"Les Abominations de Cthulhu", de Brian Lumley
LUMLEY (Brian), Les Abominations de Cthulhu, [De Marigny’s Dream-Quest], traduit de l’anglais par France-Marie Watkins, Paris, Albin Michel, coll. Super-Fiction, [1975] 1978, 249 p.
« Nébal ? »
Oui ?
« Nébal. Faut qu’on parle. »
Mmmh ?
« C’est à propos de ton idée débile de passer tes vacances à enchaîner les lectures « festives, déviantes, stupides et vide-crâne, voire carrément perverses ». »
Je m’en doutais un peu…
« Euh, oui, bon… Enfin, voilà. Que tu puisses considérer Légende de David Gemmell comme un divertissement honnête, passe encore. Que tu veuilles tenter « Xanth », je peux le comprendre. Mais pourquoi t’acharner sur le « cycle de Titus Crow » ? De ton propre aveu, si Le Réveil de Cthulhu pouvait être sympathique par moments, La Fureur de Cthulhu était par contre une purge indicible. Tu crois vraiment que ça va aller en s’améliorant ? »
Oh, non.
« … »
…
« Donc tu vas arrêter ? »
Non.
« … »
…
« Mais bordel, pourquoi ? T’as rien de mieux à faire ? »
Pas grand-chose… Et puis j’ai la tête dure. Le « cycle de Titus Crow », vois-tu, j’ai décidé d’en faire la pierre angulaire de ma session de lectures festives, déviantes, stupides et vide-crâne, voire carrément perverses. J’ai commencé par ça et, par Cthulhu, je finirai par ça !
« Pervers. »
Oui. Gnihi. Et ta gueule.
« Cycle de Titus Crow », tome 3, Les Abominations de Cthulhu. Toujours rien à voir avec le titre original, mais un chouia plus avec le contenu, pour une fois. Par contre, autant le dire de suite, malgré ce titre alléchant, ce n’est hélas toujours pas véritablement le nanar cthuloïde que j’attendais… En effet, si l’abominable La Fureur de Cthulhu jouait (mal) la carte science-fictive, le furieusement mauvais Les Abominations de Cthulhu joue (toujours aussi mal) de celle de la fantasy. Et pour cause : l’intrigue se situe cette fois dans les Contrées du Rêve (comme l’indique clairement le titre original, De Marigny’s Dream-Quest). Les Contrées du Rêve, chez Lovecraft, ça a pu donner des choses très bien, et notamment l’indispensable « Quête onirique de Kadath l’Inconnue » (ce qui est l’occasion, tiens, tant qu’on y est, de rappeler à votre bon souvenir l’excellent guide de Kadath). Mais passées à la moulinette bisseuse de Lumley, ça peut donner quelque chose de… singulièrement singulier.
Donc. De Marigny’s Dream-Quest prend directement la suite de The Transition of Titus Crow. Mais comme son titre l’indique singulièrement, notre héros sera cette fois le singulier Henri-Laurent de Marigny. Celui-ci a hérité de la singulière horloge voyageuse du singulier Titus Crow, singulier engin qui avait autrefois appartenu à son père, le singulier Étienne-Laurent de Marigny, devenu depuis le singulier conseiller du fameux roi Randolph Carter dans la singulière ville d’Ilek-Vad dans les singulières Contrées du Rêve. Alors qu’il emprunte, vêtu de sa singulière cape volante, la singulière création des Anciens Dieux pour se rendre en Elysia, Henri-Laurent de Marigny est contacté par le singulier Kthanid, qui lui confie une singulière mission. Il s’agit pour lui de sauver Titus Crow et sa femme, la singulièrement belle Tiania, qui sont prisonniers des Contrées du Rêve, où ils s’étaient rendus pour mettre un frein singulier aux singuliers cauchemars suscités singulièrement par le singulier Cthulhu. Las, ils sont tombés dans un piège (singulier), et ont été capturés par les singuliers êtres cornus de Leng, ce qui est pour le moins singulier. Henri-Laurent de Marigny s’endort donc, et fait un rêve singulier, qui va le propulser dans une intrigue de fantasy singulièrement médiocre.
Objectivement, Les Abominations de Cthulhu est probablement moins mauvais, singulièrement, que La Fureur de Cthulhu. Notamment en ce qu’il est plus court, et moins ennuyeux (singulièrement). Mais ça n’en fait certes pas un bon roman pour autant. C’est même singulièrement mauvais, à l’instar de la singulière traduction de France-Marie Watkins, qui, aux bout de trois tomes, abuse toujours autant du « singulier » et du « singulièrement ». Hélas, on ne pourra que rarement dire de De Marigny’s Dream-Quest que c’est « so bad it’s good »… Dans l’ensemble, c’est juste mauvais. Singulièrement mauvais.
Il est cependant quelques scènes singulièrement connes qui suscitent de francs éclats de rire singuliers chez le lecteur. On notera, déjà, qu’il s’agit bien de fantasy, dans la mesure où les femelles s’y font tout le temps singulièrement enlever par les méchants. La singulière Tiania nous fait le coup pas moins de trois fois (!) en moins de 250 pages, ce qui relève singulièrement de la performance singulière. Mais d’autres scènes singulières sont à relever. Au hasard, Titus Crow qui se latte à poil contre des sales bestioles cthuliennes mais non moins singulières, Marigny qui se bourre singulièrement la gueule au cognac pour retourner dans les Contrées du Rêve, ou encore cette singulière conclusion où, outre un deus ex machina au sens strict, parfaitement ridicule et singulièrement rapporté par le résumé en quatrième de couverture (!), nous avons la joie singulière d’assister à un singulier défilé de DCC (Divinités du Cycle de Cthulhu, faut-il le rappeler).
Bref : Les Abominations de Cthulhu, c’est singulièrement abominable. Mais ça ne m’empêchera pas de poursuivre l’aventure avec Le Démon du vent, parce que merde, je le veux, mon nanar authentiquement et singulièrement cthuloïde !
« Pervers. »
Oui. Mais ta gueule.
Singulièrement.