HAY (George) (dir.), Le Necronomicon, [The Necronomicon], précédé de « Histoire du Necronomicon » de Howard P. Lovecraft, préface de Paul R. Michaud, introduction de Colin Wilson, textes et notes de Robert Turner, David Langford, Stanislaus Hinterstoisser, L. Sprague de Camp, Christopher Frayling & Angela Carter, traduit de l’anglais par Françoise Rey-Sens, Paris, Belfond, [1978-1979] 1985, 219 p.
Le Necronomicon, « le livre de l’Arabe dément Abdul Al-Hazred », est sans doute la plus célèbre – et en tout cas la plus récurrente – des inventions d’Howard Phillips Lovecraft. Les allusions y sont nombreuses dans ses récits, et, de son vivant déjà, nombreux étaient ceux qui étaient tombés dans le panneau, croyant à son existence réelle (la correspondance de Lovecraft en témoigne). Mais non : il s’agit bien d’une pure invention. Cependant, depuis, cette croyance s’est perpétuée, et August Derleth, très tôt, faisait état de petites annonces canulardesques comme de fiches de bibliothèque fantaisistes… Aussi la tentation était-elle grande « d’écrire » le Necronomicon. On l’avait proposé à Lovecraft lui-même, mais celui-ci avait refusé, essentiellement pour deux raisons : d’une part, le livre en question était censé être énorme (la traduction parcellaire de John Dee, à en croire « L’Abomination de Dunwich », comptait au moins 700 pages !) ; d’autre part et surtout, le résultat ne pouvait qu’être décevant, bien loin de l’aura de pure malignité de ce grimoire maudit entre tous… Mais cela n’a pas empêché quelques-uns, ultérieurement, de s’atteler à la tâche, et la présente purge (disons-le de suite) est à ma connaissance la première de ces tentatives (je vous parlerai ultérieurement de celles du mystérieux Simon, et peut-être de Tyson).
Publié en français dans une collection d’occultisme (!) aux titres consternants, ce qui aurait sans doute fait plaisir à Lovecraft, et constamment réédité depuis (la dernière édition en date se trouve à ma connaissance au Pré aux Clercs), ce très bref Necronomicon fait appel à une multitude de plumes pour tourner autour du pot et, en définitive, ne présente que de très brefs prétendus extraits du livre maudit. Le plus étonnant à mon sens est qu’il se trouve parmi ces plumes quelques noms plutôt respectables, dont on peut se demander ce qu’ils viennent faire ici : Paul R. Michaud, par exemple, fondateur de Necronomicon Press (et qui évoque la position incrédule du « professeur S.T. Joshi de l’Université Miskatonic », merci pour lui !), ou encore Colin Wilson, en son temps critique impitoyable de Lovecraft, qui livre ici, avec son « Introduction », le plus long texte de ce livre composite, construit comme un (mauvais) roman. Il y a L. Sprague de Camp, aussi, qui est supposé être à la base de tout ça… Bon.
Une première remarque avant d’aborder le vif du sujet : la traduction de la chose est tout bonnement affreuse (j’aurais carrément dit « scandaleuse » si le livre avait été bon à l’origine), perpétrée par une ignare qui ne connaît de toute évidence rien à Lovecraft et sûrement pas grand-chose de plus aux divers sujets « ésotériques » envisagés ici. La « traduction » (quand elle existe) des titres des nouvelles en fournit un bon exemple, qui varie dans un même texte (ainsi, « The Hound » – c’est-à-dire « Le Molosse » –, ici, est parfois non traduit, parfois rendu par « Le Chien », plus souvent par « La Meute »…), mais les contresens, anglicismes et autres tournures franchement maladroites abondent, de manière générale, et ça pique les yeux…
Le livre s’ouvre sur « Histoire du Necronomicon » de Howard P. Lovecraft, dont je vous avais déjà parlé ici. Rien à dire sur la « Préface au « Necronomicon » » de Paul R. Michaud.
Le cirque commence en fait avec la longue « Introduction » de Colin Wilson, qui avait dû péter un boulon ce jour-là et qui, après bien des tours et détours (consistant par exemple en analyses foireuses de l’œuvre de Lovecraft), nous présente tout un salmigondis improbable faisant du pôpa de Cthulhu un « initié » (probablement sans qu’il en ait conscience), à base de délires astrologiques (ça aussi, Lovecraft aurait adoré !), de Golden Dawn, de maçonnerie égyptienne à la Cagliostro, d’Aleister Crowley (forcément, Kenneth Grant était déjà passé par là…), etc. Un foutage de gueule occultiste et vaguement complotiste qui débouche sur la « découverte » d’un livre codé, qui pourrait bien être la traduction (pour le coup vraiment très parcellaire) du Necronomicon par John Dee.
Suit un canular gros comme moi, avec la prétendue « Lettre du Dr Stanislaus Hinterstoisser », qui en rajoute une couche dans le tissu de conneries, et à laquelle personne ne saurait accorder le moindre crédit (pour le coup, donc, la blague est vraiment très mal faite). « Le « Necronomicon » : commentaire » de Robert Turner en rajoute encore (ça commence à faire beaucoup).
Suit quelque chose de relativement plus rigolo avec « Déchiffrage du manuscrit de John Dee » par David Langford, exposé de cryptographie pour les nuls ; ça passe.
… et l’on en arrive enfin (à plus de la moitié du bouquin) au texte du prétendu Necronomicon… qui se retrouve à peu de choses près réduit à l’état de livre de cuisine (!), avec quelques invocations saugrenues pour faire pas joli (dans une optique très derlethienne, d’ailleurs). Tout ça pour ça ? Décidément, ce Necronomicon va très très loin dans le foutage de gueule, à tel point qu’il en est complètement dénué d’intérêt : impossible d’y « croire » une seule seconde, et pas vraiment possible d’en rigoler non plus, malgré quelques gags épars (genre le signe de Voor, beaucoup pratiqué par les métalleux).
Suivent trois appendices, qui n’ont absolument rien à foutre là. « Le Jeune Lovecraft » de L. Sprague de Camp consiste en réminiscences (authentiques ?) d’un journaliste amateur devenu prêtre catholique. Sans intérêt. On touche cependant le fond avec « Les Rêves de noms éteints : ce qu’enseigne le sommeil » de Christopher Frayling, long texte affligeant dont la stupidité n’a d’égal que le mépris à l’encontre de Lovecraft, accumulant contre-vérités et pseudo-analyses à la mords-moi-le-nœud. Angela Carter essaye enfin de remonter le niveau (c’est pas dur, après cette horreur) avec « Le Monde de Lovecraft ou les paysages de Lovecraft », mais ça reste tout de même bien vain.
Ce prétendu « Necronomicon » est donc absolument dénué d’intérêt. On n’y croit pas, on n’en sourit guère, l’édification et la fascination n’en parlons pas… Disons-le, c’est à tous les niveaux une pure escroquerie ridicule, une grosse purge dont vous gagnerez à vous passer, qui plus est d’une lecture très pénible. J’imagine que, du coup, toutes ces tares en font un bon livre d’occultisme…