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Dossier Kwaidan 05 : De la page à la pellicule, le travail d'adaptation - généralités et générique

Publié le par Nébal

Dossier Kwaidan 05 : De la page à la pellicule, le travail d'adaptation - généralités et générique

La première partie se trouve ici, la précédente .

Kwaidan (Kaidan 怪談) est présenté pour la première fois au Japon le 29 décembre 1964[1], et sort dans les salles japonaises en janvier 1965. Le film est présenté au festival de Cannes le 17 mai 1965, et y remporte le prix spécial du jury. Aux États-Unis, une première a lieu le 15 juillet 1965 à Los Angeles… mais la réponse mitigée de l’audience, semble-t-il déconcertée par ce film très long (183 minutes) et lent, entraîne des coupes drastiques dans le métrage, afin de le réduire à la durée plus conventionnelle de 120 minutes. C’est cette version lourdement éditée qui sera projetée aux États-Unis à partir du mois de juillet, et de même en France – la version intégrale ne ressortira que bien plus tard en dehors du Japon.

 

Kwaidan est un film à sketchs, composé de quatre histoires différentes, sans dispositif visant à les lier entre elles – elles ne sont liées que thématiquement : ce sont des « histoires de fantômes », en leur temps couchées sur le papier par Lafcadio Hearn (crédité au générique sous son nom japonais, Koizumi Yakumo 小泉八雲). La succession des quatre histoires évoque cependant celle des saisons. Les épisodes sont présentés dans l’ordre suivant :

  • « Les Cheveux noirs » (Kurokami 黒髪).
  • « La Femme des neiges » (Yuki onna 雪女).
  • « Histoire de Hôichi sans oreilles » (Mimi-nashi Hôichi no hanashi 耳無し芳一の話).
  • « Dans un bol de thé » (Chawan no naka 茶碗の中).

 

La « version courte » opère diverses coupes çà et là, mais, surtout, l’intégralité du deuxième épisode, « La Femme des neiges », disparaît dans ce remontage.

 

Les épisodes « La Femme des neiges » et « Histoire de Hôichi sans oreilles » proviennent seuls du recueil de Lafcadio Hearn intitulé Kwaidan.

 

La forme même du film et de son matériau source nous amèneront, dans ce chapitre, à analyser chaque épisode indépendamment, dans l’ordre où ils se succèdent, préalable nécessaire aux analyses plus transversales qui feront l’objet du dernier chapitre de ce dossier.

Mais, avant d’aborder les quatre histoires, il faut cependant dire quelques mots du générique – qui fait pleinement partie du film[2].

 

En effet, Kobayashi Masaki 小林正樹 use d’un dispositif particulier, destiné à introduire progressivement le spectateur dans l’ambiance lente et contemplative du film, tout en affichant une forme d’abstraction artistiquement connotée qui est en même temps un jeu sur les couleurs – or il faut se rappeler que Kwaidan est le premier film en couleurs du réalisateur, et il comptait bien en tirer tous les avantages : « Sachez que lorsque je fais un film, je ne suis pas intéressé à reproduire la couleur telle que nos yeux la perçoivent. C’est celle que j’ai dans mon imagination que je cherche à produire. Dans Kwaidan, j’ai tenté de donner les couleurs que je désirais vraiment. Et c’est ce que j’ai réussi, je crois. Quand on cherche à reproduire la couleur réelle, il faut se contenter de ce que donne le laboratoire. […] Dans Kwaidan, j’ai mis mes couleurs. […] j’ai créé "ma" couleur volontairement surréaliste. »[3]

 

Le générique alterne ainsi entre classiques écrans de présentation, d’un fond blanc un peu granuleux qui évoque du papier[4] (fig. 1), et des gouttes d’encre – d’abord noire (fig. 2), puis de couleur – qui se dissolvent dans un liquide, isolément (fig. 3 et 4), ou bien en se mélangeant entre elles (fig. 5 et 6).

Fig. 1 : "réalisé par Kobayashi Masaki"
Fig. 2
Fig. 3
Fig. 4
Fig. 5
Fig. 6

Ce procédé, dans un film si ouvertement dédié aux arts anciens du Japon, tient bien davantage de l’avant-garde – impression renforcée par la bande son de Takemitsu Torû 武満徹, qui consiste pour l’heure simplement en des sortes de tintements de cloches, retravaillés électroniquement, et distribués aussi aléatoirement que la dilution des couleurs. En fait, plus que cet étrange son cristallin, ce que l’on ressent avant tout, c’est la distance très prolongée qui sépare chaque « note » : le silence fait partie intégrante, et même dominante, de la composition – ce qui se vérifiera dans l’ensemble du film. On sait que le compositeur appréciait la réflexion théorique de John Cage (1912-1992), mais sans doute faut-il d’abord y voir une illustration du concept esthétique japonais de ma , portant sur les intervalles, et qui en musique désigne justement la pause entre deux notes, constitutive du rythme. D’une certaine manière, le spectateur est ainsi conditionné, et intègre le rythme de l’œuvre.

[1] Les informations contenues dans ce paragraphe proviennent de la page de l’Internet Movie DataBase consacrée au film.

[2] Une précision concernant les illustrations tirées de Kwaidan dans ce dossier : désormais, il s’agira toujours de captures que nous avons personnellement réalisées sur la base du DVD de la version intégrale édité par Wild Side, coll. « Les Introuvables ».

[3] Bonneville Léo, « Entretien avec Masaki Kobayashi », art. cité, pp. 65-66.

[4] Il faut noter que la distribution entière du film figure ainsi en introduction seulement, même en faisant la distinction épisode par épisode.

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