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"Le Monde merveilleux du caca", de Terry Pratchett (abandon)

Publié le par Nébal

"Le Monde merveilleux du caca", de Terry Pratchett (abandon)

PRATCHETT (Terry) [avec le concours de Bernard & Isobel Pearson], Le Monde merveilleux du caca, [The World of Poo], traduit de l’anglais par Patrick Couton, illustré par Peter Dennis, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2012] 2013, 122 p.

 

(Abandon à la page 52.)

 

Ce titre fait peur, hein ?

 

Oui…

 

Je connais un libraire qui a persiflé quand je lui ai acheté la chose. Mais bon.

 

Terry Pratchett, enfin, plus-ou-moins Terry Pratchett, le pauvre homme étant de manière générale bien diminué et ayant en outre été assisté ici par Bernard et Isobel Pearson, entend ici faire découvrir au lecteur amateur du Disque-Monde l’œuvre singulière de Mlle Félicité Bidel. Cet écrivain jeunesse adulé par les mioches d’Ankh-Morpork et d’ailleurs, et en premier lieu le petit Sam, le fils du commissaire Vimaire, pour ses délicieux livres traitant de caca, de pipi et de crottes de nez, a fait une apparition (pas vraiment remarquée) dans le très mauvais Coup de tabac, et ce Monde merveilleux du caca a été publié en français en même temps que le susdit roman. Et il a plutôt de la gueule, on peut pas dire le contraire… Relié, abondamment illustré (par Peter Dennis), ce tout petit livre trouverait aisément sa place dans toute bibliothèque respectable, n’était son titre, son sujet et son écriture.

 

Car tout, ici, en dehors de l’aspect général du bousin, est CACA.

 

Je ne suis pas psy, et je n’ai jamais compris la fascination des gosses pour le caca. Ils n’ont semble-t-il que ce mot à la bouche (ou pipi, éventuellement), quand ce n’est pas la chose elle-même qu’ils dégustent, ces petits cons. Oh, je sais bien, je suis passé par là comme tout le monde… Mais peu importe. La veille encore du jour où j’ai entamé (et bientôt abandonné, en dépit de sa brièveté) la lecture de ce petit ouvrage, j’ai croisé un gamin qui braillait à qui voulait l’entendre que le Père Noël lui avait apporté du CACA ! DU CACA ! Ce qui m’a mis en condition, sans doute.

 

Bon, il y a avait un acte préparatoire disque-mondien, néanmoins : la lecture préalable de Coup de tabac. J’avais eu l’occasion de dire dans mon compte rendu à quel point ce roman n’était pas drôle, caractère accentué par son étonnante vulgarité, fort peu à propos, et passant notamment par la scatologie. La scatologie la plus gênante dans ce navet était celle qui intervenait en dehors de toute référence, pouvant vaguement la justifier, au petit Sam et à Mlle Félicité Bidel, certes… Mais quand même : ça m’avait saoulé.

 

On peut se demander pourquoi, hein ? C’est la nature, tout ça… Et c’est bien, semble-t-il, le propos de Mlle Félicité Bidel, et au-delà sans doute de plus-ou-moins Terry Pratchett.

 

J’avais peur, oui, mais je me suis dit qu’après la lecture de Sade. Attaquer le soleil, qui faisait étonnamment l’impasse sur le goût prononcé du marquis pour le bon caca bien chaud, cette variante sur la pire (mais non, la meilleure !) des littératures enfantines s’imposait. Et j’ai donc tenté la chose, en dépit de mes nombreuses préventions.

 

Geoffroy est un gamin (ce qui suffit, oui, à le rendre répugnant). Ce petit con va passer des vacances auprès de sa grand-mère à Ankh-Morpork. Peu de temps après son arrivée, il se fait chier dessus par un pigeon, ah ah ah c’est rigolo (on l'a encore constaté récemment quand le président de la République a subi un attentat excrémentiel lors de la digne marche républicaine en hommage à Charlie Hebdo, après tout). Geoffroy tombe alors sur un jardinier débile qui lui dit que ça porte chance, chouette alors (Hollande approuve en regardant sa cote de popularité). Et puis il a l’occasion de faire lui-même caca (je parle bien évidemment ici de Geoffroy, pas de François Hollande : un président de la République, c'est comme une jolie femme, ça ne fait JAMAIS caca), et de s’interroger sur la multiplicité de formes des cacas d’animaux (avec plein de – pénibles – notes de bas de page qui jouent la carte de la science « amusante », mettant ainsi en valeur les vertus pédagogiques supposées de l’œuvre de Mlle Félicité Bidel comme de la littérature enfantine dont elle s’inspire). Il décide alors – avec la bénédiction des adultes du coin, le jardinier débile en premier lieu (je ne crois pas que François Hollande se soit prononcé) – d’entamer une collection de tous les cacas du monde (CACA !), afin d’ouvrir un musée du caca (DU CACA !), comptant bien devenir le spécialiste disque-mondial du caca (CACAAAAAAAAAAAAA !!! C’était déjà, dans Coup de tabac, ce que faisait le petit Sam, grosso merdo, ça se répète…). Il part ainsi en quête de caca (CACA CACA CACA) dans Ankh-Morpork, rencontre par exemple un gamin qui ramasse du caca de chien (CACA DE CHIEN !) pour Henri Roi, personnage (hélas) de plus en plus récurrent du cycle et qui illustre bien cette veine scato, et je ne peux pas vous en dire plus, car j’ai lâché l’affaire très vite.

 

Je ne comprends pas, en effet, l’intérêt du machin. Je ne comprends même pas à qui, au juste, il est destiné (si ce n’est au gogo-lecteur dans mon genre, toujours prêt à débourser quand il voit écrit « Disque-Monde » quelque part). Ce n’est ni drôle ni malin ni pertinent. Et, en outre, du moins pour ce que j’en ai lu, ça ne tire absolument pas parti du Disque-Monde : désolé, mais je ne crois pas qu’il suffise d’écrire « Ankh-Morpork » ici et (encore moins) « Henri Roi » là pour faire un bouquin du Disque-Monde. Ça pourrait en fait se passer n’importe où. J’imagine qu’on pourrait y voir un atout, universalité de la sagesse pratchettienne, tout ça, mais pas moi, en l’espèce en tout cas ; j'ai trouvé que ça tenait peu ou prou de l'escroquerie.

 

Mais je l'ai pas fini, hein, donc.

 

...

 

Avant de rédiger ce compte rendu d’abandon, d'ailleurs, j’ai par curiosité malsaine parcouru quelques avis de lecteurs sur Babelio ou des trucs du genre. Les gens…

 

Les gens ont aimé.

 

Ont trouvé ça délicieux.

 

Et drôle.

 

D’aucuns disent même avoir lu ce Monde merveilleux du caca des dizaines de fois.

 

Je ne comprends pas les gens.

 

J’ai eu un peu honte d’abandonner lâchement à la page 52 seulement (c’est-à-dire tout de même près de la moitié de ce très, très court bouquin), mais n’y voyant absolument aucun intérêt, après quelques hésitations, je me suis résolu à balancer la chose (pas aux chiottes, ça rentrait pas, et puis le livre est joli). Parce que – oui, je suis bien évidemment obligé de conclure ainsi –, pour ce que j’en ai lu, Le Monde merveilleux du caca, c’est vraiment, mais alors vraiment, de la merde.

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"Sade. Attaquer le soleil", d'Annie Le Brun

Publié le par Nébal

"Sade. Attaquer le soleil", d'Annie Le Brun

LE BRUN (Annie), Sade. Attaquer le soleil, préface de Guy Cogeval, Paris, Musée d’Orsay / Gallimard, 2014, 333 p.

 

Drôle d’idée a priori, de la part du Musée d’Orsay, que de consacrer une exposition (du 14 octobre 2014 au 25 janvier 2015, dépêchez-vous) à l’œuvre du marquis de Sade, sous ce titre cinglant emprunté aux Cent Vingt Journées de Sodome : « Combien de fois, sacredieu, n'ai-je pas désiré qu'on pût attaquer le soleil, en priver l'univers, ou s'en servir pour embraser le monde ? » Idée excellente, cependant, on n’en doutera guère. Car si l’influence de Sade sur les lettres du XIXe siècle est bien documentée, quand bien même clandestine (Baudelaire, Flaubert, Huysmans, Apollinaire…), on peut sans doute aussi la déceler dans les arts graphiques, plus ou moins avouée, ou dont l’évolution témoigne en tout cas de préoccupations semblables, et en premier lieu celle, ô combien ambitieuse et centrale dans tout ce projet, de réprésenter l’irreprésentable. Car c’est bien là, sans doute, la singularité première de l’œuvre du « Divin Marquis », qui lui donne toute sa force : cette outrance, cette passion de l’excès, qui en fait un tournant définitif ; indubitablement, il y a un avant et un après Sade.

 

L’exposition permet toutefois de replacer cette œuvre dans son contexte : il ne s’agit pas seulement de rapporter l’influence directe de l’œuvre blasphématoire du Donatien dans des œuvres ultérieures, on jettera aussi un œil (et même deux) à des productions antérieures ou contemporaines. Plus ou moins artistiques, d’ailleurs – voyez toutes ces planches d’anatomie, ou ces écorchés qui ne bénéficient pas tous loin de là de l’indécente et fascinante mise en scène d’un Fragonard… Après les œuvres hagiographiques ou apocalyptiques des temps antérieurs (j’ai toujours eu un goût prononcé pour ces dernières, leur démesure et leur goût du détail…), sans doute, effectivement, peut-on dresser des parentés à l’époque troublée où vécut le marquis : les représentations grivoises les plus excessives, en cette ère révolutionnaire, connaissent un envol sans précédent, par exemple – on dépasse de très loin les libelles libertins antérieurs ; on peut citer de même cet engouement de la peinture d’alors pour la représentation de « catastrophes » ; et puis, bien sûr, il y a Goya, dont l’œuvre puissante semble émaner d’un esprit frère…

 

Peu importe, à vrai dire, que Goya ait ou non lu Sade. Et il en va de même pour certains grands noms de la peinture qui vont émerveiller le XIXe siècle ; difficile, en effet, de ne pas sentir vibrer un projet comparable dans le « grand tableau français » qu’est Le Radeau de la Méduse de Géricault (une des rares œuvres picturales à m’avoir authentiquement bouleversé, si je peux placer deux mots me concernant : quand je l’ai vu pour la première fois au Louvre, tout gamin, j’ai ressenti une fascination tenant peu ou prou du syndrome de Stendhal…). Et, quand on voit certaines œuvres de Delacroix – La Mort de Sardanapale au premier chef – on ne peut que retrouver l’ombre tenace du marquis… de même pour d’autres grands peintres d’alors, tel Ingres, ou tous ceux qui, comme Félicien Rops dans une pièce magistrale, ont joué du thème si prégnant alors, bien au-delà du seul Flaubert, de La Tentation de saint Antoine. Et quand représenter l’irreprésentable devient une préoccupation naturaliste, avec toute sa charge de provocation, on ne peut que penser à L’Origine du monde de Courbet…

 

Si le XIXe siècle pictural louvoie autour de Sade sans pour autant, le plus souvent du moins, afficher clairement cette influence définitive, il n’en va pas de même du XXe. Après Apollinaire, les surréalistes, notamment, ont revendiqué Sade comme un des leurs, et l’influence ouverte s’est révélée encore au-delà. Et on trouve, dans cette production plus moderne, bien des merveilles également, où dominent peut-être cependant, à mes yeux naïfs en tout cas, les noms de Man Ray (que je connais mal, mais qui me saisit à chaque fois d’une manière impressionnante) ou encore Marcel Duchamp.

 

Je ne vous le cacherai pas – et sans doute les lignes qui précèdent en témoignent-elles déjà… –, je suis une pine en histoire de l’art. Je ne suis que rarement enthousiasmé par les arts picturaux, et, surtout, je n’y connais à peu près rien… ce qui ne me facilite pas exactement la tâche ici. Mais peu importe : ce catalogue grandiose fascine à tout bout de champ, et, si je ne peux pas prétendre accrocher à tout ce qui y figure, l’impression d’ensemble est favorable, c’est rien de le dire, même pour un béotien dans mon genre.

 

Prévenons toutefois les âmes sensibles et chastes, même s’il n’y a bien entendu pas lieu de s’en étonner : l’ambition affichée de représenter l’irreprésentable, ce goût de l’infini du désir, le matérialisme outrancier du marquis, ne peuvent que déboucher sur la pornographie, même si l’ensemble ne force pas le trait à cet égard. Phallus géants et vulves béantes abondent dans ces pages, frémissant d’excitation à l’union sauvage des corps, quand bien même magnifiée par l’art (pas toujours, ceci dit…). La violence ne manque pas non plus à l’appel, même si elle est sans doute le plus souvent moins démesurée que sous la plume de Sade, en dehors de quelques épouvantables et sublimes scènes de cannibalisme, ou plus encore de martyres témoignant d’un goût délicieusement pervers de la souffrance et de l’atroce.

 

Et puis il y a cette impression définitive de liberté. A-t-on finalement connu œuvre plus libre que celle de cet homme qui a passé la majeure partie de sa vie enfermé, dans les geôles et les asiles de trois régimes successifs ? Sade a toujours été libre. Trop libre pour beaucoup… « Ce n’est point ma façon de penser qui a fait mon malheur, c’est celle des autres », sentence célèbre que reprend la quatrième de couverture. C’est aussi – surtout ? – cela que l’on peut révérer chez Sade, et chez les artistes qui l’ont suivi, qu’ils s’en revendiquent expressément ou non : l’art, sous leur plume ou leur pinceau, refusera toute limite ; il osera balayer toutes les barrières imposées par la « décence », le « bon goût »… et la foi. Je ne vais pas prétendre le contraire : au vu des événements de ces derniers jours, cette idée de « représenter l’irreprésentable », a fortiori dans l’optique blasphématoire, vigoureusement matérialiste et athée du marquis, résonne douloureusement… De même le blâme des idées ou de leur expression, qu’il soit religieux ou républicain d’ailleurs. Et l’on se prend dès lors à rêver de cette cellule de la Bastille où Sade a rédigé Les Cent Vingt Journées de Sodome, et des cachots de Silling qui lui répondent, et à voir dans ces souterrains gothiques à la manière du « roman noir » d’alors l’expression la plus souveraine, tranchante et définitive d’un désir de liberté que les murs comme les condamnations ne sauraient réprimer.

 

Tout cela, Annie Le Brun, grande spécialiste de Sade (j’avoue, honte sur moi, ne pas avoir lu ses autres essais, pourtant essentiels…), l’exprime bien mieux que moi de sa plume subtile. Entre histoire des lettres, histoire de l’art et philosophie, son exposé vibrant d’enthousiasme comme d’érudition, toujours juste et pertinent, saisit le lecteur et l’emporte avec une adresse à la hauteur des magistrales représentations qui ornent les pages de ce beau livre.

 

Je ne suis guère amateur de livres d’art en temps normal, mais ce Sade. Attaquer le soleil m’a amplement convaincu. Superbe et juste de bout en bout, il a quelque chose de plus que jamais salutaire.

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"Coup de tabac", de Terry Pratchett

Publié le par Nébal

"Coup de tabac", de Terry Pratchett

PRATCHETT (Terry), Coup de tabac, [Snuff], traduit de l’anglais par Patrick Couton, Nantes, L’Atalante, coll. La Dentelle du cygne, [2011] 2012, 478 p.

 

On retourne donc aux romans des « Annales du Disque-Monde » avec ce Coup de tabac qui s’inscrit dans le cycle intérieur du Guet. Les personnages récurrents du Guet des Orfèvres ne sont pas mes préférés des « Annales » (je crois que j’ai un faible pour les sorcières de Lancre), mais j’aime généralement bien retrouver la route du commissaire Vimaire et de ses agents, même (surtout ?) Chicard Chique.

 

Mais, dans ce volume-ci, on ne va guère arpenter les rues nauséabondes d’Ankh-Morpork. En effet, Vimaire y est contraint par sa fascinante épouse dame Sybil Ramkin (avec peut-être un coup de pouce du Patricien Vétérini) à faire une chose parfaitement ignoble : prendre des vacances à la campagne. Le duc d’Ankh-Morpork se rend donc dans l’arrière-pays, dans la propriété des Ramkin, pour y jouer bien malgré lui au hobereau, avec sa femme et leur fils le petit Sam, obsédé comme de juste par le caca, obsession qui se trouve renforcée par la rencontre de l’auteur jeunesse mademoiselle Félicité Bidel (voir Le Monde merveilleux du caca, que je lis prochainement, et j’en ai des frissons d’appréhension…).

 

C’est horrible, la campagne. Pire que la ville. Et les gens y adoptent des comportements déconcertants, des roturiers confits d’admiration pour leurs bons maîtres aux infects nobliaux des environs, qui ne cessent de donner des bals pour tenter désespérément de marier leurs filles ingénues. Vimaire, bien évidemment, supporte très mal tout cela, lui qui n’est un aristo que bien malgré lui. Et il ne rêve que d’une chose : que du boulot lui tombe dessus, tant qu’à faire en provenance d’Ankh-Morpork histoire d’écourter ses congés.

 

Mais la campagne aussi connaît son lot de crimes. Les gens d’ici ont bien des choses à cacher, et certains puent la culpabilité. Assisté par son valet plein de ressources Villequin, Vimaire va ainsi soulever un lièvre, une sombre histoire impliquant des gobelins, ces méprisables vermines qui passent leur temps à voler les poules et à manger leurs propres enfants, rendez-vous compte ma bonne dame. Et on n’apprécie guère de voir Vimaire remuer ainsi la merde ; à tel point que quand le forgeron Jethro disparaît, dont on savait qu’il avait une dent contre les aristos en général et le duc d’Ankh-Morpork en particulier, on s’empresse de saisir l’occasion de mettre le commissaire en état d’arrestation… Enfin, d’essayer, du moins.

 

Coup de tabac est donc une sorte de polar rural qui fait intervenir une thématique chère à l’auteur, et déjà abondamment traitée dans des volumes précédents : le racisme. Cette fois, il porte donc sur les gobelins, ces étranges petites créatures barbares en apparence, mais peut-être pas tant que ça au fond, forcément. Pratchett avait déjà donné (avec les nains, les trolls, etc.), et se répète du coup un poil ici, même si les chapitres faisant intervenir les gobelins figurent parmi les meilleurs de Coup de tabac.

 

Ou les moins mauvais… En effet, n’y allons pas par quatre chemins, ce trente-quatrième (!) livre des « Annales du Disque-Monde » est probablement le moins bon (pour rester poli) qu’il m’a été donné de lire jusqu’à présent. Outre que Pratchett se répète, deux choses essentiellement m’ont gêné dans cet épisode raté.

 

Tout d’abord, l’humour. C’est quand même un trait fondamental du cycle de « fantasy burlesque », même si on aurait bien tort de le limiter à cela. L’humour n’a jusqu’à présent jamais empêché Terry Pratchett de parler de choses sérieuses, et il l’a parfois fort bien fait (le meilleur exemple étant probablement à mon sens l’excellent Les Petits Dieux, mon volume préféré des « Annales », aussi drôle qu’adroit et intelligent). Il a pu le mettre parfois un peu de côté, sans le remiser totalement. Mais ici, ça ne marche tout simplement pas… Or on sent que Pratchett a voulu être drôle dans Coup de tabac : simplement, ça tombe systématiquement à plat. Il y a des gags (des pseudo-gags…) à la pelle, mais ils ne font pas rire, pas même sourire, jamais (le pompon, c'est sans doute les notes de bas de page, toutes plus inutiles les unes que les autres). C’en est même assez désespérant. C’est du Pratchett tellement mauvais qu’on a l’impression d’un auteur à bout de souffle contraint à se parodier lui-même, et qui ne parvient plus à livrer qu’un pâle ersatz de ce qu’il avait si bien réussi auparavant, à peine digne des tâcherons qui se réclament de lui, généralement encore moins drôles qu’une blague Carambar. On ne rit pas, non ; et on s’inquiète même pour la suite des opérations, craignant que Pratchett ait perdu une fois pour toutes son talent… Le pire étant probablement que, pour tenter vainement de faire rire, Pratchett a régulièrement recours ici à des artifices qui me paraissent peu dignes des « Annales », en tout cas sous cette forme : la scatologie (pas seulement dans les passages consacrés au Petit Sam et à Félicité Bidel, d’ailleurs ; à vrai dire, Pratchett en use peu ou prou dès la première page, consacrée aux rites des gobelins…) et la grivoiserie beauf, qui donnent une impression de bien triste grossièreté à laquelle l’auteur ne nous avait guère habitué jusqu’à présent…

 

Et puis le roman est tout simplement mal conçu. Il tire atrocement à la ligne pendant un bon moment (il faut attendre près de la moitié du livre avant que la trame ne se mette véritablement en place, et c’est un calvaire que d’arriver jusque-là), use d’expédients faciles et de procédés éculés dès lors, avant de s’achever dans la précipitation, Pratchett ayant atteint et même sans doute dépassé son quota de signes. La fin est ainsi parfaitement bâclée, tandis que ce qui précède, à force de gags pas drôles et de péripéties inutiles ou téléphonées, plonge le lecteur fan dans l’embarras. À ce titre, les scènes qui s’éloignent de Vimaire, notamment pour revenir à Ankh-Morpork en coup de vent, sont généralement assez éloquentes, et pour le moins calamiteuses en plus d’être gratuites. De tout ce désastre, je ne sauve qu’un bref chapitre (en hors-champ, pourtant) sur les ruminations d’un ancien colonel de dragons quant à la noblesse rurale : c’est là, et seulement là, que l’on retrouve le vrai bon Pratchett. Quatre ou cinq pages sur près de 480…

 

N’ayons pas peur des mots : Coup de tabac est affligeant. Le plus mauvais tome des « Annales » à ce jour, raté de bout en bout. J’ai plus d’une fois hésité à l’abandonner en cours de route, ne poursuivant que par un automatisme gêné de petit fan à la peine… J’espère que Déraillé (un roman qui se situe dans l’optique plus « moderniste » du Disque-Monde, que j’ai plutôt appréciée jusqu’à présent) saura relever le niveau ; sinon, je pourrais bien être contraint d’arrêter les frais avec cette série, qui m’a pourtant procuré tant d’heures de lecture enthousiaste…

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