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"Blanche Neige contre Merlin l'enchanteur", de Catherine Dufour

Publié le par Nébal


DUFOUR (Catherine), Blanche Neige contre Merlin l'enchanteur, Paris, Nestiveqnen – LGF, coll. Le Livre de poche Fantasy, [2003, 2007] 2009, 667 p.

 

« Quand les dieux buvaient », suite, après l'excellent Blanche Neige et les lance-missiles. Sous ce titre un peu tarte (et pas vraiment pertinent ; on sent bien la volonté d'accentuer la dimension « cyclique »...) de Blanche Neige contre Merlin l'enchanteur, on retrouve les tome 3 et 0 de la série, à savoir Merlin l'ange chanteur et L'Immortalité moins six minutes (un titre qui en pète quand même ach'ment plus). Ayant déjà dit tout le mal que je pensais de la « préquelle », je me limiterai ici au tome 3.

 

Adonc. Un roman qu'il n'est pas facile à résumer... Il se compose en gros de trois parties.

 

Dans la première, Catherine Dufour parodie essentiellement la matière de Bretagne. Merlin y est un ange (un archange, même), et comme il se doit un parfait salopard manipulateur. Face à lui, la Dame du Lac et compagnie, c'est le quatuor de fées que l'on avait déjà eu l'occasion de croiser auparavant, avec leurs noms si pittoresques et leurs manières si délicates.

 

La deuxième partie joue la carte du vampirisme, et consiste en gros en une longue dissertation sur l'évolution de la religion chrétienne, pardon, chrétine.

 

La troisième partie, enfin, verse dans la science-fiction, et, en rassemblant tous les personnages, prolonge l'excellent tome 2, L'Ivresse des providers.

 

Dans sa postface, intéressante annexe, Catherine Dufour explique que Merlin l'ange chanteur est probablement le livre dans lequel elle a mis le plus d'elle-même. Je veux bien le croire, mais, hélas, ça n'en fait pas une réussite pour autant... En effet, le roman souffre à mes yeux de plusieurs faiblesses.

 

La première, et la plus évidente, est son caractère hybride, pour ne pas dire bancal : cette construction en trois parties ne convainc guère, d'autant que les enchaînements se montrent assez brusques. Aussi Merlin l'ange chanteur est-il un roman pour le moins inégal.

 

Dans sa première partie, on retrouve tout ce qui faisait la réussite des autres volumes de la saga, et on se régale. Mais c'est hélas un peu moins vrai de la suite, plus grave, nettement moins drôle (voire pas du tout).

 

La deuxième partie illustre d'ailleurs une deuxième faiblesse, à mon sens : elle croule sous la documentation. Dans sa postface, toujours, l'auteur insiste sur le travail qu'a nécessité ce livre. Il se sent. Un peu trop... C'est souvent fort intéressant et assez pertinent, mais cela ne va pas sans générer à l'occasion un léger ennui...

 

Ennui qui devient plus prégnant à mesure que l'on avance dans le roman. Et ici, je ne peux qu'avouer ma déception devant la troisième partie, d'autant qu'elle m'a paru un peu expédiée... Elle n'est en tout cas pas à mon sens à la hauteur des fabuleuses idées que l'on y trouve, déjà exploitées ou préparées dans le décidément très bon L'Ivresse des providers...

 

Pour toutes ces raisons, Merlin l'ange chanteur est à mes yeux plutôt raté... Cela dit, tout est relatif : cela reste un roman de Catherine Dufour. Et donc ça se lit fort bien, la plume si savoureuse de l'auteur y étant pour beaucoup. Il n'en reste pas moins que ce roman m'a déçu, et est clairement à mon sens le moins intéressant des quatre. Et le très bon L'Immortalité moins six minutes, qui suit immédiatement, en témoigne pour le moins.

Petite déception, donc, mais qui ne m'empêche pas d'attendre un éventuel tome – 1 avec impatience.

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"Bifrost", n° 55. "Spécial Roger Zelazny"

Publié le par Nébal

 

Bifrost, n° 55. Spécial Roger Zelazny, Saint Mammès, Le Bélial’, juillet 2009, 174 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse, et me contenter de rappeler que s’y trouvent six de mes comptes rendus : La Mémoire du crime de Jacques Barbéri (pp. 61-62), This is not America et La Maison aux fenêtres de papier de Thomas Day (pp. 67-69), Gagner la guerre de Jean-Philippe Jaworski (pp. 78-80), Des choses fragiles de Neil Gaiman (pp. 92-93) et Le Bouclier du temps de Poul Anderson (pp. 97-99).

 

 

Hop.

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"Melancholia", de Ryû Murakami

Publié le par Nébal

 

MURAKAMI (Ryû), Melancholia, [Melancholia], traduit du japonais par Sylvain Cardonnel, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier poche, [1996, 2003] 2007, 303 p.

 

Bon, allez, c’est pas tout ça, mais c'est que j’ai pris du retard, moi, après un mois parisien bien rempli et une semaine de pouponnage intensif dans le Vercors… Allez, hop, c’est reparti.

 

« Monologues sur le plaisir, la lassitude et la mort », tome 2, après le franchement pas bon Ecstasy.

 

On va la faire très brève, parce que ça n'en mérite pas davantage. Melancholia est en effet à peine moins mauvais que son prédécesseur...

 

Cette fois-ci, c'est Yazaki seul qui monologue, en confiant à la jeune journaliste Michiko « pourquoi » il est devenu SDF dans le Bowery. Enfin, en principe, hein.

 

Ce n'est en effet qu'un prétexte léger à une enfilade de digressions sans le moindre intérêt, pour donner au final la fâcheuse impression d'un « roman » écrit à la mitrailleuse, dans lequel il ne se passe strictement rien. Seul soulagement dans cette « histoire » dédiée à la lassitude : Murakami semble moins désireux d'y choquer le bourgeois.

 

Reste que c'est chiant comme la pluie, et que l'intérêt m'échappe pour le moins...

Je doute que l'ultime volet, Thanatos, redresse véritablement la barre, mais on verra bien... En attendant, je crois de plus en plus que Ryû Murakami n'est décidément pas fait pour me plaire...

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"Le Bouclier du temps", de Poul Anderson

Publié le par Nébal

 

ANDERSON (Poul), Le Bouclier du temps, [The Shield of Time], avant-propos de Jean-Daniel Brèque, postface de Xavier Mauméjean, traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Saint Mammès, Le Bélial’, [1990, 1995, 2001, 2005] 2009, 512 p.

 

Ma chronique de ce dernier tome du cycle de « La Patrouille du temps » se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 97-99).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Enfin ! On aura mis le temps (aha), mais, avec la publication de ce Bouclier du temps, le cycle, majeur, de « la Patrouille du temps » est enfin disponible intégralement en français. Louons donc le Bélial’ et Jean-Daniel Brèque pour leur édition de ce monument de la science-fiction, très justement récompensée aux dernières Utopiales. Une injustice est réparée, et le lecteur français ne saurait s’en plaindre.

 

 Poul Anderson est régulièrement revenu sur ce cycle pendant une quarantaine d’années, ce qui suffit déjà à lui conférer un caractère exceptionnel ; à bien des égards, « la Patrouille du temps » est l’œuvre d’une vie. Rappelons-en l’essentiel : Manse Everard, Américain du XXe siècle, passe un jour une série d’entretiens mystérieux qui l’amènent à intégrer la Patrouille du temps. L’institution a été fondée par nos lointains descendants post-humains, les Danelliens, après la découverte du voyage dans le temps, afin de lutter contre l’éventualité de toute modification de l’histoire susceptible d’empêcher leur apparition. Manse Everard devient bien vite un agent non-attaché, et remplit bien des missions à travers le temps, mais essentiellement dans notre passé, qu’il s’agit pour lui de préserver. « La Patrouille du temps », ainsi, est avant tout un cycle prenant l’histoire pour base : si les paradoxes du voyage dans le temps sont bien entendu régulièrement évoqués, l’essentiel est bien, cependant, de faire vivre à Manse Everard et à ses collègues de palpitantes aventures dans le passé, appuyées généralement sur une solide documentation (quand bien même on peut renâcler ici ou là devant quelques simplifications abusives, ou, en sens inverse, devant le didactisme « old school » de certaines aventures – c’est tout aussi vrai pour ce dernier volume).

 

 Le Bouclier du temps, dernier récit de la Patrouille, est un long roman, le plus long texte que Poul Anderson ait consacré à ce thème. Et il se pose très vite en apothéose en forme de bilan, recoupant tous les principaux éléments du cycle. Il est cependant possible de le découper en trois parties, reliées par de brèves séquences de transition.

 

 Dans la première, « Les femmes et les chevaux, le pouvoir et la guerre », on retrouve le versant le plus aventureux du cycle : Manse Everard y poursuit en effet la lutte (entamée dans les deux précédents volumes) contre les Exaltationnistes, sortes de terroristes temporels, cette fois dans la Bactriane du IIIe siècle av. J.-C., un cadre superbe et brillamment utilisé.

 

Dans la deuxième partie, « Béringie », prenant pour cadre une terre préhistorique depuis longtemps disparue, nous suivons cette fois Wanda May Tamberly, la charmante jeune fille dont on avait pu faire la rencontre essentiellement dans L’Année de la rançon, roman destiné à la jeunesse repris dans le troisième volume du cycle. Pourtant, il ne s’agit pas cette fois d’une aventure débridée : avec cette très belle séquence, où le dilemme posé par les interventions de la Patrouille ressurgit, Poul Anderson explore à nouveau avec talent le versant le plus intimiste et psychologique de « la Patrouille du temps », celui du chef-d’œuvre « Le Chagrin d’Odin le Goth » (tome 2) et de Stella Maris (tome 3).

 

Enfin, la troisième partie, « Stupor Mundi », réunit Manse Everard et Wanda May Tamberly pour une saisissante variation de « L’Autre Univers » (tome 1) : l’histoire a été modifiée, suscitant l’apparition d’un futur uchronique. Il s’agit dès lors pour nos héros de rétablir l’histoire telle que nous la connaissons, le point de divergence se situant en Sicile au XIIe siècle ; mais cela s’annonce plus difficile que jamais, à tous les points de vue… et peut-être, tout simplement, vain, l’entropie étant de la partie.

 

Les amateurs ne seront pas déçus du voyage : on retrouve bien dans Le Bouclier du temps tout ce qui faisait la saveur des trois précédents volumes. Poul Anderson, quand bien même il sombre parfois dans le travers du didactisme – mais ces passages se lisent malgré tout fort bien –, nous rappelle ici qu’il était un conteur d’exception. Et si ce dernier roman n’atteint pas la perfection du « Chagrin d’Odin le Goth », si l’on peut bien en critiquer quelques aspects (la lourdeur des passages amoureux, s’il ne fallait en citer qu’un), il ne s’en révèle pas moins efficace et passionnant. L’auteur y fait preuve d’une maestria tout à fait remarquable dans l’usage du thème classique du voyage dans le temps, multipliant les sauts en arrière et en avant sans jamais perdre le lecteur pour autant, ni achopper sur l’écueil des paradoxes insurmontables. Poul Anderson rassemble ici tous les éléments de son cycle, dont la cohérence éclate au grand jour, tout en en révélant de nouveaux aspects plus ou moins perceptibles jusqu’alors : on ne saurait imaginer meilleure conclusion au cycle.

 

Ajoutons que la traduction de Jean-Daniel Brèque est comme il se doit irréprochable, et que cette édition se voit complétée par une intéressante postface de Xavier Mauméjean. Les lecteurs des trois premiers tomes ne sauraient donc faire l’impasse sur ce dernier volume ; quant aux autres, on ne saurait trop les engager à la lecture de ce cycle majeur de la science-fiction. Il est heureux que les lecteurs français puissent enfin redécouvrir aujourd’hui l’œuvre de cet immense auteur du genre, et l’on ne peut que souhaiter de nouvelles parutions de semblable qualité.

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"Des choses fragiles", de Neil Gaiman

Publié le par Nébal


GAIMAN (Neil), Des choses fragiles. Nouvelles et merveilles
, [Fragile Things], traduit de l’anglais par Michel Pagel, Vauvert, Au Diable Vauvert, [2006] 2009, 490 p.

 

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 92-93).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Après l’indispensable Miroirs et fumée, Neil Gaiman, que l’on ne présente plus, nous revient aujourd’hui avec un second recueil de nouvelles, poèmes et autres expérimentations diverses et variées, dont bon nombre de textes primés. Et l’auteur britannique, à n’en pas douter, a choisi pour son ouvrage à la fois dense et volumineux le meilleur des titres. Ce sont bien, en effet, « des choses fragiles » que ces trente-deux textes de taille variable, et bien souvent des « merveilles ». Une succession d’instants précieux, de petites histoires enchâssées les unes dans les autres, de fragments plus ou moins hermétiques, de saynètes tantôt drôles, tantôt cauchemardesques, alternant gravité et légèreté, quelque part entre l’enfance de tous les possibles et les tristes réalités de l’âge adulte. Des petits bijoux, camées fourmillant de détails, gravés avec délicatesse et méticulosité. La confirmation, s’il en était besoin, de l’art de l’auteur, tout particulièrement pour ce qui est de la forme courte.

 

 Difficile, ceci étant, d’en dire beaucoup plus : dans bien des cas, en dire quelques mots, c’est déjà en dire trop. Et détailler par le menu ce recueil confinerait à l’absurde…

 

 Il faudra donc bien se contenter ici d’impressions, de survol, de souvenirs plus particulièrement saillants : évoquer par exemple la confrontation des univers de Lovecraft et de Conan Doyle dans « Une étude en vert », la nouvelle qui ouvre ce recueil (prix Hugo 2004).

 

Ou mentionner parallèlement la novella (on préférera ce terme à celui de « court roman » employé un peu abusivement par la quatrième de couverture…) intitulée « Le Monarque de la vallée », qui clôt le volume et rappelle à notre bon souvenir Ombre, le héros du roman sur-primé American Gods ; Ombre, qui y est amené à participer à d’étranges festivités au cœur de l’Écosse la plus embrumée et la moins touristique, où il croisera les inquiétants et fascinants personnages que sont Smith et son employeur M. Alice, que l’on avait déjà suivis auparavant dans « Souvenirs et trésors », une nouvelle particulièrement glauque.

 

C’est qu’il y eut, entre temps, bien des « nouvelles et merveilles », expérimentations plus ou moins anecdotiques, poèmes épars, et, surtout, petits bijoux de nouvelles. « La Présidence d’Octobre », par exemple (prix Locus 2003) ; ou « Amères moutures » et ses filles-café ; ou « Les bons garçons méritent des récompenses » et son merveilleux souvenir d’enfance ; ou encore « L’Oiseau-soleil », avec ses fins gourmets en quête du plus précieux des repas… Mais on pourrait en citer encore bien d’autres : « La Vérité sur le cas du départ de Mlle Finch », « Comment parler aux filles pendant les fêtes »…

 

Il y eut aussi, régulièrement, des univers accaparés et/ou revisités (dont, dans un sens, celui de Matrix, avec « Goliath »), des histoires et archétypes renouvelés, de Boucles d’or à Arlequin. Un texte de jeunesse au titre à coucher dehors, également (« Les Épouses interdites des esclaves sans visage dans le manoir secret de la nuit du désir redoutable »). Et nombre de bizarreries souvent savoureuses, et en tout cas largement rétives à la classification comme au commentaire.

 

Bien des choses, tout ce qui, en somme, fait de Neil Gaiman un des meilleurs auteurs du genre, a fortiori en tant que nouvelliste. Ce n’est sûrement pas un hasard si le volume est dédié à Ray Bradbury, Harlan Ellison et Robert Scheckley, « grands maîtres de l’art ». Et le fait est qu’il se montre ici à son meilleur, particulièrement convaincant quand il se livre au travail de précision. Des choses fragiles le confirme, s’il en était encore besoin après Miroirs et fumée : Neil Gaiman est bel et bien un des meilleurs nouvellistes de sa génération.

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"Gagner la guerre", de Jean-Philippe Jaworski

Publié le par Nébal


JAWORSKI (Jean-Philippe), Gagner la guerre. Récit du Vieux Royaume
, Lyon, Les Moutons électriques, coll. La Bibliothèque voltaïque, 2009, 684 p.

 

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 78-80).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
 

 

EDIT : Hop :

 

 Jean-Philippe Jaworski avait gagné le prix du Cafard cosmique 2008 pour son premier ouvrage, Janua Vera, excellent recueil de nouvelles de fantasy réaliste publié aux Moutons électriques (et récemment repris en Folio SF). Le volume, d’une richesse impressionnante et d’une qualité d’écriture remarquable pour une première parution, nous contait avec brio quelques récits du Vieux Royaume, un univers puisant avec talent dans l’Europe médiévale et de la Renaissance, qui autorisait bien des développements ultérieurs. Et c’est avec un plaisir certain que l’on retrouve aujourd’hui, avec Gagner la guerre, ce cadre fascinant et, mieux encore, un héros singulier et attachant en la personne de Don Benvenuto Gesufal, assassin de son état, superbe fripouille que l’on avait déjà eu l’occasion de suivre dans la longue nouvelle intitulée « Mauvaise Donne », dont le roman constitue bien une suite (quand bien même il se lit parfaitement de manière indépendante).

 

 Et pour son premier roman, raconté à la première personne par ladite canaille, Jean-Philippe Jaworski et les Moutons électriques ont vu les choses en grand : Gagner la guerre est un énorme pavé de près de 700 pages denses et resserrées ; pas exactement le genre de roman que l’on plie en une soirée… Notons au passage que c’est un très bel objet, orné d’une superbe couverture d’Arnaud Cremet… mais qu’il n’est guère d’un maniement aisé.

 

 Nous y retrouvons le très beau cadre de Ciudalia, Cité-État faisant irrésistiblement penser à Venise, et plus largement à l’Italie de la Renaissance, celle de Machiavel et de Guichardin, avec quelques emprunts à la Rome antique à l’occasion. Il s’agit bien d’un monde de fantasy, mais notons d’ores et déjà que, de même que dans Janua Vera, le surnaturel et le fantastique y sont rares ; les sorciers, s’il y en a, ne courent pas les rues ; quand aux elfes et aux nains, s’ils existent, ils sont peu nombreux et on ne les évoque qu’en passant, ou presque. Gagner la guerre relève de la fantasy la plus réaliste, et aussi, d’une certaine manière, de la « fantasy de mœurs », à l’instar du très bon À la pointe de l’épée d’Ellen Kushner.

 

Mais posons le point de départ. Depuis « Mauvaise Donne », Don Benvenuto est devenu l’assassin personnel et le chef des renseignements de la plus puissante autorité politique de Ciudalia, le podestat Leonide Ducatore. Belle ascension, pour cet homme de la plus basse extraction. Alors que Ciudalia vient de remporter une victoire décisive dans la guerre contre Ressine (royaume qui évoque tout naturellement l’Empire ottoman, quand bien même son « Sublime Souverain » porte le titre persan de Chah), Don Benvenuto, qui n’a guère le pied marin, se voit confier une mission de la plus haute importance… Mais l’on n’en dira pas davantage, de peur de déflorer prématurément l’intrigue haute en couleurs et riche en rebondissements de ce passionnant pavé…

 

Les complots politiques capillotractés abondent en effet tout au long de ce roman exigeant mais irrésistiblement prenant ; c’est qu’il s’agit, au-delà des seules batailles navales, de gagner enfin la guerre contre Ressine, mais aussi celle, plus feutrée en apparence, qui sévit à Ciudalia même, entre les différentes familles sénatoriales, désireuses de s’emparer du pouvoir suprême. Bref, Don Benvenuto, l’assassin devenu peu ou prou personnage public, aura du pain sur la planche, et les ennuis ne cesseront de l’accabler ; il est vrai que ce zélé serviteur, le cas échéant, ferait un bouc émissaire adéquat…

 

Si la trame est d’une complexité rare, elle reste cependant toujours lisible, servie par le style à la fois coloré et fluide de l’auteur, qui fait preuve d’une maîtrise impressionnante pour un premier roman. En effet, si l’on peut bien tiquer ici ou là sur quelques brutaux changements de registre (les insultes et jurons, notamment, sonnent très « modernes », ce que l’on peut regretter), la plume de Jean-Philippe Jaworski est le plus souvent délicieuse de cynisme et d’efficacité, et emporte facilement le lecteur dans son univers intriguant et dans les ramifications les plus obscures de la politique ciudalienne. Les morceaux de bravoure, par ailleurs, ne manquent pas, et l’auteur se montre aussi à l’aise dans les scènes d’action débridées que dans les tractations politiques les plus complexes, dans les descriptions savoureuses que dans les méditations introspectives.

 

Quel plaisir, enfin, de lire un pavé de fantasy dans lequel rien, absolument rien, ne se montre gratuit ! Là où la mode est hélas à la « big commercial fantasy » s’étendant sur des tomes et des tomes en dilatant excessivement l’action et en faisant du tirage à la ligne un art, Jean-Philippe Jaworski, pour sa part, nous livre en un roman unique et prenant (à peine si l’on peut noter une brève baisse de régime passée environ la moitié du récit) une saga entière dans laquelle rien n’est laissé au hasard, et tout se trouve à sa juste place (presque trop, à la limite…). Impossible de s’ennuyer dans ce pavé, qui demande – mais obtient sans souci – une concentration de tous les instants. L’auteur a su puiser aux meilleures sources de la fantasy et du roman-feuilleton une puissance et une efficacité narratives tout simplement bluffantes.

 

On peut bien le dire : avec Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a passé haut la main la délicate épreuve du passage au premier roman. Surpassant toutes les attentes, pourtant élevées, que l’on pouvait placer en lui depuis Janua Vera, il nous fournit tout simplement, et de loin, un des meilleurs romans de ce début d’année 2009. Aussi ne saurait-on véritablement le qualifier, comme il est d’usage, d’auteur « prometteur » : avec Janua Vera et Gagner la guerre, Jean-Philippe Jaworski a déjà tenu bien des promesses, et se pose d’entrée de jeu comme l’un des meilleurs auteurs français de fantasy à l’heure actuelle. Rien de moins, et peut-être plus encore.

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"La Maison aux fenêtres de papier", de Thomas Day

Publié le par Nébal


DAY (Thomas), La Maison aux fenêtres de papier. Hommage à Fukasaku Kinji, Takashi Miike & Quentin Tarantino
, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, 2009, 307 p.

 

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 67-69), dans un Focus où je reparle également de This is not America.

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop :

 

 Actualité chargée, en ce début 2009, pour notre éminent collaborateur Thomas Day. Deux ouvrages ont en effet tout récemment enrichi sa bibliographie, le court recueil de nouvelles This is not America, publié par ActuSF dans sa décidément sympathique collection des Trois Souhaits, et le roman La Maison aux fenêtres de papier, publié – une fois n’est pas coutume, mais la coutume est régulièrement violée (elle aussi) – directement en poche en Folio Science-fiction. Deux ouvrages très différents, donc, et présentant diverses facettes d’un auteur qui, on le sait, a plus d’un tour dans son sac ; mais deux publications finalement très proches, revendiquant toutes deux l’influence de Quentin Tarantino (pas forcément pour ce qu’il a fait de mieux, d’ailleurs), au milieu d’autres références plus ou moins cryptiques, et marquées par un goût prononcé pour le voyage et l’exotisme.

 

Ce qui est petit étant joli, commençons donc par évoquer This is not America. Derrière ce titre musical et connoté (une habitude ?) se cachent trois nouvelles dépeignant une Amérique « qui n’est tellement plus elle-même qu’on a déjà l’impression de la connaître », pour citer la belle formule de la quatrième de couverture. Nul anti-américanisme de bas étage à craindre pour autant : ce qui intéresse ici Thomas Day, c’est le rêve américain, avec ses idoles et ses tares, trituré jusqu’à la moelle par un auteur qui connaît son sujet.

 

Le recueil s’ouvre sur « Cette année-là, l’hiver commença le 22 novembre », nouvelle façon road movie qui nous explique à demi-mots ce qui s’est vraiment passé le 22 novembre 1963 à Dallas, en jouant plus ou moins sérieusement de l’inévitable histoire secrète, avec des vrais morceaux de l’inévitable théorie du complot. Un texte rondement mené, palpitant de bout en bout et d’une efficacité certaine. Dommage, toutefois – mais cela faisait évidemment partie du jeu – qu’on ait plus ou moins déjà lu ça cent fois…

 

 On y préférera sans doute « American Drug Trip », nouvelle burlesque et déjantée reposant sur une variation dickienne à base d’univers parallèles, avec plein de choses réjouissantes et improbables dedans. Une autre vision de l’Amérique, effectivement, bourrée de références et pour le moins jubilatoire. Probablement le meilleur texte de ce bref recueil.

 

 La dernière nouvelle, « Éloge du sacrifice », est plus grave en apparence – s’y pose un terrible dilemme –, mais les références, et plus largement les bonnes idées, abondent à nouveau – on notera au passage quelques très belles scènes de bataille… tout en regrettant, peut-être, que la nouvelle se montre un peu artificielle et n’aille pas forcément jusqu’au bout de ses idées, le tout pouvant laisser un brin perplexe.

 

 Mais au final, This is not America est incontestablement un agréable petit recueil, savoureux et efficace. Rien de transcendant, mais le fait est que cela se lit tout seul, et qu’on en redemande volontiers.

 

 Ça tombe bien, La Maison aux fenêtres de papiers est là pour ça. Sous une belle couverture de Daylon, Thomas Day y retrouve son Japon chéri après La Voie du sabre et L’Homme qui voulait tuer l’Empereur (également chez Folio-SF), mais versant contemporain, cette fois. Le sous-titre est parlant : « Hommage à Fukasaku Kinji, Takashi Miike et Quentin Tarantino ». L’influence des trois réalisateurs se sent en effet dans cette histoire débordant de yakuzas, de giclées d’hémoglobine et de sodomie à sec (pas de doute, on lit bien du Thomas Day). Mais on pourrait également y rajouter Takeshi Kitano, largement cité dans la filmographie en fin de volume, et dont l’influence se retrouve essentiellement dans de très réjouissants intermèdes ludiques (« paroles de yakuzas ») évoquant furieusement Sonatine (surtout), Hana-Bi et Aniki. Plein de bonnes choses, donc, et un programme tout ce qu’il y a d’attrayant.

 

L’essentiel de l’histoire repose sur la rivalité entre deux puissants clans de yakuzas, dirigés par deux frères, deux démons nés des cendres d’Hiroshima et de Nagasaki. Le chef du clan Nagasaki a élevé à sa manière (pour le moins rude) la troublante Sadako, une femme-panthère muée en irrésistible machine à tuer. Un jour, cependant, la destinée déjà étonnante de la jeune femme prend un brusque virage, quand Nagasaki Oni lui confie la terrible Oni No Shi, une épée légendaire et tueuse de démons. Un héritage difficile à porter et qui, très vite, jouera son rôle dans la guerre impitoyable que se livreront les deux clans yakuzas.

 

Cette fantasy urbaine crue et violente nous vaut un roman d’action efficace de bout en bout, et tout à fait distrayant. L’hommage est réussi, et les amateurs ne pourront que s’en trouver comblés. Mais le meilleur ne réside pourtant peut-être pas dans cet aspect du roman, qui n’est par ailleurs pas exempt de menus défauts : on peut ainsi regretter que cette trame, outre son côté passablement bourrin, se montre parfois un peu trop didactique, et que les éléments relevant proprement de l’imaginaire donnent en fin de compte une impression d’artifice, voire de superflu.

 

Mais l’aventure de Sadako est encadrée par un prologue et un épilogue cambodgiens narrant, le premier du point de vue de Nagasaki Oni, le dernier de celui de son frère démoniaque, les origines de l’Oni No Shi. Ce qui nous donne, dans un sens, deux nouvelles de fantasy à la fois plus classiques de par leur côté « archaïque », et plus étonnantes et séduisantes en raison de leur cadre original, entourant le récit contemporain. La plume de l’auteur s’y fait plus fine, plus travaillée, sans que le récit ne s’en trouve édulcoré pour autant. Il s’en dégage une belle puissance narrative et un souffle remarquable, qui rendent cette Maison aux fenêtres de papier plus convaincante encore.

 

En somme, Thomas Day nous a gâtés avec ces deux ouvrages, certes pas parfaits, mais témoignant assurément tant du talent de l’auteur que de la cohérence dans la variété de son œuvre.

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"La Mémoire du crime", de Jacques Barbéri

Publié le par Nébal

 

BARBÉRI (Jacques), La Mémoire du crime, [s.l.], La Volte, 2009, 189 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 55 (pp. 61-62).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…
 

 

EDIT : Hop :

 

 Après les excellents Narcose et L’Homme qui parlait aux araignées, La Volte réédite aujourd’hui La Mémoire du crime, deuxième volet de la trilogie « Narcose » (mais lisible de manière indépendante, il ne s’agit pas d’une suite, quand bien même on trouvera quelques passerelles ici ou là) précédemment publié en 1992 dans la défunte collection Présence du futur, en attendant un troisième opus – inédit, cette fois – pour l’année prochaine, au titre éminemment dickien de Le Tueur venu du Centaure. On en salive d’avance.

 

 En attendant, La Mémoire du crime nous replonge dans l’univers déjanté de Narcose, la ville-sphère improbable. Nous y faisons la connaissance d’Harry Botkine, rodéomane de son état : au court de « concerts », il synthétise des œuvres littéraires sous forme chimique, pour redistribuer le résultat à ses fans sous perfusion collective. Une idée folle et géniale, typiquement barbérienne…

 

Et de manière tout aussi délicieusement barbérienne, le roman débute sur les chapeaux de roue, quand Harry se voit livrer chez lui le cadavre de sa compagne Pricilla Rosetawer, enrobée dans un cocon semblable à de la toile d’araignée (ce qui, là encore, est une obsession typique de l’auteur, qui nous réserve plein d’utilisations saugrenues des horribles bestioles dans son roman). Le cadavre se liquéfie rapidement, et Harry panique : craignant d’être accusé du meurtre, il nettoie tout trace de la défunte et du mystérieux cocon.

 

Mais la curiosité le tenaille, et il se lance bientôt dans une enquête, dans l’Extrados et en-dessous, afin de déterminer qui a tué Pricilla, et pourquoi. Une enquête plutôt maladroite, cela dit : Harry est pour le moins paumé, largement dépassé par les événements, et accumule les gaffes… Mais les éléments commencent à lui tomber dans le bec, les femmes fatales se multiplient… et les cadavres se ramassent à la pelle.

 

La Mémoire du crime est un roman dans l’ensemble bien plus sage que Narcose : là où ce dernier, suivant un train d’enfer totalement maniaque, nageait en permanence dans la folie furieuse, La Mémoire du crime, moins fou et nettement moins dickien, quand bien même il partage nombre d’aspects avec son illustre prédécesseur, suit un rythme plus classique d’enquête policière, avec un loser pour enquêteur. C’est un peu frustrant…

 

Car, quand Barbéri se lâche, c’est toujours aussi jouissif : l’art du rodéomane, la demeure d’Esméralda, l’ingénierie génétique à base d’araignées, et, partout, tout le temps, les plastitêtes en folie et les verres de scotch-benzédrine… Un vrai bonheur. Servi comme il se doit par une plume dense et efficace, saturée pour notre plus grand plaisir de néologismes et de mots-valises en pagaille. Pas de doute : Barbéri a une voix, unique dans la SF française, et immédiatement reconnaissable.

 

Ici, cependant, il ne se montre pas aussi convaincant que dans Narcose ou L’Homme qui parlait aux araignées. La folie est longtemps retenue et, si l’on ne s’ennuie pas à la lecture de cette Mémoire du crime, on ne retrouve pas pour autant la même passion que dans les ouvrages précités. Barbéri s’amuse avec les codes du polar, et c’est la plupart du temps savoureux, mais parfois beaucoup moins ; en parallèle, le roman est truffé de saynètes érotiques pas forcément indispensables, et dans l’ensemble peu convaincantes…

 

Dommage. Car, passée la moitié du (court) roman environ, après nous avoir baladés de témoins en suspects de manière très « compréhensible », Barbéri ouvre de nouveau les vannes, et c’est avec délice que l’on se laisse emporter dans les flots furibonds du Grand N’importe Quoi, jusqu’à un final en forme d’apothéose. Ici l’on retrouve Narcose, et l’influence dickienne (le questionnement de l’identité et de la réalité), qui était beaucoup moins sensible dans les cent premières pages.

 

La Mémoire du crime est un bon roman, pas de doute à ce sujet. Mais il est quand même un bon cran, sinon deux, en-dessous de Narcose, dont il contient peut-être trop longtemps l’imagination débridée et déjantée qui en faisait une bonne partie de la saveur. Reste un bon polar SF, servi par une plume audacieuse et réjouissante. De quoi patienter en attendant Le Tueur venu du Centaure

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