Barbarians of Lemuria : Chroniques Lémuriennes
Barbarians of Lemuria : Chroniques Lémuriennes, Ludospherik, 2017, 133 p, [+ écran trois volets et carte format A2]
Bon, pour tout un tas de raisons, cela faisait très, très longtemps que je n’avais pas chroniqué de suppléments de jeu de rôle, mais je vais tâcher de me rattraper un peu durant l’été… Hop, c’est tipar !
Le beau succès (justement) rencontré par Ludospherik avec la traduction de la version « Mythic » de Barbarians of Lemuria a eu des conséquences très appréciables et plutôt inattendues. Ce qui aurait pu n’être qu’un coup unique semble en effet prendre des allures de gamme – et de gamme de création française, cocorico pour ceux qui y tiennent. On avait parlé assez tôt d’un écran, et celui-ci est bien paru – mais sous une forme étendue ; l’écran en trois volets est certes fort joli (Emmanuel Roudier fait à nouveau des merveilles dans ce premier supplément officiel, et son style puissant, idéal pour de la sword and sorcery, bénéficie de la petite touche humoristique qui enjolive le tout, sans être pour autant parodique – un équilibre admirable et qui, comme je vois les choses, contribue à l’ambiance de Barbarians of Lemuria dans la même mesure que le texte), mais il est en outre accompagné d’une belle carte en couleurs de la Lémurie, format A2, et, non pas d’un bête livret de 16 pages comme souvent, mais d’un vrai supplément de 134 pages, débordant de contenu inédit dû aux développeurs français de la chose, soit deux aides de jeu et cinq scénarios (dont un avec des prétirés). Et ce n’est pas fini, puisqu’on annonce maintenant, outre la traduction anglaise de ce supplément (oh, retour à l’envoyeur inattendu lui aussi), la rédaction d’une campagne entière !
Mais restons-en pour l’heure à ces Chroniques Lémuriennes, puisque tel est le nom (parfaitement inévitable) de ce premier supplément. Et, matériellement, puisqu’on y était, le boulot est toujours aussi admirable, après un livre de base qui m’avait déjà conquis sous cet angle. Je le maintiens, d’autres éditeurs pourraient en prendre de la graine : l’objet est très beau en même temps que maniable et pratique, bien écrit et, chose incroyable, relu, d'une mise en page claire et agréable, et abondamment illustré, avec goût donc, par Emmanuel Roudier, L’ensemble est irréprochable.
Et le contenu ? Très bon en ce qui me concerne – à la hauteur des attentes après l’excellent livre de base.
Le volume s’ouvre sur deux aides de jeu. La première, assez courte, porte sur le calendrier de Satarla, le plus communément employé en Lémurie – même si pas sans résistances. Mine de rien, c’est un outil d’ambiance très pratique, qui sait susciter un certain exotisme sans pour autant se perdre dans des complexités peu maniables. L’attrait essentiel de ce calendrier, en termes de jeu, réside sans doute, au-delà des fêtes « classiques » mais pas moins pertinentes, dans les « jours flottants » qui viennent semer la zone en temps utile. L’aide de jeu se conclut sur des pistes de scénario, souvent enthousiasmantes, et qui témoignent ainsi de l’usage ludique de ce calendrier. Très bien, donc.
La deuxième aide de jeu porte sur une région, au nord de la Lémurie, qui avait été passée sous silence dans le livre de base. Bienvenue, donc, dans le Khanat ! Enfin, « bienvenue »… On fait vraiment dans la connotation sword and sorcery pure, avec cette région où l’inspiration mongole, dès le titre, est flagrante ; sans forcément remonter jusqu’à Harold Lamb (mais je vous y engage), le lecteur baignera ainsi dans cette ambiance si particulière et récurrente dans le genre, chez Robert E. Howard et bien d’autres, dont, plus récemment, David Gemmell et George R.R. Martin. Cependant, il s’agit d’une influence extrême-orientale plus vaste, car, derrière les farouches cavaliers, demeurent encore les reliquats d’une ancienne civilisation plus raffinée (et donc décadente), d’inspiration essentiellement chinoise. Par ailleurs, tout au nord du monde comme l’est le Khanat, la région est propice à la description d’autres ethnies plus reculées et mystérieuses à leur manière, qui évoquent aussi bien les Inuit que la Sibérie, les Lapons ou les Aïnous, et sans doute d’autres choses encore. Enfin, la proximité du Royaume Putride permet de mettre l’accent sur la thématique des morts-vivants, côté antagonistes, et, que vous songiez ou pas à bâtir une colossale muraille de glace pour en protéger un nombre toujours fluctuant de royaumes « civilisés », il ne fait guère de doute que cela peut contribuer à colorer encore davantage cet environnement de jeu particulier. Le format employé est celui des aides de jeu de background dans le livre de base : c’est court, on va à l’essentiel, et on se contente souvent de donner des pistes au MJ, à charge pour ce dernier de bâtir son monde avec davantage de détails. Amateur pour ma part de backgrounds touffus, j’aurais apprécié d’en avoir davantage, mais, en l’état, cela demeure bien fait et utile – si vous avez apprécié cet aspect de Barbarians of Lemuria, il y a toutes les chances pour que cette aide de jeu vous satisfasse pleinement ; en même temps, l’univers n’est clairement pas l’atout du jeu, c’est certain – mais ce type d’aide de jeu montre bien qu’il y a assurément de quoi faire sur cette base.
Mais le gros de l’ouvrage consiste donc en cinq scénarios inédits et plus ou moins « prêts à jouer », Je vais tâcher de dire quelques mots de chacun d’entre eux. Avertissement donc aux joueurs éventuels : il y a ici un risque non négligeable de SPOILER, même si je vais autant que possible me retenir d’en dire trop – simple précaution d’usage, hein...
Nous commençons avec « Un ennui mortel », par ailleurs un scénario (le seul ici) prenant place dans le Khanat… ou, plus exactement, au large du Khanat, dans une île très froide, très désolée, et très mal fréquentée. Le scénario, passé l’introduction, adopte une structure non linéaire, grosso merdo, comme une sorte de mini-bac à sable calibré one-shot à vue de nez – peut-être pas l’aventure la plus indiquée pour un MJ débutant, même si rien de trop redoutable non plus. Sur cette base, il s’agit de confronter nos héros, et quelques PNJ assez joliment définis, à une invasion de zombies, dans un cadre tenant pas mal du huis-clos. Sans rien révolutionner, loin de là, ce scénario est, sur le papier en tout cas, très amusant.
Mais j’y ai largement préféré les deux scénarios suivants, à mon sens les plus réussis de ce recueil. Tout d’abord, « Le Plus Vieux Rêve de Lôm » (le responsable de ce titre a été décapité après de longues heures de torture), qui se situe dans les montagnes de l’Axos, et vise à confronter les héros à un dilemme comme de juste cruel, et dont les conséquences peuvent s’avérer très amples, avec les hommes-oiseaux du coin. Ce jeu du dilemme, certes récurent dans le jeu de rôle, avait déjà été mis en avant dans certains des scénarios du livre de base, et c’en est une très futée variation – le scénario promet aussi bien de l’action que de la diplomatie, en parts fluctuantes selon le comportement des joueurs. C’est très alléchant, très convaincant.
Mais mon scénario préféré de ce recueil est le suivant, « Mariage amer ». Le point de départ est ultra-référencé : en pleine célébration d’un mariage dans la meilleure (et donc la pire) société de Satarla, un amoureux téméraire enlève, avec sa bénédiction, la promise, et à charge pour nos héros de ramener la donzelle, et tant qu’à faire de châtier l’impudent (qui s’appelle Eormo – je rappelle que les anagrammes transparentes sont punies de mort en Nébalie, et, oui, par décapitation après de longues heures de torture). Le scénario promet plein d’action, de la scène de poursuite en nef volante à la découverte des us et coutumes d’une peuplade primitive de la Lémurie, vivant à l’ombre d’une pyramide (forcément), avec quelque chose de serpentin dedans (forcément). Mais, au-delà, ce scénario me paraît bien plus futé qu’il n’en a l’air – et plus inventif à vrai dire. Là, je pars peut-être dans mes délires, mais un truc qui m’a bien parlé, dans cette histoire, renvoie à sa manière bien particulière au jeu du dilemme, en brodant sur le principe, emblématique de la sword and sorcery, de héros à la moralité plus que douteuse. En effet, à tout prendre, partir à la poursuite des amoureux n’a rien de très admirable ; et s’en prendre à l’entité mystérieuse de la jungle ? Même avec la part d’imposture qui fonde son culte, j’ai du mal à y déceler quelque chose de vraiment maléfique. Par contre, les hérauts de la richesse et de l’aristocratie qui débarquent dans le village « primitif » pour y faire respecter l’ordre de la puissante Satarla, ramener la femelle volage et punir son ardent amant « sauvage »… Bref, sans que le trait soit appuyé, sans par ailleurs que cela ne vienne nuire au plaisir très premier degré de l’aventure, avec ce qu’il faut d’exotisme, d'action et de mystère, je trouve intéressant que ce scénario, d’une certaine manière, confère le rôle de gros connards aux héros, qui obéissent à tous les ordres dès l’instant qu’on les paye assez cher. Bon, c’est peut-être mon délire, mais, oui, j’y vois cet aspect, et il me séduit… Oui, s’il fallait ne retenir qu’un de ces cinq scénarios, en ce qui me concerne, ce serait celui-ci !
L'aventure suivante, plus ample en volume de pages, mais pas forcément en temps de jeu (en fait, je n’ose pas me prononcer, je suis notoirement très mauvais à cet exercice), s’intitule « La Tour d’Ajhaskar », et est globalement plus classique – jusque dans son point de départ : les héros prisonniers se voient faire une offre qu’ils ne peuvent pas refuser… En l’espèce, pénétrer dans la tour d’un puissant (mais « légitime ») sorcier, dont la disparition inquiète not’ bon sire. Le scénario est du coup découpé en deux temps, avec d’abord l’exploration de la tour (un donjon qui m’a l’air très correct dans son genre, mais il est vrai que je n’y connais pas grand-chose), puis l’exploration d’un petit univers parallèle qui se trouve au-delà, et qui ne facilite pas exactement la fuite. C’est bien fait, ça fait plus que tenir la route ; je regrette seulement, à vue de nez du moins, que la seconde partie du scénario soit plus imprécise que la première, très pertinemment détaillée – même s’il s’agit sans doute, comme dans le premier scénario de ce recueil, d’inciter le MJ à faire preuve d’imagination pour remplir les blancs, en jonglant avec les options des joueurs. Cette critique, si c’en est une, est donc des plus limitée en définitive. Oui, c’est un bon scénario – il doit être très amusant à jouer comme à maîtriser, je trouve juste qu’il lui manque une petite chose, une petite étincelle, celle qui distingue les deux scénarios précédents, qui m’emballent quand même beaucoup plus.
Reste un dernier scénario, un peu à part : « Les Trois Coffres ». D’une certaine manière, c’est la star de ce volume : il a les honneurs de la couverture, et on avait un tant soit peu teasé la bête, dans l’attente de la parution du supplément. En effet, les joueurs se voient ici offrir une opportunité bien singulière : incarner des kalukans, ces bestioles muettes et sans tête, avec un unique œil au milieu de la poitrine, au service de la Reine Sorcière ! D’où les prétirés. L’expérience est prometteuse, et le scénario s’est efforcé de jouer de cette particularité avec quelques idées rigolotes (comme le dispositif auquel les kalukans doivent avoir recours pour communiquer, entre eux et avec les PNJ, ou ce moment du scénario où les joueurs… changent de kalukan ; même si je trouve cet événement un peu trop précoce, à vue de nez, car il aurait été plus déstabilisant, et donc plus amusant, plus tard, trouvé-je, mais bon, ça se discute…). Mais, cette fois… ben, non, je n’ai pas été vraiment convaincu. Et d’abord parce que le scénario est longtemps très linéaire – ou, non, ce n’est pas tout à fait ça : c'est plutôt qu'à la lecture, j’ai eu l’impression que les PJ sont bien trop longtemps des spectateurs de l’histoire, et non ses acteurs principaux. L'histoire, en l'espèce, n'est certes pas mauvaise (il y a là aussi des idées très amusantes, très colorées, éventuellement recyclables), mais c'est pour ainsi dire un film... La fin seulement semble offrir aux joueurs des opportunités de prendre véritablement des initiatives (on nous rappelle sans cesse, avant cela, que les kalukans sont serviles par essence ; certes, mais cela ne bénéficie guère à l’expérience ludique, non ?) ; mais cette conclusion est caractérisée par cette même indécision que j’ai pu mentionner concernant les scénarios précédents ; et, ici, je le crains, cela joue en défaveur de l’ensemble. L’idée de base était très amusante, mais le résultat final ne m’emballe pas – bon, peut-être à tort ; mais, à la lecture, sur ces cinq scénarios, c’est celui que je n’ai pas vraiment envie de jouer ; peut-être parce que le teasing m’avait emballé outre-mesure, certes.
Mais, cette éventuelle fausse note mise à part, Chroniques Lémuriennes est un très bon supplément. En fait, et c’est absurde « objectivement », si je devais lui reprocher quelque chose, ce serait d’être trop court ! Car j’aurais bien repris du rab, moi… En tout cas, après ce premier essai, l’idée d’une gamme frenchy pour Barbarians of Lemuria s’avère très enthousiasmante. M’en vais tâcher d'en maîtriser quelques parties, et je reste aux aguets pour la suite !
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