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"Les Compagnons de l'Ombre", t. 2, de Jean-Marc Lofficier (éd.)

Publié le par Nébal

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LOFFICIER (Jean-Marc) (éd.), Les Compagnons de l’Ombre, 2, textes de Matthew Baugh, Bill Cunningham, Paul DiFilippo, G.L. Gick, Travis Hiltz, Jean-Marc Lofficier, Randy Lofficier, Michael Moorcock, John Peel, Chris Roberson et Robert L. Robinson, Jr., traduits par Nicolas Cluzeau, Gabrielle Comhaire, Jean-Marc Lofficier, Serge Parmentier, Michel Vannereux et Thierry Virga, Encino, Black Coat Press, coll. Rivière Blanche – Noire, [2006] 2008, 294 p.

 

J’avais beaucoup aimé le premier tome des Compagnons de l’Ombre : de la littérature populaire au sens le plus noble, souvent parfaitement jubilatoire, et qui permettait de découvrir ou redécouvrir toute une palanquée de héros et de vilains tous plus bigarrés les uns que les autres. Il n’y avait pas de raison pour que ça s’arrête, et j’ai donc très logiquement poursuivi avec le tome 2.

 

Si le principe reste bien évidemment le même, « l’économie » du recueil est cependant très différente : pas de short-shorts ici, mais bien une longue novella sur laquelle s’ouvre ce volume, passée la sympathique préface de Jean-Marc Lofficier, et qui fait à elle seule pas loin de la moitié de ce deuxième tome des Compagnons de l’Ombre. Heureusement pour nous, c’est de la bonne. « Le Loup-garou de Rutherford Grange » de G.L. Gick met en scène, entre autres, un improbable duo d’enquêteurs composé d’Harry Dickson et du Sâr Dubnotal (quel superbe personnage que le Grand Psychagogue !), dans un cadre so british parfaitement délicieux. Alors, certes, ce n’est pas un chef-d’œuvre de style, loin de là, mais on se prend très facilement au jeu, et ça coule tout seul. Une réussite.

 

Les nouvelles qui suivent sont de taille plus conventionnelle, et on y trouve du bon comme du moins bon. Le recueil se poursuit avec une sorte de petit « cycle » ayant pour tête d’affiche le Docteur Oméga (plus qu’à son tour confondu avec le Docteur, et ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre…). « Le Cœur de la Lune » de Matthew Baugh rassemble du beau monde (entre autres, Solomon Kane de Robert E. Howard et Maciste !), pour une nouvelle vampirique qui ne convainc cependant qu’à moitié. On y préfèrera sans doute « Annus mirabilis » de Chris Roberson, nouvelle mettant en scène un jeune Albert Einstein, des énergies bizarroïdes et les Xipéhuz… Reste enfin une petite farce très prévisible mais assurément mignonne avec « Trois Hommes, un Martien et un couffin » de Travis Hiltz.

 

Une grosse déception, ensuite, avec la nouvelle de Michael Moorcock intitulée « L’Affaire du Bassin des Hivers » ; celle-ci, qui n’est pas sans faire penser à la nouvelle figurant dans l’Anthologie d’histoires effroyables dirigée par Michael Chabon, se révèle assez laborieuse et guère palpitante, malgré deux, trois gags, et laisse parfaitement froid. Traduction douteuse, accessoirement.

 

« La Danse de la Nuit et de la Mort » de Travis Hiltz n’a pas grand-chose pour elle : simple rencontre bastonneuse entre Fantômas et Irma Vep, ça ne fait pas une nouvelle, en ce qui me concerne.

 

« Deux Chasseurs », de Robert L. Robinson, Jr., est plus amusante, même si « un peu » grosse : nous y voyons cependant avec plaisir Judex faire alliance avec Tarzan…

 

Avec « Les Yeux de son père », Jean-Marc Lofficier nous offre une sorte de remake de Rosemary’s Baby assez correct. Après quoi Randy Lofficier s’amuse avec le Docteur Francis Ardan et la Belle au Bois Dormant, pour un résultat potable.

 

« L’Assassinat inachevé » de John Peel est assez sympathique : là encore, on a droit un beau duo, avec Rouletabille et Michel Strogoff.

 

Mais l’autre point fort de ce recueil, après la novella qui l’inaugure, est assurément le « Retour au XXe siècle » de Paul DiFilippo, que l’on sait de toute façon très doué pour ce genre d’exercice. Il s’empare ici du « XXe siècle » de Robida, auquel il mêle James Tiptree, Jr., et les Félines d’un vieux space-op’ hollywoodien. Très drôle et bourré d’idées.

 

Reste enfin « Au suivant ! » de Bill Cunningham, nouvelle en forme de mauvaise blague graveleuse, plutôt moyenne.

 

 Au final, ce second tome est incontestablement moins bon que le premier. Il a tout de même ses bons moments et, même dans les textes les moins convaincants, n’ennuie pas une seconde. Ce qui est déjà pas mal, ma foi. Pas de doute, je vais poursuivre l’exploration de ces Compagnons de l’Ombre, ils le méritent bien. À un de ces jours pour le tome 3…

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"La Guerre civile en France", de Karl Marx

Publié le par Nébal

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MARX (Karl), La Guerre civile en France, [The Civil War in France], notes et postface par Grégoire Chamayou, [s.l.], Fayard – Mille et Une Nuits, [1871, 1972] 2007, 124 p.

 

Tiens ! Ça faisait longtemps que je n’avais rien lu de Karlounet ! Presque rien depuis mes lectures et relectures de Les Luttes de classe en France et Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte pour ma thèse avortée, en fait…

 

La Guerre civile en France, justement, s’inscrit dans la droite lignée de ces deux titres : on est bien loin ici du Marx austère et rigoureux du Capital ; il s’agit de faire dans l’histoire immédiate, pour ne pas dire dans le journalisme, et dans le pamphlet ; et une fois de plus, ce sont les événements français qui retiennent l’attention de Marx : cette fois, la Commune de Paris. La Guerre civile en France, bel exemple de réactivité, a en effet été publié en tant qu’adresse du Conseil général de l’Association Internationale des Travailleurs à Londres le 13 juin 1871, et est daté du 30 mai, soit deux jours seulement après la fin des combats… On comprend d’autant mieux pourquoi, dans l’ensemble, le ton n’est guère celui de l’analyse froide et détachée. Le texte vibre d’indignation et de colère, et c’est bien légitime. Avec une cible toute désignée, bien sûr : Thiers, « ce nabot monstrueux »…

 

Il est inutile de refaire ici l’histoire de la Commune de Paris (du moins je le suppose), et pas davantage des autres Communes, qui ne sont de toute façon pas évoquées par Marx, une ligne exceptée. L’expérience, brève mais fondamentale, a marqué les esprits, et véhicule tout un cortège de figures et d’images mythiques, de Louise Michel au Mur des Fédérés. Et puis après tout, hein, c’est la lutte finale, tout ça… Je me contenterai ici de noter deux introductions (et plus si affinités) intéressantes : la BD de Tardi Le Cri du Peuple, d’après le roman de Vautrin, et le (long) (très long) film de Peter Watkins La Commune. Sinon, les ouvrages sur la Commune, ce n’est pas ce qui manque… Raison de plus pour ne pas s’étendre sur le sujet.

 

On notera juste que Marx, malgré le si bref délai entre les événements et la rédaction du texte, est étonnamment bien documenté (bien mieux que dans Les Luttes de classe en France, à titre de comparaison), et que, si l’on excepte quelques ragots pas forcément nécessaires (et pas loin de la calomnie) et quelques « naïvetés » de passage, plus ou moins pardonnables (à mon sens, celle concernant les « otages » ne l’est pas), le texte se tient remarquablement, et, dans l’ensemble, convainc, malgré le sérieux démenti que lui a infligé l’histoire, qui, décidément, ne s’est pas révélée marxiste.

 

Précisons toutefois une chose : peut-être, justement, pour cette raison, La Guerre civile en France, plus que l’histoire de la Commune de Paris, est avant tout celle de sa répression, de la contre-révolution, que Marx qualifie régulièrement de « rébellion de négriers ». Il s’agit ici de démontrer toute l’ignominie de Thiers et des Versaillais, leur hypocrisie, leur haine sanguinaire, leur collusion avec Bismarck. D’où le ton très vigoureux, et même haineux, de ces quelques pages. Le camp de la réaction est implacablement stigmatisé, et rien n’est à mettre au crédit des responsables de la « Semaine sanglante », Thiers au premier chef, bien évidemment. L’insulte, aussi, est fréquente dans ce bref texte tout entier tourné contre l’oppresseur capitaliste, qui a joué son va-tout de la plus détestable des manières.

 

En face, évidemment, l’évocation des Communards est particulièrement lumineuse. Marx excuse tout, à plus ou moins bon droit (j’ai déjà parlé des « otages », et là on sent comme une contradiction…), et dresse un portrait élogieux de cette expérience unique dans notre histoire, et qui, à ses yeux, ne pouvait être que décisive et annonciatrice du « Grand Soir ». Marx note en effet la particularité de la Commune : cette fois, les « ouvriers » (plus exactement, sans doute, les prolétaires et les « prolétarisés ») ne se sont pas contentés de prendre les armes au nom de la République démocratique et sociale, comme en 1848, ce qui faisait l’objet de ses deux précédentes analyses citées au début de ce texticule ; mais ils se sont bel et bien emparés du pouvoir, quand bien même pour une courte période. Cela ne suffit pourtant pas ; ils ont surtout montré ce qu’il s’agissait d’en faire : le détourner, et, à terme, le réduire à néant. Grande originalité de la Commune, annonciatrice à ses yeux de la société sans classes (et donc sans État) devant nécessairement arriver quand la multitude des prolétaires aura triomphé du petit nombre des capitalistes.

 

On avouera cependant que, s’il est quelques pages d’analyse particulièrement brillantes, La Guerre civile en France n’a pas le caractère stupéfiant de justesse et de lucidité du 18 Brumaire de Louis Bonaparte, qui reste à mon sens sa plus grande réussite dans le genre. C’est que, sans doute, l’essentiel est ailleurs, dans ce texte militant : l’heure est à l’action, à la praxis. Aussi, en dehors de ce qui vient d’être dit concernant la prise du pouvoir, il est difficile de voir dans ce texte ce que sont au juste les idées de Marx, de manière générale (il est de toute façon noyé dans les signataires de l’adresse). On ne fera donc pas de La Guerre civile en France un texte marxiste (ou marxien…) majeur : c’est une bouffée de colère, d’indignation et de tristesse… teintée d’espoir, malgré tout. Un pamphlet cinglant, qui doit être pris pour tel, un témoignage sur le vif. C’est déjà beaucoup.

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"Une brève histoire des morts", de Kevin Brockmeier

Publié le par Nébal

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BROCKMEIER (Kevin), Une brève histoire des morts, [The Brief History of the Dead], traduit de l’américain par Johan-Frédérik Hel Guedj, Paris, 10/18, coll. Domaine étranger, [2006-2007] 2009, 317 p.

 

Une fois n’est pas coutume, voilà un livre que j’ai acheté et lu sur la seule foi de sa bonne exposition en librairie (Charybde, pour ne pas la nommer) et de sa quatrième de couverture alléchante. Je n’en avais strictement jamais entendu parler avant. Une brève histoire des morts est le deuxième roman de Kevin Brockmeier, et le premier publié en France. Attention, cependant : il me paraît impossible d’en parler sans spoiler un tant soit peu (même si tout s’enchaîne naturellement et les « révélations » n’en sont pas vraiment ; mais au cas où…).

 

Une cité des morts. Les gens ont fait la traversée, différente pour chacun. Ce n’est pas le Paradis, ni l’Enfer. Peut-être leur antichambre ? Les gens ne savent pas vraiment ce qu’ils y font. Ce que l’on sait, c’est qu’ils y restent quelque temps, et puis, un jour, disparaissent. La thèse la plus communément admise veut que les morts restent dans la ville tant qu’il se trouve quelqu’un sur Terre pour se souvenir d’eux.

 

La Terre, alors. Un futur proche. Laura Byrd, employée de Coca-Cola, participe à une expédition dans l’Antarctique incroyablement mal foutue. Ses deux collègues sont partis chercher du secours quand la radio est tombée en panne sans que cela fasse réagir qui que ce soit à Atlanta, mais ne sont toujours pas revenus. Aussi ses jours sont-ils comptés.

 

La cité des morts. Du jour au lendemain, la quasi-totalité de la population disparaît sans laisser de traces. On ne trouve plus que deux, puis trois, puis quelques centaines, puis quelques milliers d’habitants, pour la plupart des nouveaux arrivants.

 

La Terre. Une pandémie horriblement virulente, la « tremblette de l’œil », fauche l’humanité par millions.

 

La cité des morts. Tout semble confirmer l’hypothèse « Laura Byrd » : les gens qui sont dans la ville sont tous ceux dont se souvient Laura…

 

… qui est peut-être bien la dernière femme sur Terre. Mais pour combien de temps ?

 

Une brève histoire des morts, si vous me passez l’expression, c’est à mon sens un peu Ballard et Borges qui écriraient à quatre mains un « faux thriller », tous deux sous le coup d’une vilaine dépression, et probablement d’un gros rhûbe. Un admirable roman sur la mort et sur la mémoire, intelligent et subtil, mais aussi palpitant qu’un « page turner » ultra efficace. De la littérature « blanche », en façade, mais qui sent bon le genre. Une petite merveille de construction, simple et élégante. Bref, une sorte de livre idéal en ce qui me concerne. C’est dire si j’ai été conquis par ce roman dont je n’avais pourtant jamais entendu parler…

 

Le talent de conteur de Kevin Brockmeier ne saurait faire de doute, et est à vrai dire des plus remarquables. Tout s’enchaîne avec naturel et fluidité, et avec une grande astuce, en respectant une construction a priori banale alternant l’expérience de Laura Byrd et la cité des morts un chapitre sur deux. Mais ce moule en apparence contraignant permet à l’histoire de se développer avec aisance, et d’avancer petit à petit le long d’une narration implacable. Le parallèle entre Laura, seule, et la cité des morts, d’abord grouillante, puis déserte, puis de nouveau peuplée mais sans commune mesure avec ce qui précédait, est saisissant et produit indéniablement son petit effet. Sans user d’effets de manche trop flagrants, Kevin Brockmeier huile bien sa machine, qui avance inlassablement vers une conclusion inévitable (et très belle).

 

Autre élément remarquable : l’auteur parvient à écrire un roman sur la mort et contant rien de moins que l’extinction de l’espèce humaine sans être véritablement morbide pour autant. Qu’on se le dise : les morts, ici, sont heureux. Sauf, des fois, quand ils sont eux-mêmes la proie de souvenirs glaçants, tel l’aveugle (…) qui sera notre première rencontre dans la cité des morts. Mais quand même : malgré le sujet, éminemment douloureux, Kevin Brockmeier, quand il nous guide chez les défunts, se montre finalement presque enjoué. C’est sur Terre que l’on souffre… même si la « tremblette de l’œil » tue rapidement, d’un coup net et sans bavures.

 

C’est que, sans doute, avant d’être un roman sur la mort, Une brève histoire des morts est un roman sur le souvenir. La question fait débat chez Joyce et Puckett (comme toujours) : de combien de personnes se souvient-on, au juste ? Et pourquoi, et de quoi se souvient-on ? Le roman – ça réifie de la métaphore, nom de Dieu ! – met en pratique ces interrogations, avec une grande finesse. Nous voyons Laura se souvenir, et côtoyons ses souvenirs ; un détail, ici, rappelle tel personnage ; une attitude, tel autre ; une anecdote, encore un autre. Parents, amis, amants, collègues… mais aussi tel clochard croisé régulièrement dans la rue, tel commerçant chez qui l’on allait se fournir, la petite fille qui avait perdu son ballon, la meilleure copine d’antan, qu’on a bien oubliée, mais pas tout à fait non plus, etc. C’est à la fois très beau, et troublant.

 

Et finalement presque lumineux. Oui, tout le monde crève, et la vie, aussi dérisoire qu’une canette de Coca vide, ne semble avoir d’importance que tant qu’il y a quelqu’un pour s’en souvenir, mais peu importe, finalement. C’en est à un stade où la peur et la douleur ne comptent plus vraiment. Même dans la blancheur du pôle, par – 70°. Ce n’est pas tant en raison de la promesse d’un ailleurs – temporaire –, même si la cité est l’occasion de se retrouver, et de faire – enfin ? – ce que l’on veut. C’est simplement une question de regard, légèrement décalé.

 

Et puis quelle magnifique occasion d’explorer de fond en comble la psyché d’un personnage ! Tout, naturellement, tourne autour de Laura Byrd, seule. Son humanité relève de l’idéal. Ses angoisses sont tangibles, mais c’est le cas du moindre de ses souvenirs, les bons comme les mauvais. Rarement, sans doute, on aura eu l’occasion de fouiller autant une étude de caractère, dans un roman qui ne semble pas forcément y prétendre à première vue.

 

Bref : j’ai été conquis par cette Brève histoire des morts, roman rigoureux dans son évidence, dont je vous recommande, encore une fois, chaudement (aha) la lecture.

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"L'Archipel du Rêve", de Christopher Priest

Publié le par Nébal

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PRIEST (Christopher), L’Archipel du Rêve, [The Dream Archipelago], édition augmentée, traduit de l’anglais par Michelle Charrier, Paris, Gallimard, coll. Folio Science-fiction, [2009-2010] 2011, 413 p.

 

Je découvre petit à petit Christopher Priest, auteur certes majeur dans la science-fiction contemporaine, mais dont je n’avais lu jusqu’à présent que deux romans, les excellents La Séparation et Le Prestige. Mais avec L’Archipel du Rêve, nous sommes dans un territoire bien différent. Ce recueil de nouvelles (qui en contient une de plus que l’édition Lunes d’encre, « Vestige », que j’avais déjà pu lire et apprécier dans L’o10ssée Folio SF), souvent comparé, et c’est à bon droit du moins sur certains points, au fantabuleux Vermillion Sands de J.G. Ballard, se situe dans le même univers que La Fontaine pétrifiante (une nouvelle, « La Négation », y faisant directement écho).

 

Un univers hors du temps, marqué par une guerre trois fois millénaire entre les deux superpuissances du Nord, qui s’affrontent sur le continent austral. Mais, au milieu, se trouve l’Archipel du Rêve, constellation d’îles neutres qui exercent une étrange fascination sur tout un chacun. On vient y chercher la liberté, et/ou la réalisation de ses désirs les plus intimes. Car l’Archipel est une zone propice à l’érotisme, qui constitue le thème central de la plupart des nouvelles du recueil. Autant dire que je ne savais pas à quoi m’attendre, et que j’ai été pour le moins surpris par cette donnée.

 

Et un peu déçu, disons-le tout de suite. En effet, cet érotisme omniprésent m’a régulièrement paru un peu lourd, ne suscitant guère chez moi qu’un ennui poli. Si l’on excepte le tour de passe-passe de « La Cavité miraculeuse », les situations sont souvent assez convenues, voire trop convenues (« La Crémation »), et, en dépit de sa fin hautement prévisible, seule « Le Regard », jouant astucieusement du voyeurisme dans un contexte d’observation ethnologique, m’a pleinement convaincu. Le reste m’a semblé un peu terne, voire un peu vide.

 

Je ne vais pas non plus cracher dans la soupe : il y a de très bonnes choses dans L’Archipel du Rêve. Déjà, les nouvelles qui ne sont pas « perturbées » par le thème érotique sont irréprochables. « L’Instant équatorial », qui tient peu ou prou du poème en prose, est une très jolie introduction. « La Négation » est un texte fort (et qui l’est encore davantage, je suppose, pour qui a lu La Fontaine pétrifiante), sur l’absurdité de la guerre, l’instrumentalisation de l’art et l’engagement. « Vestige », enfin, constitue une belle saynète émouvante, à l’érotisme cette fois diffus, et relevant plus du fantastique que de la science-fiction.

 

Pour ce qui est du reste, il y a donc à boire et à manger. « Les Putains », avec ses crises de synesthésie, offre quelques jolies scènes, mais ne mène nulle part. « La Cavité miraculeuse », longue nouvelle initiatique toute en réminiscences, contient de même quelques beaux moments, mais le tour de passe-passe qui en constitue le cœur, s’il joue intelligemment sur nos perceptions et préjugés, n’est pas tout à fait honnête et tend un peu à bouffer tout le reste. « La Crémation », nouvelle sur l’incompréhension mutuelle dans un cadre culturel étranger, ne convainc donc guère. Dans ce registre, « Le Regard » est sans doute la plus grande réussite : cette longue nouvelle est très bien conçue, riche d’images fortes et de situations érotiques délicieusement perverses. Reste enfin « La Libération », un peu en contrepoint de « La Négation », nouvelle assez correcte dans l’ensemble, mais qui connaît des baisses de tension.

 

Au final, je ne peux que m’avouer déçu par ce recueil dont on m’avait dit tant de bien. Si je n’irais certainement pas jusqu’à le qualifier de fondamentalement mauvais, n’exagérons rien, je suis bien obligé de faire part de l’ennui que sa lecture a suscité chez moi. Et si je veux bien admettre la comparaison avec Vermillion Sands, c’est tout de même en plaçant ce dernier recueil deux bons crans au-dessus, au moins. En tout cas, je n’ai pas retrouvé dans L’Archipel du Rêve le brillant auteur de La Séparation et du Prestige. Priest romancier serait-il donc à mes yeux plus convaincant que Priest nouvelliste ? La lecture de ce seul recueil ne me permet probablement pas d’en juger, et je vais donc m’en abstenir. Mais, tout de même, déception…

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"Histoire secrète d'Isabelle de Bavière reine de France, de D.A.F. de Sade

Publié le par Nébal

Histoire secrète d'Isabelle de Bavière reine de France

 

SADE (Donatien Alphonse François, marquis de), Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France, avant-propos de Gilbert Lely, Paris, Gallimard, coll. L’Imaginaire, [1953] 1992, 332 p.

 

Je ne sais plus si j’ai déjà eu l’occasion de le mentionner en ces pages interlopes, mais je suis très fan de l’œuvre du marquis de Sade. Aussi, dès qu’un titre ne figurant pas déjà dans l’édition de ses Œuvres en trois tomes à la Pléiade (essentiellement centrée sur les œuvres pornographiques, même si pas que) m’apparaît sous le nez, je me jette logiquement dessus. C’est comme ça que j’ai fait l’acquisition et la lecture, notamment, de La Marquise de Gange et des Crimes de l’amour. Aussi, quand j’ai découvert par hasard l’existence de cette étrange Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France, étonnement publiée dans l’excellente collection « L’Imaginaire » de Gallimard (ce qui en dit long, en même temps), ça n’a pas fait un pli : je me suis empressé de l’acheter et de la lire.

 

Étrange ouvrage, oui, où Sade se fait historien, et non romancier (encore que l’on puisse à bon droit se poser la question). S’il se fonde, du moins à ce qu’en prétend l’auteur, sur des recherches effectuées avant la Révolution, avant que Sade ne se lance véritablement en littérature, et accessoirement avant les scandales qui lui ont valu bien des misères, ça n’en est pas moins le dernier livre écrit par le divin marquis, publié une fois n’est pas coutume à titre posthume, mais dont il avait achevé les révisions peu avant sa mort, espérant bien le faire paraître malgré son internement à Charenton. Ce qui explique sans doute pas mal de choses que l’on pourrait autrement trouver passablement déconcertantes : on est bien loin, ici, de la virulence sauvagement réjouissante de ses œuvres « ésotériques » ; livre « pour tous », l’Histoire secrète d’Isabelle de Bavière reine de France, si elle a pour héroïne une femme immorale et criminelle annonçant la fictive Juliette, n’en est pas moins une œuvre « morale », où Sade ne cesse de blâmer le crime et de faire l’éloge de la vertu (on est bien loin des dissertations philosophiques des libertins de ses romans plus célèbres !), allant même – un comble pour ce matérialiste forcené – jusqu’à en appeler à Dieu, au ciel et à la providence ! Autant dire que c’est du Sade sans en être tout à fait. Ce qui, sans doute, en réservera la lecture en priorité aux exégètes et aux collectionneurs.

 

Il s’agit donc d’une biographie d’Isabelle (ou Isabeau) de Bavière, sans doute une des reines de France à la plus mauvaise réputation, ce qui suffit amplement à en faire un personnage sadien. Mais là où le divin marquis, dans d’autres de ses ouvrages, en aurait fait un modèle, voire une incarnation de la « vertu » au sens machiavélien, il en réalise ici un portrait à charge, certes non exempt de fascination, et probablement plus qu’à son tour hypocrite, mais le constat n’en est pas moins certain : cette « Juliette » royale, Sade n’aura de cesse de la condamner.

 

Euphémisme ! En se fondant sur des sources « malencontreusement détruites » (…) par les « Ostrogoths » révolutionnaires, et notamment l’interrogatoire de son favori Bois-Bourdon, Sade dresse bel et bien une « histoire secrète » de la reine : comprendre que, en bon paranoïaque, il la rend responsable de tout et n’importe quoi, mais avant tout du pire. Reine criminelle par excellence, Isabelle de Bavière, l’épouse du pauvre Charles VI, est de tous les complots, et semble avoir pour unique but l’abaissement de son royal époux et de la France : il s’agit de régner, certes pas innocemment, mais effectivement ; aussi l’Isabelle de Bavière de Sade est-elle encore plus détestable que ce que l’on a déjà l’habitude d’en dire. Aux yeux de l’auteur, elle est responsable de tout, absolument tout, et de la pire des manières. L’adultère et l’inceste ne sont certainement pas ses traits les plus critiquables, quand bien même Sade s’étend complaisamment sur la question (chassez le naturel…). La folie « intermittente » de Charles ? C’est elle. La mort du duc d’Orléans, son amant ? C’est elle. La mort de ses enfants, le futur Charles VII excepté ? C’est elle, et elle n’a pas manqué d’essayer d’abattre ce dernier, qu’elle exécrait plus que tout. La « guerre civile » opposant les Armagnacs aux Bourguignons ? C’est elle. La France livrée aux rois d’Angleterre ? C’est elle. Jeanne d’Arc blessée puis brûlée vive ? C’est elle… Ad nauseam.

 

Il y a sans doute bien du vrai dans ce qu’écrit Sade, qui livre une chronique richement documentée d’une des plus sombres périodes de l’histoire de France. Mais à charger ainsi son « héroïne » d’absolument tout ce qui s’est faire d’odieux sous le règne du roi fou (meurtre du duc de Bourgogne excepté, bien sûr), l’historien dépasse sans doute la mesure, et, encore le naturel qui revient, c’est plus qu’à son tour le romancier qui s’exprime. Il dresse un portrait tellement odieux de la sinistre reine qu’il en tombe parfois dans le ridicule, à vrai dire (les passages sur Jeanne d’Arc, notamment, sont « un peu » forts). Et, quand on connaît le reste de l’œuvre de l’auteur, on ne peut s’empêcher de sourire à ses sévères récriminations, ses sursauts d’indignation, pire, les sentiments religieux dont il fait ici « preuve » (tout en matraquant régulièrement le clergé, faut quand même pas pousser mémé dans les ort… si, en fait, il le faut, mouhahaha).

 

Un livre étrange, donc. Et, avouons-le, on est ici loin du meilleur Sade, jusque dans le style, certes savoureux et élégant dans l’ensemble, mais aussi perclus de répétitions et de tics lassants, a fortiori dans la condamnation, qui sonne souvent faux. Aussi en réservera-t-on la lecture aux admirateurs les plus acharnés du divin marquis, qui y verront au moins une curiosité, ce qui pourra suffire à les contenter. Pour ma part, si je ne regrette certes pas ma lecture, et si cette chronique des pages les plus noires de la « guerre de Cent Ans » m’a bel et bien intéressé, je n’en ferais certainement pas une lecture véritablement recommandable, et sûrement pas représentative de l’œuvre du divin marquis dans ce qu’elle a de plus scandaleux et, par là même, de génial. Une curiosité, oui… Mais Sade, c’est comme ses personnages : c’est quand il est odieux qu’on l’aime.

 

Ce qui me fait penser que j’ai le tome 3 à la Pléiade qui m’attend toujours… L’occasion de relire l’excellent La Philosophie dans le boudoir et de lire enfin Juliette. « Les prospérités du vice », c’est quand même un programme autrement plus alléchant…

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"Les Fusils", de William T. Vollmann

Publié le par Nébal

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VOLLMANN (William T.), Les Fusils, [The Rifles], traduit de l’américain par Claro, Arles, Le Cherche Midi – Actes Sud, coll. Babel, [1994, 2006] 2007, 666 p.

 

Je n’avais jusqu’à présent jamais rien lu de William T. Vollmann, malgré tout le bien que j’en avais entendu dire. Mais ce n’est probablement pas un hasard si j’ai découvert cet auteur avec Les Fusils (quand bien même Central Europe me faisait – et me fait toujours – également de l’œil). En effet, ce « faux pavé » (car très aéré et abondamment illustré), qui s’inscrit dans les « Sept Rêves » de l’auteur, « histoire symbolique du continent nord-américain », traite de sujets qui me tiennent à cœur, ainsi que j’ai déjà eu l’occasion de le dire en ces pages interlopes : les expéditions polaires, qui m’ont toujours fasciné, et plus particulièrement ici, ainsi que le fera lui aussi plus tard mais à sa manière bien différente Dan Simmons dans l’excellent Terreur, l’expédition Franklin de 1845 visant à découvrir le légendaire Passage du Nord-Ouest et qui s’est soldée mystérieusement mais tragiquement ; et le sort des Inuits, peuple qui m’a toujours grandement intéressé, a fortiori depuis ma lecture des Derniers Rois de Thulé et d’Hummocks de l’ethnologue Jean Malaurie, et le visionnage de sa série de documentaires La Saga des Inuits.

 

Les Fusils est un ouvrage déconcertant, mêlant reportage, récit historique et roman passablement expérimental. On ne sait trop sur quel pied danser, régulièrement. Ce qui n’empêche pas de se laisser très facilement entraîner et immerger.

 

Sans doute le mieux est-il de commencer, de nos jours, par le capitaine Subzéro, Américain fasciné par le grand Nord, et qui multiplie les virées arctiques, parfois au péril de sa vie. Nous le verrons essentiellement vivre une histoire d’amour compliquée avec une jeune Inuit, Reepah, à l’anglais délicieusement trébuchant, « une femme avec un cœur magnifique ». Mais c’est une histoire d’autant plus compliquée que le capitaine Subzéro n’est pas « que » le capitaine Subzéro. Il est aussi, d’une manière un peu floue, en quelque sorte pourrait-on dire, la « réincarnation » de Sir John Franklin, le fameux explorateur polaire, dont l’expédition partie en 1845 à la recherche du Passage du Nord-Ouest s’est soldée par un désastre, les 129 membres de l’équipage de l’Erebus et du Terror disparaissant quasiment sans laisser de traces.

 

Mais le lien entre le capitaine Subzéro et Sir John Franklin fonctionne étrangement dans les deux sens, et, de même que les amours du capitaine Subzéro (« John ») avec Reepah sont contrariées par l’immixtion dans cette histoire de Lady Jane Franklin, de même, Sir John Franklin s’éprend de Reepah à travers les années et s’identifie à son tour avec le personnage qui le représentera près d’un siècle et demi plus tard. Aussi les deux trames sont-elles enchevêtrées, imbriquées d’une manière étrange, une phrase suffisant à passer du milieu du XIXe siècle à la fin du XXe, et le retour étant parfois tout aussi rapide. D’une seconde à l’autre, on passe du pont de l’Erebus au New York contemporain…

 

Aussi est-il parfois difficile (et peut-être un peu vain) de vouloir séparer une ligne narrative de l’autre. Si le récit de l’expédition Franklin, solidement reconstitué, est particulièrement passionnant, on ne saurait pour autant véritablement le distinguer du roman du capitaine Subzéro, d’autant que c’est à travers lui, en fin de compte, que l’on vit au plus près, non pas les événements de 1845-1848, mais bien l’expérience fascinante de l’Arctique, avec ses beautés sans nombre et ses dangers tout aussi réels.

 

Et c’est également à travers le capitaine Subzéro que l’on vit le sort tragique des Inuits, qui ne brillent que par leur absence dans le récit « historique » (si ce n’est, dans les délires moites de Franklin malade, la présence toujours perceptible de Reepah). À la manière d’un reporter, William T. Vollmann nous rapporte ainsi les déportations subies par le Peuple, et sa lutte pour la survie à l’époque contemporaine, où bon nombre d’entre eux, à l’instar de Reepah, en sont réduits à sniffer de la colle et, parfois, au suicide.

 

Avec, en fond, un désastre écologique qui est aussi un désastre humain, dû aux « fusils » du titre, dont l’histoire est méticuleusement retracée.

 

Un roman étrange, donc, mais à coup sûr d’une richesse impressionnante. Si la plume de William T. Vollmann rend le livre aussi déconcertant sur la forme que sur le fond (de manière un peu agaçante, parfois, ai-je trouvé, m’enfin bon…), elle autorise néanmoins des pages absolument superbes, sur la beauté de l’Arctique comme sur l’aventure humaine. Car l’humain n’est jamais négligé dans ce roman, qui colle au plus près des personnages.

 

Aussi le lecteur s’éprend-il lui aussi de Reepah, de même qu’il succombe à la fascination du capitaine Subzéro pour le grand Nord et pour sa précédente incarnation. Car William T. Vollmann nous fait vivre et l’expérience amoureuse, et l’expérience arctique, avec une virtuosité qui n’appartient en propre qu’aux meilleurs écrivains. L’immersion est totale dans Les Fusils. Le passage le plus impressionnant, à cet égard, est probablement le périple en solitaire du capitaine Subzéro à Isachsen : on y ressent littéralement le froid, la sueur, la peur, la fatigue. Mais on comprend mieux, du coup, ce qu’ont pu vivre les hommes de Franklin… et les Inuits.

 

Roman-expérience profond et humain, étonnant mais juste, Les Fusils est très certainement un grand livre, dont je ne peux que vous recommander chaudement (aha) la lecture.

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"L'Appel de Cthulhu : Forensic, Profiling & Serial Killers"

Publié le par Nébal

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L’Appel de Cthulhu : Forensic, Profiling & Serial Killers

 

En dépit des apparences, Forensic, Profiling & Serial Killers : 1° est en français ; 2° n’est pas vraiment un supplément pour L’Appel de Cthulhu. Disons, plus exactement, qu’il ne se révèlera que d’une utilité limitée pour le jeu prenant traditionnellement place dans les années 1920-1930, malgré la gamme, et que, si quelques indications rôlistiques sont données utilisant le « basic system » (ce qui pourrait à la limite en faire un supplément pour Delta Green), il s’agit plus généralement d’une source d’inspiration, pour les rôlistes faisant dans l’investigation comme pour les polardeux en herbe, d’ailleurs, sous la forme d’un ouvrage de vulgarisation. Ce volume dû à la plume d’Emily Tibbats, présentée toutefois comme « une admiratrice de H.P. Lovecraft et une fan de L’Appel de Cthulhu », a d’ailleurs été publié à l’origine sous format électronique par EWS avant d’être repris pour un tirage limité à 100 exemplaires chez Cassendre.

 

Ceci étant posé, voyons néanmoins ce que ce supplément atypique a à nous proposer. En trois longs chapitres, il constitue une introduction ludique et ma foi passionnante… aux sciences forensiques, au profiling (entendu au sens large) et à l’étude des serial killers. Étonnant, non ?

 

Le premier chapitre (surtout) m’a rappelé quelques souvenirs, de l’époque où, après avoir suivi des cours de criminologie en Licence Droit (auprès d’un gros connard de facho, soit dit en passant), je m’étais inscrit à une formation à la criminologie et aux sciences pénales, ce qui m’avait permis d’avoir un premier aperçu de matières aussi fascinantes que la police scientifique, la médecine légale ou encore la psychiatrie criminelle (pour des raisons indépendantes de ma volonté, je n’ai hélas pas pu poursuivre jusqu’au bout). Les amateurs des Experts seront ici en terrain connu, mais, heureusement, les autres y trouveront également leur compte. Après quelques données d’ordre général, Emily Tibbats nous présente succinctement les différentes sciences forensiques : la médecine légale, l’art forensique, l’anthropologie légale, l’archéologie forensique, la balistique, la toxicologie, l’entomologie légale, la botanique forensique et l’examen de documents. Chaque section, plus ou moins longue, est assortie d’exemples particulièrement éclairants et d’anecdotes instructives. Ça se lit tout seul, et c’est l’occasion d’apprendre bien des choses de manière amusante. Le chapitre se conclut (un peu inutilement à mon sens) sur la description d’un groupe d’intervention criminelle composé de sept personnages, PNJ tout désignés ou éventuellement personnages prétirés.

 

On s’intéresse ensuite, au cours d’un long chapitre, au profiling, entendu dans un sens large. J’avoue avoir eu un chouia peur en entamant ce chapitre, dans la mesure où le profiling m’a toujours laissé un peu sceptique, et est parfois (souvent) présenté comme la solution miracle à l’élucidation de crimes en série. Heureusement, Emily Tibbats sait faire la part des choses, et si elle multiplie les exemples les plus foudroyants de l’utilité de cette discipline (qui a su indiscutablement faire avancer bien des enquêtes), elle ne néglige pas pour autant ses échecs, et, surtout, la présente pour ce qu’elle est : une méthode permettant de réduire le champ d’investigation, mais certainement pas de désigner par elle-même le tueur (ou autre) et d’aller sonner à sa porte comme par magie. Dès lors que l’on prend ces précautions, l’étude du profiling qui nous est ici proposée se révèle tout à fait intéressante, et plus qu’à son tour fascinante. On voit tout d’abord, à travers une historique de la discipline, son utilisation « traditionnelle » et moderne en guise d’aide à l’enquête, donc. Mais le profiling doit être ici entendu au sens large (on rejoint le champ de la psychologie générale, en fin de compte), et il nous est également montré, par exemple, comment il peut se révéler utile dans l’interrogatoire des suspects et témoins (section qui fait un peu froid dans le dos…) ou dans la gestion des situations de crise (les règles de la négociation avec les « forcenés »…). Le chapitre se conclut sur la présentation des différentes structures usant du profiling à travers le monde.

 

On passe ensuite à l’étude des serial killers, ces « monstres » idéaux contemporains (et qui, après tout, peuvent bel et bien intervenir dans une partie de L’Appel de Cthulhu ou de Cthulhu : le scénario du livre de base de ce dernier jeu mettait bien en scène le « Boucher de Cleveland »… D’ailleurs, petit aparté, lisez donc l’excellente BD Torso, sur cette affaire). Emily Tibbats s’emploie tout d’abord, à bon droit, à briser quelques mythes : non, les tueurs en série ne sont pas tous très intelligents ; non, ils ne sont pas tous fous ; non, ce ne sont pas tous de jeunes hommes blancs ; etc. Suivent alors des études de cas consacrées à quelques fameux tueurs en série contemporains, qui se présentent toutes de la même manière : description des faits (avec, soulignés, les éléments relevant de la « signature »), profil, caractéristiques en termes de jeu. L’occasion de frissonner avec Angelo Buono & Kenneth Bianchi, William Bonin, Jerry Brudos, Harvey Glatman, Genene Jones, le Dr Shipman, Herbert Mullin, Ed Gein, Belle Gunness, Dorothea Puente, Ted Bundy en enfin Ed Kemper. Brrr… Mais c’est passionnant.

 

On notera quelques annexes intéressantes, sous la forme de documents-types : rapport d’autopsie, fiche de victime, formulaire pour l’identification des victimes, et enfin profil criminel.

 

 Au final, si les données « ludiques » sont plutôt douteuses et d’un intérêt plus que limité, Forensic, Profiling & Serial Killers se révèle néanmoins un sympathique ouvrage de vulgarisation, plutôt bien fait, souvent fascinant, et qui peut éventuellement servir d’inspiration pour une partie… ou un bouquin, d’ailleurs. Ce n’est peut-être pas un bon supplément pour L’Appel de Cthulhu, mais c’est donc néanmoins une lecture enrichissante.

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"La Triste Histoire des frères Grossbart", de Jesse Bullington

Publié le par Nébal

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BULLINGTON (Jesse), La Triste Histoire des frères Grossbart, [The Sad Tale of the Brothers Grossbart], traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Laurent Philibert-Caillat, Paris, Bibliothèque interdite – Éclipse, coll. Horreur, [2009] 2011, 471 p.

 

Premier roman de Jesse Bullington (qui a une chouette moustache), La Triste Histoire des frères Grossbart se présente comme étant la version « modernisée » d’obscurs récits médiévaux, plus ou moins dans la lignée du Roman de Renart (même si, en « préface », l’auteur mentionne cette filiation pour la relativiser aussitôt). Ceci, si l’on y ajoute quelques bons échos entendus ici ou là et, une fois n’est pas coutume, une très sympathique couverture d’Istvan Orosz, explique sans doute pourquoi je me suis lancé dans cette lecture.

 

Cela explique également, j’imagine, le caractère relativement atypique de ce roman, difficile à « catégoriser ». Très franchement, parler « d’horreur », comme l’indique la collection, me paraît pour le moins poussif, de même que la brève quatrième de couverture fait dans le bête racolage en désignant Hegel et Manfried Grossbart comme « les premiers tueurs en série de l’Europe médiévale »… Que nenni. Fantastique, voire fantasy, admettons, mais horreur, malgré d’assez nombreuses éclaboussures de gore, non. D’ailleurs, cette Triste Histoire ne l’est pas vraiment, « triste » ; elle fait plutôt (ou tente de faire…) dans l’humour noir, vaguement teinté de burlesque. Le livre prête nettement plus à rire qu’à trembler.

 

Nous sommes donc en 1364. Nos « héros », Hegel et Manfried Grossbart, sont des profanateurs de sépultures, de vilaines canailles, qui n’hésitent pas non plus à tuer et voler les vivants, si jamais ils trouvent une bonne raison à cela (et c’est pas bien difficile). Mais, à la différence du rusé goupil mentionné plus haut, les frangins sont aussi de sacrés couillons… Ce n’est pas grave : « Louée soye la Vierge ! » Ils ont la bénédiction de Marie, qui vaut autrement mieux que sa petite fiotte de fiston et que son violeur de Seigneur. Hegel dispose par ailleurs de la « vue des sorcières », une sorte de sixième sens qui lui octroie régulièrement des visions de l’avenir, et l’avertit du danger.

 

Et du danger, ils vont en rencontrer, les frérots, tout au long de leur odyssée vers le sud, la « Gypte », où leur grand-père aurait amassé des trésors, sur lesquels ils comptent bien poser leurs vilaines pattes fangeuses. C’est l’époque qui veut ça : guerres, famines, épidémies de peste… mais aussi monstres, sorcières et démons ! Et dans la mesure où les Grossbart partent après avoir commis un massacre dans leur village natal, ils ont dès le début des ennemis farouches aux basques… N’y manque plus que la malédiction d’une sorcière. Et c’est ainsi que Hegel et Manfried tournent chasseurs « d’hérétiques » et tueurs de démons, « louée soye la Vierge ! » ; et de répandre progressivement l’hérésie grossbartienne…

 

Pour les raisons évoquées plus haut, j’attendais beaucoup de ce livre. Aussi, quelle déception ! Ce n’est certes pas là le roman que l’on m’a tant vanté. S’il est un sentiment que La Triste Histoire des frères Grossbart a suscité au cours de ma lecture, c’est indiscutablement l’ennui. Je n’irais peut-être pas jusqu’à le qualifier de fondamentalement mauvais, mais ce roman me paraît néanmoins bien représentatif de ces bonnes idées gâchées qui laissent un désagréable arrière-goût en bouche.

 

Il y a plusieurs raisons à cela. Je pense que la première tient à l’écriture. Je ne crois pas que la responsabilité en incombe au traducteur, qui a par ailleurs su rendre tout le savoureux des répliques des frangins Grossbart, ce qui n’était sans doute pas évident (il abuse cependant du « cependant » et néanmoins du « néanmoins »). Mais voilà : dialogues exceptés, tout cela est très morne… et parfois – en particulier lors des scènes d’action – carrément laborieux et confus. Je mets quiconque au défi d’y comprendre quoi que ce soit. Or ces dernières ne manquent pas, le roman attaquant d’ailleurs en force sous cet angle ; ce qui, dès le départ, donne une mauvaise impression…

 

La construction du récit me paraît également critiquable. Certes, il s’agit largement d’un récit picaresque, ce qui justifie bien des ellipses, distorsions temporelles, etc. N’empêche, ce n’est pas très bien géré. Le pire exemple, sans doute, réside dans la traque des Grossbart par Heinrich, le père et l’époux des premières victimes des satanés frangins : de brefs chapitres qui tombent comme autant de cheveux sur la soupe, jusqu’à la rencontre finale, pour laquelle cette expression tient de l’euphémisme. Mais il y a aussi un certain nombre de retournements de situation guère convaincants…

 

J’ajouterais que le Moyen Âge dépeint dans cet ouvrage m’a paru bien peu consistant, n’en déplaise à l’auteur qui cite en fin de volume ses références bibliographiques. Et ce cadre maladroit et parfois clichetonneux n’aide pas à apprécier le livre.

 

C’est d’autant plus dommage qu’il y a malgré tout de bonnes choses dans cette Triste Histoire. Les Grossbart sont assurément de bons personnages, de même que le prêtre Martyn et le capitaine Barousse. Les dialogues, comme je l’ai déjà dit, sont la plupart du temps réjouissants. Et, parfois, oui, on ose un sourire… mais bien trop rarement pour que le livre emporte l’adhésion.

 

Alors, oui, en définitive, il s’agit bien d’une Triste Histoire… Déception.

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