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La nécro du jour (17)

Publié le par Nébal

 

John Barry est décédé ce lundi matin à l'âge de 77 ans. On lui doit bon nombre de fameuses musiques de films et de séries télévisées, les plus célèbres étant bien sûr celles qu'il a composées pour James Bond et Amicalement vôtre. Mais il y en a eu bien d'autres... Je crois que ça méritait bien une petite mention ici. Alors RIP, comme on dit chez les croyants.

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"L'Homme Squelette", de Tony Hillerman

Publié le par Nébal

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HILLERMAN (Tony), L’Homme Squelette, [Skeleton Man], traduit de l’anglais (États-Unis) par Danièle et Pierre Bondil, Paris, Payot & Rivages, coll. Noir, [2004, 2006] 2008, 289 p.

 

Je dois me rendre à l’évidence : si Blaireau se cache n’avait en soi rien d’un roman extraordinaire, il a cependant fait plus qu’attiser ma curiosité. Aussi, quand l’occasion s’est présentée de lire d’autres enquêtes de Joe Leaphorn et Jim Chee, je n’ai guère hésité, quand bien même j’ai pris ce qui m’est tombé sous la main, là où, semble-t-il, il serait plutôt recommandé, même si chaque volume est indépendant et s’ils ont été publiés en français dans le désordre, de les lire dans l’ordre chronologique.

 

Pourquoi continuer, et aussi vite ? Deux raisons à cela : tout d’abord, le fait est que ça se lit bien, et que c’est pour le moins addictif. Mais, surtout, plus j’y pense, et plus je me dis que le nom de Tony Hillerman et les titres de certains de ses romans (je pense notamment à Là où dansent les morts, que je me suis procuré immédiatement après celui-ci, et qui est le deuxième roman de la série) ne m’étaient pas inconnus : je suis en effet à peu près persuadé qu’ils figuraient dans les conseils de lecture que nous avaient donnés notre (excellent) professeur d’ethnologie juridique lors de ma première année de DEUG Droit (ça remonte…), comme de bons exemples d’introductions ludiques à l’ethnologie…

 

Et si cette dimension était déjà assez marquée dans Blaireau se cache, elle l’est encore plus dans L’Homme Squelette, pour mon plus grand plaisir. Par contre, je ne qualifierai pas ce roman de polar, ou à peine : l’intrigue policière est en effet très limitée, et le lecteur, à la différence des personnages, qui naviguent dans le brouillard (façon de parler…), a rapidement toutes les clés en main ; on parlera plutôt de thriller, ce qui n’est d’habitude guère pour me plaire, voire de survival (si) pour la deuxième partie du roman – et ça, ça me parle déjà beaucoup plus.

 

Le roman se veut une illustration de la « croyance navajo en l’interconnexion universelle des choses » (p. 13), que l’on peut présenter ainsi (p. 14) :

 

« Un vent chaud et violent fatigue les oiseaux qui s’arrêtent de voler. Il y en a un de trop qui se pose sur la branche. Elle casse, tombe dans la rivière dont elle dévie le cours. Le courant sape la berge, provoque un glissement de terrain qui obstrue le lit, inonde la vallée, modifie la flore, ce qui, par voie de conséquence, modifie la faune, et les peuplades qui subsistaient grâce à la chasse aux cervidés sont contraintes d’émigrer. Quand on réfléchit en revenant au point de départ de tout ça, on peut en attribuer la responsabilité au vent. »

 

C’est ainsi que l’affaire criminelle au centre de L’Homme Squelette, qui prend place de nos jours, trouve son origine dans une catastrophe aérienne (authentique, de même que le fait divers qui a inspiré Blaireau se cache) qui a eu lieu un demi-siècle plus tôt, le 30 juin 1956, quand deux avions sont entrés en collision au-dessus du Grand Canyon ; ce fut la pire catastrophe aérienne de son temps, il n’y eut aucun survivant. Et l’événement influença les légendes locales, créant de nouveaux mythes…

 

Presque cinquante ans plus tard, un jeune Indien Hopi un peu simplet, Billy Tuve, par ailleurs cousin de Cowboy Dashee, se pointe l’air de rien chez un prêteur sur gage de Gallup et échange un diamant… contre 20 dollars. Le directeur de l’établissement, intrigué, fait estimer la pierre : elle en vaut 20 000 ! Or a eu lieu peu auparavant un braquage dans une bijouterie, qui a mal tourné, et qui a fait une victime : Billy Tuve est immédiatement suspecté et arrêté. Mais il clame son innocence : il prétend en effet que le diamant – qu’il pensait être un faux – lui a été donné en échange... d’une pelle par un mystérieux Indien vivant au fond du Grand Canyon… Alibi plus que douteux. Mais Cowboy Dashee est persuadé de l’innocence de son cousin, et entend bien la démontrer, avec l’aide de son ami Navajo Jim Chee, par ailleurs sur le point d’épouser (enfin !) Bernie Manuelito.

 

Quant au Légendaire Lieutenant Joe Leaphorn, retraité, il est également mis au courant de l’affaire ; et, lors d’une superbe scène à l’ambiance quasi fantastique, on lui fait un récit qui n’est pas sans évoquer celui du simplet Billy Tuve… Y aurait-il un Indien qui distribuerait des diamants au fin fond du Grand Canyon ? Et l’ethnologue Louisa Bourebonette d’évoquer les mythes Hopis et leurs « transformations » après la catastrophe de 1956 : tout cela aurait-il un lien avec le culte de Masaw, l’Homme Squelette, celui qui a appris aux Hopis, à l’origine des temps, à ne pas craindre la mort… et qui, à certains égards, l’incarne ?

 

Oui, il y a bel et bien des diamants au fond du Grand Canyon ; des diamants, dans une mallette, attachée à un bras gauche déchiqueté… que deux partis se disputent dans une impitoyable et complexe querelle successorale. Joanna Craig, la fille du défunt, entend bien retrouver ce bras, afin d’établir sa filiation et de récupérer son héritage, spolié par une peu scrupuleuse fondation prétendument caritative ; Chandler, une sorte de détective retors employé par cette fondation, est chargé de l’en empêcher par tous les moyens, et mettrait volontiers la main sur les diamants ; tandis que ces derniers seraient le seul moyen, pour Jim Chee, Cowboy Dashee et Bernie Manuelito, d’innocenter Billy Tuve.

 

Et tout ce beau monde de prendre la direction du Grand Canyon, complètement ignorant des intentions des autres, pour une excursion qui ne s’annonce pas exactement sous les meilleurs auspices, tandis que plane sur leur tête l’ombre énigmatique de l’Homme Squelette, et que le tonnerre gronde…

 

Si l’intrigue « policière » est un peu convenue (j'en ai dit beaucoup, certes, mais je ne crois pas que l'on puisse parler de spoilers pour autant : toutes ces révélations arrivent ou se devinent très vite), force est de reconnaître que tout cela fonctionne très bien, comme une mécanique bien huilée. Tony Hillerman a un réel don pour happer le lecteur, avec son style sobre, allant à l’essentiel, et sait tirer au mieux parti de ses atouts, que ce soit dans l’élaboration de personnages solides et bien caractérisés (Leaphorn est en retrait, mais ses apparitions sont toujours un plaisir, et sa scène avec Shorty McGinnis est d’anthologie), ou dans l’évocation détaillée et réaliste des décors sublimes des « Four Corners » – ici, le Grand Canyon, faut dire… Il sait par ailleurs, à l’occasion – vers la fin du roman, ici – faire preuve d’un vrai talent pour le suspense, sans trop user des gimmicks propres aux thrillers, ce qui est assez remarquable.

 

Mais c’est bien évidemment l’aspect ethnologique de L’Homme Squelette qui, d’un divertissement simplement sympathique, fait un roman tout à fait recommandable. Les nombreux éléments se rapportant, ici, essentiellement à la religion, et principalement aux mythes Hopis, sont passionnants, et ne font jamais l’effet de digressions arrivant comme un cheveu sur la soupe : bien au contraire, elles s’imbriquent avec une grande finesse et un indéniable naturel dans l’intrigue. Nul didactisme n’est à craindre, du coup. Enfin, la réflexion sur les transformations incessantes des mythes, encore de nos jours – ici notamment du fait de la catastrophe aérienne de 1956 – sont tout à fait saisissantes et du plus grand intérêt.

 

 Au final, L’Homme Squelette, sans être encore le grand roman que j’attends de la part de Tony Hillerman, se révèle à mes yeux bien plus concluant que Blaireau se cache. Je crois bien avoir chopé le virus… Et je sens que ma lecture prochaine de Là où dansent les morts, qu’on m’a vanté (et dont je suis donc à peu près certain d’avoir déjà entendu parler, pour le plus grand bien), ne va rien arranger à l’affaire. Misère…

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"Mister B. Gone", de Clive Barker

Publié le par Nébal

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BARKER (Clive), Mister B. Gone, London, Harper Collins, coll. Voyager, 2007, 248 p.

 

Inutile, sans doute, de revenir ici sur la présentation de Clive Barker. Vous avez nécessairement entendu parler d’Hellraiser, d’Imajica, des Livres de sang… et sur ce blog j’avais eu l’occasion de vous entretenir, en littérature, de Cabale, et, au cinéma, du Maître des illusions. Autant dire qu’en matière d’horreur et de fantastique le sieur Barker se pose là, ayant sa place bien particulière et sa patte immédiatement identifiable au sein du tiercé de tête des écrivains de terreur que j’aurais tendance à pronostiquer, et à composer à ses côtés de Stephen King (of course) et Dan Simmons.

 

Avec Mister B. Gone, je vais aujourd’hui vous entretenir plus précisément de son « long awaited return […] to the classic horror story ».

 

 

Enfin, ça, c’est ce que dit la quatrième de couverture, mais on aura vite l’occasion de se rendre compte que c’est des craques.

 

Non. Ce que l’on peut en dire plus objectivement, par contre, c’est qu’il s’agit de sa dernière publication française, puisque ce Mister B. Gone a été traduit il y a à peine un peu plus d’un an sous le titre assez peu compréhensible et qui lâche un peu trop le morceau de Jakabok : le démon de Gutenberg, en Denoël Lunes d’encre. Pourquoi l’avoir lu en anglais, alors ? Ben, parce que l’occasion fait le larron…

 

« Demonation! »

 

Ce livre n’est pas un livre comme les autres. Il a en effet la particularité de s’écrire au fur et à mesure de la lecture, les lettres se réarrangeant pour former les mots que lira le lecteur. Car ce livre est possédé par un démon du Neuvième Cercle du nom de Jakabok Botch, également connu sous le nom de Mister B. Oui, un démon. Bien sûr que les démons existent ! Et les anges aussi, cela va de soi. Mais peu importe. Non, ce qui compte, c’est de BRÛLER CE LIVRE.

 

 

TOUT DE SUITE !

 

« Burn that book. » Telle est la supplique lancinante de Jakabok Botch, qui revient telle un leitmotiv tout au long des quelques 250 pages de ce court roman (une taille idéale, juste ce qu’il faut). Tour à tour menaçant, séducteur, pathétique, Mister B. insiste : nous devons brûler ce livre.

 

 

Mais bien évidemment, nous autres lecteurs, nous ne sommes pas de ces gens qui brûlent les livres ; et la curiosité nous aiguillonne, qui nous pousse à tourner les pages jusqu’à la dernière, pour savoir, au juste, ce que ce livre si particulier raconte.

 

Car il en a, des choses, à raconter. Et, en échange du feu de joie qui lui ferait tant plaisir, Jakabok passe avec le lecteur un marché : il accepte de lui raconter son histoire.

 

Et c’est là que, pour ceux qui en douteraient encore devant la récurrence des « Burn that book! », apparaît clairement la vérité quant à la « classification » (beuh) de Mister B. Gone : ce livre-là n’est certainement pas un roman d’horreur – ou disons, plus exactement, à peine, car il y a bien de quoi frissonner un chouia sur le tard, dans la version baroque et sadique propre (non, sale !) à Barker –, mais bien avant tout une réjouissante comédie. À vrai dire, l’enfance de Jakabok dans le Neuvième Cercle évoque, tout autant que la manière de Barker si ce n’est plus, celle de son confrère Neil Gaiman, voire celle d’un Tim Burton première époque…

 

Mais si le déluge d’inventivité commence déjà, et se montre déjà séduisant, le livre ne décolle à mon sens (si j’ose dire) que lorsque Jakabok, parricide, tombe dans un piège tendu par des humains et se retrouve sur notre bonne vieille Terre en plein Moyen Âge. Les péripéties s’enchaînent alors à toute vitesse, parfois hilarantes – voyez Jakabok succomber à son premier amour –, jusqu’à ce que notre petit démon carbonisé à deux queues fasse, très vite, la rencontre de Quitoon, un démon autrement plus balaise. Et si Jakabok, dans son enfance, était fasciné par les mots, Quitoon, lui, l’est par les machines qu’inventent les hommes. Il propose à Jakabok de l’accompagner dans ses pérégrinations, et les deux démons d’arpenter bientôt les routes de l’Europe médiévale, formant un véritable couple (sans surprise, les connotations homosexuelles ne manquent pas, jusqu’à l’apothéose onirique du « mariage » entre Quitoon et Jakabok). Et ils feront ainsi pendant bien des années, jusqu’à ce qu’ils entendent parler d’une invention destinée à changer la face du monde ; le fruit du génie d’un certain Gutenberg (disons-le, puisque le titre français lâche l’affaire), dans la bonne ville de Mayence…

 

Mister B. Gone est un roman qui, à bien des égards, ne devrait pas fonctionner. Sans trop en dire, les menaces de Jakabok à l’encontre du lecteur tombent un peu à plat, ce qui nuit considérablement à l’efficacité du roman sur le plan horrifique. Mister B. Gone, en outre, joue la carte de la surenchère permanente, ce qui est toujours dangereux : Jakabok ne cesse de nous promettre, dans les pages qui suivront, des secrets toujours plus importants, jusqu’au grand Secret final… qui peut naturellement décevoir. Enfin, bien qu’étant court (et à mon sens d’une taille idéale, donc), Jakabok : le démon de Gutenberg joue énormément sur l’aspect répétitif, ainsi que cela a déjà été noté ; on peut être à cet égard bon public – ce fut mon cas –, mais je comprendrais très bien que l’on trouve le procédé lassant…

 

Et pourtant, à mes yeux en tout cas, ça marche. Tout d’abord parce que c’est très drôle : encore une fois, Mister B. Gone est clairement une comédie, même s’il n’est pas vendu comme tel (mais j’ai vu que l’édition française était à cet égard plus honnête et/ou lucide). Les malheurs de Mister B. sont souvent hilarants, et Barker maîtrise très bien tant le comique de situation que l’art difficile de la parodie (et, bien sûr, le comique de répétition…). On ajoutera que les personnages sont remarquablement bien campés, et plus particulièrement les deux principaux, Jakabok bien sûr, et son compagnon Quitoon : les sentiments de Mister B. à l’égard de ce dernier, sentiments contradictoires et très violents comme seuls le grand amour et la haine absolue peuvent les faire naître, ressortent avec brio de ces pages autrement légères. Encore que pas toujours si légères que cela, bien sûr : sous couvert de farce, Barker balance évidemment quelques piques bien senties… Le style de l’auteur, enfin, est d’une efficacité remarquable, à la fois fluide et baroque – ce qui n’est pas donné, tout de même –, d’une lecture très aisée en anglais au passage. On l’appréciera d’autant plus dans les – rares – passages réellement horrifiques, où son écriture fait mouche comme à l’habitude.

 

 Alors, certes, Mister B. Gone n’est pas un « grand roman ». Ce n’est pas, non, certainement pas, « the long awaited return of Clive Barker, the great master of the macabre, to the classic horror story ». Clive Barker a fait bien mieux (là, tout de suite, je pense à Imajica – mais peut-on vraiment les comparer, tant ça n’a rien à voir ?), on ne l’attendait pas forcément sur ce registre, et il est possible que ses fans soient déçus. On sent, par contre, comme le dit encore une fois très justement l’édition française, que l’auteur s’est fait plaisir en l’écrivant. Et c’est plutôt agréable, ma foi (si j’ose dire, bis), et assez communicatif. Pour ma part, si je ne saurais vous recommander véritablement la lecture de ce Mister B. Gone – cela me paraîtrait trop hasardeux –, je ne vous cacherai cependant pas que j’ai franchement pris beaucoup de plaisir à lire cette autobiographie démoniaque. À bon entendeur…

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"Monstre (une enfance)", de Frédéric Jaccaud

Publié le par Nébal

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JACCAUD (Frédéric), Monstre (une enfance), Paris, Calmann-Lévy, coll. Interstices, 2010, 216 p.

 

Comme, j’imagine, beaucoup de monde par ici, j’ai tout d’abord « connu » Frédéric Jaccaud via son excellente rubrique « Les Anticipateurs » dans Bifrost, où il se penchait sur les précurseurs de la science-fiction moderne ; expérience qui aurait dû être prolongée, mais a priori c’est mort, par la collection « Terra incognita » chez Terre de brume, co-dirigée par ledit Frédéric Jaccaud et Sébastien Guillot, et dont je vous avais dit le plus grand bien… pour un des deux seuls titres publiés, à savoir Ignis.

 

Mais Frédéric Jaccaud n’est pas qu’un érudit farfouillant dans la poussière pour notre plus grand plaisir, il est aussi un auteur de fictions ; et c’est – justement – dans les pages de Fiction (t. 6) que j’avais pu tâter pour la première fois de ses écrits… pour un résultat que j’avais jugé peu convaincant.

 

Puis est paru Monstre (une enfance) dans l’excellente collection « Interstices » chez Calmann-Lévy. Un bouquin sur un serial-killer. Mouais… Ce thème – éculé au possible – ne m’emballait guère ; la mauvaise impression laissée par les « biographies aliénées » s’y ajoutant, j’ai décidé de faire l’impasse. Après tout, on ne peut pas tout lire… Mais, quelques mois plus tard, j’ai été rattrapé par un critique (fielleux), qui m’a littéralement mis le livre dans les mains ; alors, re-quelques mois plus tard, j’ai bien fini par le lire… et je peux remercier le (fielleux) critique, parce que c’était bien mieux que ce que je pensais. C’était même tout à fait bien, pour dire les choses comme elles sont. Très bien, même. Je n’irai pas au-delà, jusqu’au concert de superlatifs (…) – il me semble que l’on y trouve, en dépit d’une maîtrise globale assez remarquable, quelques imperfections qui sentent le premier roman –, mais c’est assurément une lecture tout à fait recommandable, largement au-dessus du lot, et pas, comme je le craignais sans doute bêtement, un énième bouquin sur un serial killer. Même si au fond c’est bien de ça qu’il s’agit, sauf qu’il y a l’art et la manière de.

 

Le récit alterne entre deux époques, le milieu du XXIe siècle – un cadre très abstrait, voire irréel (nous sommes à Traumstaat, après tout), avec ses pluies de cendres vaguement post-apocalyptiques qui viennent s’égarer au milieu des gratte-ciel et de l’asile-purgatoire infesté d’improbables débris humains – et le milieu des années 1980, lieu du récit d’une enfance plus ou moins fantasmée. En 2048, un vieillard – un monstre, un tueur de femmes, sorti d’un long coma – se livre, sur les instructions de la « psychiatre » (qui n’est cependant pas là pour le soigner) Mme Crab. Au milieu des années 1980, les enfants B., Ray et Thomas, s’ennuient ; alors ils cherchent des échappatoires dans un imaginaire enfantin encore florissant, se font imperator solaire et chevalier, découvrent les comics, les jeux de rôles et les jeux vidéos.

 

Des noms de femmes s’égrènent entre les chapitres, froidement.

 

Puis le lien se fait. La langue se met à déraper. Et progressivement Thomas B. devient « je », le vieillard devient Thomas B. Et le récit se poursuit, récit d’une quête vouée à l’échec, qui commence par un serment enfantin innocent – celui de toujours protéger maman (maman qui fait la pute pour protéger ses enfants) –, mais qui doit bientôt faire face aux assauts du Roi de l’Hiver, du temps qui passe, impitoyable, et qui laisse sa griffe, sous forme de boutons d’acné et de léger duvet au-dessus des lèvres.

 

Ne vous attendez pas, en entamant Monstre (une enfance), à une débauche graphique de meurtres sanglants. Autant vous le dire de suite, ce n’est pas du tout sur ce créneau que joue l’auteur, qui a banni toute forme de voyeurisme de son récit. Ce qui l’intéresse, c’est le souvenir, la nostalgie, celle de ce vieillard « monstrueux », bien sûr, mais plus généralement, et, de manière paradoxale, plus maladivement, celle, générationnelle, des « enfants-vieillards », qui regrettent à peine nés, sans trop savoir quoi ni pourquoi. Le roman entier est caractérisé par ce regard porté en arrière, avec ses mensonges et ses regrets. Et les personnages, au crépuscule, de se livrer à cet exercice, au « bilan » – froidement comptable. Ainsi Thomas B., mais lui n’a jamais compté les femmes qui sont passées sur son lit de vérité ; ainsi Jessica, son amie d’enfance, entraperçue le temps de brefs écarts narratifs, qui, elle, n’a fait que ça.

 

Monstre (une enfance) est ainsi un roman sur l’enfance avant d’être un roman sur la monstruosité ; mais il peut être un roman sur ce que l’enfance a de monstrueux, et plus encore, passé le temps des illusions et des enthousiasmes naïfs, cette horreur, ce drame qu’est l’adolescence. Thomas B. est atteint d’une forme de syndrome de Peter Pan, ainsi qu’on le comprend rapidement. Mais autour de lui, les gens changent ; lui reste « le petit débile » – mais qu’a-t-il, au juste, en dehors de cette incapacité à grandir ? –, mais Ray et les autres, c’est une autre histoire. Cruelle. Injuste, sans doute. Ce qu’il y a d’horrible, pour Thomas B., c’est d’être ainsi abandonné, laissé seul, en arrière. Le serment est trahi. Le Roi de l’Hiver triomphe. Pour le vaincre, il s’agira dès lors pour Thomas B. – et il ne sera plus question que de ça – de se documenter.

 

Pour explorer la psyché de Thomas B., Frédéric Jaccaud use d’un style dans l’ensemble remarquable, dense et précis – j’ai pensé, peut-être est-ce un peu bête de ma part, mais le fond comme la forme m’y ont incité, à Brian Evenson –, qui se laisse parfois emporter, la plupart du temps à bon droit, dans des quasi-délires d’accumulation à la limite de l’hermétisme pour les scènes les plus fortes. J’avouerai cependant que j’ai trouvé qu’il en faisait parfois un peu trop sous cet angle…

 

Ce qui est bien un des rares défauts que l’on puisse trouver à ce livre. On pourrait aussi trouver que l’anticipation ne sert pas à grand-chose, certes… mais elle participe sans doute de ce sentiment d’irréalité qui confère une bonne part de sa force au roman, et justifie sa puissante conclusion – quand bien même elle est assez attendue.

 

 Un très bon premier roman, à n’en pas douter, bien meilleur que ce à quoi je m’attendais. Alors merci, fielleux critique. Et bonne continuation, M. Jaccaud.

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Pub copinage : "Bifrost", n° 60. "Dossier sang pour sang vampires !"

Publié le par Nébal

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Bifrost, n° 60. Dossier sang pour sang vampires !, Saint Mammès, Le Bélial’, octobre 2010, 191 p.

 

Bon, ayant participé – même si ce n’est qu’un chouia – à la chose, il ne me paraît pas honnête d’en faire un compte rendu…

 

Donc je vais faire ma feignasse, et me contenter de rappeler que s’y trouvent six de mes comptes rendus : Interférences de Yoss (pp. 81-82), Nation de Terry Pratchett (pp. 91-93), Le Volcryn de George R.R. Martin (pp. 97-98), Les Femmes vampires de Jacques Finné et Jean Marigny (dir.) (pp. 101-103), et, dans le guide de lecture vampirique, Je suis une légende de Richard Matheson (pp. 161-162) et L’Échiquier du mal de Dan Simmons (pp. 169-170).

 

 

 Hop.

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Sur les Razzies 2011

Publié le par Nébal

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Oui, je sais. D’habitude, je réagis au palmarès des Razzies quand je « chronique » le numéro de Bifrost qui le contient (ou plutôt quand je fais part de ma lecture du susdit) ; seulement, voilà : du coup, chaque fois, j’arrive bien après la bataille. Et devant la violence de certaines attaques (injustifiées) comme de certaines réactions (pas davantage justifiables), j’ai eu envie, pour une fois, de réagir à chaud. Boarf, il est probable que mon avis n’intéresse personne, mais les Razzies, c’est bien le seul prix que j’ai envie de commenter, chaque année, alors pourquoi m’en priverais-je ? Au pire, ça ne me coûtera qu’un peu de mon temps (ah, et on me fait signe dans l’oreillette que je pourrais y perdre d’autres contacts sur Facebook…).

 

Commençons donc par le prix de la pire nouvelle francophone ; ici, on va pouvoir y aller très vite : je ne peux parler que pour « Trajectoires » de Danel et « Les Événements sont potentiellement inscrits et non modifiables » de Bernard Camus, toutes deux dans Ceux qui nous veulent du bien. Et, honnêtement, je doute – même en sachant, après la lecture de W.O.M.B., leur goût pour l’hermétisme éventuellement pédant – que les comparses Thomas Becker et Sébastien Wojewodka aient pu faire pire que Bernard Camus (même Danel, c’est moins grave ; et pourtant, c’est pas bon). Donc…

 

Je ne peux pas me prononcer pour le prix de la pire nouvelle étrangère, n’ayant rien lu de tout ça.

 

Prix Bernard Werber du pire roman francophone, y’a pas de « trop mauvais, même pour les Razzies » qui tienne : Oksana & Gil Prou (on évitera les jeux de mots à la con) sont nécessairement champions avec Katharsis, dont les quelques extraits que j’ai pu lire sont suffisamment éloquents, et défient toute concurrence.

 

Pour ce qui est du pire roman étranger, je vais être d’une mauvaise foi digne des Razzies, dans la mesure où je n’en ai lu qu’un seul, qui se trouve être le lauréat : Les Magiciens de Lev Grossman. Et j’avoue que ce prix me fait bien plaisir, car j’ai trouvé ce bouquin tout simplement honteux. Mes excuses à l’estimé traducteur, mais faut bien dire ce qui est.

 

Je ne me prononcerai pas sur le prix de la pire traduction, n’ayant pas (encore) lu tout ça.

 

Passons maintenant aux choses sérieuses, tout d’abord avec le prix Jackie Paternoster de la pire couverture. Première remarque, l’exclusion des petits éditeurs ne me paraît pas aller de soi (et là, effectivement, y’aurait du lourd…). Seconde remarque, je ne vois pas ce que la couverture de Zariel pour Blaguàparts a de scandaleux…? Le lauréat me va très bien, même si j’avoue avoir un faible pour Gilles Francescano et sa couverture improbable de l’improbable Après-demain les chiens.

 

Prix de la pire non-fiction, il y a foule. J’évacue d’entrée de jeu Jean-Claude Dunyach, et, bien qu’elle soit la lauréate, Justine Niogret : je n’ai tout simplement pas compris ce qu’ils foutaient là… Mes chouchous persos seraient Fabien « ma préface va faire couler autant d’encre que celle de Lem » Lyraud et Hugo Van Gaert, que je ne disqualifierai pas pour son plagiat éhonté, bien au contraire.

 

Pour ce qui est du prix de l’incompétence éditoriale, c’est vrai que Gilles Dumay a fait fort ; mais il y a quand même du lourd en face ; z’êtes sûr qu’il n’y a pas de la place pour trois sur le podium ?

 

Prix putassier, mon préféré. Je crée mon propre lauréat, ne reprenant qu’en partie le palmarès officiel : et hop, ActuSF, Bifrost et Les Moutons électriques, ensemble, parce qu’il n’y a pas de raison pour que ce soit seulement ces derniers qui payent en matière de putasserie vampirique (on notera que Bifrost, qui s’était « nominé » avec les Moutons, s’est malencontreusement oublié dans le palmarès…). Sinon, les attaques contre ActuSF (sur la question de l’anniversaire, en tout cas) et Mnémos m’ont paru un peu vaines.

 

Le Grand Master Award a été semble-t-il très disputé… alors qu’à mes yeux seuls deux candidats pouvaient véritablement prétendre au titre, en l’occurrence, d’une part, Serge Lehman et Roland C. Wagner, qui nous la jouent longue et dure, et d’autre part Éclipse. Pour le GPI, mouais, certes, admettons… Quant au Cafard, si le constat est juste, l’attaque personnelle n’en est pas moins conne. Idem pour ce qui est d’Olivier Noël, sans parler de Charlotte Volper, indirectement nominée via le (certes très mauvais) Petit Guide à trimballer de la littérature vampirique, et qui s’en prend plein la gueule pour de mauvaises raisons.

 

Et puis, bien sûr, il y a le prix des lecteurs… Bon, je vais pas ressortir éternellement le même couplet, hein ; alors pour faire bref : je suis contre cette pratique, et n’ai donc pas voté. Pas originaux, les gens, en tout cas, à « récompenser » toujours les mêmes… Je note cependant la présence du site ActuSF en troisième position ; moi, j’aurais précisé « le forum d’ActuBoulets », surtout…

 

 En attendant, j’ai trouvé cette cuvée meilleure que les précédentes ; j’ai souri, malgré quelques conneries ici ou là ; et je trouve toujours les réactions à l’encontre des Razzies aussi exagérées (parler de « poursuites en justice », non mais ça va pas la tête ?)…

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Nouvelles complètes, volume 3 (1972-1996), de J.G. Ballard

Publié le par Nébal

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BALLARD (J.G.), Nouvelles complètes, volume 3 (1972-1996), [J.G. Ballard: The Complete Short Stories], édition établie sous la direction de Bernard Sigaud, traductions de l’anglais par Jean Bonnefoy, Jacques Chambon, Michel Demuth, Élisabeth Gille, Monique Lebailly, Françoise Perrin, Bernard Sigaud, Auch, Tristram, [1972-1996, 2001] 2010, 692 p.

 

Hop, ma chro est à lire (ou pas) sur le beau site du Cafard Cosmique. Mais je la reproduis ici au cas où...

 

 

 

Avec ce troisième volume, la monumentale édition des Nouvelles complètes de J.G. Ballard est enfin complète. Et le terme de « monument » n’est pas exagéré, oh que non. On peut bien le répéter encore une fois : nous sommes là en présence d’une merveille de la littérature de science-fiction, et de la littérature tout court. Autant dire que vous DEVEZ vous précipiter pour faire l’acquisition de ces trois gros volumes. Et plus vite que ça. Hop.

 

Ce troisième tome, d’une taille comparable aux deux précédents et d’une qualité (au moins) égale, couvre vingt-cinq ans d’activité littéraire, de 1972 à 1996. Il n’en fait pas moins preuve d’une cohérence étonnante. Ne pas en déduire que Ballard aimait à se répéter ; si l’on excepte trois nouvelles contemporaines que l’on peut considérer comme autant de variations sur le même thème (« Nouvelles du soleil », « Mémoires de l’ère spatiale » et « Mythes d’un futur proche », 1981-1982), les textes ici compilés savent varier les plaisirs et les situations. Mais ils sont cependant traversés par des obsessions récurrentes, des thèmes fondateurs, des images emblématiques, qui leur donnent incontestablement un air de famille, et font œuvre. C’est ainsi que l’on croisera souvent, au cours de ces textes, des « héros » qui n’en sont pas vraiment, tant la passivité les caractérise avant toute chose, souvent des médecins et/ou des aviateurs (Ballard lui-même tenta brièvement de devenir l’un et l’autre, rappelons-le), qui errent inlassablement dans des zones désertées ou des décors empruntant aux surréalistes, longeant des piscines asséchées, rongés par le « mal de l’espace ». Car s’il est une certitude dans ces nouvelles où la science-fiction se fait parfois discrète, quand elle n’est pas aux abonnés absents, c’est bien celle de l’échec nécessaire de la conquête de l’espace, perçue parfois comme un « viol », débouchant inévitablement sur la maladie et la folie.

 

Les futurs de Ballard ne sont généralement guère souriants, il est vrai – mais il n’y croit pas, nous dit-il (« Je crois à l’inexistence du passé, à la mort du futur, et aux possibilités infinies du présent. » – « Ce que je crois », p. 497). Mais on ne trouve guère de refuge non plus dans son « présent visionnaire ». Exit la douce lumière léthargique de Vermilion Sands. Le ton se fait généralement noir… ou jaune, l’auteur ne rechignant pas à jouer la carte de l’humour grinçant, un registre auquel les précédentes nouvelles ne nous avaient pas forcément habitués.

 

Cohérence du volume, donc, qui s’explique aussi sans doute, en dépit de la longueur de sa période de référence, par sa focalisation sur trois recueils de nouvelles, dont deux sont ici repris en intégralité : on trouvera en effet dans ce dernier tome les ultimes nouvelles d’Appareil volant à basse altitude, mais aussi, en entier, Mythes d’un futur proche et Fièvre guerrière ; sans oublier trois textes « orphelins » et sept nouvelles inédites, pour la plupart datant des années 1990 (ce dernier volume est le plus riche des trois en la matière). Ce qui nous fait en tout trente-neuf histoires, généralement de la plus belle eau. Panorama.

 

APPAREIL VOLANT À BASSE ALTITUDE (1972-1976)

 

La première partie de ce recueil figurait dans le volume 2, où l’on trouvait les nouvelles suivantes : « L’Astronaute mort », « Un lieu et un moment pour mourir », « Les Anges des Satcom » et « Les Assasinats de la plage ». Restent cinq nouvelles qui, à peu de choses près, ouvrent ce troisième volume.

 

Lequel débute ainsi sur « Le Plus Grand Spectacle de télévision du monde » (1972), une nouvelle classique sur le voyage dans le temps, préfigurant la télé-réalité. Sympathique, mais on attend mieux. Et on l’obtient vite, avec la très belle nouvelle « Je rêvais de m’envoler vers l’île de Wake » (1974). « Appareil volant à basse altitude » (1975), ensuite, est une nouvelle emblématique de ce volume, qui traite d’une multitude de thèmes récurrents – une véritable synthèse des obsessions ballardiennes (p. 51 : « C’est un peu trop réaliste pour moi, commenta Forrester. Une collection d’archives cinématographiques en direct de l’Enfer. / — Oui, approuva Gould, une prédiction correcte de l’avenir. L’ultime dystopie est dans nos têtes. ») . « La Vie et la mort de Dieu » (1976) est par contre une nouvelle assez caustique sur la science et la foi… finalement assez anecdotique. On est bien loin, en tout cas, du chef-d’œuvre « L’Ultime Cité » (1976), le plus long texte de ce troisième volume, et sans doute le plus marquant d’Appareil volant à basse altitude. D’abord très descriptif (mais alors vraiment très descriptif…), il s’agit quasiment d’un poème en prose, véritable ode à contre-courant à la ville et à ses tares, contre la perfection des utopies bucoliques. Bien sûr, la « dystopie volontaire » que crée le « héros » de cette nouvelle tourne fatalement à l’échec, mais les images suscitées n’en sont pas moins d’une force exemplaire.

 

MYTHES D’UN FUTUR PROCHE (1976-1982)

 

En fait de « futur proche », les nouvelles les plus anciennes du recueil ne semblent guère correspondre au cahier des charges… sans que cela gêne véritablement. « Le Sourire » (1976) est en effet une nouvelle joliment perverse, à l’ambiance plus fantastique que science-fictive ; et « Le Temps mort » (1977) revient sur les derniers jours de la Seconde Guerre mondiale en Chine, préfigurant avec bonheur (façon de parler, bien sûr…) certaines scènes particulièrement traumatisantes de ce chef-d’œuvre qu’est Empire du Soleil. Ce n’est qu’ensuite que l’on passe à la science-fiction, tout d’abord avec « Unité de soins intensifs », nouvelle glauquissime sur une « famille » qui se rencontre pour la première fois, puis avec « Théâtre de guerre », nouvelle en forme de reportage sur une guerre civile en Angleterre (pour un résultat seulement moyennement convaincant). « Des vacances formidables » (1978) est un texte caustique et kafkaïen, très bien vu, qui, dans son approche de la société des loisirs, peut faire penser à du Houellebecq avant l’heure. « Zodiaque 2000 », s’il ne néglige certainement pas l’humour, est un texte assez expérimental, sans que l’on puisse dire pour autant que Ballard y retrouve la veine de La Foire aux atrocités… et encore moins la maestria de ce texte incomparable. On y préfèrera sans doute « Décor de motel », jolie nouvelle psychotique sur le double, avec une belle ambiance paranoïaque. De même pour « Hôte de furieux fantasmes » (1980), amusante variation psychanalytique sur Cendrillon, avec une jolie chute. Restent enfin « Nouvelles du soleil » (1981) et « Mythes d’un futur proche » (1982) qui, avec « Mémoires de l’ère spatiale » (de Fièvre guerrière) constituent une sorte de « cycle » sur le « mal de l’espace », des plus intéressants (même si l’effet de répétition – à lire les trois « variations » à la suite – peut lasser).

 

FIÈVRE GUERRIÈRE (1975-1990)

 

Fièvre guerrière est un recueil assez hétéroclite, comprenant des nouvelles écrites sur une assez longue période, et très diverses, certaines très classiques, d’autres franchement expérimentales, certaines relevant de la science-fiction, d’autres pas du tout. On commence ainsi avec « Catastrophe aérienne » (1975), une très bonne nouvelle cynique et grinçante sur les scoops. « Notes pour une déconstruction mentale » (1976) est une très intéressante nouvelle expérimentale : une phrase dont chaque mot est annoté par un fou… Avec « Index » (1977), tout est dans le titre : la nouvelle consiste en effet en un index, réjouissant jeu de pistes pour le lecteur… C’est très bien vu et assez drôle. « Mémoires de l’ère spatiale » (1982) ayant déjà été évoqué, passons à « Rapport sur une station spatiale non identifiée », très bonne nouvelle qui fait immanquablement penser à Borges et à sa fameuse « Bibliothèque de Babel ». « La Cible de l’attentat » (1984) rappelle dans un sens la thématique du « mal de l’espace », mais sous une forme différente, et des plus séduisante. « Réponses à un questionnaire » (1985) est à nouveau un texte relativement expérimental : nous n’avons que les réponses, pas les questions, et à nous de nous débrouiller… Une fois de plus, c’est très bien vu, et tout à fait convaincant. On change complètement de registre avec « L’Homme qui a marché sur la Lune », un très joli texte, remarquablement touchant. « L’Histoire secrète de la Troisième Guerre mondiale » (1988), par contre, est un texte caustique et drôle, passablement désabusé… de même que « L’Amour sous un climat plus froid » (1989), traitant par l’absurde de la sexualité forcée des années post-sida… « Univers en expansion » retourne à des préoccupations plus typiques des premières nouvelles de Ballard, et c’est une réussite. Quant à « Le Plus Grand Parc d’attractions du monde », c’est une nouvelle variation sur les vacances et la civilisation des loisirs à l’heure de la construction européenne, une nouvelle fois très bien vue et grinçante. « Fièvre guerrière » retourne à une science-fiction paranoïaque très classique ; à vrai dire, on ne peut s’empêcher de trouver ça un peu trop simple pour du Ballard… On y préfèrera largement le magnifique « Cargaisons de rêve » (1990), texte qui, dans sa manière d’aborder à contre-courant la thématique écologique, peut d’une part rappeler « L’Ultime Cité », et d’autre part annoncer La Course au Paradis.

 

« ORPHELINES » ET INÉDITES (1976-1996… ET 1951)

 

Trois textes de cet ultime volume sont empruntés à d’autres recueils que les trois précités. C’est tout d’abord le cas de deux excellentes nouvelles tirées des Chasseurs de Vénus : « Le Zoom de 60 minutes » (1976) est une nouvelle délicieusement perverse, reposant sur un astucieux dispositif filmique (tout est dans le titre…) ; « Un après-midi à Utah Beach » (1978) est également une réussite, prolongeant dans un sens la thématique voyeuriste de la nouvelle précédente, mais d’une manière plus sensible. Reste enfin « Ce que je crois » (1984, Science-fiction n° 3), qu’on ne saurait véritablement qualifier de nouvelle… Ce « manifeste » n’est pas dénué d’intérêt pour autant, et éclaire sans doute utilement maints aspects de la production ballardienne.

 

Restent enfin sept nouvelles inédites, datant pour l’essentiel des années 1990. « L’Autobiographie secrète de J.G. B*** » (1984) est sans doute, avec « L’Ultime Cité », quoique sur un format autrement plus court (c’est le moins qu’on puisse dire…), la plus saisissante des variations sur la ville fantôme, ici poussée à son extrême. « Neil Armstrong se souvient de son voyage dans la Lune » (1991) est une short short désabusée et cynique, et, avouons-le, assez anecdotique. « Guide de la mort virtuelle » (1992), qui prend l’aspect d’un programme de télévision, est tout aussi désabusé, et guère plus fameux. On se régale bien davantage avec le surprenant (de la part de Ballard) « Le Message de Mars », un retour à une SF très classique, mais aussi très bien vu, et qui renouvelle utilement la thématique du « mal de l’espace ». « Rapport sur une planète obscure » est un texte assez visionnaire, amusante variation sur le bug de l’an 2000… et préfiguration – une de plus ! – de Matrix… « Mortel penchant » (1996) se contente d’être amusant, par contre.

 

Et reste une surprise pour la fin… puisque « Midi le violent » nous ramène en 1951. Il s’agit probablement du premier texte de fiction de Ballard. En tant que tel, il est inévitablement bancal, mais pas complètement inintéressant pour autant, notamment dans sa cruauté sèche et sa vision d’un empire colonial en déliquescence…

 

CONCLUSION

 

À l’arrivée, il n’y a pas photo : si tout n’est bien évidemment pas parfait – c’est une intégrale, après tout… – l’ensemble est quand même de très haute tenue, et constitue bel et bien le monument attendu. Cette édition de l’intégrale des nouvelles de J.G. Ballard est exemplaire, et constitue une référence incontournable pour tout amateur de belles lettres, science-fictives ou pas. Car Ballard fut un géant, un des plus grands écrivains de son temps, et assurément un auteur à même de rassembler par-delà les plus stériles et absurdes querelles de chapelles.

 

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"Les Pilleurs d'Âmes", de Laurent Whale

Publié le par Nébal

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WHALE (Laurent), Les Pilleurs d’Âmes, [s.l.], Ad Astra, coll. Ad-Ventures, 2010, 218 p.

 

De temps en temps, moi – et les plus assidus d’entre vous ont pu le remarquer –, j’aime bien me faire un petit roman de gare, ne prêtant qu’au divertissement (ce qui est prêter beaucoup, à en croire le procureur de la République Desproges française). C’est comme ça que j’avais déjà eu l’occasion de lire un roman de Laurent Whale, en l’occurrence Le Chant des psychomorphes, paru chez Rivière Blanche, maison d’édition dans l’ensemble spécialisée dans ce genre de littérature. Ce roman avait en effet tout du roman de gare, mais presque à l’excès, aurais-je envie de dire : je savais, une fois tournée la dernière page, que j’avais passé un assez agréable moment à le lire… mais j’étais d’ores et déjà incapable de dire de quoi ça pouvait bien parler. Ce qui est un peu embêtant, tout de même.

 

Puis est apparue la maison d’édition Ad Astra, dont le premier roman fut Les Pilleurs d’Âmes de Laurent Whale. Une bonne occasion de renouer avec cet auteur, en espérant que l’expérience soit cette fois un peu plus marquante… Allez, hop.

 

Premier constat : la flibuste est décidément à la mode (pour n’en citer qu’un exemple récent, mais le plus éloquent, voyez Le Déchronologue de Stéphane Beauverger). Laurent Whale, dans Les Pilleurs d’Âmes, a en effet choisi de mêler aventures maritimes riches en faits de piraterie et science-fiction très classique, pour ne pas dire vancienne (mais pourquoi ne le dirait-on pas, après tout ?).

 

Résumons un peu la chose. Nous sommes en 1666 (ta-dan !) sur la planète Terre, comme nous l’appelons, ou plus exactement sur T024. Yoran Le Goff – de son vrai nom Karban – est un extraterrestre, agent du service Contre-Imix. Secondé par son fidèle vaisseau Kraal, il a pour tâche de débusquer un mystérieux « recruteur » au service des Cartels, venu sur Terre pour s’emparer d’individus dangereux et les mettre au service de la puissante flotte desdits Cartels. Yoran fait ainsi la rencontre du sympathique Bras-de-Fer et, grâce à lui, s’engage à bord de la flotte de l’Amiral de la Tortue, Jean-David Nau dit l’Olonnais, qu’il suppose être la cible prioritaire du « recruteur ». Il faut dire que l’Olonnais est ce qui se fait de mieux en matière de flibustier, et qu’il ne manque pas une occasion de le démontrer… Mais débusquer le « recruteur » s’annonce une tâche pour le moins difficile pour notre héros, qui, en attendant, se voit contraint de vivre la périlleuse vie des flibustiers de la seconde moitié du XVIIe siècle…

 

Alors, alors.

 

Commençons par le positif. Deux points.

 

Tout d’abord, certains personnages sont très bien campés. Bras-de-Fer, loin de n’être qu’un simple faire-valoir pour Yoran Le Goff, est doté d’un solide charisme, et est une fripouille éminemment sympathique. Quant à l’Olonnais, il fait un « méchant » parfait, bigger than life, d’une stature et d’une majesté hors de toute comparaison. Certains seconds rôles sont également corrects, comme le médecin Oexmelin.

 

Ensuite – mais cela découle en partie du premier point –, Laurent Whale sait dépeindre avec un certain réalisme, et, surtout, une certaine honnêteté, le quotidien de la flibuste. Il n’y a pas dans Les Pilleurs d’Âmes, comme trop souvent dans ce genre de romans, d’idéalisation de la piraterie. Les flibustiers sont présentés pour ce qu’ils sont : des voleurs, des violeurs, des assassins, bref, des gens pas très fréquentables, tout de même. Plutôt répugnants, en fin de compte. Et c’est bien le dégoût devant les exactions de l’Olonnais et de ses sbires qui triomphera en définitive, sans que l’on puisse pour autant accuser le roman de verser dans un excès de moralisme ; simplement, il faudrait être aveugle pour continuer d’idolâtrer la piraterie après ces pages et ces pages de pillage, de massacre, de torture et de supplice…

 

Voilà pour le positif. Hélas, c’est bien le négatif qui l’emporte…

 

Déjà, l’histoire pose problème. Le résumé que j’en ai fait vous a peut-être paru confus, mais c’est pire dans le roman, qui ne lâche les éléments qu’au fur et à mesure, et comme à regret. Peut-être, tout simplement, parce que l’auteur a conscience que son canevas, que ce qui justifie son aventure maritime teintée de SF, ne tient tout simplement pas la route ? En tout cas, on ne croit pas à l’action censément néfaste de ces « recruteurs », pas plus qu’on ne croit à l’action inverse des agents du Contre-Imix. Honnêtement, tout ça pour ça ? Les embrouilles politiques space-op’ qui viennent de temps en temps parasiter l’intrigue terrestre font d’autant plus l’effet de pièces rapportées sans intérêt… Non, on n’y croit tout simplement pas.

 

Il y a ensuite un problème dans la manière de raconter l’histoire. La plupart du temps, le point de vue adopté est celui, à la première personne, de Yoran Le Goff. Bon, très bien, pas de problème. Mais, de temps à autre, sans aucune régularité, comme par magie, hop ! on passe à un autre point de vue, sans que rien dans l’histoire ne vienne le justifier. Il en résulte une impression de maladresse là encore assez fâcheuse.

 

De même pour ce qui est du style. Disons-le tout net : on a lu bien pire. Mais on a assurément lu bien meilleur… Là encore, certaines ruptures de ton et autres maladresses du même genre nuisent au plaisir de lecture.

 

J’ajouterai que, pour un roman qui se veut divertissant avant tout, Les Pilleurs d’Âmes est à plusieurs reprises – notamment, c’est un comble, lors des très répétitives et bavardes scènes d’action ! – d’un ennui mortel… Même pour ce qui est du pur divertissement, on renverra donc plutôt le lecteur au Déchronologue, qui a pourtant d’autres ambitions…

 

Dernier point, enfin – mais là c’est le jeune éditeur qui est visé, pas l’auteur : le bouquin est littéralement saturé de coquilles et autres fôtes d’otogaffe et de granmère, ce qui nuit là encore pas mal au confort de lecture (en tout cas pour les nazis de la fôte comme moi) ; d’habitude, je fais l’effort de les relever, mais là, il y en avait tellement que j’ai vite baissé les bras…

 

 Au final ? Ben, bof, bof, bof… Il y avait de la matière à un bon divertissement, quelques atouts indéniables, mais les défauts l’emportent tout aussi indéniablement sur les qualités. Pas terrible, donc, et même plutôt mauvais. On n’en conseillera pas la lecture, et on espère que l’auteur comme l’éditeur sauront nous réserver de meilleures choses pour la suite.

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"Ceux qui nous veulent du bien. 17 mauvaises nouvelles d'un futur bien géré"

Publié le par Nébal

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Ceux qui nous veulent du bien. 17 mauvaises nouvelles d’un futur bien géré, préface de Dominique Guibert, [s.l.], Ligue des Droits de l’Homme – La Volte, 2010, 341 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 61 (pp. 83-84).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop.

 

Ami lecteur, toi qui lis ces lignes, abandonne tout espoir : apprends d’ores et déjà que notre futur sera glauque, que c’était mieux avant et que rhalala ma bonne dame, avec toute les nouvelles technologies qu’y nous font, ben on n’est pas sortis de l’auberge, c’est moi qui vous l’dis. Manière de dire que, dès le départ, l’appel à textes intitulé « nouvelles technologies et atteintes à l’humain » lancé conjointement par La Volte et la Ligue des Droits de l’Homme et qui a débouché sur cette anthologie posait quelque peu problème à l’amateur de science-fiction… En effet, en adoptant une telle orientation idéologique comme fondement même de son propos, il présentait le risque de déboucher sur des textes, disons « technophobes », pour ne pas dire « néo-luddites », pour ne pas dire franchement réactionnaires (et chez La Volte, dans le genre, on avait déjà donné avec La Zone du dehors d’Alain Damasio, présent à l’affiche…). Or, en science-fiction, ça la fout un peu mal… Si celle-ci peut à bon droit tirer la sonnette d’alarme à l’occasion, son instrumentalisation à cet effet, surtout s’il s’agit de pointer du doigt les dérives du progrès technologique, pose d’autant plus problème que les amalgames sont vite réalisés, qui viennent stigmatiser globalement ce progrès : on aura hélas l’occasion de le constater. Or, sans verser dans le positivisme béat, ni a fortiori dans un scientisme malsain, on est en droit de regretter que les nouvelles technologies, quelles qu’elles soient, ne soient envisagées ici que sous un angle purement négatif, quand elles sont susceptibles de tant d’applications.

 

Ceci étant, nous ne parlons ici que de l’appel à textes ; et si ces préconçus imprègnent encore largement la préface de Dominique Guibert, secrétaire général de la Ligue des Droits de l’Homme (qui, au mieux, enfonce des portes ouvertes, et, au pire, se montre maladroit, voire méprisant, vis-à-vis du genre…), le fait est qu’un appel à textes, ça se tord, ça s’interprète, ça se remâche, et qu’il peut en sortir des choses assez inattendues. Or il y a du beau monde, au milieu des inconnus, dans cette anthologie ; de quoi attiser malgré tout la curiosité du plus sceptique des lecteurs. Mais autant le dire tout de suite : le résultat final est passablement médiocre… Et s’il s’en est trouvé pour tirer leur épingle du jeu (quitte à verser dans le hors-sujet, d’ailleurs…), nombreux sont ceux qui se sont contentés du minimum syndical, quand ils n’ont pas livré des aberrations pures et simples.

 

Décortiquons donc la bête, en commençant par une rapide vue d’ensemble : double couverture, jolie maquette, c’est assurément un bel objet ; on se montrera par contre plus que réservés sur les « fiches signalétiques » placées en tête de chaque nouvelle et décrivant sommairement les auteurs, qui ont tout de la fausse bonne idée : le résultat est souvent, au choix, hilarant ou consternant (mentions spéciales au « subversif » Ayerdhal et au bavard Philippe Curval). Mais passons aux nouvelles, du pire au meilleur.

 

Le pire, ce sont deux nouvelles catastrophiques, caricaturales au possible, qui représentent à peu près tout ce que l’on pouvait craindre en la matière. Le champion, ici, est sans conteste Bernard Camus, avec – attention les yeux – « Les Événements sont potentiellement inscrits et non modifiables », courte « nouvelle » (?) absolument imbitable qui redonne à l’expression si convenue « d’anti-américanisme primaire » tout son sens (et en caractères gras s’il vous plaît). Mais Philippe Curval se débrouille également pas mal avec « Un spam de trop », de loin le texte le plus réac de l’antho, qui plus est plombé par un humour lourdingue, et dont la conclusion, absurde, certes, est avant tout ridicule.

 

Il y a ensuite du simplement mauvais. Outre la préface (donc), nous retiendrons ici trois textes : tout d’abord, « Le Regard », de Jérôme Olinon, texte raté, confus, au style pénible ; ensuite, « Trajectoires », de Danel, « Minority Report » du pauvre, mal écrit pour couronner le tout ; enfin, « Vieux Salopard » de Paul Beorn, mauvais remake de L’Échiquier du mal passablement hors-sujet.

 

Quatre nouvelles se contentent d’être médiocres, au sens strict : « Échelons », de Thomas Day, qui ouvre le recueil, n’est pas déplaisante, mais laisse un peu sur sa faim ; « Satisfecit » de Stéphane Beauverger est riche de bonnes idées, mais sa trame de thriller et sa conclusion déçoivent ; Ayerdhal, avec « Paysage urbain », fait dans l’ultra-didactique politiquement correct (ah non, pardon, « subversif »), ce qui n’est pas totalement inintéressant, mais tout de même un peu trop pontifiant pour séduire véritablement ; Prune Matéo, enfin, livre avec « Sauver ce qui peut l’être » un texte assez sensible, mais qui ne laisse guère d’impression durable.

 

On en arrive (enfin) aux textes « corrects », voire bons. Camille Leboulanger, avec « 78 ans », dresse un beau portrait de vieillard, dans un monde où la vieillesse peut être évitée ; un peu hors-sujet, mais touchant. À l’autre extrémité, Gulzar Joby, avec « Remplaçants », s’intéresse quant à lui aux enfants fliqués par leurs parents ; pas d’une originalité foudroyante, mais assez joli. Un cas-limite ensuite avec Alain Damasio, qui fait du Damasio, en mode psychothérapie fumage de moquette : comme souvent avec cet auteur, c’est aussi séduisant qu’agaçant, mais, au final, cette descente aux enfers fait mouche ; elle est pourtant largement hors-sujet…

 

Puis viennent les textes qui méritent franchement le détour. Jacques Mucchielli, avec « Spam », nous livre une variation particulièrement noire et agressive de Les Gogos contre-attaquent de Frederik Pohl : écriture irréprochable, images fortes, rien à redire. « Ghost in a Supermarket » d’Éric Holstein est également tout à fait recommandable : cette chasse au consommateur est tout à fait passionnante et effrayante. Si « Des myriades d’arphides » de Sébastien Cevey est peut-être encore un peu confus, il confirme néanmoins qu’il s’agit là d’un jeune auteur prometteur, et c’est en outre un des rares textes de l’anthologie à présenter les possibilités de résistance offertes par la technologie elle-même. Léo Henry est passablement hors-sujet avec « Naître et fleurir », mais peu importe : la plume est superbe, et la nouvelle délicieuse. Et l’anthologie de se conclure en beauté avec « Le Point aveugle » de Jeff Noon, sorte de poème en prose en plein dans le sujet.

 

Il n’en reste pas moins qu’au final ces 17 mauvaises nouvelles d’un futur bien géré (pas dit que ce sous-titre soit très bien vu, au passage…) sont dans l’ensemble très inégales, trop sans doute pour faire de ce recueil une lecture véritablement recommandable. Certes, les auteurs ont pour la plupart évité de tomber dans les pièges que leur tendait l’appel à textes, et c’est heureux ; mais trop rares sont ceux qui, pour autant, ont livré des textes vraiment saisissants, ou ont fait preuve de la maîtrise nécessaire pour les pousser jusqu’au bout.

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"Les Magiciens", de Lev Grossman

Publié le par Nébal

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GROSSMAN (Lev), Les Magiciens, [The Magicians], traduit de l’anglais [Etats-Unis] par Jean-Daniel Brèque, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2009] 2010, 508 p.

 

Ma chronique se trouve dans le Bifrost n° 61 (pp. 78-80).

 

Je vais tâcher de la rapatrier dès que possible… mais ça ne sera pas avant un an.

 

 En attendant, vos remarques, critiques et insultes sont les bienvenues, alors n’hésitez pas à m’en faire part…

 

EDIT : Hop.

 

À première vue, on pourrait naïvement penser que l’absence d’idées originales aurait quelque chose de vaguement handicapant pour un écrivain. Hélas, il suffit de jeter un œil à la majeure partie de la production annuelle en fantasy pour rapidement se persuader du contraire. Et ce n’est certainement pas Lev Grossman (le frère d’Austin, auteur d’Un jour, je serai invincible, également traduit par Jean-Daniel Brèque) qui va faire mentir cette réputation, lui qui, avec son troisième roman Les Magiciens, pompe à droite à gauche avec l’abnégation d’un Shadock.

 

Le projet de base est en effet d’une simplicité remarquable : selon les mots du New York Times, cité en quatrième de couverture – et c’est bien sous cet angle qu’a été vendu le bous… bouquin –, il s’agit de livrer « un Harry Potter pour adultes ». Drôle d’idée… Après tout, le sorcier binoclard britannique a suffisamment montré qu’il pouvait être lu aussi bien par les pitinenfants que par leurs parents. En quoi cela peut-il donc bien consister, « un Harry Potter pour adultes » ? Eh bien, selon Lev Grossman, cela consiste en gros à plagier peu ou prou J.K. Rowling sur 300 pages (qui condensent cinq années d’études ; oui, c’est du Potter en digest…), en les saupoudrant d’un soupçon de drogue, d’une cuillère d’alcool, et d’une louche de pénibles coucheries adolescentes et des jalousies qui vont avec, mollement partouzardes pour la forme, et en définitive très racoleuses. TU LA SENS MA GROSSE SUBVERSION ? Ben, pas vraiment, en fait ; d’autant que l’auteur, en définitive, échappe assez difficilement à un certain moralisme et en prime à un certain machisme pour le moins consternant. Donc, en fait « d’Harry Potter pour adultes »… Disons pour ados aux hormones en ébullition, à la limite. Et encore.

 

Pour le reste, nous sommes donc en terrain connu. Le livre premier (près de 300 pages, donc) est une resucée pure et simple de la série à succès précitée. Tout y est, et deux allusions pas très fines y sont même faites (pp. 171 et 245). Nous suivons donc Quentin Coldwater au cours de ses cinq années d’études à Brakebills, l’Université des magiciens (oui, décalage d’âge oblige). On y joue à la bourbasse au lieu du quidditch. Pour le reste, c’est la même chose. Les cours, les amis, les amours, les disputes… Certes, il n’y a pas cette fois l’idée d’un élu, et l’ombre de Voldemort ne plane pas sur l’école (même si nous en avons une sorte d’ersatz), mais c’est à peu près tout. Sinon, tout pareil ; à la limite du plagiat, ou si vous préférez du foutage de gueule. Avec beaucoup moins d’intérêt que l’original, cela va sans dire : en 300 pages, on n’a pas le temps de développer un univers aussi construit et cohérent (à vrai dire, Lev Grossman, sous cet angle, ne développe rien du tout) ; et on ne manquera pas de regretter le côté british de l’institution, mal transposé aux Etats-Unis, où le traditionalisme de Poudlard cède la place à un éloge de la compétition au moins aussi nauséabond, si ce n’est plus…

 

Restent 200 pages à combler. On commence par du sexe, de la drogue, et sans doute du rock’n’roll, pour montrer que, attention, on n’est pas dans Harry Potter, hein, mais dans un roman adulte. C’est lourd. Très lourd.

 

Puis l’on passe à la seconde véritable partie du roman, qui se rattache grossièrement à la première. Quentin, dans son enfance – et au-delà – était un fan absolu des Chroniques de Fillory, une série de fantasy en cinq volumes. Bien évidemment, il va découvrir que Fillory existe réellement, et que les Chroniques disaient la vérité. Pompage, phase deux : cette fois, c’est semble-t-il essentiellement « Narnia » qui trinque, avec une grosse louche de Magicien d’Oz, et un soupçon d’Alice au pays des merveilles. Le tout traité comme une parodie d’une mauvaise partie de Donjons & Dragons, avec un total manque de respect pour le sujet et les lecteurs. Les rebondissements gros comme une maison abondent, parfois téléphonés, d’autres fois simplement too much. Et le lecteur s’ennuie ; à peine si son intérêt s’éveille quelque peu dans les passages les plus sombres de ce périple à Fillory. Mais rassurez-vous (ou désespérez) : ce n’est que passager ; d’ailleurs, Lev Grossman serait en train de « travailler » (?) sur une suite…

 

Le plus fort est sans doute qu’il y ait eu des critiques pour trouver ça « luxuriant et inventif… original et passionnant », comme le proclame fièrement la quatrième de couverture, encore une fois, citant cette fois le Washington Post. Pas compris…

 

Si l’on ajoute à tout cela des personnages tous plus agaçants les uns que les autres (dans le mauvais sens du terme), épais comme une feuille de papier OCB et dotés de la psychologie d’un hamster, plus un style quelconque perclus de traits jeunistes (on ne compte pas les « cool » et les « look »), le bilan est vite vu : allez, hop, poubelle.

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