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L'Herne, n° 12. Lovecraft

Publié le par Nébal

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L’Herne, n° 12. Lovecraft, dirigé par François Truchaud, bande dessinée et illustrations de Philippe Druillet, traduction de l’anglais par Jacques Parsons et François Truchaud, Paris, L’Herne, coll. Fantastique, [1969] 2e éd. 1984, 383 p. [+ 24 p. de pl.]

 

Eh oui, encore un bouquin sur Lovecraft (je suis loin d’en avoir fini, j’en ai encore tout un paquet dans ma commode de chevet…). Mais pas n’importe lequel : c’est que ce gros volume qu’est le douzième cahier de L’Herne, dirigé par François Truchaud, a acquis au fil des années une dimension « mythique » (aha), et constitue un repère fondamental dans l’exégèse française concernant le maître de Providence ; il s’agit à vrai dire presque d’un commencement. Aussi, merci mille fois à qui de droit, ça faisait vraiment longtemps que je voulais lire la bête.

 

Cependant, ce Lovecraft est donc paru pour la première fois en 1969 (ça remonte), et j’en ai lu pour ma part sa réédition de 1984. Et, autant le dire tout de suite, cela constitue en définitive un fâcheux problème… C’est que l’ouvrage, séminal certes, est daté. Pour parler franchement, il a même atrocement vieilli, et mal… Et le fait (indéniable) qu’il y ait du (très) beau monde à l’affiche ne suffit pas à rattraper le coup, comme on va pouvoir le constater très bientôt.

 

Ce cahier de l’Herne, outre ses 24 pages de planches riches en documents iconographiques et autres illustrations (dont pas mal de Philippe Druillet), est constitué de quatre parties : on commence par la « partie française » (la plus longue), on poursuit avec des textes (alors) inédits de H.P. Lovecraft himself, puis on passe à la « partie anglo-saxonne » (américaine pour l’essentiel), avant de conclure sur une longue bibliographie, bien évidemment obsolète aujourd’hui. Hélas, ce n’est pas le seul texte de ce gros volume à avoir été frappé d’obsolescence…

 

Mais détaillons par le menu. On commence en toute logique avec le directeur de l’ouvrage, François Truchaud, qui nous livre « The Dream-Quest of Howard Phillips Lovecraft ». Et ça commence mal : ce texte est en effet atrocement mal écrit, confus, daté et bourré d'erreurs, factuelles comme d’interprétation…

 

Pierre Versins signe trois communications ; mais « Les Débuts de Lovecraft dans « Weird Tales » » n’est en fait, pour l’essentiel, qu’une reproduction de la célèbre lettre de Lovecraft à Weird Tales accompagnant « Dagon », etc., telle qu’elle a été publiée dans le pulp. Un document intéressant, mais on aurait aimé un peu plus de commentaire…  « Une surhumaine tragédie, ou le Roman d’Amour Manqué de Lovecraft » est le seul véritable « article » de l’auteur de la fameuse Encyclopédie de l’utopie, des voyages extraordinaires et de la science-fiction ; c’est un ensemble passablement foutraque de « documents et réflexions » sur l’ensemble de l’œuvre de Lovecraft (le « roman d’amour » étant celui « entre le Chercheur et la Connaissance ») ; c’est plus ou moins intéressant selon les passages, un article franchement bancal. Et j’ai bondi quand j’y ai vu Lovecraft qualifié « d’idéaliste »… Reste enfin « Lovecraft et l’indicible », qui est un simple florilège, à l’intérêt pour le moins douteux…

 

Un gros morceau ensuite, avec « Entre le fantastique et la science-fiction, Lovecraft », long article (le plus long du volume) de Gérard Klein au titre éloquent. On y trouve tout d’abord des tentatives de définitions opposées du fantastique et de la science-fiction ; l’auteur suppose que le fantastique est condamné à très brève échéance en raison de son usage de « valeurs médiévales », alors que la science-fiction, reposant sur « l’idéologie de la science », ne peut que progresser. Bon, pour la prospective, c’est donc un peu contestable… Mais ce n’est pas cette partie qui fait l’intérêt de l’article. En effet, cela débouche sur une analyse sociologique et économique des deux genres dans leurs « époques » respectives (notamment dans le cas français, mais là aussi je suis doute…), et de l’œuvre de Lovecraft (correspondant à une « transition dans la société »). L’analyse est loin d’être inintéressante, mais à nouveau très contestable, et ne prend en compte ni le racisme, ni la réaction (ou alors tardivement pour cette dernière, quand l’auteur s’intéresse au « temps », mais pour mieux l’écarter…). On aura l’occasion de revenir sur ce point. Je relève que le traitement du thème des « apparences » est assez intéressant. Mais on y trouve quelques éléments qui prêtent davantage à débat (ou pas…) ; ainsi, une erreur quant à la perception du fascisme, un déroutant « Comme tous les libéraux, Lovecraft… », ou encore, à la fin, des propos sur le rapport de Lovecraft à Marx qui m’ont laissé plutôt sceptique… Bref : un article certes pas inintéressant, d’autant qu’il a le bon goût de se montrer original et ambitieux (eh : c’est Dieu, déjà…), mais pas toujours très convaincant – c’est le moins qu’on puisse dire –, et surtout terriblement daté. Pourtant, même si je n’y adhère donc pas à 100 %, loin de là, même, je suis maintenant persuadé qu’il s’agit là de la communication la plus intéressante de la « partie française », voire du cahier dans son ensemble.

 

C’est que le reste a régulièrement de quoi laisser perplexe… En témoigne immédiatement Claude Ertal, lequel, avec « Démons et Merveilles. Rêve ou Écriture », livre pour sa part le plus mauvais article de la « partie française », ce qui fait comme un contraste. Déjà, ça commence mal : l’auteur se fonde sur le titre français Démons et Merveilles pour son analyse, et suit la chronologie – fausse – de ce recueil… Il débute ainsi par « À travers les portes de la clef d’argent », sans s’inquiéter deux secondes du rôle d’E. Hoffmann Price. Et tout cela débouche très vite sur un ensemble d’inepties pseudo-philosophico-psychanalytiques, où l’auteur ne retient que ce qui l’arrange dans le texte français… Le projet est complètement crétin à la base ; rien d’étonnant à ce que le résultat le soit également. On notera pour le plaisir, comme Herbert Léonard et Julien Lepers, les schémas à la con qui ne servent à rien, le ton pédant, et les lieux communs concernant les figures du père et de la mère sur lesquels tout cela débouche (quand ça débouche sur quelque chose). Michel Le Bris, avec « La Lettre ou le désir », s’intéresse lui aussi à Démons et Merveilles à nouveau ; c’est une analyse en partie philosophique et plus ou moins cryptique et plus ou moins convaincante sur l’écriture et sa signification. Mais là aussi, l’article traite surtout de psychanalyse, et on y retrouve les figures du père et de la mère… On relèvera l’opposition avec Jacques Bergier (et Lovecraft lui-même) sur ce point. Pour le reste, cet article qui cite volontiers Derrida, Lacan, etc., est moins agaçant que le précédent (un peu…), mais tout de même un peu redondant. Il se montre en outre très sévère à l’encontre de Lovecraft, et colle une fâcheuse migraine (l’interminable dernière note est imbitable)…

 

Francis Lacassin, dans « Lovecraft et les trous de la toile peinte », cherche à situer Lovecraft dans le fantastique ; il relève ainsi les convergences et divergences avec Borges, Poe, etc. Il y a des considérations intéressantes sur la peur et la mort, mais l’interprétation « métaphysique » est erronée (religion, occultisme).

 

Hubert Juin, avec « Les Potences de Salem », livre une lecture vaguement derlethienne (avec des « dieux bons »), de Démons et Merveilles pour l’essentiel, oui, encore. L’article part un peu dans tous les sens. On y note quelques points significatifs, comme l’importance des sens ou l’absence des femmes, sur lesquels on a beaucoup glosé depuis, et l’on s’interroge, à plus ou moins bon droit, sur la volonté de faire dans l’œuvre totale.

 

« La Passion selon Satan » est un extrait d’un livre de Jacques Sadoul dédié à HPL. C’est au mieux sans intérêt, au pire ridicule…

 

Jacques Bergier donne ensuite « H.P. Lovecraft ce grand génie venu d’ailleurs » : il s’agit en fait de la préface de Démons et Merveilles (toujours). L’auteur y prétend entre autres que, en dehors de ce livre « partiellement autobiographique », l’œuvre de Lovecraft ne nous apprend rien sur lui (!) ; il s’étend sur l’érudition supposée de Lovecraft, qui était censé connaître quatre langues africaines et des dialectes (!) et connaître à fond Freud (!), sans y croire cependant (de même que, pour d’autres raisons, il rejetait l’occultisme) ; on respire un peu mieux quand Bergier décrit Lovecraft comme un matérialiste convaincu. Il n’en reste pas moins que ce texte fourmille d’erreurs biographiques, et défend la chronologie du recueil comme étant celle des récits…

 

Suivent plusieurs textes très courts. Napoléon Murat, avec « Rêve et création chez Lovecraft », met fiction et correspondance sur le même plan… et aboutit à des lieux communs. « On disait… » d’Yves Rivière est plutôt juste, mais sans grand intérêt. François Kienzle, avec « Lovecraftiana », livre un pastiche (poème en prose ?) ridicule. Le « Témoignage » de Thomas Owen est sans intérêt (sauf peut-être dans son éventuelle mais très vague allusion au racisme ? ce serait dans ce cas la seule de toute la « partie française »…). Sans intérêt de même, « Le Royaume noir » de Georges Keller.

 

On passe alors à trois articles de Jacques Van Herp : « Une source de Lovecraft : Le Diable au XIXe siècle », est rigolo mais pas vraiment pertinent ; on y relève quelques erreurs factuelles, mais aussi le thème de la dégénérescence. « L’Univers de H.P. Lovecraft » est un texte bourré d’erreurs factuelles et d’interprétation ; on y apprend ainsi que « La Quête onirique de Kadath l’inconnue » est la dernière œuvre de Lovecraft (!!!), on s’y livre plus ou moins à une vague assimilation chrétienne par le biais de Derleth, on y affirme catégoriquement et sans doute bien trop vite que « Lovecraft n’est pas un auteur de science-fiction », que les odeurs sont absentes dans ses textes (!) et que de manière générale Lovecraft ne s’adresse pas aux sens (!!!). Bref, c’est un tissu d’absurdités… Reste « Lovecraft, Jean Ray, Hodgson », qui relève des ressemblances dans les œuvres de Lovecraft et et de Jean Ray, sans conclure à une influence réciproque ; par contre, il y aurait peut-être une influence commune de William Hope Hodgson. Le niveau remonte, mais c’était pas dur…

 

Yak Rivais, avec « The bottom – at last ! », fait dans le vaste fourre-tout plus ou moins pertinent selon les passages, mais surtout très pénible à lire du fait de son caractère lapidaire...

 

Quant à «  Une multitude d’immensités par delà la porte du profond sommeil » de Marcel Béalu, c’est un texte inutile, limite faux, et pas bien malin dans sa conclusion. On y affirme encore une fois que Lovecraft n’est pas un auteur de science-fiction.

 

Suit une partie cinématographique. Après une très brève présentation générale de la problématique par François Truchaud, on entame l’analyse avec Michel Caen et « Lovecraft / cinéma » : un article trop bref, et inévitablement obsolète dans ses considérations « purement » lovecraftiennes ; par contre, l’idée qui y est avancée que La Maison du Diable et 2001 l’odyssée de l’espace sont des films lovecraftiens me laisse perplexe (pas qu’un peu). Jacques Van Herp, avec « Le Cinéma et Lovecraft en forme de filmographie commentée », livre une communication là encore inévitablement obsolète, et un peu redondante, mais pas inintéressant pour ce qui est des films « para-lovecraftiens ». Enfin, Georges Keller & François Kienzle donnent un « Essai de synopsis (d’après L’Affaire Charles Dexter Ward) » : On y trouve décrites trois scènes ; c’est absolument sans intérêt.

 

On le voit : le bilan de la « partie française » n’est pas vraiment glop…

 

On passe alors aux textes (alors inédits) de H.P. Lovecraft himself, avec tout d’abord une sélection de « Lettres », toutes consacrées aux rêves ; on y trouve notamment les sources de textes tels que « Le Témoignage de Randolph Carter » ou « Nyarlathotep » (voir plus loin), ou encore l’évocation des « maigres bêtes de la nuit » (sous une autre traduction). C’est très intéressant (enfin !). « Le Combat qui marqua la fin du siècle » est un texte parodique offert aux proches de Lovecraft (qui niait en être l’auteur) ; intérêt purement anecdotique. Suivent de longues « Suggestions pour un guide du lecteur », qui nous renseignent (plus ou moins, sans doute…) sur les lectures et centres d’intérêt de l’auteur ; c’est assez pénible à lire, mais présente un certain intérêt documentaire. Un autre essai ensuite, mais autrement plus bref : « Ce qui doit se dire en vers » ; le titre est éloquent, mais l’article ne présente guère d’intérêt… On a alors droit à une sélection de « Poèmes », en anglais : « Mother Earth », « Oceanus », « The City », « The Bells », « The Port » et « Continuity » (je me sens incapable de les juger). « Nyarlathotep » est un texte très court, basé sur un rêve (donc), à la limite du poème en prose, vraiment pas terrible. « Souvenir » est une très brève vision onirique post-apocalyptique et édifiante. « Le Terrible Vieillard », passablement xénophobe, ne présente pas grand intérêt. « L’Image dans la maison déserte », par contre, pour être vaguement raciste, est un texte correct. Quant à « Dans le caveau », c’est une nouvelle fantastique très classique, moraliste, prévisible et bavarde.

 

On attaque alors la « partie anglo-saxonne ». Bien évidemment, on commence par August Derleth, dont on trouve tout d’abord des « Précisions biographiques » : c’est trop court pour être vraiment intéressant, malgré l’abondance de notes ; le conservatisme de Lovecraft y est évoqué, mais l’auteur fait l’impasse sur son racisme. « Genèse d’une mystification » traite de la croyance en l’authenticité du Necronomicon ; amusant…

 

Suivent deux courts poèmes, en anglais : « The Dream And The Shadow » de Robert E. Howard, et « H.P.L. » de Henry Kuttner ; là encore, je me sens incapable d’en parler.

 

« As A Small Boy... » de Robert Bloch ne présente guère d’intérêt (si ce n’est son affirmation que Lovecraft n’était pas du tout un « reclus », contrairement à ce qu’affirme, encore de nos jours, la légende).

 

« Creeps By Night » de Dashiell Hammett est l’introduction d’une anthologie d’histoires mystérieuses, mais ne traite pas de Lovecraft en particulier.

 

« À la recherche d’H.P. Lovecraft » de J. Vernon Shea n’est pas reproduit dans son intégralité (pourquoi ?) ; c’est un texte largement biographique, surtout dans une perspective psychologique : l’auteur y évoque une mère castratrice, affirme que ni Lovecraft ni ses amis n’étaient homosexuels (il y avait alors une polémique à ce sujet, et l’auteur la jugeait « injurieuse »…), reconnaît que Lovecraft était antisémite, mais seulement dans sa jeunesse, évoque son dégoût de la mer, et s’interroge sur une éventuelle claustrophobie ; un texte assez sévère sur l’œuvre de Lovecraft.

 

Suit un nouvel article franchement inepte, avec William Scott Home et « Les « Livres » de Lovecraft » : c’est largement incomplet, et, surtout, ça met tout sur le même plan, le réel comme le fictif !

 

John E. Vetter livre une assez longue communication sur « Les Illustrateurs de Lovecraft » (évidemment obsolète là encore, de même que les communications cinématographiques précédemment évoquées) : un article bourré de superlatifs et de contradictions, assez franchement réactionnaire (notamment dans son introduction) et livrant d’ailleurs quelques développements sur la réaction chez Lovecraft. La conclusion pour le moins déconcertante…

 

Le pire article de cette partie est cependant dû à la plume d’Andrew E. Rothovius : « Lovecraft et les mégalithes de la Nouvelle-Angleterre » pue l’histoire secrète, voire l’idée d’un « Lovecraft initié » ; c’est un abominable fatras de conneries et de suppositions sans fondement…

 

On remonte heureusement le niveau avec Fritz Leiber et son « Voyage à Arkham et vers les étoiles » : c’est une nouvelle hommage saturée de références, et plutôt rigolote. On notera que le racisme de Lovecraft y est suggéré. Dommage que la traduction soit aussi mauvaise (ou, plus exactement, non conforme aux traductions « classiques »).

 

« Promenades avec H.P. Lovecraft » de C.M. Eddy Jr. ne présente pas grand intérêt…

 

Quant au « Lovecraft In Retrospect » de J. Ramsey Campbell, c’est un court texte extrêmement sévère, où l’auteur brûle ce qu’il a adoré, mais de manière pas vraiment pertinente, je trouve...

 

Suit une longue « Bibliographie » évidemment obsolète.

 

Et si François Truchaud, dans sa « Postface » de 1984, déborde d’autosatisfaction, il n’en reste pas moins que ce cahier de L’Herne, pour être séminal indiscutablement, m’a terriblement déçu, en ce qu’il a atrocement vieilli (« mal vieilli » serait un pléonasme) ; la critique lovecraftienne a heureusement fait bien des progrès depuis, outre-Atlantique comme de par chez nous ; aussi ce Lovecraft est-il aujourd’hui d’une lecture assez pénible, rarement pertinente, et ne présente plus guère d’intérêt qu’historiographique (ou en tant que pièce de collection)… C’est dire si on peut s’en passer. Déçu, déçu…

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"La Brigade Chimérique", de Lehman, Colin, Gess & Bessonneau

Publié le par Nébal

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LEHMAN, COLIN, GESS & BESSONNEAU, La Brigade Chimérique, Nantes, L’Atalante, coll. L’Hypermonde, [2009-2010] 2012, 277 + XXXI p.

 

Eh oui. Je me suis racheté La Brigade Chimérique dans l’intégrale en un volume qui vient de paraître, alors que j’avais déjà les six tomes parus en 2009-2010. Parce que, sans être un fan ultime (en dépit de ce geste hautement fanique), j’aime quand même beaucoup (ce dont témoignait je pense mon enthousiasme pour le jeu de rôle – l’encyclopédie). Et parce que cette édition, enfin disponible à un prix abordable (35 € contre, si je ne m’abuse – aha – 66 € pour les six tomes séparés !), est plus joulie – le format est un poil plus grand, les yeux apprécient – et enrichie (artbook, note d’intention, références), ce qui vaut franchement le coup, mais j’y reviendrai. Parce que, enfin, j’avais depuis quelque temps déjà une très forte envie de relire la chose, et que mes exemplaires étaient éparpillés dans des cartons ici ou là (surtout là, d’ailleurs) du fait de mon déménagement. Ce qui me donne l’occasion de vous en causer à nouveau – d’autant que je n’étais pas content, et ne le suis toujours pas, de ma chronique du premier tome parue en son temps sur feu le beau site du Cafard cosmique, et rédigée alors même que je ne savais rien de la suite, encore à paraître, laquelle suite je n’avais jamais chroniqué. Alors hop, c’est tipar.

 

On connaît l’idée : raconter la fin des super-héros européens en 1939, ce qui revient à se demander pourquoi, à la différence des USA, l’Europe n’a pas développé de culture super-héroïque. Pourtant, ce comic book FRRRRRANÇAIS en témoigne assez, les personnages pouvant relever de ce titre ne manquaient pas dans l’Europe de l’entre-deux-guerres ; mais ils sont pour la plupart sombrés dans l’oubli (ce qui rendait d’ailleurs la lecture de la BD, du moins au fil des parutions dans sa première édition, assez hermétique à l’occasion…). On s’intéresse ainsi à tout un pan de la culture populaire mais pas que, et notamment à une certaine science-fiction qui ne s’appelait pas encore ainsi.

 

On voit ici ce qui, à la fois, rapproche et distingue La Brigade Chimérique de ce qui en fut une influence évidente – et plus ou moins assumée par Serge Lehman en fin de volume –, à savoir  La Ligue des Gentlemen Extraordinaires du Divin Alan Moore et de Kevin O’Neill, laquelle piochait de même ses personnages et situations dans la littérature populaire (surtout) européenne, mais s’arrêtait – au moment où le projet de La Brigade Chimérique était initié, cela n’est plus vrai depuis – avant la Première Guerre mondiale.

 

Or, ici, c’est bien l’entre-deux-guerres qui retient l’attention des auteurs, et la Première Guerre mondiale, justement, est envisagée comme un point de départ : c’est, pour bon nombre d’entre eux, dans l’horreur des tranchées, à l’ère des nouvelles armes et – bien sûr – du radium, que sont apparus les super-héros européens, et notamment la Brigade Chimérique qui donne son nom à l’œuvre, sans toutefois monopoliser l’attention, loin de là. Car si la Brigade – le Soldat Inconnu, le Baron Brun, Matricia, Sérum – est une création originale des auteurs, autour d’elle gravitent bien des personnages empruntés ici ou là, à l’histoire comme à la fiction, et qui font tout le sel de cette BD riche en références (enfin expliquées en appendice, ce qui s’avère éventuellement utile, tout n’étant pas évident, loin de là).

 

Douze chapitres – dix épisodes entourés d’un prologue et d’un épilogue. Ce qui, à mon sens, ne fait que confirmer l’impression que j’en avais déjà lors de la parution du  premier tome : cette BD était bien plus adaptée au format intégrale en TPB enfin disponible qu’à la parution en six brefs volumes (format bâtard entre les fascicules américains et les classiques BD franco-belges), trop chers qui plus est. Et la relire ainsi, ça passe franchement très bien ; beaucoup mieux, en fait, qu’à la première lecture : on y repère en effet plein de choses sur lesquelles on ne s’était pas forcément attardé la première fois, faute d’éléments permettant de comprendre au juste à quoi les auteurs faisaient allusion.

 

Je ne reviendrai pas ici sur le point de départ – ce serait redondant après ma chronique, même peu satisfaisante, du premier tome –, et parler plus en détail de ce qui se passe ensuite reviendrait sans doute à spoiler excessivement, ce qui serait dommage. Je vais donc m’en tenir à une évocation du projet général, dont la cohérence, envisagé ainsi dans sa globalité, ne saurait faire de doute.

 

Nous sommes donc dans une Europe à la veille de basculer dans la guerre, et dans laquelle les principales nations sont « protégées » par des super-héros (ou des surhommes, comme vous voulez – Nietzsche, dans Ainsi parlait Zarathoustra, est cité en début et en fin de volume). La BD tend ainsi à expliquer la fin des super-héros européens, en mêlant fiction et histoire. Aussi sait-on, dans les grandes lignes, dès le début comment tout cela va se terminer : mal. Très mal. Ce qui, là encore, contribue à distinguer La Brigade Chimérique de son précieux modèle mooresque (en tout cas des deux premières « saisons ») : le ton en est nettement plus grave, beaucoup moins jubilatoire. Ce qui n’est pas une critique, loin de là, mais un simple constat, et n’ôte pas tout caractère « fun » à la création de Serge Lehman, Fabrice Colin, Gess et Céline Bessonneau ; celui-ci revient bien, de la même manière que pour la  LGX, du jeu des références plus ou moins cryptiques – plus chez Lehman et Colin que chez Moore, même si elles sont sans doute relativement moins abondantes. L’époque comme le propos s’y prêtent, en effet. Et, dès le prologue, avec cette réunion à Métropolis des principaux super-héros, perturbée par le Cafard, on distingue derrière la croix gammée de Mabuse l’ombre d’Auschwitz…

 

Mais si le drame qui se noue a ainsi des implications de grande ampleur, il est aussi adapté à l’introspection et à l’intimité, se jouant aussi à un niveau personnel – notamment à travers les personnages de Jean Séverac (le héros, donc, mais qui n’a pas forcément une position plus importante que les autres), du Nyctalope (superbement utilisé et bien campé, en vague salaud vaguement faf et – surtout – frustré de ne pas avoir un biographe à sa hauteur, mais un simple écrivaillon payé à la ligne…) et de George Spad, la très masculine jeune femme à l’identité floue, oscillant entre surréalisme et feuilleton populaire. Mais les époux Joliot-Curie ne sont pas en reste, et, à vrai dire, on pourrait étendre ce propos à bien des personnages de la BD – fictifs pour l’essentiel, mais parfois historiques, donc.

 

Et tout cela se marie très bien dans l’ensemble. Oh, certes, cela n’est pas « parfait », comme de juste : cette relecture me semble bien confirmer quelques pains scénaristiques (rares mais bien présents), une vague confusion parfois dans le déroulement des diverses trames (renforcée par l’hermétisme de certaines références). Mais elle confirme aussi la cohérence et l’intelligence du projet, qui ne sauraient faire de doute – même si, re-comme de juste, d’aucuns trouveront peut-être de mauvais goût la conclusion pourtant inévitable (un risque à courir, j’imagine). Et, oui, du coup, cette BD passe à mon sens bien mieux envisagée ainsi ; je l’ai davantage apprécié lors de cette relecture, incomparablement plus même.

 

J’émettrai cependant toujours la même réserve sur le dessin de Gess : si celui-ci nous mitonne à l’occasion quelques planches de toute beauté, joliment mises en couleurs par Céline Bessonneau, et que l’on apprécie d’autant plus dans ce format un poil plus « grand » (à noter l’artbook en fin de volume, constitué de recherches comme de matériel promotionnel – pour le moins alléchant), je reste globalement d’un avis mitigé le concernant. Le trait ne manque pas de personnalité – tout en rappelant pas mal, ainsi que je l’avais noté à l’époque, celui d’un Mignola, en moins anguleux cela dit –, mais le résultat final est plus ou moins convaincant, notamment en ce que, à mon sens, si Gess est très doué pour les décors et « l’inhumain », il se montre nettement moins talentueux pour ce qui est des visages, surtout, et ses scènes d’action ne sont pas toujours hyper lisibles…

 

Cela dit, la BD en elle-même, malgré ces quelques réserves, reste très enthousiasmante dans l’ensemble, et supporte donc très bien la relecture, voire en bénéficie. D’autant que ce volume dispose d’une réelle plus-value dans la trentaine de pages de notes de Serge Lehman qui le conclut : c’est tout à fait passionnant, parfois fort instructif, et toujours pertinent.

 

Aussi, je vous engage fortement à faire l’acquisition de cette BD, témoignant d’un projet bien pensé et presque « nécessaire », et à la réalisation dans l’ensemble plus que satisfaisante. C’est l’occasion de passer un très bon moment avec des personnages tous plus fascinants les uns que les autres, et de se divertir tout en s’instruisant et en réfléchissant (si). Maintenant que la BD est disponible dans un format adapté et à un prix raisonnable, vous auriez sans doute tort de vous en passer. Quant à moi, je salive en attendant la publication de L’Homme truqué, je l’espère dans des conditions aussi favorables.

CITRIQ

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Pub copinage : "Dystopia Anthologie 01"

Publié le par Nébal

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Dystopia Anthologie 01, Évry, Dystopia, 2012, 281 p.

 

Hop.

 

MarianneL sur Sens Critique

 

The Collection That Jack Built

 

Les Lectures d'Efelle

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Pub copinage : "Tadjélé", de Léo Henry, Jacques Mucchielli, Laurent Kloetzer & Stéphane Perger

Publié le par Nébal

Tadjele.jpg

 

 

HENRY (Léo), MUCCHIELLI (Jacques), KLOETZER (Laurent) & PERGER (Stéphane), Tadjélé. Récits d’exil, illustrations de Stéphane Perger, Évry, Dystopia, 2012, 346 p.

  

Hop.

 

Raoul Abdaloff dans la Salle 101

 

Thomas B.

 

Gaëtan sur Les Singes de l'espace

 

Frontières

 

Saïmone sur Guts Of Darkness 

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Fantômes du cinéma japonais, de Stéphane du Mesnildot

Publié le par Nébal

Fantomes-du-cinema-japonais.jpg

 

 

MESNILDOT (Stéphane du), Fantômes du cinéma japonais : les métamorphoses de Sadako, Pertuis, Rouge profond, coll. Raccords, 2011, 222 p.

 

« Depuis combien d’années n’avais-je pas eu peur comme cela au cinéma ?

 

« Avant d’éteindre la lumière et de m’endormir, j’ai regardé avec un peu d’inquiétude l’écran de la télévision qui ressemblait à un œil sombre et malveillant. J’ai pensé à ces fenêtres, noires et bombées, qu’on appelle « œil de sorcière ». Quel monde inversé, négatif, se cachait de l’autre côté de la surface du verre ? Là, d’autres images se tramaient, qui n’appartenaient pas au monde des vivants ; y avoir accès, ne serait-ce qu’un bref instant, signerait notre arrêt de mort.

 

« J’ai essayé de ne pas penser à la fille aux longs cheveux tombant sur le visage, à sa robe salie et à son œil retourné. Mais dans l’obscurité, avant de fermer les yeux, j’y ai pensé quand même.

 

« Cette nuit-là, j’ai fait un cauchemar. »

 

 

Ben tout pareil, mon bon monsieur.

 

Je m’en souviens comme si c’était hier (mais, quand je repense maintenant à la date de l’événement, je me rends compte que, et ça me file un coup de vieux…). Avec le citoyen Captain Spalding, nous avons consacré une après-midi – lumineuse, pourtant, mais peu importe au final – à découvrir dans la foulée Ring et Ring 2 de Hideo Nakata. Et cette expérience m’a proprement traumatisé. Quand la séance fut finie, je savais d’ores et déjà que je venais de voir d’excellents films d’horreur. J’avais été fasciné par certaines séquences – évidemment, en tout premier lieu, celle de la cassette vidéo maudite dans le premier opus, énorme moment de grand cinéma – et par la somptueuse bande son et, même si je n’avais pas forcément frissonné tant que ça sur le moment (encore que : la scène du miroir à l’hôtel dans Ring 2, notamment…), mais je suis généralement assez endurant en la matière, je savais que Sadako, cet archétype de la petite-fille-aux-cheveux-sales-qui-lui-tombent-sur-la-gueule, qui a fait des ravages depuis mais que je n’avais encore jamais rencontré jusqu’alors, allait me hanter, et pour un bon moment.

 

Ça n’a pas manqué. La nuit même, hop : cauchemar. Et jamais un film d’horreur ne m’avait fait cauchemarder (et il n’y en a pas eu d’autres depuis, d’ailleurs)… Maintenant que j’y repense, mes seuls cauchemars antérieurs aussi troublants en terme de terreur pure provenaient d’une émission pourrie, genre Mystères, vue quand j’étais tout gamin, avec un « reportage » (aha) sur les morts apparaissant dans la « neige » d’écrans de télévision… Étrange coïncidence…

 

Et Sadako est revenue, bien des fois.

 

Flash-back. À l’époque, ma copine se levait souvent plus tôt que moi ; elle allumait brièvement la lumière, forcément, le temps d’aller prendre une douche et de se préparer. Moi, comme la grosse larve que je suis, je restais généralement au pieu un peu plus longtemps, profitant de ma liberté estudiantine. Mais voilà : il y avait une télévision dans la chambre. Et la lumière, aussi brève fut-elle, imprimait l’écran plongé autrement dans le noir le plus total. Dans un demi-sommeil, je ne pouvais m’empêcher de me focaliser sur cette tache grisâtre dans l’obscurité ambiante. Et, le temps que je me réveille véritablement, Sadako sortait immanquablement du poste pour m’apporter sa malédiction.

 

J’en ai fait des cauchemars pendant des semaines.

 

Jamais, ô grand jamais, un film d’horreur ne m’avait fait cet effet.

 

Je venais de découvrir, sans en être encore tout à fait conscient, un nouveau pan du cinéma fantastique : la J-horror à son heure de gloire. Celle-ci fut brève, mais marqua durablement le genre. Et Ring fut à n’en pas douter son apothéose ; d’où le sous-titre de l’ouvrage de Stéphane du Mesnildot, ouvrage recommandé par le Visage Vert lors de sa session « libraire d’un soir » à Charybde, et plébiscité depuis par une autre connaissance, en plein dans l’horreur nippone sous toutes ses formes. Je ne pouvais évidemment pas passer à côté de ce livre assez court, mais très riche, d’une érudition qui ne fait vite aucun doute, et doté qui plus est d’une iconographie abondante.

 

J’ai eu l’idée un peu perverse de le lire – l’espace d’une nuit, en gros – en écoutant en boucle l’extraordinaire bande originale composée par Kenji Kawai pour le chef-d’œuvre incontesté de Nakata, Dark Water. Mais, au bout d’un moment, j’ai coupé le son : cette simple lecture, dans ces conditions, me faisait un effet atroce, j’étais tassé de cinq centimètres, j’avais la chair de poule, et je guettais les recoins ombrés de mon petit appartement, zyeutant régulièrement avec une inquiétude indicible les reflets du miroir de la salle d’eaux de crainte que quelque chose en surgisse, et n’étant guère plus rassuré par l’écran de mon ordinateur, sans parler des gouttes d’eau tombant régulièrement du cumulus… Mais le pire, dans tout ça, c’est que, même sans la bande son, j’ai continué à frissonner, la faute au texte, mais plus encore aux photographies qui l’émaillent, pourtant toujours très sobres, et par-là même très représentatives de cette horreur si particulière : derrière les lycéennes souriantes et fort kawaï, une main qui ne devrait pas être là ; une silhouette floutée aux longs cheveux noirs ; une femme avançant inéluctablement vers le spectateur fasciné, etc.

 

Qu’on se le dise : ce livre fait peur. Brrr…

 

Si l’essai de Stéphane du Mesnildot est centré sur la J-horror des années 1990 et 2000, il ne manque bien évidemment pas de se pencher sur ses origines comme sur sa postérité. Nous commençons donc par nous intéresser aux fantômes japonais dans la littérature et les arts picturaux, dans le théâtre nô et kabuki, dans le kaidan eiga « traditionnel » d’avant la crise des studios (j’avais oublié, au passage, que les Contes de la lune vague après la pluie de Kenji Mizoguchi pouvaient s’y rattacher), dans les mangas pour jeunes filles, dans les légendes urbaines…

 

Mais la révolution survint bien dans les années 1990, avec une série de films d’abord destinés directement au marché vidéo puis, seulement après, au grand écran. Et la J-horror fut alors théorisée – on parle de « théorie Konaka » (l’expression est de Kiyoshi Kurosawa, dont j’ai adoré Cure, bien aimé Charisma, mais été plutôt déçu par Kaïro ; je regarde en principe prochainement Séance, je vous en dirai probablement des nouvelles), en référence au scénariste Chiaki J. Konaka, qui a à bien des égards fondé le genre. Je résume :

 

« La terreur se construit par étapes… Pas besoin de partager les sentiments du héros… La fatalité ne fait pas peur… L’unité des informations fait peur… Les personnages ne doivent pas mourir au cours de l’histoire [N.B. : dans les films basés sur une « histoire vraie »]… L’utilisation des icônes… Les médiums et exorcistes ne doivent pas être traités en héros… Les scènes de surprise sont des alibis… Ne pas introduire le point de vue du fantôme… Comment un fantôme peut-il avoir l’air terrifiant ?… Ne pas montrer un fantôme et une personne réelle sur le même plan… Les fantômes ne parlent pas… L’image d’un personnage terrorisé crée la terreur… Ce qui fait vraiment peur, ce sont les fantômes… »

 

Bien entendu, tout ceci ne doit pas être pris au pied de la lettre, comme un « dogme » immuable : les plus belles réussites de la J-horror ont multiplié les entorses à cette « charte ». Néanmoins, il s’agit là de principes fondateurs d’un genre, que l’on retrouve régulièrement.

 

Les plus célèbres films de la J-horror sont ensuite longuement disséqués (Ring au premier chef, comme de juste : les romans plutôt axés SF de Kôji Suzuki, les films de Nakata, mais il y eut aussi d’autres adaptations), mais les œuvres moins connues – et, j’imagine, pour beaucoup d’entre elles indisponibles de par chez nous… – ne sont pas négligées pour autant. L’ensemble constitue un essai fascinant, à l’occasion subtil dans l’analyse, et plus que séduisant ; j’ai envie de voir (ou revoir) plein de films, moi, du coup…

 

L’ouvrage se poursuit – assez logiquement, en fait, même si j’ai redouté tout d’abord le hors-sujet – sur la postérité extra-nippone de la J-horror : tout d’abord, la K-horror coréenne, que j’avoue ne pas vraiment connaître (je n’ai vu et apprécié que Into The Mirror de Kinm Sung-ho – je ne range pas Old Boy de Park Chan-wook dans cette catégorie –, mais il va falloir que je creuse ça ; je crois me souvenir qu’on m’avait dit du bien de Deux Sœurs…), mais qui semble notamment intéressante pour son contenu social et politique ; ensuite, les « adaptations » américaines, dont le principe même me fait grincer des dents, mais qu’il fallait sans doute étudier ici, effectivement (je n’ai vu que The Grudge, énième variation de Takashi Shimizu lui-même sur Ju-on, qui ne m’avait pas vraiment convaincu, mais, suite à la lecture de cet ouvrage, je me tenterais bien la « série » dans son ensemble ; peut-être un jour me risquerai-je également au Cercle 2 de Nakata himself, mais j’avoue que j’en ai un peu peur – pas pour les bonnes raisons…).

 

Restent enfin de passionnants entretiens avec les grandes figures de la J-horror : Chiaki J. Konaka, Norio Tsuruta, Hideo Nakata, Hiroshi Takahashi, Takashi Shimizu, Kiyoshi Kurosawa, auxquels il faut rajouter le Coréen Ahn Byeong-ki.

 

La J-horror, aujourd’hui, a sans doute été victime de son succès, et la petite-fille-aux-cheveux-sales-qui-lui-tombent-sur-la-gueule ne nous fait plus autant peur, tant elle a été utilisée de toutes parts, et souvent par des gens bien moins talentueux que Nakata. Mais elle a constitué une sorte « d’âge d’or » du cinéma fantastique japonais, et a redéfini les codes de l’épouvante cinématographique dans son ensemble. Et son étude est à tous les égards des plus intéressante.

 

Bref : un ouvrage passionnant (et effrayant…), qui dresse un panorama enthousiasmant des films de fantômes japonais, et donne sacrément envie d’en découvrir davantage. Mission accomplie, donc. Merci aux gens qui me l’ont recommandé pour les doux frissons qu’il m’a procurés…

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"NymphoRmation", de Jeff Noon

Publié le par Nébal

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NOON (Jeff), NymphoRmation, [Nymphomation], traduit de l’anglais par Alfred Boudry, [s.l.], La Volte, [1997] 2008, 388 p.

 

Eh oui, encore Jeff Noon (histoire de me préparer pour la chronique, bifrostienne en principe, de Descendre en marche), avec cet étrange (forcément…) roman publié par La Volte en même temps que l’excellent Pixel Juice. Un roman, disons-le, dont j’avais entendu dire plutôt du mal, au moins relativement (il faut dire que la comparaison avec le recueil de nouvelles sus-nommé ne pouvait qu’être défavorable, ou presque) ; mais ça ne m’a pas dissuadé de le lire, loin de là ; et je peux d’ores et déjà dire que tant mieux, parce que je me suis à nouveau régalé, moi ; certes moins qu’avec Pixel Juice et Pollen, mais plus qu’avec Vurt ; et si l’on peut donc bien dire de NymphoRmation qu’il est relativement moins bon, le fait est que ça reste un livre de Jeff Noon, et qu’en tant que tel ça ruine quand même passablement l’anus des bélougas.

 

JOUEZ POUR GAGNER !

 

Manchester (forcément), 1999 (soit deux ans après la publication du roman, qui faisait donc dans l’anticipation – déjantée comme de juste – à très court terme, nécessairement dépassée mais on s’en branle). Nous sommes avant le Vurt ; pas de plumes ici, donc, si ce n’est dans les cheveux de ‘Tite Miss Celia, la gamine mendiante.

 

Mais, à la place, des dominos.

 

Sous l’égide de la société AnnoDomino, s’est en effet mis en place dans la ville post-industrielle du nord de l’Angleterre un jeu télévisé, sorte de loterie basée sur les dominos, qui déchaîne les passions. Lors de chaque manche, chaque vendredi, c’est toute la population mancunienne ou presque qui se précipite devant sa téloche pour regarder danser Cookie Luck, dans l’attente de la révélation de l’osselet gagnant, histoire de gagner quelques minabs, ou, mieux, un joli paquet d’adorabs. Tandis que les publimouches écument la ville, porteuses de slogans publicitaires viraux. Jouez pour gagner ! Jouez pour gagner !

 

Parmi les joueurs, deux jeunes gens – surtout, même si pas que – vont retenir notre attention : Daisy Love, brillante étudiante en première année de Mathématiques, et son plus-ou-moins copain un tantinet basané Jazir Malik. Daisy vivote au-dessus du Samosa doré, le restaurant du père de Jazir, et consacre sa vie aux nombres (pas de place pour l’amour ou les sorties – genre aller voir le tellement cool Franck Scénario ou DJ Dopejack, défoncée à l’ultrail) ; en fait, elle a même menti à l’administration de la fac (rhôôô la vilaine !), en prétendant que son père était mort afin de pouvoir toucher une bourse ; mais il est vrai que, pour elle, c’est comme si son loser de père était vraiment mort…

 

Sa figure paternelle à elle, finalement, c’est plutôt le professeur Max Hackle, sans doute le plus brillant mathématicien de Manchester. En son temps – à l’époque hippie (putains de hippies !) –, Hackle avait élaboré des théories farfelues dites du Dédale de Hackle et de la NymphoRmation, faisant copuler les nombres dans une gigantesque et improbable partouze. Il faut dire que Hackle avait suivi, gamin, les cours d’une institutrice hors-normes, Mlle Sayer, laquelle, pour faire découvrir le monde merveilleux des probabilités et des statistiques à sa classe de gniards récalcitrants, utilisait déjà les dominos. Jouez pour gagner !

 

Mais n’y a-t-il pas quelque chose de pourri au royaume magique d’AnnoDomino (enfin, outre le fait que le jeu est une stupide drogue télévisuelle faisant plein de biftons au détriment de joueurs non moins stupides, comme toute bonne loterie qui se respecte, et véhiculant qui plus est des pubs insanes à tort et à travers, dom-dom-dom-domino…) ? Hackle subodore le pire. Et il va former une petite troupe de génies en herbe – comprenant donc Daisy mais aussi Jazir, lequel, avec sa Spécialité du Chef, se révèle un hacker des plus compétents, Joe Crocus, le surdoué des mathématiques noires, son amant Benny le Tendre (dans un monde où l’homosexualité est interdite) et DJ Dopejack – afin de percer le mystère du Palais des Chances. Faut-il voir derrière les activités d’AnnoDomino la patte de Double-Six ? Et notre équipe de se mettre au travail dans un joyeux foutoir à base d’osselets blanc-cassé, traquant les winners et redoutant le Bouffon Double…

 

JOUEZ POUR GAGNER !

 

Vous l’aurez compris – mais bon, rien qu’au nom de l’auteur, on pouvait s’en douter –, NymphoRmation est un roman complètement barré, sorte de thriller fantastico-cyberpunk mâtiné de Lewis Carroll (eh oui, encore), où la critique sociale cinglante se mêle aux délires plus ou moins abscons sur les probabilités et les statistiques ; mais là, je dois avouer un truc : je suis vraiment une quiche en maths, ce qui ne m’a pas vraiment facilité les choses… même si, bon, tout cela devient très rapidement tellement farfelu que l’on tend à ranger la compréhension au placard comme étant sans doute vaine, afin de se laisser porter par la plume (eh) magique de Jeff Noon (malgré une traduction qui compte quelques pains, ai-je l’impression, mais bon, y avait du boulot, tout de même).

 

Le délire est vraiment poussé très loin dans NymphoRmation, ce qui peut laisser des joueurs – pardon : des lecteurs – sur le carreau, et explique sans doute en partie la réputation plutôt moyenne de ce roman. Mais ce ne fut donc pas un problème en ce qui me concerne : quitte à ne pas tout piger, voire à tirer une drôle de gueule devant l’explosion de grand-guignol mathémagique de la conclusion, mais bon, hein, bon, c’est du Jeff Noon, alors voilà, je me suis absorbé dans ce fatras invraisemblable (de toute façon), pour ne pas dire improbable (à peu près autant que de tirer le double-six en jouant une seule fois, jouez pour gagner, tout ça), et j’ai adoré.

 

Parce que Jeff Noon écrit bien. Très bien, même.

 

Parce que Jeff Noon sait remarquablement bien camper ses personnages, auxquels on s’attache très vite, quels que soient leurs défauts – car, humains, ils en ont tous, et parfois des coriaces.

 

Parce que la critique est pertinente.

 

Parce que c'est original, et ne ressemble à vrai dire à rien.

 

Parce que c’est drôle. Très drôle.

 

Parce que c’est tragique. Aussi.

 

En somme, quand Dieu tourna son regard vers le Manchester loufoque et glauque de NymphoRmation, Il vit que cela était bon. Et s’empressa d’acheter un domino dans l’espoir de gagner plein d’adorabs, Lui aussi. Comme tout le monde. Ah mais.

 

Lisez pour gagner ! Quoi que vous ayez pu voir ou entendre à ce propos, ben moi je vous dis que NymphoRmation, c’est de la bonne. Pas le meilleur Noon, certainement pas ; mais néanmoins quelque chose de très personnel, très fort, et définitivement au-dessus du lot. Et merci La Volte de continuer à publier cet auteur d’exception.

 

 On se retrouvera dans quelque temps pour Descendre en marche

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"120 Journées", de Jérôme Noirez

Publié le par Nébal

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NOIREZ (Jérôme), 120 Journées, Paris, Calmann-Lévy, coll. Interstices, 2012, 453 p.

 

J’ai lu ce roman (pour autant que je sache le premier de Jérôme Noirez en « littérature générale ») pour trois raisons, deux bonnes et une mauvaise. Commençons par les bonnes : d’une part, ces 120 Journées marquent a priori le retour de l’excellente collection « Insterstices » de Calmann-Lévy, dont on était si je ne m’abuse sans nouvelles depuis Killing Kate Knight d’Arkady K. ; d’autre part et surtout, j’aime généralement beaucoup ce que fait Jérôme Noirez, ainsi que j’ai eu maintes fois l’occasion de vous le dire (uniquement pour sa production « adulte », cependant, je n’ai lu, je plaide coupable, aucune de ses œuvres « jeunesse » : voyez  ici,  ici, et ici, et puis , et encore ). La mauvaise, c’est que j’aime aussi beaucoup le marquis de Sade, et que ce roman fait évidemment référence, par son titre, sa structure, quelques noms, etc., aux 120 Journées de Sodome.

 

Et là, même si c’est donc sans doute pour une mauvaise raison – disons-le tout de suite, et on m’avait très justement prévenu à cet égard, ce roman n’est pas du tout sadien –, j’ai envie de dire quelques mots de ce célèbre roman inachevé du Divin Marquis (sans m’étendre non plus outre mesure sur la question, je vous passerai par exemple la fascinante histoire du manuscrit). Les 120 Journées de Sodome, ou l’école du libertinage repose sur un dispositif extrêmement mathématique : après un prologue décrivant le château de Silling, où se passera toute l’action, les personnages – bourreaux comme victimes – et (très important) le règlement, nous suivons donc le récit de quatre mois d’exactions, allant de pire en pire, jusqu’à s’achever par la mort (notons que seul le premier mois est rédigé, Sade n’ayant pas eu l’occasion de finir son roman ; les trois mois suivants sont donc réduits à l’état d’un froid catalogue, très lapidaire, sauf sans doute pour ce qui est de la dernière scène, le fameux « supplice du diable », totalement surréaliste). Les « héros » du roman sont le traditionnel quatuor de libertins sadiens, chacun correspondant à une « humeur », pour reprendre le langage médical de l’époque, et à une fonction sociale (noble d’épée, parlementaire, ecclésiastique, financier). Inspirés par les récits que leur font des mères maquerelles spécialement engagées afin de servir de conteuses, ils se livrent sur leurs victimes – des enfants et des adolescents – à un déchaînement de luxure et, entre deux « mises en pratique », dissertent longuement, comme souvent chez l’auteur, faisant l’apologie d’un matérialisme outrancier tout droit inspiré de La Mettrie, et ayant pour corollaires un très virulent athéisme et un amoralisme qui ne l’est pas moins. Un livre proprement fascinant, mais qui a quelque chose – c’est à la fois sa force et sa faiblesse – de « pas vraiment littéraire » (notamment, mais pas seulement, du fait de son caractère inachevé) ; avouons qu’il s’agissait surtout pour le marquis de se constituer un exutoire alors qu’il était embastillé, et qu’à bien des égards Les 120 Journées de Sodome sont un catalogue extrêmement nuancé de perversions sexuelles (une vraie mine, sans doute, pour Krafft-Ebing, l’auteur de la Psychopathia Sexualis, qui forgea si je ne me trompe le mot « sadisme », de même que celui de « masochisme » en référence à l’auteur de La Vénus à la fourrure). Quoi qu’il en soit, cette œuvre de Sade a eu une destinée et une postérité pour le moins inattendues ; on notera évidemment ici, brièvement, le film de Pasolini, Salò ou les 120 journées de Sodome, qui transpose l’action dans les derniers jours de l’Italie fasciste, mais que j’avoue n’avoir pas vraiment aimé (sauf pour quelques scènes ici ou là, notamment vers la fin sur fond de Carl Orff, si je me souviens bien), du fait de son caractère à mon sens beaucoup trop « intellectualisé » (bordel, c’est quand même le seul film que je connaisse avec une bibliographie dans le générique !).

 

Bien entendu, le roman de Jérôme Noirez se fait l’écho de tout cela. Divisé – donc – en 120 journées (parfois très laconiques), il nous raconte pour l’essentiel le sort de huit adolescents, quatre garçons et quatre filles entre 12 et 15 ans, enlevés pour de mystérieuses raisons par quatre étranges personnages : deux hommes, leur proviseur Blangis, très vite surnommé Blanc-bite afin de le distinguer de son frère, et deux femmes, Curval et Durcet. Ces quatre personnages – répondant donc au quatuor de libertins sadien, dont ils reprennent les noms – sont en outre secondés par un violeur pédophile récidiviste qui fait office de garde-chiourme, et une mère infanticide qui fait la cuisine et autres tâches ménagères. Ambiance…

 

Pourtant, si le sort des huit enlevés (pour 120 jours, est-il précisé d’entrée de jeu) ne nous laisse bien entendu pas indifférent, et si leur captivité dans les souterrains de Silling – le nom est repris – a quelque chose d’effroyable qui évoque plus qu’à son tour l’enfer carcéral, voire – osons-le terme – l’enfer concentrationnaire, il ne se passe pour l’essentiel pas grand-chose de véritablement horrible – et donc de sadien – dans ce roman, du moins dans un premier temps. Les huit ados, qui souffrent certes de leur état, ne sont en effet pas livrés aux perversions de libertins, mais se voient plutôt infliger un simulacre de scolarité malade, qui a de quoi laisser perplexe…

 

Parallèlement, et à l’extérieur de l’étouffant Silling, nous suivons – à la première personne, cette fois – le quotidien d’un ancien animateur de radio du nom de Duclos (dans lequel on est fort tenté de voir Jérôme Noirez lui-même), avec sa « crapote » de fille Ninon. Duclos a été engagé par Silling – dont il ne sait rien (on notera d’ailleurs que, dans ses recherches sur ce nom, Sade n’apparaît pas : Les 120 Journées de Sodome n’existe donc pas) – pour faire office de conteur, une fois tous les dix jours, depuis sa maison (il répond donc aux duègnes sadiennes). Ses récits, souvent macabres – d’autant qu’on l’invite à ne pas se censurer – ponctuent la vie des reclus de Silling. Mais Duclos, pour sa part, doute de l’existence des adolescents à qui ses récits sont en principe destinés… Y a-t-il vraiment, en dehors des adultes qui l’interrompent de temps à autre, quelqu’un pour l’écouter de l’autre côté du micro ? Peu importe : Duclos a besoin d’argent, et Silling paye.

 

120 Journées alterne donc ces deux trames, avec une grande subtilité – et un goût du hors-champ pour le coup (paradoxalement, ou pas ?) assez sadien à mon sens. Mais disons-le tout net : ce livre pour le moins curieux, d’une intelligence qui ne saurait faire de doute, est à bien des égards obscur et, s’il pose beaucoup de questions fort judicieuses, évacue le plus souvent les réponses, laissant le lecteur faire son travail de réflexion. En temps normal, c’est là une chose que j’apprécie énormément – j’aime bien quand un auteur ne me prend pas pour un con, je plaide coupable, ça fait quand même du bien… Mais Nébal est un con, ne l’oubliez pas ; et, pour dire le vrai, j’ai quand même le sentiment d’être passé à côté de pas mal de choses, du coup. Ce qui explique peut-être, à l’arrivée, en sus du caractère pas du tout sadien du roman, donc (mais je le savais avant que d’en entamer la lecture), une légère mais indéniable déception.

 

Il est vrai que j’attendais énormément de ce roman : mon goût pour Noirez, ma curiosité à l’égard du propos et des références, avaient placé la barre vraiment très très haut ; j’avais envie, sans en savoir grand-chose à vrai dire, de voir dans ce roman le grand oublié de la « rentrée littéraire », nécessairement bien meilleur que les livres plus vendeurs mais pas forcément plus intéressants (loin de là pour certains, dont un couronné par le prix Sade, justement…) dont on n’a cessé de nous rebattre les oreilles depuis septembre. Ce préjugé n’est pas forcément faux, d’ailleurs : qu’on ne s’y méprenne pas, 120 Journées est à l’évidence un bon roman, voire un très bon roman, qui vaut amplement qu’on s’y arrête ; je lui souhaite évidemment – mais a priori c’est pas gagné… – tout le succès qu’il mérite. C’est un effet un livre d’une intelligence rare, très subtil, très beau – la plume de Noirez y est pour beaucoup, mais aussi son sens du récit et de la construction, donc –, un vrai grand roman.

 

Mais un roman obscur ; et peut-être un peu trop, pour le coup… Je reste assez perplexe à son égard, avec le sentiment d’être passé à côté de pas mal de trucs ; et cette impression trouble – je dis peut-être des bêtises, mais lançons-nous quand même – qu’il faut être parent pour apprécier à plein ce livre. C’est en effet une très belle réflexion sur l’enfance et l’adolescence, sur l’éducation, sur les rapports entre jeunes et moins jeunes ; les chapitres plus ou moins tendres consacrés aux Duclos, surtout, renforcent encore cette impression, mais les « disparus de La Macle » offrent également de quoi se casser la tête à ce sujet ; mais, parce que je ne connais pas ce lien si particulier qui unit le conteur à sa fille, et pas beaucoup plus (même si je suis passé en mon temps des deux côtés du bureau…) ce qui concerne les élèves et leurs « maîtres » (dans tous les sens du terme…), j’ai l’impression que ce roman, en dépit des apparences (nécessairement trompeuses ?), ne m’était peut-être pas vraiment destiné, et qu’il fera sans doute plus d’effet à d’autres que moi.

 

D’où une petite déception, je ne saurais le nier, mais très relative, et qui ne préjuge en rien de la qualité indéniable du roman de Jérôme Noirez ; je vous engage en effet à le lire, et pense qu’il y aura bien des lecteurs en qui il suscitera davantage d’échos, pour des raisons comme vous le voyez toutes personnelles : c’est brillant, c’est fort, mais ce n’était peut-être pas pour moi. J’ai aimé, oui, mais peut-être pas autant que j’aurais pu ou dû. Mais je sens que cette lecture va encore me hanter dans les jours qui viennent, que les interrogations qu’elle soulève ne vont pas se faire oublier aussi facilement ; et c’est assez rare et admirable pour être signalé.

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"H.P. Lovecraft, ou la quête de l'inconnu", de Charlène Busalli

Publié le par Nébal

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BUSALLI (Charlène), H.P. Lovecraft, ou la quête de l’inconnu, mémoire de Master 2 Études anglophones, option Littérature, préparé sous la direction de Béatrice Bijon, maître de conférences, [Saint-Etienne], Université Jean Monnet, Faculté Arts Lettres Langues, 2011, 74 p.

 

(Illustration : Cthulhu Rising, de Niklas Rhöse.)

 

En farfouillant sur le ouèbe en quêtes de lovecrafteries diverses et variées, je suis tombé plus ou moins par hasard (plutôt moins que plus, à vrai dire…) sur ce mémoire de Master 2 présenté et soutenu par Charlène Busalli – disponible, sous licence Creative Commons, ici. Et je me suis dit que pourquoi pas, après tout : non seulement j’enchaîne actuellement les essais sur Lovecraft (rien que hier, j’en ai reçus quatre de plus…), mais, en outre, je ne cacherai pas que ça m’a rappelé quelques bons souvenirs de l’époque où j’avais moi-même commis une telle chose… Nostalgie…

 

Mais passons.

 

Après l’athéisme avec Cédric Monget et le racisme avec William Schnabel, nous nous intéresserons donc aujourd’hui à l’inconnu chez Lovecraft. Notion polysémique s’il en est, l’inconnu est, à en croire Charlène Busalli, mais je la rejoins tout à fait sur ce point, au cœur de l’œuvre lovecraftienne. Le mémoire est – classiquement, je suppose, du moins pour des non-juristes… – divisé en trois parties, qui forment autant d’angles d’approche de cette notion.

 

La première partie est consacrée à « l’insignifiance de l’humanité à l’échelle du cosmos ». Rien de bien neuf ici, j’ai déjà eu à plusieurs reprises l’occasion d’évoquer cette conception typiquement lovecraftienne, qui ressort de la plupart des écrits du maître de Providence. Cela revient, dans un premier temps, à s’interroger sur les soubassements scientifiques de l’œuvre lovecraftienne ; on sait la passion de l’auteur pour la science, notamment l’astronomie – même s’il ne fut jamais en ces domaines qu’un amateur, n’ayant pas fait d’études supérieures pour les raisons que l’on sait. Charlène Busalli évoque également les révolutions de la physique au début du XXe siècle (relativité, physique quantique), qui ont probablement eu une certaine importance pour Lovecraft (même si peut-être pas autant que ce qu’elle prétend), mais ne s’étend étrangement pas sur le darwinisme et ses succédanés… Quoi qu’il en soit, la science imprègne l’ensemble de l’œuvre lovecraftienne, au carrefour du fantastique et de la science-fiction (même si Charlène Busalli, à vue de nez, semble préférer la première catégorisation, sans jamais ou presque mentionner la seconde, ce qui est pour le moins discutable ; mais bon, les querelles d’étiquettes, hein…). Elle s’exprime notamment au travers d’un fort empirisme, ce qui revient à poser la question de la perception et de ses limites : si, comme le notait justement Michel Houellebecq dans son essai, le personnage lovecraftien n’a guère pour fonction que de percevoir (importance des cinq sens), il n’en reste pas moins que l’inconnu et l’indicible (terme lovecraftien par excellence) viennent très tôt poser des limites à ce qu’il est possible d’affirmer catégoriquement. Mais les connaissances scientifiques existantes, autant que l’énorme sphère de l’inconnu, permettent en tout cas de contester la suprématie de l’homme dans l’univers. Ce qui explique pour une bonne part « l’anti-anthropocentrisme lovecraftien », de même que son anti-héroïsme ; d’où la fadeur indéniable de la plupart des personnages de Lovecraft, qui lui a valu bien des critiques, pour le coup pas vraiment fondées.

 

Charlène Busalli consacre la deuxième partie de son mémoire à « la peur de l’inconnu ». Il s’agit tout d’abord d’établir en quoi la « peur cosmique » lovecraftienne repose pour une bonne part sur l’atmosphère (impressionnisme, à mettre en rapport avec la question de la perception) et sur la notion d’anormalité. De là, on débouche très logiquement sur le caractère xénophobe de l’œuvre lovecraftienne (analogie monstres/étrangers, peur de l’hybridité, dégénérescence), caractère que Charlène Busalli tend cependant à minimiser. Ici, j’avouerai ne pas être tout à fait d’accord avec elle : le racisme – elle n’emploie si je ne m’abuse pas une seule fois ce terme, alors que, quoi qu’elle en dise, et même si la dimension culturelle est essentielle en la matière, la dimension biologique et (pour le coup) pseudo-scientifique de la haine des étrangers chez Lovecraft m’apparaît comme une réalité que l’on ne saurait négliger – le racisme, donc, est à mon sens fondamental chez l’auteur (voir l’essai de William Schnabel), et est un corollaire de son matérialisme et de son pessimisme cosmique, chacun suscitant et entretenant les autres dans une perpétuelle boucle de rétroaction. L’idée défendue par Charlène Busalli est cependant que, plus que la peur des autres, c’est la peur du « soi comme inconnu » qui est véritablement au cœur de la fiction lovecraftienne (ce qui me semble intéressant, mais néanmoins un brin excessif) ; il est vrai que bon nombre de fictions de l’auteur jouent de ce thème (« Je suis d’ailleurs », « L’Affaire Charles Dexter Ward », « Le Cauchemar d’Innsmouth », « Dans l’abîme du temps »…) ; de là à en faire une préoccupation essentielle (rattachée qui plus est à la psychanalyse, pour laquelle Lovecraft témoignait d’un profond mépris – peut-être révélateur en soi il est vrai), il y a un pas que je ne saurais franchir, et qui me fait tout de même un peu l’effet d’un expédient commode pour ne pas trop s’appesantir sur le racisme lovecraftien, et donc sur les aspects les moins reluisants de l’œuvre étudiée…

 

Reste enfin à se pencher sur « la conquête de l’inconnu » (titre pas forcément très heureux, en tout cas guère limpide au premier abord). Charlène Busalli s’intéresse tout d’abord à la soif de connaissance caractéristique des personnages lovecraftiens, souvent des chercheurs, et constituant à cet égard un véritable instinct insurmontable (ce qui explique le paradoxe de ces personnages exprimant l’indicible tout en multipliant les avertissements quant au danger que ces connaissances représentent, pour l’individu comme pour l’humanité dans son ensemble…). Mais la science ne peut pas tout expliquer, et Lovecraft rejette la religion et la superstition. Dès lors, il ne reste plus pour lui qu’un seul moyen d’aborder l’inconnu : l’imagination, et autant dire l’art (vision très nietzschéenne). C’est l’occasion d’évoquer tout d’abord les « contes oniriques » de Lovecraft, d’inspiration dunsanienne, et plus particulièrement « La Quête onirique de Kadath l’inconnue » (voir ici) ; Charlène Busalli note à juste titre que, dans ce dernier texte, il y a une certaine familiarisation avec l’inconnu, y compris sous sa forme la plus « anormale » et « monstrueuse » (j’ai trouvé ces développements très pertinents). Mais, à l’en croire, il est possible d’aller plus loin, et de relever dans les derniers textes de Lovecraft (notamment « Les Montagnes hallucinées » et « Dans l’abîme du temps ») la « construction d’une utopie » (l’emploi de ce terme me semble contestable, en dépit de l’argumentaire assez solide de la chercheuse) : les monstres sont en effet envisagés sous un jour différent dans ces derniers textes, neutre au minimum, voire élogieux, jugement qui s’applique notamment à leurs civilisations « idéales » (ce qui fait cependant l’impasse sur la décadence de la civilisation des Anciens). Cette idée m’a paru très intéressante, mais pour le coup un peu excessive, donc.

 

Formellement, le mémoire est dans l’ensemble très bien construit – tout s’enchaîne avec fluidité, Charlène Busalli a bien travaillé ses transitions –, mais souffre, pas énormément mais un peu tout de même, d’une plume un peu lourde à l’occasion, et aurait sans doute mérité quelques relectures supplémentaires. Mais je pinaille. Notons cependant, pour les curieux qui s’intéresseraient à ce mémoire, que les – nombreuses – citations de Lovecraft comme de ses exégètes anglo-saxons ne sont généralement pas traduites ; vous êtes prévenus.

 

Bilan : un mémoire plus que correct, critiquable à l’occasion, mais dans l’ensemble très pertinent, avec quelques idées tout à fait intéressantes même si peut-être un brin excessives à mes yeux (donc). Certes, ça ne révolutionne pas l’érudition lovecraftienne, mais ça n’en avait probablement pas l’ambition et, en l’état, cela constitue une réflexion éclairée et riche, pouvant éventuellement servir d’introduction à la pensée et à l’œuvre lovecraftiennes. Et c’est déjà très bien.

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"Le Von Mopp illustré", de Laurent Rivelaygue

Publié le par Nébal

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RIVELAYGUE (Laurent), Le Von Mopp illustré. Dictionnaire subjectif des mots difficiles & imprononçables de la langue française, illustrations de Laurent Rivelaygue, [s.l.], Baleine- Après la Lune, 2012, [n.p.]

 

Le Von Mopp illustré de Laurent Rivelaygue (auteur de Poisson-chien à La Volte, qui repose depuis trop longtemps dans ma commode de chevet, et illustrateur talentueux des couvertures de L’Apocalypse des homards de Jean-Marc Agrati et de Dystopia Anthologie 01 chez Dystopia) n’est sans doute guère un ouvrage se prêtant volontiers à la chronique, aussi vais-je être contraint de faire bref. N’en déduisez rien quant à la qualité du livre : en effet, inutile de faire des mystères, je me suis régalé avec ce Dictionnaire subjectif des mots difficiles & imprononçables de la langue française, comprenant 106 définitions improbables et réjouissantes. C’est qu’il est très drôle, très beau (illustré à chaque page, et tout en couleurs, s’il vous plait) et, joie, pas cher – je ne sais toujours pas comment les gens de chez Baleine ont pu sortir quelque chose d’aussi esthétique pour 18 € seulement…

 

Tout est dans le titre, ou presque. Le Von Mopp illustré est donc un bref dictionnaire limité à 106 mots (j’en ai d’ailleurs appris des nouveaux grâce à cette lecture instructive : ababouiné, cuniculiculture, échinocactus, enchifrènement, forficule, heimatlos, imparidigité, laïusseur, limnologie, malacostracés, nahaïka, notonecte, ophiolâtrie, ouaouaron, plaqueminier, poutser, raspoutitsa, rhabdomancie, scyphoméduses, tcharchaf, typhlographe, uropygienne, vespertilion, weyschuyt, xantognathe, zapadliski, zérumbet, eh oui tout de même…), chacun étant en outre accompagné d’une (joulie) illustration pleine page, mêlant dessin, collages et jeux typographiques ; d’une anecdote concernant un membre de la famille Von Mopp en rapport avec le mot défini ; et enfin, sous la dénomination « Faut le dire vite ! », d’un exemple de phrase usant du mot en question et pratiquant volontiers assonances et allitérations. Projet fou émanant du cerveau malade de Sigismond Von Mopp – une « biographie apocryphe, suspecte et probablement sujette à caution » nous en est donnée en tête de l’ouvrage – et merveilleusement servi par la plume et plus puisque affinités de Laurent Rivelaygue.

 

Ce qui saute aux yeux, c’est tout d’abord l’extrême beauté de l’objet, confirmation, s’il en était encore besoin, du talent d’illustrateur de l’auteur. Y a pas, ça claque. Et comme c’est bientôt Noël, l’heure des « beaux livres », vous auriez tort de vous en priver (enfin, moi, j’dis ça, j’dis rien, hein).

 

Mais Le Von Mopp illustré n’est pas seulement un régal pour les yeux, il réjouit aussi neurones et zygomatiques. C’est en effet très drôle, tout cela ; très con (très), follement absurde, et parfois un peu méchant  et d’un goût douteux (chouette !). Du coup, immanquablement, je n’ai pu m’empêcher de penser au Dictionnaire superflu à l’usage de l’élite et des bien nantis de l’immense Pierre Desproges, mais aussi, du même, au Manuel de savoir-vivre à l’usage des rustres et des malpolis et à Les Étrangers sont nuls (pour tout cela, voir ici). Ce n’est pas tout à fait la même chose, mais il y a quand même de l’idée (et pour ceux qui en douteraient, c’est un sacré compliment). EDIT : Et puis il y a bien sûr Le Dictionnaire du diable d'Ambrose Bierce, comment ai-je pu oublier de le citer dans le premier jet de ce compte rendu...

 

Pas grand-chose de plus à dire, le bouquin ne s’y prête pas (donc). Mais je ne saurais trop vous en recommander la lecture : certes, c’est vite expédié (encore que : il y a de quoi disséquer les illustrations…), mais c’est un vrai bonheur de la première à la dernière page ; aussi, ça ne se refuse pas.

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"Vortex", de Robert Charles Wilson

Publié le par Nébal

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WILSON (Robert Charles), Vortex, [Vortex], traduit de l’anglais (Canada) par Gilles Goullet, Paris, Denoël, coll. Lunes d’encre, [2011] 2012, 341 p.

 

Spin de Robert Charles Wilson est incontestablement un des tout meilleurs romans de science-fiction parus ces dernières années, et, c’est formidable, il a eu, à l’étranger comme en France, le succès qu’il méritait, dépassant très probablement les rangs du seul fandom SF. À vrai dire, il fait partie de ces livres qui m’ont amené à me remettre véritablement à la science-fiction, et je n’ai pu m’empêcher, comme souvent quand j’aime quelque chose, de me livrer à une ardente propagande en sa faveur. Il faut dire que ce roman savait conjuguer les meilleurs éléments du genre et, au-delà, ceux de la meilleure littérature tout court. Bien écrit (et traduit par l’excellent Gilles Goullet, toujours aux commandes ici), Spin était un roman vertigineux, débordant de « sense of wonder », et en même temps très humain, grâce à ses personnages complexes et attachants. Wilson s’y montrait fort adroit tant à l’échelle du macrocosme qu’à celle du microcosme, et n’a sans doute jamais aussi bien jonglé avec les deux que dans ce roman formidable.

 

Il était convenu dès le départ (du moins pour autant que je sache) que Spin serait le premier volume d’une trilogie. Le deuxième, Axis, s’il ne manquait pas de qualités typiquement wilsoniennes, m’avait cependant déçu, comme je vous en avais fait part à l’époque de sa sortie ; sans doute pour une bonne part en raison de l’absence de vertige qui caractérisait ce roman plus « resserré », et aussi – mais ça c’est très personnel – à cause de son usage plus ou moins convaincant des codes du thriller (ce qui est d’ailleurs assez typique de Wilson – voyez Blind Lake, par exemple, ou le roman dont nous allons traiter aujourd’hui –, mais ne m’avait vraiment pas séduit dans celui-ci). Cela dit, je concluais mon compte rendu en disant que je me jetterais malgré tout dès sa sortie sur le dernier tome, Vortex, et c’est bien ce que j’ai fait (même si mon compte rendu est un peu tardif, mais j’ai eu ces derniers temps d’autres, euh, « priorités », comme vous avez pu le constater). Allait-on cependant y retrouver la grandeur de Spin, ou bien ne serait-ce, un peu comme Axis à mes yeux, qu’un livre inutile à côté du monument originel ? Telle était bien la question…

 

Quelques années – décennies, au pire – après le Spin, sur Terre. Sandra Cole est psychiatre au State Care de Houston. On lui confie un jour – mais brièvement – un jeune vagabond du nom d’Orrin Mather, dont le cas lui paraît particulièrement intéressant (et qui suscite aussi visiblement la curiosité du policier qui l’a confié à l’institution, du nom de Bose, dont Sandra tombera immanquablement amoureuse). Il faut dire que le timide et maladroit Orrin trimbale avec lui des carnets – mais en est-il vraiment l’auteur ? – qui racontent une histoire pour le moins étrange. Et pour cause : dans ce monde de science-fiction, cette « autobiographie » (ou pas) fait figure… de roman de science-fiction (intéressante mise en abyme, au passage).

 

En effet, les carnets d’Orrin racontent une histoire qui se situe 10 000 ans après les événements d’Axis, sur Équatoria, mais pas que, et s’ouvrent sur ces lignes intrigantes : « Je m’appelle Turk Findley et je vais vous raconter ce que j’ai vécu longtemps après la disparition de tout ce que j’aimais ou connaissais. » (On rappellera que Turk Findley était un des principaux protagonistes d’Axis, dont la lecture ne me paraît cependant pas constituer un préalable indispensable à Vortex) Le personnage en question a été « enlevé » par les Hypothétiques, créateurs du Spin et de l’arc entre la Terre et Équatoria, et « reconstitué » 10 000 ans plus tard (donc) dans un désert de cette dernière planète. Il y est retrouvé par les Voxais, habitants d’un archipel artificiel voyageant entre les mondes, qui attendaient le retour des « Enlevés » avec une impatience certaine, comme signe de leur « fusion » prochaine avec les Hypothétiques. C’est ainsi que Turk fait la connaissance de Treya, une jeune Voxaise qui s’est vue implanter la personnalité d’Allison Pearl, une jeune fille de son époque originelle (qui se livrera à son tour, également à la première personne, dans les carnets d’Orrin), afin de faciliter le contact entre les individus issus de contextes si différents. Et Vox de reprendre le chemin de la Terre toxique et abandonnée, dans l’espoir d’une ultime rencontre en forme d’apothéose et d’apocalypse (dans tous les sens du terme) avec les Hypothétiques…

 

Le roman alterne donc, un chapitre sur deux, d’une part le récit des événements quasi contemporains avec Sandra et Bose, et d’autre part celui contenu dans les carnets d’Orrin Mather, Robert Charles Wilson jouant avec aisance de ces deux époques si contrastées. Bien évidemment, pour connaître le lien entre les deux – et tant qu’à faire la vérité sur les Hypothétiques –, il faudra attendre le dernier chapitre…

 

Disons-le tout net : la trame mettant en scène Sandra et Bose ne m’a pas vraiment convaincu. Très thrilleresque (donc), elle me paraît manquer véritablement d’enjeu, en étant trop focalisée sur le microcosme (un peu ce que je reprochais, déjà, à Axis). Comme d’habitude chez Wilson, les personnages ne sont pas inintéressants, et même plutôt attachants, mais on avouera que l’auteur canadien en rajoute une couche pour le moins superflue en surjouant du pathos à leur égard. Certes, le lecteur est intrigué, lui aussi, par les carnets d’Orrin ; mais il me paraît difficile de s’intéresser véritablement à l’enquête parallèle concernant le trafic de drogue de longévité martienne (voir Spin).

 

Il en va à mon sens tout autrement pour ce qui est de la trame « futuriste » : ici, on retrouve bien cet astucieux mélange d’intime et de cosmique qui faisait une bonne partie du charme du premier tome. Turk et Allison sont à mon sens bien plus intéressants et « authentiquement » complexes que le couple parallèle formé par Sandra et Bose. Et, surtout, on y trouve énormément de bonnes idées, dont certaines absolument fascinantes ; ainsi du fanatisme proprement religieux des Voxais et, plus encore, de leur système politique, la démocratie limbique, sorte de « totalitarisme démocratique » fondé sur la conscience collective, aussi séduisant dans l’absolu qu’horrifiant et odieux dans la pratique ; une belle réflexion qui, avouons-le toutefois, aurait mérité à mon sens, peut-être, de plus amples développements (en l’état, c’est un peu frustrant). Les aspects politiques ne manquent pas, de manière générale, dans Vortex, qui se livre également à une critique écologique d’une actualité indéniable. Et, reconnaissons-le, s’il est ici ou là quelques motifs d’espérer, le tableau dressé par Robert Charles Wilson est tout de même globalement plutôt pessimiste (ce qui me va très bien, hein).

 

Aussi Vortex est-il en définitive un roman un peu bancal, plus ou moins intéressant selon les époques. Une bonne moitié du livre, du coup, me paraît presque superflue (d’autant que lien entre les deux trames n’est ni vraiment original, ni totalement convaincant). On pourrait, à vrai dire, se demander comme pour Axis si ce n’est pas le roman entier qui se révèle finalement superflu… En effet, à la conclusion de cette trilogie, l’idée que Spin se suffisait à lui-même, en définitive, s’impose avec force : on peut parfaitement s’arrêter à cet excellent premier roman, qui n’appelait pas nécessairement de suites.

 

 Ceci dit, Vortex n’est donc pas mauvais pour autant, juste bancal. S’il est évidemment bien inférieur à Spin, mais je ne m’attendais pas à ce que Robert Charles Wilson renouvelle ce coup de maître, je l’ai trouvé bien meilleur qu’Axis. Il contient beaucoup de très bonnes idées dans sa partie voxaise, et se conclut sur des images de toute beauté, d’un grand « sense of wonder » que j’aurais presque envie de dire « à la Stephen Baxter » (pour ceux qui en douteraient, c’est un compliment).

 

En définitive, malgré la faiblesse relative d’une de ses deux trames, Vortex est même plutôt bon, du coup (surtout en ces temps de disette science-fictive, réelle ou indirecte : si l’on compare Vortex aux autres publications SF inédites de l’année, il ne fait aucun doute à mes yeux que le roman de Robert Charles Wilson, avec ses défauts, est largement au-dessus du lot). Au contraire d’Axis, roman de transition peu convaincant, j’aurais donc plutôt envie d’en recommander la lecture. Tout en souhaitant que Wilson, peut-être enfin débarrassé du poids du monstre, ose se renouveler quelque peu pour ses prochaines productions, parce qu’on avouera qu’il se répète tout de même un peu… Mais bon, je chipote : en l’état, ça reste pas mal du tout. Pas indispensable, mais correct. Et un Wilson correct est nécessairement un bon bouquin. Tout est relatif, comme disait l’autre.

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