dont j’avoue ne guère raffoler).

 

J’ai peut-être (probablement ?) raté d’autres références, n’hésitez pas à m’en faire part !

EXTRAPOLER LE RESTE

 

Reste qu’avec tout ceci, à s’en tenir aux seules œuvres de Lovecraft, nous ne savons au fond pas grand-chose de Kingsport. Les trois nouvelles essentielles citent plus qu’à leur tour des toponymes et des noms de personnages, mais le plus souvent sans développer – c’est, au fond, du name-dropping, et en tant que tel un outil d’ambiance qui en vaut bien un autre. Pas grand-chose à voir, pour le coup, avec Arkham, Dunwich et Innsmouth, plus précisément décrites – quitte à ce que ce soit dans une unique nouvelle. Et donc, en l'espèce, il n'y avait pas assez de matière, sans doute, pour fournir un véritable guide pleinement utilisable dans une partie de L’Appel de Cthulhu.

 

Kevin Ross a commencé par reprendre et développer tous ces éléments que je viens d’évoquer, mais il fallait aller au-delà – il fallait extrapoler. D’où cette évidence : ce guide, encore moins que celui sur les Contrées, n’est pas canonique au sens du respect scrupuleux de l’œuvre originelle – il devient, même sur des bases proprement lovecraftiennes, une œuvre en elle-même, celle pour le coup de Kevin Ross.

 

Pour ce faire, je suppose qu’il a procédé au mieux – notamment en opérant un certain retour aux sources, c’est-à-dire aux inspirations de Lovecraft lui-même ; lequel disait que Kingsport était pour l’essentiel basée sur la ville bien réelle de Marblehead. La question de la géographie lovecraftienne, au regard des sources, a pu donner lieu à des débats pour le moins… étonnants (je vous renvoie par exemple aux articles un tantinet frappadingues de Will Murray sur la question dans The Fantastic Worlds of H.P. Lovecraft, recueil édité par James Van Hise… et à leur massacre sauvage par Robert D. Marten dans Dissecting Cthulhu, recueil édité par S.T. Joshi ; ça charcle) ; mais l’approche de Kevin Ross, qui consiste donc à extrapoler à partir de Marblehead ce qui restait dans l’ombre chez Lovecraft, me paraît très pertinente, et aboutit à une ville qui a à la fois une âme, et une certaine authenticité très appréciable.

 

UNE VILLE NORMALE...

 

En fait, c’est probablement le premier aspect à mettre en avant. Kingsport, contrairement à Dunwich et Innsmouth, mais peut-être comme Arkham ? affiche d’abord sa normalité – la bizarrerie et l’inquiétude peuvent être de la partie, et le seront probablement, mais en souterrain, littéralement en creusant. En fait, le petit port de pêche a même adopté une politique visant à mettre en avant ses atouts dans une perspective touristique – et cela a fonctionné : les artistes, notamment, apprécient ce petit port un peu sauvage, mais guère éloigné pourtant d’Arkham, ou de Salem ; le meilleur de deux mondes… et sans doute un cadre plus propice encore à l’inspiration qu’ils ne le supposent, pour des raisons dont ils ignorent tout – mais ça, c’est pour plus loin.

 

Pour l’heure, Kingsport en tant que ville « normale ». C’est-à-dire une ville qui a assurément une personnalité, mais pas au point où l’agencement des quartiers relève du patchwork, défaut récurrent de l'exercice. Bien au contraire, on a l’impression d’une ville qui s’est développée « normalement » depuis sa fondation au XVIIe siècle – entendre par-là que ce développement a procédé autant de politiques délibérées que des aléas de l’histoire ; comme pour une vraie ville, en somme.

 

Kingsport a son passé, et en conserve nombre de traces – jusque dans les attractions touristiques les plus improbables, en fait typiquement celles dont les petites villes, et ça vaut pour les nôtres, se targuent un peu absurdement comme constituant des gloires dignes du dictionnaire : venez voir, ici, c’est fascinant, un boulet tiré par un navire anglais lors de la guerre d’Indépendance ! C’est que le petit port était alors un havre pour les corsaires patriotes… Plus antique encore, venez voir, c’est fascinant : à l’orée de la ville, c’est ici que se trouvait le gibet ! Car Kingsport a connu ses procès de sorcellerie, à l’instar de Salem non loin – qui en a retiré une forme de célébrité dont Kingsport a toujours été privée, c’est injuste… Mais peut-être y a-t-il des explications à cela ? Le souterrain, encore… Car le non-dit est une composante essentielle de l’histoire de la ville, et la brume affecte aussi les archives...

 

Non, trop tôt... Parlons plutôt pour l'heure d’une ville qui n’a pas seulement un passé, mais qui a su évoluer. Kingsport n’est certes plus le havre des corsaires, ni même le chantier naval relativement important qu’elle avait été fut un temps, mais demeure un port de pêche assez actif : au petit matin, le départ de la flotte tient lui aussi de l’attraction touristique – sauf que les pêcheurs (des immigrés, mais chut !) ont toujours besoin de partir en mer pour survivre : le tourisme ne les rémunère pas vraiment, eux… Et les eaux ici sont moins poissonneuses qu’ailleurs – à Innsmouth, par exemple ; mais mieux vaut, pour les pêcheurs de Kingsport, ne pas s’égarer dans ces eaux farouchement revendiquées, cela pourrait mal tourner… Il y a un précédent...

 

Puis il faut dépasser la carte postale : Kingsport n’est pas qu’un pittoresque petit port de pêche au charme sauvage, c’est une vraie ville – même à taille humaine, ce qui est sans doute appréciable. Cela implique des institutions, des commerces, des industries éventuellement (des conserveries, notamment ; la cordonnerie a par ailleurs conservé une certaine importance, ici)...

 

Et cela implique aussi... des habitants. Des gens qui, comme ces lieux, ont tous une histoire. Riches, pauvres, jeunes, vieux, hommes, femmes, Yankees, immigrés...

 

Le guide de la ville, bien conçu et d’une lecture agréable (l’emploi des numéros sur les cartes, grand format en annexes, et à travers un index fonctionnel, fait qu’il est très facile de s’y repérer), explore et détaille les sept quartiers de la ville, puis ses environs, en mentionnant nombre de lieux utiles et/ou intrigants, et les personnages qui vont avec. Tous n’ont certes pas l’étrangeté fondamentale du Terrible Vieillard – mais tous ont de la chair et de l’âme, et c'est cela qui compte ; on y trouve des personnages inquiétants, d’autres cocasses, entre les deux une infinité de degrés dans la normalité… jusqu’à ce que cet ultime concept ne puisse plus être employé qu’avec des guillemets ? À voir...

 

MAIS AUX FRONTIÈRES DU RÊVE ET DU CAUCHEMAR

 

La ville a certes ses bizarreries, ses traits « weird », mais ils interviennent d’une manière essentiellement subtile. Ils découlent en tout cas des éléments contenus dans les nouvelles « Le Festival » et « L’Étrange Maison haute dans la brume ».

 

C’est évident mais précisons-le au cas où : SPOILERS, les gens, SPOILERS – et ça vaudra bien sûr aussi pour les trois scénarios contenus dans le supplément, dont je dirai quelques mots ensuite.

 

Le culte de Kingsport

 

Commençons par « Le Festival », une nouvelle essentiellement allusive. Kevin Ross en déduit l’existence (souterraine…) du « culte de Kingsport ». Il nomme ce qui n’est nommé pas dans la nouvelle – la Flamme Verte devient Tulzscha, et est proprement un Grand Ancien. Ses adorateurs ? La nouvelle, mais là encore sans s’y attarder, laisse deviner que les anciens membres du culte sont toujours là, même morts depuis longtemps – quitte à revêtir des masques qui ne trompent guère le narrateur, et l’inquiètent en fait énormément… Faut-il y voir un présage de « Celui qui chuchotait dans les ténèbres » ? Certes, l’idée de « masque » ressurgira bien dans « Le Cauchemar d’Innsmouth », mais sur un mode métaphorique… Quoi qu’il en soit, le supplément ne s’en tient pas ici à cette incertitude, sans doute bienvenue dans un texte littéraire, beaucoup moins dans pareil guide : nous découvrons donc les Grouillants, qui, en dépit de ce nom presque risible, ont bel et bien quelque chose de parfaitement répugnant… Plus encore, sans doute, que bien des procédés décrits par Lovecraft pour vaincre la mort – un thème récurrent de ses nouvelles, en fait. Et c’est beaucoup plus dérangeant que, au hasard, un « Herbert West, réanimateur » avant tout rigolo…

 

Mais le culte demeure essentiellement mystérieux. Son histoire est méconnue : quand des habitants de Kingsport disent ne rien savoir à ce propos, ils ne mentent pas systématiquement… Mais certains mentent, oui. Car il en demeure quelque chose, de cette horrible secte – même après l’assaut mené il y a bien longtemps de cela par un courageux citoyen contre l’ancienne église congrégationniste, vérolée jusqu’à l’os… En fait d’os, il y a tout un réseau souterrain qui parcourt Kingsport, héritage du culte, qui accorde une importance particulière aux cimetières de la ville ! Le culte de Kingsport persiste, oui – mais il n’a pas pignon sur rue comme l’Ordre Ésotérique de Dagon à Innsmouth. Il n’en est pas moins redoutable.

 

Des portes sur le Rêve

 

Cependant, aussi adroitement conçu soit cet aspect du supplément, il tient sans doute du tout-venant de L’Appel de CthulhuTunnels & Cultistes, en somme… L’autre spécificité de Kingsport, qui dérive de « L’Étrange Maison haute dans la brume », est autrement notable – et c’est son rapport tout particulier au rêve. Sans doute « l’Unique » (si vous y tenez…) y est-il pour quelque chose – il semble avoir disséminé dans le ciel même de la ville quantité de portails permettant de passer par-delà le mur du sommeil. Nodens, donc, rend parfois visite, sur un mode presque amical, à l’étrange bonhomme dans son étrange maison – mais cela va sans doute au-delà.

 

En témoigne peut-être le phare, non loin, où Basil Elton, accomplissant son office avec sérieux, remarque toujours plus de navires étranges filant dans la brume – un de ces bateaux, « Le Bateau blanc », l’a un jour emporté bien loin de Kingsport, jusqu’à son ultime et fatal caprice, qui lui avait fait réclamer l'inaccessible Cathurie…

 

Consciemment ou non, le rêve est toujours là pour les habitants de Kingsport : la frontière est poreuse. Cela vaut pour un Terrible Vieillard aussi bien que pour le quidam ; le culte doit en tenir compte, mais les étrangers tout autant – résidents temporaires, comme cette colonie d'artistes qui y trouve son inspiration sans même savoir pourquoi ni comment, ou simples touristes : c’est après tout Thomas Olney qui a cherché à pénétrer dans l’étrange maison haute dans la brume – peut-être les Kingsportais y sont-ils en fait trop habitués ?

 

Quoi qu’il en soit, la dimension onirique attachée à Kingsport est clairement mise en avant dans ce supplément – qui trouve donc sa place dans l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve, même si, encore une fois, il me paraît pouvoir être utilisé indépendamment.

 

Au-delà des éléments proprement contextuels, ce parti-pris ressort notamment d’un bref article dû, non pas à Kevin Ross, exceptionnellement, mais à Mark Morrison, et intitulé « Dans l’étreinte des rêves ». Le propos est de voir comment le Gardien peut (utilement, donc au bénéfice de l’ambiance et de l’histoire) égarer les PJ en les faisant rêver – ou plus exactement cauchemarder… sans les en prévenir. Une collection de « trucs » probablement pas inconnus de nombre de MJ, mais c’est le genre de choses faussement évidentes qu’il peut-être utile de mettre brièvement en lumière – ne serait-ce que parce que, si cela va sans dire, cela va généralement mieux en le disant.

 

D’autant que le procédé, comme vous le savez, n’est pas sans danger : une maladresse à cet égard peut suffire à ruiner sa pertinence, pour sombrer illico dans le toujours frustrant « ce n’était qu’un rêve ». Il faut éviter que les PJ n'aboutissent à ce constat tristement réducteur – et encore plus sous son navrant avatar plus terrible encore : l'inacceptable « ouf, ce n’était qu’un rêve ». L’idée est donc plutôt de les perdre, mais ne pas se méprendre sur ce terme : il ne s’agit bien sûr pas de jouer contre les joueurs, mais d’enrichir l’histoire par leur perceptions faussées – la prise de conscience que l’événement qui précédait était « onirique » ne doit rien ôter à son potentiel, la possibilité que le rêve se poursuive doit être envisagée contre la tyrannie des sens, et le rêve et la réalité ne sont pas censés être par essence préférables l’un à l’autre ; seulement fonction des circonstances – et se réveiller véritablement peut bel et bien constituer l’ultime cauchemar...

SONGES BRUMEUX

 

En fait, cet article est assurément à sa place ici – car deux des trois scénarios qui concluent le recueil baignent dans une ambiance onirique et éventuellement cauchemardesque, où ces « astuces » sont plus que recommandées ; en fait, probablement nécessaires.

 

Par ailleurs, ces deux scénarios – les deux premiers, concrètement – ont à mon sens une autre particularité, que j’avais avancée plus haut : ils sont d’une certaine manière sans véritable antagoniste. Mêler ces deux dimensions n’a rien d’évident, et je suppose qu’il vaut mieux réserver la maîtrise de ces aventures à un Gardien qui a de la bouteille – et très franchement, je ne suis pas certain que je saurais en faire quoi que ce soit de pertinent, pour ma part…

 

Le troisième scénario est plus conventionnel sous ces deux angles, mais adopte là aussi une rédaction particulière, pertinente, mais requérant un travail conséquent du Gardien, en amont de la partie et sur le moment. Pas des plus faciles à mettre en scène là encore, donc…

 

Il y a un parti-pris qui avait peut-être quelque chose d’original ou novateur à l’époque, j’ai l’impression (sans rien en savoir, au fond...). À première vue, c’est assez intéressant – et j’imagine que le fait qu’aucun de ces scénarios n’implique véritablement le culte de Kingsport est éloquent à cet égard. Maintenant, si les intentions sont bonnes, la réalisation est peut-être plus ou moins convaincante ?

 

La demeure au bord de l’abîme

 

Tout particulièrement concernant « La demeure au bord de l’abîme », le plus court de ces scénarios, et qui – le titre est assez éloquent – tourne autour de « L’Étrange Maison haute dans la brume »… sauf qu’il s’agit de la faire disparaître. Un peu dommage, je trouve, de mettre en scène d'emblée cette attraction remarquable de Kingsport, mais pour s’en débarrasser aussitôt…

 

Le mélange entre rêve et réalité est ici essentiel – qui implique que les PJ fassent plusieurs fois la même chose, et notamment le trajet compliqué jusqu’à la maison, sans jamais savoir ce qui est rêve et ce qui est réalité ; ce qui, je suppose, peut faire illusion, voire fonctionner, pendant disons la première moitié de « l’aventure ».

 

Par ailleurs, il s’agit donc d’un scénario sans véritable antagoniste ; en fait, il comprend une fâcheuse rencontre avec une ombre vampirique, « pour la forme », qui ne fait pas forcément sens dans ce contexte… Un artifice flagrant, en forme de concession vaguement lasse. Peut-être destiné cependant à épicer un chouia un scénario qui ne se contente pas d’être sans véritable antagoniste, mais qui s’avère aussi… sans enjeu ? C’est à mon sens le gros souci avec cette « Demeure au bord de l’abîme » : elle n’implique jamais vraiment, et, au fond, il ne s’y passe rien – bon, prendre un thé avec l’habitant de la maison n’est peut-être pas tout à fait « rien », mais, concrètement…


Ce scénario repose donc essentiellement sur l’ambiance – et une ambiance sans vraie tension de quelque sorte que ce soit, délibérément. Ce qui peut donner une très bonne nouvelle – comme, allez savoir pourquoi, « L’Étrange Maison haute dans la brume »… Mais, dans ce scénario, c'est en évacuant même le simple vernis d'horreur dont Lovecraft faisait tout de même usage. D'une certaine manière, c'est un scénario... positif. et c'est pas tous les jours le cas dans L'Appel de Cthulhu ! Mais, à moins d’un excellent Gardien (que je ne suis pas) et d’une table parfaitement disposée à l’égard de cette proposition de jeu, je demeure un peu sceptique quant à son réel potentiel rôlistique – à la limite, en épisode inséré dans une autre aventure un peu plus consistante…

 

N’hésitez pas à me détromper si jamais. Comme d'hab'.

 

Rêves et songeries

 

Le deuxième scénario, « Rêves et songeries », reprend, du premier, ce mélange fondamental entre le rêve et la réalité, censé perdre (au moins pour un temps) les PJ, mais avec à mon sens plus d’effet car davantage de cauchemar. Il en reprend aussi, pour l’essentiel, l’absence de véritable antagoniste – même s’il est possible à terme d’employer Hypnos à cet égard, sauf que je ne suis pas bien certain que ce soit très pertinent, au-delà des seuls effets proprement cauchemardesques ici avancés.

 

Mais cette absence de véritable antagoniste ici n’est pas un problème – parce que, cette fois, elle ne se double pas d’une absence d’enjeu. Le scénario s’ouvre sur le suicide d’un jeune poète et peintre du nom de Charles Baxter, et il s’agit, pour les PJ, de comprendre ce qui l’a poussé à ce geste ; leur enquête les amènera à côtoyer la « colonie » artistique de Kingsport, et à découvrir un bien étrange livre – non pas un grimoire de plus, mais un recueil d’un poète romantique méconnu du nom de Roger Ainsley (un avatar de Justin Geoffrey ?), dont les œuvres macabres ont poussé le jeune Charles Baxter à se donner la mort. La lecture de l’ouvrage suscitera toujours plus de cauchemars chez les PJ à leur tour – c’est que Roger Ainsley, mort fou dans un sinistre asile, avait passé un pacte avec Hypnos, dont il s’est mordu les doigts ! Car, comme dans la nouvelle éponyme de Lovecraft, le dieu grec du sommeil est à même de créer des cauchemars tels que s’endormir devient toujours davantage une épreuve... jusqu'à la mort, en forme de délivrance.

 

Les PJ ont bien quelque chose à faire – davantage qu’une simple balade sur la falaise, du moins : comprendre les raisons de la mort de Charles Baxter, puis réchapper aux terribles cauchemars dont les afflige Hypnos depuis qu’ils ont lu les vers maudits de Roger Ainsley (qu’ils croisent dans ces mêmes cauchemars, qui sont au fond « dérivés » : chacun d'entre eux renvoie à un poème précis du pauvre fou ; au passage, le scénario semble avancer que, pour les PJ, reconnaître le poète va de soi, et je n’en suis pas si certain – mais ça s’arrange sans doute très facilement).

 

Mais il y a peut-être à nouveau un souci, en l’espèce ? Rien de certain, juste une interrogation de ma part – et c’est que, si les personnages ont assurément plein de choses à faire dans leurs rêves, je crains qu’ils en aient beaucoup, beaucoup moins à faire dans la réalité. Bien sûr, l’idée est d’intriquer perpétuellement les deux dimensions, mais ça peut s’annoncer difficile au bout d’un certain temps, ai-je l’impression… Un scénario à mûrir soigneusement, donc.

 

Mais il a assurément ses bons moments, avec quelques saisissants cauchemars, des personnages dans la « colonie » d’artistes un peu cliché mais souvent savoureux… et même une investigation érudite sur les poètes Wordsworth, Coleridge, Percy Bysshe Shelley, Lord Byron et John Keats ! Ce qui pourrait faire peur, là, comme ça, mais en fait j’ai trouvé ça plutôt amusant… Sans doute parce que je n’y connais rien ou presque, notez.

 

Au final, probablement un bon scénario, mais ne pas s’y lancer tête baissée, il implique sans doute d’être bien intégré pour parvenir à toucher sa cible – auquel cas, il y a sans doute de très bons moments à en retirer.

 

Les eaux de la perdition

 

Le troisième et dernier scénario, intitulé « Les eaux de la perdition », est beaucoup plus conventionnel, au sens où il ne se situe pas à mi-chemin du rêve et de la réalité – tout ceci est horriblement réel –, et où il y a cette fois un antagoniste marqué (putain oui – une vilaine bébête avec des tentacules, et ses cultistes… davantage singuliers ; combat final inclus).

 

Il n’est toutefois pas totalement conventionnel, au moins formellement : il consiste d’abord en une longue description des événements se produisant essentiellement en dehors des actions des PJ, sur deux semaines environ, et presque jour par jour – c’est ici que l’on trouve à proprement parler les « scènes » du scénario, sur lesquelles le Gardien devra broder, car en tant que telles, et pour cause, elles ne sont guère détaillées ; ça ne devrait pas poser de problème..

 

L'histoire ? En gros, quelque chose rôde dans les eaux de Kingsport – quelque chose qui fait disparaître nuit après nuit des marins… Et, à l’origine de cette malédiction, se trouve un vieux mystère de l’histoire de de la ville – qui n’en est pas avare. Pour y mettre un terme, les PJ devront prouver qu’ils ont le pied marin…

 

Suivent quelques « indices » à récupérer ici ou là, quelques PNJ (dont surtout des pêcheurs et les garde-côtes de Kingsport, qui jouent un grand rôle dans cette affaire), quelques autres éléments d’ambiance (dont une table pour gérer la météo – ça peut sembler couillon, mais en fait ça m’a l’air amusant), et enfin les éléments proprement surnaturels du scénario : bébête à tentacules et serviteurs squelettes (oui), dans un (putain de) vaisseau fantôme.

 

À en juger par les commentaires lus çà et là (enfin, sur le GRoG), ce scénario ne semble pas avoir beaucoup plu… Mais moi j’aime bien. Moins compliqué à vue de nez à prendre en main que le précédent (avec lequel il partage un trait notable, d’ailleurs : tous deux peuvent être joués, soit d’une manière ultra-linéaire, soit d’une manière plus chaotique, ai-je l’impression), il bénéficie d’une belle ambiance d’horreur maritime louchant au moins autant du côté de William Hope Hodgson que du côté de Lovecraft – ce qui n’est franchement pas pour me déplaire. Plus classique, peut-être, mais donc certainement pas au point de l’ennui en ce qui me concerne – je tenterais bien la chose, en fait...

 

UNE VILLE ET BIEN PLUS DE RÊVES

 

Globalement très convaincu, donc, par ce supplément que j’attendais depuis longtemps (mais pas au point de partir à la chasse à l’édition Descartes ou à la VO, allez savoir pourquoi…). Même s’il ne comprend pas de contenu inédit, je trouve qu’il a plutôt bien vieilli dans l’ensemble.

 

Le guide de la ville est bien pensé, fonctionnel, fidèle à l’esprit de la création lovecraftienne en extrapolant habilement à partir de sa lettre ; en résulte une ville qui a du caractère, probablement plus qu’Arkham, d'ailleurs, mais sans être aussi unilatérale que Dunwich et surtout Innsmouth. Autant dire qu’il y a plein de raisons de s’y balader voire de s'y installer, de s’émerveiller de ses mystères, ou de trembler devant leurs implications cosmiques...

 

Les scénarios tentent des choses, ce qui est sans doute honorable – l’essai n’est pas toujours transformé, mais les idées sont là, qui composent toujours avec les spécificités du contexte (rien d’interchangeable ici, Kingsport n'est pas Arkham, pas davantage Dunwich, et pas non plus Innsmouth) ; aussi est-ce a minima une lecture instructive, et probablement bien davantage.

 

Un bon supplément, donc, voire plus en ce qui me concerne (mais je plaide coupable, j’adore ce genre de guides, alors je suis sans doute bon public), et ce qu’on l’utilise en conjonction directe avec Les Contrées du Rêve ou sans.

 

Je poursuivrai prochainement les chroniques sur l’édition « Prestige » des Contrées du Rêve, probablement avec la campagne Le Sens de l’escamoteur...

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