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"J.-K. Huysmans et le satanisme d'après des documents inédits", de Joanny Bricaud

Publié le par Nébal

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BRICAUD (Joanny), J.-K. Huysmans et le satanisme d’après des documents inédits, [s.l.], [n.c.], [1913] 2011, [édition numérique]

 

Ah, qu’est-ce qu’on peut être con quand on est jeune ! Mais des fois c’est rigolo. Permettez-moi de bouffer cette madeleine, là, et de partir à la recherche de mon temps que je l’ai perdu. Whoosh. Retour au collège (horreur), vers mes treize, quatorze ans. J’avais alors un excellent professeur – qui m’avait hélas pris comme chouchou… – de français, latin et grec. Mes amis et moi la savions très catholique. Aussi a-t-on été pris d’envie de la taquiner, en nous faisant passer, jeunes couillons de metalleux, voire black metalleux, que nous étions, pour une petite troupe de satanistes. La dame ne manquait pas d’humour, et savait bien que tout cela n’était qu’une vaste blague. Aussi, loin de s’en offusquer, elle en riait avec nous.

 

Un jour, après les cours, elle me retint quelques instants (en tout bien tout honneur) : « Vous qui vous intéressez au satanisme, vous devriez lire ceci. Mais surtout n’en parlez pas à vos camarades ! Ils ne sont pas assez murs… » me dit-elle en substance. Et de me tendre un exemplaire de Là-bas de Joris-Karl Huysmans. Ce fut un choc esthétique incomparable, et, aujourd’hui encore, Là-bas figure parmi mes romans fétiches.

 

Quelques mots à ce sujet s’imposent. Joris-Karl Huysmans était un échappé du naturalisme. Après avoir fait ses premières armes dans la lignée d’un Flaubert et plus encore d’un Zola, il est progressivement devenu une sorte de chef de file des écrivains décadents avec le merveilleux À rebours (le livre préféré de Dorian Gray). Puis il fut tourmenté par une crise de foi, qu’il raconta dans son « Roman de Durtal », dont Là-bas constitue le premier tome. Les suivants témoignent de la conversion de l’auteur au catholicisme (variante un tantinet mystique) ; on recommandera dans cette optique la lecture du très beau, très touchant deuxième tome, En route (les deux suivants, La Cathédrale et L’Oblat, s’ils sont toujours aussi merveilleusement écrits, sont, euh, « plus dispensables », et « purement » catholiques).

 

Mais Là-bas, c’était autre chose, une expérience bien particulière, la confrontation de son auteur au satanisme et plus généralement aux « sciences » occultes de son temps. Le prétexte en est le suivant : Durtal, un écrivain, travaille sur une biographie du sinistre Gilles de Rais, qui l’amène à s’intéresser au satanisme et à la sorcellerie au Moyen Âge. Mais, dans sa quête de sources, il découvre avec une fascination mêlée de répulsion la survivance du satanisme dans la bonne société « fin-de-siècle ». Là-bas livre en parallèle les échos médiévaux du travail de Durtal, et son cheminement spirituel, qui l’amène à fréquenter des individus peu recommandables, avant de trouver la rédemption dans le catholicisme (plus tard). Le portrait des satanistes de son temps n’est guère flatteur – Huysmans stigmatise leurs ridicules, leur hypocrisie, etc. L’ex-naturaliste ne s’en est pas moins très fortement documenté pour écrire son roman, et a un temps erré dans le milieu qu’il décrit.

 

D’où la brochure de Joanny Bricaud (oui, on y arrive enfin)… qui prend tout cela très au sérieux. Prétendant se fonder sur des « documents inédits » en sa possession (généralement sans autre précision, ce qui est bien pratique…), l’auteur, féru d’occultisme et a priori très crédule, s’intéresse aux sources du roman satanique de Joris-Karl Huysmans. Le résultat est un salmigondis hilarant mêlant, sans avoir l’excuse du style, catholicisme mystique et ésotérisme (spiritisme, alchimie, satanisme, incubes et succubes…), qui relate pour l’essentiel « l’affrontement magique » entre deux sources de Huysmans également satanistes à ses yeux, l’abbé Boullan d’une part, et d’autre part les mystiques de l’Ordre Kabbalistique de la Rose-Croix, avec à sa tête Stanislas de Guaita, et englobant des personnages aussi pittoresques que le fameux Sar Péladan. Avec semble-t-il Huysmans et certains de ses amis, il charge les lointains disciples de Christian Rosenkreutz de la mort « mystérieuse » de l’ex-abbé sulfureux. C’est bien évidemment d’un ridicule achevé et, si l’on excepte une lumineuse lettre de Stanislas de Guaita lui-même (le pauvre), c’est parfaitement hilarant d’un bout à l’autre. Et c’est, du coup, certes pas une lecture indispensable – disons-le tout net, c’est un torchon stupide et ridicule –, mais du moins une lecture édifiante pour qui s’intéresse à l’ésotérisme « fin-de-siècle ». Ni Huysmans ni l’auteur n’en ressortent grandis, cela dit. Mieux vaut donc lire et relire Là-bas, et laisser, sauf curiosité malsaine (serviteur) ce fascicule à sa place naturelle : les chiottes.

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"La Chartreuse de Parme", de Stendhal

Publié le par Nébal

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STENDHAL, La Chartreuse de Parme, [s.l.], Ebooks libres et gratuits, [1839, 2003] 2011, [édition numérique]

 

J’ai déjà eu l’occasion, à plusieurs reprises, d’attirer votre attention sur la perfiditude des libraires. Sale engeance ! Ces gens-là – ces parasites devrais-je dire –, non content de sucer votre argent durement gagné, en profitent pour vous imposer leurs goûts ineptes, et souvent réactionnaires. En voici un témoignage pour le moins éloquent. Le coupable, que nous ne désignerons charitablement que par les lettres H.R., n’avait eu de cesse de proclamer son amour viscéral et sans doute quelque peu contre-nature pour La Chartreuse de Parme, célèbre roman de Stendhal, l’homme qui a inspiré à Jeanne Mas son plus fameux tube (et ça n’est pas rien). Ce H.R. avait poussé le perfidisme jusqu’à prendre plusieurs exemplaires de La Chartreuse de Parme, les ornant d’un sinistre bandeau publicitaire évidemment mensonger, et osant, si je ne m’abuse, le superlatif : H.R. cherchait à nous faire croire, nous autres pauvres innocents, que ledit roman de Stendhal était le plus grand roman de la littérature française, alors que tous les gens de bon goût savent que, en fait, il s’agit de L’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert, non mais oh, hein, bon. Las ! Le perfidesque personnage a réussi son coup, dans la mesure où il a titillé ma curiosité (malsaine, oui) ; j’ai en effet déboursé la mirifique somme de 0 € pour me procurer La Chartreuse de Parme (ailleurs que dans l’antre infâme dudit H.R.), et j’ai poussé le vice, ou la bêtise, jusqu’à lire la chose, alors que j’aurais très bien pu faire semblant (d’abord).

 

La Chartreuse de Parme nous narre la vie et les œuvres de Fabrice del Dongo, de sa conception à sa fin (dans la Chartreuse de Parme, donc ; oh comment que j’ai « spoilé » ! Oui, je suis vil, moi aussi). Je dois reconnaître que le début du roman est indéniablement brillant, avec l’enfance de Fabrice et, surtout, son engagement maladroit dans l’épopée napoléonienne, quand l’Ogre corse revient de l’île d’Elbe pour aller se prendre une branlée à Waterloo. Un véritable régal (même si L’Éducation sentimentale, c’est mieux).

 

Hélas, en ce qui me concerne, la suite n’est pas du même tonneau. Mais là j’imagine – et H.R. serait sans doute le premier à le prétendre – que je n’aurais plus qu’à fermer ma gueule. Qui suis-je en effet pour oser critiquer Stendhal, l’homme qui a inspiré à Jeanne Mas son plus fameux tube (et ça n’est pas rien) ?

 

Un con.

 

(C’est écrit là-haut.)

 

Je vais me gêner, tiens.

 

La scène prend place dans une Italie passablement fantasmée (ce qui est bien pratique). Nous y suivons les intrigues et amours de Fabrice, qui bénéficie de la protection de sa tante, la Sanseverina (cette salope). Le gros morceau, c’est surtout quand Fabrice est emprisonné dans la tour Farnèse (pour une complexe histoire mêlant amûr et complots), et qu’il en profite pour séduire la belle et naïve (même si pas tant que ça ; salope) Clélia Conti, la fille du gouverneur Fabio Conti, rien que ça, qui facilite son évasion, à l’instar de la Sanseverina. Puis nous voyons Fabrice, qui s’est tourné vers la carrière ecclésiastique, devenir coadjuteur de l’archevêque Landriani, et un prédicateur renommé, tout ça rien que pour emballer la Clélia Conti, qui a pourtant fait le vœu à la Madone de ne plus jamais voir Fabrice (le verbe « voir » est à souligner ; salope). Je vous passe les détails jusqu’à la fin du roman, un tantinet précipitée tout de même.

 

Le livre est dédié « to the happy few », ce qui est quand même la classe. N’empêche, il m’a déçu (je ne suis donc pas des « happy few », rho ben merde, alors). Je suis désolé, H.R., mon cher, mon ami, mais le cœur du roman – dont on a parfois souligné le caractère balzacien, ça explique tout – ne me paraît pas tenir les promesses de ses brillants premiers chapitres. Certes, je n’irais pas jusqu’à dire que La Chartreuse de Parme est un mauvais roman, ne poussons pas mémé dans les orties, et Stendhal pas davantage, même si H.R., c’est tentant (et Balzac, n’en parlons pas). Non, loin de là, La Chartreuse de Parme, c’est quand même au pire pas mal du tout, et ça contient bon nombre de pages tout à fait réjouissantes, notamment celles où l’humour de l’auteur, à tendance délicieusement cynique, s’affiche le plus volontiers. On ne s’ennuie certes pas à la lecture de ce roman, qui est indéniablement bon (même si je lui ai personnellement préféré, et de loin, celui qui a inspiré à Jeanne Mas son plus fameux tube – et ça n’est pas rien). Il me semble pourtant possible de relever ici ou là (surtout là, d’ailleurs) quelques défauts de construction (si), et j’avouerais que les amûrs de Fabrice del Dongo, je m’en bats un peu les couilles (romantiquement s’entend). Dommage : le début, qu’est-ce que c’est bien !

 

Mais voilà : au final, ben, un peu bof, quand même. H.R., tu m’as menti ! Salaud ! Rembourse-moi ! Et prends cinq exemplaires de L’Éducation sentimentale, non mais oh !

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"Skin Trade", de George R.R. Martin

Publié le par Nébal

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MARTIN (George R.R.), Skin Trade, [The Skin Trade], traduit de l’américain par Annaïg Houesnard, préface d’Emmanuel Chastelière, Chambéry, ActuSF, coll. Perles d’épice, [1989] 2012, [édition numérique]

 

Décidément, s’il est un auteur d’imaginaire bankable à l’heure actuelle, c’est bien George R.R. Martin, le succès du « Trône de fer » et plus encore de son adaptation en série télévisée par HBO Game of Thrones aidant (d’ailleurs, va falloir que je m’y mette, et ça fait un moment que je me le suis promis ; mais en anglais, parce qu’il paraît que…). Aussi, comme j’avais déjà eu l’occasion de le noter, on publie aujourd’hui en France du George R.R. Martin à tour de bras. Outre les tronçonneurs de chez Pygmalion et J’ai lu qui éditent la série phare de fantasy, Mnémos a ainsi réédité le très sympa Riverdream et Denoël le très sympa également Armageddon Rag. Mais ActuSF avait pris de l’avance, avec Le Volcryn, Dragon de glace, puis Skin Trade, novella qui a obtenu le World Fantasy Award 1989 et qui va retenir ici notre attention.

 

Une ville, aux États-Unis, autrefois prospère, devenue depuis un sinistre désert industriel (ça sent fort la « Rust Belt »). Une jeune infirme y est sauvagement assassinée et mutilée. Willie Flambeaux, un agent de recouvrement à l’humour douteux qui connaissait la victime, demande à son amie Randi Wade, détective privée et fille de flic, d’enquêter sur les circonstances de sa mort. Et la jeune femme de se mettre au travail, d’autant plus ardemment que tout ceci ne manque pas de lui évoquer la mort de son paternel au cours d’une enquête, quelques années plus tôt. Or flotte sur tout ceci comme une odeur de loup-garou – pardon : de lycanthrope.

 

Wouf.

 

Pendant un bon moment, si vous désirez être surpris, vous pouvez passer votre chemin. George R.R. Martin, en effet, joue sur les codes dans Skin Trade, ceux du polar hard-boiled (décidément…) comme ceux des histoires de loups-garous, et il fait ça très habilement, très professionnellement. Aussi sait-on exactement à chaque page ou presque ce qui va se produire : une complicité très forte s’instaure ainsi entre l’auteur, sage et efficace, et le lecteur, qui n’en dévore pas moins la chose. Les personnages sont bien campés, la plume percutante – ça se lit tout seul.

 

Et puis surgit une avalanche de twists, sacrément malins (même s’ils jouent toujours sur les lieux communs du genre), qui ne font qu’accroître le régal du lecteur. Tout cela est très palpitant, on tourne les pages avec avidité, et on se fait manipuler en beauté (jusqu’à une fin peut-être un peu trop abrupte, mais bon : c’est là aussi une histoire de codes).

 

Au final, Skin Trade est donc une novella très plaisante et diablement astucieuse, que l’on lit avec un plaisir constant. Pas une lecture indispensable, non, mais dans son genre c’est remarquablement bien fait (et pour les amateurs des jeux de rôle du « Monde des Ténèbres », c’est un must have).

 

Notons que la novella est encadrée par une préface d’Emmanuel Chastelière, qui insiste notamment sur l’influence de l’écriture télévisuelle sur George R.R. Martin (il a longtemps travaillé dans ce milieu-là) et par un dossier volumineux et a priori fort bien fait (je dis a priori pour la bonne et simple raison que je n’ai fait que le survoler, désireux de ne pas me « spoiler » A Game of Thrones…).

 

Awouuuuuuuuuuu !

CITRIQ

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"Indignez-vous !", de Stéphane Hessel

Publié le par Nébal

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HESSEL (Stéphane), Indignez-vous !, édition revue et augmentée, postface de l’éditeur, Montpellier, Indigène, coll. Ceux qui marchent contre le vent, [2010] 2011, [édition numérique]

 

Sans doute n’est-il guère utile de revenir ici sur l’extraordinaire phénomène médiatique représenté par le « petit livre brun » (…) de Stéphane Hessel. L’éditeur y consacre une abondante postface, débordant d’autosatisfaction (ce qui est bien compréhensible, mais bon…), et qui contient quelques perles (j’avoue : quand j’ai lu « le Languedoc, Toulouse, leur atavisme cathare », j’ai pouffé). Il fut en effet difficile d’échapper à cet opuscule, qu’une curiosité sans doute un peu malsaine m’a poussé à acquérir, histoire de mourir (un peu) moins bête, et d’en savoir davantage, si tant est qu’il y ait vraiment un rapport, sur le mouvement des « Indignés », dont j’hésite encore à déterminer s’il a eu une réelle consistance ou bien une existance purement médiatique, à supposer que ce ne soit pas la même chose. N’empêche : avec ses millions d’exemplaires vendus, Indignez-vous ! est devenu incontournable pour saisir l’esprit du temps (à noter à ce propos le nom de la collection : « Ceux qui marchent contre le vent » – Omaha. Vraiment ?).

 

Commençons par préciser une chose qui ne saurait faire l’ombre d’un doute, c’est que la biographie de Stéphane Hessel impose le respect : ancien résistant, déporté, associé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme… Y a pas, ça représente. Mais, hélas – et autant le dire de suite –, ça n’empêche pas Indignez-vous !, bref ouvrage qui pue le « moi je » (dont je vais abuser à mon tour), d’être un ramassis sans intérêt de lieux communs et de simplifications et raccourcis historiques et philosophiques. D’une nunucherie rare et débordant de bons sentiments, la brochure témoigne, selon les mots mêmes de l’auteur, de son idéalisme à la Hegel, aboutissant au concept si absurde et détestable de « fin de l’histoire ». Vous me direz que cette conception de l’histoire en vaut bien une autre, et que la mienne, autrement pessimiste, n’a pas davantage valeur d’évangile. Certes. Mais ça n’a pas facilité les choses d’entrée de jeu.

 

Je ne vais pas revenir ici sur tout ce que contient ce (pourtant) très court texte, mais en retenir seulement quelques points qui me paraissent significatifs, et bien représentatifs des reproches généraux que je viens d’adresser à l’ouvrage.

 

Prenons par exemple l’insistance avec laquelle l’auteur évoque la prétendue « universalité » des droits de l’homme. On comprend, au regard de sa biographie, cette attitude ; mais là, en bon positiviste juridique, je m’inscris en faux. Ce qui ne m’empêche par ailleurs pas d’être moi-même un fâcheux « droits-de-l’hommiste », comme disent certains barbares hélas de plus en plus communs, un fâcheux « droits-de-l’hommiste » disais-je, qui a même failli (je dis bien : failli) adhérer à Amnesty International (c’est d’ailleurs la seule fois où j’ai failli – je dis bien : failli – adhérer à un mouvement quel qu’il soit). Seulement, si je revendique mon attachement aux droits de l’homme, c’est par un choix, conscient et qui n’engage que moi et qui, surtout, ne fait pas l’impasse sur cette donnée fondamentale : l’universalité des droits de l’homme n’est qu’un postulat qui, bien loin d’être universel, témoigne au contraire de l’ancrage de cette idéologie dans une histoire bien particulière, à savoir celle de l’Europe occidentale ; il a fallu passer par le jusnaturalisme, la Réforme, le libéralisme, la Révolution française, les guerres napoléoniennes, etc., pour en arriver là. Prétendre le contraire, c’est faire preuve d’un triste ethnocentrisme qui balaye sous le tapis toutes les complexités que cette question ne manque pas de soulever.

 

Et il en va de même pour la question qui m’intéresse tout particulièrement de la violence politique. Stéphane Hessel s’inscrit dans une tradition de non-violence à la Gandhi ou Martin Luther King (je lui souhaite de ne pas finir comme eux) et de désobéissance civile à la Thoreau. Tout cela est fort joli, et rejoint largement mes convictions personnelles. Pourtant, on ne saurait évacuer toutes les complexités soulevées par cette question comme le fait l’auteur… Prenons l’exemple du terrorisme : Stéphane Hessel, tout en le « comprenant » dans certains cas, le rejette en arguant de son « inefficacité ». Mais, outre que celle-ci est très contestable, ce n’est sans doute pas à moi de rappeler à Stéphane Hessel, qui fut résistant, que, pour les nazis comme pour Vichy, ses semblables étaient des terroristes. Et où, au juste, se situe la barrière ? Doit-on vraiment exclure toute forme de violence politique, et ainsi, par exemple, le tyrannicide ? Peut-on honnêtement parler d’inefficacité du terrorisme et d’efficacité de la non-violence ? Est-il seulement possible d’être non-violent face à la violence étatique ? Je ne prétends pas détenir les réponses à ces questions, et je m’en voudrais de donner l’impression de faire dans l’apologie de la terreur. Seulement, je constate que Stéphane Hessel, ici encore, se contente de postulats très critiquables et d’un simplisme un peu effrayant, lui aussi…

 

Plus concrètement, on pourrait évoquer le positionnement de l’auteur face à la question palestinienne. Une fois de plus, je suis largement d’accord avec lui. Pourtant, je suis loin d’être convaincu par les quelques pages que l’auteur consacre à cette question particulièrement épineuse, pages pleines de vide et d’indignation facile, mais dénuées d’argumentation comme de solutions… Quant à la question chinoise, on est confondu par la naïveté de l’auteur à ce sujet.

 

Voilà, c’est ça, Indignez-vous ! Une collection d’idées reçues et de bonnes intentions, sans véritable fond (cela dit, la forme ne vaut pas mieux). Un phénomène médiatique creux, dont la vacuité saute aux yeux. Un gloubi-boulga de gentillesse et de cette affreuse chose qu’est le « bon sens », dont on ne s’explique pas le succès… ou plutôt, qu’on préfèrerait ne pas pouvoir s’expliquer. Au risque de s’indigner et, n’en déplaise à l’auteur, de désespérer.

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"A la recherche du temps perdu", de Marcel Proust

Publié le par Nébal

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PROUST (Marcel), À la recherche du temps perdu, [s.l.], Humanis, 2012, [édition numérique]

 

Hop, Nébal poursuit sa découverte des grands classiques de la littérature qu’il était honteusement passé à côté, cette fois avec un gros morceau : l’intégrale d’À la recherche du temps perdu de Marcel Proust, c’est-à-dire Du côté de chez Swann, À l’ombre des jeunes filles en fleur (putain que ce titre est beau ; prix Goncourt, au passage), Le Côté de Guermantes, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière, Albertine disparue (parfois titré La Fugitive, telle était la volonté de Proust), et enfin Le Temps retrouvé. Ce qui nous fait un beau livre pour le moins épais, d’autant qu’il obéit au style proustien – c’est quelque chose – et est donc composé de chapitres interminables, faits de paragraphes interminables, eux-mêmes le produit de phrases interminables.

 

Je ne pensais pas en parler tout de suite – c’est que je suis à la bourre pour plein de trucs –, mais, dans la mesure où ça a déjà commencé à s’écharper sur Proust dans les commentaires de mon non-compte rendu d’Ulysse de Joyce, je me suis dit qu’il pouvait être approprié de fournir un espace à la discussion (pal inclus).

 

Commençons par résumer Proust.

 

 

Hop !

 

 

Plus sérieusement, je ne crois pas que cela soit très utile…

 

À la recherche du temps perdu est une œuvre d’une ambition folle ; c’est à bien des égards l’œuvre d’une vie. Il s’agit, pour le narrateur madeleinophage – je ne vous ferai pas l’insulte de vous rappeler cet épisode ultraconnu –, de replonger dans son passé, et d’élaborer ainsi une sorte d’histoire parallèle à celle de l’auteur, histoire prenant place dans la haute bourgeoisie et l’aristocratie françaises de la fin du XIXe siècle et du début du XXe (ce qui nous vaut quelques beaux moments consacrés, entre autres, à l’affaire Dreyfus ou à la Première Guerre mondiale).

 

Autant dire que c’est méchamment snob, à un point parfois difficilement supportable. Un des intervenants dans les commentaires mentionnés plus haut dénonçait dès lors le caractère de romancier « people » de Proust, ave sa fascination plus ou moins bien placée pour les salons de la haute (notamment celui de l’incontournable Mme Verdurin, insupportable comme c’est pas permis) et leurs histoires de fesses (notamment, mais pas seulement, homosexuelles, avérées chez le baron de Charlus, suspectées chez Albertine). On pourrait difficilement le nier. Mais on aurait à mon sens tort de limiter la Recherche à cette dimension plus ou moins pénible, et d’un intérêt parfois douteux.

 

C’est qu’il y a tant de choses là-dedans. En fin de compte (oui, en fin : Le Temps retrouvé est capital dans cette aproche), ces salons et ces histoires de fesses relèvent pas mal de l’épiphénomène. L’ambition est tout autre : il s’agit véritablement de faire de la vie une œuvre d’art, par un processus de transposition et adaptation sans pareil. Proust procède à la recréation de tout un univers, d’une richesse peu commune, voire unique, avec ses grandes figures, ses drames, ses passions, ses productions artistiques (la musique de Vinteuil, la peinture d’Elstir, etc.)… Aussi la Recherche est-elle une œuvre multidimensionnelle : peinture acerbe d’un milieu social et d’une époque, oui, mais tout autant réflexion sur le temps, la mémoire et l’art (avec des vrais passages de pures dissertations dedans).

 

Il me semble dès lors possible – quand bien même c’est nécessairement arbitraire – de découper la Recherche en trois temps. Le premier est composé de Du côté de chez Swann, À l’ombre des jeunes filles en fleurs et Le Côté de Guermantes. C’est là le cœur du roman, et très probablement la partie que l’on qualifiera le plus volontiers de chef-d’œuvre. Tout est là, et c’est rien de le dire ; mais l’auteur y met aussi les formes : son style est extraordinaire, et met en valeur son propos et ses personnages, d’une profondeur tout à fait remarquable. Chaque page, ici, est un régal, et stupéfiante d’intelligence comme de beauté.

 

Cependant – cela n’engage bien évidemment que moi – la qualité de l’ensemble diminue quelque peu – voire sacrément – par la suite. Affaire Dreyfus exceptée, je n’ai pas trouvé mon bonheur dans les trois volumes suivants, Sodome et Gomorrhe, La Prisonnière et Albertine disparue. La relation de ce petit con de narrateur avec Albertine suscite bien des pages pénibles, d’autant plus qu’elles sont atrocement bavardes. Quant aux affaires de cul des snobinards fréquentés par ledit petit con de narrateur, elles commencent à devenir franchement chiantes.

 

Mais, heureusement, il y a Le Temps retrouvé, qui relève à nouveau du chef-d’œuvre. Les pages consacrées à l’impitoyable vieillesse sont d’une cruauté terrible, le fond philosophique de l’œuvre est d’une intelligence tout à fait singulière.

 

Au final, et malgré la baisse de régime des tomes 4 à 6 – à mes yeux en tout cas, donc –, À la recherche du temps perdu mérite bien ses lauriers de grand classique de la littérature française et, au-delà, mondiale. Œuvre rare, qui peut se permettre sa mégalomanie – c’est pas tous les jours que ça arrive –, la Recherche est d’une richesse et d’une beauté tout à fait uniques. Je n’en ferais pas pour autant le plus impérissable des chefs-d’œuvre, ni même le sommet de la littérature française (Flaubert rules, non mais oh), mais y a pas, c’est quelque chose. Et on ne peut pas le limiter à une romance « people » ; le pal pour ceux qui oseraient.

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"Le Baiser du Rasoir", de Daniel Polansky

Publié le par Nébal

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POLANSKY (Daniel), Le Baiser du Rasoir, [The Straight Razor Cure], traduit de l’anglais (États-Unis) par Patrick Marcel, Paris, Bragelonne, [2011] 2012, [édition numérique]

 

Y a pas, des fois, le bouche à oreille, ça a du bon. En effet, à première vue, il n’y avait aucune raison pour que je lise Le Baiser du Rasoir de Daniel Polansky, premier tome de la série « Basse-Fosse » ; vu de loin, avec les préjugés qui vont bien, je m’attendais à ce qu’il s’agisse là simplement du tome inaugural d’un énième cycle de Big Commercial Fantasy sans âme, versant « dark » à en juger par la couverture et la détestable accroche (mon Dieu quelle horreur…). Ben oui : des préjugés. Mais là, ils n’ont pas tenu : j’ai en effet entendu quelques échos positifs sur ce roman, en provenance de personnes dignes de confiance ; confiance inspirée par ailleurs par le nom de Patrick Marcel à la traduction. Aussi ai-je finalement essayé la chose, en version numérique, et, ma foi, je n’ai pas lieu de m’en plaindre.

 

L’univers, dès ce premier tome, est à la fois assez riche et maintenu dans une sorte de flou volontaire. On n’en verra guère que la ville de Rigus, et principalement son quartier de Basse-Fosse le bien nommé, abominable cloaque et coupe-gorge, autrefois en proie à la maladie, mais dans lequel il ne fait guère mieux vivre depuis que le Héron a mis en place son bouclier contre les épidémies. Le quartier reste en effet largement une zone de non-droit, où le crime est endémique.

 

Le Prévôt était un gosse des rues. Il s’est engagé et a fait la guerre, pendant cinq longues années, puis il est devenu flic, agent de Maison-Noire. Mais c’est bien loin, tout ça, maintenant. Notre « héros » a en effet lâché l’affaire, et est depuis devenu un dealer et un toxicomane ; un de plus à Basse-Fosse…

 

Mais une série d’horribles meurtres d’enfants va amener le Prévôt à revenir (officieusement) à ses anciennes fonctions de limier. Même s’il n’a a priori pas de raisons de s’en mêler, il entame donc son enquête, secondé par son fidèle sidekick Pinson. Et Maison-Noire de se mettre de la partie, et de l’inciter à dénicher au plus tôt l’assassin… tâche qui ne s’annonce pas évidente, et surtout dangereuse.

 

Avec Le Baiser du Rasoir, Daniel Polansky nous livre donc un mélange de dark fantasy et de polar hard-boiled, finalement plus astucieux et palpitant qu’il n’y paraît, et du coup nettement plus original (même si tout est relatif) que ce à quoi je m’attendais de prime abord. Certes, tout n’est pas parfaitement bien huilé, mais dans l’ensemble, ça marche plutôt bien, voire très bien. Les personnages bien campés, la plume punchy riche en répliques savoureuses, l’ambiance délétère, le sens du rythme, tout cela participe de l’efficacité de ce tome inaugural de la série « Basse-Fosse ». Du coup, si la suite est du même tonneau, il y a fort à parier que je m’en porterai acquéreur. Parce que c’était là, sans être exceptionnel, hein, une lecture fort sympathique, un divertissement bien conçu, exactement ce dont j’avais besoin en ce moment. Conscient de la mesquinerie de mes préjugés, je bats donc ma coulpe et me flagelle avec des orties fraîchement coupées. Et j’attends la suite.

CITRIQ

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"La Loi", de Frédéric Bastiat

Publié le par Nébal

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BASTIAT (Frédéric), La Loi, [s.l.], [n.c.] [1850] 2012, [édition numérique]

 

Frédéric Bastiat, homme politique mais surtout économiste, fait à n’en pas douter partie des grands noms du libéralisme français, aux côtés d’un Montesquieu, d’un Constant ou d’un Tocqueville (encore que son attachement à l’économie politique le place peut-être davantage dans la filiation de Say). Cependant, je dois avouer que, jusqu’à ma lecture de ce pamphlet rédigé un an avant la mort de son auteur (et qui tombe en plein sur ma période de prédilection, à savoir la IIe République : chouette !), je ne connaissais de lui guère plus que son nom. Une lacune à combler. D’où mon intérêt pour ce court texte virulent, qui s’intéresse à la question si fondamentale pour le libéralisme politique (mais pas seulement) du rôle de la loi.

 

L’auteur s’inscrit ici dans une tradition que l’on pourrait faire remonter au moins à Locke, et que l’on pourrait qualifier de jusnaturaliste (même si les termes d’état de nature et de droit naturel ne sont pas employés). Demeure l’idée que l’homme « tient certainement de la nature, de Dieu, le droit de défendre sa Personne, sa Liberté, sa Propriété ». Qu’est-ce alors que la loi ? Dans une perspective qui ne manque pas cette fois d’évoquer Constant et sa « liberté des modernes » (voyez ici), c’est « l’organisation collective du droit individuel de légitime défense ». Entendue ainsi, et comme Bastiat ne cesse de le répéter à la fin de son opuscule, « la Loi, c’est la Justice ».

 

Mais ceci correspond à un idéal. Dans les faits, la notion de loi est pervertie, notamment dans le domaine économique qui, pour Bastiat, précède le politique (idée que j’ai toujours trouvé pour ma part extrêmement fâcheuse…), et, au nom de l’égalité et de la fraternité, on en vient à violer la liberté. La loi devient alors un instrument de spoliation (celle-ci pouvant être cependant également extra-légale).

 

Bastiat écrit en 1850, dans le cadre de la IIe République. Ce n’est pas sans incidence : en 1848, le suffrage universel a été proclamé, et le socialisme occupe de plus en plus le devant de la scène. Il s’agit dès lors pour Bastiat de démontrer les contradictions du camp démocrate-socialiste (contradictions qui, à l’en croire, caractérisent déjà ne serait-ce que cette dénomination), et de combattre avec fougue l’idée de toute spoliation légale, que celle-ci se fonde sur l’égoisme de quelques-uns ou sur des intentions philanthropiques non moins néfastes à ses yeux.

 

Mais on ne doit pas cette idée de spoliation légale au seul socialisme (personnalisé essentiellement dans ce texte par Louis Blanc – le pauvre…). Pour Bastiat, elle est un héritage de la philosophie politique classique et des conceptions généralement enseignées sur les rôles respectifs de l’État et de la loi. C’est ainsi que, plutôt que de s’en prendre directement aux théoriciens socialistes (Louis Blanc excepté ; et, bien sûr, on ne saurait oublier, même s’il n’y en a pas d’écho ici, la polémique de l’auteur avec Proudhon), Bastiat prend ses exemples chez des auteurs antérieurs : Bossuet, Fénelon, Montesquieu (eh…), Rousseau (logique), Raynal, Mably, Condillac, puis les Jacobins et Bonaparte.

 

Et Bastiat de dénoncer ici l’arrogance des législateurs, de Lycurgue (l’exemple qui revient toujours) à Louis Blanc, qui font de leurs conceptions politiques et morales les seules valables, qui doivent être imposées de l’extérieur à la masse passive, amorphe et ignorante des gouvernés. Bastiat, lui – et l’on voit ici l’aspect « économiste » de sa conception –, veut croire à la spontanéité, à l’équilibre, à l’harmonie d’un gouvernement sans contrainte, de ce gouvernement dans lequel « la Loi, c’est la Justice ». Position très optimiste, mais qui découle très logiquement des conceptions générales de l’auteur. Et si, en pessimiste acharné et positiviste juridique faisant passer le politique avant l’économique, je ne peux bien entendu pas suivre personnellement cette théorie, il faut bien reconnaître qu’il y a quelque chose de pertinent et difficilement contestable dans cette critique de l’arrogance du législateur qui entend faire le bonheur des autres à leur place, qui est tout autant une critique acerbe d’un légicentrisme très français, a fortiori depuis la Révolution et ses tentations rousseauistes.

 

 La Loi est un pamphlet, et par là même un ouvrage de circonstances. Il a pourtant une certaine intemporalité, et se révèle particulièrement intéressant aujourd’hui, bien loin du contexte si particulier de sa rédaction. En effet, le libéralisme qui est ici défini et défendu, c’est largement celui de notre époque (si Bastiat fait quelque peu figure d’oublié aux yeux du grand public, les auteurs contemporains ne s’y trompent pas, qui voient en lui un remarquable précurseur). Aussi la lecture de La Loi est-elle un outil utile fournissant bien des clefs pour la compréhension du monde dans lequel nous vivons. Expressiuon fougueuse et presque extrémiste d’un libéralisme entier, il prépare, bien au-delà des classiques, la voie à l’économie politique contemporaine, pour le meilleur… et surtout pour le pire, aurais-je envie de dire. Mais ceci n’engage bien entendu que moi.

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"Ulysse", de James Joyce

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JOYCE (James), Ulysse, [Ulysses], nouvelle traduction sous la direction de Jacques Aubert, Paris, Gallimard, coll. Du monde entier, [1936] 2004, 981 p.

 

Aujourd’hui, je vais me prendre des pierres dans la gueule. D’autant plus que je n’ai pas vraiment d’arguments pour dire pourquoi je n’ai pas aimé Ulysse (qui est, comme vous le savez, un des romans les plus importants du XXe siècle). Mais voilà : je n’ai pas aimé Ulysse. Les pérégrinations de Stephen Dedalus et de Leopold Bloom m’ont laissé totalement froid. Enfin, non, d’ailleurs : elles m’ont fait suer (c’est que c’est long, Ulysse). Aussi ne puis-je guère me lancer ici dans une analyse de l’œuvre, et encore moins peser le pour et le contre de cette nouvelle traduction. Le seul enseignement que je puis en tirer, c’est que Finnegans’ Wake, c’est même pas la peine d’y penser. Bon, tant pis. Je m’en remettrai.

 

 

Si je survis à la lapidation.

 

Allez-y.

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"Curiosités judiciaires et historiques du Moyen Âge. Procès contre les animaux", d'Emile Agnel

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AGNEL (Émile), Curiosités judiciaires et historiques du Moyen Âge. Procès contre les animaux, [n.c.], [n.c.], [1858] 2011, [édition numérique]

 

Quand bien même j’ai lâchement abandonné ma thèse, je n’en suis pas moins toujours intéressé par l’histoire du droit (et notamment du droit pénal) et celle des institutitions, sans même parler des idées politiques. Aussi, quand, en farfouillant dans la boutique Kindle, je suis tombé sur cette monographie au titre plus qu’alléchant, ça n’a pas fait un pli : je me suis rué dessus.

 

La matière de ce très bref article a en effet quelque chose de fascinant. Intenter des procès à des animaux nous paraît a priori absurde, et c’était déjà le cas pour certains esprits du temps (l’auteur cite ainsi Philippe de Beaumanoir et sa fameuse Coutume de Beauvaisis). Pourtant, cette pratique que nous jugeons irrationnelle a longtemps perduré (le Moyen äge, tel qu’il est entendu ici, s’étend à vrai dire jusqu’au début du XVIIIe siècle, et les cas les plus fréquents renvoient plus à la Renaissance qu’au Bas Moyen Âge)… et, si je ne m’abuse, elle perdure encore aujourd’hui dans notre vaste monde (je crois me souvenir d’un procès intenté à un âne, en Turquie, il y a quelques années à peine).

 

Les procès contre les animaux sont souvent liés aux procès en sorcellerie, sujet qui m’a toujours passionné. On peut cependant distinguer deux types de procès aux implications bien différentes.

 

Les premiers concernaient généralement des animaux assez gros, auxquels on reprochait blessures ou homicides, et se tenaient devant les juridictions laïques. Les cas sont nombreux : taureaux, chevaux… mais surtout (et de loin) des porcs, accusés de dévorer des enfants jusque dans leurs berceaux. Le respect de la procédure frappe ici, mais il est encore plus étonnant et pittoresque dans les seconds types de procès.

 

Ceux-ci se tenaient cette fois devant les juridictions ecclésiastiques, et visaient ce que l’on désignera communément du nom de « vermine » (rats, sauterelles, fourmis, etc.). Là encore, on trouve de nombreux cas, qui ne sont pas sans faire polémique : les dommages infligés aux cultures par ces animaux ne témoignent-ils pas de la colère de Dieu ? Aussi, en conclusion du procès, on trouve souvent une admonestation aux plaignants, afin que ceux-ci purifient leurs mœurs et, surtout, s’assurent de bien payer la dîme… C’est du moins un point sur lequel insiste l’auteur, témoignant peut-être d’un certain anticléricalisme bien de l’époque. Le fait n’en est pas moins attesté. Parallèlement, les défendeurs (les animaux, qui ont leurs avocats, sont sommés de se présenter au procès, etc.) se voient généralement intimer l’ordre de déguerpir dans un certain délai (trois heures, trois jours…)… sous peine d’excommunication, ce qui paraît quand même un peu dingue. Le fait est pourtant là aussi très souvent attesté, et l’auteur rapporte de jolies sources évoquant des animaux dociles se faisant un devoir d’obéir !

 

 On le voit, le thème traité ici est tout à fait passionnant. On regrettera cependant, outre la brièveté de l’article, son caractère purement anecdotique ; on aurait pu tirer là une fascinante étude d’histoire des mentalités, mais l’auteur n’a en rien l’intention de persévérer sur ce terrain. Dommage… Reste néanmoins une lecture intéressante, qui porte certes l’empreinte de son temps mais est très sourcée et tout à fait édifiante.

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"Démences", de Graham Masterton

Publié le par Nébal

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MASTERTON (Graham), Démences, [Walkers], traduit de l’anglais (Grande-Bretagne) par François Truchaud, Paris, Bragelonne – Milady, [1989, 2009] 2011, [édition numérique]

 

Tiens, ça faisait un moment que je ne m’étais pas fait un petit roman de terreur, moi. Et avouons que j’aime bien ça, de temps à autre, même si les bisseries douteuses sont autrement plus fréquentes que les plus belles réussites du genre, de celles que l’on doit à des auteurs du calibre de Stephen King ou Dan Simmons. Peu importe : j’avais envie de quelque chose de distrayant, et ne redoutais pas la nanardise éventuelle. D’où ma lecture de ce roman de Graham Masterton, auteur que je n’avais par ailleurs jusque-là jamais lu, même si je le connaissais de réputation (et puis il y a le prix Masterton…). Et faut avouer : lire un roman d’horreur qui se déroule pour sa plus grande partie dans la maison de santé Les Chênes, quand on se trouve soi-même à la maison de santé Les Pins (nettement moins gothique il est vrai), ça ne manque pas de sel.

 

Nous sommes dans les environs de Milwaukee et Madison, aux États-Unis. Jack Reed est un connard et un entrepreneur, dans cet ordre, dont le couple bat de l’aile. Pas grave : il a une secrétaire (modèle dinde). Un soir, il a un accident de la route (…), heureusement sans trop de gravité, qui l’amène, en suivant les traces d’un mystérieux enfant tout de gris vêtu, à faire la découverte d’une ancienne maison de santé abandonnée (Les Chênes, donc), qui le séduit comme c’est pas permis. Jack Reed se recyclerait bien, en faisant de la chose un centre de loisirs sans pareil. Il se lance donc sur les traces des propriétaires, et l’affaire est sur le point de se conclure.

 

Mais, évidemment, il va y avoir une couille dans le paté. C’est que le bâtiment a son histoire, mystérieuse of course : un soir, il y a de cela bien longtemps, tous les patients – nécessairement des psychotiques dangereux – ont disparu sans laisser de traces. Et pour cause : ils sont en fait encore là, dans les murs et le sol… Et ils enlèvent Randy, le fils de Jack, pour disposer d’un moyen de pression sur lui. À partir de là, les morts violentes s’enchaînent…

 

Démences est à l’évidence une grosse bisserie qui tache, pour l’essentiel, avec des côtés sous-Shining et d’autres sous-Clive Barker. Cela dit, on en a en gros pour son argent, et ça se lit tout seul, malgré le caractère foncièrement antipathique du « héros ».

 

Mais avouons-le : régulièrement, Démences tend plus que de raison vers le gros nanar, quand ce n’est pas vers le navet (du coup, ça a rappelé à mon bon souvenir Brian Lumley…). On rigole régulièrement, parfois avec le roman, le plus souvent de lui. Ce qui n’empêche étrangement pas le tout d’être efficace – si –, et de contenir – c’est rare, mais il y en a – quelques beaux moments de terreur, saupoudrés de gore bien craspec.

 

Alors, de toute évidence, Graham Masterton – pour ce roman-ci, en tout cas – n’est certes pas de la trempe d’un Stephen King ou d’un Dan Simmons, même s’il entend jouer sur leur terrain. Objectivement, le moins que l’on puisse dire est que tout cela n’est « pas très bon » (restons polis)… Mais c’est en même temps rigolo comme une bonne bisserie bière-pizza, et on a ce qu’on venait y chercher. Aussi n’est-il pas exclu que, par désœuvrement, je lise un de ces jours un autre roman de Graham Masterton, comme ça, par pur mauvais goût, et donc malgré les défauts évidents de ce Démences ; là, j’ai envie d’être outrancièrement bon public… J’assume.

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