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La Cité du futur, de Robert Charles Wilson

Publié le par Nébal

La Cité du futur, de Robert Charles Wilson

WILSON (Robert Charles), La Cité du futur, [Last Year], roman traduit de l’anglais (Canada) par Henry-Luc Planchat, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2016] 2017, 367 p.

 

Ma critique se trouve dans le n° 87 de Bifrost, pp. 108-109.

 

Quand elle sera mise en ligne sur le blog de la revue, j’en donnerai le lien ici même, et complèterai avec une « version longue » propre à ce blog.

 

N’hésitez pas à réagir d’ores et déjà, si jamais !

 

EDIT : la chronique est en ligne sur le blog de la revue, hop.

 

Suit une version plus longue, avec également la version YouTube...

WILSON EN LUNES D’ENCRE

 

L’auteur canadien Robert Charles Wilson est sans doute une des plus belles signatures de la collection « Lunes d’encre » des éditions Denoël – et un auteur qui a eu son impact, globalement mais aussi me concernant, car Spin, son plus célèbre roman, et prix Hugo, fait partie de ces livres qui m’ont incité à ne plus me contenter des « classiques » de la science-fiction, pour me pencher également sur ce que le genre produisait ici et maintenant.

 

Sans doute est-il pourtant un auteur relativement inégal – même si jamais au point d’être mauvais ; d’ailleurs, les « suites » de Spin, à savoir Axis et Vortex, ne m’avaient guère convaincu… D’autant plus, peut-être, que j’en avais lu d’autres excellents romans ? Comme Les Chronolithes, tout spécialement… Mais je suis loin d’avoir tout lu, et il me reste sans doute quelques très bons titres à découvrir : l’omnibus Mysterium a de bons échos, notamment ; moins, ai-je l’impression, Julian ou Les Derniers Jours du paradis

 

Cependant, le dernier Wilson en date dans la collection, Les Affinités, m’avait vraiment beaucoup plu – et j’avais le sentiment d’y retrouver le « grand » Robert Charles Wilson, celui des Chronolithes, celui de Spin. Et ce alors même que le thème, sinon le traitement, n’avait pas grand-chose à voir...

 

UN TRAITEMENT WILSON ?

 

Car, ai-je l’impression, il y a un « traitement Wilson », une patte, peut-être même une signature, qui revient souvent voire systématiquement dans ses romans ; et j’ai par ailleurs l’impression que ce traitement se « dédouble », d’une certaine manière, pour le meilleur d’un côté, probablement pas pour le pire de l’autre, mais disons tout de même de manière bien moins intéressante – et ce Wilson nouveau qu’est La Cité du futur me paraît tout particulièrement en témoigner, sur un mode plus édifiant que dans Les Affinités... car moins convaincant.

 

Son atout – particulièrement mis en avant à l’époque de Spin – réside dans ses personnages, et dans leur psychologie fouillée. Même au cœur du « sense of wonder » le plus vertigineux (là encore Spin en est le meilleur exemple), Wilson a le grand talent de rester à hauteur d’homme, et ses personnages ne sont pas des coquilles vides, de simples véhicules ou prétextes de la narration : ils ont une vie, ils ont une âme, ou plutôt une intériorité qui en fait toute la saveur – à charge pour eux d’entretenir des relations non moins complexes avec ceux qui ne sont jamais tout à fait leurs semblables.

 

La faiblesse de l’auteur – mais à mon sens, hein, c’est très discutable –, c’est sa propension, pour mettre en scène tant ces jolis personnages que ses belles idées science-fictives, à recourir aux expédients du thriller, un genre avec lequel j’ai beaucoup de mal (en littérature, je suis d’un tout autre avis au cinéma), car croulant bien trop souvent sous les codes les plus éculés et envahissants, tel le cliffhanger systématique en fin de chapitre, ce genre de choses. Et ici Wilson se montre plus inégal : par exemple, les suites de Spin, dans ce registre, m’avaient paru plutôt ratées, Blind Lake entre deux eaux, Les Affinités bien plus réussi.

 

Et La Cité du futur ? On y retrouve de beaux personnages – notamment le principal, et ce alors même que Wilson nous fait presque une frayeur au départ, car il joue du stéréotype au point où l’on peut légitimement redouter la « coquille vide » ; il se rattrape heureusement par la suite (ou, peut-être plus exactement, joue de notre ressenti initial), même si avec probablement moins de finesse que dans ses plus belles réussites en la matière. Par contre, la dimension (policière et) thriller est ici très sensible… et clairement pas convaincante. Elle dessert finalement les bonnes idées de SF qui se trouvaient à l’origine du roman – et c’est bien pourquoi, d’emblée, j’ai envie de qualifier La Cité du futur de titre mineur dans la bibliographie de Robert Charles Wilson. Pas mauvais, mais mineur.

 

Tâchons de voir pourquoi et d’en dire plus…

 

TOURISTES DU FUTUR

 

Le roman se déroule pour l’essentiel aux États-Unis dans les années 1870. Mais dans quelle trame temporelle ? C’est en fait une question essentielle – car le roman traite des impacts du voyage dans le temps dans une perspective éventuellement uchronique (en fait, dans ses meilleurs moments, je suppose même qu’on peut avancer qu’il interroge ce genre devenu très populaire ces dernières années).

 

En effet, dans ces États-Unis-là, en Illinois plus précisément, est apparu un bâtiment en provenance du futur – ou plutôt d’un futur. Pas totalement un « Big Dumb Object » à la façon des Chronolithes, même si la référence est bien légitime : il s’agit cette fois d’une cité entière (platement appelée, donc, la Cité du Futur, ou bien Futurity, en angliche in zeu texte), mais consistant essentiellement en deux gigantesques tours, reliées par un bâtiment moins démesuré.

 

Cette cité est en fait un pôle d’excursions touristiques pour des visiteurs du futur – mais attention, pas exactement le futur de ce monde-là : les divergences étant de la partie, l’idée est plutôt que ces touristes viennent d’un autre futur… Solution un peu abstraite, mais qui a l’avantage d’éviter, pour qui ne s’en remet jamais tout à fait, de se casser la tête sur tel ou tel paradoxe à base de grand-père, etc.

 

Mais oui, il s’agit donc d’un endroit à partir duquel des hommes et des femmes du futur (un futur pour nous très proche, avant 2020 semble-t-il !) se lancent dans des excursions touristiques dans le (ou plutôt un) passé : ils visitent 1870 comme un Européen visiterait, je ne sais pas, le Maroc ou la Thaïlande… En quête d’ « authenticité » ? Ça, c’est à voir… Car, si nos touristes constatent avec un vague dégoût (qu’ils transforment sans peine en frisson d’aventure exotique) que l’authenticité c’est peut-être d’abord et avant tout la boue et la crasse, la maladie et la mort, le fait est que leur simple présence suffit à bouleverser un monde qui ne les comprend pas, mais qui, parce que séduit, ou parce que terrorisé, ne saurait de toute façon faire comme si de rien n’était…

 

Aux abords de la cité se construit bientôt une cité parallèle, sur le modèle de la ruée vers l’or, et des touristes cette fois contemporains se rendent à Futurity pour y entrevoir de saisissants aspects du futur – même si on leur dénie le droit de franchir eux aussi le « Miroir », en sens inverse ; qu’importe : séances de cinéma et incompréhensibles machines volantes sont déjà bien à même de susciter l’effroi comme la fascination des « locaux ». La Cité et son double n’en deviennent que davantage des lieux propices aux trafics, parfois innocents, parfois bien moins...

RIEN N’EST SIMPLE AVEC LE TEMPS

 

Si Wilson nous épargne globalement les paradoxes les plus migraineux associés de longue date au thème du voyage dans le temps, ce en quoi nous pouvons qualifier son roman de « simple » à cet égard, le fait demeure : rien n’est simple, avec le temps. Mais il s’agit donc ici d’une question d’impact, de choc entre deux mondes qui sont en fin de compte respectivement des pays étrangers (le personnage principal le souligne explicitement : « Le passé est un pays différent. »).

 

Les prétendues « précautions » prises par la Cité du Futur – et notamment son caractère temporaire : elle n’est là que pour cinq ans, après quoi ne restera plus qu’un bâtiment vide dans les plaines de l’Illinois – ne trompent personne : Futurity est le caprice d’un faiseur d’argent guère porté sur l’éthique, et qui se moque des conséquences autres que pécuniaires de ses actes… Les bonnes intentions affichées par la Cité (en matière d’hygiène et de santé publique, notamment, car les touristes, à terme – il ne faut pas brusquer ! –, fourniront leurs ancêtres alternatifs en vaccins, voire en procédés épargnant aux femmes de mourir en couches…) ne trompent pas davantage.

 

Tous, cependant, parmi ces êtres du futur, ne se montrent pas aussi matérialistes : au-delà des seuls touristes s’encanaillant dans le passé mythique du Far-West (ou pas tout à fait : si la première partie du roman s’en tient à l’Illinois, les suivantes nous promènent à New York puis à San Francisco – cadres urbains guère en accord avec les clichés du western), il se trouve des activistes aux idées et aux méthodes ambiguës – qui condamnent certes la dimension « coloniale » de ce tourisme particulier, mais peuvent afficher à l’égard des « primitifs » de 1870 une morgue non moins « coloniale », au fond ; car dénonçant le racisme, le sexisme, etc., de cette société ancienne au prisme des critères du début du XXIe siècle

 

Cause ou effet, ce n’est pas toujours facile à déterminer – mais l’incompréhension des États-Unis de 1870 pour ce monde du futur dépasse clairement les seules merveilles de la science et de la technologie. Ils sont tout aussi marqués, bouleversés, choqués, par les aspects plus ou moins implicites de la société du futur en matière de mœurs et de libertés civiques : il ne faut pas dire « Chinetoque » ? Blancs et Noirs peuvent se promener ensemble l’air de rien ? Un président des États-Unis NOIR ?! Des femmes qui portent le pantalon, et qui votent ? Des hommes qui se marient entre eux, des femmes entre elles ?!?! Mais c’est ABSURDE !!!

 

Et terrifiant.

 

Certains sans doute, mais minoritaires, ne manquent pas d’être séduits par ces évolutions – qu’ils entendent éventuellement précipiter, en toute bonne foi… mais aussi parce que, derrière et au-dessus d’eux, se trouvent parfois d’autres hommes et femmes du futur qui considèrent de leur devoir éthique d’apporter la lumière aux êtres simples des années 1870 – via des campagnes de presse, le soutien à des mouvements syndicaux… et éventuellement le terrorisme.

 

Mais, pour la majorité des Américains de 1870, ce futur – même parallèle – est donc avant tout cauchemardesque ; et il est du devoir des honnêtes gens d’empêcher qu’il se réalise un jour – parce que ce serait un monde absurde ! La fascination se mue donc toujours un peu plus en crainte, voire en dégoût et en haine. Activistes ou pas, le désir de précipiter les choses, via ces aperçus du futur qu’a prodigués la Cité, pourrait très bien aboutir à une situation exactement contraire – une crispation conservatrice, haineuse et violente, prohibant tout progrès… contre ce que l’on était peut-être trop porté à percevoir, naïvement, comme étant le cours « naturel » du temps.

 

PUPPIES ET SJW

 

C’est ici que le roman se montre le plus intéressant et pertinent – car lucide. Je suis porté à croire que ce traitement et ces thématiques n’avaient, de la part de Wilson, rien d’innocent, en cette ère navrante où ces connards de Puppies sèment la zone à chaque prix Hugo, et, via le « Gamergate » et autres stupidités du genre, diffusent toujours un peu plus leur bêtise crasse, leur ignorance et leur haine comme autant de « valeurs » à défendre. Bien sûr, cette Amérique, c’est aussi celle qui a voté Trump entre-temps... Certains passages du roman m’ont fait l’effet d’être assez explicites à cet égard – et très justes, par ailleurs.

 

Mais, ce qui les rend si justes, c’est aussi que Wilson, à son habitude, n’entend pas se montrer unilatéral – il est bien trop subtil pour cela. Et si les Puppies s’en prennent plein la tronche, ceux que ces crétins qualifient systématiquement de « SJW » (bon sang que je hais cet acronyme…) ne sont pas pour autant ménagés ; car, en l’affaire, Wilson rappelle utilement que l’enfer est pavé de bonnes intentions… Des bonnes intentions, ces activistes du futur n’en manquent pas – mais, s’ils sont bien plus sympathiques que leurs antagonistes, leur brusquerie et leur condescendance plus ou moins conscientes à l’égard des « primitifs » peuvent s’avérer tristement contre-productives… et plus encore leur fanatisme, le mot n’est pas toujours trop fort.

 

On ne dira pas : « Un partout, la balle au centre. » Pas plus qu'on ne jouera de la rhétorique trumpienne la plus abjecte à base de « many sides, many sides ». Le positionnement de Wilson n’a pas cette ambiguïté, l’auteur ne pousse pas le relativisme à ces extrémités. Peut-être est-il trop aimable pour cela ? Plus généreux peut-être que moi-même, en tout cas – car je ne veux plus me montrer généreux pour l’Amérique des petits Blancs pauvres qui vote Trump là-bas, ou pas davantage la France qui vote Le Pen ; notez, on me l’a reproché, on m’a dit que c’était du « mépris de classe »… Je ne suis pas de cet avis, mais sans doute aussi parce que les classes, personnellement... Bon, bref.

 

Ce qu’il faut retenir ici, sans doute, c’est que les conservateurs crispés des années 1870 ne sont finalement pas des présages d’un Vox Day – cela n’empêche pas, sur ces bases, de viser l’odieux personnage et ses fans, de montrer leur abjection et leur bêtise, mais, dans le contexte du roman comme ailleurs, rien n’est simple, donc ; et certainement pas ces questions sociétales très sensibles – a fortiori quand se pose en outre la problématique des moyens les plus appropriés pour permettre des avancées plus que souhaitables.

 

Dans tous les cas, louer un passé idéalisé ou précipiter le futur, avec nos lunettes d’ici et maintenant et les principes censément intemporels qui vont avec, et qui s’avèrent bien plus justement le fruit de circonstances précises, est également dangereux – la dimension éthique du problème s’avérant bien plus complexe que ce qu’un attachement forcené à des principes intangibles et nécessaires (un héritage des Lumières d’un côté, de la contre-Révolution de l’autre) pourrait laisser croire à ceux qui n’entendent pas s’embarrasser de choses aussi futiles que le réel et l’histoire.

 

Or je ne vous cacherai pas que, moi-même, je tends de plus en plus à croire que je porte trop d'attachement à de tels principes, dans ce monde auquel je ne comprends rien, sans savoir comment m'accommoder de cette épiphanie bien tardive... et trouver le cas échéant de quoi remplacer utilement ces principes par d'autres non moins contingents mais plus pertinents.

 

C’est ici que le roman se montre le plus intéressant – hélas, le reste n’est à mon sens pas à la hauteur.

 

DUO DE FLICS

 

Car on en arrive à ce « traitement » que j’évoquais plus haut – à ces moyens récurrents destinés à narrer une histoire, et à inscrire les idées sciences-fictives dans le contexte d’un récit.

 

Et donc, tout d’abord, les personnages. Deux sont mis en avant, mais à vrai dire surtout un : Jesse Cullum est un « local », entendre par-là un homme des années 1870. Il travaille dans les services de sécurité de la Cité du Futur, et il brille tout particulièrement, dans les premières pages du roman, en sauvant la vie du président Ulysses S. Grant, victime d’un attentat en pleine visite de Futurity.

 

L’événement est déterminant, à double titre : d’une part il permet à Cullum de monter quelque peu les échelons, ce qui le rapproche bon gré mal gré des hommes et des femmes du futur, d’autre part il fournit le point de départ de l’intrigue du roman – car cet attentat a certes été commis par un « local », mais à l’aide d’une arme « du futur », un pistolet Glock, qui n’aurait jamais dû se trouver entre ses mains. D’où cette enquête que l’on confie à Cullum – et qui mettra bientôt en évidence que Futurity, de par sa seule présence, génère des trafics éventuellement inquiétants ; et ce que leur raison d’être soit cyniquement et bassement matérielle, ou bien qu’ils s’associent aux entreprises d’activistes dont le radicalisme éthique et politique pourrait s’avérer dangereux…

 

Toutefois, pour mener cette enquête, Jesse Cullum n’est pas tout seul – on lui associe un personnage-miroir, sur un mode vaguement « buddy movie » : Elizabeth DePaul, une femme donc, et bien sûr du futur. Employée des services de sécurité également, toute magnétique soit-elle, notamment pour Cullum, elle est au fond elle aussi issue d’un milieu relativement populaire – mais de 150 ans postérieur ; et ce décalage suffit à la rendre essentiellement différente. Sur cette base, classiquement, les deux personnages témoigneront autant de leur incompréhension mutuelle que de leur fascination pour l’autre, pouvant comme de juste se muer en désir.

 

Mais Jesse Cullum est bien le personnage principal – en fait, il est longtemps le seul personnage point de vue, principe abandonné dans la dernière partie du roman, que je n’ai pu m’empêcher, à cet égard (et à d’autres...), de trouver un peu maladroite… Sa caractérisation est un peu déstabilisante, car, dans les toutes premières pages, le bonhomme fait quelque peu l’effet d’une brute, un (mauvais ?) personnage de polar « hard-boiled » ayant troqué le chapeau mou pour des lunettes Oakley – il ne s’intéresse peu ou prou qu’à la perte de ses lunettes, tout d’abord.

 

Mais il ne faut pas s’y tromper : Jesse Cullum est un personnage autrement complexe, et finalement tout sauf brutal, en dépit des apparences – mais insister sur ce point faisait sans doute sens dans la problématique du roman. Elizabeth DePaul de même n’est pas cette sorte de statue froide du futur que nous voyons tout d’abord – avec les yeux de Jesse.

 

Mais, là, il faut encore distinguer deux aspects dans la caractérisation des personnages : d’une part, ils sont plus profonds que ce que l’on pouvait croire, au regard disons de leur psychologie, de leur intimité, et sur le moment ; ce qui est très réussi – mais, d’autre part, cette psychologie sur le moment se fonde comme de juste sur leurs expériences passées… et, si Wilson s’applique concernant Elizabeth DePaul, personnage finalement singulier, bien plus qu’on ne l’aurait cru, mais sans en faire pour autant des caisses, il s’enfonce toujours un peu plus dans les clichés concernant Jesse Cullum ; parce que son passé s’intègre dans la trame policière/thriller globale, absolument pas convaincante, et qui tend, vers la fin, à phagocyter le roman et à le desservir dans la mise en scène de ses idées SF, ce alors même qu’elle était supposée la permettre et la soutenir.

 

AUTOMATIQUE

 

En effet, passé une première partie (environ la moitié du roman) plutôt correcte si pas bouleversante d’originalité, où la trame spécifiquement policière permet de poser l’univers, les personnages et les thèmes, ce qui est sa raison d’être, le roman tend ensuite à basculer toujours un peu plus dans le thriller – et, hélas, le thriller à gros sabots. Le passé forcément trouble (mais guère moins convenu) de Jesse Cullum se retrouve intriqué aux événements politico-sociétaux des années 1870 résultant de la création de Futurity, et sur un mode fainéant, ou du moins... automatique.

 

C’est bien simple : passé la moitié du roman, tout, à chaque page, est, même plus prévisible à ce stade, mais carrément téléphoné. Le lecteur n’est jamais surpris, le propos jamais palpitant, et, surtout, le roman enfile les clichés comme un collier de perles… Le pire étant probablement ce personnage tristement convenu de la fille-à-papa, c’est-à-dire la fille de l’homme d’affaires à l’origine de Futurity, qui vire activiste rien que pour faire chier le vieux (tant qu'à faire, elle se met en couple avec sa bête noire), et qu’il faut sauver quand même contre elle-même si ça se trouve, etc. Pitié…

 

Mais le reste est à l’avenant – moins agaçant peut-être, mais horriblement terne, et ce jusque dans une loooooongue scène d’action/infiltration clairement pas convaincante, et où l’auteur semble se perdre toujours un peu plus, témoignant par ailleurs de ce qu’il n’est pour le coup clairement pas à l’aise dans cet exercice. Les idées SF qui faisaient la saveur du roman laissent la place à une bête histoire de règlement de comptes, avec un croquemitaine méchant très très méchant tout droit sorti d’un mauvais pulp policier ou western… On s’ennuie, et on n’apprend rien de neuf. Clairement, l’auteur s’égare – et l’épilogue, plutôt réussi formellement, ne suffit pas à passer sur le fait que nous savions depuis le départ absolument tout ce qui allait se passer, et ce sans même que ce jeu s’avère enthousiasmant justement en raison de la complicité établie avec le lecteur (jeu qui est l’apanage des maîtres du thriller, certes rares, même si je suppose que l’on pourrait ici dépasser le genre et ses codes).

 

ALORS OUI, MAIS...

 

Toutes choses égales par ailleurs, La Cité du futur n’est pas un mauvais roman – et je l’ai lu d’une traite ou presque. Il pèche clairement dans sa dimension thriller, au point de m’avoir extirpé quelques soupirs dans les derniers chapitres, mais sa problématique intéressante, et ses personnages plus complexes qu’ils n’en ont tout d’abord l’air (mais en mettant à part le lourd passif de Jesse Cullum), en font une lecture suffisamment distrayante et lucide tout à la fois pour ne pas avoir le sentiment de perdre son temps.

 

Mais il n’a clairement rien d’un chef-d’œuvre – et, dans la bibliographie de Robert Charles Wilson, pour ce que j’en sais (il m’en reste pas mal à lire), il m’a fait l’effet d’un titre mineur. Pas déshonorant, mais ne pas s’attendre, en l’entamant, aux réussites marquées des Chronolithes, de Spin ou des Affinités ; à tout prendre, la lecture fonctionne globalement sur le moment, mais je doute qu’elle reste bien longtemps dans ma mémoire de lecteur, même globalement « petit fan »...

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