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"Le vieil homme et la guerre", de John Scalzi

Publié le par Nébal

 

SCALZI (John), Le vieil homme et la guerre, traduit de [l’américain] par Bernadette Emerich, Nantes, L’Atalante, coll. La dentelle du cygne – science-fiction, [2005] 2007, 373 p.

 

« J’ai fait deux choses le jour de mes soixante-quinze ans : je suis allé sur la tombe de ma femme, puis je me suis engagé. »

 

‘tain, si c’est pas de l’incipit qui claque, ça (p. 11) ! Le genre d’attaque en force qui me parle, et qui pourrait à la limite pardonner l’Atalante pour le retitrage abusif et ridicule de ce Old Man’s War de John Scalzi, qui n’a décidément rien à voir avec le pensum ichtyophile d’Hemingway, infligé à tous les collégiens depuis, ouf, au moins. Non, on est ici dans de la SF à l’ancienne, passablement typée « âge d’or », dans du gros space op’ qui tache et qui trucide de l’alien à foison.

 

Du space op’ militaire, quoi. Ouep, moi, l’anti-militariste congénital, avec ma haine viscérale pour l’uniforme, la « bravoure » (pfff…), le « sens du devoir » (aha) et l’amour du drapeau (yeurk), moi qui ne me lasserai probablement jamais de l’éternelle devinette de Coluche (« Un militaire qui meurt dans son lit, ça fait quoi ? Un de moins. »), il faut croire que je nage malgré tout en plein dedans, en ce moment (voyez par exemple ma note sur le fort intéressant La paille dans l’œil de Dieu de Larry Niven et Jerry Pournelle). La quatrième de couv’ évoque tout naturellement Starship Troopers de Robert Heinlein et La guerre éternelle de Joe Haldeman (qui a enfin rejoint mon étagère de chevet – sous une couverture parfaitement ignoble, mais là n’est pas la question). Il est vrai que la filiation est claire. Difficile, pour autant, d’enfermer résolument ce roman dans le camp des gentils (anti-militaristes) ou dans celui des méchants (militaristes, donc). Il est bien plus ambigu qu’il n’y paraît au premier abord… Et en fait de filiation avec Starship Troopers, on est en droit de se demander si c’est bien du roman de Robert Heinlein qu’il s’agit… ou du jubilatoire film de Paul Verhoeven, ce qui peut un tantinet changer la donne.

 

Mais commençons par le commencement. Nous sommes quelques siècles dans le futur. La Terre a depuis longtemps développé des systèmes de propulsion interstellaire lui permettant de se lancer dans la colonisation de l’espace, et a rencontré de nombreuses races extraterrestres, certaines amicales, d’autres, heu, beaucoup moins… Mais les colonies sont soumises à une autorité globale qui ne laisse guère filtrer les informations sur Terre : ceux qui partent pour les étoiles se voient de toute façon prohiber tout retour sur le berceau de l’humanité. Pour de complexes raisons géopolitiques plus ou moins développées dans le roman (ainsi que dans sa « suite », Les Brigades fantômes), les colons proviennent tous des pays les plus pauvres de la planète bleue. Quant à ceux qui viennent des pays riches, comme les Etats-Unis, ils ne se voient offrir qu’une seule possibilité : s’engager dans les Forces de défense coloniale. Mais pour cela, il leur faut atteindre l’âge légal… de 75 ans.

 

Une armée de vieillards arthritiques, cancéreux et parkinsoniens pour défendre les colonies humaines contre toute une flopée de fils de putes d’extraterrestres aux yeux (probablement) globuleux ? Mmmh, cela doit cacher quelque chose… A l’évidence, les FDC ont dû développer un procédé de rajeunissement leur permettant de changer les grabataires séniles en machines à tuer… Du coup, les volontaires sont très nombreux : à 75 ans, on a la vie derrière soi, mais on n’est pas forcément désireux de mourir pour autant. Nombreux sont donc ceux qui accepteraient volontiers un peu de rab, quitte, pour cela, à porter l’uniforme des FDC.

 

Parmi eux, John Perry. A l’âge de 65 ans, accompagné de sa femme, il avait rempli le formulaire destiné à faire de lui un futur soldat des colonies. Sa femme, hélas, n’a pas survécu jusque-là… Il n’y a donc vraiment rien qui le retienne sur Terre. De son pas traînant de petit bourgeois en fin de parcours, il se rend donc, le jour de ses 75 ans, au bureau des FDC, et emprunte bientôt l’ascenseur spatial qui le conduit au point de départ des nouvelles recrues. Il y croise toute une horde de vieux débris dans son genre, aux motivations similaires… et fait en même temps qu’eux la découverte du secret des FDC.

 

Il change de corps.

 

Son esprit et sa mémoire intègrent un corps d’environ 25 ans, une sorte de clone élaboré à partir des empreintes génétiques relevées dix ans plus tôt. Mais il n’est plus « tout à fait » humain : son sang, par exemple, a été remplacé par du SangmalinTM, bien plus efficace ; il a dans le crane un AmicerveauTM, une sorte d’ordinateur personnalisé (qu’il baptise « Fumier » ; la plupart des recrues font quelque chose d’équivalent) qui lui permet de rendre sa mémoire plus fonctionnelle et efficace, de naviguer sur le réseau, ou encore de communiquer silencieusement avec les membres de son unité, et même au-delà ; il a aussi des yeux de chat, qui lui permettent de voir dans l’obscurité ; ah, et sa peau est verte, aussi… Mais d’un autre côté, il est plus fort, plus agile et plus beau qu’il ne l’a jamais été.

 

Un vrai bonheur pour ces petits vieux qui reprennent goût à la vie avec ce corps de rêve, et comptent bien le tester à fond, dans toutes les positions, surtout celles que la morale réprouve. On est ici quelque part entre Cocoon de Ron Howard et le Starship Troopers de Verhoeven, avec ces « jeunes » soldats qui sont en même temps, en apparence, tous beaux, tous forts, etc., et, intérieurement, des petits vieux dotés d’une riche expérience, qui croyaient voir le bout du tunnel, et profitent de cette seconde chance pour s’éclater comme des malades.

 

Qu’ils en profitent, oui, parce que ça va bientôt changer : après une semaine de folies lubriques, la vérité tombe comme un couperet. Ils vont servir dans les FDC pendant 10 ans. Et presque tous vont mourir durant cette période. C’est que l’humanité est en guerre permanente avec bon nombre de races rivales, qui ont les mêmes ambitions coloniales. Et les fils de pute d’en face sont d’autant plus dangereux que leur comportement, non humain par définition, est passablement imprévisible… Finie la rigolade : maintenant, il va falloir tuer ou être tué. Si vous survivez à votre engagement, vous pourrez éventuellement devenir colon… ou vous engager à nouveau… Et John Perry d’intégrer bientôt un rude camp de formation (avec un sergent instructeur tout droit sorti de Full Metal Jacket, bien sûr), avant de se lancer à l’assaut des innombrables ennemis que compte l’humanité dans l’ensemble de la galaxie ; autour de lui, les amis qu’il s’était faits juste après son engagement, le gang des « Vieux cons », tombent tous l’un après l’autre…

 

Ca a l’air bien, non ?

 

Mais faut voir.

 

En effet, je suis bien obligé de reconnaître que Le vieil homme et la guerre est un peu décevant. La première partie est vraiment excellente : ces petits vieux, à quelques exceptions près, sont terriblement attachants, les idées abondent, et le ton est remarquable, tout en humour noir et en cynisme. Là, pour le coup, on pense vraiment beaucoup au Starship Troopers de Paul Verhoeven, et c’est tout aussi jubilatoire. Hélas, les promesses de cette réjouissante première partie ne sont pas vraiment tenues par la suite : on était en effet en droit d’attendre davantage qu’un space op’ militaire bourrin après cette brillante introduction ; mais les thématiques très fortes qui avaient été si judicieusement abordées dans un premier temps sont assez largement délaissées par la suite au profit du pur divertissement. Ainsi, la légitimité des guerres coloniales et de tout ce qui va avec est bien questionnée de temps à autre, mais comme ça, en passant, sans y attacher trop d’importance, et sans que l’on puisse y mettre une signification très claire ; certes, on évite ainsi de sombrer dans le pamphlet plus ou moins stérile, mais l’adresse dans le ton déployée par l’auteur dans la première partie laissait augurer quelque chose de plus profond et subtil à cet égard. De même, le « transfert » des petits vieux dans leurs nouveaux corps, et a fortiori dans le cas très particulier des « brigades fantômes » (je n’en dis pas plus ici, j’y reviendrai plus en détail en traitant du deuxième roman), soulevait d’intéressantes questions d’ordre éthique, métaphysique, religieux, juridique même… mais elles ne sont que très rapidement esquissées sans que l’on y revienne véritablement pour autant. Dommage : il y avait là de quoi faire, la question de la définition de l’humain semblait couler de source…

J’ajouterais enfin, mais cela n’engage vraiment que moi, que j’ai trouvé un peu triste que le si sympathique John Perry de la première partie (très attachant, vous dis-je, de même que les autres « vieux cons ») tourne un peu trop arbitrairement au héros invincible et super-balaise (ou, plus exactement, que les implications de ce changement ne soient pas véritablement développées ; parce que là aussi, il y aurait eu de quoi faire…) : je sais que je me répète, mais enfin, voilà, je n’aime pas les héros ; et si l’on doit poursuivre la comparaison, à cet égard, je préfère finalement cent fois le Johnnie Rico de Starship Troopers (version Heinlein, hein…), certes plus creux que John Perry, mais qui avait le bon goût, quant à lui, de se planter régulièrement et d’enchaîner les boulettes…

Bref, pour faire simple : Old Man’s War promettait bien plus qu’un simple divertissement, et Scalzi me semblait parfaitement en mesure de rendre son roman plus profond. Qu'il ne le fasse pas est pour le moins décevant…

 

Mais ne boudons pas notre plaisir pour autant : si Le vieil homme et la guerre n’est « qu’un » divertissement (ça fait méchamment élitiste, non ?), c’est néanmoins un excellent divertissement. Scalzi ne brille pas par la finesse de l’écriture, et le tout fait décidément très « âge d’or » (très Heinlein, d’ailleurs) : peu de descriptions, beaucoup de dialogues, la fluidité est toujours privilégiée. Mais – et ce en dépit d’une traduction passablement médiocre – le fait est que ça se lit très bien, ça se dévore, même, et avec un plaisir constant. Les dialogues sont vifs tout en étant crédibles, les descriptions sobres mais efficaces, les scènes d’action rondement menées et franchement palpitantes (le parachutage en orbite haute est un grand moment, notamment). Y compris après la première partie, Scalzi ne rechigne pas à jouer la carte de l’humour, dans l’ensemble avec beaucoup de réussite, et, dans la dernière partie, celle de l’émotion, de manière très correcte.

Alors je ne vais pas me plaindre : même si je ne peux cacher une certaine déception, j’ai pris beaucoup de plaisir à la lecture d’Old Man’s War ; bien assez, en tout cas, pour enchaîner sur sa « suite » (façon de parler : ce sont des romans indépendants, quand bien même l’univers est le même et l’on croise ici ou là quelques personnages déjà vus dans celui-ci), Les Brigades fantômes, dont je vous causerai sous peu, en attendant un « troisième tome », annoncé pour mai, ai-je cru comprendre.

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"Noir duo", de Sylvie Miller & Philippe Ward

Publié le par Nébal

 

MILLER (Sylvie) & WARD (Philippe), Noir duo, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche, 2007, 289 p.

 

L’autre jour, donc (j’aime bien commencer un articulet avec « donc », personnellement je trouve que c’est la classe), il y avait une fort sympathique séance de dédicace à l’indispensable librairie Album à Toulouse, à l’occasion de la sortie de Crépuscule Vaudou de Jean-Marc Lofficier ; lequel était présent, donc (en même temps vous me le dites, si je suis lourd, hein), accompagné de Guillaume Lebeau, auteur et codirecteur de la collection du Club Van Helsing. L’originalité de la chose, c’était, puisque Jean-Marc Lofficier est également codirecteur de la collection Rivière Blanche, d’en profiter pour faire une séance de dédicace croisée entre les deux collections, en conviant également Randy Lofficier (la madame du monsieur, auteur elle aussi) et Philippe Ward, auteur et codirecteur de Rivière Blanche. Donc.

 

« Rivière Blanche ? C’est bizarre, mais ça me dit quelque chose… »

 

Ben c’est pas étonnant, puisque c’est bien une allusion limpide au Fleuve Noir, et plus particulièrement à la collection Anticipation, dans laquelle se sont illustrés bon nombre d’auteurs de SF français (versant populaire clairement assumé) il y a de cela, ouf, quelques années, tout de même (tenez, lisez par exemple ça, et plus encore les suites). Jusqu’au visuel qui est repris, ma bonne dame. Bon, à la base ce positionnement clairement « SF populaire » n’est pas forcément ce qui me séduit le plus, mais le fait est que la collection a une ligne éditoriale cohérente et clairement affichée, tout en s’autorisant à l’occasion de fort sympathiques audaces (j’y reviendrai) ; et quelques titres m’ont l’air hautement recommandables (je jetterais bien un œil, par exemple, aux romans de Thomas Geha, A comme Alone et Alone contre Alone… en attendant une anthologie hommage à Philip K. Dick sous la direction de Richard Comballot, en principe pour bientôt).

 

Mais reprenons. Bon, pour Guillaume Lebeau, hop, Cold Gotha, et pour Jean-Marc Lofficier, hop, Crépuscule Vaudou. Ca, c’est fait. Mais… et les deux autres ? Je farfouille. Je trouve un roman de SF co-écrit par Jean-Marc et Randy Lofficier chez Rivière Blanche (donc) : je feuillette, je lis la quatrième de couv’… Mmmh, non, à l’évidence, c’est pas pour moi. Zut. Tant pis. Désolé… Et Philippe Ward ? Là, je vois passer une certaine C.M., que je sais bien informée (mais perfide). L’air de rien, hop, je lui demande, vi, b’jour M’âme M., heu, voilà, ben, Philippe Ward, jamais lu, heu, conseil, quoi ? « Ah ben j’ai plus d’exemplaires de ses romans, zut. Ah, mais attends, mon Nébal, il y a ça, là », dit-elle en me tendant (perfidement) un exemplaire de Noir duo, frais sorti du carton. « C’est des nouvelles écrites avec Sylvie Miller, c’est plutôt du fantastique. » Ah oué, tiens. Et… c’est bien ? Le regard pétillant de la (perfide) vendeuse qui a ferré son Nébal : « Ah oui, c’est bien… c’est très très bien, même… C’est même vraiment bien… » Marché conclu. Hop. Et une sympathique dédicace de plus (avé quelques fôte, mais je suppose que c’est à cause de la Marquise ; très bonne, la Marquise ; et costaud, le Bloody Mary… perfide !).

 

Philippe Ward, donc. Un pseudonyme, of course, et qui en dit long : oui, Philippe Ward aime Lovecraft (et il a bien raison), il s’intéresse surtout au fantastique, et il écrit depuis quelques temps déjà. Ce Pyrénéen jusqu’au bout des ongles a rencontré Sylvie Miller (du 9-3) sur le ouèbe. Elle, elle était surtout attirée par la science-fiction ; elle n’écrivait pas encore, mais traduisait, par contre (de l’anglais, et de l’espagnol ; au sein de Rivière Blanche, elle défend ainsi la science-fiction ibérique et latino-américaine, largement méconnue en France, avec ses anthologies semble-t-il très recommandables Dimension Espagne et Dimension Latino). Quand elle a souhaité se mettre à l’écriture, elle a contacté Philippe Ward… et ils se sont retrouvés à écrire « Le mur » à quatre mains. Expérience convaincante, qui a fait des petits, sans empêcher pour autant les deux auteurs de mener une carrière en solo. Noir duo est le premier recueil du couple (strictement littéraire, hein, ho, les potins, ça va comme ça, hein), comprenant donc des nouvelles de Sylvie Miller, des nouvelles de Philippe Ward, et des nouvelles de l’entité indicible et non-euclidienne Miller & Ward (ou Ward & Miller, enfin, comme vous voudrez). La plupart ont déjà été publiées ici ou là, mais il y a aussi quelques inédits dans le tas.

 

Ah, j’oubliais : Philippe Ward est en fait un Dieu Ours pyrénéen, et Sylvie Miller a quinze personnalités.

 

Autant dire qu’on est en droit d’attendre quelque chose d’un peu dingue. On n’est pas déçu… En effet, les deux fiers auteurs, bien conscients qu’une préface, ça ne servait à rien, ont décidé d’en mettre 113, hop, là, comme ça (« Préfaces », pp. 7-69, ah oui, tout d’même), de Jean-Pierre Andrevon à Joëlle Wintrebert, en passant, entre autres, par Ugo Bellagamba (petite merveille que sa réface !), Francis Berthelot, Pierre Bordage, Jean-Daniel Brèque, David Calvo, Fabrice Colin, Alain Damasio, Thomas Day, Catherine Dufour, Jean-Claude Dunyach, Pierre-Paul Durastanti, Claude Ecken, Mélanie Fazi, Olivier Girard, Johan Heliot, Eric Henriet, Eric Holstein, Sylvie Lainé, Serge Lehman, Jean-Marc Ligny, Jean-Marc Lofficier, Patrick Marcel, Xavier Mauméjean, Sylvie Miller (p. 49 : « Ben oui, c’est une auto-dédicace, et alors ? C’est mon recueil, j’fais c’que j’veux ! »), Olivier Noël (en forme), Pierre Pelot et Jérôme Vincent, pour n’en citer que quelques-uns parmi ceux dont au sujet desquels que j’ai déjà pu en causer à propos d’eux sur mon blog miteux, sinon c’est que ça va pas tarder. Ouf. Evidemment, dans le tas, il y a des petits pouèmes ou éloges sans grand intérêt (y compris émanant de gens qui reconnaissent n’avoir jamais lu Miller et Ward, heu…), mais aussi quelques textes qui valent franchement le détour (je vous ai dit que la réface d’Ugo Bellagamba était très bien ? entre autres ?).

 

Tout le monde sait que ce qui suit la réface n’est d’aucun intérêt. Mais bon, parce que c’est vous, je vais en parler quand même (je suis trop bon). En faisant un sacrilège, pour la peine : je vais dissocier Miller et Ward. Si. Chiche. En notant que chaque nouvelle est précédée d’un petit commentaire.

 

Commençons donc par les nouvelles écrites à quatre mains (enfin, deux, voire quatre, pattes griffues et trente mains délicatement féminines). On commence très logiquement avec la toute première, « Le mur » (pp. 71-84). Un récit fantastique à la thématique relativement traditionnelle, à la frontière entre les mondes, mais assez émouvant et juste pour toucher le lecteur. Effectivement, essai transformé, ça valait bien le coup de prolonger l’expérience. « Le survivant » (pp. 99-112) poursuit dans le fantastique classique et intimiste, en se concentrant sur la malédiction (ou bien… ?) d’un vieux guitaristes de blues. Ca marche très bien, sans être exceptionnel. On change radicalement d’atmosphère avec « Un futur inimitable » (pp. 137-157), expérience potache de SF fromagère, dans l’ensemble très drôle dans son pompage éhonté de références hollywoodiennes, mais hélas un peu lourdingue, voire beauf, par moments : bon, un délire potache, quoi… Retour à quelque chose de plus sérieux, et de bien autrement réussi à mon goût, avec « Mau » (pp. 186-217), excellente nouvelle cairote à base de chats sacrés au service de Bastet, d’enfer personnel et de seconde chance à saisir ; l’atmosphère assez lovecraftienne (on pense inévitablement – et c’est voulu – aux « Chats d’Ulthar ») autorise quelques scènes d’horreur très réussies, mais le texte est également porté par une dimension plus typique de la fantasy urbaine et une justesse de ton qui en font une des grandes réussites du recueil. Et puis zob, j’aime les chats, moi (ces sales boules de poils arrogantes, sadiques et fainéantes sont les vrais maîtres de la Terre). « After Midnight » (pp. 228-239), nouvelle apocalyptique sur la dead line, m’a paru hélas bien moins convaincante… Je préfère donc passer directement à « Pas de pitié pour les pachas » (pp. 243-275), où l’on retrouve le cadre égyptien (qui réussit décidément aux auteurs !) pour une uchronie policière déjantée et hilarante où les dieux font rien qu’à faire suer les pauvres humains qui ne leur ont rien demandé, et notamment notre héros, superbe spécimen de loser à chapeau mou qui boit pour oublier que la vie est une salope ; pas parfait (l’univers n’est pas toujours cohérent), mais très drôle, très efficace, et donc très bon. On conclura enfin avec la « Post-Face » (pp. 279-289), écrite par « M’âme Miller et ses quinze avatars, revue et corrigée par Artahe, l’ours pyrénéen », présentation du duo façon générique de série TV ; c’est potache à nouveau, mais mignon, aussi, alors ça va.

 

Et maintenant, on coupe. Squik.

 

Honneur aux dames. De Sylvie Miller toute seule comme une grande, nous avons tout d’abord « Un choix réfléchi » (pp. 85-93). Nouvelle très classique dans le fond – surtout après « Le mur », on sent comme qui dirait une obsession… –, mais remarquablement maîtrisée, saisissante et émouvante (m’a beaucoup parlé, moué…), titulaire d’un très mérité Prix Masterton 2002 de la meilleure nouvelle fantastique francophone. Ca commence fort, donc. Ca se poursuit un peu inégalement, de manière finalement inévitable. Ainsi avec « L’ombre » (pp. 113-123), nouvelle de SF contant le tragique sort d’une expédition terrienne sur Mars ; c’est très triste, très dur, mais surtout très personnel… et un peu déjà lu, en même temps (‘fin, je trouve). « Ventres d’airain » (pp. 164-174) est bien plus réussie à mon goût ; cette nouvelle tirée de l’anthologie (Pro)Créations est très triste et cruelle, très efficace du coup – peu importe, dès lors, qu’elle ne soit pas très vraisemblable : elle fait son petit effet… Ensuite, « Tout s’achète et tout se vend » (pp. 225-227)… et tout est dans le titre ; un cri de colère très légitime et parfaitement compréhensible, mais, il faut bien le reconnaître, sans grand intérêt… Il en va de même pour « Lettre d’un futur amer » (pp. 240-242), short story destinée à l’origine, semble-t-il, à une anthologie qui avait été proposée par l’Oxymore en réaction à l’arrivée du sinistre Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle le 21 avril 2002 : un pré-Appel d’air en pire, en quelque sorte ; à nouveau trèèèèèèèèès triste et légitime, mais d’un intérêt littéraire pour le moins limité. Bref, deux très bonnes nouvelles, une correcte, et deux short stories relativement dispensables. Et le tout est tout de même trèèèès trèèèès noir.

 

Passons à Philippe Ward, qui joue dans un registre un tantinet différent, quoique. On commence avec « Martha » (pp. 94-97), vilaine blague éminemment lovecraftienne ; c’est amusant, mais ça ne casse pas trois tentacules à un Grand Ancien. « Les chemins de l’esprit » (pp. 124-136), courte nouvelle au fantastique très diffus et subtil, est bien plus intéressante : le pèlerinage de cet ancien repris de justice sur les chemins de Saint-Jacques-de-Compostelle autorise de très belles pages, cruellement émouvantes : un des sommets du recueil. « Les vignes du Seigneur » (pp. 158-163), à l’instar de « Martha », tient un peu de la vilaine blague à chute hautement prévisible, mais avec davantage d’intérêt ; Ward y communique ô combien efficacement son bien compréhensible amour du Sauternes, tout en s’amusant bien, de même que le lecteur. « Le fils de l’eau » (pp. 175-185) m’a par contre laissé un peu perplexe : très beau cadre pyrénéen et beau portrait tout en introspection, de même que dans « Les chemins de l’esprit », mais là ou cette dernière m’a immédiatement touché, les thématiques abordées ici – tradition, filiation – m’ont plutôt laissé de marbre… à moins qu'elles n'aient suscité chez moi un certain recul pavlovien. Bon… Avis très personnel, donc. « Prorata temporis » (pp. 219-224) est assez convaincante, sans être exceptionnelle ; là encore, le lecteur connaît la chute dès les premières lignes ; mais Philippe Ward se montre à mon sens plus subtil que sa consœur dans l’expression de ses frustrations, et cela fonctionne finalement plutôt bien. Bref, tout ça se lit très bien.

Que ce soit en solo ou en tandem, Philippe Ward et Sylvie Miller nous livrent donc tout au long de Noir duo bien des textes intéressants, et le tout est finalement assez cohérent quand bien même très varié. Des nouvelles de fantastique francophone ? Allons bon ! Ben oui. Et c’était pas mal du tout, ma foi. M’en vais suivre la carrière des deux zoziaux avec un peu plus d’attention, désormais…

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"La Nuit du Minotaure", de Paul Halter

Publié le par Nébal

 

HALTER (Paul), La Nuit du Minotaure, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2008, 190 p.

 

Club Van Helsing, saison 2, épisode 2 (enfin, je crois...). Après un Crépuscule Vaudou de Jean-Marc Lofficier très honnête, changement complet d’atmosphère avec cette Nuit du Minotaure, qui ne gagnera certainement pas le prix du titre le plus inventif de l’année. La Louisiane dévastée par Katrina cède la place à l’Alsace pittoresque façon Hansi, et Hugo Van Helsing, archétype du chasseur de monstres, à un bien plus banal Roland Bayard, amateur de Picon bière et de bouchées à la reine, privé parigot dans la droite lignée de Nestor Burma. Du coup, loin des bisseries fantastiques plus ou moins sympathiques et des bourrinades effrénées plus ou moins éhontées auxquelles on avait eu droit jusqu’alors, le prolifique auteur de polars Paul Halter nous livre cette fois un CVH façon Agatha Christie, whodunit à énigme entièrement dénué de fusillades et autres acrobaties ninjesques. Ce qui surprend, tout d’abord, mais n’est pas sans conférer à cette Nuit du Minotaure un certain charme suranné…

 

On passera vite sur le prologue crétois (qui en dit trop, ou pas assez, c’est selon), pour aborder directement le vif du sujet. Comme l’annonce si judicieusement la quatrième de couv’, « la France a peur ». D’étranges meurtres bien craspecs se sont en effet succédés en peu de temps dans les petits villages de Wingen-sur-Moder, Froeschwiller, Betschdorf, Niederbronn et Neubourg (ach, l’Elssas…). C’est le moment où le héros déclare avec un jingle : « Je crois que nous avons affaire à un serial killer. » (TAN !) Nos braves gendarmes n’osent pas encore, ceci dit. Hugo Van Helsing, quant à lui, rajoute un détail qui change tout : nous n’avons pas affaire à un criminel normal, mais à un monstre. Un VRAI monstre.

Un tueur sauvage et insaisissable, dont on craint même, à en croire le témoignage certes suspect d’un ivrogne, qu’il ne dispose de la faculté de se rendre invisible. Un tueur qui obéit à un rituel précis, frappant tous les neuf jours. Une localisation des victimes dont on comprend bien vite qu’elle ne laisse rien au hasard. Et puis il y a les blessures infligées aux victimes, qui n’évoquent aucune arme habituelle, mais font davantage penser aux cornes d’un immense taureau… Hugo Van Helsing pense bien vite au Minotaure, et charge son chasseur franchouillard on ne peut plus typique Roland Bayard d’enquêter sur la chose. Il va lui falloir faire preuve d’astuce, et de célérité : tous les neuf jours, il y a une nouvelle victime… et les meurtres semblent chaque fois plus sauvages.

 

Heureusement pour lui, Roland Bayard n’est pas tout seul. Outre ses inévitables contacts dans la police (bien pratiques, ma foi ; ah, le bon vieux temps du service militaire…), il peut compter sur l’aide, notamment, de Stéphane Baudouin, démonologue et criminologue (démarquage pour le moins limpide de Stéphane Bourgoin, le célèbre spécialiste des tueurs en série et du racolage actif), de la (nécessairement) belle Brigitte Maurer, qui avait participé à la randonnée crétoise qui a mal tourné dans le prologue, et même d’Etienne, le fiancé bourrin d’une des victimes, qui, il l’a juré, compte bien faire la peau du salopard grand responsable de tout ça. En chasse ! Il faut rassembler témoignages et pièces à conviction, dresser des cartes, réviser ses classiques mythologiques, jouer aux échecs et déchiffrer du linéaire B (tranquiiiiiiiiiiiille !). Et plus vite que ça, parce que le tueur voit rouge.

 

On est donc bien aux antipodes du sinistre Léviatown, ce qui est nécessairement une bonne chose. Mais quant à parler d’une réussite dans la gamme du CVH pour cette Nuit du Minotaure, ben, faut voir…

 

Commençons par le positif. Déjà, si l’on ne peut pas dire de Paul Halter qu’il écrit « bien », son roman reste quand même éminemment lisible, à la différence de l’étron sus-nommé, et, j’en ai bien peur, du suivant dans la série… Ensuite, et sans surprise, le cadre alsacien est bien maîtrisé par l’auteur natif de Hagueneau, qui nous en livre une peinture très correcte et crédible, quand bien même un tantinet « touristique » à l’occasion, étrangement... Il y a néanmoins un indéniable souci de réalisme et de documentation dans La Nuit du Minotaure : plutôt que de se risquer à l’écriture d’un récit fantastique (quand bien même certaines scènes horrifiques, sans êtres ni originales, ni fascinantes, restent très correctes), Paul Halter a bien rédigé son roman à sa façon, et avec astuce ; le fantastique à proprement parler, d’ailleurs, ne survient qu’assez tardivement : La Nuit du Minotaure repose surtout sur un fonds mythologique et historique assez bien maîtrisé, s’autorisant certes quelques licences poétiques, mais avec un souci de crédibilité qui rend le tout efficace et convaincant. Enfin, la résolution de l’énigme est assez prenante, fourmillant d’astuces et de petits jeux logiques pour le plus grand plaisir du lecteur. Certes, cela peut donner l’impression d’un Cluedo à l’échelle de l’Alsace, mais pourquoi pas, après tout ? Jusqu’ici, tout va bien.

 

Hélas, La Nuit du Minotaure n’est pas sans défauts. On commencera par noter, sans surprise, qu’il souffre du défaut si fréquent dans les whodunits : si l’énigme est saisissante et l’enquête prenante, sa résolution s’avère finalement décevante… D’autant que le lecteur tatillon peut se plaindre à l’occasion de quelques procédés employés par l’auteur : les fragments de linéaire B décryptés au fur et à mesure et pile au bon moment, c’est « un peu » gros… Et la démonstration, au final, si elle est assez convaincante dans l’ensemble, me paraît néanmoins très contestable sur deux ou trois points, ce qui est plus ennuyeux… Dans la série des gimmicks disgracieux, on remarquera au passage que l’assistance procurée à Roland Bayard par tout une kyrielle de seconds rôles d’une triste fadeur, non seulement n’est guère crédible étant donné le caractère tout de même très particulier de l’enquête… et a fortiori de la proie, mais donne aussi un peu l’impression, surtout pour ce qui est de Brigitte et d’Etienne, d’une enquête « ludique » et un peu gamine, façon Club des Cinq… Au passage, l’inévitable love story entre Brigitte et Roland, quand bien même discrète, est pour le moins surfaite. Dommage, enfin, que tout cela manque d'humour...

 

Au final, La Nuit du Minotaure est ainsi un roman relativement distrayant, et on ne s’ennuie pas à le lire, mais il donne un peu la désagréable impression d’un bouquin rédigé « professionnellement », une commande livrée en mode automatique, et dont l’astuce indéniable dans l’énigme est hélas sabordée en définitive par quelques poncifs du genre dont on aurait gagné à être débarrassés, et quelques raccourcis narratifs qui sentent le petit joueur… Dommage. Ca se lit bien, on ne s’ennuie pas vraiment, mais ça s’oublie presque aussitôt lu. Alors disons, mouais, bof.

Médiocre plus, quoi. Dans quelques jours, avec Saigneur des loups de Pierre Grimbert, je vous causerai de ce qui s’annonce d’ores et déjà au mieux comme un médiocre moins…

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"L'oiseau impossible", de Patrick O'Leary

Publié le par Nébal

 

O’LEARY (Patrick), L’oiseau impossible, traduit de [l’américain] par Nathalie Mège, Paris, Calmann-Lévy, coll. Interstices, [2002] 2007, 367 p.

 

« Dites-moi, mon bon Nébal… »

 

… Oui ?

 

« J’ai pu constater, ainsi que, j’imagine, la plupart des bons chrétiens qui daignent fort charitablement jeter un œil tout de commisération à vos articulets ineptes afin de se tenir informés de votre irrémédiable descente aux enfers bibliophages et antisociaux tendance autistique, j’ai pu constater, donc, n’est-ce pas, que, ces derniers temps, n’est-ce pas, vous aviez tendance à délaisser les lettres relativement « acceptables » (certes, nous connaissons votre goût immodéré pour la science-fiction et les autres sous-littératures du même acabit scrofuleux, n’est-ce pas), donc, n’est-ce pas, que vous aviez tendance à les délaisser, disais-je, n’est-ce pas, au profit de la plus insipide et de la plus stérile des « littératures », ah ah ah, populacières. N’est-ce pas. »

 

… Euh, ouais, je sais pas.

 

« Si si. Ne le niez pas. »

 

… Euh, ouais, mais bon, hein, alors d’abord, je fais QUE C’QUE J’VEUX, hein, et pis, c’est votre faute, aussi, parce que après, sinon, ben vous faites rien qu’à dire que je suis trop enthousiaste et patati, et que je fais dans l’incitation à la consommation et patata.

 

« Il est vrai. Mais, de deux maux, n’est-ce pas, choisissons le moindre, n’est-ce pas ? Mmmh ? Soyons sérieux, mon petit Nébal : Léviatown ? Eden Norifumi ? Non, vous vous devez, et vous devez à vos bien charitables lecteurs, de revenir à quelque chose de plus sain. Disons, par exemple, et ce serait qui plus est l’occasion de vous tirer petit à petit de la décadence science-fictionnelle, n’est-ce pas, que vous pourriez, n’est-ce pas, nous entretenir de ces livres très « tendance », n’est-ce pas, qui n’ont qu’un habillage de science-fiction ou de fantasy, n’est-ce pas, alors qu’il s’agit en fait de vrais livres, n’est-ce pas. Comme La route, voilà, ou Abattoir 5, si vous y tenez. N’est-ce pas. »

 

… Le genre de choses qu’on trouve dans la ben chouette collection « Interstices » chez Calmann-Lévy ?

 

«  Par exemple. Il faut un début à tout, n’est-ce pas… »

 

Bon d’accord. Ben, puisque c’est ça, je vais vous parler de L’oiseau impossible de Patrick O’Leary.

 

Qui est très clairement un bouquin de science-fiction.

 

Et je vous emmerde.

 

« Oh ! Que de grossièreté ! »

 

Ouais, mais n’empêche que. Bon, foutez-moi la paix, maintenant. Avec vos conneries, j’ai déjà bouffé une page et demie de mon compte rendu miteux.

 

N’est-ce pas.

 

Tout commence en 1962 avec deux gamins, deux frères, allongés dans un champ, qui viennent de voir Le jour où la Terre s’arrêta (ou quelque chose qui y ressemble sacrément). Ils voient un… truc bizarre dans le ciel.

 

Nous retrouvons les deux frangins en l’an 2000. Daniel Glynn, le cadet, est un individu rangé, professeur de lettres à l’Université. Il y a peu encore, il menait une petite vie tranquille et banale, avec sa petite famille. Mais sa femme Julie vient de décéder, et Daniel ne s’en remet pas, pas plus que son charmant fiston Sean. Daniel a pris un congé ; il ne se sent plus vraiment de travailler, il traîne chez lui.

 

Michael Glynn, l’aîné, a suivi une voie bien différente de son cadet. Rebelle, impulsif, ce talentueux réalisateur de pubs refuse instinctivement de s’enfermer dans un cadre, quel qu’il soit. Il vit dans des hôtels, trempe sa nouille à droite à gauche, et s’en satisfait pleinement. Encore que, de temps à autre, il ne puisse s’empêcher de songer avec nostalgie à la seule femme qu’il ait jamais vraiment aimée…

 

Les deux frères se sont largement perdus de vue. Ils se voient bien de temps en temps, mais pour le principe, sans y attacher véritablement d’importance… Mais un beau jour (si si), les frangins Glynn, chacun de leur côté, sont abordés par d’intrigants men in black. Qui leur tiennent en substance ce discours : « Retrouve ton frère ou crève. » Ah. Mais pourquoi donc ?

 

A s’en tenir là, on en resterait à deux dimensions de L’oiseau impossible : émouvant roman « intimiste » se concentrant avant tout sur les sentiments des deux frangins et leurs relations, et palpitant (très palpitant, même) thriller riche en rebondissements et en personnages hauts en couleurs.

 

Mais il faut y rajouter une troisième dimension. En effet, nous pouvons lire (p. 20) : « On ne pouvait pas reprocher à Daniel Glynn d’être mort sans le savoir. C’était une première dans son existence. Et pour les affaires de ce genre, il était toujours le dernier informé. » A peine un peu plus loin (p. 27) : « Michael ne songea pas une seconde qu’il pouvait être mort. Il ne l’avait jamais été jusque-là. » Ce qui change pas mal de choses. Certes, l’allusion est discrète, et le lecteur un peu distrait pourrait s’empresser de l’oublier jusqu’à ce que, bien vite (d’où je ne considère franchement pas ça comme un spoiler, comme on dit), la « réalité » lui saute plus franchement à la gueule pour ne plus le lâcher. Oui, Daniel et Michael Glynn sont morts. Mais ils bougent encore.

 

Devant ce point de départ, le lecteur un chouia culturé dans sa tête, et qui a donc lu ce qui se fait de mieux dans la littérature contemporaine, pensera instantanément au génial Ubik du divin Philip K. Dick. Mais au fil du récit, il pensera aussi et surtout, de même que le lecteur moins culturé dans sa tête, à Matrix. Car les allusions sont nombreuses : même réalité virtuelle inquiétante et difficilement concevable, des men in black qui font instinctivement penser à l’agent Smith, des rebelles tendant vers le terrorisme, plein d’action, avec même quelques explosions, des rebondissements à la pelle, des démiurges qui restent cachés dans l’ombre de leurs mesquins intermédiaires « humains », une résurgence incongrue (mais finalement plutôt bienvenue) de l’agaçant thème de « l’élu » qui vient bien trop souvent parasiter les blockbusters hollywoodiens, etc. Mais, à la différence de Matrix (ouf), qui se contentait de poser cet intéressant cadre pour ensuite tourner au film d’action bourrin ultra-référencé mais néanmoins relativement sympathique (je parle du premier, hein…), L’oiseau impossible, tout en ne rechignant pas le cas échéant à l’action et aux twists infernaux (avec beaucoup d’humour, ce qui ne gâche rien), se concentre avant tout sur ses personnages, avec leurs états d’âme, leurs frustrations, leurs névroses, leurs doutes. Et avec un grand talent tant dans la construction que dans le style, qui fait de L’oiseau impossible un roman à la fois prenant et intelligent, souvent drôle et très émouvant.

 

Daniel et Michael errent en effet dans un monde absurde, un monde parfait, et donc un monde impossible. Les ET dont on comprend bien vite qu’ils sont derrière tout ça (et qui n’ont probablement pas grand chose à voir avec le « petit gris » de la chouette couverture de Néjib Belhadj Kacem, néanmoins très appropriée du fait des nombreuses – mais pas lourdes – références à la culture populaire et de l’atmosphère de « théorie du complot » qui imprègne une bonne partie du roman), en voulant construire un monde idéal niant la mort dans les cervelles de colibris (idée étrange, absurde, et fabuleuse !), ont élaboré bien inconsciemment un Enfer ne résolvant en rien les véritables soucis des deux frères. Leur recherche mutuelle tourne bien vite à une salutaire anamnèse, pour ne pas dire psychothérapie, surtout après la première phase du roman, hystérique et inventive ; mais l'auteur finit par délaisser l’action et les rebondissements improbables (et souvent jubilatoires) pour laisser bien des questions ouvertes, et se concentrer véritablement sur ce qui compte : l’humain. L’Enfer devient alors Purgatoire, et, tout au bout du tunnel, apparaît une inévitable lumière blanche : la délivrance des frères Glynn, devant nécessairement passer par la rencontre, l’échange, le pardon… et la mort.

 

On ne sait trop que penser, pendant un certain temps, de L’oiseau impossible. On est certes séduit par la vivacité du récit, l’humour de l’auteur, la sincérité et l’émotion qui émanent de sa plume, tout en craignant, au fil des twists, que tout cela ne tourne un peu à vide. Beaucoup de bruit pour rien ? A en rester à l’hystérie du thriller originel, probablement. Très vite, ce déferlement d’action, sans lasser pour autant, apparaît effectivement bien illusoire et vain. Mais l’authenticité et la puissance émotive des dernières pages n’en ressortent que davantage. On n’en apprendra guère sur les ET, sur les colibris, sur le « comment », et peu importe. On en apprendra davantage sur le « pourquoi », et surtout sur les frères Glynn. Sur ce qui compte, en somme.

 

Et si l’on peut à l’occasion rester sceptique sur quelques procédés employés par l’auteur, si l’on peut même être parfois un tantinet agacé par la tonalité générale du roman et ses implications (optimiste ? pessimiste ? honnêtement, je n’en sais rien… tout dépend sans doute de l’humeur du lecteur et de son ressenti personnel), il n’en reste pas moins que L’oiseau impossible est au final un roman bien construit, astucieux et fort, d’une lecture agréable, et riche en scènes bouleversantes (superbe fin, notamment, qu’on adhère ou non au propos ; le roman ne pouvait de toute façon s’achever autrement). Alors, je me répète, mais enfoncez-vous ça dans le crâne : L’oiseau impossible est bien un roman à la fois prenant et intelligent, souvent drôle et très émouvant. Pas un chef-d’œuvre, sans doute, mais un très bon roman, à l’évidence.

Bref, lisez L’oiseau impossible. Et plus généralement, « Interstices », c’est bon, mangez-en, je n’ai jamais été déçu jusque-là par cette décidément excellente collection.

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"Crépuscule Vaudou", de Jean-Marc Lofficier

Publié le par Nébal

 

LOFFICIER (Jean-Marc), Crépuscule Vaudou, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2008, 187 p.

 

Où l’on attaque la deuxième saison du CVH, avec ce premier titre dû à la plume de Jean-Marc Lofficier (à moins que le premier ne soit La Nuit du Minotaure de Paul Halter ? Pfff, je m’y paume… Pas grave, de toute façon, j’avions déjà lu les deux, en attendant Saigneur des loups de Pierre Grimbert). Acheté lors de la sympathique séance de dédicace déjà évoquée à l’occasion de mon compte rendu de Cold Gotha, Crépuscule Vaudou s’annonçait en ce qui me concerne sous les meilleurs auspices : auteur qui affiche clairement son goût pour la « littérature populaire », SF, fantastique ou polar, ainsi au sein de la collection Rivière blanche qu’il dirige chez Black Coat Press avec Philippe Ward, le souriant Jean-Marc Lofficier est aussi scénariste de bandes-dessinées, comics inclus (chez Marvel et DC, tant qu’à faire) ; son CVH adopte un chouette cadre louisianais très détaillé (décidément…), avec des vrais morceaux de vaudou dedans (donc), et de zombies tant qu’à faire.

 

Or, qu’on se le dise, Nébal aime les zombies.

 

Qu’on se le dise.

 

Août 2005. Tout commence dans la joie et les hurlements, avec des bouts de tripes qui volent, quand un jeune crétin de la Nouvelle-Orléans pète les plombs pour avoir trop joué aux jeux-vidéos (‘fin… y paraît…) et se met à tirer sur tout ce qui bouge en braillant les yeux exorbités : « Longue vie au Seigneur Zaryan ! » Bilan : 14 victimes (et un lecteur qui ricane bêtement et agréablement). Un des cadavres nous intéresse plus particulièrement : celui d’Ohisver van Helsing, l’oncle de Hugo, et dernier représentant de la branche américaine des van Helsing.

 

Hugo se rend donc à la Nouvelle-Orléans, accompagné de son avocat hippie Zigor Side (plus proche ici de la version qu’en avait donné Xavier Mauméjean dans Freakshow!, et donc bien autrement sympathique et attachant que ses illustrations par Guillaume Lebeau et l'ignoble Philip Le Roy), pour régler quelques petits problèmes de succession. Un certain M. Legendre prétend en effet s’être associé avec le défunt pour une vague histoire de concession minière en Haïti, et bénéficier d’une hypothèque sur Saint-Amadou, LA maison des van Helsing. Celle où Hugo avait passé son enfance, avant de quitter son oncle en mauvais termes, le patriarche craignant que le dernier rejeton du clan ne lui fasse pas honneur, tant il semblait trouver plus d’intérêts aux albums de Judas Priest qu’à la chasse aux monstres… Bien évidemment, les deux hommes n’ont pas eu le temps de se réconcilier.

 

Quoi qu’il en soit, Hugo n’entend pas lâcher aussi facilement Saint-Amadou. Il se méfie de cet étrange M. Legendre… et il a bien raison. L’Haïtien est un dangereux sorcier vaudou, désireux de s’approprier une précieuse relique conservée dans la vieille bâtisse, et à même d’en faire littéralement un Dieu ! Hugo van Helsing et Zigor Side, aidés notamment par le fidèle Zaka et la célèbre et inquiétante Marie Laveau, la plus fameuse des prêtresses vaudoues, comptent bien s’opposer de toutes leurs forces aux sinistres ambitions de Legendre… lequel, en attendant de mettre la main sur la relique du Baron Samedi conservée à Saint-Amadou, dispose déjà de quoi exercer un terrible chantage : l’ouragan Katrina est sur le point de frapper la Louisiane, et ce n’est certainement pas une coïncidence…

 

Une fois n’est pas coutume, on va commencer par les défauts. En notant tout d’abord, oui, certes, évidemment, bien sûr, aucun doute là-dessus, que Crépuscule vaudou n’a pas pour ambition de faire dans la « grande littérature » ou « d’élever » son lecteur : c’est un roman qui ne vise qu’au pur divertissement, oui, certes, évidemment, bien sûr, aucun doute là-dessus ; et ce n’est certainement pas un défaut. De même pour ce qui est du style : Jean-Marc Lofficier ne brille certainement pas par la finesse de l’écriture, mais ne pique pas non plus les yeux, contrairement au consternant Le Roy

Ceci étant, Crépuscule Vaudou n’est pas sans maladresses à l’occasion : étrange idée, déjà (mais ce n’est qu’un détail), de présenter la majeure partie des chapitres comme étant tirés du journal de Hugo van Helsing ; pour tout dire, c’est pas franchement crédible… Il en va de même, et c’est plus gênant, de certains rebondissements clairement saugrenus (ainsi de la conversation ralliant le jeune Jonathan Hamilton au camp des van Helsing…). Pour continuer dans les twists, si certains sont très réussis (Zigor…), d’autres sont un brin téléphonés (Zaka…). J’ajouterais également que, sur le plan formel, l’abandon de la première personne (du « journal ») vers la fin du roman m’a semblé un peu maladroit… d’autant que cette brève scène joue la carte de la théorie du complot avec Katrina. Certes, dans l’optique du CVH, c’est parfaitement acceptable ; mais – et sans doute les maladresses commises par Guillaume Lebeau et a fortiori l'épouvantable Philip Le Roy à propos du 11-Septembre n’y sont-elles pas pour rien – on n’en retire pas moins un certain arrière-goût désagréable, d’autant que, pour dire les choses comme elles sont, c’était franchement dispensable… Dernière remarque, mais qui n’engage que moi : j’ai un peu regretté le côté très « sage » de Crépuscule Vaudou, avec son langage très chaste – ce qui m'a surpris, après Léviatown, mais ça fait des vacances, en même temps… – et sa violence finalement plutôt contenue, là où j’aurais bien aimé davantage de gore… Bon, je pinaille, là.

 

Et la plupart de ces critiques ne portent que sur des points de détail. Crépuscule Vaudou est bien à mon sens un divertissement très correct, un CVH efficace dont j’ai retiré un indéniable plaisir de lecture, et c’est bien suffisant. Plusieurs éléments plaident en effet en faveur du roman de Jean-Marc Lofficier. Tout d’abord – et c’est vraiment le point qu’il me semble indispensable de mettre en avant –, le cadre est excellent : les détails pittoresques abondent, concernant tant la Louisiane en général que la Nouvelle-Orléans en particulier, mais avec un sens de la mesure qui évite le trop-plein façon « guide touristique » (malgré les parfois très dispensables notes de bas de page qui me semblent décidément un peu trop fréquentes dans la série...) pour ne pas noyer le récit ; le fait est que l’on s’y croirait… Il en va de même pour ce qui est du vaudou, qui n’est pas ici un simple vocable passe-partout servant de prétexte à l’histoire – à la différence des néanmoins réjouissants nanars zombifiques italiens… –, mais correspond à une réalité solide et bien documentée. Enfin, Jean-Marc Lofficier parvient à insérer son récit dans la méta-histoire du CVH avec une certaine astuce (on est bien loin de l’immondice de Léviatown…).

 

Dans la même lignée, on notera que les personnages sont très réussis, malgré leur côté archétypal un peu forcé : on en apprend cette fois vraiment pas mal sur Hugo van Helsing, dont on pouvait regretter la franche platitude dans les opus précédents, y compris ceux qui le mettaient au premier plan (Cold Gotha et Freakshow! ; une fois de plus, la seule véritable réussite de la première saison le concernant était à mon sens Délires d’Orphée de Catherine Dufour), même s'il est peut-être un peu trop sentimental pour le coup... Zigor Side, comme déjà noté précédemment, est fort sympathique, ma foi ; Marie Laveau, quant à elle, est très charismatique, et passablement inquiétante ; quant à Legendre, il fait un adversaire très correct, tantôt séduisant comme un bon « méchant » hitchcockien, tantôt effrayant dans sa mégalomanie délirante, et toujours dangereux.

 

Enfin, Jean-Marc Lofficier joue pleinement le jeu du roman de gare avec un indéniable professionnalisme : il sait ainsi faire monter la tension (notamment avec Katrina en arrière-plan, les ravages causés par l’ouragan étant d’ailleurs présentés avec une certaine subtilité bienvenue, évitant le racolage pour pointer du doigt les vraies responsabilités et les vrais drames – en-dehors, bien sûr, du maladroit écart final déjà envisagé), l’entretenir, et s’amuser à l’occasion avec les codes du genre, que ce soit pour s’y plier (Zaka, donc…) ou pour les malmener (« Ouf ! Ce n’était qu’un rêve ! », et Zigor, bien sûr…). Cerise sur le gâteau qui, jusqu’à présent, a toujours distingué les meilleurs CVH des pires : Crépuscule Vaudou ne se prend pas trop au sérieux, et ne manque pas d’humour. C’est souvent drôle, et c’est tant mieux.

 

J’accorderais d’ailleurs pour ma part une mention spéciale à la fort sympathique friandise figurant en appendice (pp. 177-[197]), petite historique des hauts-faits de la branche américaine des van Helsing, saturée de références jubilatoires (surtout, et de loin, lovecraftiennes, mais on y croise aussi Edgar Poe, Washington Irving, Autant en emporte le vent, Le Magicien d’Oz, Angel Heart – ce dernier dès le corps du roman, à vrai dire, avec le personnage d’Ascension Proudfoot… –, etc.), qui en font un chouette jeu de piste, un peu à la manière de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore.

En ce qui me concerne, Crépuscule Vaudou est donc plutôt une réussite. Oh, rien d’exceptionnel ou d’indispensable, hein ; mais un roman de gare honnête et divertissant, qui, pour peu que l’on soit bon public, saura distraire agréablement son lecteur. Moi, ça me va très bien.

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"Eden Norifumi", de Jean-Marc Rivet

Publié le par Nébal

 

RIVET (Jean-Marc), Eden Norifumi, Saint-Sauvy, AMG2, coll. S.F. – Porn-fiction – Norifumi, 2008, 207 p.

 

Je dois me rendre à l’évidence : je ferais sans doute un très mauvais cyber-détective. A la recherche de renseignements sur les éditions AMG2, j’avoue n’avoir pas trouvé grand chose ; tout ou presque (y compris un certain nombre de pages beaux arts / cul) renvoyait à Jean-Marc Rivet et à sa série « Norifumi ». Ce qui sent un peu le compte d’auteur, mais il semblerait qu’il paraîtrait qu’on avance dans les milieux autorisés que, en fait, non… Bref, je n’en sais pas plus qu’avant. Si ce n’est que ledit Jean-Marc Rivet aurait commencé à publier chez AMG2 avec le « beau livre » Identité X, avant de livrer 6 opus de sa série SF « Norifumi », dont chacun peut être lu séparément. Au passage, pas trouvé dans mes vagues pérégrinations sur le ouèbe un seul bouquin de SF, ou plus largement de littérature, chez AMG2 qui ne soit pas de Jean-Marc Rivet. Bon… J’ajouterai enfin que la réputation de l’éditeur comme de la série n’est pas terrible, pour rester poli, mais qu’une chronique du n°5, 9999 Norifumi, par les abominables gauchiss’ (particulièrement en forme) de la Salle 101, m’a laissé supposer, moi le bon prince / crétin / naïf / masochiste, qu’il pouvait malgré tout y avoir des choses intéressantes là-dedans. Pourquoi pas, après tout ? Dans tous les cas, ça ne pouvait pas être pire que Léviatown, non ? Allez hop, tentons.

 

Norifumi, comme son nom l’indique, est donc le héros de la série de Jean-Marc Rivet. C’est un humain, dans un futur indéterminé et passablement baroque ; un télépathe, accessoirement (ou pas). Autre personnage récurrent : sa compagne Léa. On complète la famille avec leur charmant bambin Garance, née semble-t-il dans l’épisode précédent, et le robot Buster, qui adooooore faire la nounou pour le petit bout d’chou.

 

Et là, attention. L’éditeur vous prévient gentiment, sous une exergue empruntée à George Orwell (p. [7]) :

 

« Attention, certaines pages de ce livre contiennent des descriptions explicites susceptibles de choquer certaines sensibilités. »

 

Le genre d’avertissement qui me met de mauvais poil. Mais alors vraiment… Groumf.

 

Bon, bref : dès la première page, Norifumi et Léa baisent. Voluptueusement, longuement, amoureusement, dans plein de positions. Problème : ces petits malins, pour leur séance forcenée de zigounettopiloupilisme, se sont rendus dans un hôtel détenu à leur insu par le magnat du porno Kipling. Qui filme, et qui diffuse… Quelques jours plus tard, Norifumi et Léa apprennent donc que la vidéo de leurs ébats circule sur l’infosphère, et a beaucoup de succès : ils sont devenus bien malgré eux des stars du porno… Chatouilleux sur le plan de l’intimité (ce qui est certes compréhensible), le jeune couple se lance donc sur la trace de Kipling, car une petite explication s’impose.

 

Voilà pour le point de départ. Comme le nom de la collection l’indique assez, Jean-Marc Rivet aurait donc pour ambition, avec Eden Norifumi, de concilier science-fiction et porno (c'est du moins ce qu'il me semble, hein...). Initiative à la fois louable et dangereuse, et donc courageuse : on a souvent eu l’occasion de constater (quelques heureuses exceptions mises à part) que ces deux genres cohabitent mal, pour reprendre le cri d’amour du crapaud. Pour ne pas dire qu’ils divergent carrément, et divergent, c’est énorme ! Cela dit, ce n’est pas rédhibitoire. Et dans « rédhibitoire », n’y a-t-il point « rédhi » ? Entre autres ?

 

(Oui, certes, en ce moment je suis à fond dans Desproges. Oui, je sais, je suis lourd. D’accord, promis, j’arrête tout de suite.)

 

A cela s’ajoute une autre difficulté, qui probablement n’engage que moi : l’érotisme, la pornographie, c’est dur.

 

(Oui mais bon, arrêtez vous aussi avec vos blagues poussives, sinon, on va jamais y arriver, hein. Y venir non plus, certes.)

 

C’est un exercice difficile, quoi. Parler correctement de cul, c’est-à-dire de manière à la fois crue, sensuelle, intelligente, excitante, délicieusement choquante éventuellement, ou, en un mot, adulte, ce n’est pas donné à tout le monde. Un fossé sépare les merveilles du genre (disons, en ce qui me concerne, et pour en rester à la littérature, l’intégrale de Sade, ou encore Crash! de Ballard, ce qui nous rapproche un peu plus de la SF ; ah, et puis, en BD, Filles perdues d’Alan Moore et Melinda Gebbie, petit, non, gros bijou dont je vous causerai sous peu) du tout-venant porno-coquin, affligeant de bêtise et de (mauvaise) vulgarité, pas besoin de vous faire un dessin. Ici, d’ailleurs, je ne vise pas forcément tant le sous-monde qui va d’Elvifrance à Marc Dorcel en passant par Scrotuma, qui a au moins le mérite de la franchise, que les innombrables pseudo-artistes intellectualisants livrant hypocritement leurs pathétiques étrons de cul simili-trash branchouille pour navrants bobos qui se croient subversifs quand ils ne sont que mesquins. Il n’est pas donné à tout le monde de revendiquer « l’obscénité » à la manière d’un Oshima… Au-delà du porno à proprement parler, d’ailleurs, il en va de même des inévitables écrivaillons qui cassent hypocritement du sucre sur le dos d’un Houellebecq, et croient faire aussi bien que lui en saupoudrant leurs navets de virées dans des clubs échangistes pour nantis ex-soixante-huitards et de considérations faussement lucides sur le sexe, quand ils n’ont pas le centième de son talent. Sans parler des scènes de cul en mode automatique qui parsèment inutilement les romans de gare. Bon, bref : bien que, je plaide coupable, d’une pudeur maladive confinant presque au puritanisme (diraient les mauvaises langues), je suis pas contre, quoi, mais j’ai mes exigences.

 

Pour en revenir à Eden Norifumi et à ces épineuses questions, on commencera par noter que, en fait de porno, on n’a finalement pas grand chose à se mettre sous la dent (ou sous ce que vous voudrez) : trois, quatre scènes hot, comme on dit, et c’est à peu près tout (je ne compte évidemment pas dans cette catégorie la, heu, troublante mais pas pour les bonnes raisons publicité pour le sex toy (i)nouï, p. [211], dont le « design by Jean-Marc Rivet » vous garantit, Mesdames, que « vous mouillerez comme jamais » ; au passage, le roman est entrecoupé de simili-pubs pour ledit vibromasseur, ce qui est tout de même sacrément post-moderne, dirais-je pour rester poli – ou pas). Bref, en dépit de l’avertissement sus-mentionné, de son prologue qui attaque en force et des prétentions supposées de la collection, Eden Norifumi n’est en rien, pour reprendre le mot du Divin Marquis, « un livre qui se lit d’une seule main ». On notera par contre – et cette fois c’est tout à son honneur – que, dans ces passages périlleux, Jean-Marc Rivet s’en tire pas mal du tout ; enfin, de manière relativement honnête, en tout cas. Disons qu'on a lu pire...

 

Et pour ce qui est de la SF ? Ben, ça dépend. Tout au long des pages de ce court roman, on navigue entre une foultitude de clichés du genre (avec notamment, surtout dans les deuxième et troisième parties, un gros syndrome de Frankenstein revu et corrigé par Asimov et Blade Runner) et quelques idées plus originales, et franchement pas inintéressantes : si le lapidaire point de départ peut sembler un peu creux, qu’on s’y arrête deux secondes, et on verra qu’il y a finalement de quoi faire ; de même avec la planète Eden et sa religion du sexe, les orgasmes robotiques, la bible nietzschéenne des robots, ou encore ces personnages plutôt corrects que sont la Madone, 2S et Solt (là où Norifumi et Léa sont par contre tristement plats ; Norifumi, en outre, a parfois du fait de son aptitude télépathique d’intempestifs éclats de surhomme à la Gosseyn plutôt risibles – et en toute logique, il a probablement une ENORME bite). Il y a donc de temps à autre dans Eden Norifumi quelques (rares) idées intéressantes (si si, je vous jure).

 

Pourtant, c’est pas glorieux, mais alors pas du tout. Et pour ainsi dire frustrant, du coup.

 

Premier souci : ça part dans tous les sens. En fait de roman, on a plutôt l’impression de lire un fix-up mal branlé, regroupant maladroitement trois récits qui n’ont pas grand chose à voir entre eux (oui, comme chez Van Vogt) (oui, cette référence était un peu gratuite, mais je fais ce que je veux, d’abord). Du coup, les bonnes idées ne sont qu’esquissées, et, à grands coups de queues de poisson et de deus ex machina, on passe sans véritable transition d’un récit à l’autre. Les trois parties du « roman » sont ainsi des nouvelles pas achevées, ce qui est bien dommage. Et franchement saoulant au bout d’un moment…

 

Second souci, et le plus terrible : c’est atrocement mal écrit. Hou la la. Aïe. Pitié. Mes yeux et mes oreilles saignent…

 

Jean-Marc Rivet ne manque pourtant pas d’ambitions stylistiques à l’occasion. En maints passages, il expérimente, il poétise. Je plaide coupable : je n’adhère pas pour ma part à la polésie. Je me méfie des pouètes, et plus encore de ceux qui se prétendent pouètes ; ces derniers font partie de ceux qui partiront dans les premiers convois quand je deviendrai Empereur-Dieu de la galaxie (ils sont prévenus). Or Jean-Marc Rivet a parfois des velléités de pouète. Et étrangement… ben il s’en tire plutôt bien, dans ces passages-là. Pas grandiose, mais correct.

 

Non, le problème, c’est surtout le reste, le « normal ». Jean-Marc Rivet est en effet (ici, en tout cas ; ce n'était semble-t-il pas le cas dans 9999 Norifumi) un adepte de la phrase longue ; Nébal aussi, diront les plus perfides d’entre vous. Certes. Mais pas comme ça. Faire gaffe à la ponctuation, M. Rivet. Aux temps. Au déroulement de l’action. Et là, ça passe. Eden Norifumi, non. Parce que ce n’est qu’une succession abominablement indigeste de propositions qui auraient gagné à être indépendantes. Partout, tout le temps, des « alors que », « tandis que », « pendant que », « au moment où », « avant de », « après quoi », « simultanément », « ensuite », « en train de », « occupé à », etc., et, partout, tout le temps, des gérondifs en veux-tu non, en voilà quand même. C’est confus, pour ne pas dire illisible. Les sujets se paument, le temps se dilate, le lecteur souffre. Le résultat est doublement calamiteux : c’est souvent incompréhensible, et toujours moche. Quelques exemples ? Attachez vos ceintures :

 

« L’équivalent d’une céphalée rendait sa diction hésitante mais la scène filmée à Eden continuait à le fasciner car, au sens propre, Léa et Norifumi s’y désagrégeaient, mélangés l’un dans l’autre puis transformés en atomes tandis que les ondes qui l’agressaient devenaient plus dangereuses, ciblant les actrices, les acteurs et les techniciens qui, inconscients du danger, ne sentaient pas non plus ces ondes psychiques être sur le point de les désagréger. » (p. 24)

 

« Et elle afficha sur son persoc de poignet les informations dont elle disposait, rassurée de voir que Norifumi la croyait mais furieuse contre elle-même d’avoir agi comme elle l’avait fait, jurant à Léa qu’elle ne le ferait plus en s’asseyant sur la banquette arrière de cette limousine qui rejoignit l’hôtel où, pour surveiller Garance, Buster se vit attribuer l’une des deux chambres que Norifumi venait de réserver. » (pp. 45-46)

 

« Sans le savoir, le hasard avait bien fait les choses car il la connaissait, heurté par le sentiment qu’elles lui donnaient toutes les deux de vouloir déshabiller son âme… pour lui de la pure pornographie tandis que cette journaliste cherchait à connaître le nom de l’inconnue choisie par le hasard. » (p. 50)

 

« La Madone ferma les yeux pour tenter d’oublier son visage, son torse, ses bras et sa queue, fascinée par le reflet de sa silhouette dans le miroir de sa chambre en regrettant pour la première fois la promesse qu’elle s’était faite au début de leur relation de ne jamais le forcer à l’aimer, désireuse de lui laisser son libre arbitre pour être sûre qu’il ne resterait avec elle que parce qu’il l’aimait. » (pp. 68-69)

 

« « Arrête ça tout de suite ! » hurlait-elle par holo en s’insurgeant contre le lien étrange qui l’unissait à celle qui, les joues baignées de larmes, assise à même le sol, n’avait pas entendu Léa et Norifumi rentrer dans sa cuisine, figés devant son comportement de petite fille, ses doigts couverts de bave et ses mains plongées dans la nourriture pendant qu’elle pleurait et qu’ils repartaient sans se montrer, déstabilisés par le comportement de cette poupée qu’ils venaient de surprendre dans la lumière blanche de l’armoire frigorifique qu’elle vidait pour s’empiffrer. » (p. 145)

 

N’en jetez plus, c’est ignoble. J’ai mal à la têêêêêêêêête… J’y comprends zob… Aïe.

Bilan franchement négatif, donc. Le fond pouvait être intéressant, il l’est à l’occasion, mais la forme le plus souvent désastreuse achève d’anéantir chez le lecteur toute envie de prolonger indéfiniment le calvaire. Eden Norifumi, à mesure que l’on tourne les pages, devient toujours plus pénible, et toujours plus désolant. Frustrant, en même temps. Dommage… mais c’est franchement pas top. Pas totalement mauvais, mais mauvais quand même.
 

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"Louisiana Breakdown", de Lucius Shepard

Publié le par Nébal

 

SHEPARD (Lucius), Louisiana Breakdown, ouvrage publié sous la direction de Olivier Girard, traduit de l’américain par Henry-Luc Planchat, [s.l.], Le Bélial’, [2003] 2007, 175 p.

 

Hasard des publications, rébellion de l’inconscient ou sinistre complot cthulhien, toujours est-il qu’en ce moment je me fais une petite cure de fantastique (vous savez, ce genre qui n’existe plus), et que ce n’est pas pour me déplaire. C’est vrai essentiellement du côté des nouvelles (avec Serpentine et Notre-Dame-aux-Ecailles de Mélanie Fazi, mais aussi – en partie du moins – London Bone de Michael Moorcock, et Noir Duo de Sylvie Miller et Philippe Ward, dont je vous causerai bientôt), mais aussi de la BD (Preacher, bien sûr, mais aussi The Goon) et des romans, entre les Nicolas Eymerich de Valerio Evangelisti (quoique la désignation soit sujette à caution, c’est justement en partie ce qui fait l’intérêt de la série), les romans du Club Van Helsing de qualité (vraiment) très variable, ou, plus « noble » sans doute, ce très recommandable Louisiana Breakdown de Lucius Shepard.

 

Lucius Shepard fait partie de ces auteurs peu connus en France mais adulés par un cercle restreint de connaisseurs éclairés dont je ne fais hélas pas partie. Pas encore, du moins. Le fait est que je n’avais lu pour l’heure qu’une seule œuvre du bonhomme, l’excellent recueil de nouvelles de science-fiction Aztechs (tout juste réédité en poche). Pourtant, je savais déjà que l’auteur ne pouvait être cantonné strictement à la SF, s’étant essayé à bien d’autres genres, et notamment au fantastique (aparté méaculpesque : je le savais au moins depuis que l’ignoble sexycentriste rôdant parfois sur ce blog interlope sous le nom de Sire Planchapain m’avait offert, il y a de cela bien des années, L’aube écarlate, roman que, pour des raisons que la raison ignore, je n’ai toujours pas lu depuis tout ce temps, c’est horrible, j’ai honte, pitié, je vais me rattraper sous peu, je le jure, pitié).

 

D’où Louisiana Breakdown, court roman – ou longue nouvelle, au choix – publié il y a peu au Bélial’, petit éditeur fort sympathique à la pointe du combat pour sauver le soldat Shepard (Aztechs, c’était déjà eux). Et là, on est vraiment dans du fantastique pur jus – c’est-à-dire diffus, insidieux, passant par un doute oppressant et une atmosphère troublante… et ne lésinant éventuellement pas sur les clichés propres au genre.

 

Voyez plutôt. La Louisiane, donc, mais avant Katrina. Qui dit Louisiane dit nécessairement marécages, vaudou et rednecks dégénérés consanguins, cajuns de préférence. Tout cela figure bien logiquement dans Louisiana Breakdown.

 

Mais ce n’est pas tout. Il y a la forme, aussi. Par exemple, ce chapitre introductif qui tient du générique de film (probablement une adaptation de Stephen King). On circule fantomatiquement dans les rues de la petite bourgade pittoresque de Graal (i.e. trou paumé dont on n’est même pas sûr qu’il figure sur une carte). On détaille les devantures des boutiques miteuses, on croise les autochtones ; on en apprend un peu sur eux, sur leurs bizarreries ; au croisement d’une rue, évocation d’un fait-divers local (glauque, bien sûr) ; des odeurs, une petite musique poussive et datée jaillissant d’un juke-box antédiluvien (un air de steel guitar, probablement). Il fait chaud et moite : eh, nous sommes en Louisiane, et le 22 Juin… La veille de la Saint-Jean. Une date de choix, qui ne manquera pas d’évoquer chez le lecteur rites païens et bûchers impies, (très) vaguement christianisés…

 

Le 22 juin. Il est 6 h 66 (hein, quoi, comment ? p. 27). Vida Dumars, la Reine du Solstice, qui doit bientôt abandonner sa triste couronne, est la proie des sordides fantasmes de Marsh le bien nommé, le sorcier lubrique, son ancien amant, qui continue de la dégrader, de la souiller, de la violer en dépit de l’éloignement. Elle prie les dieux les plus obscurs et mystérieux, mais aussi les plus actifs dans la région, de lui venir en aide.

 

22 juin. 9 h 11 (bien sûr ? p. 37). Jack Mustaine fuit son trouble passé récent, comme une Janet Leigh désespérément perdue dans Psychose. Comme elle, il est bientôt contraint de s’arrêter. Mais il pousse le vice : il fallait bien que sa voiture tombe en panne… Il attend la dépanneuse, juste à l’entrée de Graal. Quel trou ! Il contemple le fier panneau témoignant de l’amour des contribuables pour leur chez-eux. Que faut-il y voir, au juste ? Le Graal stylisé, ou bien les deux visages se faisant face que la coupe ayant recueilli le sang du Christ, la promesse d’immortalité, semble révéler en creux ? Ah, mais, la dépanneuse arrive… précédée d’une bagnole de flic. On n’aime probablement pas les étrangers, par ici. En sort un shérif antipathique, qui trouve Mustaine trop hippie à son goût. Et qui aurait bien entubé l’étranger désemparé, le détroussant des trois guitares précieusement disposées dans son coffre, n’eut été l’arrivée providentielle de Joe Dill. Le patron du coin. Sa copine vietnamienne, qui joue à la pute échappée de Full Metal Jacket : « Moi aimer toi longtemps », susurre-t-elle entre deux gloussements moqueurs. Mustaine est embarqué par Dill. Oui, bien sûr, il va devoir passer la nuit dans Graal, mais c’est sympa, ici. Juste le temps d’attendre que sa voiture soit réparée… mais, si ça trouve, il aura envie de rester ? En attendant, allons boire un verre (ou deux, non, trois, enfin…) au Bon Chance (sic), le troquet du coin. Sa tenancière est une lesbienne et une voyante. Oui, mais tout le monde est un peu voyant, par ici… Elle sait en tout cas que Jack fuit quelque chose. Et qu’il trouvera autre chose, à Graal.

 

Le temps que Jack épate la galerie en empruntant la steel guitar d’un gamin (après avoir cafouillé sur le juke-box, sélectionnant au hasard une piste étrange que l’on ne met que pour les grandes occasions), et Vida a rejoint le Bon Chance. Elle sait que les dieux ont exaucé sa prière. L’étranger à la guitare – ou plutôt la forme qui s’est incarnée en lui à son insu – saura la protéger de Marsh. Et, qui sait, peut-être du Bon Homme Gris ? Ils tombent nécessairement amoureux l’un de l’autre.

 

Demain, c’est la Saint-Jean. Graal va devoir désigner une nouvelle Reine du Solstice. C’est qu’il y a un pacte ancestral avec le Bon Homme Gris…

 

Une belle réussite. La plume adroite de Lucius Shepard, bien servie par la traduction d’Henry-Luc Planchat, élabore avec finesse une ambiance sordide et moite, mais sans excès. On est dans le « juste un peu » bizarre ; Graal n’est pas le trou perdu des 2000 Maniacs ; nul Leatherface ne rôde dans une baraque égarée dans le bayou, affûtant sa tronçonneuse sur les colifichets métalliques et autres clous rouillés suintant des murs de son abattoir familial, non, ce n’est pas le genre de la maison… Graal tient sans doute un peu plus de Dunwich, mais sans excès, là encore. Non, Graal pourrait aussi bien exister… Un bled qui a ses traditions, ses particularités ; c’est toujours un peu déstabilisant pour l’étranger qui vient s’y égarer, mais concevable… Bon, il y a bien pléthore de voyants ; des boutiques d’occultisme, aussi ; des légendes… Voilà, des légendes, et rien d’autre. Le Bon Homme Gris ? Un croquemitaine finalement banal ; chaque région a ses fantasmes… Et Vida, la Reine du Solstice (Miss Graal ? Elle est assez belle pour se le permettre…) : ses dieux bizarres, sa persécution par Marsh, non, voyons, tout ça n’est que le délire d’une jolie femme un peu timbrée. Juste un peu.

 

Tout juste. La justesse est bien à mon sens ce qui caractérise avant tout Louisiana Breakdown. Lucius Shepard n’en fait jamais trop, tout en distillant savamment ce petit quelque chose indéfinissable qui produit un réel plaisir de lecture. Justesse dans le ton comme dans la forme : Louisiana Breakdown, en dépit de son format particulier et de ce que l’on a pu en dire ici ou là, est à mon avis ni trop court, ni trop long (fait assez rare pour être signalé…). Quant au fond…

 

Je ne saurais m’engager résolument, moi le minable petit lecteur, sur la signification profonde de Louisiana Breakdown. A vrai dire, s’il y en a probablement une, je ne suis pas sûr que cela soit d’une si grande importance : d’une manière ou d’une autre, on ressent le texte, on le vit, et c’est bien suffisant. On a souvent parlé, ici ou , du lien que l’on pouvait faire entre les amours de Jack et Vida et le mythe d’Orphée et d’Eurydice : Jack, le musicien, descend aux Enfers (Graal) pour en sauver Vida, lui offrir une échappatoire ; le passé y fait là encore figure de malédiction ; l’amour, peut-être, nécessite alors des zones d’ombre : un regard sur le passé, en retour en arrière, et c’est fini… Oui, ça se tient. Mais cela ne m’avait pas frappé, très honnêtement (bon, je ne suis pas bien malin, aussi…).

 

Plus largement, au-delà des inévitables interprétations psychologiques propres au genre, au travers des multiples allusions, tant aux clichés du fantastique (littéraire comme cinématographique) qu’à l’histoire globale des Etats-Unis (9 h 11, le saisissant fantasme vietnamien de Joe Dill… mais aussi la préface de l’auteur à cette édition française, post-Katrina !), j’y ai surtout vu une dissection subtile et savante (sans excès, une fois de plus…) de la fabrique des mythes dans un milieu contemporain : n’en déplaise aux positivistes aveugles et à leurs divers ersatz, à l’heure de l’efficacité et du matérialisme scientifico-technologique, Graal existe toujours, et existera toujours. Parce que, dans les creux de la civilisation, l’homme ressentira toujours le besoin du mythe, du « pourquoi » prenant le pas sur le « comment » ; il y a la nécessité, dans le plus concret du quotidien, de conserver une part de mystère : pour faire ce cocktail, il faut être un peu sorcière ; le réduire à une liste d’ingrédients figurant sur une étiquette n’aurait guère d’intérêt… C’est pour cette raison, de même, qu’on a besoin des dieux du vaudou, ou du Bon Homme Gris. Ils fournissent un « pourquoi » ; un « pourquoi » absurde, certes, dépassant la raison, et guère satisfaisant pour qui ne jure que par cette dernière. Mais un « pourquoi », néanmoins. Sans appel. Sans contestation possible. Sans nécessité d’une autre explication. Peut-être est-ce cela qu’il faut retenir de cette fin troublante, que beaucoup ont avoué n’avoir pas compris (et j’en suis probablement) : la grille d’analyse n’était pas la bonne ; peut-être même l’analyse était-elle indue… Après tout, à Graal, il peut très bien être 6 h 66.

 

Sans doute aussi cela dépasse-t-il le jugement, quand bien même le lecteur cartésien, confronté aux absurdités de Graal, à ses traditions insanes, ne peut-il s’empêcher de ressentir un profond effroi pour cette emprise du passé, qui vient justifier l’injustifiable ; peut-être ne s’agit-il pas tant, d’ailleurs, de s’effrayer de la réaction à proprement parler – les mythes ne sombrent après tout pas dans le passé, ils se recréent sans cesse : c’est bien à la genèse d’un mythe que l’on assiste dans Louisiana Breakdown –, que de constater, plus largement, plus sombrement, peut-être, le poids inéluctable de l’histoire : sombre promesse d’immortalité, induite par le nom même de la bourgade… On aurait envie de dire que le passé est pathologique, qu’il est une maladie, pour laquelle il n’existe pas de vaccin, et il n’en existera jamais ; mais sans doute le terme n’est-il guère adéquat : l’étrangeté de Graal n’est pas pathologique, mais bien au contraire normale. Nécessaire. Seule la différence de cadre nous conduit, nous, étrangers, à envisager tout cela comme... étrange. Le mythe rejoint l’histoire dans la définition de la communauté, et dans sa survivance en creux au sein de l’uniformisation supposée du genre humain, qu’elle soit souhaitée ou déplorée.

 

Je ne sais pas. J’ai probablement dit beaucoup de bêtises, tout cela est très subjectif, et, après tout, Nébal est un con…

Rassurez-vous, néanmoins : je suis loin d’être le seul à avoir vanté les mérites de Louisiana Breakdown, et d’autres l’ont sans doute fait bien mieux que moi : fouillez un peu, vous verrez… Alors croyez-moi au moins sur ce point : ça vaut le coup de se perdre dans Graal ; on n’en sort pas indemne, mais on en retire nécessairement quelque chose, ne serait-ce qu’un indéniable plaisir de lecture.

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"London Bone", de Michael Moorcock

Publié le par Nébal

 

MOORCOCK (Michael), London Bone, ouvrage publié sous la direction de Jérôme Vincent, avec la collaboration de Charlotte Volper et Eric Holstein, traduit de l’anglais par Jean-Daniel Brèque, Nathalie Serval, Benoît Domis, Chantal Plançon et Jacques Chambon, Paris, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, [1966, 1987, 1990, 1997, 2000] 2008, 98 p.

Retour aux chouettes petits bouquins publiés par le beau site ActuSF au travers de sa collection Les Trois Souhaits, avec le dernier rejeton, ma foi fort sympathique. Et une première, si je ne m’abuse, pour la collection : on quitte cette fois l’Hexagone pour aller voir ce qui se fait ailleurs. En l’occurrence du côté de la perfide Albion, et avec rien moins que Michael Moorcock (tout de même).

Ce mini-recueil d’une centaine de pages comprend en effet quatre nouvelles fort différentes du fameux écrivain britannique, qui rappelleront utilement au lecteur françouais que, non, Moorcock, ce n’est pas que Elric et compagnie. Rappel salutaire, dois-je dire, moi le béotien qui n’ai jusqu’alors approché celui qui fut en son temps le rédacteur en chef de la revue New Worlds, et donc un pilier de ce qu’il est convenu d’appeler la « new wave of British science-fiction » (avec des gens comme Ballard, notamment, excusez du peu), qu’au travers de ses cycles de fantasy dits « du Champion éternel », à savoir Elric, Hawkmoon, Corum et (prochainement) Erekosë. Or, ainsi que je m’en suis déjà expliqué (ici, donc, mais aussi ), moi, perso, je n’ai jusqu’à présent guère trouvé d’intérêt à ces œuvres souvent passablement alimentaires…

Cela faisait un petit moment déjà que je souhaitais découvrir un autre versant de l’œuvre de Moorcock, que j’espérais plus reluisant, du côté de la science-fiction ou du fantastique. Mais par où commencer ? Je ne me sentais guère de me précipiter sans autre précaution sur les autres gros Omnibus du bonhomme parus en France (Jerry Cornelius, Les danseurs de la Fin des Temps, le tout récent Cycle du Guerrier de Mars…), ou sur le volumineux Mother London, dont on a dit bien des choses à la fois alléchantes et effrayantes, mais qui, surtout, ne me paraissait guère représentatif de l’auteur. Restaient les nouvelles… En France, en-dehors d’un recueil en Lunes d’encre, c’est pas forcément évident de les trouver. Aussi, quand bien même London Bone a pu s’attirer quelques mini-critiques de la part des fans regrettant qu’il ne soit composé que de textes déjà publiés auparavant en France, pour le grouillot dans mon genre, il se révèle tout à fait utile et appréciable. D’autant que ces quatre nouvelles, dont la plus ancienne date de 1966 et la plus récente de 2000, sont l’occasion d'envisager par la lorgnette l’ensemble de la carrière de Moorcock, et de le voir s’essayer à bien des genres différents.

Détaillons un brin. Le recueil débute très bien avec « Le Cardinal dans la glace » (pp. 9-25 ; 1987 ; traduction de Jean-Daniel Brèque), courte nouvelle de science-fiction « à l’ancienne » teintée de fantastique. Dans un futur indéterminé, une expédition scientifique explore la planète Moldavia, recouverte de glace ; elle fait un jour une découverte étrange et bouleversante : celle d’un cardinal de l’Eglise catholique, dont le costume semble indiquer qu’il a vécu au plus tard au XXe siècle, parfaitement conservé dans la glace… Que fait-il là, à des années-lumières de la Terre ? Et quel va être l’impact de cette découverte ? A la fois classique et déstabilisant, assez angoissant également, un récit très réussi, empruntant une forme épistolaire. Le style n’est pas terrible (comme d’hab’), mais ça se lit très bien ; j’y ai vu pour ma part – mais peut-être dis-je des bêtises… – une variation bien pensée sur « Les montagnes hallucinées » de Lovecraft, une des meilleures nouvelles à mon sens du reclus de Providence ; peut-être cela explique-t-il aussi l’intérêt que j’ai trouvé à cette fort sympathique introduction…

On passe à tout autre chose avec la nouvelle suivante, la plus longue du recueil, et celle qui lui donne son titre, « L’Os de Londres » (pp. 27-60 ; 1997 ; traduction de Nathalie Serval). Etrange récit très vaguement teinté d’un prétexte de SF et de fantastique, contant à la première personne la carrière de Raymond Gold, spéculateur qui s’est considérablement enrichi en vendant l’os londonien, étrange matière unique en son genre, dont les touristes et les collectionneurs ne peuvent bientôt plus se passer, du fait d’un simple effet de mode. Mais cet os n’est-il pas le fondement même de Londres, tant matériel que spirituel ? Une nouvelle étrange et troublante, plus finement écrite que d’habitude, et qui dresse un tableau à la fois cynique et émouvant du Londres post-thatchérien, et plus largement de ce que le monde contemporain a de plus futile et absurde.

« And now, for something completely different… »
Le texte suivant, le plus récent du lot, est en effet une succulente petite friandise montypythonesque au possible, délicieusement so british, à la fois hilarante et cruelle, inspirée par Maurice Richardson (jamais entendu parler, honte sur moi...). Joli titre, déjà : « Un samedi soir tranquille à l’Amicale des Pêcheurs & Chasseurs Surréalistes » (pp. 61-79 ; 2000 ; traduction de Benoît Domis). On y croise plus ou moins Jerry Cornelius en toile de fond, mais aussi une Mort passablement pratchettienne, et, surtout, Dieu, qui vient expliquer aux gentlemen du club pourquoi, au Paradis, il y a essentiellement des chats, des chiens et des Américains. Satire jubilatoire de la religion façon baptiste et du libéralisme économique, qui permet en outre de comprendre enfin pourquoi le Titanic a sombré. Indispensable.

Le dernier texte du recueil, le plus ancien, m’a par contre tristement déçu (d’autant qu’on en avait dit ici ou là le plus grand bien). « Le jardin d’agrément de Felipe Sagittarius » (pp. 81-99 ; 1966 ; traduction de Chantal Plançon et Jacques Chambon) est une courte uchronie policière impliquant à Berlin, autour de l’enquêteur métatemporel Minos Aquilinas, l’inspecteur Hitler et son supérieur Bismarck, mais aussi Einstein, Kurt Weill, etc. Style plat, enquête téléphonée, personnages assez creux, cadre laissé dans le brouillard, abondance d’allusions pas forcément utiles… En 1966, c’était probablement original, mais on a lu bien plus intéressant depuis dans le même genre. Pas désagréable, mais plutôt médiocre. On notera en outre une petite bévue de la part des éditeurs, qui auraient semble-t-il bouffé une page (p. 85, entre « […] demandai-je au chef de la police » et « Les tons de rouge foncé […] ») ; c’est ennuyeux sans être dramatique, et ActuSF va probablement remédier à ce petit souci en publiant la page manquante en ligne, ou quelque chose du genre.

Cette dernière petite déception (qui n’engage bien évidemment que moi) mise à part, London Bone est bel et bien un fort sympathique petit recueil, intéressant sans être phénoménal, utile sans doute, et qui fait quelque peu remonter Moorcock dans mon estime. Mission accomplie.

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"Léviatown", de Philip Le Roy

Publié le par Nébal

 

LE ROY (Philip), Léviatown, [s.l.], Baleine, coll. Club Van Helsing, 2007, 237 p.

 

A propos du fantabuleux Abattoir 5 de Kurt Vonnegut Jr, je vous parlais il y a peu de ces livres qui sont à même de vous faire croire en l’existence de Dieu. Etrangement, Léviatown n’est pas de ceux-là. Ou alors c’est que Dieu c’est vraiment rien qu’un gros enculé de sadique neuneu. Non, Léviatown serait plutôt du genre à persuader tout lecteur moyen de la nécessité d’une extinction soudaine et précoce de l’espèce humaine, parce que nos successeurs sur Terre de même que les éventuels voyageurs interstellaires aux yeux probablement globuleux qui pourraient se décider à y faire un petit tour dans les temps futurs, ne méritent franchement pas qu’on leur pollue l’ultime frontière avec ce genre d’abominations. Nous non plus, d’ailleurs.

 

Pourtant, Léviatown est.

Et avec ce roman, Philip Le Roy a réinventé d’une manière toute personnelle l’indicible lovecraftien (ou « l’indescrivible » elvifrancesque, plutôt). Léviatown se lit les yeux exorbités, un rictus dément aux lèvres ; c’est d’un geste épileptique et craintif que l’on en tourne les pages, craignant qu’une nouvelle abomination n’en émerge et nous saute à la gueule. Parfois, pourtant, l’espoir subsiste d’une quelconque amélioration… mais non. Non, ça sera toujours pire. La page suivante renfermera toujours bien plus abject que vos plus atroces cauchemars. Le lecteur hurle, trépigne, souffre… mais avance néanmoins, englué qu’il se trouve dans sa fascination masochiste et sa curiosité morbide pour ce qu’il y a de plus intolérable et de plus scandaleux. En achevant la lecture de Léviatown, la pauvre victime exténuée repose un instant ses yeux rougis de larmes, gonfle ses poumons, jette enfin l’artéfact maudit à l’autre bout de la pièce puis se dresse, le visage défiguré par la haine, les yeux fous, le poing vengeur ; il gémit, il hurle enfin :

MAIS COMMENT PEUT-ON ECRIRE AUSSI MAL UN TRUC AUSSI NUL, TROUVER UN EDITEUR POUR LE PUBLIER, DES LECTEURS POUR LE LIRE
(heu…) ET POUR EN ÊTRE CONTENT ?!?!?!

Indescrivible, vous dis-je. Et, quelque part, une confirmation supplémentaire de la pertinence de l’adage tiré de la sagesse populaire qui figure au frontispice de ce blog miteux : non, le ridicule ne tue pas ; à la limite, il permet même de gagner des sous.

Je n’aime pas dire du mal des gens. Et je suis contre la peine de mort. J’abomine les brûleurs de livres, quels que soient les incendiaires, quels que soient les livres. Mais, comme le disait si bien une certaine greluche arriviste à la face d’un nabot arrivé, il existe de saines colères. Massacrons donc cet étron du diable, piétinons-le allègrement (du pied gauche, ça porte bonheur).

Citons tout d’abord la quatrième de couv’ :

« Si la Freedom Tower construite sur les décombres du World Trade Center incarne le nouveau pouvoir économique aux yeux du monde, Hugo Van Helsing y détecte rapidement un signe de l’apogée de Léviathan sur terre. Quand il lance Kathy Khan, descendante de Gengis Khan et kunoichi rompue aux techniques ninjas, à l’assaut de la tour infernale, il ignore que la jeune femme devra se battre à tous les étages contre une machination orchestrée par les quatre princes de l’enfer. Et qu’elle devra accepter un sacrifice à faire passer un seppuku pour une égratignure… »

Voilà qui en dit assez long sur la stupidité profonde et le bourrinage intensif de Léviatown. Seulement voilà : un truc aussi con, dans le cadre du CVH, peut se révéler jubilatoire pour tout amateur de bisseries ou zèderies crétines, j'en ai déjà fourni plusieurs exemples au fil de mes comptes rendus miteux. Et, au pire, on se dit même qu’on aura un chouette nanar… Mais non.

Passons vite sur le prologue, qui pourrait presque nous laisser croire que ça pourrait être bien. On passe illico en 2011 (autant pour la « continuité », mais, dans mes souvenirs, Xavier Mauméjean a plus ou moins sabré l’anticipation pourrie de Le Roy dans son bien autrement sympathique Freakshow!). Scène grand-guignolesque et hautement ridicule où Philip Le Roy se contente de rassembler la plupart des membres du club, définis façon catalogue au travers de brefs paragraphes qui n’en retiennent que les pires stéréotypes. Voyez par exemple Senoufo Amchis, le chasseur de baleines qui sera si joliment détaillé par Catherine Dufour dans Délires d’orphée : ici, il est aussi creux que les autres, et la seule particularité que lui confère Philip Le Roy… est d’être pétomane. Ah. Bon. Pourquoi pas, hein ? Sauf que le style en dit d’ores et déjà bien long sur le calvaire que le lecteur va devoir endurer : très vite, les paragraphes insipides laissent la place à une succession de répliques pathétiques, figurant parmi les punchlines les plus affligeantes que l’on puisse imaginer. Même chose au chapitre suivant. Et au suivant. Et au suivant… Le pire étant que ce n’est même pas drôle : juste affligeant. Ca sent la testostérone et la vulgarité, mais dans leurs pires ersatz. On n’ose même pas en sourire, on se contente de soupirer. Et autant le dire de suite : on va avoir droit à ce genre d’abominations durant l’intégralité du roman, les seules pauses étant constituées par des séquences d’action lamentables, matrixiennes, répétitives, mégalo et creuses, ponctuées de notes de bas de page inutiles destinées à expliquer au lecteur des trucs qu’il sait déjà pour peu qu’il ait un minimum de culture.

J’en déduis que Philip Le Roy, soit prend clairement ses lecteurs pour des cons (ce en quoi il n’aurait sans doute pas tout à fait tort), soit est âgé de 13 ans grand max, et qu’il joue encore beaucoup avec ses GI-Joe, de même que ses fans. Parce que, honnêtement, je ne vois pas comment il serait possible à qui que ce soit, même au plus attardé mongoloïde des admirateurs au premier degré de Rambo III et de la filmographie intégrale de Chuck Norris, d’écrire encore sérieusement ce genre de choses après la puberté.

Et « l’histoire » (aha) ne rattrape certainement pas cet immondice stylistique. Le Roy commence par piocher comme un sagouin dans la métahistoire du CVH (ça sent même le copier-coller), après quoi ce n’est qu’une succession de clichés chiants témoignant d’un manque d’inventivité qui tient de la performance, saupoudrées d’un « humour » que même aux Grosses têtes on trouverait lourd… et, cerise sur le gâteau, de références mal maîtrisées qui achèvent de plonger le lecteur dans la stupéfaction la plus mystique. Pauvre Thomas Hobbes ! Il n’en demandait pas tant, mais obtient ici la preuve ultime qu’il avait bien raison d’être pessimiste…

On appréciera encore davantage les références cinématographiques : Freaks et Rosemary’s Baby, entre autres, n’ont pas grand chose à faire dans ce triste navet, mais Le Roy les souille quand même de ses gros doigts huileux. Il voit plus juste dans ses allusions à Golan / Globus, mais, pour le coup, n’arrive même pas à être aussi distrayant que les pires nanars de la Cannon… Rappelons au passage que « l’auteur » est présenté sans rire comme étant « influencé par Hitchcock, Kubrick, De Palma et Tarantino » ! Là, on peut parler de blasphème… On notera bien une probable influence du déjà pas fameux Kill Bill de ce dernier dans les déboires ninjesques de Kathy Khan (ce nom, et surtout sa « justification », m’épatent toujours autant…), mais sans le sens de l’esthétique et la culture cinéphilique qui en rendaient le visionnage tolérable, quand bien même très décevant. Ici, on a juste Kathy Khan qui tranche des bras et des têtes, parce qu’elle est trop forte, et en plus elle est trop bonne, waaaaaah t’as vu.

Le pire, pourtant, ce sont les références musicales, très très nombreuses. En page 238, le lecteur trouvera même un récapitulatif juste au cas où (« Léviatown original soundtrack ») : on pourra en conclure que Philip Le Roy ne se contente pas d’écrire de la merde, mais qu’il en écoute aussi (il y a bien des exceptions… mais franchement : citer des paroles de Linkin Park !), ce qui après tout ne regarde que lui, ou, plus exactement peut-être, qu’il en a dans les oreilles. Parce qu’il faut voir les stupidités effarantes que le Monsieur en vient à raconter… Marilyn Manson, qui se voit accorder une certaine importance dans le bouzin, à l’instar de Thomas Hobbes, n’en demandait probablement pas tant lui non plus. Et ce n’est rien comparé aux sidérantes pages consacrées au « metal satanique », à se pisser dessus ou à désespérer, au choix. Juste un exemple : on y apprend quand même, entre autres choses, que Slayer est un groupe de black metal (p. 123) ; à part ça, Philip Le Roy (ou son « historien du metal », qui s’appelle Phil, jeune crétin en baggy... dont Kathy Khan tombe nécessairement amoureuse) trouve quand même à se plaindre de « l’amalgame mitonné par les médias mythomanes » (j’aurais bien vu une note de bas de page expliquant au lecteur con ce qu’est l’allitération, là ; y penser pour la prochaine édition).

Y’en a un peu plus, je vous le mets ? Allez. On appréciera donc la finesse et le bon goût du vague sous-texte politique de Léviatown, expliquant que le World Trade Center comme la Freedom Tower sont en fait des sortes d’avatars du prince des enfers Léviathan, et que le 11-Septembre, c’était lui qui l’avait voulu et qui l’avait provoqué, Al-Qaida étant sous sa tutelle (on parlait de mythomanes, non ?). Ajoutons que Léviathan incarne donc l’abominable pouvoir économique, là où les autres démons se voient attribuer, en vrac, la religion (aha), la répression, etc., bref tous les ennemis désignés du djeuns anarchiss' (oui, celui qui a dessiné un A dans un cercle au blanco sur son sac à dos Eastpack). La mondialisation caca, les Etats-Unis pipi. Et nos vaillants chasseurs du Club Van Helsing d’endosser ainsi un costume de militants pseudo-gauchistes bas du front qui ne leur va pas vraiment…

N’en jetez plus ? Oui, c’est ce que je me disais, aussi… Léviatown est bien une abominable merde, un torchon honteux, voire scandaleux : qu’on ait pu publier « cet Everest de nullité », pour reprendre la formule d’Eric Holstein, cela relève de l’insulte aux lecteurs comme aux véritables écrivains.

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"La Paille dans l'Oeil de Dieu", de Larry Niven & Jerry Pournelle

Publié le par Nébal

 

NIVEN (Larry) & POURNELLE (Jerry), La Paille dans l’œil de Dieu, ouvrage publié sous la direction de Olivier Girard, traduit de l’américain par Eric Cowen, traduction révisée par Pierre-Paul Durastanti et Olivier Girard, préface de Serge Lehman, Saint-Mammès, Le Bélial’, [1974, 2006] 2007, 640 p.

 

Attention Mesdames et Messieurs, une bonne partie du plaisir que l’on peut ressentir à la lecture de La Paille dans l’œil de Dieu vient de la surprise quant au déroulement des événements. Le problème, c’est que ça me facilite pas la tâche, du coup… Aussi, histoire de pouvoir en dire un peu quand même, sans en dévoiler trop non plus si possible, je vais devoir lâcher ici ou là quelques morceaux de la bête. Avec modération, mais bon, voilà, quoi… C’est vous qui voyez. Vous êtes prévenus.

 

Donc, donc, donc. La Paille dans l’œil de Dieu. Déjà, j’aime ce titre, joli, énigmatique, très connoté, très riche. Je suppose que c’est également l’avis de Serge Lehman, puisqu’il lui fournit l’occasion d’une préface intéressante mais partant largement en couille théologique, avec des vrais morceaux d’Alan Moore et de Philip K. Dick dedans (soit deux avatars de Dieu parmi mes préférés). Cela dit, on est quand même assez loin des principales préoccupations de ce pavé qui, pour n’être pas dénué d’implications que je dirais davantage métaphysiques que théologiques à proprement parler (malgré la nécessaire exergue – Matthieu, 7:3 – qui définit bien un des thèmes dominants du roman), est quand même avant tout un space opera « militaire » avec des vrais morceaux de hard science dedans.

 

Et un classique du genre, même. Enfin, plus aux Etats-Unis qu’en France, il faut bien le reconnaître : l’idéologie des deux auteurs, et peut-être plus particulièrement de Jerry Pournelle, auteur assez clairement connoté « à droite » et libertarien affiché (voyez ma note sur Solutions non satisfaisantes), les tendances « militaires » (pour ne pas dire « militaristes », voire « bellicistes »…) mais aussi « scientistes » (on l’a dit, en tout cas ; mais faut voir, en fait…) de la bête, tout cela n’a pas vraiment joué en faveur de la renommée du roman de par chez nous. Traduit il y a un bail sous le titre La poussière dans l’œil de Dieu, il n’a été réédité que l’année dernière au Bélial’. Avec de quoi appâter le chaland, néanmoins, en témoignent les commentaires flatteurs de Frank Herbert et Robert Heinlein en quatrième de couv’, l’auteur de Starship Troopers (un roman qui a sans doute eu une certaine influence sur celui qui nous intéresse) allant jusqu’à dire que La Paille dans l’œil de Dieu est « peut-être le meilleur roman de science-fiction [qu’il ait] jamais lu ». Bon, n’exagérons rien… Mais le caractère séminal de cette œuvre m’a incité à en faire l’acquisition, quand bien même je ne suis pas vraiment fan en temps normal des space op’, a fortiori « militaires », la hard-science ça dépend des fois, et l’idéologie sous-jacente, heu, non, franchement, non, enfin, voyez plus bas...

 

Posons un peu le cadre. L’action débute en 3017. L’humanité a depuis longtemps développé des systèmes lui permettant de coloniser l’espace, dont essentiellement la propulsion Alderson (mise au point en 2008 – * soupir… * – dans un monde où les Etats-Unis et l’URSS existent toujours et ont fini par se « réunir » au sein du Condominium, en 1990) permettant de faire des « sauts » interstellaires. Au début du quatrième millénaire, elle règne ainsi sur plus de 200 mondes à travers la galaxie. Cela n’a pas été sans crises, ceci dit... Les Guerres Patriotiques ont presque anéanti la Terre, qui n’a pu survivre qu’au travers de l’exil interstellaire et de la constitution de l’Empire de l’Homme, sous la direction de Léonidas Ier, roi de Sparta – forcément… –, ladite planète constituant la base de l’Empire avec Sainte-Ekaterina, où se sont réfugiés des colons russes très soucieux de préserver leur passé. L’Empire a cependant fini par s’effondrer au cours des terribles Guerres de Sécession, qui ont plongé l’humanité dans les « Âges sombres », caractérisés essentiellement par une disparition des communications entre les différentes planètes et une forte régression technologique. Le deuxième Empire de l’Homme est néanmoins fondé en 2903 par Léonidas IV de Sparta ; ses premières années sont difficiles : il lui faut à nouveau fédérer l’humanité, tout en accusant un certain retard scientifique sur le Premier Empire, perçu comme un « âge d’or »… On notera d’ailleurs le côté passablement réactionnaire de cet Empire, tourné vers les figures légendaires du passé (Léonidas comme Lénine…), rude autocratie fondée essentiellement sur la puissante Marine Spatiale Impériale (MSI), mais tolérant néanmoins quelques pouvoirs intermédiaires – l’Eglise (il s’agit toujours d’un Empire essentiellement chrétien…), les nobles, mais aussi les commerçants. On ajoutera enfin que la révolution sexuelle (aha) est bien lointaine : dans cet univers, les femmes sont clairement considérées inférieures aux hommes, et la sexualité avant le mariage, mon Dieu, quelle abomination…

 

Sur la planète Néo-Chicago, où une rébellion vient tout juste d’être matée, nous faisons la connaissance de Roderick Harold, sire Blaine, aristocrate et capitaine de frégate, qui sera peu ou prou le héros du roman. Celui-ci se voit confier le croiseur impérial Mac-Arthur, et deux illustres passagers, Dame Sandra Liddel Leonovna Bright Fowler (« Sally »), anthropologue aristocrate (et seule femme du roman, ou presque…), et Son Excellence Horace Hussein Bury, riche commerçant suspecté d’avoir joué un rôle important dans le soulèvement de Néo-Chicago. Il doit se rendre avec son vaisseau sur Néo-Ecosse, la principale planète située au-delà du Sac à Charbon, une gigantesque nébuleuse dans laquelle ne brillent que deux étoiles : une impressionnante géante rouge, baptisée l’œil de Murcheson (ou l’œil de Dieu…), et une minuscule étoile que l’on distingue malgré tout dans l’œil, et baptisée pour cette raison la Paille ; il faut dire que, depuis Néo-Ecosse, le Sac à Charbon donne l’impression d’un visage dont la géante rouge serait l’œil… Aussi, sur cette planète, certains n’hésitent pas à voir dans la nébuleuse le visage de Dieu, et dans la géante rouge son œil (d’où le titre… enfin, en partie, bien sûr…). En cours de route, cependant, Blaine se voit confier une mission bien particulière : on a en effet repéré un vaisseau spatial inconnu, de type voile solaire, en provenance directe de la Paille ! Or l’humanité n’a jusqu’alors jamais rencontré de vie extraterrestre intelligente… C’est bientôt l’heure du premier contact.

 

Un thème classique de la SF, remarquablement bien traité dans ce gros pavé plus subtil qu’il n’y paraît. Attention, les « révélations », ça commence maintenant. En effet, il va s’agir désormais de percer le mystère de la civilisation si étrange des Pailleux, et surtout voir quel impact cette découverte phénoménale pourra avoir sur l’Empire. Blaine se rend donc dans le secteur de la Paille (jamais exploré jusqu’alors) pour aborder cette civilisation inconnue. A bord du Mac-Arthur, il a embarqué nombre de savants enthousiastes, avides d’étudier les Pailleux et d’échanger avec eux leur technologie. Mais la mission a également des implications militaires : les autorités sont méfiantes à l’égard de ces étrangers… Il ne faut pas qu’ils puissent mettre la main sur la propulsion Alderson et sur le champ Langston ! Aussi le croiseur Lénine, dirigé par l’amiral Kutuzov, renommé pour sa froideur (il a entièrement détruit un monde rebelle…), accompagne-t-il Blaine ; au moindre danger, il est supposé détruire le Mac-Arthur… Et, à terme, c’est la question de l’existence même de la Paille qui se pose.

 

Sous ses dehors de divertissement galactique, La Paille dans l’œil de Dieu ne manque pas d’intérêt. Si le style est très simple pour ne pas dire inexistant (voire un peu naïf à l’occasion), tout cela se lit très bien, et, bien que ne raffolant guère des pavés, je ne peux pas prétendre m’être ennuyé au long de ces 640 pages (j’aurais sans doute préféré un roman un peu plus court, mais on ne peut pas vraiment non plus l’accuser de tirer à la ligne : rien, tout au long de ces pages, n’est véritablement superflu ; ah, une chose au passage, par contre : les coquilles tendent à se multiplier au fur et à mesure que l’on avance dans le roman, ce qui est un peu ennuyeux…). Certaines scènes sont même franchement palpitantes (le sort du Mac-Arthur, bien sûr…). Le tout est très imagé, très vif : à la lecture de ce roman, j’avoue avoir souvent eu en tête des visuels à la Battlestar Galactica (et je ne serais guère étonné d’apprendre que les deux séries ont puisé une part de leur inspiration dans La Paille dans l’œil de Dieu).

 

Tout cela est évidemment très martial, mais cela passe remarquablement bien. Car, en dépit de son caractère « militaire », voire « militariste », voire « belliciste » (j’y reviendrai), La Paille dans l’œil de Dieu n’est certainement pas un roman « bourrin » : la science dure y joue son rôle, déjà, mais, surtout, toutes, absolument toutes les implications du contact avec une civilisation extraterrestre sont envisagées, avec une certaine subtilité. La civilisation des Pailleux, ainsi, est bien construite, cohérente et inventive. Les difficultés de communication sont envisagées avec sérieux, quand bien même le don pour les langues des Pailleux facilite considérablement la tâche des auteurs… Restent quelques jolis concepts résolument non-humains, comme ce système de castes ultra-spécialisées, ou encore cette belle idée du « Fyunch(clic) », avec ses intéressantes et déstabilisantes conséquences (on approche ainsi la thématique de l’acculturation, dans un sens).

 

Mais ce qui frappe surtout dans ce roman, et vient relativiser quelque peu l’optimisme « scientiste » dont on l’accuse parfois (et dont on accuse assez souvent Larry Niven, semble-t-il), c’est le rôle de premier plan attribué aux considérations politico-militaires dans le contact avec les Pailleux. Les savants sont clairement relégués au second plan, et sont même assez vertement critiqués ; leurs personnages sont souvent caricaturaux, et surtout naïfs : leur enthousiasme pour la découverte des Pailleux pourrait les amener à mettre en péril la sécurité de l’Empire… Aussi, afin de tempérer leur « humanisme » aux conséquences difficilement envisageables, la mission du Mac-Arthur et du Lénine est-elle avant tout militaire. Le véritable chef de l’expédition est bien l’amiral Kutuzov, « le Tsar », connu et redouté pour sa sévérité, son sang-froid… et sa totale absence de sentiments le cas échéant. Les savants l’accusent de paranoïa devant toutes les précautions qu’il impose à la communication avec les Pailleux, et le lecteur fait de même pendant un bon moment : les militaires, Kutuzov en tête, sont nécessairement des crétins, des fachos, des bourrins, à même de faire capoter cette chance extraordinaire pour l’humanité, et peut-être même de l’anéantir dans un bain de sang… Mais on aurait tort de s’arrêter là. La froideur de Kutuzov est en effet parfaitement cohérente, et souvent lucide. On est en plein ici dans le paradigme réaliste de l’étude des relations internationales, dans la lignée de Thucydide, Clausewitz et Morgenthau. Le comportement des militaires paraît de plus en plus justifié – en dépit de la bonne volonté des Pailleux, que l’on tend toujours à admettre (même si, à l’occasion…). Leur analyse de la situation n’est pas aussi obtuse qu’on pourrait le croire, et certainement pas bourrine. Le problème, bien sûr, ce sont les conséquences : on en vient très vite à envisager froidement la possibilité d’un génocide…

 

C’est sans doute là ce qui a pu gêner en France : La Paille dans l’œil de Dieu n’est certainement pas un roman « humaniste », ni même – et, là encore, on vient relativiser l’optimisme scientiste supposé du roman – « idéaliste ». C’est un roman froid, et c’est ce qui le rend si réaliste et pertinent ; écœurant, horrifiant à certains égards, mais en même temps indéniablement « juste », ou, si l’on préfère, parfaitement rationnel et compréhensible, et même, dans un sens, convaincant… Ce qui a de quoi faire peur, je vous l’avoue. Ceci dit, il ne s’agit pas sans doute d’adhérer nécessairement à une idéologie : l’analyse réaliste, toujours, se veut descriptive avant d’être normative ; elle dit ce qui est, non ce qui doit être. Aussi ai-je toujours considéré ce paradigme comme le plus pertinent dans l’étude des relations internationales, sans pour autant me faire moi-même l’avocat de « l’intérêt national », et du mépris égoïste pour les intérêts des « autres », loin de là ! Certes, pour Jerry Pournelle notamment, on peut se demander si son adhésion à l’idéologie libertarienne ne l’amènerait pas à justifier ici la « vertu d’égoïsme » d’Ayn Rand ; sans doute, même (on notera cependant que les commerçants s'en prennent plein la gueule)… Mais le lecteur n’a pas nécessairement à aller jusque-là : il s’agit simplement de constater, non d’approuver. Et le roman se montre d’autant plus juste à cet égard que les Pailleux eux-mêmes, bien que ne le revendiquant certainement pas et adoptant une attitude chaleureuse, généreuse et accueillante, ne sont bien évidemment pas dénués d’arrière-pensées, et sont bien eux aussi motivés essentiellement par leur « intérêt national »… Or l’intérêt de chacune des deux civilisations apparaît parfaitement juste et compréhensible au lecteur ; mais les deux semblent bien inconciliables… C’est ce cruel dilemme qui donne toute sa force au roman. Aussi le lecteur peut-il difficilement se faire juge ; et, passé la critique vertueuse des premières pages, il est amené, nécessairement, à se poser lui aussi une question à base de paille et de poutre… Ce qui est très troublant, et ne manque donc pas d’intérêt.

La Paille dans l’œil de Dieu
est ainsi un roman très recommandable, alliant adroitement le divertissement du space opera « militaire », le « sense of wonder » de l’âge d’or comme de la hard-science et la réflexion politico-sociale de la meilleure « speculative fiction », comme on dit parfois. Ca n’en fait pas un chef-d’œuvre intouchable, mais au moins un bon bouquin de SF, bien plus intelligent que ce que l’on pourrait croire au premier abord, et qui ne laissera sûrement pas indifférent. Bref, en ce qui me concerne, sans le porter au pinacle, ça vaut amplement le détour. J’ai cru comprendre que Larry Niven et Jerry Pournelle avaient écrit une « suite » ; si le Bélial’ se décide à la publier un jour, je suis preneur.

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