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"Le Petit Guide à trimbaler de Philip K. Dick", d'Etienne Barillier (dir.)

Publié le par Nébal

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BARILLIER (Étienne) (dir.), Le Petit Guide à trimbaler de Philip K. Dick, Chambéry, ActuSF, coll. Les Trois Souhaits, 2012, 181 p.

 

Ah, les « petits guides à trimbaler » d’ActuSF ! Que de souvenirs !

 

J’en frissonne encore.

 

Parce qu’il faut bien reconnaître que ces petits bouquins péchaient généralement par pas mal d’aspects, jusqu’à en devenir risibles dans les cas les plus récents (vampires et fantasy), bourrés d’erreurs, de renvois improbables et totalement dénués d’esprit critique, à tout mettre sur le même plan, et donc, à procéder ainsi, à aboutir inévitablement à un nivellement par le bas.

 

« Ta gueule, Nébal, t’es cité dans celui sur la fantasy. »

 

Oui ben c’est bien ce que je disais !

 

(Merci.)

 

Et voilà que, pour commémorer les trente ans de la mort de Philip K. Dick, qui fut, je vous le rappelle, le plus grand écrivain de science-fiction du XXe siècle et un de ses plus grands écrivains tout court, J’ai lu s’est lancé dans un vaste programme de rééditions (et même d’édition, puisque Ô nation sans pudeur est inédit ; mais il me fait un peu peur, celui-là…). Et parallèlement on a appris l’existence de ce nouveau petit guide à trimbaler. Putasserie ? Bah, disons opportunisme, sans connotation trop négative.

 

N’empêche que j’en frissonnais à nouveau, moi, qui suis quand même un peu un dickien fanatique décérébré.

 

Mais une chose me rassurait : la rédaction dudit guide avait été confiée à Étienne Barillier, c’est-à-dire, pour une fois, à quelqu’un qui maîtrise parfaitement son sujet et que l’on pouvait supposer doté d’esprit critique. Curieux, je me suis donc procuré la bête – très jolie couverture d’Alexandre Bourgois, au passage –, un peu par complétisme aussi sans doute ; je ne m’attendais en effet pas à apprendre des choses sur Dick et son œuvre, pas après m’être enquillé successivement le Bifrost consacré à l’auteur, Je suis vivant et vous êtes morts d’Emmanuel Carrère, Invasions divines de Lawrence Sutin, Regards sur Philip K. Dick dirigé par Hélène Collon, Les Romans de Philip K. Dick de Kim Stanley Robinson, l’ABC Dick d’Ariel Kyrou, sans oublier bien sûr – tout de même – la quasi-intégrale de ses romans et nouvelles, etc.

 

Ben figurez-vous que je me suis trompé et que, en feuilletant ce petit guide, j’ai appris des trucs, comme ça, au détour d’une page, généralement sur le mode de l’anecdote. Et j’ai en tout cas eu l’occasion de constater que ce petit guide n’avait fort heureusement rien à voir avec ses sinistres prédécesseurs.

 

Si les récurrentes « dix questions… » sont un brin candides, elles permettent néanmoins au novice de découvrir en douceur le personnage et son œuvre. Or ce n’est pas de refus : on le sait – enfin, on devrait –, la vie de Philip K. Dick ressemblait un tantinet à ses romans, et en connaître quelques éléments permet de mieux apprécier son œuvre (ce qui est à vrai dire sans doute le cas pour tout auteur digne de ce nom).

 

L’étude des romans de l’auteur est tout à fait satisfaisante : exhaustive, elle n’hésite pas à trier le bon grain de l’ivraie, et force m’est de constater que je suis le plus souvent d’accord avec Étienne Barillier – quand je vous disais que Docteur Futur était une purge, hein ? Si les synopsis valent ce qu’ils valent, les commentaires et anecdotes sont souvent intéressants, et les renvois, quand il y en a, sont judicieux, ce qui nous change agréablement de la pratique antérieure.

 

L’étude des nouvelles est par contre à mon sens bien trop courte pour convaincre, et il en va un peu de même pour le reste des choses dickiennes – cinéma, musique, jeux vidéos, etc. Même si le travail de compilation effectué à cette occasion est non négligeable, il pèche par contre de temps à autre par défaut d’analyse.

 

Les éléments biographiques sont correctement amenés, et l’auteur évite de trop caricaturer son sujet, tout en posant les questions qui fâchent. Un bon point là aussi.

 

Ben finalement, c’était pas mal du tout, ce petit guide. Certes pas une lecture indispensable – et encore moins pour les authentiques dickiens décérébrés certes mais pas au point de se jeter sur la moindre chose en rapport avec leur écrivain fétiche –, mais un bon moyen – eh oui, pour une fois, ça marche – de découvrir en douceur l’auteur et son œuvre, à l’heure des rééditions. Il sera toujours possible d’approfondir plus tard. En attendant, ce petit guide remplit donc parfaitement son office. J’avais tort de frissonner et de craindre le pire, et m’en vais donc de ce pas me flageller avec des orties fraîchement coupées pour mes vilains sarcasmes de tout à l’heure.

 

Aïe.

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"Le Vaillant Petit Tailleur", d'Eric Chevillard

Publié le par Nébal

Le-Vaillant-Petit-Tailleur.jpg

 

 

CHEVILLARD (Éric), Le Vaillant Petit Tailleur, [s.l.], Les Éditions de Minuit, coll. Double, [2003] 2011, 233 p.

 

Tiens, pour ma peine, encore un livre en provenance directe de la sélection de Fabrice Colin, libraire invité à Charybde. Je n'y étais donc pas, hélas, mais ça ne m'a pas empêché de jeter un œil à ladite sélection le lendemain. Et c'est ainsi que j'ai fait connaissance avec Le Vaillant Petit Tailleur d'Éric Chevillard ; car, à la différence d'Un privé à Babylone dont je vous ai parlé il y a peu, celui-ci je n'en avais jamais entendu parler ; à vrai dire, je ne suis même pas certain de connaître vraiment le conte de Grimm und Grimm qui en fournit le prétexte (même si ça me dit effectivement quelque chose, cette histoire). Mais voilà : une fois n'est pas coutume, j'ai été attiré par la quatrième de couverture, plutôt prometteuse (mais ne le sont-elles pas toutes, ces salopes ?), et quand je me suis adressé à la libraire d'un air étonné, la perfide m'a fait : « Oh, ça, visiblement, c'est tout en digressions. » Et de rajouter, doublement perfide : « ... un peu à la Tristram Shandy... » Aussi, comment voulez-vous ? Hein ? Bon. Ben voilà, Le Vaillant Petit Tailleur de Chevillard a ainsi intégré ma mini-pile à lire temporaire, en très bonne position.

 

Adonc. La base, c'est bien le conte du Vaillant Petit Tailleur tel qu'il a été rapporté par les frères Grimm. Qui n'en sont donc pas l'auteur. Et voilà bien ce qui manque à cette stupide histoire de tueur de mouches : un auteur. Ainsi naît le Projet : « reproduire le conte avec ses imperfections constitutives, ses vices de forme, sa pauvreté d'imagination et de pensée, sa radicale bêtise, et [...] le propulser tel quel au rang d'œuvre littéraire majeure en devenant l'auteur qui lui fait défaut depuis toujours. » Tout de même. Et de se poser la question, bien légitime : au final, qui dans toute cette histoire est le héros ? Le Vaillant Petit Tailleur, ou bien l'Auteur ?

 

L'Auteur. Parlons-en. Il est tellement Auteur qu'on pourrait y mettre un H. Et il déteste le Vaillant Petit Tailleur, de même qu'il méprise Grimm-Grimm et les veuves qui leur ont rapporté semblables sornettes. Il n'y a qu'une seule chose que l'Auteur déteste encore plus que son sujet – qu'il cherchera donc à expédier le plus tôt possible –, et ce sont les mouches. Saloperies. « Sept d'un coup ! » Pas mal. Peut mieux faire.

 

Notre Auteur entreprend donc de réécrire le conte du Vaillant Petit Tailleur, en suppléant aux insuffisances flagrantes du récit originel, qu'il ne cesse de vilipender. Le Projet est arrogant ; mais notre Auteur, il faut bien le reconnaître, l'est vachement. Alors, oui, à la base il y aura bien un conte de fées – avec des géants et des licornes, un roi et une princesse –, il s'agit sous cet angle, de respecter le matériau. Mais notre Auteur ne peut pas s'empêcher d'en rajouter des caisses, et de tourner autour de son sujet (à l'instar d'une mouche, sale bête), à grands renforts de développements incongrus et autres digressions, dont il fait un véritable art. La digression est effectivement au cœur du conte modernisé et doté d'un Auteur. Le moindre prétexte est bon pour parler d'autre chose, et user de cet à-propos qui n'a rien à voir.

 

Et c'est jubilatoire, il faut bien le dire. Chevillard est un maître pour ce qui est de la digression ; de même que son Vaillant Petit Tailleur, mais sous une autre acception, il est insurpassable pour ce qui est de broder. Aussi, au fil des pages, nous le verrons souvent pester, railler, mépriser, mais tout autant nous entretenir de choses et d'autres, dont le rapport avec le conte des Grimm peut être sacrément tordu.

 

Le résultat, c'est un court roman souvent très drôle, et accessoirement – ou pas – superbement écrit. Car, si notre Auteur en rajoute dans la prétention, il ne fait guère de doute que Chevillard est un écrivain doué, qui connaît son métier.

 

Ainsi, au-delà de la farce burlesque et du ton goguenard de rigueur, se dessine une réflexion sur le statut d'auteur, sur ce que c'est que d'être un écrivain, sur le rapport à l'œuvre, sur la paternité littéraire... Et c'est diablement malin, et sacrément bien fait.

 

Le Vaillant Petit Tailleur est ainsi susceptible de nombreuses lectures – sept d'un coup ? –, qui sont toutes aussi enrichissantes et enthousiasmantes les unes que les autres. On voit bien dès lors qu'il s'agit de bien autre chose que d'un pur exercice de style, et c'est tant mieux.

 

Alors merci M. Colin, votre choix fut des plus judicieux.

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