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"Le Marais aux sorcières", de Paul Busson

Publié le par Nébal

BUSSON (Paul), Le Marais aux sorcières, suivi de « La Louve blanche » de Friedrich de la Motte Fouqué, édition critique établie par Michel Meurger, traduit de l’allemand par Elisabeth Willenz et Isabelle David, Cadillon, Le Visage vert, [1812, 1923-1924] 2009, 118 p. + [2] p. de pl.

 

Je m’étais promis, suite à la lecture de la dernière livraison du Visage vert, de jeter un œil aux ouvrages publiés dans la collection éponyme. Il faut dire que les deux dernières parutions m’intéressaient particulièrement… Je vous entretiendrai prochainement du Lamont d’Anne-Sylvie Salzman ; mais, dans l’immédiat, j’ai préféré commencer par ce Marais aux sorcières, qui me paraissait constituer un intéressant pendant au dossier consacré à la sorcellerie dans la littérature allemande du seizième numéro de la revue.

 

Ce bref ouvrage, émaillé de quelques illustrations, a de même été établi par Michel Meurger, et il s’agit d’un ouvrage composite. Sous ce titre générique de Marais aux sorcières se cachent en effet la nouvelle-titre de l’auteur autrichien Paul Busson, un extrait du roman Der Zauberring de Friedrich de la Motte Fouqué titré ici « La Louve blanche », puis, enfin, un long article de Michel Meurger intitulé « La Comtesse louve en ses paluds. Femmes fauves et marais fantastique en littérature ».

 

Commençons donc par la nouvelle de Paul Busson (1923 ; pp. 7-56). On ne révélera pas grand chose, eu égard au sommaire, en disant qu’il s’agit là d’une histoire de louve-garou… et plus si affinités. Dans la cabane d’un chasseur vieux comme Hérode, le narrateur, égaré dans ledit marais aux sorcières, entendra en effet parler de plusieurs êtres humains changés en bêtes… Un très beau texte, porté par un remarquable sens de l’atmosphère et une plume fluide et agréable. Le cadre pittoresque et envoûtant, la rivalité du chasseur et du braconnier, le fascinant portrait de la comtesse louve (nécessairement lubrique…), sont autant de bonnes raisons de lire cette excellente nouvelle. Je n’en dirai cependant pas davantage… sous peine de tomber dans la paraphrase de l’analyse de Michel Meurger – j’y reviendrai.

 

Pris indépendamment, « La Louve blanche », bref conte extrait du roman Der Zauberring de Friedrich de la Motte Fouqué (1812 ; pp. 57-66), me paraît d’un intérêt moindre : le style est assez lourd et le récit sans surprise. Sa place ici se justifie néanmoins parfaitement, en ce qu’il fournit un intéressant miroir au texte qui précède, et autorise l’étude de Michel Meurger qui conclut l’ouvrage en beauté.

 

« La Comtesse louve en ses paluds. Femmes fauves et marais fantastique en littérature » (pp. 69-118), long article abondamment annoté, constitue en effet l’autre point fort de ce décidément fort sympathique petit ouvrage. L’auteur y fait preuve de son érudition enthousiasmante habituelle, et analyse judicieusement les deux textes qui précèdent, tout en ouvrant des portes vers d’autres lectures intéressantes. J’en ai pour ma part essentiellement retenu l’évocation de l’auteur finnoise Aino Kallas, dont l’œuvre semble du plus grand intérêt.

En somme, voilà donc un petit volume tout ce qu’il y a de sympathique, bien digne du niveau d’excellence de la revue Le Visage vert. Assurément de quoi donner envie de poursuivre plus avant l’exploration du catalogue de ce nouvel éditeur. J’y reviendrai bientôt, cette fois avec quelque chose de contemporain, avec Lamont d’Anne-Sylvie Salzman.

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"Les Noctivores", de Stéphane Beauverger

Publié le par Nébal

BEAUVERGER (Stéphane), Les Noctivores, Paris, La Volte – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2005] 2009, 403 p.

 

La « trilogie Chromozone », épisode 2. Le tome 1 était une plutôt bonne surprise, malgré quelques imperfections ici ou là (je peux d’ailleurs maintenant confirmer que Chromozone ne rattrapait pas tous ses boulons…). D’où cette lecture rapprochée du tome 2, en attendant le troisième pour septembre, en principe.

 

Quelques années se sont écoulées depuis le final post-post-apo de Chromozone. Dans les premières pages du roman (après un « rembobinage rapide » fort bienvenu sur le virus et sa diffusion), nous faisons la connaissance, à Lourdes, dans une communauté néo-chrétienne, d’un étrange enfant du nom de Cendre. Celui-ci, pour des raisons que l’on ignore encore (on ne croit guère, et c’est heureux, à la thématique de « l’élu », qui plombe quand même un peu le début du roman), est à même de foudroyer les malheureux infectés par le virus militaire, changés à peu de choses près en zombies. Aussi l’enfant se retrouvera-t-il bien vite, et bien malgré lui, au cœur d’un complexe imbroglio politique.

 

Trois factions comptent en effet s’emparer du phénomène : à Marseille, Khaleel et ses sicaires ; à Berlin, Peter Lerner et ses noctivores ; à Ouessant, les restes de la bande de la maison-tortue, dirigés essentiellement par Justine Lerner (qui a une sacrée dent contre son époux) et Gemini… et qui ne sont pas forcément plus sympathiques que les autres.

 

Ah, et il paraît « qu’il est peut-être temps d’en finir avec la violence ». Mais comme pour la bêtise dans le premier tome, on est en droit d’en douter…

 

Les Noctivores obéit à une trame bien plus linéaire que Chromozone (découpée cette fois en trois parties, centrées sur trois personnages). C’est plutôt dommage… d’autant que son côté post-apo très classique n’en ressort que davantage : toute la thématique du repli communautaire, qui m’avait paru si intéressante dans le premier tome, passe peu ou prou à la trappe ; les communautés évoquent cette fois clairement un post-apo finalement assez traditionnel, à la manière de, disons, Edmund Cooper, Julia Verlanger ou Thomas Géha, pour en citer quelques-uns que j'ai pu lire (avec leur efficacité, d’ailleurs, et probablement plus d'ambition, mais...).

 

En contrepartie, la thématique de la post-humanité prend le devant de la scène, ce qui nous vaut quelques beaux moments et autant de cruels dilemmes. Cette fois, effectivement, j’y ai ressenti l’influence de La Schismatrice de Bruce Sterling…

Autre point positif : tout manichéisme est absent de ce roman. À vrai dire, la plupart des personnages, y compris ceux que l’on avait plutôt tendance à trouver sympathique dans Chromozone, révèlent cette fois leur parts équivalentes d’ombre et de lumière.

 

Pour ce qui est du style, après un début archaïsant un peu lourd, Stéphane Beauverger a fait d’incontestables progrès depuis Chromozone. Le roman y gagne en fluidité et en efficacité… mais y perd peut-être un peu en spontanéité, ce qui ne fait que renforcer l’impression de classicisme déjà évoquée.

 

En somme, j’avoue avoir été un peu déçu par Les Noctivores. Tout est relatif : je ne regrette certainement pas ma lecture, j’ai passé un très bon moment à lire ce deuxième roman, et j’attends avec impatience de pouvoir me jeter sur La Cité nymphale, conclusion de la trilogie. Mais je n’en ai pas moins trouvé ce roman un peu trop lisse, un peu trop sage ; presque déjà-lu, par endroits. Dommage…

Mais rien de rédhibitoire pour autant. Les Noctivores, avec ses défauts et les regrets qu’il peut susciter, reste un bon roman post-apo, témoignant du talent en germe de Stéphane Beauverger. On verra bien ce qu’il en sera de La Cité nymphale, et il me sera alors possible de tirer un bilan global de cette trilogie.

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"L'Onyre du givre", de Bruno B. Bordier

Publié le par Nébal

BORDIER (Bruno B.), L’Onyre du givre, préface d’André-François Ruaud, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière blanche, 2007, 249 p.

 

Bruno B. Bordier est (entre autres : il est également traducteur et illustrateur) un auteur rare et sans doute méconnu, qui a publié quelques nouvelles ici ou là, dans des fanzines, revues ou anthologies variés. L’Onyre du givre comprend neuf de ses nouvelles (dont une écrite en collaboration avec Sylvie Miller), et, ma foi, c’est pas mal du tout. De quoi donner envie de lire un hypothétique deuxième recueil de la même eau. Pour tout dire, on lui pardonnerait même d’avoir masqué son propre recueil sous une couverture bryceo-jackiepaternostérienne, c’est dire…

 

Neuf nouvelles, donc, pour la plupart assez longues, explorant des territoires variés, mais néanmoins proches de par leur ton singulier, entre onirisme et ironie grinçante. Pas de doute, Bruno B. Bordier a une voix. Et des idées. Peut-être même trop, à la limite, mais on aura l’occasion d’y revenir.

 

Décortiquons donc un peu la bête. Passée la préface-copinage d’André-François Ruaud (pp. 5-7), on commence sur un mode mineur avec « Les Veines gonflées de songe » (pp. 8-17), fantasy urbaine traitant du sida. C’est un peu court pour pleinement convaincre, mais cela n’en contient pas moins quelques beaux passages, et, déjà, l’expression de cette voix caractéristique.

 

Mais la nouvelle suivante, bien plus longue, et bien qu’écrite en collaboration avec Sylvie Miller, donne sans doute davantage le ton de l’ensemble du recueil dans ce qu’il a de plus intéressant. Avec « Homo umbilicus » (pp. 18-63), les deux auteurs transfigurent à leur sauce les figures du loup-garou et du vampire à l’heure des réseaux informatiques. Avec une touche un tantinet dickienne en prime, le héros se souvenant de personnes effacées de la réalité… C’est très bon, à n’en pas douter, à la fois drôle et palpitant. Cette nouvelle, à mes yeux, n’a qu’un seul véritable défaut (et encore !), mais que l’on retrouvera plusieurs fois au cours du recueil : elle déborde littéralement d’idées. Aussi se révèle-t-elle finalement trop courte (!), et un peu frustrante…

 

Néanmoins, elle donne sacrément envie de poursuivre la lecture de ce recueil. Continuons donc avec « Le chant de l’égoïsme, les soupirs de la honte » (pp. 64-96). Même constat : c’est bon, mais ça déborde, et ce n’est guère facile à résumer… Dans ma grande lâcheté, je vais d’ailleurs déclarer forfait, et passer immédiatement à la suite.

 

En l’occurrence, « Massacre » (pp. 97-127), une nouvelle de SF, cette fois, et le plus vieux texte du recueil. Un monde sombre et absurde, où tout va trop vite (tiens, tiens…), pour s’achever dans un bain de sang. Une réussite, là encore.

 

« Rêveur d’oubli » (pp. 128-135) est à nouveau une nouvelle de science-fiction, traitant cette fois du voyage dans le temps et de l’apocalypse. Ça se lit tout seul, mais ne brille pas exactement par son originalité… Assez joli, néanmoins.

 

« Komédia » (pp. 136-181) est une longue fable ou allégorie absurde (sur un mode, disons, « kafkaïen pulp ») sur la création littéraire et ses affres. Cela déborde à nouveau, mais c’est tant mieux. Et, si les nombreuses références qui parsèment le texte sont parfois hermétiques, cela se lit tout seul, tant c’est inventif et bien vu. Une réussite.

 

Réussite également, et probablement un des meilleurs textes de ce recueil, « Un lapin sachant chasser… » (pp. 182-191). Où l’on suit le rite d’initiation d’un jeune lapin apprenant à chasser la carotte, dans un monde trafiquant l’horizon pour se protéger des assauts des goupils. Un vrai déferlement d’idées pour un texte très drôle (façon nonsense cartoonesque) et tout à fait réussi. Mon coup de cœur.

 

Je serais moins élogieux pour le texte suivant, « L’Onyre du givre » (pp. 192-226), fantasy urbaine passablement gothique, un peu à la manière de « Les Veines gonflées de songe », et où l’on retrouve le concept d’onyre déjà exploité dans « Le Chant de l’égoïsme, les soupirs de la honte ». C’est correct, un peu à la manière de Mélanie Fazi, mais cela ne m’a pas touché plus que ça. À vrai dire, après les excellentes premières pages (où l’héroïne fait la lecture aux gargouilles d’une cathédrale pour les « endormir »), cela m’a un peu déçu…

 

J’y ai préféré, malgré ses imperfections (dans la trame, notamment, un peu légère), « Nahk Ila Hetaf Tarsun » (pp. 227-248), nouvelle de science-fiction qui clôt le recueil. Outre la référence musicale présente dès le titre, la nouvelle vaut surtout pour son cadre, un monde d’inspiration islamique où la technologie est basée sur le vivant. Tout à fait intéressant, et à nouveau très riche.

C’est donc pas mal du tout, tout ça. J’en reprendrais volontiers. Si « l’homme qui écrit à la couleur de son esprit » (© André-François Ruaud) devait se faire moins rare, et, par exemple, publier un autre recueil du même tonneau, voire, soyons fous, un roman, j’en serais très client.

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"Ecstasy", de Ryû Murakami

Publié le par Nébal

MURAKAMI (Ryû), Ecstasy, [Ecstasy], traduit du japonais par Sylvain Cardonnel, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier poche, [1993, 2003] 2006, 378 p.

 

Ryû Murakami, nouvelle tentative, après deux déceptions relatives, Les Bébés de la consigne automatique et son premier roman Bleu presque transparent. Cette fois, avec Ecstasy, j’entame donc la trilogie des « Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort ». Tout un programme.

 

Va pour le « plaisir ».

 

 

Bon, on va faire vite.

 

Tout commence (plutôt bien) alors que le jeune Miyashita, membre d’une équipe de tournage pour un clip bidon, rencontre dans le Bowery, à New York, un clochard nippon qui lui demande s’il sait pourquoi Van Gogh s’est taillé une oreille. Point de départ incongru d’une lente descente aux enfers sado-masochistes, un jeu fatal fait de rencontres marquantes. Miyashita va en effet se retrouver partie prenante dans un étrange ménage à trois SM par-delà les continents (Tôkyô, New York, Paris) ; trois personnages, la fascinante Kataoka Keiko (dominatrice jouant parfois le rôle de la victime), le clochard richissime Yazaki (sadique tourné en masochiste) et la belle Reiko (masochiste... devenue sadique ?), seront ainsi amenés à se confier au narrateur fasciné, et à lui dévoiler lentement le caractère pour le moins singulier de leurs relations.

 

Ecstasy est ainsi un roman « porno » (ou « érotique », comme on voudra) SM, saupoudré de drogue (essentiellement cocaïne et ecstasy, donc), de pisse et de vomi. Ouep, c’est bien un roman de Ryû Murakami, pas de doute à cet égard.

 

Hélas, c’est surtout un roman très chiant. Les confessions sordides sont interminables et, ce qui n’arrange rien, confuses. La dissection du sado-masochisme, fondé ici essentiellement sur l’humiliation (la douleur y est morale, jamais – ou presque – physique), et heureusement détaché des clichés porno-chic à base de cuir et de cravache, aurait pu être intéressante. Elle aurait pu… Elle ne l’est pas. Les scènes rapportées s’enchaînent, répétitives, sans véritable intérêt : ni émoustillantes, ni écœurantes (plus lassantes qu’autre chose), pas davantage édifiantes ou profondes, elles défilent dans un ennui mortel teinté de nostalgie, augurant sans doute de la mélancolie du deuxième tome. À peine s’il surnage ici ou là quelque scène intéressante (mais bien moins que dans les autres romans que j'ai pu lire de l'auteur), notamment vers le début du roman, ou à sa toute fin… Quoi qu’il en soit, je n’échangerai pas une ligne de Sade (entre autres) contre un baril de Murakami.

 

Quant aux personnages, ils sont certes intrigants, mais se révèlent en définitive bien moins fascinants que ce que Ryû Murakami prétend par le biais de Miyashita.

 

Et, surtout, il est pénible de voir à quel point Ryû Murakami se répète... On retrouve en effet dans Ecstasy les mêmes thèmes que dans Bleu presque transparent ou Les Bébés de la consigne automatique, et notamment, bien sûr, la critique de la société japonaise, avec une envie flagrante de choquer le bourgeois. Mais, cette fois, ça ne prend tout simplement pas…

 

Bref, en fait de « plaisir », c’est plutôt raté en ce qui me concerne…

On verra bien ce qu’il en sera de la « lassitude ». J’en suis las d’avance…

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"Le Faiseur d'histoire", de Stephen Fry

Publié le par Nébal

FRY (Stephen), Le Faiseur d’histoire, [Making History], traduit de l'anglais par Patrick Marcel, postface d’Axel O.D., Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, [1996] 2009, 428 p.

 

« Thou shalt not question Stephen Fry. »

 

Ne serait-ce que parce que Stephen Fry sait tout faire. Surtout connu chez nous en tant qu’humoriste (A Bit of Fry & Laurie, Black Adder…) et acteur (je me souviens notamment de sa performance dans Oscar Wilde – le rôle de l’écrivain lui allait comme un gant, faut dire), il est aussi, entre autres, écrivain. Et même, dans le cas du Faiseur d’histoire, écrivain de science-fiction. Ce qui fait beaucoup pour un seul homme. Mais cet homme est le so british Stephen Fry ; autant dire une institution.

 

Le Faiseur d’histoire, à première vue, ne brille pas par l’originalité de sa trame. Jugez plutôt : le narrateur, Michael Young (P’tit Chiot pour les intimes), est un jeune doctorant en histoire à Cambridge, qui vient tout juste de boucler sa thèse, son Meisterwerk, une biographie du jeune Adolf Hitler.

 

Le battement d’aile d’un papillon fou l’amène un beau jour (enfin, « beau »… il se fait quand même incendier par son directeur et larguer par sa copine) à faire la rencontre du professeur Léo Zuckermann, physicien de son état, et accessoirement (ou pas) obsédé par la Shoah.

 

La suite coule de source : les deux hommes vont se mettre en tête de réécrire l’histoire, en débarrassant le XXe siècle de la figure gênante du Führer. Pas en l’assassinant, attention ; mais en l’empêchant de naître.

 

Mais, bien évidemment, l’univers uchronique généré par leurs actes ne satisfera pas vraiment leurs attentes…

 

Rien de bien surprenant à vue de nez. À la limite, on aurait presque envie de dire (et ce dès la jolie couverture, un tantinet putassière, cela dit) : « Encooooooore une uchronie sur les nazis ? Pfff… » Oui, mais voilà, cette uchronie est de Stephen Fry. Et la banalité du pitch n’empêche pas l’auteur de nous livrer un roman fort sympathique, divertissant, et intelligent.

 

Déjà, sans surprise, le roman est porté par un humour tout ce qu’il y a de britannique, tout en understatement et nonsense, et du meilleur effet. On sourit régulièrement, on éclate de rire de temps à autre ; on pense souvent, à la lecture du Faiseur d’histoire, au meilleur de Douglas Adams (j’ai d’ailleurs cru comprendre que Stephen Fry devait écrire une suite au Guide galactique… ?). Le roman est donc drôle, et léger ; un bon divertissement.

 

Mais il n’est pas que cela, et c’est ce qui fait tout l’intérêt de cette énième uchronie. Stephen Fry sait, à l’occasion, se montrer plus grave, et même touchant (si, si), sans faire dans le pathos presse-bouton pour autant, notamment avec les personnages de Léo Zuckermann et de Steve. Il sait également poser les bonnes questions ; sur l’histoire, notamment (la discipline et sa pratique, mais aussi le sujet et sa signification) ; ou encore sur les différences culturelles entre le Royaume-Uni et les Etats-Unis ; sur la guerre et sur la justice, sur le politiquement correct et l’ordre moral, etc. Ce qui fait du Faiseur d’histoire un roman à la fois drôle, juste et intelligent.

 

En outre, Le Faiseur d’histoire est un roman fort bien conçu. Si la trame est convenue, si certains rebondissements (pas tous, cela dit) sont pour le moins téléphonés, le roman est cependant astucieux et réfléchi dans son déroulement, très fluide. Les scènes « d’action » (enfin, on se comprend…) adoptent d’ailleurs souvent une narration cinématographique, déconcertante au premier abord, mais finalement plutôt bien vue. Les dialogues, pour leur part, sont souvent savoureux, et les personnages tout à fait réussis. Et notamment le principal d’entre eux : le narrateur Michael Young. Distrait, maladroit, un tantinet prétentieux, un brin puant même, il est avant tout très humain, et l’on s’identifie à lui sans peine (parole de doctorant, hum…). Un personnage attachant, même dans ses pires accès de ridicule. Mais Léo Zuckermann est également une belle réussite, de même que, à vrai dire, tous les autres personnages du roman, le jeune Adi (largement fantasmé) inclus, dont on suit la vie un chapitre sur deux au début du roman.

 

Enfin, Le Faiseur d’histoire est un bon roman de SF : si l’uchronie ne brille pas par son inventivité, elle est cependant pertinente et maîtrisée, et le roman s’autorise même à l’occasion quelques touches dickiennes (et là, je ne parle pas uniquement du Maître du haut-château, même si c’est le premier titre qui vient en tête…) franchement sympathiques.

Alors, certes, Le Faiseur d’histoire ne révolutionne rien. Il ne brille pas de mille feux, n’a rien d’un chef-d’œuvre ou d’une lecture indispensable. Mais il se lit tout seul, avec un plaisir constant, et, ma foi, c’est déjà pas mal.

PS : Euh, j'allais oublier... Broumf : dans mon exemplaire, les pages 225 à 256 sont manquantes, tandis que les pages 257 à 288 sont présentes deux fois... Alors je ne sais pas si c'est général ou pas [EDIT : a priori, non. Ouf.], mais au cas où, faisez gaffe, les gens... Hum, hum...

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"Chromozone", de Stéphane Beauverger

Publié le par Nébal

BEAUVERGER (Stéphane), Chromozone, Paris, La Volte – Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2005] 2008, 421 p.

 

Après la fort sympathique lecture que fut Le Déchronologue, je m’étais promis de lire davantage de Stéphane Beauverger. Or, davantage de Stéphane Beauverger, à l’heure actuelle, cela veut en gros dire la « trilogie Chromozone », composée de Chromozone, Les Noctivores et La Cité nymphale. Va donc pour ce premier volume, récemment ressorti en poche chez Folio-SF, de même que le deuxième (et le troisième ne devrait pas tarder, j’imagine, à moins qu’il ne soit déjà sorti ?).

 

Chromozone, donc. Un univers passablement glauque, au carrefour du post-apo et du cyberpunk. La Terre a été balayée par un virus informatique (Chromozone, donc...), qui a foutu un sacré bordel, en anéantissant en gros tous les processus de communication informatiques. Les États-nations et autres centres traditionnels du pouvoir, a fortiori dans les pays dits développés, se sont balkanisés et repliés dans un enfer communautariste, basé sur l’appartenance ethnique, la religion ou l’idéologie ; un sacré cauchemar en ce qui me concerne, au-delà, bien sûr, des simplifications médiatiques se cantonnant à la paranoïa ethnocentrique obsédée par « l’envahisseur » supposé menacer « l’identité » ; le vrai problème, à mes yeux, est bien celui du repli sur soi, du retour de bâton national ou local (identitaire, donc…) contre toute velléité cosmopolite ou simplement fédérative. Et étrangement, mais je dis peut-être des bêtises, je n’ai pas l’impression que ce thème ait été si traité que ça en SF (empreinte de « l’État mondial » des origines, et des méga-corporations du cyberpunk ?) ; c’est à n’en pas douter en ce qui me concerne un des gros points forts du roman.

 

Dans ce cadre terriblement pas glop (où, paraît-il, « il n’y a plus de place pour la bêtise », mais on est en droit d’en douter…), nous suivons essentiellement trois personnages dans trois villes.

 

Marseille. Le colosse Teitomo est, étrangement (ou pas) si l’on prend en compte son passé révolutionnaire, un flic. Il gère les choses à sa manière, et c’est pas évident. Surtout à l’heure actuelle, alors que les communautés s’affrontent, ce qui pourrait bouleverser la carte politique locale (tout est envisagé du point de vue local). Et puis il y a Khaleel, l’ancien mentor de Teitomo, devenu à peu de choses près un ordinateur vivant (et un prophète…), dans ce monde où les anciens réseaux informatiques infestés par le Chromozone ont été remplacés par la communication par phéromones…

 

Ouessant. Pardon, Enez Eussa. L’île bretonne est un camp de réfugiés sous la coupe des Keltiks, d’infects nazillons celtillons dirigés par le Tore. Mais le jeune Gemini ne reconnaît pas cette autorité (et il a de très bonnes raisons pour ça…). Avec la bande de la maison-tortue, il entend constituer une alternative ; même si, dans l’immédiat, leur préoccupation essentielle est la simple survie. Quel qu’en soit le prix.

 

Berlin. Justine est un ponte de Karmax (aha), un de ces grands consortiums qui refont surface, grâce au génie de son époux Peter Lerner. Mais d’autres consortiums, et notamment Zentech, sont à l’affût…

 

Évidemment, ces trois trames sont amenées à se rejoindre… plus ou moins bien. J’aurais en effet tendance à dire que le roman ne rattrape pas tous ses boulons, ce qui donne à l’occasion un léger sentiment d’artifice, et qu’il peut laisser un tantinet sur sa faim… Mais ce n’est après tout que le premier tome d’une trilogie, on verra bien si la suite permettra de revenir sur ces défauts.

 

Mais, au-delà de cette critique globale, le fait est que c’est pas mal du tout. On se laisse volontiers prendre par la plume débutante de Stéphane Beauverger (pas exempte de défauts dans ce premier roman, cela dit : il en fait parfois un peu trop, et a un usage déconcertant du point d’exclamation ; mais le style est dans l’ensemble fluide et intéressant), et c’est avec plaisir qu’on tourne les pages de ce Chromozone. Si certains pans de l’intrigue sont largement prévisibles, si le postulat technologique n'est pas spécialement intéressant ou inventif, on adhère pourtant à cet univers finalement plus original qu’il n’y paraît, et à ces personnages plutôt bien campés.

 

Avec ses défauts, Chromozone n’en est pas moins un roman de SF tout à fait recommandable, à la fois prenant et intelligent, et où fond et forme sont également travaillés. Certainement pas un chef-d’œuvre, mais néanmoins quelque chose de fort intéressant. L’émergence d’une « voix », très personnelle. Et c’est à bon droit que l’on pouvait voir en Stéphane Beauverger, à la seule lecture de Chromozone, un auteur « prometteur ».

On verra bientôt ce qu’il en est pour Les Noctivores.

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"Voisins d'ailleurs", de Clifford D. Simak

Publié le par Nébal

SIMAK (Clifford D.), Voisins d’ailleurs, ouvrage proposé et publié sous la direction de Pierre-Paul Durastanti, traduit de l’américain par Pierre Paul Durastanti, P.J. Izabelle, Olivier Girard, Michel Lederer et Gilles Goulet, Saint Mammès, Le Bélial’, [1953-1954, 1956, 1971, 1974, 1980] 2009, 304 p.

 

De ce classique parmi les auteurs de science-fiction qu’est Clifford D. Simak, je n’avais lu jusqu’à présent que son plus célèbre ouvrage, le splendide Demain les chiens. Mais quelle baffe ! Voilà un roman (un astucieux fix-up, plus exactement) pour lequel le qualificatif de chef-d’œuvre n’est certes pas galvaudé. Aussi, la parution de ce recueil de nouvelles aux éditions du Bélial’ ne pouvait que m’interpeller. C’était l’occasion d’en découvrir un peu plus sur cet auteur. Et l’on peut bien remercier Pierre-Paul Durastanti et Olivier Girard, car ils nous ont gâté : neuf nouvelles écrites sur une trentaine d’années, dont quatre inédites, les autres étant présentées le plus souvent dans des traductions révisées pour le moins nécessaires. Une très belle initiative, semble-t-il appelée à être poursuivie. Miam !

 

D’autant que Pierre-Paul Durastanti, outre d’excellentes traductions, a fourni un excellent travail d’anthologiste. Le recueil est d’une cohérence et d’une progression judicieuses. S’y dessine un aperçu singulier de l’œuvre de Simak, passant souvent par des sortes d’utopies rurales caractérisées par la quiétude (certes, on ne fait pas exactement dans le progressiste, ici…), où les extraterrestres, quand il y en a, sont aux antipodes des classiques bug-eyed monsters d’antan, mais sont bien plutôt, comme le dit le joli titre, des « voisins », assez sympathiques en fin de compte. Le tout donne une SF plutôt optimiste, en somme, ce qui, avouons-le, nous fait des vacances.

 

Détaillons un peu la bête. Les trois premières nouvelles correspondent en tous points au schéma défini ci-dessus. Aussi sont-elles assez proches les unes des autres, et en même temps subtilement différentes. « La Maternelle » (pp. 13-64) et « Le Bidule » (pp. 67-77) partagent d’ailleurs, avec plus loin « Le Cylindre dans le bosquet de bouleaux » (pp. 151-180), un même point de départ : la découverte inopinée d’un mystérieux artefact extraterrestre.

 

« La Maternelle » nous décrit ainsi une étrange machine prodigue en cadeaux pour les Terriens qui viennent à sa rencontre, puis se déroule selon une trame qui ne manque pas d’évoquer furieusement Rencontres du troisième type.

 

« Le Bidule », bien plus courte, adopte une structure à chute, et peut quant à elle faire penser à la manière de Theodore Sturgeon, avec sa figure centrale d’enfant maltraité. Mignon… mais pas terrible.

 

« Le Cylindre dans le bosquet de bouleaux », enfin, texte cette fois pas du tout « paysan », introduit de manière astucieuse la thématique du voyage dans le temps, sur laquelle on aura l’occasion de revenir.

 

Mais, auparavant, « Le Voisin » (pp. 79-104), à mon sens la première grande réussite du recueil, est sans doute la meilleure illustration de ce thème de l’utopie rurale. Un petit bijou, politiquement peut-être un brin douteux, mais, soyons francs, on s’en bat allègrement les coucougnettes, alors, bon…

 

Suit « Un Van Gogh de l’ère spatiale » (pp. 107-126), unique incursion du recueil dans le space op’ ; une jolie réussite, là encore, poétique et posant adroitement la question depuis rebattue de la communication entre des espèces résolument différentes.

 

« La Fin des maux » (pp. 129-148), variation un brin paranoïaque sur le thème du don extraterrestre (et donc des trois premières nouvelles), tranche un peu sur le reste du recueil par son ambiguïté. Une nouvelle plus anecdotique, sans doute pas la plus intéressante du volume.

 

On y préférera largement, par exemple, le long inédit qu’est « La Photographie de Marathon » (pp. 183-241). Cette nouvelle sur le voyage dans le temps le prend (son temps, aha), et se disperse peut-être un peu trop, mais réserve de très belles séquences et de beaux personnages. Un autre sommet du recueil.

 

Et un autre suit immédiatement, avec « La Grotte des cerfs qui dansent » (pp. 243-266), superbe nouvelle au canevas improbable (mais c’est pas grave), lauréate des prix Hugo, Nébula, Locus et Analog, rien que ça, ma bonne dame. Le pire étant que ces distinctions sont amplement méritées. Une très belle nouvelle, finalement assez originale, avec un joli travail d’atmosphère.

 

J’avouerais, par contre, avoir été moins convaincu par le dernier texte, « Le Puits siffleur » (pp. 269-301), pourtant brillamment écrit, mais à mon sens un peu trop dispersé. Ça n’en reste pas moins un fort joli récit sur le retour aux sources, étrangement lovecraftien par endroits…

Bref : un recueil tout à fait sympathique, et sans doute salutaire, même, tant ces textes pour bon nombre d’entre eux introuvables auparavant méritent le détour. Je ne suis pas contre une deuxième rasade…

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"Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay", de Michael Chabon

Publié le par Nébal

CHABON (Michael), Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay, [The Amazing Adventures of Kavalier & Clay], traduit de l’américain par Isabelle D. Philippe, Paris, Robert Laffont – 10/18, coll. Domaine étranger, [2000, 2003-2004] 2009, 850 p.

 

On a pas mal parlé de Michael Chabon ces derniers temps, notamment parce que son dernier roman Le Club des policiers yiddish a remporté le prix Hugo. Sans surprise, ledit volume a intégré mon étagère de chevet, catégorie « lectures urgentes » ; mais j’ai pourtant préféré aborder cet auteur par un autre roman (un autre pavé…), qui me faisait de l’œil depuis quelque temps et qui, si je ne m’abuse, m’avait été chaudement recommandé par des milieux hautement autorisés. Va donc pour ces Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay, beau volume qui a par ailleurs remporté le prix Pulitzer 2001 (tout de même).

 

La couverture annonce la couleur. Les Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay se veut un hommage aux comics super-héroïques, et plus particulièrement à ceux de l’Âge d’Or qui a suivi le premier épisode de Superman dans les pages d’Action Comics en 1938. Une période des comics que j’avoue connaître assez mal (euphémisme) : tout juste si j’ai pu glaner quelques éléments ici ou là, dans les pages de Comix Box, ou dans des bandes-dessinées ultérieures jouant également le jeu de l’hommage (ici, je pense notamment à Suprême d’Alan Moore, dont le premier tome s’intitule justement L’Âge d’Or – au passage, j’ai appris récemment que le deuxième tome allait enfin sortir en France, youpi ! –, ou au très beau Marvels illustré par un Alex Ross au sommet de sa forme). Mais peu importe, Michael Chabon se montrant un excellent guide. La méconnaissance de cette époque ne gâche donc rien au plaisir de la lecture, autant le dire tout de suite.

 

Tout commence par une rencontre, celle de deux cousins, Sammy Clay et Joseph Kavalier. Tous deux sont jeunes, à peine sortis de l’adolescence, et juifs. Joseph vient de s’échapper de sa Tchécoslovaquie natale tombant sous le joug des nazis (dans des circonstances épiques qu’on ne rapportera pas ici). Clay est un passionné de comics et déborde d’idées, mais manie assez mal le crayon ; l’immigré Kavalier, par contre, a fait les Beaux-Arts, et se montre un illustrateur très compétent. C’est ainsi que va se former le duo Kavalier & Clay, qui évoque tour à tour bon nombre de fameux duos de l’histoire des comics (pas uniquement de l’Âge d’Or, d’ailleurs : leur cadence de travail m’a beaucoup fait penser, peut-être à tort – ? –, à l’association Stan Lee / Jack Kirby du début des années 1960 – notons au passage que ces deux auteurs, mais ils ne sont pas les seuls, loin de là, apparaissent dans le roman – ; Joseph Kavalier, surtout, au-delà de ses initiales, fait de toute façon énormément penser au King, à qui le roman est plus spécialement dédié).

 

Ensemble, les deux jeunes gens vont créer toute une écurie de ces merveilleuses tapettes en collants, le premier et le plus important d’entre eux étant l’Artiste de l’Évasion, largement inspiré par la figure de Houdini (Kavalier ayant d’ailleurs lui aussi pratiqué l’illusion et l’escapologie). Un valeureux combattant de la liberté, décalque plus ou moins avoué de Superman, mais qui entend bien régler son compte aux nazis oppresseurs des Juifs, à l’instar des premiers héros de Timely Comics (futur Marvel) : la Torche Humaine, Sub-Mariner, puis Captain America. Avant même Pearl Harbor, ce qui n’est pas sans causer quelques problèmes « diplomatiques »…

 

Dès lors, nous suivons la carrière et plus généralement la vie des deux cousins. Leur travail commun – parfois, un épisode de l’Artiste ou de Papillon Lune vient se glisser dans la narration… –, les vicissitudes qui l’accompagnent (ils se font bien entendu escroquer, quand bien même ils engrangent des bénéfices records ; puis, après la guerre, ils seront confrontés à l’ordre moral incarné par le sinistre Dr Wertham et les bûchers de comics…), leur vie amoureuse, leurs amitiés, leurs soucis…

 

Michael Chabon se montre un conteur d’exception, et c’est sans souci aucun qu’il nous emmène tout au long de ce pavé. Il sait dessiner des personnages justes et toujours humains, riches de sentiments contrastés. Sa documentation énorme ne vient jamais parasiter le récit, restant dans le registre de l’érudition enthousiasmante. Sa plume est par ailleurs délicieuse, quand bien même on pourrait lui reprocher un goût immodéré pour les phrases interminables (mais là, je suis mal placé pour lui jeter la pierre…).

 

Le résultat, c’est un excellent roman, un vrai chef-d’œuvre au sens fort, pétri d’humanité, de douceur et de mélancolie. Un roman humain et astucieux, magnifique histoire d’amitié, tour à tour drôle et tragique, faisant se rejoindre avec une maestria sans faille la petite histoire et la grande. Un hommage touchant, enfin, à l’épopée des comics de l’Âge d’Or, riche en figures de légende.

 

Un seul défaut, peut-être : au bout d’un certain temps, cela devient un peu longuet… notamment, à mon sens, dans les passages où l’on s’éloigne le plus de l’illusionisme et des comic books (ceux-ci emportant immédiatement l’adhésion) ; ainsi, par exemple, la cinquième partie du roman, malgré son cadre pour le moins original… Mais je pinaille : même dans ces passages – que l’on ne saurait accuser de gratuité pour autant, tout étant à sa juste place –, l’art de Michael Chabon est tel que l’on se laisse toujours volontiers emporter. Et finalement, de la première à la dernière ligne, on ne peut que confesser s’être régalé à la lecture des Extraordinaires Aventures de Kavalier & Clay.

Une belle réussite, donc, qui laisse augurer du meilleur pour la suite. Me reste à lire Le Club des policiers yiddish, dont j’attends le plus grand bien. Je vous tiens au jus…

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"Le Visage vert", n° 16. "Sorcellerie et littérature allemande"

Publié le par Nébal

Le Visage vert, n° 16. Sorcellerie et littérature allemande, Paris, Zulma, juin 2009, 191 p.

 

Chaque livraison du Visage vert est pour moi le béotien l’occasion de faire de magnifiques découvertes et, autant le dire de suite, cet excellent seizième numéro ne fait pas mentir la règle. J’ajouterai que, cette fois, au vu du sommaire, c’était carrément me prendre par les sentiments... Jugez plutôt : un concours de suicidés, un intrépide détective américain, des fantômes anglais, des renards chinois, et pléthore de sorcières allemandes… Miam.

 

Mais détaillons la bête (comme d’habitude un fort bel objet, abondamment illustré). Précisons d’entrée de jeu, mais je n’y reviendrai pas, que chaque texte ou presque, comme d’habitude, est suivi d’une brève communication sur l’auteur et son œuvre, généralement du plus grand intérêt (une seule exception ici, à mes yeux : le bref article de Jérôme Solal intitulé « Lermina et le supplice chinois des dix mille morceaux », pp. 93-95, qui, sous ce titre alléchant, n’est cependant pas loin de constituer une simple paraphrase de la nouvelle de Jules Lermina « L’Écorché vivant », pp. 89-92 ; dommage…).

 

Réservons le dossier pour la fin, et suivons la revue dans l’ordre. Tout commence très bien avec « Le Concours de suicide » (pp. 13-23), unique fiction écrite par Johannes Ilmari Auerbach : une très belle entrée en matière que cette fable caustique et grinçante, pour ne pas dire kafkaïenne (osons le qualificatif honni !) ; un texte politique très réussi, et la meilleure des introductions.

 

François Ducos, ensuite, poursuit sa « Chronique des ténèbres » sur les détectives de l’occulte dans la littérature populaire. Après le Sâr Dubnotal du précédent numéro, c’est cette fois le détective américain Nick Carter qui s’y colle (pp. 29-40) : un article passionné et passionnant sur l’intrépide détective américain, matérialiste et rationaliste au possible, mais qui, en certaines occasions, s’est bien trouvé confronté au mystérieux et à l’occulte. L’article est complété par un intéressant document, « Comment j’ai écrit un millier d’aventures de Nick Carter » de Frederick Van Rensselaer Dey (pp. 41-50), un texte impressionnant de moralisme à dix sous, mais néanmoins fort instructif sur le travail fourni par les forçats du pulp.

 

On retourne ensuite à quelque chose de plus élégant avec une très belle ghost story, « Le Vent dans le grenier » d’Alfred MacLelland Burrage (pp. 53-61). Un très joli texte, maniant adroitement l’ambiance, et porté par une plume savoureuse.

 

Une séduisante étrangeté ensuite : Pierre Kaser et Solange Cruveillé ont sélectionné quelques extraits du Zi bu yu (Ce dont le Maître ne parle pas), recueil d’anecdotes du poète chinois du XVIIIe siècle Yuan Mei. Les quatre premiers récits (pp. 65-70 ; le troisième étant tiré du Xu Zi bu yu, la suite du Zi bu yu) sont intéressants (et le dernier surprend par son ton grivois), mais j’avoue y avoir préféré, sans surprise, les « huit contes vulpins » qui suivent (pp. 71-82), et qui ne sont pas sans évoquer, chez nous, à mon sens tout du moins, Le Roman de Renart ; or je vous ai déjà assez bassiné sur l’adoration que je voue à cette œuvre phénoménale… Les renardiens s’y retrouveront, à n’en pas douter.

 

Avant d’attaquer le dossier, restent encore deux nouvelles de Jules Lermina. La première, « L’Écorché vivant » (pp. 89-92) se présente comme un amusant canular journalistique. Mais je lui ai largement préféré « Au-delà ! » (pp. 96-101), « histoire incroyable » ironique et très drôle, à la manière de Bouvard et Pécuchet.

 

Débute alors le dossier, concocté par Michel Meurger, et consacré au thème passionnant de la sorcellerie dans la littérature allemande, du XVIIe siècle à nos jours. On commence avec quatre fictions, très différentes les unes des autres. Tout d’abord, un bref extrait des Aventures de Simplicissimus de Hans Jakob Christoffel Von Grimmelshausen, intitulé ici sobrement « Le Bal des soricères » (pp. 105-106). Un beau morceau de littérature baroque, dressant un tableau faisant irrésistiblement penser à Jérôme Bosch, et qui m’a sacrément donné envie de lire cette œuvre imprégnée par les horreurs sans nombre de la guerre de Trente Ans ; faudrait que je mette la main sur une traduction française, tiens…

 

Le texte suivant, « Le Juge des sorcières » de Karl Hans Strobl (pp. 111-115) est cependant à mon sens le plus intéressant du dossier. L’auteur a indéniablement une belle plume, et un sens de l’atmosphère, avec un goût prononcé pour le grotesque.

 

J’avoue avoir moins adhéré au suivant, un peu trop hermétique à mes yeux, « La Pie sorcière » de Hans Watzlik (pp. 121-126). Restent cependant de belles atmosphères lugubres, qui m’ont un tantinet fait penser à la manière de Lovecraft (?).

 

La dernière fiction, enfin, est contemporaine (« La Tentation », de Michael Siefener, pp. 131-137). Un texte assez moyen, mais qui m’a énormément fait penser au film de George A. Romero Season of the Witch.

 

Puis l’on passe au gros du dossier, un volumineux et passionnant article de Michel Meurger intitulé « « Gravissons le Brocken ensemble ». Le thème sorcellaire dans la littérature germanophone de Grimmelshausen à Strobl » (pp. 139-188). L’occasion de bien des développements intéressants sur ce thème, dans une région connue pour avoir été celle où les bûchers de sorcières ont été les plus nombreux, essentiellement aux XVIe et XVIIe siècles. L’occasion également de faire bien des découvertes : je noterai plus particulièrement la figure singulière du pasteur fondamentaliste Wilhelm Meinhold, dont le Sorcellerie et ambre jaune, adroit travail de faussaire, paraît du plus grand intérêt. Une œuvre de plus à intégrer mes calepins fantomatiques de lectures indispensables…

On l’aura compris : ce numéro seize ne déroge pas au principe d’excellence et d’érudition enthousiasmante de cette magnifique revue qu’est Le Visage vert. J’attends déjà avec impatience le prochain numéro (l’an prochain, j’imagine…) ; et d’ici là, je m’en vais tâcher de jeter un œil aux autres parutions du Visage vert, puisque la revue a désormais sa collection…

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Je suis en retard ! épisode 5

Publié le par Nébal


WATTS (Peter), Vision aveugle, [Blindsight], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goulet, Paris, Fleuve Noir, coll. Rendez-vous ailleurs – Science-fiction, [2006] 2009, 343 p.

Un roman hard science accueilli par un concert de louanges, mais, pour une fois, je ne me joindrai pas au chœur. Certes, c’est foisonnant, mais aussi d’un hermétisme et d’un laconisme vite lassants. Aussi, passée la joie de la découverte du pitch plus ou moins improbable et des personnages pour certains hauts en couleur, c’est assez vite l’ennui qui a dominé, en ce qui me concerne (quelques passages exceptés : certes, les bonnes idées ne manquent pas…). Et Vision aveugle est à mon sens loin de soutenir la comparaison avec d’autres romans ayant traité en gros des mêmes thèmes. Dommage… mais je suis clairement passé à côté.

 

 

 

 

STROSS (Charles), Le Bureau des atrocités, [The Atrocity Archive], traduit de l’anglais par Bernard Sigaud, Paris, Robert Laffont – L.G.F., coll. Le Livre de poche Science-fiction, [2001, 2004] 2009, 473 p.

Un astucieux et amusant mélange de SF hard science et cyberpunk, de Lovecraft et de roman d’espionnage. Stross est décidément quelqu’un qui sait manier les codes des genres, les triturant, les malaxant et les retournant pour notre plus grand plaisir. J’avoue cependant ne pas avoir dévoré ce Bureau des atrocités avec autant d’enthousiasme régressif que Crépuscule d’acier, mais cela reste un bon bouquin, un solide divertissement d’une inventivité qui fait plaisir.

 

 

 

 

PALAHNIUK (Chuck), Peste, [Rant. An Oral Biography of Buster Casey], traduit de l’américain par Alain Defossé, Paris, Denoël, coll. & d’ailleurs, [2007] 2008, 438 p.

Un roman efficace et bien conçu, mais qui déçoit néanmoins, tant Palahniuk semble s’y plagier lui-même (tout cela ou presque a déjà été lu dans Fight Club). Et saupoudrer sa propre sauce d’une poignée de Crash! de Ballard n’arrange rien à l’affaire : c’est bien du déjà-lu. Dommage… car il y a malgré tout bien des choses intéressantes dans ce roman (construit sous la forme d’un documentaire, c’est décidément à la mode en ce moment… mais, à tout prendre, j’y ai largement préféré Outrage et rébellion de Catherine Dufour et plus encore, dans un genre un peu différent, World War Z de Max Brooks). Alors merci Bat, hein : je n’ai pas perdu mon temps, j'ai bien aimé, mais l’honnêteté m’impose quand même de faire part d’une déception toute relative…

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