"Sade", de Benoît Jacquot
Réalisateur : Benoît Jacquot.
Année : 2000.
Pays : France.
Genre : Drame / Historique.
Durée : 100 min.
Acteurs principaux : Daniel Auteuil, Marianne Denicourt, Jeanne Balibar, Grégoire Colin, Isild Le Besco, Jean-Pierre Cassel…
Je ne prétendrai pas le contraire : en tant que vil suppot de l’Anti-France, je suis bouffé par les préjugés en ce qui concerne le cinéma français, a fortiori contemporain, et je ne dois pas avoir vu beaucoup de films français plus récents que ce Sade de Benoît Jacquot sorti en 2000 (y en a-t-il eu, d’ailleurs ?).
Sans rien connaître de l’œuvre de Benoît Jacquot, j’ai toutefois fait une exception pour ce film-ci. En effet, le thème me parlait : admirateur fasciné du marquis de Sade, et qui plus est passionné par l’histoire de la Révolution française, j’étais curieux de voir ce que cette reconstitution pouvait bien donner. Et puis, malgré mon appartenance à l’Anti-France, donc, je dois confesser que j’aime bien Daniel Auteuil, en règle générale, et que j’étais curieux de le voir endosser le rôle du divin marquis (auquel, faut-il le préciser, il ne ressemblait pas du tout : à cette période de sa vie tumultueuse, Sade, sauf erreur, était déjà obèse…).
J’ai donc vu ce film peu de temps après sa sortie, et l’ai revu régulièrement depuis ; et le verdict est resté le même à chaque fois : c’est tout à fait bien (sans être transcendant pour autant, mais ça vaut amplement le détour), et Daniel Auteuil y est à mon sens formidable (et bien secondé ici par la jeune Isild Le Besco, très convaincante ; d’autres acteurs brillent moins, hélas – je pense en particulier à Jeanne Balibar et Grégoire Colin, que je ne peux m’empêcher de trouver très mauvais…).
Nous sommes en 1794. Sade (Daniel Auteuil, donc), aristocrate athée et pornocrate dont la famille a émigré, est enfermé à la prison de Saint-Lazare. Il obtient néanmoins un passe-droit, du fait de l’intervention de sa chère Sensible (Marianne Denicourt) auprès de son amant du moment, le jacobin Fournier (Grégoire Colin) ; Sade intègre ainsi le couvent de Picpus, où il peut espérer survivre à la Terreur, en compagnie de ci-devant nobles en sursis et autres « ennemis de la République » supposés. Il y fait la rencontre de plusieurs personnages, dont on retiendra surtout la jeune et fraiche Émilie de Lancris (Isild Le Besco), sur laquelle il ne manque pas d’exercer une certaine fascination trouble.
Mais la Terreur se rapproche pourtant ; la guillotine est installée aux portes du couvent, le terrain est réquisitionné pour les charniers (notons d’ores et déjà un plan fabuleux, le plus beau du film assurément – et peut-être le plus sadien –, sur une fosse commune où s’entassent les corps nus décapités…), et Sade, incarnation de l’athéisme, fait figure de bête noire pour Robespierre, qui instaure alors son culte de l’Être suprême…
Le projet du film était assez audacieux : porter sur les écrans une partie méconnue de la biographie de Sade (et laissant dès lors libre cours à l’imagination), c’était risquer de « trahir » ce personnage ô combien fascinant, et de succomber à la caricature si tentante en la matière. Ici, si l’on excepte deux, trois grognements (et notamment la scène où Sade se fait fouetter – laquelle, cependant, aurait pu sombrer dans le ridicule, mais parvient à l’éviter sur le fil du rasoir), le rendu est ma foi plutôt bon et, si l’on excepte la question du physique du marquis déjà évoquée, le Sade interprété par Daniel Auteuil sonne vrai. Il faut dire que le film, bien écrit, est parsemé d’allusions assez finement choisies, piochées dans la biographie de l’auteur de Justine, qui peuvent paraître obscures au spectateur lambda, mais résonnent différemment auprès d’un sadien tel que votre serviteur (si j’ose employer ce terme…) : la manie des nombres, la persécution supposée de la belle-mère, le rôle au sein de la section des Piques, l’erreur sur son prénom, le théâtre et les « tableaux vivants »… Des détails, peut-être, mais qui participent de l’élaboration du personnage, d’une manière plutôt intéressante. Certes, ce n’est pas n’importe quel Sade qui nous est montré ainsi, mais bien une reconstitution « orientée » : le Sade de Daniel Auteuil, avant d’être un affreux pervers, est d’abord et avant tout un philosophe épris de liberté, farouchement athée, homme de lettres frustré… Quelqu’un de plutôt sympathique, finalement, et même attachant ; on comprend, à travers cette interprétation, non seulement la fascination bien compréhensible qu’il exerce sur la jeune Émilie de Lancris, mais aussi l’amour que lui voue Sensible…
Se posait en outre la périlleuse question de l’érotisme, voire de la pornographie, inhérente au sujet. Le film procède là encore essentiellement par allusions, plus ou moins grivoises, plus ou moins franches, jusqu’à la dangereuse mais finalement tout à fait réussie scène « d’initiation » de la pucelle, qui joue sur la manie théâtrale de Sade, et se montre très légèrement plus suggestive – juste ce qu’il faut, en fait. Assez intéressant.
On a donc ici un rendu assez « intellectualisé » de Sade, mais sans excès (on ne sombre pas dans les pénibles travers, à mon sens, du Salo de Pasolini, qui m’a beaucoup déçu), et sans oublier le charnel et le sensuel, mais là aussi de manière relativement diffuse. C’est assez fin, en somme, et c’était sans doute le meilleur traitement, le plus approprié, pour le sujet.
Au final, ce film a donc constitué pour moi une bonne surprise, et je le revois régulièrement avec un plaisir intact. Malgré ses quelques défauts, Sade est à mon sens une réussite, et c’était pas gagné d’avance…