"Présence humaine", de Michel Houellebecq
MICHEL HOUELLEBECQ, Présence humaine
Tracklist :
01 – Présence humaine
02 – Séjour-club
03 – Paris-Dourdan
04 – Playa Blanca
05 – Les Pics de pollution
06 – On se réveillait tôt
07 – Plein Été
08 – Célibataires
09 – Crépuscule
10 – Derniers Temps
AHA ! Ça faisait longtemps que je n’avais pas parlé du Terrible Michou sur ce blog interlope… et JE VAIS PAS ME GÊNER ! Bon, faut dire que, si je ne m’abuse, il n’a pas vraiment eu d’actualité depuis son Goncourt probablement pas mérité pour La Carte et le territoire. À part, tout récemment, son retour en France au moment où Depardieu s’en casse (quand je vous dis que ce type est un immense humoriste…). Du coup, je ne vais pas exactement faire dans l’actualité mon non plus, puisque, au travers de ce compte rendu, nous allons remonter à l’apocalyptique (déjà) an 2000 (‘tain, le coup de vieux…), année où fut enregistré l’album Présence humaine, qui sera a priori le premier et le dernier album de Michel Houellebecq (« ouf », disent les mauvaises langues). Car oui, aujourd’hui, je vais parler du Terrible Michou, mais pour de la musique (« musique ? », disent les mauvaises langues) (vos gueules, les mauvaises langues).
Pourquoi en parler aujourd’hui ? PARCE QUE ! Quelle idée d’avoir à chercher à tout prix une justification… Bon, en fait, il y en a bien une (petite) : l’album figure dans la sélection « en toute subjectivité » de « 100 albums « rock et SF » à écouter avant la fin du monde » réalisée par Richard Comballot dans le Bifrost n° 69 (que je n’ai fait que feuilleter pour l’instant). « Houellebecq et ses ambiances de fin du monde, ce n’est pas à proprement parler de la SF mais ça y ressemble. » Tout à fait. Du coup, j’ai eu envie de réécouter cet album, ce que je n’avais pas fait depuis un petit bout de temps, et je confirme : j’aime. J’aime beaucoup, même. Voire j’adore. Si.
Eh.
Il y aurait, il est vrai, moyen de biaiser, et de dire que Présence humaine de Michel Houellebecq n’est pas un album de Michel Houellebecq, mais un album de Bertrand Burgalat (dont je ne vous recommanderai jamais assez The Sssound of Mmmusic et plus encore le génial album live avec A.S Dragon ; j’avoue ne pas avoir suivi ce qu’il a fait depuis). Le monsieur B. a en effet tout écrit sur l’album (seul le premier morceau émane du groupe dans son ensemble), qu’il a sorti sur son label Tricatel. Houellebecq, dans un sens, se contente d’y poser son spoken word grave et décalé, récitant plus que chantant des textes issus de ses recueils Le Sens du combat, Rester vivant et Renaissance. Ce qui nous donne – oui, inévitablement, on va faire cette comparaison facile – l’impression d’une sorte de Gainsbourg 2000 (« en pire », disent les mauvaises langues, qui ne veulent décidément pas la fermer), mais du meilleur Gainsbourg, celui de l’Histoire de Melody Nelson et de L’Homme à la tête de chou. Mais cette exclusion serait sans doute un tantinet mesquine ; virons donc ce biais (que j’avoue avoir pratiqué quand j’étais jeune et innocent), et disons-le haut et fort : Présence humaine est bien un album, l’unique album, de Michel Houellebecq.
Et c’est un excellent album. Si.
Eh.
La musique de Burgalat est tout à fait remarquable. Mélange de vieux rock progressif/psychédélique lorgnant par à-coups sur le noise et d’electro vintage teintée de funk discoïde (ou le contraire), elle fait du neuf avec du vieux, de l’easy listening avec du dur. Aussi, malgré la comparaison facile effectuée quelques lignes plus haut, le fait est que Présence humaine est un album doté d’une réelle singularité musicale. Il relève certes un peu du jeu de citations, mais à la manière d’un écrivain qui fait dans le cut-up ou d’un D.J. qui sample à tour de bras, et crée une œuvre personnelle à partir d’éléments épars, qu’on n’aurait pas forcément pensé à rapprocher, là, comme ça.
Et, par-dessus, il y a la polésie de Houellebecq. Les fidèles de ce blog le savent, la polésie et moi, ce n’est pas exactement le mariage d’amour. Alors la polésie-Monoprix de Houellebecq, a priori… J’avoue que quand je m’étais contenté de lire ces textes, ça m’avait laissé perplexe, et pas qu’un peu. Une polésie du banal, de l’ultra-quotidien, aseptisée au possible, pratiquant la rime pauvre avec un enthousiasme mou qui a de quoi laisser pantois. Mais, mise en musique, ben, voilà, je trouve que ça rend bien ; et même très bien. Il y a bel et bien une ambiance qui s’en dégage, une voix. Et c’est tantôt dépressif, tantôt hilarant, et souvent les deux à la fois (ici, je ne peux m’empêcher de penser à une réplique d’un Spirou sur l’humour des gens tristes) (on a les références qu’on peut). Voilà : Houellebecq pouète, c’est un Droopy dans le métro, qui va faire ses courses ou revient du boulot, tout mou, désabusé, cerné par des zombies persuadés d’être vivants. Ou alors Michou à la plage, en séjour-club (forcément), qui s’ennuie à mourir en sirotant un mojito avec pas assez de rhum dedans.
(Ici, je ne peux m’empêcher de penser à une citation du terrible Michou à l’occasion de la sortie de cet album – je crois que c’était dans Trax ; interrogé sur son rapport à la drogue, le pouète réplique d’une voix sans appel, et en laissant entendre que c’est probablement pire : « Moi, j’ai choisi l’alcool. » Je cite de mémoire, hein.)
Et ça rend donc pas mal, comme ça. Alors évidemment, je comprendrais toujours que ça ne passe pas… Il faut pouvoir s’enfiler des rimes comme : « Tu déjeuneras seul / D’un panini-saumon / Dans la rue de Choiseul / Et tu trouveras ça bon » (dans « Les Pics de pollution »). Mais moi, finalement, après l’apprentissage, j’aime bien ; ça me fait souvent rire, mais ça me touche aussi, parfois. « Retour au réel » (« Playa Blanca ») ; on ne s’en échappera pas, en fin de compte. Et il y a des passages… ben, beaux, oui. Je vous jure. J’en suis le premier surpris, mais oui.
Tour d’horizon. On commence en force avec l’excellent et on ne peut plus apocalyptique (effectivement) « Présence humaine » (avec la participation de Richard Pinhas à la guitare), sorte de disco-punk avant qu’on ne parle de disco-punk (même si le genre est par nature tourné vers le passé), que j’aurais envie de qualifier de chef-d’œuvre (si). La meilleure des entrées en matière pour cet album. Ça passe ou ça casse, certes ; mais chez moi, ça passe. Et très bien, même.
« Séjour-club » est moins immédiatement accrocheur, mais ce vague funk langoureux et contemplatif n’est pas sans intérêt pour autant ; ça progresse avec adresse et en douceur pour un résultat des plus corrects. « Le poète est celui / Presque semblable à nous / Qui frétille de la queue / En compagnie des chiens. » Tout un programme, non ? Je ne sais pas vraiment pourquoi, mais ça m’évoque Vermillion Sands (je suis sûr que Ballard, tout là-haut, appréciera).
Suit « Paris-Dourdan », et là on remonte au niveau de l’introduction (quand il m’est arrivé de faire ce trajet, inévitablement, j’avais cette chanson en tête…). Très chouette ambiance, explosions noisy bienvenues, c’est très miam tout ça. « Je me réveille à Montparnasse / Tout près d’un sauna naturiste / Le monde entier reprend sa place / Je me sens bizarrement triste. » J’adore.
Sortir « Playa Blanca » en unique single de l’album (si je ne m’abuse) fut sans doute un acte de provocation. Ce morceau, pas vraiment représentatif de l’album, est en effet d’un kitsch absolu, et rassemble en moins de trois minutes tous les clichés Club-Med du Terrible Michou. Il n’en est pas moins hilarant (surtout avec le clip qui va bien).
Mais j’y préfère largement le non moins drôle mais bien plus intéressant musicalement – assez complexe, en fait – « Les Pics de pollution », aux paroles hautement improbables et sans queue ni tête. Très bon.
« On se réveillait tôt » est autrement plus apaisé, on y retrouve un peu l’ambiance de « Séjour-club ». Le Terrible Michou s’y montre romantique, et c’est… particulier. « Rappelle-toi ma douce / Nous avions notre chance. »
Plus ou moins dans ce registre, toutefois, le très progressif/psychédélique « Plein Été » est à mon sens la plus grande réussite. Ce long morceau dégage une atmosphère oscillant entre le sensuel et le pathétique, avec une (grosse) touche de nostalgie à nouveau, pour un résultat plus que satisfaisant, à la fois drôle et touchant. « Il faudrait que je meure / Ou que j’aille à la plage. » Je crois qu’on tient là du concentré de Houellebecq…
« Célibataires » détonne, dans la mesure où c’est un morceau purement électronique, à l’ambiance bien plus froide et sombre que ce qui précède. Contraste, et, décidément, « retour au réel ». Ce n’est pas moi qui vais m’en plaindre, c’est un excellent morceau. Le propos rappelle « Paris-Dourdan », forcément, mais la singularité demeure. « Nous rejoignons enfin / Le mystère productif / Dans le calme apaisant / D’usines célibataires. » C’est bien bon.
En dépit du titre, on retourne à quelque chose de plus lumineux avec « Crépuscule ». C’est joli, c’est tendre, mais un peu faiblard par rapport au reste de l’album, trouvé-je. « Nous avions des moments d’amour injustifié », cependant.
Et l’album de se clore sur « Derniers Temps », comme de juste. Je ne peux pas m’empêcher de trouver que ça sonne un peu comme du DFA avant l’heure. Intéressant décalage entre les paroles très mélancoliques et la musique optimiste. Cela dit, là encore, par rapport au reste de l’album, ça ne casse pas des briques.
Vous l’aurez compris : en dépit des quelques réserves finales, j’adore cet album. Avec la même passion aujourd’hui qu’au moment de sa sortie. Je comprends toujours que cela puisse faire grincer des dents, jaser, sourire, ricaner, tout ce que vous voudrez. Mais peu importe : moi, je trouve ça bon. Très bon. Excellent, même. Merci, Michou, et merci, Bertrand Burgalat.