"Entremonde", de Neil Gaiman & Michael Reaves
GAIMAN (Neil) & REAVES (Michael), Entremonde, [Interworld], traduit de l'anglais par Michel Pagel, Paris, J'ai lu, coll. Science-fiction – Fantasy, [2007, 2010] 2011, 221 p.
Bon, comme c'est qu'y disent, on ne présente plus Neil Gaiman, d'autant que j'ai eu maintes fois l'occasion de vous en parler ici, et généralement en bien. Michael Reaves, par contre, était en ce qui me concerne un complet inconnu au bataillon, qui aurait publié des « romans fantastiques sombres »... Pourquoi cette association à quatre mains ? Les auteurs s'expliquent en postface : le projet d'Entremonde, à l'origine, était destiné à la télévision, et fut pour la première fois travaillé alors que Gaiman bossait sur la série Neverwhere et que Reaves concevait des dessins animés chez Dreamworks. Las, les producteurs semblaient totalement fermés au concept exposé par les deux auteurs ; aussi ont-ils décidé d'en faire un roman pour mieux s'expliquer, et c'est ce qui a finalement donné cet Entremonde qui, avouons-le, ressemble en effet beaucoup au pilote d'une série TV (qui n'existera probablement jamais), mais, en attendant, se présente sous la forme d'un roman jeunesse. J'étais passé à côté quand il était sorti en grand format Au Diable Vauvert, un peu sceptique sur l'intérêt de la chose, mais je me suis dit ne pas avoir grand-chose à perdre à le lire en poche, et donc voilà.
Notre héros et narrateur est un lycéen du nom de Joey Harker. Joey a une seur et un petit-frère, des parents qui l'aiment et un prof d'histoire-géo complètement guedin, qui fait passer à ses élèves des contrôles hautement improbables. Là, par exemple, il leur fait faire une course d'orientation... au grand dam de Joey, qui n'a jamais été doué pour ce genre d'exercice (euphémisme).
Mais la course d'orientation dérape, tandis que Joey se retrouve projeté dans un monde parallèle. Un monde qui ressemble beaucoup au sien, certes, mais qui n'est définitivement pas le sien : ici, sa propre mère ne le reconnaît pas – il faut dire qu'elle n'a jamais eu de fils... Et des mondes parallèles comme ça, il y en a une infinité, ou presque, et Joey a le pouvoir de Marcher entre les mondes. Joey, oui, mais aussi ses innombrables avatars, masculins ou féminins, humains ou moins humains, issus de ces centaines de monde divergents. Il y a en fait toute une armée de Joey (J/O, Joe, Joseph, Jay, Jai, etc.), qui a un rôle à jouer dans l'Arc : préserver l'équilibre entre les mondes dominés par la science et ceux dominés par la magie. En effet, à chaque bout de l'Arc, se trouve un monde hégémonique qui entend conquérir les proches. Au Binaire s'oppose ainsi MAGA, avec à sa tête l'horrible Sire Lamechien et Madame Indigo... et les Harker sont des proies toutes désignées pour ces conquérants soit scientifiques, soit magiques.
On le voit, le concept, sans être d'une orginalité bouleversante, nécessite tout de même quelques explications et présente quelques innovations intéressantes ; c'est à la fois la force et la faiblesse de ce roman jeunesse, plutôt palpitant et enjoué, mais qui nécessite une longue mise en place avant de déboucher sur une histoire avortée... et pour le coup des plus frustrantes. Passionnant quand il s'agit d'écumer les mondes ou l'Entremonde, malin dans son jeu avec les avatars de Joey, Entremonde s'achève néanmoins dans la précipitation, et, si le concept est convainquant, le roman est sans doute trop court pour être pleinement satisfaisant.
En attendant, ça se lit tout de même très bien. D'un style fluide et enlevé, coloré et chargé d'allusions, le roman de Neil Gaiman et Michael Reaves se dévore en quelques heures, et, disons-le tout net, on en redemanderait bien volontiers. Ce qui était bien le but de la manœuvre. Las, la série Entremonde ne verra probablement jamais le jour, et il est douteux que Gaiman et Reaves s'associent de nouveau pour poursuivre les aventures de Joey Harker à travers le Multivers...
Tant pis : on se contentera de ce qu'on a ; c'est-à-dire un pilote d'autant plus frustrant qu'il se montre efficace. Une lecture certes pas indispensable ni révolutionnaire, mais qui comblera les attentes des jeunes lecteurs, et des moins jeunes aussi, peut-être ? En tout cas, le Nébal approuve, malgré les défauts indéniables qui ont été soulignés.