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"La rage dans le troupeau", de Pierre Pelot

Publié le par Nébal

 

 

PELOT (Pierre), La rage dans le troupeau, ou : Les hommes de picro-magnon, Paris, Pocket, coll. Science-fiction, 1979, 215 p.

 

C’est bien, les amis qui vident leur bibliothèque. L’autre jour, je me rendais innocemment chez un couple de gens très fréquentables, quand bien même elle est Basque et il est Corse (boum). Il s’agissait seulement de faire une chouette partie d’un fort sympathique jeu de plateau que je vous recommande par la même occasion (sans toucher la moindre commission, alors ça va), à savoir Zombie : la blonde, la brute et le truand. Et voilà-t-y pas que, déambulant dans l’appartement, je tombe sur la bibliothèque de miss K. Je vois des bouquins de SF (« Tiens ! je savais pas que… ») ; je demande naïvement si je peux en emprunter quelques-uns, histoire de. Réponse stupéfiante : « Vas-y, sers-toi, et c’est cadeau, de toute façon je les ai lus, et ça fera un peu de place. Je les avais pas achetés, on me les avait donnés, et là je fais pareil. C’est bien de faire tourner les livres… » Echange, partage, générosité ; main sur le cœur et poing dressé (elle milite à la LCR, en plus d’être Basque). C’est admirable. D’où je me suis servi comme un (petit et raisonnable) sagouin. C’était notamment l’occasion de jeter un œil à des auteurs que je n’avais jamais eu l’occasion de lire jusqu’alors, à savoir Pierre Pelot et Michel Jeury. Bouquins pris, donc, sur la seule foi du nom de l’auteur.

 

Va pour le Pelot. La rage dans le troupeau, bouquin paru en 1979 et semble-t-il pas réédité depuis. Pas un incontournable de l’auteur, à ce que j'ai pu en lire ici ou là, mais bon, la quatrième de couv’ précisait déjà, à l’époque, qu’il « a écrit en moins de dix ans plus de soixante-dix romans ». Ah ouais, quand même ! Suit une mention destinée à rassurer le Nébal : « Mais ce recordman de vitesse sait aussi manifester les qualités d’un remarquable styliste […]. » Ah, bon, ben ça va, alors. Tentons.

 

Nous sommes en 2030, et en Bretagne.

 

Donc il pleut.

 

Mais alors beaucoup beaucoup. L’action du roman tient en une nuit de tempête, et reconnaissons d’emblée que l’atmosphère est très réussie. Ca pleut, ça mouille, c’est la fête à la grenouille. Enfin, façon de parler : disons que la pluie battante n’est qu’un souci de plus sur les épaules du pauvre Ruiz Doiewski, qui en avait déjà pas mal sans ça. Minable petit flic de l’environnement échappé d’un film noir post-moderne, il fait une étrange rencontre alors qu’il achevait sa tournée et se rendait enfin chez lui. Sous la pluie, donc. Deux types qui se battent pour une valise (p. 31) :

 

« Sans réfléchir davantage, poussé par l’automatisme de ses habitudes, il ouvrit sa portière.

 

« Plus tard, il comprit une chose : s’il avait dû réfléchir une fois – une seule fois – dans sa vie, et ne pas faire ce que lui dictait son devoir professionnel, c’était à ce moment-là. Il ne réfléchit pas. Il fit ce que lui dictait son devoir professionnel.

 

« Tout à fait connement. »

 

Deux morts plus tard, Doiewski se retrouve en possession de la mystérieuse valise ; il ne dispose d’aucun moyen de l’ouvrir, et ne sais pas ce qu’elle contient. Le lecteur pas davantage : à l’évidence, ce doit être un MacGuffin… Cela dit, on sait au moins une chose que Doiewski ignore : un vol a été perpétré dans un centre de recherches appartenant au Parti Social, le parti d’opposition au niveau global. Et le Parti Social a les glandes, d’autant qu’il est tenu de prévenir le Parti Libéral, dominant, de l’effraction ; ledit Parti Libéral est fort intrigué par cette affaire. Il faut y rajouter le Parti Neutre, bien sûr, dominant dans le coin, et auquel appartient Doiewski (tout le monde appartient à un Parti, c’est un élément indispensable de l’identité) ; ou plutôt les Partis Neutres, puisqu’il y a une myriade de groupuscules aux dents longues là-dedans, qui pourraient bien vouloir tirer parti (aha) du marasme ambiant. Ah, et puis la Police de Contrôle est au courant, bien sûr. Et tout ce petit monde a ses propres services secrets à la gâchette facile et amateurs de torture porno-shampouineuse. Et tout ce petit monde, complètement paumé dans l’affaire et ne sachant rien sur rien, espère bien obtenir d’indispensables réponses de l’inconnu et insignifiant Doiewski… qui n’en sait pas davantage. En l’espace de quelques heures, les cadavres vont se ramasser à la pelle…

 

La rage dans le troupeau, c’est d’abord et avant tout une série B sympa, connotée excessive et absurde, et donc jubilatoire. Quelque part entre SF, film noir et survival, avec pas mal d’action, quelques courses-poursuites, et une grosse dose de suspense et de mystère. Avec Doiewski en Bogie, imper et chapeau mou, la nuit, sous la flotte, coursé par des men in black concurrents. Et régulièrement, on a même une bonne dose de gore bien sadique et cracra, façon film d’exploitation salement racoleur. Ca crève à foison, chouette. Dans l’ensemble, c’est assez rondement mené, et parfaitement jouissif, jusqu’au twist final, tellement inévitable qu’il n’a plus rien d’un twist, comme d’hab’ (et la confirmation de la vacuité du MacGuffin, comme d’hab’ aussi…). Une série B honnête et distrayante, quand bien même elle n’apporte rien de bien neuf.

 

Une chose qui ne gâche rien : la plume de Pelot est le plus souvent assez sympathique, dynamique, parfois drôle, pertinente ; l’ambiance, encore une fois, est excellente, et le falot Doiewski finalement très attachant. C’est qu’il est humain, ce médiocre pris subitement d’ambitions auparavant inconcevables (pp. 70-71) :

 

« Regarder couler les jours et les nuits, sans vouloir se rendre compte qu’ils sont toujours pareils, les jours et les nuits, toujours pareil ! Sans vouloir regarder ça en face, cette terrifiante évidence, ce rideau de brouillard pesant comme l’univers et ses étoiles. Sans vouloir admettre que les jours et les nuits vont poursuivre leur défilé, comme des rouages de chrono, tic-tac, tic-tac, et que demain sera aussi creux qu’aujourd’hui ou hier. Il n’y a pas de tempêtes sur la mer. C’est une idée qu’on se fait. Une illusion. La preuve : ça se calme toujours, et ça redevient comme avant. La mer est étale.

 

« Pas vrai, Ruiz ?

 

« Pas vrai, Ruiz Doiewski, énième du nom, dans une lignée de Doiewski tous pareils, comme les jours ou les nuits qui les ont vu naître et vivre et mourir, répétition éternelle du même fœtus primitif programmé à la neutralité, destiné à « regarder ce qu’on offre, en faisant la gueule », et à bouffer des miettes. Des miettes d’une espèce de gâteaux pas franchement mauvais, mais des miettes.

 

« Et moi je veux de la crème, pensa Ruiz.

 

« Tout à coup.

 

« Lumineux.

 

« Transi, fiévreux, mal fichu, ahuri : mais, oui – lumineux.

 

« Et moi j’ai envie de courir, t’entends ça, papa ?

 

« Au volant de cette voiture, de sa voiture, de son outil de travail, bousculé contre son gré depuis un bon bout de temps, comme un rat de laboratoire fuyant de toutes ses forces dans le dédale, voilà qu’il avait envie de courir – cette envie que jamais Chris Doiewski le père, Chris le grand-père, Chris l’ancêtre du fond des âges, n’avai(en)t eue.

 

« Ca lui tombait dessus. A Lui.

 

« Ca éclatait. Comme un volcan.

 

« Tu verras, ça changera.

 

« Tout à fait d’accord, Ruiz, ça va changer.

 

« La lignée des Doiewski s’engloutit ici. Dans la tête de son dernier représentant. »

 

(J’aime bien ce passage, moué…)

 

Le petit plus, c’est une virulente satire politique, caustique, cynique, absurde et passablement dépressive (i.e. drôle). Pierre Pelot donne le ton dès la double exergue empruntée à Bukowski, dont je retiendrai ici la première (p. [7]) : « La différence entre une démocratie et une dictature, c’est qu’en démocratie tu votes avant d’obéir aux ordres. » Le système décrit dans La rage du troupeau est en effet assez clairement démocratique, jusqu’à l’absurde : les élections sont fréquentes, tout le monde doit voter, entre temps tout le monde est sondé en permanence, et les partis gèrent le tout. Ce qui change plus ou moins la donne, selon l’angle de vue (pp. 46-47) :

 

« La guerre, songea J.M. Lawe. C’était fou. A imaginer, à concevoir. Il n’essaya pas. La guerre était morte – la guerre de jadis. Une autre, éternelle, se poursuivait à longueur de jours, souterraine ou maquillée, travestie – et on ne la reconnaissait pas. L’arme absolue, c’était l’urne électronique, c’étaient les implants de sondage que des armées de mercenaires-sondeurs à la solde des principaux Instituts d’Information utilisaient pour mitrailler les électeurs, sans douleur, en secret… Les armes, c’était l’intox et la propag effrénées, et les impacts éclatant dans la tête des gens pour les transformer en victimes vivantes (finis les cadavres sur les champs de bataille !) qui ignoraient tout de leur état, s’imaginaient toujours conscients, responsables, utiles, efficaces, et qui VOTAIENT. Selon les règles démocratiques du pouvoir. Qui donnaient leur avis, persuadés qu’ils étaient d’agir en toute lucidité, de prendre leurs décisions tout seuls, de jouer un rôle important… Le pouvoir aux électeurs : voilà ce qu’était devenue la bombe à hydrogène. Elle explosait trimestriellement. Elle faisait des ravages calculés qui ne répandaient pas une goutte de sang. »

 

(Là encore, j’aime bien… Et j’aime beaucoup l’idée des « mercenaires-sondeurs », très importante dans le récit ; en 1979, c’était plutôt visionnaire, trouvé-je…)

Bilan très positif, donc. Sans rien révolutionner, sans se montrer trop prétentieux, La rage dans le troupeau est un bon petit bouquin de SF, divertissant et un peu plus que ça, alors que demande le peuple ?

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Bilan sur la série des "Nicolas Eymerich"

Publié le par Nébal

Une brève en passant : j'ai fait un petit récapitulatif de l'ensemble des romans de la série sur le forum d'ActuSF.

Ca se trouve là (hop) :
http://www.actusf.com/forum/viewtopic.php?p=35650#35650

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"C'est dans la poche ! Souvenirs science-fictifs et autres", de Jacques Sadoul

Publié le par Nébal

 

SADOUL (Jacques), C’est dans la poche ! Souvenirs science-fictifs et autres, Paris, Bragelonne – J’ai lu, [2006] 2007, 286 p. + [16] p. de pl.

 

Où l’on se penche sur le dossier de Jacques Sadoul, un des grands responsables de la propagation de l’infection science-fictive dans la France de l’après-guerre, aux côtés – liste non exhaustive – d’un Gérard Klein, d’un Alain Dorémieux, d’un Jacques Goimard ou d’un Jacques Chambon (ce qui fait beaucoup de Jacques ; quand on vous dit que la SF est subversive !). Jacques Sadoul, dans le domaine qui nous intéresse, c’est, avant l’auteur de l’Histoire de la science-fiction moderne (que je n’ai pas lue, honte sur moi), le créateur de la collection J’ai lu SF, qui est bien ce me semble, si l’on excepte le Fleuve Noir Anticipation, la première collection SF de poche en France. Mais les activités de Jacques Sadoul au sein de J’ai lu ont très vite largement dépassé la seule science-fiction : à travers ses souvenirs éditoriaux, c’est l’ensemble de son parcours chez J'ai lu qui se retrouve ainsi envisagé. Par une étrange ironie du sort, ces mémoires dévouées à J'ai lu et au format poche… ont d’abord été publiées en grand format chez Bragelonne. Juste retour des choses, c’est bien aujourd’hui chez J’ai lu que l’on retrouve – à un prix nettement plus abordable, of course – ces Souvenirs science-fictifs et autres.

 

Autant le dire de suite : sur le strict plan littéraire, et sans véritable surprise, l’intérêt de ces mémoires est très limité, pour ne pas dire inexistant. Le style de Sadoul est assez pénible, sa ponctuation hasardeuse, son humour souvent franchement lourdingue. Qui plus est, si nombre d’anecdotes rapportées par l’auteur sauront amuser ou édifier le lecteur, ses réflexions sont par contre d’un intérêt variable : les critiques acerbes et pertinentes – il y en a – sont souvent noyées dans les brèves de comptoir et autres fulminations capillicoles. C’est dans la poche ! ne manque cependant pas d’intérêt, mais il est à envisager pour ce qu’il est : ni confession ni auto-hagiographie (ouf), ce n’est pas davantage un essai historique, mais bien un témoignage, ou, plus abstraitement, un document : à prendre en bloc, avec ses défauts, qui sont au moins aussi instructifs que ses qualités.

 

Reste à savoir de quoi Jacques Sadoul nous parle dans ce petit volume. Le sous-titre, de même que la publication originale chez Bragelonne, éditeur pour le moins connoté « imaginaire », laissaient supposer un ouvrage consacré essentiellement à la SF. Il n’en est rien : si, dans un premier temps, Jacques Sadoul se penche avant tout sur ce genre – avec Fiction et Galaxie, le Club du Livre d’Anticipation puis J’ai lu SF… –, il passe bien vite à autre chose (il avait déjà ménagé de nombreux développements à la bande dessinée, s’amusant de son statut d’inventeur du mot « bulle » pour désigner les ballons ou phylactères, mais aussi à toute une littérature de l’étrange, pseudo-scientifique ou occultiste, qui obtiendra un certain succès chez J’ai lu ; un aspect semble-t-il important de l’auteur, grand ami de Jacques Bergier et amateur du Matin des magiciens, d’autant qu’il a semble-t-il pas mal écrit lui aussi sur l’alchimie et toutes ces sortes de choses).

 

On trouvera bien ici ou là quelques anecdotes sur Arthur C. Clarke, Alfred Bester, Harlan Ellison ou encore A.E. Van Vogt (assez peu finalement ; rappelons pourtant que c’est pour une bonne part à Jacques Sadoul que l’on doit l’incompréhensible popularité de Papy Van en France, lui qui a fait de l’imbitable Monde des non-A un best seller dans notre triste pays – Van Vogt est même qualifié de « bon auteur » par un libraire pédant dans un souvenir édifiant ! (p. 88) –, et qui a poussé le vice, plus tard, jusqu’à lui extorquer la non moins poussive Fin du non-A… On notera d’ailleurs, de manière assez paradoxale, que Jacques Sadoul ne se prive pas pour autant de casser du sucre sur le dos de VV en raison de son intérêt pour la Dianétique, tout en l’exonérant de toute responsabilité dans son tournant scientologique...), plus largement un tableau souvent cocasse et parfois acerbe de ces « temps héroïques » de la SF en France, mais c’est à peu près tout.

 

On passe très vite, plus généralement, à l’édition de poche. Avis, donc, aux intégristes de la SF : dans ce petit ouvrage, ils trouveront autant, sinon plus, de pages consacrées à Barbara Cartland, à Marcel Dassault et à Guy des Cars qu’à Asimov et compagnie… Cela dit, ce n’est pas inintéressant, loin de là… et on accordera à Jacques Sadoul le bénéfice de l’honnêteté : dans son évocation du « poche » virant bien souvent au plaidoyer (souvent à raison, les pages consacrées à la fondation de Librio, notamment, en témoignent… quand bien même on s’éloigne du coup du format !), mais parfois limite populiste, il n’oublie pas une réalité fondamentale de l’édition, qu’il est de bon ton de gommer en temps normal : l’argent. Jacques Sadoul, dans ses mémoires, ne parle guère de littérature, mais bien plutôt de commerce, de stratégies de vente (têtes de gondole, présentation, publicité, suivi des grands succès cinématographiques et télévisuels), de gros coups de bol (pour poursuivre dans cette dernière lignée, on citera Kramer contre Kramer, E.T., Danse avec les loups…) et d’audaces finalement payantes (qui le rendent bien plus sympathiques, du coup : les premières BD au format poche, Librio, les premiers mangas à respecter la pagination japonaise…). Et tout cela est envisagé exactement de la même manière. Pour paraphraser l’auteur (p. 85), on pourrait dire : Œdipe Roi de Sophocle et Le Talisman de Marcel Dassault, Stephen King et Barbara Cartland, Van Vogt et Houellebecq, Gotlib et Les oiseaux se cachent pour mourir, même combat. Bref, l’éditeur ne se prive pas, régulièrement, de dresser un gros doigt vengeur à la face de la Littérature avec un grand « L » (et probablement plein de « h »), et n’hésite pas à faire sienne la réponse de Guy des Cars, un des plus gros vendeurs de J’ai lu première époque, sur les auteurs qui ont des critiques, et ceux qui ont des lecteurs (tiens, pour le coup, c’est peut-être pas si étonnant que ça, la publication chez Bragelonne…). Jacques Sadoul annonce très vite la couleur (p. 54 ; au passage, c’est l’occasion, peut-être, de voir ce que j’entendais par « ponctuation hasardeuse »…) :

 

« […] soyons clairs, les « poches » sont là pour faire vivre le groupe éditorial qui les édite, pas pour apporter les belles lettres aux masses laborieuses. Certains éditeurs, amoureux de littérature, publient des livres sans espoir de rentabilité, ce n’est jamais le cas d’un « poche », il est là pour faire rentrer de l’argent, c’est tout, et il en est de même pour les livres « club ». Aussi nous parlerons au cours de ces quelques pages de tirages, de ventes, de publicité, de best-sellers, non de recherche littéraire. »

 

On ne saurait être plus clair, effectivement. Cette honnêteté dans le discours, si elle peut ulcérer l’amoureux des belles lettres, n’en est pas moins à mettre au crédit de l’éditeur. Et puis, ne noircissons pas excessivement le tableau : si Jacques Sadoul a été un éditeur talentueux (lire : il a publié de la bouse au quintal parce que ça rapportait des sous à J’ai lu), on ne saurait pour autant le cantonner dans ce rôle peu glorieux de gestionnaire, pour ne pas dire « épicier » (il a d’ailleurs quelques phrases mordantes à l’occasion pour les managers et autres abominations sorties tout droit des écoles de commerce). Son audace et sa combativité, ses choix plus personnels, le rendent bien plus sympathique : avec J’ai lu SF, une collection qui, délibérément, n’affichait pas d’entrée de jeu la couleur (nécessairement métallisée… puis, heu, violette chez J’ai lu…), il a indubitablement contribué à l’établissement du genre en France et à sa reconnaissance, et on lui doit plus d’une publication incontournable (d’autant que, à la différence de ses principaux concurrents sur le créneau « poche », il n’hésitait pas, le cas échéant, à publier des inédits) ; il a également fait beaucoup pour la BD (je me souviens, effectivement, des J’ai lu BD de mon enfance / adolescence, certes bien moins onéreux que les albums cartonnés… c'est aussi l'occasion de jeter un oeil sur la belle aventure de Fluide glacial) ; Librio était bien une excellente idée, qui a incité plus d’un ado à la découverte de nouveaux auteurs, tous genres confondus (j’en suis, et j’en connais un certain nombre…), et, semble-t-il, a parfaitement satisfait les profs… J’ajouterais, dans cette recension tout personnelle, la collection « Nouvelle génération », qui m’a effectivement amené à découvrir plus d’un auteur contemporain que j’aurais sans doute royalement ignoré, s’ils en étaient restés au coûteux grand format, ou s’étaient noyés dans les collections de poche traditionnelles ; peu importe si aujourd’hui je n’en ai finalement retenu que Houellebecq (avec notamment Extension du domaine de la lutte ; ah, et quelques auteurs étrangers, aussi, étrangement oubliés par Jacques Sadoul ; pourtant, si je ne m’abuse, c’est bien dans cette collection que j’ai pu lire, notamment, Le corps exquis de Poppy Z. Brite – qui vaut bien plus que la traduction foireuse de son titre –, ou encore Football Factory de John King, qui m’avait foutu une grosse baffe en son temps…) : l’important est que j’en ai eu pour mon argent. Et que j’ai lu.

 

Aha.

 

C’est dans la poche ! est donc à lire pour ce qu’il est : un document, et rien d’autre. Disons le clairement : c’est très très très dispensable, et ça ne comblera certainement pas le lecteur désireux d’enrichir ses connaissances science-fictionnelles. Cela dit, en dépit des lourdeurs récurrentes et de cette première désillusion, je ne saurais prétendre regretter cette plongée dans l’univers de l’édition, souvent instructive à défaut d’être passionnante et subtile.

 



Et je terminerai sur un regret qui n’a rien à voir... ou presque : qu’est-ce qui leur arrive, là, à J’ai lu SF – et semble-t-il depuis le départ de Sadoul, justement ? Leur catalogue saturé de fantasy m’intéresse de moins en moins jour après jour ; j’ai le triste sentiment de la fin d’une époque ; un peu comme pour Pocket SF, d’ailleurs, qui me semble avoir pris un sérieux coup dans l’aile… Là où ces deux éditeurs, il y a peu d’années encore, constituaient une bonne part de mes achats livresques (avec les Présence du Futur de Denoël, bien sûr ; c'est clairement à travers ces trois collections que j'ai découvert la SF), je ne peux m’empêcher de remarquer que la part qu’ils occupent dans mon étagère de chevet diminue au fur et à mesure. Aujourd’hui, tous deux me semblent très clairement en retrait derrière le Livre de Poche SF et plus encore Folio-SF… C’est juste moi, ou bien… ? Y’aurait-il quelque chose de pourri au royaume du « poche » ? Je sais pô. Mais j’ai pas pu m’empêcher de faire cette remarque… Eh, c’est les 50 ans de J’ai lu, après tout !

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"Picatrix - L'échelle pour l'enfer", de Valerio Evangelisti

Publié le par Nébal

 

EVANGELISTI (Valerio), Picatrix – L’échelle pour l’enfer, traduit de l’italien par Sophie Bajard, Paris, Payot – Rivages, coll. Fantasy, [1998] 2002, 271 p.

 

Après une petite pause consécutive à la lecture de l’étrange Cherudek, suite des aventures de l’inquisiteur Nicolas Eymerich. Suite… et fin, au moins provisoire, puisque ce Picatrix (à la superbe couverture tirée des Très Riches Heures du duc de Berry, ça change des mochetés antérieures ; comme quoi, les stocks, ça a du bon, des fois…) est, si je ne m’abuse, le dernier tome de la saga à avoir été traduit en français (il y en a au moins deux de plus en italien ; peut-on en espérer un jour la traduction ? Après le décès de Rivages/Fantasy, j’ai comme un doute… à moins que Pocket SF… heu…).

 

On retourne à nouveau à un schéma plus traditionnel des enquêtes d’Eymerich, après le troublant fantastique du roman précédent. Trois lignes narratives vont ainsi se chevaucher.

 

Nous sommes en 1361. Eymerich, inquisiteur général d’Aragon, se retrouve quasiment seul contre tous à Saragosse. Le roi Pierre le Cérémonieux lui est hostile (voir Le mystère de l’inquisiteur Eymerich), la noblesse de même, les Spirituels protégés par le roi s’en prennent volontiers aux Dominicains… et la ville reste très imprégnée de son passé récent : les Juifs y sont nombreux, les Maures plus encore. Situation intolérable pour l’inquisiteur, qui souhaiterait semble-t-il précipiter les événements de 1492… Mais bientôt surviennent des phénomènes tous plus étranges les uns que les autres : des meurtres horribles, perpétrés selon la rumeur par de terrifiantes créatures à tête de chien, des roues métalliques brillant dans le ciel… Et tout cela semble devoir être mis en rapport avec la possession ou la lecture d’un ouvrage diabolique, le Picatrix, écrit par un érudit arabe. Et apparaissent bientôt d’étranges ramifications politiques à ces manœuvres sataniques ! Oui, plus que jamais, Eymerich se retrouve seul contre tous : son enquête dans la Maurerie de Saragosse doit nécessairement se poursuivre dans le Califat de Grenade, la dernière enclave musulmane d’Espagne, en proie à la guerre civile ; Eymerich se rend donc chez les Infidèles, accompagné du jeune Alatzar, juif convers, et donc nécessairement suspect… Pour triompher des œuvres mensongères du Diable et sauver la Chrétienté d’un péril atroce, il va devoir nouer une alliance (temporaire…) avec quelques uns de ces musulmans qu’il exècre : le sage al-Khatib, tout d’abord… puis rien moins que le fameux Ibn Khaldûn !

 

Parallèlement, Valerio Evangelisti nous plonge dans deux trames narratives situées dans un futur proche. On retrouve tout d’abord Marcus Frullifer, le scientifique hétérodoxe texan on ne peut plus nerd et (nécessairement) puceau de Nicolas Eymerich, inquisiteur, exilé par la communauté scientifique dans un observatoire des Canaries à cause de sa théorie farfelue des psytrons (au passage, j’ai l’impression, du coup, que la « continuité » n’est guère respectée, m’enfin bon…). Dans cet île au bout du monde, Frullifer est amené à grands renforts d’œillades ravageuses à suivre une jeune et (nécessairement) jolie ufologue dans une étrange histoire ; c’est ainsi qu’il découvre la tradition de la Fête du Diable célébrée chaque année par les autochtones… et l’attitude déconcertante des patients d’une clinique psychiatrique qui, chaque année, à cette même date, se mettent à aboyer. Et les mystères s’enchaînent bien vite…

 

Au Libéria, enfin, l’auteur nous plonge dans le chaos le plus total, un cauchemar à l’état pur. Au fin fond de l’Afrique noire, les fascistes de la RACHE ont conclu une trêve avec les soldats de l’Euroforce, guère plus fréquentables… Les soldats des deux camps, dans le cadre de l’opération Eyolf, cornaquent à la mitrailleuse le gigantesque exode des « enfants de sable » vers l’Empire plus ou moins fantoche du Bouganda, et son souverain messianique Bwanika Muteesa XVI. On nage dans les cadavres… mais le pire est encore à venir.

 

Un fil rouge, enfin, nous ramène régulièrement à Saragosse, où l’inquisiteur Eymerich se livre à une abominable séance de torture, particulièrement… déchirante.

 

Bilan allègrement positif pour ce sixième volume des aventures d’Eymerich, qui, à l’instar du quatrième tome, parvient à jouer avec une grande astuce sur une multitude de niveaux. On commencera déjà par noter qu’il s’agit une fois de plus d’un excellent divertissement, très prenant, et remarquablement bien construit (on n’y retrouve pas, cette fois, les faiblesses que j’avais pour ma part constatées dans Cherudek). L’enquête d’Eymerich en terre musulmane nous garantit un cadre exotique et mystérieux, et les décors (à peine) futuristes ne sont pas en reste. Eymerich lui-même est plus que jamais un superbe personnage : arrogant, intolérant, cruel, rusé, mais néanmoins humain dans ses (rares) moments de faiblesse, quand bien même il ne peut s'empêcher de dissimuler cet éventuel humanisme derrière un froid légalisme, quand il ne le balaye pas bien vite au nom de l'intérêt supérieur de la foi, il est décidément un anti-héros parfait, et l’on prend beaucoup de plaisir à le suivre dans son enquête. Sa cruauté et ses aspects les plus répugnants, à la différence de ce qui s’était produit pour Le corps et le sang d’Eymerich, sont ici pleinement « justifiés » par le personnage et le contexte, et n’empêchent pas une certaine empathie de la part du lecteur. Valerio Evangelisti se montre très adroit à cet égard, et la sympathie, voire l’amour que l’on peut éprouver pour ce triste salaud, n’est pas un moindre thème de ce Picatrix

 

En même temps, si le fanatisme d’Eymerich est bien entendu destiné à soulever régulièrement l’indignation du lecteur, Valerio Evangelisti ne se montre pas ici excessivement caricatural, et Picatrix contient ainsi quelques belles pages sur l’intolérance… mais aussi l’hypocrisie. Les relations entre Eymerich et Alatzar (« Je ne suis pas Juif ! »), puis, surtout, entre le rusé Dominicain et le fascinant et sage Ibn Khaldûn, jouent adroitement de la fascination réciproque, de l’admiration éventuelle, du dégoût forcé par la croyance, et de la suspicion qui ne peut jamais quitter totalement les personnages. Bien joué.

 

Parallèlement, les péripéties de Frullifer sont également passionnantes. Le délire pseudo-scientifique qui fonde l’ensemble de l’intrigue est toujours aussi fou, et en même temps étrangement cohérent, à la lisière de la science et de la magie. On y retrouve indirectement Reich, comme dans le quatrième volume, outre les propres idées de Frullifer, et on en vient également à formuler une théorie on ne peut plus farfelue sur les OVNI finalement très réjouissante dans le cadre du roman.

Enfin, on notera la réussite de Valerio Evangelisti dans les chapitres consacrés aux « enfants de sable ». L’atmosphère est cauchemardesque et cynique, avec ce qu’il faut de racolage éventuellement, mais sans tomber dans les travers les plus gênants du troisième volume. Sous la tragédie gore, le sort de l’Afrique est bien questionné, et la responsabilité des Occidentaux, leur hypocrisie surtout, avec. On peut certes trouver que cette ligne narrative n’apporte pas grand chose à l’histoire globale, mais ses qualités intrinsèques en font heureusement plus qu’un triste cheveu sur la soupe.

Picatrix – L’échelle pour l’enfer
est donc bel et bien un très bon Nicolas Eymerich, du niveau des meilleurs. Une fois de plus, Valerio Evangelisti nous a livré avec ce volume une sorte de type idéal du divertissement de qualité, bien ficelé et réjouissant, sans être idiot pour autant. De quoi vouloir en lire plus, assurément ! … Aussi, si quelqu’un voulait bien se dévouer pour traduire la suite, heu…

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"Fiction", t. 6

Publié le par Nébal


Fiction, t. 6, Lyon, Les moutons électriques, août 2007, 350 p.

 

(Oui, je sais, je suis en retard, le tome 7 est paru il y a peu… ça va viendre, z’en faites pas.)

 

Au fil des comptes rendus miteux de ce blog interlope, j’ai eu à maintes reprises l’occasion de dire du bien des Moutons électriques, et notamment de leur revue (ou « anthologie périodique », comme vous voudrez) Fiction (voyez par exemple ici). Mais si mon jugement global à leur encontre ne saurait être remis en cause aussi facilement, l’honnêteté m’impose néanmoins de faire part de la déception constituée par ce n° 6 de Fiction, certes pas scandaleux, mais néanmoins bien inférieur à ce que l’on était en droit d’en attendre, habitués que nous étions à l’excellence pure et simple. Car s’il est un sentiment qui domine, à la lecture de ce volumineux tome 6, c’est bien l’ennui… et c’est d’autant plus paradoxal et regrettable que, une fois de plus, Fiction n’a pas rechigné à faire preuve d’une certaine audace. Le sommaire en témoigne déjà, en nous indiquant très tôt la brièveté de la plupart des textes retenus (là où Fiction nous avait plus ou moins habitués jusqu’alors à des textes parfois très longs, en tout cas plus longs). Hélas, la sauce ne prend pas ; et, si la revue est toujours aussi agréable à l’œil, le nombre relativement élevé des coquilles, et les traductions plus que douteuses à maintes reprises, achèvent de conforter le lecteur dans sa déception.

 

Entamons le panorama. Pas grand chose à retenir du « Groupe d’intervention » de Paolo Bacigalupi (pp. 9-33), nouvelle pas forcément désagréable, mais amoindrie par un triste sentiment de déjà-lu, qui la rend hélas très prévisible.

 

On y préférera largement les deux courts textes de Patrice Duvic (« Sept ans de réflexion », pp. 35-41 ; « Erreur fatale », pp. 42-44), assez amusants. L’auteur est décédé dans la nuit du samedi 24 au dimanche 25 février 2007 ; la rédaction (p. 34) et Pierre Pelot (pp. 45-46) lui rendent un légitime hommage.

 

On passera par contre très vite sur les « Biographies aliénées » de Frédéric Jaccaud (« 1. Kurt Steinmann, écrivain mutilé », pp. 47-51 ; « 2. Chuck Palanque, pirate », pp. 79-82 ; « 3. Hans Drachen Rilke, poète-prophète », pp. 87-90 ; « 4. Elaine Sahpporo, cartographe écorchée », pp. 99-102). L’idée, à la base, n’était pas inintéressante, mais le résultat s’avère finalement plutôt stérile, et ennuyeux… Dommage. Du même auteur, on préférera largement l’excellente chronique « Les Anticipateurs » dans chaque livraison de Bifrost

 

Je serais bien incapable, par contre, de vous parler de la nouvelle de Léo Henry « Ces photos de moi que l’on n’a jamais prises » (pp. 53-64), qui ne m’a laissé strictement aucun souvenir ; généralement, c’est pas très bon signe.

 

Suit un amusant « récit graphique », essentiellement constitué d’illustrations de Greg Vezon titrées par Laurent Queyssi, « Paddington et les ombres, une rétrospective » (pp. 65-77). Amusant, oui… Pas grand chose de plus à dire.

 

Plus intéressants, deux courts textes d’Alfred Bester (auteur sur lequel je reviendrai sans doute prochainement, puisque L’homme démoli, suivi de Terminus les étoiles figure depuis un certain temps déjà dans mon étagère de chevet…) ; tout d’abord « Ne comptez plus sur moi pour la Saint-Sylvestre » (pp. 83-86), courte nouvelle à la fois drôle et tragique, et d’autant plus cruelle ; ensuite, dans un tout autre registre, l’auteur s’amuse beaucoup (et le lecteur avec) dans « Gastronomie aux confins de l’espace » (pp. 91-98), petite friandise fort sympathique.

 

Une curiosité ensuite, avec un (plus ou moins) inédit du grand Theodore Sturgeon, « Une Saynète de New York » (pp. 103-108) ; un texte relativement expérimental, où le récit prend l’aspect d’une lettre destinée à être lue à la radio. Rien d’exceptionnel, mais ça se lit…

 

Après quoi Fiction se lance dans une entreprise d’exhumation de quelques grands noms oubliés du fantastique ou de la science-fiction du XIXe siècle. Une très bonne initiative, ce n’est certainement pas moi qui prétendrais le contraire ! Hélas, les textes retenus ne sont pas forcément très intéressants. Il en va ainsi, tout d’abord, de « La maison de Bulemann » (pp. 110-126), de l’Allemand Theodor Storm (1817-1888) ; un récit fantastique à la Poe, teinté de conte moral à la Dickens, en plus caricatural… Le bilan est tout aussi mitigé pour « L’arbre-ballon » (pp. 127-136) de l’Américain Edward Page Mitchell (1852-1927), au canevas pré-lovecraftien, hélas affaibli par une certaine confusion formelle… et un triste sentiment de vide au final. Du même auteur, « L’homme le plus doué du monde » (pp. 137-151) est autrement plus intéressant : Edward Page Mitchell se montre cette fois bien plus adroit sur le plan formel, et relativement visionnaire… Sentiment mitigé une fois de plus, hélas, pour le texte suivant, dû à l’Américain d’origine écossaise Robert Duncan Milne (1844-1899), et composé de deux épisodes, « En plein soleil » (pp. 153-170) et « Rescapé du brasier » (pp. 171-179) : étrange récit apocalyptique comportant quelques scènes particulièrement saisissantes, mais amoindri par quelques tours de passe-passe narratifs pas forcément bienvenus et une plume passablement didactique, à la Jules Verne, mais sans élégance… Dommage. On précisera, au passage, que le style de tous ces textes anciens m’a paru souvent maladroit, et que je me suis demandé si, à l’occasion, ce n’était pas la traduction qui devait être mise en accusation… Mais je n’en sais rien, alors bon.

 

Suit un sympathique portfolio consacré à Hannes Bok, et composé par Francis Valéry (pp. 180-190) ; quelques illustrations de ce grand nom du genre émaillaient par ailleurs la revue. Profitons-en au passage pour noter les autres illustrations récurrentes, dues cette fois à Derek Ford, le fils de l’auteur Jeffrey Ford (j’y reviens bientôt), aux étranges et intéressantes compositions surréalistes qui ne sont pas sans évoquer une sorte de croisement entre un Alice au pays des merveilles glauque et une période dépressive et semi-naïve de Salvador Dali ; j’aime bien…

 

Pas grand chose à dire sur « La maison du chat noir » (pp. 191-195) de Yumiko Kurahashi, nouvelle sans grand intérêt, en dépit d’un certain érotisme pas désagréable.

 

Bien plus intéressante est la nouvelle suivante, à mon avis la plus réussie de cette sixième livraison, « L’enfant de Mars » (pp. 197-231 ; Prix Nebula 2006) de David Gerrold : excellent récit faussement (eh eh… ?) autobiographique et riche en références, émouvant quand il en vient à traiter du thème de l’adoption (sous l’angle du père…), troublant dans la névrose qui l’imprègne. Une très bonne nouvelle, vraiment ; un film en aurait été adapté, j’avoue être plus que sceptique quand au résultat…

 

Julien Bétan & Raphaël Colson poursuivent ensuite (et concluent, semble-t-il) leur article sur les zombies (« Plus nombreux que les vivants seront les morts. 2ème partie : une popularité endémique », pp. 233-246) ; sur ce thème qui, personnellement, me passionne, je les ai hélas trouvés beaucoup moins convaincants que dans la première partie, laquelle s’achevait (logiquement) avec l’indispensable Nuit des morts-vivants de George A. Romero. Cette fois, le résultat est bien trop dense, ce qui entraîne des raccourcis un peu navrants (on passe de Romero, Dan O’Bannon et Lucio Fulci à Jean Rollin et Bruno Mattei sans véritable transition…), et un agaçant manque d’analyse (il y aurait tant à dire, notamment, sur Zombie / Dawn Of The Dead, le chef-d’œuvre du genre, ici expédié comme les autres…). Dommage.

 

Une grosse déception ensuite, avec l’habitué de la maison Jeffrey Ford ; Fiction l’a souvent publié, et presque toujours pour d’excellents textes. Hélas, je n’ai pas été convaincu par ce « Que ça parle de la mer » (pp. 249-267), qui m’a prodigieusement ennuyé… Avis très personnel, il faut croire (on n’a pas tari d’éloges sur ce texte, ici ou là). Mais j’ajouterai – une fois de plus – que la traduction m’a paru franchement douteuse : les autres textes de l’auteur que j’ai pu lire dans Fiction ou Bifrost me semblaient tout de même autrement plus élégants…

 

Je ne m’étendrai pas sur la chronique de Raphaël Colson & André-François Ruaud « Pour s’envoyer en l’air le regard » (pp. 269-276), pas forcément inintéressante, mais qui ne me semble décidément pas à sa place dans Fiction

 

On passera assez vite également sur le « récit graphique » de Daylon « 23 juin » (pp. 277-293) : les photographies sont généralement intéressantes, les jeux typographiques sympathiques quand bien même éventuellement gratuits, le tout est donc agréable à l’œil… mais en fait de récit, on n’a pas grand chose à se mettre sous la dent, dans cette succession de saynètes sans grand intérêt. Une exposition, quoi… Dommage, une fois de plus. Mais vous pouvez vous faire votre propre opinion, vu que la bête est téléchargeable .

 

On retrouve ensuite une autre habituée de la maison, Elizabeth Hand, tout d’abord pour un article consacré à John Crowley (« Le grand œuvre du temps », pp. 295-298), centré essentiellement sur sa série Aegypt, et dont je me demande encore ce qu’il fout là… Suit sa nouvelle « Echo » (pp. 301-308), Prix Nebula 2007… qui m’a laissé totalement indifférent. Là encore, avis très personnel, et je suis assez sceptique pour ce qui est de la traduction, mais le fait que je me suis fait chier comme un rat mort.

 

Suivent deux textes plutôt humoristiques destinés à rendre le sourire au lecteur en fin de parcours. Tout d’abord la friandise de fantasy de Bridget McKenna « Les petites choses » (pp. 309-324), et son petit village pittoresque submergé par une invasion de fées. C’est mignon… Et un peu de promotion pour finir, avec « Du thé et des hamsters » (pp. 325-345) de Michael Coney : une nouvelle de SF humoristique traitant du racisme, qui commence de manière assez sympathique, dans une veine satirique qui n’est pas sans évoquer Fredric Brown… mais dont la conclusion poussive et niaise saborde tout l’intérêt. Dommage (re).

Et un « dommage » global pour cette sixième livraison de Fiction. Rien de honteux, rien de véritablement nul ; mais on baille régulièrement… Considérons cela comme une fausse note dans un excellent parcours : ce tome 6 ne saurait autoriser un jugement négatif sur cette très bonne revue qu’a été Fiction jusqu’alors, et j’espère que le tome 7 saura remonter le niveau ; d’ailleurs, je n’en doute guère.

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"Orphée aux étoiles", de Jean-Daniel Brèque

Publié le par Nébal

 

BREQUE (Jean-Daniel), Orphée aux étoiles. Les voyages de Poul Anderson, Lyon, Les moutons électriques, [2007] 2008, 238 p.

 

Rappelez-vous : il y a quelque temps de cela (oh, pas beaucoup), je vous avais vanté les mérites du passionnant essai d’Ugo Bellagamba et Eric Picholle Solutions non satisfaisantes, consacré à Robert Heinlein. J’avais alors mentionné rapidement, en louant cette décidément fort belle initiative des décidément fort sympathiques Moutons électriques, la parution en même temps et dans les mêmes conditions d’un essai de Jean-Daniel Brèque (excellentissime traducteur, entre autres, du phénoménal « Quatuor de Jérusalem » d'Edward Whittemore, mais aussi de pas mal d’œuvres de Dan Simmons, de Lucius Shepard, etc.) consacré à Poul Anderson. Le voilà donc, ce bel Orphée aux étoiles, à nouveau orné d’une chouette couverture réalisée par Patrick Imbert (laquelle, je l’avoue, m’avait d’abord paru finalement plus douteuse que le d’ores et déjà légendaire « anus de robot » ; mais non, en fait, elle est très bien, cette, heu… je sais pas ; au début, je pensais la baptiser « cravate de notaire façon parasite amibien », mais on m’aurait sans doute accusé injustement d’avoir l’esprit mal tourné… laissons ; elle est bien, vous dis-je).

 

J’avoue néanmoins avoir hésité avant de faire l’acquisition puis la lecture de cet ouvrage. D’un côté, je suis très preneur de ce genre d’essais sur la science-fiction (je crois l’avoir montré à plusieurs reprises, et j’y reviendrai encore régulièrement, mais chut, surprise), et j’ai beaucoup d’estime pour l’auteur, qui n’est pas seulement talentueux et de bon goût, mais en plus très sympathique (et là, non, impies, mécréants, vipères, je ne flatte pas, je constate) ; on en avait de plus dit du bien, de cet ouvrage (par exemple ici). Mais, d’un autre côté… heu… ben voilà, quoi : Poul Anderson, moi y’en avait jamais avoir lu le monsieur, et pis moi y’en avait même pas savoir si ça pouvait m’intéresser… J’en avais bien entendu parler ici ou là, certes ; notamment dans l’excellent L’histoire revisitée. Panorama de l’uchronie sous toutes ses formes d’Eric B. Henriet, qui m’avait déjà donné envie de jeter un œil au cycle de « La Patrouille du temps », en cours de réédition au Bélial’ (ainsi qu'au Livre de poche science-fiction). Au-delà, j’en avais bêtement l’image (ô combien réductrice, sans doute) d’un écrivain de SF à l’ancienne, assez typée pulp et axée sur le divertissement, qui ne m’attirait pas plus que ça ; j’en avais retenu le nom, oui, mais sans pour autant l’intégrer illico à mon étagère de chevet… Honte sur moi.

 

Ceci étant, à ma décharge (non, je ne parle pas de la couverture), il semblerait bien que je ne sois pas le seul dans ce cas. Poul Anderson, auteur maintes fois primé outre-Atlantique et à l'influence incontestable (voir à ce sujet l'épilogue), est en effet assez largement méconnu en France ; bon nombre de ses œuvres n’ont jamais été traduites de par chez nous (a fortiori les plus récentes), et les œuvres les plus anciennes ne sont pas forcément évidentes à se procurer (c’est en train de changer, heureusement, l’Atalante et le Bélial’, notamment, ayant lancé plusieurs programmes de publication le concernant ces dernières années). A cela, une mesquine raison, dont je n’avais pas conscience : on avait tiré de Poul Anderson un portrait peu flatteur (qui n’est pas sans rappeler, d’ailleurs, le triste sort longtemps fait à Heinlein) pour des raisons non pas littéraires, mais politiques ; Anderson était présenté comme un écrivain très connoté « à droite », farouchement conservateur, voire réactionnaire, et tout ce qui s’ensuit. Bref, dans une France post-soixante-huitarde où la SF, dans l’esprit d’un Andrevon et consorts, se devait d’être « politique », ce qui se traduisait nécessairement par « très à gauche », Poul Anderson, qui avait pourtant eu régulièrement les honneurs de Fiction jusqu’alors, faisait désormais figure d’infréquentable. Bêtise…

 

Sans doute ce constat explique-t-il le parti pris par Jean-Daniel Brèque dans Orphée aux étoiles. La parution concomitante et le parallèle des couvertures ne doit en effet pas tromper : à la différence d’Ugo Bellagamba et Eric Picholle, qui traitaient d’un auteur finalement plus mal connu que méconnu, Jean-Daniel Brèque ne livre pas ici un vaste essai érudit, assez universitaire dans le fond si ce n’est dans la forme, mais bien davantage un guide de lecture, un panorama délibérément non exhaustif, une ouverture si l’on préfère ; rien d’étonnant, dès lors, à ce que son essai soit deux fois plus bref que celui de ses confrères, et d’une lecture sans doute plus aérée.

 

C’est là à la fois la force et la faiblesse d’Orphée aux étoiles, ouvrage qui a, selon l’expression consacrée, les défauts de ses qualités. A la différence de Solutions non satisfaisantes, dont je ne doute pas qu’il soit utile à ceux qui connaissent déjà bien l’œuvre d’Heinlein, en leur permettant de l’envisager sous de nouveaux angles, etc., je ne saurais dire d’Orphée aux étoiles qu’il saura combler pleinement les attentes de ceux qui sont d’ores et déjà des amateurs éclairés de Poul Anderson. En effet, l’analyse reste finalement assez superficielle – j’ai eu cette impression, tout du moins – tout au long des trois premières parties de l’essai (la première étant consacrée à des généralités sur l’auteur et son œuvre, et envisageant bon nombre de textes « indépendants », tandis que la deuxième se penche essentiellement sur les grands cycles de science-fiction, et la troisième, enfin, sur les œuvres de fantasy), qui tiennent bien avant tout du « panorama », diront les gens gentils (je veux croire que j’en suis), pour ne pas dire du « catalogue » (ça, c’est pour les meuchants) ; on avouera que c’est parfois frustrant (notamment, mais ici je prêche pour ma paroisse, pour ce qui est de l’analyse politique d’Anderson, laquelle, il me semble, aurait mérité davantage de développements ; ici, Orphée aux étoiles ne soutient clairement pas la comparaison avec Solutions non satisfaisantes… et c’est d’autant plus flagrant que c’est à nouveau, pour une bonne part, à la pensée libertarienne que nous devons finalement nous reporter). Quant à la bibliographie de la quatrième partie, elle est présentée d’emblée comme non exhaustive : oui, répétons-le une fois encore, c’est bien avant tout à un guide de lecture que nous avons affaire.

 

Autant dire une excellente et souvent passionnante introduction à l’œuvre pour le moins conséquente de ce grand monsieur de la science-fiction tristement méconnu dans notre sinistre Hexagone. Bref, contrairement à ce que je craignais dans un premier temps, cet essai s’est finalement révélé parfaitement adapté à mon profil ! Et, sous cet angle, Jean-Daniel Brèque a bien réussi son entreprise… puisqu’il m’a donné une sérieuse envie de m’attaquer à l’œuvre de Poul Anderson. D’où merci, et chapeau, parce que c’était pas forcément gagné d’avance…

 

A la regarder de loin, l’abondante œuvre (science-fictionnelle, du moins) d’Anderson peut en effet correspondre dans les grandes lignes à la vision simpliste que j’en avais donnée plus haut : du divertissement de qualité, une SF riche en images, etc. Ce qui est très honorable – ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit –, et peut très bien me satisfaire à l’occasion, mais ne correspond pas vraiment à ce que j’attends avant tout de la science-fiction. Mais Jean-Daniel Brèque, sans jamais pour autant sombrer dans le délire d’interprétation capillotracté et éventuellement drosophilosodomite (même si j’en aurais donc souhaité un peu plus à l’occasion…), sait montrer ce qui fait l’intérêt de ces œuvres très diverses, au-delà de la pure imagination et du divertissement. Notamment en ce qu’il montre en quoi Poul Anderson peut être envisagé comme un écrivain finalement assez pessimiste, et dont la passion pour l’histoire (notamment) l’amène régulièrement, pour ne pas dire de manière obsessionnelle, à fonder ses récits sur le diabolique thème de l’entropie, non pas pour en tirer une bête apologie d’un « âge d’or » à jamais inaccessible, contrairement à ce que pourrait laisser supposer la caricature politique qui en était faite, mais bien au contraire pour en faire un éloquent plaidoyer en faveur de l’ouverture ; ce qui, je dois dire, me le rend de suite très sympathique…

 

Certes, tout ne m’intéresse pas forcément pour autant dans l’œuvre de science-fiction andersonienne jouant sur ces thèmes : la description du cycle de la « Ligue psychotechnique » m’a un peu trop rappelé « l’Histoire du futur » de Robert Heinlein, le cycle de « Fondation » d’Isaac Asimov et celui des « Seigneurs de l’Instrumentalité » de Cordwainer Smith pour me convaincre totalement. Dans le genre périlleux – et bien délaissé aujourd’hui – de « l’histoire du futur », Poul Anderson me semble déjà davantage convaincant dans le cycle de « l’Empire terrien » (quand bien même le personnage de Dominic Flandry, n’en déplaise à l’auteur qui insiste à maintes reprises – et, je n’en doute pas, à juste raison – sur la tendance des héros andersoniens, avant tout tragiques, à ne pas être des « surhommes », me paraît à première vue « trop héroïque » à mon goût), et plus encore dans le cycle de la « Ligue polesotechnique » qui le précède (cette fois, ces marchands galactiques roublards me paraissent bien autrement séduisants… pas de traduction française, hélas ?). Dans cette catégorie, enfin, je ne cacherais pas une certaine curiosité pour les œuvres les plus récentes de Poul Anderson ; d’autant que, voir un Grand Ancien jouer des nanotechnologies, de l’interface homme – machine, etc., ça pourrait être finalement assez intéressant (mais pas de traduction française là non plus…).

 

Cependant, c’est bel et bien le cycle de « la Patrouille du temps » qui me paraît ici le plus alléchant, et je vais probablement m’attaquer un de ces jours aux aventures de Manse Everard et compagnie (il serait temps ! – aha, « temps », aha, blague, ‘cule un mouton… désolé).

 

(Ah, et puis les histoires des « Hokas » co-écrites avec Gordon R. Dickson me font baver, dois-je dire, dans un tout autre registre… Quelle idée géniale ! … mais pas de… oui, bon, comme d’hab’… groumf…)

 

J’aurais pu m’arrêter là, et en tirer ce bilan tout juste un peu plus aimable que mes a priori : « Mmmh, finalement, ça a l’air pas mal du tout, même si… Bon, je tente « la Patrouille du temps », et puis on verra bien… »

 

Mais Jean-Daniel Brèque nous réservait une dernière estocade particulièrement fourbe avec la troisième partie. J’en suis le premier surpris, très honnêtement (d’autant que ce n’est pas là le versant de l’œuvre andersonienne que l’on met habituellement en avant), mais, à la lecture d’Orphée aux étoiles, j’ai acquis une troublante certitude : si Poul Anderson doit me convaincre, ce ne sera probablement pas au travers de ses œuvres de science-fiction, mais bien de fantasy

 

En effet, si je n’avais jusqu’alors guère retenu les titres des œuvres présentées par Jean-Daniel Brèque dans les deux premières parties, la troisième m’a par contre instantanément parlé ; j’y ai découvert avec surprise un auteur sacrément astucieux et érudit, aussi à l’aise dans le registre comique que dans le tragique, grand connaisseur de l’histoire, et conteur très adroit, toujours soucieux de la cohérence et de la vraisemblance de ses récits. L’influence des sagas scandinaves (guère étonnante, si l’on se souvient que l’Américain Poul Anderson est d’origine danoise) me laissait tout d’abord craindre le pire, mais la présentation que fait Jean-Daniel Brèque des grandes œuvres de fantasy andersoniennes m’a bien vite rassuré… et converti. C’est horrible, mais, après avoir lu les développements sur Opération chaos (le genre de fantasy délirante qui marche très bien sur moi), Tempête d’une nuit d’été (quelle idée fantastique !) et Trois cœurs, trois lions, suivi de Deux regrets (surtout pour ce qui est des « deux regrets », à vrai dire…), je n’ai pu retenir un rugissement terrifiant (surtout pour mon compte en banque, mon étagère et ma santé mentale), emprunté à un fort sympathique forum (et notamment à un monsieur tout nu avec une barbe et une bûche, mais là n’est pas la question) : « IL ME LE FOOOOOOOOOOOOOOOOO !!! » (Désolé.) Et je ne serais guère étonné que suive sur ma volumineuse pile à lire la « tétralogie d’Ys », co-écrite avec Karen Anderson (la madame du monsieur) ; il faut voir ce que les deux auteurs, à en croire l’alléchante présentation par Jean-Daniel Brèque (qui traduit à nouveau, si je ne m'abuse), arrivent à tirer de ce thème archi-rebattu, et avec quelle intelligence, quelle astuce, quelle… argh. Comment ai-je pu passer à côté de tout ça ? Honte sur moi... Vite, vite ! Au boulot.

Bref, Jean-Daniel Brèque, avec Orphée aux étoiles, a parfaitement réussi son coup (l’enfoiré…). J’en recommande donc chaudement la lecture, et espère que ce beau doublé sera suivi de nombreux autres essais aussi bienvenus et convaincants.

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"Les Olympiades truquées", de Joëlle Wintrebert

Publié le par Nébal

 

WINTREBERT (Joëlle), Les Olympiades truquées, version remaniée, ouvrage proposé par Gilles Dumay, postface de Roland C. Wagner, Le Plessis-Brion, Kesselring / Fleuve Noir / Orion / Le Bélial’, coll. Bifrost / Etoiles vives / science-fiction, 1998, 237 p.

 

Mais non, mais non. Je vous jure que cette lecture n’a rien à voir avec l’actualité. C’est un pur hasard : mon programme de lecture scientifiquement élaboré a pointé du doigt cet achat déjà ancien, et je m’y suis plié, c’est tout. Je n’ai rien à voir avec tout ça, moi. D’ailleurs, les JO, je m’en fous. Et puis honnêtement, hein, on sait pas encore s’il va y avoir des fusillades aux JO de Pékin (p. 141), alors, hein, bon. Et puis, si les balles sont françaises…

 

Non, donc. Non, non, non. Je suis ici pour vous parler d’un livre, et de rien d’autre, ah mais. Le livre, c’est donc Les Olympiades truquées (et non, je n’insinue rien). Qui est, si je ne m’abuse, le premier roman de Joëlle Wintrebert (dont je n’avais lu jusqu’à présent que quelques nouvelles ici ou là, et un intéressant dossier dans Bifrost qui m’avait donné envie d’en savoir plus). Un roman au destin éditorial pour le moins singulier : publié tout d’abord, et il y a de ça un bail, en un volume chez Kesselring, puis scindé en deux romans au Fleuve Noir Anticipation (avec des retouches et des ajouts, et y’a un bail là encore), puis réuni à nouveau pour cette version remaniée au Bélial’ (puis, de même, en poche chez J’ai lu, si je ne m’abuse encore une fois). Ca se sent, à l’occasion ; j’ai l’impression, mais peut-être est-ce juste que je suis bête, qu’il y a eu quelques cafouillages dans la synthèse (avec le personnage de Vasco Real qui apparaît et disparaît subitement, et dont j’ai eu l’impression qu’il prenait parfois la place de Bior Malard…). Mais bon : en dépit de ces errements divers et variés, Les Olympiades truquées s’est néanmoins élevé au rang de classique de la SF française, et il n’y en a pas tant que ça. Ca justifiait bien une lecture. Qui n’a donc rien à voir avec l’actualité, hein, ah mais.

 

Je vais cependant m’emparer de mon sécateur pour vous causer un peu de ce roman, composé effectivement de deux lignes narratives, destinées à se rejoindre, certes, mais enfin, bon.

 

Commençons par Les Olympiades truquées à proprement parler. XXIe siècle, un monde dominé par un ultra-libéralisme glauque. Un monde placé sous le signe de la génétique : on peut depuis longtemps déjà choisir le sexe des enfants (ce qui a entraîné une surpopulation masculine, qui a modifié considérablement la place des femmes dans la société, mais aussi suscité une grande vague de frustrations, aboutissant à des viols sévèrement sanctionnés – castration chimique, hop – et autres dérives telles les courses d’amok, quand des hommes pètent les plombs et se mettent à tirer sur tout ce qui bouge) ; le clonage a pris le relais, avec toutes les saloperies que l’on pouvait craindre (enfin, que certains craignent... mais j'avoue que ça fait froid dans le dos, là, quand même), et notamment les bébés-banques d’organes et les surhommes sur commande. C’est en effet un monde où l’on vénère avant toute chose les sportifs, lesquels se doivent et doivent à leurs nombreux admirateurs d’aller toujours plus vite, plus fort et plus loin. Rien à voir avec notre monde, quoi, hein, bon. Sphyrène n’est pas un de ces bébés façonnés pour la performance sportive ; elle n’en est pas moins une jeune nageuse française d’exception, dont on attend beaucoup pour les prochaines Olympiades. Elle n’a donc rien à voir avec, disons, la future ex-championne handicapée Laure Manaudou (je vous rappelle que nous sommes dans un roman de science-fiction). Sphyrène doit gagner, en tout cas ; c’est important (j’ai jamais compris pourquoi, mais il paraît que c’est important). Pour cela, tous les moyens sont bons ; alors, quand des scientifiques découvrent les hystérines qui déclenchent les crises d’amok, certains managers peu scrupuleux se disent que ça pourrait être bien de tester ça sur des sportifs, « à l’insu de leur plein gré ». Sphyrène et ses copines peuvent bien y perdre leur santé, mais, honnêtement, qu’est-ce qu’on en a à foutre ?

 

En parallèle, nous suivons l’histoire de Bébé-miroir. C’est-à-dire de Maël. Enfin, Maël 2, pour être plus précis, puisqu’il s’agit d’un clone. En l’occurrence de la fameuse Maël Flaihutel, célèbre musicienne et compositrice, l’épouse du génial généticien Bior Mallard, à l’origine des découvertes sur le clonage. Quand son épouse meurt dans un accident, Bior, follement amoureux, décide d’en faire un clone… qu’il élèvera comme sa fille. Un peu glauque, non ? Ca sent l’inceste… L’adolescente Maël supporte mal cet étrange climat familial et sa condition de clone ; elle pique régulièrement des crises ; elle finit par fuguer. Après une rude expérience de vidéopute, elle rejoint enfin les révolutionnaires anarchistes du GRAAL. Qui foutraient volontiers la merde aux Olympiades de Téhéran, surtout quand ils apprennent la sale histoire des hystérines… Maël et Sphyrène sont ainsi destinées à se croiser.

 

Ca fait beaucoup de choses, tout d’même, hein ? Oui. Et c’est à mon sens un des gros défauts de ce roman, qui avait peut-être gagné, finalement, à être scindé en deux parties (même si le jeu de miroir entre les deux jeunes filles ne manque pas d’intérêt, bien sûr, et si la conclusion, en dépit de son caractère franchement expéditif, ce qui est pour le coup très regrettable, n’en est pas moins saisissante ; sans surprise, on ne parlera pas vraiment de happy end…). J’ai en effet trouvé – mais cela n’engage bien entendu que moi – que Les Olympiades truquées est un roman beaucoup trop dense : parallèlement à ces deux lignes narratives relativement simples (avec néanmoins des points de vue multiples à l’intérieur de chaque trame : en plus de Sphyrène, nous suivons son père, son manager, etc. ; en plus de Maël, nous suivons Bior, d’autres savants, etc.), entrecoupées régulièrement de brefs chapitres à la première personne du singulier témoignant tous de destins plus horribles les uns que les autres (et fournissant plus ou moins un élément du chapitre suivant ; ajoutons que chaque chapitre, qu’il concerne Sphyrène, Maël ou ces petits intermèdes, est précédé d’une sorte de pub cynique, souvent plutôt maladroite), c’est tout un univers qui nous saute à la gueule, avec de très nombreuses thématiques : la génétique et ses dérives en long, en large et en travers (surtout), plus largement la recherche scientifique et ses conséquences, le culte du sport, et au-delà du surhomme, le dopage, la condition féminine, la sexualité, l'identité, la cellule familiale, l’ultra-libéralisme, les relations Nord-Sud, la révolution, la police politique, les sectes, les médias, la publicité, etc. Autant de thèmes passionnants et gérés plutôt finement par l’auteur, qui n’assène pas son message façon pamphlet saoulant, mais qui n’en génèrent pas moins un sentiment de trop-plein, de regrettable dispersion dans ce roman finalement assez bref. Au final, avec Les Olympiades truquées, Joëlle Wintrebert nous parle de tellement de choses que l’on peut difficilement y accoler une thématique dominante et un sens profond (chacun trouvera probablement les siens, en fonction de sa sensibilité personnelle).

 

La narration y perd en efficacité : on a parfois l’impression un peu dommageable de passer du coq à l’âne, de lire une succession de nouvelles maladroitement rassemblées façon fix-up (ici, je ne parle bien entendu pas des deux lignes narratives, mais avant tout des chapitres développant les thèmes esquissés dans les intermèdes à la première personne) ; autre conséquence néfaste : on a un peu de mal à s’attacher aux héroïnes, finalement très anodines en dépit de leur statut de « monstres », chacune à leur manière ; quant au temps, il se dilate étrangement, au fil des ellipses plus ou moins adroitement gérées : la conclusion, encore une fois, m’a paru indéniablement précipitée…

 

Cette impression, à mon sens, se trouve encore renforcée par des hésitations de ton et de style. On sait que Joëlle Wintrebert, après ce roman, a excellé tant dans la littérature « jeunesse » que dans la littérature « adulte » ; ici, j’ai pourtant eu le sentiment que le roman se cherche entre les deux catégories. Les destins croisés des adolescentes Sphyrène et Maël ont une tonalité de « roman d’apprentissage » qui connote un peu Les Olympiades truquées « jeunesse » (de même que, plus maladroitement hélas, certaines tournures revenant notamment dans les dialogues : les « Rad ! » et « Sainte Orbite ! » sont assez risibles…), mais les thèmes sous-jacents – et notamment les très nombreuses digressions sur la sexualité – sont traités d’une manière assez clairement « adulte » (avec des vrais morceaux de viols, de prostitution, d’inceste et de frustration dedans) : j’ai eu le sentiment, ainsi (mais c’est un avis tout personnel, je le reconnais), de ruptures dans le ton comme dans le style parfois très brutales ; à l’occasion, cela peut donner un résultat très intéressant, mais si l’on joint cet aspect au sentiment de trop-plein évoqué précédemment et aux quelques errances dans la construction ou dans le style – très correct dans l’ensemble, pourtant –, c’est finalement une impression d’inachèvement et de maladresse qui domine.

 

Et c’est dommage. Parce qu’il ne faudrait pas conclure de tout ce qu’ai pu avancer jusque-là que Les Olympiades truquées serait un mauvais roman. Loin de là, c’est bien un bon roman, et on ne perdra pas son temps à le lire : il a bien les qualités de ses défauts… C’est donc un roman d’une très grande richesse, et souvent d’une remarquable justesse. Une chose en témoigne assez : près de trente ans après sa première parution (1980), et si l’on excepte les quelques écarts de langage mentionnés plus haut, il n’a pas pris une ride. Son actualité est pour le moins troublante : le lecteur qui ne serait pas conscient du destin éditorial de cet ouvrage pourrait croire qu’il a été écrit il y a un an ou deux… ce qui, le cas échéant, ne plaiderait d’ailleurs guère en sa faveur ! Mais le fait est que l’on nage en plein dedans : chaque polémique sur le dopage, à l’occasion du Tour de France ou des JO, chaque divinisation d’icône sportive, ainsi de Zidane ou, plus encore, de Laure Manaudou (très honnêtement, toute actualité mise à part, il est difficile de ne pas faire le lien entre Sphyrène et la nageuse préférée des médias français… enfin, moi, je n’ai pas hésité, en tout cas…), de même que les troubles concernant l’organisation des JO (Téhéran ici, avec les manœuvres de la police politique du PIR…) et le rôle des médias, tout, absolument tout nous ramène au sombre futur, désormais si proche, décrit par Joëlle Wintrebert dans Les Olympiades truquées.

 

Et, au-delà de la thématique finalement banale en SF (au moins depuis Le meilleur des mondes…) du clonage et de la génétique, le regard porté par l’auteur sur le sport, et notamment les JO (thème bien plus rare !), est tout à fait passionnant. Ici, je ne parle pas tant du dopage et de ses conséquences sur la santé des sportifs, dont j’avoue n’avoir franchement rien à secouer ; après tout, j’ai fait mien l’adage de Pierre (Desproges) de Coubertin : « Un bon sportif est un sportif mort. » Par contre, tout ce que le sport véhicule de plus en plus, d’éloge de la performance à tout prix, de la compétition, du stakhanovisme, du sacrifice, le culte du surhomme auquel on aboutit (Zidane, personnalité préférée des Français ! Bordel… ça fait beaucoup, pour savoir taper adroitement dans un ballon…), et les sidérants néo-nationalismes que tout cela suscite (Les sportifs ne sont après tout jamais qu’une variante en short des militaires ; au-delà, j’ai jamais compris le délire du « On a ga-gné ! » ; en fait, j’ai jamais compris les supporters ; je hais les supporters, variante plus crétine encore que l’originale des « imbéciles heureux qui sont nés quelque part » assassinés par Brassens dans une de ses plus belles chansons ; je hais ces troupeaux de veaux marins squattant les stades en laissant leur cerveau au vestiaire, pour beugler avec la masse façon Nuremberg ; JE VOUS HAIS TOUS !!! Désolé, c’est stérile, je sais, mais ça fait du bien quand ça sort…), bref, tout cela me sidère, et m’inquiète au plus haut point. Et l’hypocrisie qui accompagne tout cela me fait régulièrement soupirer. Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit, hein : ce sont les excès et les dérives qui m’attristent ; même si ça m’a bien fait rigoler sur le coup, je n’irai pas jusqu’à prétendre que « le sport est fondamentalement fasciste », comme j’avais pu le lire dans un ahurissant tract de pseudo-anar parano-parigot il y a de cela deux ans… Pas besoin d’aller jusque-là, restons pondérés.

 

Mais gageons – et c’est bien suffisant pour désespérer – que, d’ici quelques mois, les Français (qui sont des cons, ne jamais perdre de vue cette vérité essentielle) auront oublié leur hypocrite crise de conscience actuelle et applaudiront aux médailles ramenées éventuellement par leurs machines à battre des records ; comme d’hab’, on parlera de dopage pour les autres (ah, le bon vieux temps des nageuses est-allemandes !) ; on se plaindra que les Chinois gagnent plein de médailles ; puis on libèrera les stades pour les exécutions massives… et de retour dans notre beau pays d’en-France, nos chers compatriotes continueront de plébisciter le président de la Ligue républicaine française quand les Bleus gagneront des matchs, et tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes.

 

Triste monde tragique…

En attendant, Les Olympiades truquées est bel et bien un bon roman de science-fiction, très riche (trop riche…). Pas le chef-d’œuvre que l’on présente parfois, mais un bon roman néanmoins, en dépit de ses nombreux défauts. Joëlle Wintrebert me donne décidément l’image d’un auteur intéressant, et je vais probablement renouveler l’expérience un de ces jours ; j’ai déjà Les maîtres-feu dans mon étagère de chevet (un roman que Roland C. Wagner, dans sa postface, présente comme étant « vraiment fun » et qu’il « conseille vivement à tous ceux qui ne se prennent pas trop au sérieux » – p. 233 –, ça me va...), et j’espère bien dégoter un de ces jours Chromoville et Le Créateur chimérique.
D’ici là, « good night… and good luck ».

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"Les Brigades fantômes", de John Scalzi

Publié le par Nébal

 

SCALZI (John), Les Brigades fantômes, traduit de [l’américain] par Bernadette Emerich, Nantes, L’Atalante, coll. La dentelle du cygne – science-fiction, [2006] 2007, 407 p.

 

Comme promis, après vous avoir entretenu de l’étonnante déception réjouissante qu’était Le vieil homme et la guerre, voilà-t-y pas que j’aborde aujourd’hui sa « suite », Les Brigades fantômes. Enfin, « suite »… Façon de parler. Entendons par-là que l’action se situe dans le même univers, et que l’on y croise même quelques personnages du « premier volume » (et notamment Jane Sagan), tout en faisant quelques allusions à des événements qui y avaient été décrits plus en détail (la bataille de Corail, le rôle de John Perry, le conflit avec les Rraeys, la technologie des Consus). A part ça, il s’agit bien de deux romans indépendants ; cela dit, si John Scalzi ne nous inflige pas un cycle interminable, il me paraît néanmoins très utile (pour ne pas dire indispensable) d’avoir lu Le vieil homme et la guerre avant de s’attaquer aux Brigades fantômes. A bon entendeur…

 

Ces « Brigades fantômes », d’ailleurs, on en avait déjà entendu parler en suivant les aventures de John Perry (qui brille ici par son absence, quand bien même il est évoqué une ou deux fois en passant). Je ne vais pas revenir ici sur les transformations subies par les troufions de base des Forces de défense coloniale (FDC) ; mais le cas des Forces spéciales doit être précisé, dans la mesure où il est au cœur de ce roman. Rappelez-vous simplement que l’âge légal pour s’engager dans les FDC est de 75 ans, après une inscription préalable dix ans plus tôt. Seulement voilà : tous ceux qui émettent le désir de s’engager ne tiennent pas forcément jusque-là (nous avons vu que c’était le cas de la femme de John Perry, notamment). Qu’à cela ne tienne ! Ils pourront néanmoins participer à la défense de l’humanité contre les vilains extraterrestres. Ils ont signé, après tout ! Leur clone a été fabriqué selon la méthode appliquée aux engagés normaux ; il n’y a plus (facile !) qu’à y rajouter une « conscience », selon le même procédé. Mais, du coup, ces Forces spéciales sont bien composées, à proprement parler, de morts… d’où leur nom officieux de « Brigades fantômes ». Ils présentent néanmoins un gros avantage pour les FDC, qui explique leur statut de troupes d’élite. Quand ces soldats « naissent », ils n’ont bien entendu aucun souvenir de la personnalité qu’ils empruntent (on leur donne d’ailleurs un nouveau nom… celui d’un scientifique), mais disposent déjà d’une grande palette d’aptitudes leur permettant, après quelques heures, d’entamer leur rude apprentissage destiné à en faire les pires machines à tuer des FDC : des soldats sans états d’âme, dénués de sentiments comme d’humour, créés pour servir leurs supérieurs, qui n’ont jamais connu l’enfance, l’adolescence, etc. ; des soldats sans expérience, oui, mais c’est tant mieux ! Ils peuvent ainsi, notamment, maîtriser leur AmicerveauTM bien plus efficacement que les « vrais-nés », puisqu’ils vivent avec cet étrange compagnon depuis leur naissance ; la communication verbale leur paraît inconcevablement lente et fastidieuse ; l’intégration de chaque unité, au contraire, leur procure un sentiment de communion inconcevable… et contribue en outre à prohiber le développement d’une individualité qui ne pourrait être que gênant pour les autorités. Les soldats des Forces spéciales n’ont ainsi pas grand chose d’humain : ce sont, à peu de choses près, des machines, et des esclaves. Des versions modernisées du monstre de Frankenstein… Résumons avec la quatrième de couverture :

 

« Tu t’appelles Jared. Ta mère est une cuve et ton esprit n’est pas le tien.

 

« Tu as parlé à soixante secondes, marché à deux minutes et pris la navette à une heure dix.

 

« Ton avenir ? Il ne t’appartient pas. A deux semaines, tu intégreras le corps d’élite des Forces de défense coloniale, les « Brigades fantômes ».

 

« Au nom de l’humanité, toi qui n’es pas vraiment humain.

 

« Mais l’esprit-qui-n’est-pas-le-tien grandit en toi, cet esprit qui, ailleurs, planifie la destruction de l’humanité. Au nom de quoi, au nom de qui ?

 

« Et toi, que choisiras-tu, Jared ? »

 

Jared Dirac, en effet, n’est pas un soldat des Forces spéciales comme les autres. Il a été créé de manière totalement arbitraire (et juridiquement douteuse...), pour servir de réceptacle à la conscience d’un traître, le scientifique génial Charles Boutin (oui, il est d’origine française ; normal, pour un traître…). Boutin a fait croire à son décès, puis a disparu on ne sait où. Ce que l’on sait, par contre, notamment depuis la capture du savant rraey Cainen, contraint de travailler pour les humains, c’est qu’il a réussi le tour de force de fédérer trois races extraterrestres, les Rraeys, donc, mais aussi les Eneshans et les mystérieux Obins, dans une croisade commune destinée à éradiquer l’humanité. Comment et pourquoi ? C’est ce que les autorités aimeraient bien savoir…

 

Et c’est pour cela que Jared Dirac a été créé. Il n’est pas supposé avoir de personnalité propre : il n’est qu’un réceptacle pour la conscience de Charles Boutin, avec les souvenirs qui avaient pu en être conservés (puisque le savant, afin de mener à bien son évasion et de tromper les humains, avait dû se cloner lui-même). On espérait ainsi détenir Boutin, savoir ce qu’il comptait faire, où il se trouvait, pourquoi il avait trahi ; mais la greffe n’a pas pris… Autant faire, alors, de Jared Dirac un soldat des Forces spéciales « comme les autres » ; sous haute surveillance, tout de même : si la personnalité de Boutin venait à ressurgir, en raison d’une expérience particulière, il pourrait être d’autant plus dangereux, maintenant qu’il a ce corps de soldat d’élite, et qu’il bénéficie de l’intégration avec ses comparses… d’autant que Boutin est sans doute le plus grand spécialiste humain de la conscience, du clonage et de l’AmicerveauTM !

 

Ainsi qu’on l’aura compris à la lecture de ce résumé, John Scalzi nous livre à nouveau avec astuce un divertissement de haut vol, riche en références et franchement palpitant, mais autorisant néanmoins quelques réflexions passionnantes. En effet, là où Le vieil homme et la guerre posait surtout un cadre, et privilégiait finalement l’action au détriment du sens, Les Brigades fantômes se montre à mon sens bien plus adroit et équilibré dans le développement de ce qui n’avait été qu’esquissé jusqu’alors : entre deux réjouissantes scènes d’action bourrine typiques du bon space op’ militaire, tout au long de la courte vie de Jared Dirac, le lecteur est amené à s’interroger sur ce qui fait la conscience, sur la définition de l’humain, sur l’individualité ; certes, on ne s’enfonce jamais trop profondément dans ces épineuses questions, mais elles sont néanmoins posées et envisagées, avec un sens de la mesure, une justesse, un humanisme finalement, qui font de ce deuxième opus plus qu’un très bon divertissement. On appréciera de même le questionnement un peu plus poussé de la légitimité des guerres coloniales : de même que pour Le vieil homme et la guerre, on ne saurait dire de ce roman qu’il est ouvertement militariste ou anti-militariste ; le lecteur, à l’instar de Jared Dirac, est amené à peser le pour et le contre à partir des quelques éléments dont il dispose, à l’évidence insuffisants. Et c’est pas facile… Sous cet angle, Les Brigades fantômes m’a un peu rappelé La Paille dans l’œil de Dieu, et je ne vais pas m’en plaindre.

 

De même que son sympathique prédécesseur, Les Brigades fantômes est en effet riche en références et pastiches (je me souviens notamment d’une scène assez drôle où Jared Dirac lit La guerre éternelle et Starship Troopers, puis regarde le film de Verhoeven…) ; mais on n’a pas pour autant le sentiment de lire un énième space op’ à la limite du plagiat : bien au contraire, John Scalzi sait s’inspirer des poncifs du genre pour le renouveler, voire le mettre en abyme, et il fait ça franchement bien, le bougre. Il n’hésite d’ailleurs pas à s’auto-parodier dans une scène assez impressionnante, reprenant le principe du parachutage en orbite haute qui avait constitué un des grands moments du Vieil homme et la guerre. Le lecteur naïf commence par soupirer : « Encore ? » Sauf que non, eh eh… Car Les Brigades fantômes est bien un roman astucieux, souvent drôle (avec notamment ces soldats d’élite au comportement de gamins…), parfois émouvant (je ne pensais pas qu’une peluche de Babar pouvait susciter autant de trouble…), et terriblement divertissant.

 

On ne parlera pas de chef-d’œuvre pour autant, ceci dit. Là encore, il s’agit avant tout d’un divertissement ; de qualité, certes, mais auquel on pourra reprocher quelques menus défauts ici ou là. A vrai dire, après les premières pages de ce roman qui ne surprendront probablement personne (en tout cas pas quiconque a lu Fredric Brown…), j’ai craint pendant un moment de me retrouver devant une « suite » un peu poussive… Le passage aux points de vue multiples, après la première personne si appropriée pour Le vieil homme et la guerre, m’a un peu déçu, d’ailleurs. Enfin, ici ou là, on pourra bien reprocher quelques lourdeurs, une ou deux gratuités, ou déplorer que le prometteur Boutin, dont on suppose bien vite la richesse du caractère et la complexité, se révèle finalement un meuchant plutôt décevant (là où son « équivalent », Cainen, est par contre un personnage vraiment sympathique, avec un joli épilogue)… Sans parler d’une traduction franchement médiocre.

Rien d’insurmontable, néanmoins. Les Brigades fantômes constitue un digne successeur du Vieil homme et la guerre ; peut-être même est-il encore meilleur… C’est en tout cas un divertissement de qualité, procurant un vif plaisir de lecture sans abaisser le lecteur pour autant, et qui laisse augurer du meilleur pour la « suite ». Un troisième tome, nominé semble-t-il au prix Hugo, est annoncé pour bientôt, et il y a de fortes chances pour qu’il finisse bien vite sur mon étagère de chevet.

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"Tout Desproges"

Publié le par Nébal

 

Tout Desproges, [s.l.], Seuil, [1981, 1983, 1985, 1987-1988, 1990-1992, 1994-1995, 1998-1999, 2003-2004] 2008, 1449 + [24] p.

 

C’est horrible, mais on me signale que le jour de gloire est arrivé. Ayé, 20 ans. Hop. Et comme un con, je finis inconsciemment ce gros bouquin (bien évidemment publié tout récemment pour bénéficier de la commémoration) juste là, aujourd’hui, maintenant. Pas l’air con, moi… Et je fais quoi, maintenant ? Je repousse mon compte rendu miteux à demain ? Non, ça serait vraiment petit joueur...

 

Bien sûr, je pourrais faire dans la chronique-hommage de base, pleine de nostalgie bienveillante, de léchage de boules et d’inconséquence. Le genre de truc qui finirait probablement par un « Etonnant, non ? » de bon aloi. Je parie que je pourrais être aussi nul que le plus diplômé des journalistes. Chiche.

 

… Ou alors, dans la même lignée, je pourrais faire dans le coup de gueule vaguement réac’ (et, je plaide coupable, c’est pas forcément l’envie qui m’en manque) : dire, avec tout le monde, que rhalalala, on n’en a plus des Desproges et patati, et que l’on est tombé bien bas ma bonne dame et patata. Sans doute, si j’avais la télévision, et pour ce qu’on a pu m’en dire, un coup d’œil sur le Jamel Comedy Club aurait pu me justifier dans cette démarche. Je vais essayer, dans la mesure du possible, d’éviter ce travers (ce serait à vrai dire tomber dans un piège dressé par Desproges lui-même, à certains égards – voir plus bas). D’autant que la date, hein, on s’en bat les coucougnettes, non ? Bon, alors, s’il vous plait (non, non, ne pas employer ce genre de phrases ! trop tard).

 

Cela dit, dans le concert ambiant de « Vive Desproges », je me permettrais de glisser néanmoins deux petites remarques :

 

1° Même s’il est peu probable qu’au jour d’aujourd’hui l’on ose clairement l’afficher, le fait est que, non, l’humour de Desproges n’est pas apprécié de tout le monde. Qu’aujourd’hui encore, il s’en trouve beaucoup pour le mépriser, derrière les sourires de façade et les rires gênés. Et je ne parle pas ici des cons habituels téléphages et galaphiles, hein. Non, non : des gens de mon entourage, de mon milieu (aaaargh). Tenez, mes parents n’en démordront pas, par exemple : « … Oui, mais, Desproges, il était vulgaire, quand même… » Ils ne sont pas très fans de son obsession pour la mort, aussi, mais ça doit être l’âge… (heu…) Vite (très vite), un autre exemple, plus édifiant encore, ce jeune homme avec qui je discutais lors d’une soirée légèrement alcoolisée, il y a de cela quelques mois ; un jeune homme sympathique, hein, en dépit de son adhésion aux MJS ; à un moment, pour je ne sais quelle raison, je lui fais part de mon adoration pour Desproges. Le sourire de mon interlocuteur se crispe. La consternation lui fige les yeux. Après un silence gêné, il me dit enfin, avec un embarras visible : « … Oui, mais, Desproges… il était de droite… » Et le sympathique jeune militant socialiste de s’éloigner, coupant court à tout débat. Ben honnêtement, je trouve ça bien, moi, qu’il arrive encore à susciter ce genre de rejet. Dans un sens, pour le coup, peut-être Desproges n’est-il pas tout à fait mort. Et pourtant, non… En effet :

 

2° Les morts, ça rapporte. Cette réédition en témoigne assez (voyez d’ailleurs les dates de parution des « originaux » compilés dans ce volumineux Omnibus). Je serais bien hypocrite de m’en plaindre : je l’ai acheté, ce gros volume, je l’ai lu, et je me suis régalé. Eh, c’est Desproges, merde, quoi… Cela dit, certaines manipulations nécrophiles me chatouillent tout de même un tantinet le sphincter. Par exemple, sur le très dispensable DVD gracieusement offert avec ce gros bouquin, les reprises de textes de Desproges par divers comédiens qui, sous couvert d’hommage, tendent à vouloir s’approprier son talent… et se foirent méchamment. Prenez André Dussolier, par exemple ; en temps normal, il fait partie des rares acteurs français que je trouve corrects. Mais le voir « interpréter » mollement « L’aquaphile » les yeux rivés sur le prompteur, ça casse un mythe, tout de même. Et pareil pour tous les autres, plus ou moins respectables, multipliant les interprétations fades et chiantes de certains des plus beaux textes de Desproges sur une scène arty à fond noir, avec dispositif scénique minimaliste-pédant, devant une assistance coincée du rectum qui semble considérer comme un blasphème que l’on puisse souiller d’un rire nécessairement vulgaire l’élégante prose du Maître (sauf une fois où il était humainement impossible de résister). Misère… Pire encore : la parution d’un Desproges est vivant ! tout en hommages stéréotypés et mesquins, en tirage de couverture à soi, en « Pierre c’était mon pote aha » (un peu comme la sinistre préface du ridicule Renaud « Société tu m’auras pas aha » Séchan aux dispensables – j’y reviendrai – Fonds de tiroir, pp. 629-632 ; il s’en moque, mais fait exactement la même chose, le bougre). Ben moi, Desproges, je ne le connaissais pas ; d’ailleurs, il est mort en gros à l’âge où j’apprenais à lire, alors bon… Mais tout de même : Desproges est vivant ? Ben non, justement. Il est mort, et bien mort. Et ce ne sont sûrement pas ces vautours qui vont le ressusciter. Ca me rappelle un peu – justement – l’excellent et haineux réquisitoire contre Roger Coggio (pp. 1147-1150)…

 

Bon, mieux vaut parler du bouquin. Tout Desproges, donc. Enfin, presque tout. Disons presque tout ce qui a été publié au Seuil. C’est-à-dire pas mal de choses quand même, et que du bon, ou presque. Cela dit, ce n’est pas exactement, donc, une édition des œuvres complètes à la Pléiade. Et, sous cet angle, je me permettrais de faire part d’un petit regret personnel : j’ai trouvé dommage que ce gros ouvrage n’ait pas été soumis à un véritable travail éditorial ; ces textes, pour bon nombre d’entre eux, datent un tantinet, ils font souvent allusion à des personnalités et des événements largement tombés dans l’oubli. Or le lecteur ne se voit pas fournir la moindre explication à cet égard, si l’on excepte, dans les Réquisitoires du Tribunal des flagrants délires, une note sur « l’affaire Langlois » (pp. 1307-1308), et, à la fin de chaque réquisitoire, quelques mots sur le prévenu… qui ne sont semble-t-il pas de Desproges, mais dont l’auteur n’est pas précisé. De même, le nom de l’interviewer de Desproges dans La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute n’apparaît nulle part ! C’est embêtant. Enfin, pour les fanatiques, quelques précisions concernant la date de composition des textes auraient pu s’avérer utiles (les différents recueils sont présentés dans l’ordre de leur parution, sans autre précision, sauf la date des émissions, le cas échéant)… Bon, on va peut-être trouver que je chipote, que je suis ridicule, ce que vous voudrez ; mais il me semble qu’un minimum de travail dans cette direction aurait rendu cette somme plus intéressante encore.

 

Cela dit, intéressante, elle l’est déjà. Pas, bien entendu, pour l’admirateur authentique qui a depuis longtemps déjà l’intégrale de Desproges, puisqu’il n’y a ici rien de nouveau. Mais ce n’était pas mon cas : j’avais pu feuilleter chez des gens bien le Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis ainsi que le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis, j’ai les enregistrements de Desproges en scène, des Chroniques de la haine ordinaire et des Réquisitoires du Tribunal des flagrants délires, j’ai vu pas mal d’épisodes de La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède, mais, pour ce qui est des bouquins, je n’avais en tout et pour tout que le bref entretien sus-nommé… Alors j’ai craqué. Et j’ai achetu, j’ai lu, j’ai rus.

 

Détaillons vite fait. On commence très bien avec le Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis (pp. 7-97), et l’on poursuit immédiatement avec l’encore meilleur (à mon sens du moins) Vivons heureux en attendant la mort (pp. 99-255). Du très grand Desproges, en concentré (plusieurs de ces textes, d’ailleurs, apparaissent dans les Chroniques de la haine ordinaire, les Textes de scène, et plus encore Les réquisitoires du Tribunal des flagrants délires ; je suppose qu’ils ont d’abord été écrits pour la radio, puis repris sous cette forme littéraire, mais je ne saurais l’affirmer pour autant, faute d’indications…). On y trouve tout ce qui fait le talent du clown : un style unique, où la préciosité la plus maladive dérape au tournant d’une ligne pour tomber dans le jeu de mots le plus scandaleux ; un talent rare pour faire rire avec la mort, avec la guerre, avec les militaires, avec les handicapés, avec les Juifs… Pour rire de tout (mais pas avec tout le monde, of course). Que du bonheur : de très belles pages, cinglantes, hilarantes, parfois touchantes, toujours excessives ; tout l’art du (faux) partage en (vraie) couille, celui qui a fait les plus grands sketches de Desproges.

 

Le Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des biens nantis (pp. 257-321), en dépit de son titre à rallonge pédantesque qui ne manque pas de faire penser au Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis, est une œuvre radicalement différente. Un jubilatoire foutage de gueule totalement assumé (le plus petit dictionnaire du monde, avec un mot choisi de manière totalement arbitraire pour chaque lettre, d’abord pour les noms communs, ensuite pour les noms propres), qui joue cette fois avant tout la carte de l’humour absurde (pour ne pas dire « l’humour anglais » ; à en croire Les étrangers sont nuls et La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute, l’auteur, qui se vantait d’être la plus remarquable incarnation de « l’humour limousin », ne raffolait guère de ce genre de désignations...). Pour le coup, c’est beaucoup moins outrancier et directement drôle que ce qui précède (et que la plupart de ce qui va suivre), mais ça reste parfaitement réjouissant (j’avoue une tendresse particulière pour les noms propres…).

 

Suit une curiosité (enfin, en ce qui me concerne) : Des femmes qui tombent (pp. 323-417) est en effet un court roman de Pierre Desproges. Je savions même pô que ça existions, moué… Et c’est bien ? Ben faut voir. Le tout est rédigé à la manière des premiers recueils évoqués et des Chroniques de la haine ordinaire : du coup, c’est bien évidemment drôle, cinglant, parfois émouvant... On avouera cependant que le style si particulier de Desproges, avec ses dérapages plus ou moins contrôlés et sa préciosité-prout, n’est pas vraiment approprié au roman. Ceci dit, il se lit très bien, ce petit polar champêtre cynique au possible. Mais ce qui m’a le plus marqué dans tout ça, c’est… bordel… j’ose à peine le dire tellement c’est énorme… c’est que Desproges se montre semble-t-il très désireux de me gâter tout particulièrement, puisqu’il vient étrangement mettre des vrais morceaux de SF dans son roman ! Bon, j’exagère un peu, peut-être… Mais la rencontre de l’extraterrestre bouffeur de pneus m’a néanmoins fait comme un choc. Et plus encore, à vrai dire, la résolution du mystère de ces Femmes qui tombent, que l’on comprend très vite… d’autant que je n’ai pu m’empêcher d’y reconnaître (les yeux exorbités) l’excellente nouvelle de Claude Ecken « Le Propagateur », dans le gros Bifrost n° 42 ; évidemment, le ton est très différent, mais ça m’a fait drôle, tout de même : pure coïncidence ? hommage-que-j’étais-passé-à-côté-comme-un-con ? inspiration plus ou moins consciente ? J’en sais rien ; c’est pas grave, de toute façon. Passons.

 

A quoi ? Au premier recueil des Chroniques de la haine ordinaire (pp. 419-534). Une des grandes émissions radiophoniques de Desproges, avec son ton très particulier. On ne rit pas toujours, à vrai dire ; ce n’est pas toujours le but… Mais c’est sacrément beau, et sacrément bon, le plus souvent. Quelques superbes pages : « Les restaurants du foie » (pp. 424-425), le fantabuleusement haineux « Criticon » (pp. 433-435), « La démocratie » (pp. 442-444), le réjouissant, fielleux et tout personnel « Au voleur » (pp. 450-451), l’inoubliable « Le fil rouge » (pp. 457-458), le (sincèrement) très émouvant « Misères » (pp. 459-461), l’indispensable « Non aux jeunes » (pp. 475-477), « L’aquaphile » (pp. 478-479), bien sûr, le (à nouveau très sincèrement) très émouvant « Les sept erreurs » (pp. 486-488), le plus que jamais d’actualité « A mort le foot » (pp. 518-520), et, pour finir en beauté, les deux épisodes des « Aventures du mois de juin » (pp. 528-534). Tout d’même, hein…

 

Ensuite, les Textes de scène (pp. 535-623). Si le premier spectacle contient quelques très bons moments (notamment « Que choisir ? », pp. 544-547, « Haute coiffure », pp. 564-565, et, bien sûr, le « Résumé du spectacle », pp. 568-569), j’avoue cependant ne pas le considérer comme un sommet de Desproges. On le sent un peu hésitant, dans cette première confrontation au one man show ; pas très exubérant, pas très joueur, finalement drôle, oui, mais sans plus, en-dehors de quelques fulgurances… Le deuxième spectacle, par contre, est un festival, un concentrée de génie ! On y sent Desproges bien plus à l’aise ; il tente moins de construire un spectacle entièrement cohérent, à la différence du premier, et peut enchaîner sur des sketches très différents. Mais quels sketches ! Inutile de citer, tout y est excellent. Ah si, juste un ; répétons-le, mes frères, répétons-le : « On me dit que des Juifs se sont glissés dans la salle ? » (pp. 590-592) est un monument, un chef-d’œuvre, un sommet inaccessible, un sketch salutaire, outrancier, terriblement drôle, tout simplement parfait. N’oublions jamais. Cerise sur le gâteau (enfin, dans un sens), on trouvera également en fin de volume quelques textes écrits pour un troisième spectacle annulé pour cause de décès, qui sont pas dégueux, ma foi.

 

On passe aux Fonds de tiroir (pp. 627-712). Le titre a été choisi par le social-traître Séchan pour rigoler. Effectivement, ce ne sont pas des fonds de tiroir ; dans un sens, c’est pire : plus des trois-quarts des textes figurant dans ce recueil apparaissent dans d’autres ouvrages également repris par cet Omnibus. Passons vite là-dessus.

 

On y préférera bien davantage Les étrangers sont nuls (pp. 713-774), recueil saturé de préjugés, d’un faux racisme jubilatoire ; cela dit, là encore, quelques textes ont été repris dans d’autres sketches ou chroniques, mais il serait dommage de passer à côté des quelques merveilles que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.

 

Suit La minute nécessaire de Monsieur Cyclopède (pp. 775-863). A la télévision, c’était grandiose ; un sommet d’humour absurde et irrévérencieux comme on n’osait guère en imaginer en France (oui, en France ; des années plus tôt, la perfide Albion avait déjà les Monty Python…). Hélas, à l’écrit, ça ne passe pas vraiment…

 

Après un petit cahier de photos émaillé de citations, on enchaîne avec La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute (pp. 865-900), bref entretien avec l’auteur. Un peu frustrant, finalement ; Desproges s’y montre passablement réservé, il ne parle que peu de lui ou de son travail ; quelques pages intéressantes, ceci dit, sur les Restos du Cœur, sur les cochons… C’est vite lu.

 

Après quoi, Le petit reporter (pp. 901-1048) est un recueil de brèves publiées par Desproges dans L’Aurore, avant d’être récupéré par Jacques Martin pour Le petit rapporteur qui le fera véritablement connaître. Sûr, dans ce journal très à droite, l’humour déviant de Desproges devait sacrément faire tâche. Mais, pour être honnête, en-dehors de quelques méchancetés anti-MLF parfaitement réjouissantes, c’est du journalisme à l’ancienne, de « l’humour à la papa », tout en calembours subtils et contrepèteries dissimulées ; là, il faut bien le dire, à mon sens, ça a vieilli…

 

Mais ne désespérons pas. On passe ensuite à un gros morceau, et à ce qui constitue à mon sens (avec le deuxième spectacle) le sommet de la carrière de Desproges : Les réquisitoires du Tribunal des flagrants délires (pp. 1048-1308). Peu importe que la plupart des prévenus soient sombrés dans l’oubli (on notera d’ailleurs que, plus d’une fois, le procureur Desproges se montre très prophétique à cet égard...) : les textes, eux, restent. Et puis, honnêtement, en maintes occasions, Desproges balance tout de go qu’il en a rien à cirer du prévenu, et part dans des délires tous plus hilarants les uns que les autres, mais qui n'ont strictement rien à voir avec l'accusé… Mais il sait aussi à l’occasion se montrer sérieux, charmeur… ou d’un courroux (coucou… désolé) terrifiant : ses réquisitoires tapent méchamment, le cas échéant, et Desproges sait profiter de sa stature comme de son talent pour mettre à mal les cons avec une audace salutaire. Et il y en a, des merveilles, dans ces réquisitoires : Robert Lamoureux et l’armée (pp. 1065-1068), Frédéric Mitterrand et, heu, son oncle ? (pp. 1002-1105), Daniel Cohn-Bendit (pp. 1114-1117 ; l’est d’actualité, celui-là, pour la prochaine commémoration émétique qui va nous être infligée par les anciens pseudo-combattants grabataires réfugiés à l’UMP), Jean d’Ormesson et l’Acacadémie françouèse (pp. 1118-1121), Jean-Marie Le Pen, bien sûr (pp. 1134-1138), Roger Coggio, déjà évoqué (pp. 1147-1150 ; peut-être le plus haineux des réquisitoires…), François de Closets et les chats nantais (pp. 1151-1154), Gisèle Halimi et les femmes (pp. 1167-1170 ; sans surprise, un de mes chouchous…), Jacques Séguéla et, heu, l’hypocrisie ? (pp. 1176-1179 ; adroit et juste dans la perfidie), Patrick Poivre d’Arvor, le romantisme leucémique et l’observation des papillon (pp. 1189-1192 ; indispensable !), Dorothée (pp. 1223-1226 ; la plus belle déclaration d’amour de toute l’histoire des déclarations d’amour), René Barjavel et les vieux (pp. 1248-1251), Siné et la connerie des fafs de gauche (pp. 1256-1259 ; ici, je cite la notice anonyme, p. 1259, de ce réquisitoire particulièrement fielleux : « Ce dessinateur haineux, raciste et borné a foutu des boutons de rage à plusieurs générations de bien-pensants. Qu’il en soit remercié ici et qu’il crève. » Pas mieux.), Claire Bretécher (pp. 1268-1272 ; pour moi la plus belle réussite dans le célèbre cycle des explications radiophoniques du Kama Sutra), Alain Ayache (pp. 1273-1276 ; maintenant que j’y pense, Desproges lui tape dessus au moins aussi fort que sur Coggio et Siné, et judicieusement, en plus…), Gilbert Trigano (pp. 1290-1293 ; avec le jeu de mots le plus génialement capillotracté de toute l’histoire des jeux de mots capillotractés), François Romério, la peine de mort et l’autodéfense (pp. 1298-1301 ; Plaf !)… Je n’ai cité que mes préférés, je vous le jure. Rhaaaaa. C’est grandiose.

 

Allez, il est temps de finir. Et avec du bon, une fois de plus : Chroniques de la haine ordinaire II (pp. 1309-1449). Voir plus haut, hein… Quelques titres marquants ? Vraiment ? Bon, d’accord, mais c’est bien parce que c’est vous : le plus que jamais indispensable « Gros mots » (pp. 1322-1324), l’inévitable « Pangolin » (pp. 1341-1343 ; version intégrale, bien sûr, pas la version bêtement et absurdement tronquée figurant dans les Fonds de tiroir…), le plaidoyer « Cancer » (pp. 1352-1354), le réjouissant « Les non-handicapés » (pp. 1378-1380), « Petit rigolo » (pp. 1389-1392), « Lettre ouverte aux cuistres » (pp. 1408-1410), ou encore, pour finir sur une note patriotique, « La Marseillaise » (pp. 1447-1449)…

 

Ca fait du bien, des fois, quand même, ma bonne dame. Oh là oui. Le meilleur hommage que l’on puisse rendre à Desproges est encore probablement de lire ses livres, de regarder et d’écouter ses sketches. Le reste, hein… Mais je maintiens une chose, en tout cas. Oui, il est mort. Quelque part, c’est embêtant. En même temps, qui sait, il aurait peut-être fini par devenir aussi nul que ceux qui vont lui rendre hommage, hein… Mais non, ça va. Il est toujours mort. Ouf.

 



J’ai failli conclure par « Etonnant, non ? », c’est horrible ! Mieux vaut travailler mon cancer, juste au cas où…

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"Saigneur des loups", de Pierre Grimbert

Publié le par Nébal

 

GRIMBERT (Pierre), Saigneur des loups, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2008, 203 p.

 

Je dois me rendre à l’évidence. Je dois abandonner toutes mes illusions. Avec la morgue du post-ado crétin, je me faisais une fierté de mon pessimisme généralisé, et de mon incorruptibilité n’excluant pas la méchanceté pure et simple quand il s’agit de dénoncer le crime. Pourtant, non. Non, il faut croire que, malgré tout, Nébal est finalement plutôt gentil, et relativement optimiste. Tenez, après avoir été insupportablement pondéré à propos d'Eden Norifumi, quand je vous ai causé il y a peu de La Nuit du Minotaure de Paul Halter, j’avais dit que c’était « médiocre plus » ; lourde périphrase pour ne pas dire « raté », ou même « mauvais ». Pas scandaleux, hein, mais franchement pas top. Plus flagrant encore : j’avais conclu ce compte rendu miteux par un vulgaire teasing concernant ce Saigneur des loups de Pierre Grimbert, que j’annonçais d’ores et déjà au mieux comme « médiocre moins ». Ca, c’était horriblement gentil et optimiste. Parce que maintenant je peux, très honnêtement, dire que c’est franchement mauvais. Nul, quoi. Plus la version « simplement insipide et sans intérêt aucun » que « scandaleusement nul et étronesque » à la Tous ne sont pas des monstres ou Léviatown, mais néanmoins nul. Et chiant.

 

On m’a fait part récemment d’une certaine lassitude à l’égard de la longueur excessive de mes comptes rendus. Ca tombe bien, Saigneur des loups ne mérite franchement pas que l’on s’y attarde, et j’ai donc constaté que j’étais en fait trop gentil pour en dire vraiment du mal. C’est triste, mais on va faire bref.

 

Pierre Grimbert est présenté en quatrième de couv’ comme « le plus populaire des auteurs français de Fantasy ». J’en avais jamais entendu parlé, pourtant (et je croyais que c’était Loevenbruck le titulaire du titre). Petite recherche : oui, a priori, il écrit bien le genre de fantasy fade et totalement dénuée d’inventivité comme d’intérêt qui se vend comme des petits pains sous des couvertures moches (comptez au moins trois volumes par série) ; bref, de la fantasy plate qui se prend pour de la high fantasy (je dis ça à partir des chroniques que j’ai pu lire ici ou là, hein…), et avec des gros morceaux de jeunesse dedans.

 

Là il nous fait un CVH plat et vide. Nous y suivons (entre deux baillements) l’écrivaillon Rémi Tiberger (p. 25, « Je signe de mon nom, en le précédant d’un « Pr. », ce qui me fait passer pour un professeur et permet certaines anagrammes singulières. » ... Faut-il en rire ou en pleurer ?), lequel, attention, n’est pas un loup-garou à proprement parler, hein, mais un « Berserker » ; d’ailleurs, sa proie non plus n’est pas un loup-garou, hein, mais l’incarnation d’un dieu-loup nordique, hein (pas Fenrir, cependant, contrairement à ce qu’avance la quatrième de couv’). Voilà pour l’originalité.

 

 

Bon, d’accord, c’est un loup-garou qui chasse un loup-garou, mais c’est original, non ?

 

Oh, si. Au moins autant qu’un vampire qui chasse les vampires (on en a vu finalement très peu depuis Blade, Hellsing et tutti quanti). Et puis n'exagérons rien : ce n'est effectivement pas un loup-garou comme les autres ; disons plutôt que c'est un croisement entre un loup-garou et Highlander ; jusqu'au cadre écossais de la fin, aux combats d'épée et au « il ne peut en rester qu'un »

 

 

Bon, d’accord, mais mettre de la mythologie celtique dedans, par exemple, c’est original, non ?

 

 

Bon, d’accord, la bombe atomique, alors ?

 

 

Bon, d’accord, mais dans la forme, hein, là, on peut rien trouver à redire ! C’est subtil, d’alterner un chapitre sur deux l’enquête au présent et les souvenirs du héros (en italique) !

 

Oh là, oui. Disons que pour quiconque a eu le malheur de pratiquer un peu les jeux de rôles de White Wolf, et notamment Vampire : la Mascarade et (bien sûr) Loup-garou : l’Apocalypse, ça peut vaguement rappeler le moins original des récits de passage composé par le plus inculte des joueurs pré-ados gogoth qui a regardé Wolf la veille, mais à part ça, l’italique, tiens, c’est bien vu… Ah non, zut, là aussi ils font pareil, chez White Wolf, dans tous les mini-récits d’ambiance de leurs manuels de jeu.

 

 

Ouais, mais, au moins, c’est bien écrit !

 

Ah, c’est sûr, si le but était de reproduire ce genre de récits pré-ados, il y a de la réussite. C’est tout aussi fade, chiant, et maladroit. Très drôle à l’occasion. Involontairement, mais là n’est pas la question.

 

 

Bon, et les twists, y sont pas fascinants, peut-être ?

 

Oui, je dois dire que les deux twists grotesques du final, lequel était jusqu’alors aussi insipide et chiant que tout ce qui avait précédé, ont une certaine forme de jusqu’au-boutisme dans la platitude, l’inutilité et la bêtise, qui peut surprendre le lecteur au point de lui faire lever temporairement le sourcil gauche, voire esquisser un sourire sarcastique (zygomatique gauche, là aussi). Peut-être même le lecteur le plus volontaire aura-t-il encore la force d'émettre un soupir. A condition qu’il ne se soit pas endormi avant, bien sûr.

 

 

Bon, d’accord. C’est nul. C’est plat. Fade comme un navet. C’est un éloge du vide. Une reprise métaphorique pour la jeunesse inculte du Traité du non-être du sophiste Gorgias : après avoir achevé la lecture de Saigneur des loups (tiens, je n’avais pas mentionné à quel point le titre aussi est original), le lecteur est pris de la conviction troublante que le livre qu’il a lu n’existe pas ; que, quand bien même il existerait, il ne pourrait pas le savoir ; et que, quand bien même il pourrait le savoir, il ne pourrait rien en dire.

 

Imparable.

Le prochain CVH, à ce que j’ai cru comprendre, serait de Pierre Pelot. Je lui souhaite bien du courage pour remonter le niveau. Comme je suis gentil et optimiste, je veux encore croire que c’est possible. Mais disons les choses clairement dès maintenant : si ça marche pas, moi, j’arrête les frais…

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