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"Pathfinder : Manuel des joueurs, règles avancées"

Publié le par Nébal

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Pathfinder : Manuel des joueurs, règles avancées

 

Le Manuel des joueurs, règles avancées est le complément naturel du Manuel des joueurs de Pathfinder. Ce beau volume de 330 pages contient bien des éléments susceptibles d’enrichir encore l’expérience ludique, en s’axant notamment sur (pardonnez-moi cette horrible expression, mais j’ai pas trouvé mieux) la personnalisation des personnages. Le livre de base autorisait déjà bien des choses, mais avec ce nouveau supplément, on peut avoir l’assurance qu’aucun personnage ne ressemblera à aucun autre. Évidemment, il y a un revers à la médaille : l’ensemble Manuel des joueursManuel des joueurs, règles avancées représente tout de même environ 900 pages de règles (!) ; et il va de soi que le MJ ne peut pas tout savoir, a fortiori s’il doit jongler sans cesse entre deux bouquins : aussi, ici plus que pour n’importe quel autre jeu de rôle de ma connaissance, la collaboration des joueurs en matière de règles se doit d’être active.

 

Ceci étant, décortiquons la bête. On commence par un bref chapitre consacré aux Races. Pas de nouvelles Races ici, et on peut le regretter ; mais on y trouve néanmoins de quoi rendre le jeu plus riche. Ainsi, pour chacune des sept Races de base, on trouve ici trois choses. On passera rapidement sur les attitudes raciales à l’égard des différentes Classes de base, ça n’est guère intéressant. Plus enthousiasmant, on trouve également des avantages pour certaines combinaisons Classe / Race. Mais l’élément le plus intéressant de cette section concerne les traits raciaux alternatifs, que l’on peut prendre en sacrifiant des traits raciaux de base. Personnalisation, vous dis-je.

 

Le chapitre suivant, de loin le plus long du supplément (on arrive à peu de choses près à la moitié du volume) concerne les Classes de base. Six nouvelles Classes de base sont tout d’abord proposées : Alchimiste, Chevalier, Inquisiteur, Invocateur, Oracle et Sorcière. Toutes sont équilibrées et également intéressantes. On trouve ensuite, à l’occasion, de nouvelles règles générales pour les Classes de base du Manuel des joueurs, et, surtout, des archétypes de classe : chacune des onze Classes originales se voient attribuer un certain nombre d’archétypes, pour lesquels on trouve de nouvelles capacités en remplacement des anciennes. Personnalisation ! Prenons l’exemple du Roublard : celui-ci pourra être Acrobate, Bretteur, Cambrioleur, Éclaireur, Effronté, Empoisonneur, Enquêteur, Espion, Fabricant de pièges, Happe-bourse, Tireur embusqué ou Voyou ; et, chaque fois, cela entraînera des règles particulières. Les Magiciens se voient offrir quatre nouvelles écoles, correspondant aux quatre éléments, et des champs d’étude magiques encore plus spécialisés que les écoles ; on trouve de même pour les Prêtres des sous-domaines. Notons pour finir qu’un des archétypes proposés est tellement différent de la Classe de base à laquelle il correspond que l’on peut bien parler de nouvelle Classe supplémentaire : l’Antipaladin…

 

On trouve ensuite de nouveaux Dons, dont une nouvelle catégorie : les Dons d’équipe, qui ne fonctionnent en principe que si deux ou plusieurs personnages ont le même, et autorisent des actions particulières.

 

Un peu d’équipement supplémentaire, ensuite. Rien à redire.

 

Puis une floppée de nouveaux sorts, pour toutes les Classes de jeteurs de sorts, et pas uniquement les nouvelles qui apparaissent dans ce volume. On pourra regretter (économie de papier…) que les listes de sorts ne soient pas complètes, sauf exception (comme pour les Antipaladins), mais ne comprennent que les nouveaux sorts de ce volume. Il faudra donc jongler avec les deux livres, y compris pour les listes.

 

On trouve ensuite huit nouvelles Classes de prestige : Arpenteur d’horizon, Fidèle Défenseur, Gardien de la nature, Héraut, Maître chymiste, Maître espion, Prophète enragé et Vengeur sacré. Certaines sont un peu décevantes, mais dans l’ensemble, il y a de quoi satisfaire les attentes du grosbill qui sommeille en tout un chacun.

 

Après quoi l’on passe à de nouveaux objets magiques. Pas grand-chose à en dire, si ce n’est qu’on y trouve plein de sceptres de métamagie.

 

Restent enfin dix pages de nouvelles règles. On trouve tout d’abord quatre nouvelles manœuvres de combat : entraînement, repositionnemment, sale coup et subtilisation (seules les deux dernières me paraissent véritablement intéressantes). On propose ensuite un système de « points héroïques », permettant de surmonter le hasard des jets de dés dans des situations critiques (pourquoi pas). Enfin, dernier ajout dans la catégorie « personnalisation du personnage », sont proposés des traits en rapport avec le background du personnage (chaque trait correspondant en gros à un demi-Don) : traits de combat, traits de foi, traits de magie, traits sociaux, traits de campagne, traits raciaux, traits régionnaux, et traits religieux.

 

Plein de bonnes choses, donc, dans ce supplément qui s’avère peu ou prou indispensable ; du moins enrichit-il considérablement l’expérience de jeu. Alors, certes, ça fait beaucoup de règles, mais on ne va pas s’en plaindre…

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"Grendel", de John Gardner

Publié le par Nébal

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GARDNER (John), Grendel, [Grendel], traduit de l’américain par René Daillie, édition établie par Thomas Day et Xavier Mauméjean, postface de Xavier Mauméjean, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [1971, 1974] 2010, 184 p.

 

De l’histoire de Beowulf, et ce en dépit de ses nombreuses adaptations / trahisons, je ne savais rien, si ce n’est que le héros y lattait sa vilaine gueule (entre autres) à un monstre du nom de Grendel. Pas grave, il n’est pas vraiment nécessaire d’en savoir beaucoup plus avant d’entamer la lecture du Grendel de John Gardner, autre adaptation / trahison, mais d’un genre bien particulier.

 

À ceux qui voudraient en lire une critique pénétrante et subtile, je ne peux mieux faire que les renvoyer à la très intéressante et éclairante postface de Xavier Mauméjean, qui met en rapport le texte et la biographie de l’auteur – et notamment ce terrible accident quand, à l’âge de douze ans, John Gardner a tué son frère Gilbert en l’écrasant avec un engin agricole. Je n’ai certes pas la prétention d’égaler ici cette brillante lecture, et me contenterai à mon habitude d’un compte rendu à la con, et à fleur de peau.

 

Grendel est un (très) court roman aussi protéiforme que son personnage principal. Lequel n’est autre, mais le titre est assez explicite à cet égard, que le monstre, et non pas le héros Beowulf. Nous adopterons donc ici le point de vue de l’autre, du mauvais rôle. Grendel est un personnage complexe, tour à tour tragique et farceur, et bien philosophe pour un monstre ; son expérience auprès du Dragon (qui semble en définitive lui conseiller de cultiver son jardin, mais le dote en même temps du charme lui permettant de semer le trouble chez les humains, et de leur apporter ainsi le sens dans la folie) y est peut-être bien pour quelque chose, mais nous le verrons plus qu’à son tour faire l’apologie du nihilisme et du solipsisme.

 

Pourtant, Grendel a faim. Pas uniquement au sens propre – il dévore bien des humains et des animaux dans ce court volume. Il a faim d’humanité. Celle-ci l’intrigue, et l’attire irrémédiablement. Lui, le monstre, de la race de Caïn (le frère meurtrier...), épie les Danois braillards et vantards de Hrothgar, qui se saoulent dans leurs châteaux de pillards, et il cherche à les comprendre. De même qu’eux, sans doute, cherchent à donner un sens à leur vie, qu’ils croient trouver dans les gestes des héros, telles qu’elles sont contées par les bardes (et notamment un barde aussi aveugle qu’Homère, qui fascine notre monstre de narrateur). Mais c’est bien le sentiment de l’absurde qui domine, et le triomphe de la folie sur la raison.

 

Grendel a tout du poème philosophique. On pense – bien sûr – à Ainsi parlait Zarathoustra, nihilisme oblige. Mais la prose très affectée et ce point de vue du mal m’ont aussi fait penser – en premier lieu d’ailleurs – aux Chants de Maldoror de Lautréamont (dont je n’ai jamais été très fan), voire à Une saison en enfer de Rimbaud (là, si, par contre). C’est la force et la faiblesse de ce texte hors-normes, qui fascine autant qu’il agace. On est tantôt séduit par la beauté des images, tantôt lassé des inévitables philosopheries (à prendre plus ou moins au sérieux, heureusement) et des évitables expérimentations passablement pédantes qui parsèment Grendel. Mais on rit, aussi, assez souvent...

 

Car Grendel n’est pas que tragique, avec sa faim inassouvie, sa mère folle et qui ne peut communiquer avec lui, son destin tout tracé (au passage, Beowulf n’apparaît logiquement qu’à la toute fin du roman, et sans jamais être nommé, si je ne m’abuse). Il a aussi un fond comique, et le texte éponyme tient également de la charge, au sens de caricature. Non que l’on puisse véritablement parler de parodie, que ce soit le texte original qui en prenne pour son grade – John Gardner, spécialiste de la littérature médiévale, éprouve sans doute beaucoup de respect pour Beowulf. Mais les travers des hommes – leurs travers moraux, notamment – sont pointés du doigt (de la griffe), avec une virulence arrogante qui suscite régulièrement l’enthousiasme, et presque aussi souvent le rire. Certains passages, pourtant non dénués de sérieux, relèvent à peu de choses près du burlesque – voyez Grendel s’amuser avec le héros autoproclamé Unferth. Qui sait, mais n’en peut mais.

 

Grendel – le livre – a ainsi autant de visages que Grendel le monstre. Ce qui justifie sans doute une réception contrastée. J’ai dans l’ensemble apprécié ma lecture, été séduit par la plume de l’auteur, et au moins intéressé, si ce n’est convaincu, par les thématiques qu’il soulève. Mais j’ai aussi régulièrement soupiré devant certains excès intellectualisants, qui m’ont paru bien de leur temps, et tout à fait pénibles. Aussi, je ne saurais garantir que vous y trouverez votre bonheur... Mais on reconnaîtra dans tous les cas à Grendel une certaine beauté tragicomique, et une indéniable intelligence.

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"Destination ténèbres", de Frank M. Robinson

Publié le par Nébal

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ROBINSON (Frank M.), Destination ténèbres, [The Dark Beyond the Stars], traduit de l’américain par Jean-Daniel Brèque, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [1991] 2011, 484 p.

 

Tiens ! Un bouquin avec une couv’ de Manchu représentant un grrrrros vaisseau spatial. Ça sent la Vraie SF de chez Vraie de Vraie, ça. Allez, hop, comme ça faisait un petit moment et que c’est l’été, lisons la bête. De l’auteur, Frank M. Robinson, je n’avais jamais entendu parler auparavant ; on n’en apprendra pas grand-chose ici, si ce n’est qu’il était le scénariste de La Tour infernale, ce qui peut avoir son importance pour la suite.

 

Il y a donc Moineau. Moineau est un jeune astro de 17 ans, qui, lors d’une mission d’exploration sur la lointaine planète Séthi IV, tombe d’une falaise et n’en réchappe que par miracle. Il s’en tire finalement sans trop de bobos… à ceci près qu’il est amnésique. Et à bord de l’immense Astron, vaisseau-génération où on l’a rappatrié, on ne semble guère l’aider à retrouver la mémoire. Raison médicale, paraît-il : il faut que Moineau refasse le cheminement tout seul. Mais la vérité est peut-être tout autre : mensonges, non-dits et faux-semblants deviennent bientôt la réalité quotidienne de Moineau, qui se met à paranoïer comme c’est pas permis.

 

Alors il y a bien le Capitaine, le vieux et sage Michael Kusaka, qui a connu la Terre ; mais celui-ci ne semble pas non plus d’un très grand secours, et a en outre des projets qui font polémique. En effet, cela fait 2000 ans que l’Astron est parti en quête de vie extraterrestre. Sans avoir jamais rien trouvé jusque-là. Alors le Capitaine décide de traverser la Nuit, une partie de la galaxie dénuée d’étoiles, pensant trouver la vie de l’autre côté ; mais l’Astron est un vieux vaisseau, qui pourrait bien ne pas survivre au voyage… Aussi la résistance (la mutinerie ?) s’organise-t-elle ; mais pour ces astros qui ont été élevés dans un respect immense pour la vie, quelles actions sont envisageables ? Moineau, évidemment, devra prendre part au débat… aussi loin que possible des écrans-espions du Capitaine.

 

Pendant sa (longue) première partie essentiellement, mais encore un peu par la suite, Destination ténèbres, c’est en quelque sorte du Philip K. Dick dans une arche stellaire. L’ambiance est paranoïaque au possible, et évoque quelques grandes réussites du génial auteur de SF (notamment Le Temps désarticulé). Et c’est pas mal. Pas mal du tout, même ; on se prend au jeu, et on tourne les pages l’air de rien, curieux de voir ce qui va bien pouvoir débouler par la suite, et de connaître la vérité concernant Moineau.

 

Il y a cependant un problème : c’est que Frank M. Robinson, pour ce faire, a choisi d’écrire une sorte de thriller, genre qui n’a jamais eu mon adhésion (en littérature s’entend), très mécanique qui plus est. Ainsi, régulièrement, inévitablement à chaque fin de chapitre mais aussi parfois à l’intérieur, il nous mitonne un cliffhanger. Alors au début, ça va, mais passé un certain temps, ça commence à devenir un peu too much. D’autant que l’on tombe souvent, en fin de compte, sur des révélations qui n’en sont pas vraiment, des accroches trop artificielles pour convaincre, des twists plus ou moins crédibles (l’auteur use régulièrement d’une logique qu’on qualifiera gentiment d’alambiquée ; une longue scène judiciaire est à ce titre particulièrement éloquente) et terriblement hollywoodiens.

 

Et ce côté mécanique est passablement dommageable. Les rouages sont apparents, ce qui finit par nuire à l’intrigue. Celle-ci est pourtant, dans les grandes lignes, tout à fait passionnante et bien trouvée. Ne vous méprenez pas sur mon ressenti : Destination ténèbres est sans conteste un bon divertissement ; simplement, je crois qu’il aurait été bien meilleur s’il avait fait preuve d’un peu plus de subtilité, d’un peu moins d’automatismes.

 

Heureusement, histoire de compenser cette faiblesse, on trouvera dans Destination ténèbres bien des éléments savoureux : certes, on ne les cherchera pas du côté de l’écriture, pas très glop, ni du côté des personnages, dans l’ensemble un peu trop unilatéraux (malgré tous les efforts déployés par l’auteur pour semer le doute ; mais si ça trompe Moineau, ça ne trompe pas le lecteur) ; mais il y a, au-delà, de belles pages sur l’existence de la vie dans l’univers, sur le débat entre foi et science (je fais de mon côté partie de ceux qui prétendent que seule la foi peut soutenir que la vie n’existe que sur Terre, mais il est intéressant d’envisager le point de vue opposé), et un contenu politique non négligeable et plutôt intéressant.

 

Destination ténèbres est donc un divertissement plus qu’honnête – et sans doute un peu plus que ça. Il pèche cependant par son aspect de thriller mécanique, ce qui l’empêche à mon sens de figurer parmi les meilleurs titres du genre, et a fortiori parmi les « classiques », comme le prétend la quatrième de couverture. Reste une lecture dans l’ensemble fort prenante, un récit le plus souvent astucieux, malgré les rouages apparents ; aussi ai-je au final plutôt apprécié ce roman, mais je ne puis pour autant faire part d’un enthousiasme énorme. Un bon roman, oui ; qui aurait sans doute pu être meilleur, mais on se contentera de ce qu’on a, et sans faire la fine bouche, hein, Nébal.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Secrets du Kenya"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Secrets du Kenya

 

Suite (et pour le moment fin) de mes comptes rendus sur la gamme des « Secrets » pour L’Appel de Cthulhu avec ce volume consacré au Kenya, et dû à la plume de David Conyers. Dans la conclusion de ma note sur Les Secrets de Marrakech, j’espérais que ce volume saurait relever le niveau. Bon, y a pas photo : c’est heureusement le cas. D’ailleurs, gag : on en apprend indirectement plus sur le Mythe au Maroc dans Les Secrets du Kenya que dans Les Secrets de Marrakech ! Ce qui est quand même un comble…

 

Le Kenya, donc. Dans les années 1920-1930, c’est le pays du safari. Mais pas que… Et ce supplément riche et bien documenté (mais traduit avec les tentacules) permettra de prendre conscience de bien des secrets indicibles derrière la carte postale… Car il a le bon goût, tout en détaillant précisément ce qui doit l’être de l’histoire et de la géographie de ce qui était alors une colonie britannique, de ne jamais perdre de vue le Mythe et ses implications. Ce qui fait du guide une réussite. Les scénarios, c’est une autre histoire, mais on y reviendra.

 

Le volume s’ouvre sur « Ce qui est en haut, ce qui est en bas », une nouvelle pas terrible, d’autant qu’elle est insupportablement mal traduite. Dommage, elle détaille un aspect intéressant du Kenya cthulhien, sur lequel on aura heureusement l’occasion de revenir de manière plus convaincante.

 

On attaque les choses sérieuses avec « Le Kenya, passé et présent », qui s’intéresse donc à l’histoire du pays et en constitue également une présentation géographique et culturelle (blanche) générale. C’est très bien fait, et tout à fait intéressant.

 

Il en va de même pour « Les peuples africains », qui s’intéresse cette fois au versant indigène du Kenya. Douze tribus majeures (sur soixante-dix) sont présentées, ainsi que quelques données d’ordre général sur les modes de vie et coutumes. Après un bref paragraphe sur la magie africaine, le chapitre se conclut en offrant la possibilité de créer des investigateurs africains, ce qui me paraît un challenge, mais peut être intéressant (on notera que le livre est par ailleurs émaillé de nouveaux archétypes).

 

Suit le « Guide de Nairobi », la capitale et la ville la plus emblématique. C’est à nouveau fort bien fait et documenté, on s’y intéresse aux aspects les plus essentiels de la ville, avec quelques personnages historiques inclus (dont Karen Blixen), et, surtout, on commence à apporter quelques éléments relatifs au Mythe. Tout à fait convaincant, donc.

 

Le « Guide du Kenya » s’intéresse ensuite au reste de ce pays si riche et divers. Là encore, le Mythe n’est jamais loin. Passionnant.

 

Suit un inévitable et nécessaire « Bestiaire africain ». Pas grand-chose de plus à dire à ce sujet…

 

Un bref chapitre, enfin, s’intéresse aux « Sociétés secrètes ». C’est l’occasion d’en apprendre davantage sur les sectes africaines de Cthulhu, le Culte de la Langue Sanglante, le Culte du Ver Spiralé, les cultes des goules africaines, les hommes-léopards, la Sororité du Messager Masqué et les Singes blancs. Passionnant là encore.

 

Après quoi l’on passe aux scénarios. Il y en a quatre, assez « old school » à certains égards, plutôt dans une optique d’horreur lovecraftienne à mes yeux, et tous, pour des raisons diverses, un peu déconcertants…

 

« La folie des ancêtres » est probablement le plus intéressant des quatre : il peut fournir une bonne introduction des PJ au Kenya, et les confronte aux goules africaines, bien plus organisées et intelligentes que les autres. Le scénario est pas mal du tout, l’ambiance est très bien… mais il se conclut quand même plus ou moins sur une sorte de donjon, et il me paraît très difficile d’en sortir vivant ou d’en tirer une conclusion véritablement satisfaisante… Il faut y réfléchir, quoi.

 

« Les chats de Lamu », en ce qui me concerne, n’est pas un scénario. Et c’est dommage, parce qu’il y avait sans doute de quoi faire avec cette excursion dans les Contrées du Rêve, et ce chouette PNJ qu’est Jamal Alhazred (prétendant descendre de vous savez qui).

 

« Terres sauvages » s’intéresse aux hommes-léopards. C’est assez dirigiste, et un tantinet bourrin, mais ça peut être amusant, à condition de le retravailler un peu.

 

Reste enfin « Bois mort », qui part d’une bonne idée et utilise les chouettes trouvailles développées par Donald Wandrei dans « The Tree-Men of M’bwa ». Pourtant, ce scénario là encore très linéaire, vaguement donjonneux, et méchamment dangereux ne convainc guère en définitive. Là encore, du coup, il faudra retravailler la chose pour en obtenir quelque chose de véritablement intéressant.

 

On notera deux annexes intéressantes : tout d’abord une chonologie de l’Afrique de l’Est britannique (au-delà du seul Kenya, donc) ; ensuite et surtout, un résumé des principaux aspects du Mythe dans l’ensemble de l’Afrique, ce qui peut donner plein d’idées.

 

Au final, nous avons donc un très bon guide, riche et enthousiasmant, puis quatre scénarios pas terribles, un peu décevants eu égard aux attentes du lecteur. Le bilan est donc positif, même si pas parfait. Voilà en tout cas une chouette occasion de dépayser un peu l’intrigue, et de faire voir du pays aux PJ.

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"Deus in machina", de John Scalzi

Publié le par Nébal

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SCALZI (John), Deus in machina, [The God Engines], traduit de l’anglais [américain] par Mikael Cabon, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2009] 2011, 140 p.

 

John Scalzi s’est fait connaître avec la série du « Vieil Homme et la guerre », déjà chez L’Atalante, et qui m’avait plus que convaincu. L’éditeur nantais a récemment publié le premier roman de l’auteur, Imprésario du troisième type, qui m’avait laissé une impression plus mitigée (euphémisme). Et de continuer dès aujourd’hui sur sa lancée avec ce Deus in machina fort bref (on parlera plus de novella que de roman), qualifié en quatrième de couv’ de « science-fantasy noire », ce qui ne manquera pas de surprendre les habitués de Scalzi. Une novella ? De fantasy ? Noire ? Allons bon ! Curieux, j’ai fait l’acquisition de ce petit bouquin, me disant même (soyons fous) qu’on y trouverait peut-être enfin le Scalzi plus ambitieux que j’appelle de mes vœux, et dont on sent tout le potentiel dans ses précédents romans.

 

Adonc, Deus in machina. Dans ce que l’on supposera être un lointain futur, la science a cédé le pas devant la religion. À travers la galaxie, l’humanité (?) vénère le Seigneur, un dieu qui est devenu le Dieu après avoir asservi ses compères. Dès lors, les vaisseaux spatiaux, tels le Vertueux du commandant Ean Tephe sont propulsés par les « avilis », les dieux dont a triomphé le Seigneur. Et qui peuvent se montrer récalcitrants… D’où ce très fort incipit : « L’heure était venue de fouetter le dieu. »

 

Mais Ean Tephe, dont la foi ne saurait faire de doute, entretient une relation étrange avec le dieu du Vertueux, teintée d’une fascination sans doute pas très canonique. Et s’il est au service de son Seigneur, il n’en est pas moins une forte tête, qui ne se laisse pas mener en bateau (si j’ose dire) par le prêtre Andso, à maints égards son rival à bord du Vertueux, et un personnage parfaitement détestable.

 

Or il semblerait que les dieux se montrent de plus en plus rebelles, et que les incidents se multiplient à travers la flotte. Y a-t-il anguille sous roche ? Ean Tephe, rappelé d’urgence à Port-à-l’Évêque, la planète où tout a commencé, sera aux premières loges pour le découvrir…

 

Un bon point : en 140 pages, on n’a pas le temps de s’ennuyer. Même si j’ai émis quelques réserves au cours de ma lecture – du fait d’une impression que Scalzi en dit trop ou pas assez –, la conclusion très pertinente convainc finalement que le format de la novella était le plus approprié pour ce récit.

 

Mais, pas de mystère : non, ce n’est pas encore le Scalzi que j’attendais… La faute à quoi ? Eh bien, à une foultitude de petits éléments, pas forcément rédhibitoires, surtout pris isolément, mais qui, conjugués les uns avec les autres, laissent un fâcheux arrière-goût en bouche, et l’impression d’une lecture médiocre. Les personnages sont tristement creux, par exemple, réduits à des archétypes pénibles de mauvais space op’. L’écriture n’arrange rien : fade au possible, elle n’a certes pas la vivacité des précédents romans de l’auteur, sans parler de leur humour, aux abonnés absents. La construction peut parfois laisser sceptique, avec des ellipses plus ou moins maîtrisées. Et puis, très vite, on se dit que l’idée de base n’est finalement pas si brillante que ça, et n’autorise peut-être pas grand-chose comme développements.

 

Alors, certes, on trouve bien une (inévitable) critique de la religion, mais elle est fort convenue et ne convainc guère. Tout cela fait décidément trop dans les archétypes, pour ne pas dire les clichés (mais pourquoi ne le dirait-on pas, après tout ?). Au final, que reste-t-il ? Quelques éclats de gore/sadisme bienvenus, et une indéniable noirceur vaguement cynique, amplifiée par une conclusion plutôt réussie. N’empêche, malgré ces quelques atouts qui s’accumulent notamment dans les dernières pages, c’est quand même l’impression d’avoir lu quelque chose de franchement anecdotique qui domine quand on referme ce Deus in machina.

 

J’attends toujours Scalzi au tournant… En attendant, vous pouvez faire l’impasse sur cette novella vite pliée, plus médiocre qu’autre chose.

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"Pathfinder : Manuel des joueurs" + "Ecran du MJ"

Publié le par Nébal

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Pathfinder : Manuel des joueurs

Pathfinder : Écran du MJ

 

Nébal s’est offert un petit plaisir régressif…

 

En effet, j’avais le sentiment qu’il manquait dans ma bibliothèque de jeux de rôle un jeu de grosse fantasy qui tache. C’est indispensable, quoi, merde. Et puis (séquence nostalgie), j’avais de tellement bons souvenirs de mes innombrables parties de AD&D 2 (principalement dans les univers Dark Sun et Ravenloft) de quand j’étais ado… Sauf que, comme un con, j’ai tout vendu il y a de ça quelques années. Alors je me suis dit, là, comme ça, que je m’en ferais bien un de nouveau. J’ai longtemps hésité, puis, à la suite de la lecture d’un dossier dans Jeu de rôle magazine, je me suis finalement décidé pour une valeur sûre, à la gamme déjà abondante et en constante expansion, à savoir Pathfinder, qui n’est autre que la version « ultime » du « jeu de rôle le plus célèbre au monde » (qu’a priori il ne faut pas nommer) ; entendez par-là que toute la gamme Pathfinder est compatible OGL 3-5. Et qu’on n’a jamais poussé le système aussi loin.

 

Hou, là, oui. Vachement loin.

 

Il n’est que de voir le superbe livre de base, hénaurme pavé de 580 pages tout en couleurs (et rédigé dans un français correct, mirac’ !) : il y a là de quoi créer une véritable simulation de vie jusque dans les moindres détails, mais alors vraiment les moindres. Autant dire que ça pinaille. Et que, bien évidemment, si je suis amené à maîtriser une partie de Pathfinder, j’adopterai comme à mon habitude des règles un chouia simplifiées, pour privilégier la fluidité et le roleplay (parce que oui, ça peut s’y prêter aussi : après tout, un jeu de rôle, ça n’est jamais que ce que les joueurs et le MJ en font, on n’est pas obligé de faire dans le porte-monstre-trésor). Mais, pour ceux qui voudraient pousser l’expérience très loin, on peut bien dire que tout a été prévu. Tout, tout, tout.

 

Adonc, le Manuel des joueurs. Il contient l’ensemble des règles de base pour jouer à Pathfinder (mais trouve son complément presque indispensable dans le Manuel des joueurs, règles avancées, dont je vous causerai prochainement). Après la petite présentation du chapitre 1 (qui propose également plusieurs manières de déterminer les six Caractéristiques traditionnelles : Force, Dextérité, Constitution, Intelligence, Sagesse, Charisme), on entre dans le vif du sujet, avec le chapitre 2, consacré aux Races. Nous avons ici sept Races jouables : les humains, bien sûr, plus quatre Races de fantasy « classiques » (elfes, nains, halfelins, gnomes) et deux Races « bâtardes » (demi-elfes et demi-orques). Les Races sont équilibrées, que ce soit au niveau des caractéristiques (humains, demi-elfes et demi-orques en choisissent une qui gagne +2, tandis que les quatre autres ont deux caractéristiques à +2 et une à –2, fixes) ou au niveau des aptitudes spéciales. On peut regretter qu’il n’y ait pas plus de Races jouables, mais rien n’interdit d’en créer soi-même, et, peut-être, un jour…

 

Le chapitre 3 est consacré aux Classes de base. Il y en a onze (à noter qu’il y en a davantage dans le Manuel des joueurs, règles avancées) : Barbare, Barde, Druide, Ensorceleur (tiens, ça, je connaissais pas, et c’est cool), Guerrier, Magicien, Moine, Paladin, Prêtre, Rôdeur et Roublard. Toutes ces classes ont des aptitudes spéciales alléchantes, et sont bien plus équilibrées que dans mon souvenir (l’avait galéré, mon Nécromancien de Ravenloft, dans les premiers niveaux… là, ça a l’air beaucoup plus raisonnable). A noter que la progression en expérience fonctionne désormais de la même manière pour toutes les classes (ce qui contribue encore à l’équilibre), et peut se faire selon trois vitesses.

 

Le chapitre 4 est consacré aux Compétences : le système est simple, et beaucoup plus souple et convaincant que dans mon souvenir. Irréprochable.

 

Le chapitre 5 se penche sur les Dons. Y’en a un bon paquet, qui permettent de personnaliser encore plus le personnage (si vous me passez cette odieuse expression).

 

Chapitre 6 : l’équipement (non magique, sous entendu ; voir plus bas). Bon, rien à redire…

 

Chapitres 7 : règles complémentaires. On trouve ici ce qui concerne l’alignement (selon les deux axes traditionnels Bien-Mal et Loyal-Chaotique), l’âge, la taille et le poids, le poids transportable, les déplacements et l’exploration. Très (trop ?) complet.

 

Ayé, on a un personnage. Bon, maintenant, envoyons-le convertir du gobo en XP. Chapitre 8 : le combat. Les règles sont finalement moins complexes que ce qu’elles en ont l’air (sauf peut-être pour ce qui est des attaques d’opportunité, où ça pinaille grave), mais on notera que le système est très complet, et prévoit éventuellement l’utilisation de figurines et de décors (bon, ça, c’est pas pour moi…).

 

Chapitre 9 : la magie. Là encore, c’est nettement moins compliqué que ça en a l’air, dès l’instant que l’on adopte quelques principes de base, mais très complet.

 

Chapitre dix : les sorts. Plus de 150 pages (!), avec plein de trucs pyrotechniques et autres dedans. Chacun devrait pouvoir y trouver son bonheur.

 

Le chapitre 11 présente dix Classes de prestige, accessibles sous conditions (là encore, il y en a davantage dans le Manuel des joueurs, règles avancées) : Archer mage, Assassin, Champion occultiste, Chroniqueur, Disciple draconien, Duelliste, Gardien du savoir, Maître des ombres, Mystificateur profane et Théurge mystique. Tout cela est fort alléchant pour le Grosbill qui sommeille en tout un chacun.

 

Le chapitre 12, intitulé « Mener une campagne », s’adresse cette fois au MJ. On y trouve les règles sur les rencontres (et donc les XP et le butin…) et quelques conseils d’ordre général destinés aux débutants, plutôt bien faits.

 

Le chapitre 13 est consacré à l’environnement : on commence (inévitablement…) par les bons vieux donj’, avant de voir ce que peut donner l’extérieur, puis les villes et les autres plans ; on y apprend également comment gérer le climat, la faim, la soif, etc.

 

Le chapitre 14 indique comment créer des PNJ. Rien à redire.

 

Le chapitre 15, enfin, s’intéresse aux objets magiques. Il y en a toute une tannée (armures et boucliers, armes, potions, anneaux, sceptres, parchemins, bâtons, baguettes, objets merveilleux, objets intelligents – mouhahaha –, objets maudits – mouhahaha bis – et artefacts – Grosbill !), et des règles (que j’ai trouvées assez complexes, là) sur leur création.

 

Quelques appendices pour préciser encore quelques points, et c’est fini. Ouf. Reste plus qu’à lire le Manuel des joueurs, règles avancées

 

Ah, si, l’écran. Boarf, pas grand-chose à dire… Il n’est pas spécialement joli, se contentant de reproduire les classes de personnages, mais rigide, et ça c’est bien. Il est en outre accompagné d’un livret qui contient notamment des errata à apporter au Manuel des joueurs (en sus de ceux qui ont déjà été corrigés par les stickers fournis avec).

 

Bilan : c’est beau, c’est bien fait, et ça donne carrément envie.

 

 

 On joue ?

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"Overclocked", de Cory Doctorow

Publié le par Nébal

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DOCTOROW (Cory), Overclocked. Stories of the Future Present, Philadelphia – London, Running Press, [2005-2006] 2007, 285 p.

 

Autant le préciser d’emblée : j’avais adoré Dans la dèche au Royaume Enchanté. Tout en reconnaissant à ce court roman un certain nombre de défauts, je n’en étais pas moins convaincu que c’était là de l’excellente science-fiction, stimulante comme rarement. Aussi me suis-je mis en quête d’autres textes de Cory Doctorow. Évidemment, rien en français… Alors je me suis tourné vers la VO, et c’est comme ça, en farfouillant un peu par hasard sur un site qu’on ne nommera pas, que je suis tombé sur ce recueil de six nouvelles (une short-short et cinq novellas).

 

 

Et là, grosse baffe. Je crois bien avoir préféré Overclocked à Dans la dèche au Royaume Enchanté. J’irai même plus loin : je crois bien n’avoir pas lu d’aussi bonnes nouvelles de science-fiction depuis Greg Egan et Ted Chiang. Certes, cela n’engage que moi, mais j’imagine que cela témoigne assez de mon enthousiasme pour cet excellent recueil.

 

Parmi les citations laudatives qui ornent la couverture et dont sont coutumières les livres anglo-saxons, on trouve cette sentence définitive de Bruce Sterling : « Science fiction needs Cory Doctorow. » Je suis on ne peut plus d’accord. Overclocked constitue à mes yeux une sorte de type-idéal de la bonne science-fiction : bourré d’idées toutes plus pertinentes et stimulantes les unes que les autres, il fait partie de ces livres qui fascinent littéralement le lecteur. À plusieurs reprises, je me suis surpris à poser le livre, réfléchir quelque temps à ce que je venais de lire, et me dire : « Putain, mais c’est brillant ! C’est vraiment brillant ! »

 

Brillant : je crois que c’est le qualificatif qui colle le mieux à ce recueil, et n’en démordrai pas. Et – chose absolument incroyable – il parvient à être à la fois brillant et politique, ce qui n’arrive pas tous les jours en science-fictionnie, loin de là. Mais là, si. Le recueil est virulent, engagé (on connaît notamment les positions de l’auteur en ce qui concerne la propriété intellectuelle, et c’est un thème qui apparaît dans chacun de ces textes, parfois en filigrane, parfois de manière plus franche), saisissant et… et… bon, quoi. Très bon. Très très très bon. Vraiment brillant.

 

Et visionnaire, mais à la manière du « présent visionnaire » chéri par J.G. Ballard. D’où ce sous-titre très approprié de « Stories of the Future Present ». Kelly Link, toujours dans les citations promotionnelles, écrit ceci : « Cory Doctorow doesn’t just write about the future – I think he actually lives there. » Pas vraiment d’accord (et Cory Doctorow lui-même semble ne pas l’être davantage, à lire la présentation de ses textes) : parfois, c’est tout simplement nous qui vivons déjà dans ce futur dont l’auteur canadien se fait le chroniqueur. Ici, Cory Doctorow se pose à mon sens en héritier de William Gibson (je parle de ses romans les plus récents). Et c’est très fort. Extraordinairement pertinent et lucide.

 

Et pourtant toujours simple – en apparence. Cory Doctorow soulève des idées d’une puissance rare, mais il le fait l’air de rien, comme si c’était une blague parfois, et toujours, en tout cas, en usant d’une très grande clarté d’exposition, qui parvient pourtant à éviter l’écueil du didactisme. Je me répète, je le sais, mais voilà : la science-fiction, c’est ça. Ou ça devrait être ça.

 

Décortiquons donc la bête. Le recueil s’ouvre sur « Printcrime » (on pense tout naturellement au « sexcrime » de 1984), short-short sans surprise, mais qui sonne comme une déclaration d’intention… ou une déclaration de guerre. Aussi, dans un sens, on ne pouvait pas rêver meilleure introduction : on y joue cartes sur table, et on annonce ainsi ce qui est à venir.

 

« When Sysadmins Ruled the Earth », dès son titre, a l’air d’une blague. C’est pourtant un récit apocalyptique cauchemardesque, et remarquablement bien pensé. L’air de rien (donc), Cory Doctorow y soulève des perspectives fascinantes ; et débat adroitement de cette question nettement moins sotte que ce qu’elle en a l’air : que faire de l’Internet quand c’est la fin du monde ? Passionnant et incroyablement stimulant.

 

« Anda’s Game » (référence transparente à Ender’s Game ; dans sa présentation du texte, Cory Doctorow s’explique sur sa pratique du « détournement » de titres classiques de la SF, dont on aura d’autres exemples par la suite), qui fut sélectionnée par l’excellent (faut-il le rappeler) Michael Chabon pour son anthologie The Best American Short Stories 2005, est la nouvelle la plus représentative de ce « présent visionnaire » qui a été évoqué plus haut. Cory Doctorow y imagine… des sweatshops virtuels, dans un MMORPG à la World of Warcraft. Et il semblerait qu’il en existe déjà… Une nouvelle remarquable, très forte, et décidément très politique.

 

Suit « I, Robot » (je ne vous fais pas un dessin...), nouvelle qui a remporté le prix Locus et fut nominée au Hugo. Cory Doctorow y mêle avec une adresse redoutable société de contrôle dystopique à la 1984 (encore) et SF de « l’âge d’or » à la Asimov, donc (le texte, en se basant sur les fameuses trois lois de la robotique, questionne pertinemment l’éthique scientifique et le développement technologique), intrigue policière et drame familial. Oui, on a tout ça ensemble ; et le pire, c’est que ça fonctionne superbement. Un vrai bijou.

 

Après quoi l’on passe à « I, Row-Boat » (décidément !), de très loin la nouvelle la plus « légère » du recueil. Mais si ce petit délire n’a pas la gravité et le sérieux flagrant des autres textes d’Overclocked, ça n’en est pas moins une réussite parfaitement jubilatoire, très drôle et bourrée d’idées. Sur une Terre presque totalement délaissée par l’humanité et la post-humanité, « Robbie the Row-Boat », asimoviste convaincu (qui a donc choisi d’obéir aux trois lois, comme on entre en religion) aura maille à partir avec une post-humaine dépressive, une IA amoureuse… et un récif de corail éveillé à la conscience. Jubilatoire, vous dis-je.

 

Mais c’est sur une note bien autrement grave (malgré le final plus ou moins utopique – l’utopie perce souvent sous la critique dans ce recueil, et on peut trouver ça un peu naïf, mais, bordel, des fois, ça fait du bien de s’indigner et de rêver !) que s’achève Overclocked, avec le plus long de ses récits, le très fort « After the Siege ». Ou le calvaire d’une adolescente prise dans les tourments d’un siège inspiré des souvenirs de celui de Leningrad que Cory Doctorow a recueillis auprès de sa grand-mère. Et une parabole virulente sur les inégalités Nord-Sud, notamment sur la question de la rétention de savoirs et technologies, et sur la société du spectacle. L’auteur frôle le point Godwin – voire le franchit allègrement –, mais pas grave : le moins que l’on puisse dire, c’est que ce texte cruel fait son effet.

 

Comme l’ensemble de ce recueil, donc. Alors, oui, ça n’engage que moi, mais je place désormais Cory Doctorow aux côtés de Greg Egan et Ted Chiang parmi les meilleurs nouvellistes contemporains du genre. J’espère du coup que cette petite merveille sera traduite un jour. Mais quoi qu’il en soit, je n’en ai certainement pas fini avec cet auteur exemplaire.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Secrets de Marrakech"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Secrets de Marrakech

 

C’était pas prévu, mais je poursuis dès aujourd’hui mes comptes rendus de lecture de la gamme des « secrets » de L’Appel de Cthulhu avec le très mal nommé Les Secrets de Marrakech (c’est en fait tout le Maroc sous protectorat français qui est envisagé dans ce supplément assez bref : Rabat et Casablanca se voient accorder autant de développements que Marrakech, et il n’y a que Tanger et le protectorat espagnol qui ne sont pas décrits).

 

Et là, problème : l’auteur n’est autre que William Jones, qui avait déjà commis le passablement mauvais Les Secrets de New York. D’où l’on pouvait craindre d’y retrouver les mêmes défauts… Mais je suis naïf, et j’accorde régulièrement des secondes chances…

 

Ben j’aurais pas dû.

 

N’y allons pas par quatre chemins : Les Secrets de Marrakech est encore pire que Les Secrets de New York. C’est même à l’heure actuelle le seul supplément pour L’Appel de Cthulhu que j’ai lu et trouvé mauvais du début à la fin.

 

Inutile de rentrer dans les détails, cette petite merde ne le mérite pas. Je me contenterai de dire que ce supplément (par ailleurs vraiment traduit avec les pieds, ce qui explique de savoureuses boulettes ; le pauvre Lyautey, notamment, doit s’en retourner dans sa tombe, lui qui se voit systématiquement prénommé « Marshal »…) reproduit, de manière encore plus grotesque, les travers des Secrets de New York : cette « monographie », comme l’auteur la désigne en introduction, est un mauvais guide touristique, dans lequel les éléments « mythiques » sont bien trop rares. Alors on se promène dans Rabat, Casablanca et Marrakech, puis dans l’arrière-pays, et on repère les monuments, deux-trois boutiques, quelques bâtiments administratifs, les jardins…

 

Le Mythe ? Tenez-vous bien : il y a des goules dans les cimetières. Étonnant, non ?

 

(Il y en a même dans les Tombeaux saadiens, ce qui est assez balaise, pour le souvenir que j’ai de cet endroit magnifique.)

 

Ah, et puis on croise un immortel. Et il y a des tablettes remontant à l’Antiquité mésopotamienne.

 

Et.

 

C’est.

 

Tout.

 

J’exagère à peine, promis. On croise bien un Sombre Rejeton de Shub-Niggurath lors de ce qui est présenté comme un « mini-scénario » (consistant en cette seule rencontre !), mais pour le reste, pas l’ombre d’un tentacule.

 

Alors William Jones meuble : en véritable champion pour ce qui est d’enfoncer des portes ouvertes, il multiplie les variations, à chaque page ou presque, sur le thème « le gardien est libre de ne pas tenir compte de ceci » ou « le gardien est libre de développer cela ». Sans déconner ? Deuxième manière de meubler : les règles optionnelles toutes plus stupides les unes que les autres, et, ce qui va avec, d’interminables descriptions de jets de dés à effectuer pour la moindre des actions, ou le moindre déplacement. On croit rêver…

 

Dans Les Secrets de New York, on trouvait au moins un bon scénario pour sauver les meubles (ou presque). Ici, même pas : les deux scénarios qui nous sont proposés sont totalement dénués d’intérêt. Le premier est plus un squelette qu’autre chose, mais est tellement artificiel qu’il me paraît difficilement jouable ; le second, qui commence de manière ultra banale, se termine peu ou prou en donj’. On croit rêver, bis

 

Un supplément plein de vide, donc. Si vous tenez vraiment à faire une campagne au Maroc, procurez-vous plutôt un guide touristique et/ou un bouquin sur l’histoire du pays : ça sera sans aucun doute plus riche, plus intéressant et mieux écrit (et éventuellement moins américano-centré, aussi ; au passage, je ne sais pas si cela procède d’une intention délibérée, mais les Français dans ce supplément sont tous des salauds ou des escrocs…). Dans la mesure où les rares éléments « mythiques » des Secrets de Marrakech ne sauraient véritablement constituer une valeur ajoutée, cela reste encore la meilleure des solutions.

 

Je me répète : c’est là le plus mauvais supplément pour L’Appel de Cthulhu qu’il m’a été donné de lire, et le seul qui m’ait paru dénué d’intérêt de la première à la dernière page. J’espère que ce sera le dernier… Et tant qu’on est dans les vœux pieux, j’espère aussi que Les Secrets du Kenya saura redresser la barre ; parce que l’Afrique cthulhienne mérite assurément mieux que ça.

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"L'Appel de Cthulhu : Les Secrets de San Francisco"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Les Secrets de San Francisco

 

Après une petite interruption, retour aux suppléments pour L’Appel de Cthulhu, et plus précisément à la gamme des « Secrets ». Aujourd’hui, c’est San Francisco qui s’y colle (et plus largement la Bay Area), avec ce volume très dense dû à la plume de Cody Goodfellow.

 

Nous sommes donc bien loin de la Nouvelle-Angleterre, cadre « classique » des investigations lovecraftiennes. Mais, à n’en pas douter, San Francisco et la Bay Area constituent un choix judicieux pour dépayser l’intrigue : la région abonde en lieux célèbres et/ou mystérieux, en figures notables, en événements tragiques, qui autorisent assez facilement le détournement cthulhien. On en est très vite convaincu à la lecture de ce supplément, un peu austère et au plan pas toujours très convaincant, mais émaillé de nombreuses idées et amorces de scénarios, qui font qu’on ne s’éloigne jamais trop du Mythe.

 

On commence traditionnellement par « l’Histoire de San Francisco », dans un chapitre qui aborde carrément les questions géologiques de la formation de la Baie, mais s’attarde aussi sur la colonisation espagnole et la présence indienne sur le territoire (d’une grande importance pour la suite). Le chapitre est agrémenté d’une longue chronologie, allant de 7000 av. J.-C. à 1930, et se conclut sur des données relatives aux transports, classiquement.

 

Suit « La Ville de San Francisco », chapitre qui s’intéresse donc à la ville en elle-même. Encore une fois, à la différence par exemple de ce qui s’était produit pour Les Secrets de New York, on ne s’éloigne jamais trop du Mythe, et c’est tant mieux. Le guide n’est pas excessivement fouillé, mais s’arrête à bon droit sur les endroits les plus intéressants pour le gardien (comme, allez, au hasard, Alcatraz), et fait intervenir nombre de personnalités historiques. Assez bien conçu, donc.

 

Puis l’on fait un zoom sur ce qui est sans doute le quartier le plus « pittoresque » de San Francisco avec « Chinatown » : un chapitre passionnant à tous les niveaux.

 

Une brève halte, nécessaire, s’intitule « Séisme & incendie ». Dans les années 1920, le souvenir du grand tremblement de terre (et du grand incendie qui le suivit) de 1906 reste présent dans tous les esprits, et marque encore la ville ; de là à y mêler des implications cthulhiennes, il n’y a qu’un pas…

 

On revient ensuite aux descriptions de lieux avec un chapitre consacré à « La Bay Area ». Là encore, l’auteur a soigneusement sélectionné les lieux qui ont le plus grand potentiel « mythique », et les figures historiques qui vont avec. Très bien fait.

 

Un bref chapitre, à nouveau, concerne les « Sociétés secrètes », qu’elles soient réelles ou imaginaires. Du beau travail.

 

Suit un chapitre un peu bancal, mêlant curiosités locales et figures historiques : « Légendes et célébrités ». Tout cela aurait sans doute pu trouver sa place dans les chapitres consacrés à San Francisco et à la Bay Area, mais n’en est pas moins passionnant.

 

Un dernier petit chapitre, pas forcément très utile sauf en ce qui concerne sa partie « sordide », s’intéresse aux « Divertissements ». Là encore, tout cela aurait sans doute pu (dû ?) trouver sa place dans les chapitres consacrés à la ville et à la baie, mais peu importe…

 

On passe alors aux scénarios, au nombre de quatre. Le premier, « Le Voyage en ferry », n’est guère intéressant : linéaire et très bourrin, il n’a que peu d’intérêt en lui-même, même s’il peut s’insérer assez facilement dans une campagne. « La Maison Westchester » (lire « Winchester », je suppose…) est déjà plus intéressant, encore qu’un peu confus ; mais il y a là de quoi faire une belle enquête dans un cadre fascinant. On continue de monter dans la qualité avec « La Couleur de ses yeux », scénario très correct et haletant.

 

Mais il faut surtout accorder une place particulière au dernier scénario, « Au-delà des Limites », beaucoup plus long, complexe et difficile que ce qui précède. Ce scénario, qui amènera les joueurs à côtoyer de près les aspects les plus sordides de San Francisco et à se prendre du Mythe en pleine gueule, est une vraie réussite, c’est même probablement l’un des meilleurs, voire le meilleur, que j’aie pu lire pour l’instant dans les suppléments de L’Appel de Cthulhu. Il n’a qu’un défaut (mais en est-ce vraiment un dans une perspective « d’horreur lovecraftienne » ?) : il est très difficile, voire impossible, pour les investigateurs de s’en tirer vivants… Destiné à des investigateurs chevronnés, il prendra donc tout son sens en one-shot, ou éventuellement en conclusion d’une campagne…

 

Le bilan est donc très positif. Les Secrets de San Francisco, malgré quelques problèmes de construction, est un supplément bien conçu et passionnant, qui sait aller à l’essentiel, et contient quelques bons voire très bons scénarios. Si vous désirez « délocaliser » le jeu sur la côte Ouest, c’est à l’évidence un supplément de choix, qui ne devrait pas vous décevoir.

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"Rashômon et autres contes", de Ryûnosuke Akutagawa

Publié le par Nébal

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AKUTAGAWA (Ryûnosuke), Rashômon et autres contes, [Sakuhin-shu], traduction [du japonais] et introduction d’Arimasa Mori, Paris, Gallimard – Unesco, coll. Connaissance de l’Orient – coll. Unesco d’œuvres représentatives, série japonaise, [1965, 1986] 2011, 292 p.

 

Il y a quelque temps de cela, attiré bien sûr par l’aura du magnifique film d’Akira Kurosawa, je me suis régalé à la lecture de l’édition abrégée en Folio 2€ de Rashômon et autres contes de Ryûnosuke Akutagawa. À tel point, à vrai dire, que je m’étais promis d’en lire la version « complète » en « Connaissance de l’Orient » dès que possible. C’est désormais chose faite ; et le moins que l’on puisse dire est que je n’ai pas été déçu du voyage. Attention, cette chronique risque d’abonder en superlatifs et autres trucs du même genre ; mais il faut dire que l’on tient là vraiment ce qui constitue un chef-d’œuvre, un monument de la littérature mondiale, dont la lecture est indispensable, ah mais. Ryûnosuke Akutagawa, mort trop tôt (il s’est suicidé – plusieurs textes de ce recueil évoquent par ailleurs le suicide, ce qui laisse un goût amer en bouche…), était à coup sûr un authentique génie, une des plus grandes plumes du Japon post-Meiji, et ce recueil suffira amplement à le démontrer – même si je ne compte pas en rester là : j’ai La Vie d’un idiot et autres nouvelles qui m’attend sagement dans ma commode de chevet…

 

Un mot sur la désignation de « contes » : celle-ci n’est sans doute pas à prendre dans un sens trop « occidental » ; le merveilleux n’est pas toujours présent dans ces textes, loin de là, et, quand il intervient, c’est souvent avec une connotation macabre. Il est difficile, en fait de classer Akutagawa, de le confiner dans un registre particulier : héritier en partie du naturalisme japonais, il produit ici quelques textes réalistes de toute beauté, bien loin de tout fantastique ; mais cela n’empêche pas ce dernier de ressurgir là où on l’attend le moins, par exemple dans le dernier des récits « contemporains » qui concluent le volume, là où la majeure partie des textes qui le composent relèvent d’une inspiration historique, voire mythologique, que l’on pourrait croire a priori plus propice au développement du genre.

 

Je passe sur l’introduction – passionnante cela dit – d’Arimasa Mori pour arriver directement au vif du sujet. Le recueil attaque en force (euphémisme), avec l’extraordinaire « Figures infernales », superbe récit à la construction savamment alambiquée contant la réalisation par un peintre arrogant de son chef-d’œuvre – et à quel prix il y parvint. Et… c’est justement un chef-d’œuvre, déjà ; un texte qui marque durablement : il figurait déjà dans l’édition « abrégée », et c’était celui qui m’avait fait la plus forte impression. La relecture n’y a rien changé, bien au contraire.

 

Suit, sur un registre qui m’apparaît plus mineur, mais c’est pourtant semble-t-il la publication qui valut à Akutagawa d’être reconnu pour un maître, « Le Nez » : une fable, pourrait-on dire, sur un moine au nez beaucoup trop long ; et l’occasion de voir tout le talent de l’auteur pour camper des personnages tragicomiques (ce que l’on retrouvera par la suite, notamment dans « Gruau d’ignames »).

 

Après quoi l’on passe à « Rashômon » : ce titre fameux ne doit pas nous tromper, ce n’est là que l’une des deux nouvelles qui ont inspiré son film à Kurosawa, et celle dont l’importance est sans doute la plus relative, fournissant surtout un cadre au(x) récit(s) ; il faut dire que la nouvelle tient de l’épiphanie, du tableau cauchemardesque sur le mal et la pauvreté. Très fort. Mais c’est bien « Dans le fourré » qui constitue l’inspiration première du fantabuleux film Rashômon : l’histoire d’une mort, envisagée selon plusieurs points de vue. Brillante variation sur la réalité et les apparences, sur leur perception enfin (thème qui reviendra souvent dans le recueil), qui ne saurait laisser indifférent.

 

« Gruau d’ignames », le dernier des quatre textes figurant dans l’édition Folio 2€, relève un peu du même registre que « Le Nez », avec une réussite comparable, voire supérieure.

 

Suivent deux textes d’un genre que l’on pourrait qualifier de « mythologique ». « Les Vieux Jours du vénérable Susanoo », surtout, paraît mériter ce qualificatif. L’histoire jubilatoire d’un dieu jaloux qui ne parvient pas à triompher de l’amour de sa fille pour un étranger de passage, qui semble à même de se sortir de toutes les situations, quelque périlleuses qu’elles soient… « Le Fil d’araignée », inspiré semble-t-il par Dostoïevski, est à nouveau une fable, où Çakyamouni offre une échappatoire à un damné, dont le plus grand péché est peut-être bien l’égoïsme…

 

On passe alors à trois textes d’inspiration chrétienne, évoquant l’évangélisation du Japon par les Portugais, et les persécutions qui s’ensuivirent. « Le Martyr », au-delà de sa fin qui en rajoute peut-être un peu trop, est à nouveau une belle parabole sur la réalité et les apparences. « Le Rapport d’Ogata Ryôsai » inverse d’ailleurs les points de vue (on adopte ici celui d’un médecin peu charitable envers les chrétiens), pour un résultat très fort. « Ogin », enfin, est un récit déchirant sur les persécutions, à la conclusion bouleversante. Remarquable.

 

Suit un autre chef-d’œuvre, avec « L’Illumination créatrice », narrant une journée d’un fameux écrivain d’antan, s’interrogeant – par force – sur son art. Un récit magnifique, que l’on sent très personnel et douloureux, malgré sa conclusion relativement positive.

 

« Chasteté d’Otomi » est un texte assez déconcertant, mais assurément brillant, sur la « rencontre » entre une servante loyale et un clochard (un clochard ?). Très beau récit, à nouveau.

 

« Villa Genkaku » inaugure un cycle « contemporain ». Tableau sordide d’un drame familial, c’est un texte d’une grande beauté. On pourrait en dire tout autant du texte suivant, « Le Mouchoir », qui joue à nouveau astucieusement du thème de l’apparence et de la réalité pour interroger la morale japonaise post-Meiji.

 

Et le recueil de se conclure sur un nouveau chef-d’œuvre, avec « Les Kappa » : une succulente nouvelle – la plus longue du recueil – relevant du merveilleux satirique, dans la lignée de Swift et de son Gulliver, qui nous conte le séjour d’un homme (un fou, forcément…) dans le monde des Kappa, étranges petites créatures humanoïdes et gluantes, toujours ou presque un sourire malicieux au coin des lèvres, ressemblant vaguement à des tigres au crâne en forme d’assiette contenant de l’eau… Un régal, astucieux et fin, qui conclut le recueil sur la meilleure des notes.

 

Au risque de me répéter, Rashômon et autres contes (dans cette édition, faut-il le préciser…) est une lecture indispensable (ah mais) (donc), un monument dans lequel rien n’est à jeter ; on ne peut que s’incliner devant tant de génie, et crier au chef-d’œuvre. Vous savez ce qui vous reste à faire, si ce n’est déjà fait…

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