A Storm of Swords, de George R.R. Martin
MARTIN (George R.R.), A Storm of Swords, New York, Bantam Books, coll. Fantasy, [2000, 2005] 2011, 1177 p.
Enfin terminé A Storm of Swords ! Ce troisième tome de « A Song of Ice and Fire » (« Le Trône de fer » si vous préférez) était encore plus gros que les précédents, toujours plus gros… Ce qui explique pour une bonne part le ralentissement dans mes chroniques littéraires, qui peut donner l’impression d’une surconsommation de jeu de rôle (et le fait que je lise en parallèle le très volumineux également Sous le vent du monde de Pierre Pelot n’arrange certes pas les choses) ; alors que non, en fait : je lis toujours autant, c’est juste sur la fréquence des chroniques que cela joue…
N’empêche que voilà : c’est long. C’est bon, hein, mais c’est long. Mais c’est bon. Mais c’est long… Pas l’habitude, moi…
Cela dit, je n’ai guère résisté avant de me lancer dans cette lecture monumentale, tant A Game of Thrones (surtout) et (un tout petit peu moins) A Clash of Kings m’avaient convaincu. Et puis j’avais de bons échos, voire très bons, à propos de ce A Storm of Swords qu’on m’assurait être meilleur que le précédent (au moins)… Et, après lecture, oui, c’est probablement le cas.
Pourtant, j’avoue avoir un tout petit peu peiné au début : j’avais l’impression que le roman se traînait vaguement, jouant donc la carte de la longueur et de la lenteur (relatives, hein) à plus ou moins bon escient… Mais cette impression a fini par être balayée, la suite étant bien plus enthousiasmante : la deuxième moitié est bien meilleure que la première, à n’en pas douter, et le dernier quart (en gros) est encore au-dessus…
Comme toujours, parler du contenu exact de ce tome s’avère délicat : il y a tant de choses… et tant de risques de vilains SPOILERS, comme on dit, of course (je ne vais pas me gêner, vous êtes prévenus). Encore que l’arrivée de la série télé Game of Thrones a pas mal changé la donne en la matière, même si je ne saurais trop dire dans quel sens… Ainsi de l’épisode essentiel des « noces pourpres » (ou « noces rouges », ça dépend de la traduction, je suppose), qui en a semble-t-il bouleversé plus d’un lors de sa diffusion, et qui constitue bien un épisode essentiel (peut-être le plus important, mais finalement je n’en suis pas si sûr) de A Storm of Swords.
On touche là au cœur des thèmes développés dans ce troisième tome, il faut dire. Malgré son titre martial faisant directement écho aux mouvements de troupes et aux affrontements sanglants de A Clash of Kings, A Storm of Swords ne raconte finalement que peu de batailles (avec deux exceptions notables, il est vrai, mais qui se jouent un peu en périphérie : d’une part les péripéties de Daenerys Targaryen, toujours aussi charismatique, au-delà de la mer – la reine aux dragons se la joue Spartacus dans la Baie des Esclaves, et c’est tout à fait réjouissant ; d’autre part les événements cruciaux qui se situent sur le Mur et au-delà, avec en têtes d’affiche Jon Snow – qui « ne sait rien », donc – mais aussi le grassouillet Samwell Tarly – la scène de la fuite du « Poing des Premiers Hommes », surtout, mais aussi celle du refuge de Craster, sont vraiment remarquables).
Les Sept Royaumes sont certes toujours plongés dans une guerre effroyable, mais, là où l’on voyait auparavant bouger des armées entières prêtes à s’entretuer, le roman semble cette fois privilégier les déplacements de petits groupes, qui, régulièrement, en viennent à se croiser… mais sans en avoir conscience, ce qui est souvent d’une cruelle ironie. Le plus attachant et improbable de ces petits groupes est probablement celui constitué pour l’essentiel par Jaime Lannister, le fameux « tueur de roi », et sa gardienne virile Brienne de Tarth ; mais on pourrait aussi évoquer Arya Sark et le « Limier » (ou « Chien » ?) ; ou encore Bran et ses mangeurs de grenouilles ; Sansa, à son tour… et bien d’autres encore.
Mais le thème fondamental de A Storm of Swords est ailleurs. Car la politique (et la guerre, qui n’est jamais comme vous le savez que la continuation de la politique par d’autres moyens) ne repose pas toujours sur les épées, ou pas seulement ; afin de souder des alliances, parfois improbables, en vue d’une bien hypothétique encore victoire définitive, les différentes maisons, dans A Storm of Swords, multiplient… les mariages. On a l’impression, à lire ce troisième tome, que tout le monde ou presque s’y marie : les « noces pourpres », pour être essentielles et particulièrement célèbres, sont loin d’être les seules… et elles se passent mal, assurément, mais c’est aussi le cas de la plupart des autres. Certes, ce bain de sang lors d’une alliance supposée entre les Tully et les Frey – conséquence de l’incompréhensible mariage antérieur de Robb Stark, d’ailleurs – sort un peu de l’ordinaire, mais on souffre tout autant, psychologiquement du moins, au mariage imposé de Tyrion Lannister (toujours mon chouchou, plus que jamais en bute à la haine et au mépris injustifiables des crétins qui l’entourent, et notamment dans sa propre famille) avec Sansa Stark… Et on ne peut pas prétendre que le mariage de cet ignoble petit con de Joffrey Baratheon avec la malchanceuse Margaery Tyrell se passe très bien (encore que…). Quant aux conséquences ultimes du mariage de Petyr « Littlefinger » avec la guedin Lysa Arryn, en fin de volume, on n’ose encore les imaginer. L’ombre indécise du remariage porte sur certains personnages, de même, telles cette enflure de Cersei (Jaime aimerait bien proclamer leur lien unique au grand jour, mais le patriarche Lannister a d’autres intentions)… ou Daenerys Targaryen, en proie au culot de parvenus. Et même Jon Snow et Samwell Tarly, qui ne peuvent pas se marier, ayant rejoint la Garde de Nuit, sont amenés à se poser des questions à cet égard. Et il y en a encore d’autres…
Tout ceci, comme d’habitude, nous est narré avec un brio certain. Il y a quelques astuces formelles qui attirent l’attention, il est vrai : je n’ai pu m’empêcher de remarquer, à la lecture de ce troisième tome, l’importance que commencent à prendre les chansons (ce n’est certes pas de l’elfique élégant à la Tolkien, on fait plutôt dans la romance courtoise forcément couillonne et la gaudriole bien grasse et autrement sincère, mais il y a une certaine ironie bien vue dans leur emploi). Il y a, surtout, des dialogues remarquables : George R.R. Martin sait faire parler ses personnages, décidément, et il n’est jamais aussi bon qu’avec les plus spirituels et sarcastiques d’entre eux, donc – ce qui vaut notamment, bien sûr, pour Tyrion Lannister, mais aussi (une nouveauté, on s’attache en effet maintenant au point de vue de ce personnage hors-normes) pour son frère Jaime, que l’on apprend à découvrir, et qui se révèle (forcément ?) plus subtil et complexe que ce que l’on pouvait croire jusqu’alors ; j’ai particulièrement apprécié, à cet égard, la scène où Jaime reprend en main la garde royale…
Mais d’autres scènes marquent très fortement, notamment donc dans la deuxième moitié du roman : il y a des scènes de noces, certes, mais aussi, par exemple, le procès de Tyrion, avec son très beau duel judiciaire – on est ici entre la subtilité des joutes verbales et l’action menée de main de maître, c’est vraiment bon ; côté action, on est bien servi sur le Mur, par ailleurs… et le Mur lui-même est au cœur de tractations politiques qui ne laissent pas indifférent.
Et ces personnages sont toujours aussi forts, qu’ils se montrent attachants ou répugnants. À cet égard, je ne peux m’empêcher de remarquer à quel point je me fais joyeusement manipuler par le conteur, qui sait comment susciter l’indignation chez le lecteur, qui souffre avec ses « héros » (les guillemets s’imposent régulièrement, et c’est ça qu’est bon) de la méchanceté, de la haine et de la violence que leur infligent leurs adversaires… qui sont tout aussi souvent leurs proches.
Au final, j’ai donc trouvé ce troisième tome un brin bancal, peut-être un peu lent à démarrer, mais vraiment brillant dans, disons, sa deuxième moitié, ce qui rattrape bien des défauts. Je ne tarderai pas trop à me lancer dans le tome suivant, A Feast for Crows… même si on me l’a à peu près systématiquement décrit comme moins bon. On verra bien (mais j’avoue que l’épilogue de A Storm of Swords constitue à cet égard une inquiétante fausse note, tranchant sur la qualité globale de ce qui précède, qui ne me rassure pas pour la suite…).