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Dossier Kwaidan 07 : de la page à la pellicule, le travail d'adaptation - La Femme des neiges

Publié le par Nébal

Dossier Kwaidan 07 : de la page à la pellicule, le travail d'adaptation - La Femme des neiges

La première partie se trouve ici, la précédente .

« La Femme des neiges » (Yuki onna 雪女)

Durée : 43 minutes (39:00®1:22:00)

Distribution :

  • Nakadai Tatsuya 仲代達矢 : Minokichi 巳之吉
  • Kishi Keiko 岸惠子 : la femme des neiges/O-Yuki お雪
  • Mochizuki Yûko 望月優子 : la mère de Minokichi

 

Comme dit plus haut, l’ensemble de ce deuxième épisode avait été coupé dans la version lourdement éditée de Kwaidan (Kaidan 怪談) distribuée aux États-Unis et en Europe à l’époque (mais après le festival de Cannes et en conséquence de la première à Los Angeles) – un choix d’autant plus étonnant que ce fragment est probablement celui jugé le plus célèbre aujourd’hui, avec celui qui le suit, « Histoire de Hôichi sans oreilles » (Mimi-nashi Hôichi no hanashi 耳無し芳一の話).

 

Tous deux (à la différence des premier et dernier épisodes) sont d’ailleurs tirés du recueil de Lafcadio Hearn Kwaidan, qui donne son titre au film. La nouvelle originelle a un titre japonais, « Yuki-onna ». En français, dans le recueil Fantômes du Japon, elle apparaît sous le titre « La Femme de la neige »[1], mais l’usage est plutôt de parler de « neiges » au pluriel.

 

L’histoire est très courte et assez simple. Deux bûcherons, un vieil homme et son jeune apprenti Minokichi 巳之吉 (incarné dans le film par Nakadai Tatsuya 仲代達矢), sont contraints de travailler dans une forêt à bonne distance de leur village, ce qui implique d’emprunter un bac. Au retour, pris dans une tempête de neige, les deux hommes ont la mauvaise surprise de trouver le bac sur l'autre rive – ils ne peuvent pas traverser la rivière. Ils se réfugient dans la petite cabane (déserte) du passeur, qui n’offre qu’un abri assez limité. Là, Minokichi a une vision déconcertante : une femme d’une grande beauté, très pâle, se penche sur son maître et semble le faire périr de froid de par son souffle ; la créature se tourne ensuite vers l’apprenti mais, au prétexte dit-elle de sa jeunesse, elle décide finalement de ne pas le tuer comme le vieil homme – mais elle l’avertit : s’il parle de ce qu’il a vu à qui que ce soit, elle le saura, elle reviendra et elle le tuera ! Au matin, Minokichi constate la mort de son maître – mais la femme des neiges, l’a-t-il vraiment vue, ou n’était-ce qu’un rêve ?

 

Quelque temps plus tard, le jeune bûcheron, désormais à son compte, croise la route d’une très belle jeune fille du nom d’O-Yuki お雪 ; c’est là un prénom féminin assez répandu, mais le lecteur/spectateur, à la différence du jeune homme bientôt fou amoureux, ne manque pas de relever qu’il signifie « neige »… Les jeunes gens ne tardent guère à se marier, et ils vivent heureux pendant de longues années ; O-Yuki donne dix beaux enfants à Minokichi, mais reste aussi fraîche qu’au premier jour.

 

Une nuit cependant, Minokichi se souvient de ce qu’il a vécu dans sa jeunesse – l’étrange vision de la femme des neiges, qu’il raconte à son épouse, sur le ton de l’anecdote… à vrai dire, peut-être bien de ces traditions orales aux sources des kaidan-shû 怪談集[2]. Fatale erreur : son épouse O-Yuki n’était autre que la femme des neiges, yuki onna ! Le bûcheron a failli à sa promesse… Pourtant, la femme des neiges ne le tue pas – elle use à nouveau d’un prétexte, l’existence de leurs enfants ; mais elle s’en va dans la neige, et ni Minokichi, ni leurs enfants, ne la reverront jamais.

L’histoire est d’une certaine manière sur la corde raide : elle oscille entre la terreur et la mélancolie, une dimension que le film accentue encore ; mais, finalement, dans ce dernier, ce segment prend le contrepied de l’épisode précédent – cette fois, nous commençons par la terreur, et non le dépit, et, là où l’on s’attendrait, au regard de la malédiction de la femme des neiges, à ce que l’histoire se conclue également dans la terreur, c’est finalement la mélancolie qui l’emporte, et de très loin. Mais le film est globalement fidèle à la nouvelle, les variations portant sur des détails (par exemple, le couple n’a que trois enfants, et une dizaine d’années seulement s’écoulent entre la nuit dans la cabane du passeur et la révélation de la véritable nature d’O-Yuki).

 

Sur le plan visuel, le trait le plus saillant de cet épisode réside dans l’emploi de décors peints totalement surréalistes, qui confèrent à l’histoire une atmosphère d’irréalité prononcée. Mais ces décors sont d’autant plus saisissants qu’ils figurent des yeux en lieu et place de la lune ou des étoiles (fig. 1 à 6).

Fig. 1
Fig. 2
Fig. 3
Fig. 4
Fig. 5
Fig. 6

Cela n’a bien sûr rien d’un hasard : ce motif des yeux est associé à la femme des neiges, et à la surveillance constante qu’elle impose à Minokichi ; s’il trahit sa promesse, elle le saura ! Faut-il aussi en dériver une lecture « politique » ? Stephen Prince le croit[3] – si l’objet premier de ce procédé est de créer une atmosphère d’irréalité, il pense pouvoir de la sorte rapprocher Kwaidan d’autres films de Kobayashi Masaki, plus explicites sous cet angle ; il s’agirait notamment de rappeler une fois de plus l’expérience de l’armée, presque « panoptique » dans un sens : les nouvelles recrues sont sous la surveillance constante de leurs aînés, qui sont sous la surveillance constante des sous-officiers, eux-mêmes sous la surveillance constante des officiers, etc. Le « panoptisme », d’ailleurs, de manière plus stricte, renverrait en même temps à la situation des détenus à la prison de Sugamo (Sugamo kôchi-sho 巢鴨拘置所dans La Pièce aux murs épais (Kabe atsuki heya 壁あつき部屋). L’hypothèse vaut d’être envisagée, mais elle n’a probablement rien d’assuré.

 

Il faut noter que les yeux dans le ciel disparaissent peu ou prou après l’épisode dans la cabane du passeur, pour ne revenir, de manière significative, qu’au moment de la révélation de la véritable nature d’O-Yuki お雪 (fig. 6).

 

Cependant, cela ne signifie bien sûr pas qu’ils soient véritablement « absents » entre ces deux moments : c’est plutôt que nous sommes amenés, comme Minokichi lui-même, qui fait celui qui ne comprend pas, à ne pas les voir. Mais, même au moment le plus heureux du segment, quand le bûcheron tombe amoureux d’O-Yuki, les yeux sont en fait toujours là, dans le dos du bûcheron (fig. 7), et lors des amours du jeune couple, le ciel a toujours une apparence artificielle : le soleil, si c’est bien de cela qu’il s’agit, est si irréel que l’on est tenté d’y voir un œil prétendant seulement être fermé (fig. 8).

Fig. 7
Fig. 8

La stylisation de ces scènes peut éventuellement emprunter d’autres voies. On relève notamment un certain goût des compositions symétriques, avec une perspective appuyée dans l’axe (ici avec les arbres essentiellement), ainsi dès l’intertitre, mais il y en a d’autres exemples (fig. 9 et 10). On notera l’œil en arrière-plan dans la (fig. 9). Ce procédé n’est pas sans évoquer ce que feront, plus tard, des réalisateurs tels Ôshima Nagisa 大島渚, ou, surtout, Stanley Kubrick, dont c’est une marque de fabrique.

Fig. 9
Fig. 10

En certaines occasions, Kobayashi Masaki approfondit enfin son usage de procédés picturaux en jouant davantage encore de la carte de l’abstraction. C’est ce qui se produit, par exemple, le matin suivant l’aventure dans la cabane du passeur (c’est d’ailleurs ce dernier qui constate la mort du vieux bûcheron et qui sauve Minokichi ; il découvre que l’intérieur de sa cabane est totalement gelé, comme il n’aurait jamais dû l’être – pour le spectateur, cela a pour effet d’objectiver le surnaturel, face à un Minokichi qui préfère croire avoir été victime d’une hallucination) : le jour se lève sur une cascade filmée en très gros plan, au point de donner l’impression d’une peinture abstraite (fig. 11), tandis que le ciel au-dessus relève peu ou prou du monochrome rouge (fig. 12).

Fig. 11
Fig. 12

Une chose apparaît clairement, dans les quelques exemples que nous avons donnés : au-delà du motif inquiétant de l’œil, la composition chromatique de l’épisode repose sur une opposition marquée entre des teintes noires, bleues et blanches pour la nuit, le froid, le surnaturel, et des couleurs très chaudes, rouges, orangées pour le jour, l’amour, le bonheur. Cela n’a sans doute rien de bien original, mais le caractère très appuyé de cette dichotomie permet de peser la pertinence de ce que Kobayashi Masaki avait déclaré plus haut à son intervieweur Léo Bonneville, concernant sa conception de la couleur – pour son premier film à en faire usage[4].

 

Mais il y a plus à en dire, et il nous faut revenir à la nuit où Minokichi a rencontré la femme des neiges. Kobayashi Masaki y a glissé une scène absente de la nouvelle, avant que les deux bûcherons ne cherchent à se réfugier dans la cabane du passeur (identifiée par un drapeau rouge sans doute supposer promettre la chaleur – ironiquement). En effet, alors que nous sommes en pleine tempête, avec la musique de Takemitsu Tôru 武満徹 qui exprime le souffle avec habileté, mais tout autant la terreur (là encore, nous y reviendrons dans la section consacrée au travail du compositeur), nous voyons soudain Minokichi s’effondrer… et se relever, seul, éberlué (fig. 13), dans une forêt certes enneigée, mais absolument pas sous une tempête battante – et le silence se fait. S’agit-il d’un rêve ? Peut-être est-il prémonitoire – car c’est le moment de l’épisode où les yeux, d’abord (faussement ?) absents (fig. 14), apparaissent sans plus l’ombre d’un doute (fig. 15), et bientôt en nombre, avec Minokichi dans le cadre, qui, en cette occasion première, ne peut pas prétendre ne pas les voir (fig. 16 et 17) – peut-être est-ce donc ici qu’il prend, inconsciemment, la décision d’en faire abstraction par la suite ?

Fig. 13
Fig. 14
Fig. 15
Fig. 16
Fig. 17

Puis Minokichi se relève à nouveau – dans la tempête, avec son vieux maître en difficulté. Les deux bûcherons se réfugient dans la cabane du passeur, laquelle baigne d’ores et déjà dans un filtre bleu caractéristique. L’emploi de ce filtre s’explique facilement, a priori : il exprime par convention le froid et la nuit. Mais il y a sans doute une autre dimension à prendre en compte. Colette Balmain fait la remarque que le cinéma fantastique japonais a longtemps fait un usage appuyé des filtres, notamment rouges, verts et bleus, pour exprimer la survenance du surnaturel[5]. Le scénariste Konaka Chiaki 小中千昭 (ou Chiaki J. Konaka, comme il se fait appeler ; né en 1961), créateur de ce que d’autres ont appelé la « théorie Konaka » qui a posé les codes de l’emploi des fantômes dans un cadre réaliste et contemporain, à la base de la « J-Horror », dans les années 1980, confirme cet usage, pour le critiquer : « Ma théorie consiste donc à définir ce qu’il ne faut pas faire, à partir des films qui ont été réalisés par le passé. Par exemple, ne pas introduire une lumière bleutée dès qu’un fantôme apparaît. […] Au Japon, on représentait les fantômes à moitié transparents, ou bien on voyait apparaître un étrange jeune garçon dans une lumière bleuâtre. »[6] La proche manifestation de la femme des neiges pourrait donc être annoncée ainsi, même si elle est certes de toute façon une créature du froid et de la nuit, ce qui rend le questionnement plus ambigu en l’espèce – et il en ira de même quand le filtre bleu reviendra brusquement à la fin de l’épisode.

 

Nous aurons l’occasion de revenir sur la question de la transparence ; mais, pour l’heure, la femme des neiges, incarnée par Kishi Keiko 岸惠子, apparaît très concrète, parfaitement matérielle. Ainsi que nous l’avons mentionné plus haut, elle est tout à fait conforme aux codes de sa représentation dans le yûrei-zu 幽霊図. D’une manière qui fait écho à la représentation des femmes dans « Les Cheveux noirs » (Kurokami 黒髪), elle apparaît en outre de dos, et de sorte que nous ne distinguions tout d’abord que son abondante chevelure noire (fig. 18) ; et il en va de même quand nous la voyons se pencher sur le vieux bûcheron, et, de son souffle, le geler, et aspirer en même temps son sang (du moins est-ce ce que l’on dira d’elle plus tard dans l’épisode) (fig. 19).

Fig. 18
Fig. 19

Minokichi assiste à la scène en témoin muet, pétrifié par l’effroi (fig. 20).

Fig. 20

La femme des neiges n’en remarque pas moins sa présence, et se retourne lentement vers lui, avec des gestes rigides qui contribuent à témoigner de son caractère surnaturel, outre que les couleurs sont ici particulièrement appuyées et tranchées, et donc irréelles (fig. 21).

Fig. 21

Si les yeux seront bientôt l’organe associé au personnage, lors de cette première rencontre avec Minokichi, c’est sa bouche qui est mise en avant – dans un très gros plan où l’on devine un sourire sadique, carnassier, tandis que, d’une voix très faible, grave, faussement douce (l’épisode était jusqu’alors totalement muet), elle annonce qu’elle épargnera le jeune homme, à charge pour lui de ne rien dire de ce qu’il a vu à qui que ce soit (fig. 22).

Fig. 22

Après quoi, la tempête ayant cessé et Minokichi ayant survécu, la femme des neiges (yuki onna) cède la place à O-Yuki, en même temps que les teintes froides et obscures de la nuit et de la tempête cèdent la place aux teintes rouges et orangées de la passion. Kobayashi Masaki a choisi de filmer la première apparition d’O-Yuki, mais aussi sa rencontre avec Minokichi, de très loin, dans une composition très soignée, où les yeux dans le ciel ont été remplacés par quelque chose qui ressemble à des lèvres (fig. 23) ; puis un plan plus rapproché montre les deux personnages côte à côte, et semble déjà témoigner du coup de foudre, de manière finalement très canonique, mais sur un fond très abstrait et qui annihile toute perspective, donnant l’impression d’une scène en deux dimensions (fig. 24).

Fig. 23
Fig. 24

La nouvelle de Lafcadio Hearn est très pudique : l’amour des deux jeunes gens, de manière assez révélatrice en même temps des us de la société japonaise, semble presque passer au second plan, l’essentiel étant qu’O-Yuki plaît à la mère de Minokichi. Cette dimension n’est pas absente du film : la grand-mère elle-même multiplie les compliments, et, au retour d’une scène touchante où O-Yuki et ses trois enfants prient devant la tombe de la belle-mère et grand-mère, trois commères amicales, admiratives de l’éternelle fraîcheur de la jeune femme (sans la moindre rancœur, il faut sans doute le noter), ont cet échange : « Elle est morte en louant sa bru. / Le cas est rare… / C’est vrai. C’est exceptionnel ! Ça n’arrive jamais. » La scène est d’une légèreté dont le film ne montre que peu d’autres exemples – mais avec un à-propos certain.

 

Cependant, dans le film, la passion de Minokichi est beaucoup plus explicite. Avant le mariage, nous voyons le jeune bûcheron contempler les jambes de sa future épouse avec un contentement un peu salace ; plus tard, après quelques plans d’un style assez naïf montrant le bonheur des deux amants qui courent dans les champs en riant, il embrasse les seins nus de la jeune femme, tandis qu’ils sont couchés dans l’herbe. Pas de quoi qualifier ces très brefs instants de véritablement érotiques, mais ils suffisent à inscrire dans le récit une dimension charnelle qui était totalement absente de la nouvelle.

 

Mais nous en arrivons à la scène durant laquelle O-Yuki révèle sa véritable nature, en raison de la rupture de sa promesse par Minokichi. Il s’agit tout d’abord de justifier le fait que le bûcheron parle à son épouse de son aventure : comme dans la nouvelle, cela vient de ce qu’il réalise enfin la ressemblance entre la femme des neiges et son épouse – une illumination tardive que les circonstances rendent un peu suspecte : en effet, dans la nouvelle comme dans le film, O-Yuki invite son époux à parler, et donc à fauter… La ressemblance est établie très simplement – en faisant de nouveau appel au filtre bleu, appliqué au visage d’O-Yuki (fig. 25 et 26).

Fig. 25
Fig. 26

Mais, une fois cette correspondance établie, le plan antérieur sur la bouche de la femme des neiges est remplacé par un plan sur ses yeux – en toute logique, puisqu’il s’agit du point culminant de la surveillance permanente exercée par la créature surnaturelle sur son naïf époux (fig. 27).

Fig. 27

Puis le filtre bleu disparaît, le temps que Minokichi fasse son récit, à l’invitation de son épouse. Celle-ci attend qu’il en ait fini avant de révéler sa vraie nature – le filtre bleu revient, le souffle de la tempête aussi (non pas un souffle « réaliste », mais un effet de la composition de Takemitsu Tôru). La surprise vient de ce que la femme des neiges ne se montre pas cruelle, mais avant tout triste – et même dévastée ; cela apparaît clairement sur ses traits quand elle s’avance devant son époux et dit qui elle est – elle conserve alors les vêtements et la coiffure d’O-Yuki (fig. 28) ; mais, bientôt, elle reprend tous les atours de la femme des neiges, menaçante – coiffure, vêture, mouvements rigides (fig. 29 à 31).

Fig. 28
Fig. 29
Fig. 30
Fig. 31

Pourtant, comme dans la nouvelle, la femme des neiges ne réalise pas sa menace. Prenant prétexte de l’existence de leurs enfants, elle fait le choix de ne pas tuer Minokichi. Il doit cependant y avoir une sanction : bien qu’il lui en coûte visiblement, elle consistera à abandonner l’époux naïf et leurs trois enfants – à jamais. Qu’il prenne soin d’eux, sinon… Vaine menace ? Une de plus ? Quoi qu’il en soit, la créature que nous avions d’abord vue cruelle et impitoyable, prenant la vie d’un vieillard sans plus de façons, s’avère, en dernière mesure, un avatar de la « femme trompée » (« wronged woman »)[7], et qui plus est un avatar qui ne se venge pas, mais qui subit le poids de la tromperie – le lot des femmes japonaises au cinéma.

 

Minokichi est lui aussi dévasté, bien sûr. Après avoir assisté au départ de son épouse, forme fantomatique qui a traversé la porte fermée et disparaît au loin, entre deux mondes, dans un ultime œil de mauvais augure (la malédiction, finalement, est de savoir) (fig. 32), le pauvre bûcheron s’effondre – et, cruellement, un projecteur est alors braqué sur lui, dont la lumière impitoyable le fait paraître plus faible encore, honteux, humilié (fig. 33).

Fig. 32
Fig. 33

Mais, si l’épisode précédent se concluait sur un arrêt sur image qui ne laissait guère de doute quant au dénouement, « La Femme des neiges » se conclut sur une séquence plus ambiguë : nous avions vu Minokichi confectionner des sandales, pour son épouse et pour leurs trois enfants – elles constituaient à vrai dire le symbole de leur bonheur conjugal, même dans une situation financière précaire. Après le départ de la femme des neiges, Minokichi vient déposer les sandales de son épouse dans la neige devant sa maison… et, après quelque temps, les sandales disparaissent – non pas sous la neige qui tombe, mais dans l’absolu, car leur trace demeure. Que faut-il en conclure ? Est-ce la femme des neiges qui les a malgré tout emportées ? Ce qui pourrait laisser entendre qu’une fois de plus elle n’accomplirait pas sa menace… Ou bien est-ce Minokichi qui les a enlevées, finalement résigné ? Nous ne trancherons pas – et d’autres hypothèses sont peut-être envisageables.

[1] Cf. Hearn Lafcadio, Fantômes du Japon, op. cit., pp. 169-175.

[2] Cf. Reider Noriko T., « The Emergence of "Kaidan-shū" The Collection of Tales of the Strange and Mysterious in the Edo Period », art. cité.

[3] Cf. Prince Stephen, A Dream of Resistance, op. cit., pp. 212-213.

[4] Cf. Bonneville Léo, « Entretien avec Masaki Kobayashi », art. cité, pp. 65-66.

[5] Cf. Balmain Colette, Introduction to Japanese Horror Film, op. cit., passim.

[6] Entretien avec Chiaki J. Konaka in Mesnildot Stéphane du, Fantômes du cinéma japonais, op. cit., p. 178.

[7] Cf. Balmain Colette, Introduction to Japanese Horror Film, op. cit.

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