Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

L'Empereur-Dieu de Dune, de Frank Herbert

Publié le par Nébal

L'Empereur-Dieu de Dune, de Frank Herbert

HERBERT (Frank), L’Empereur-Dieu de Dune, [God Emperor of Dune], traduit de l’américain par Guy Abadia, Paris, Robert Laffont – Presses Pocket, coll. Science-fiction, [1981-1982] 1987, 600 p.

 

Ainsi que j’avais déjà eu l’occasion de le dire, j’ai lu une première fois le « cycle de Dune » tout gamin – ça a été mon premier vrai contact avec la science-fiction littéraire, à bien des égards. Mais c’était bien trop tôt, sans doute : passé le cultissime roman original, dont le contenu aventureux pouvait me parler sans que je perçoive bien pour autant tout ce qui le sous-tend (et fait probablement son véritable intérêt), j’étais passablement largué par le contenu mystique (beuh) et philosophique des tomes suivants – qui ne m’ont du coup pas forcément laissé beaucoup de souvenirs, si ce n’est celui d’avoir bien ramé à l’occasion (notamment sur Les Hérétiques de Dune), même si j’ai poursuivi la lecture jusqu’à son terme, PARCE QUE.

 

Je me souvenais cependant qu’un volume dans l’ensemble m’avait fait une forte impression, et ce quand bien même je passais sans doute largement à côté de son propos, du moins dans ses dimensions les plus complexes – et j’en j’avais pleinement conscience. Ce volume était le quatrième roman, L’Empereur-Dieu de Dune, que j’en suis venu à idéaliser et à proclamer meilleur volet du cycle dans sa globalité.

 

À l’époque, découvrant un peu au pif la SF littéraire, je n’avais probablement aucune idée de ce que la notion de « sense of wonder » pouvait recouvrir – je n’en entendrais parler que bien plus tard. J’ai été d’autant plus stupéfait de voir qu’un livre était capable de faire ça. En fait, il y avait sans doute un aspect préparatoire, dans Dune à proprement parler : au-delà de la majesté improbable des long-courriers de la Guilde, illustration classique du procédé, l’idée d’un Imperium de 10 000 ans, selon un calendrier sans doute bien postérieur à celui de l’ère chrétienne, me remuait déjà délicieusement l’estomac. Mais L’Empereur-Dieu de Dune poussait cet effet encore plus loin : l’image de Leto Atréides II, l’hybride improbable entre l’humain qu’il avait été (peut-être, c’était quand même une « Abomination » dès le départ…) et un colossal ver des sables (là aussi, bébête si inconcevablement énorme qu’elle participe de l’effet « sense of wonder » basique), m’a pas mal chamboulé ; mais plus encore, sans doute, l’idée que ce monstre régnait sur l’Empire galactique depuis plus de 3500 ans ! Inévitablement, je rapportais cette durée invraisemblable à l’histoire de la Terre, et l’idée d’un unique dirigeant d’un unique empire, dont le règne aurait commencé avant même l’époque d’un Ramsès II pour se poursuivre jusqu’à nos jours, me laissait totalement pantois. J’avais oublié, pourtant, que l’effet était en fait redoublé dans le roman de Frank Herbert, puisque le récit emprunte à l’occasion la voie de commentaires émis par des « archéologues » retrouvant les « Mémoires volés » de l’Empereur-Dieu quelques milliers d’années plus tard encore ! Cet abîme dans lequel le futur inconcevablement lointain se transforme en un passé tout aussi éloigné m’impressionne toujours, je suis bon public à cet égard. Dingue, l’effet que l’on peut produire avec quelques nombres, hein ? Même s’il vaut toujours mieux, bien sûr, au risque sinon d’amoindrir l’effet voire de l’anéantir, les enrober d’un propos solide et d’images fortes – ce dont ne manque pas ce quatrième roman, heureusement… du moins au début.

 

Ces « Mémoires » fournissent la plupart des exergues habituelles du roman (et sont souvent assez pénibles, comme d’habitude, mais j’aurai l’occasion d’y revenir), et c’est à bien des égards leur vol, justement, qui ouvre ce quatrième tome. Une scène qui m’avait d’ailleurs considérablement marqué, elle aussi : plus de vingt ans après ma première lecture, je me souvenais encore de ces rebelles courant désespérément, les loups du tyran à leurs trousses, et je me souvenais aussi de leur chef, la vindicative Siona – et je me souvenais aussi, peut-être pas qu’elle était elle aussi une Atréides, mais du moins que sa rébellion était dans un sens conçue et orchestrée par le despote même qu’elle était supposée abattre…

 

L’idée est donc présente dès le départ, et je ne révèle rien ici : une bonne part de L’Empereur-Dieu de Dune est consacrée au jeu pervers que le tyran Leto entretient avec son opposition. Siona, la fille de Moneo, son domestique le plus dévoué (un ancien rebelle lui aussi…), en est d’emblée une illustration flagrante. Une autre rivalise cependant en charisme, voire la dépasse, et c’est Duncan Idaho – ou plutôt les Duncan Idaho, puisqu’il s’agit de « gholas », plus ou moins l’équivalent dunien des morts-vivants, des anachronismes conçus dans leurs mystérieuses cuves par les scientifiques impies du Bene Tleilax, à partir des reliquats génétiques du fameux agent des Atréides, mort dans Dune, mais « ressuscité » ainsi dès le volume suivant, Le Messie de Dune ; ces Duncan, invariablement ou presque, semblent à un moment ou à un autre devoir se rebeller contre l’Empereur-Dieu – qui les tue, et attend brièvement que le Bene Tleilax lui en procure un autre en remplacement, bien conscient pourtant que ce « cadeau » ritualisé tient du piège visant en définitive à la destruction du despote.

 

Il faut dire que les pouvoirs traditionnels de l’Imperium ont presque tous été réduits à néant, en dehors bien sûr du trône galactique sur Arrakis – qui n’est plus Dune : la planète n’a plus rien de désertique, en dehors du seul Sareer qu’entretient le tyran pour son édification et celle de ses « disciples » choisis ; l’écosystème chamboulé a entraîné la disparition des vers des sables, et donc de la production d’épice, même si Leto, lui-même en partie ver, monnaye ses réserves à des prix considérables, un instrument d’asservissement parmi tant d’autres. Le Landsraad, les Maisons nobles, la CHOM, ne jouent peu ou prou plus aucun rôle ; le Bene Gesserit, qu’on redoutait tant jusque-là, n’est lui aussi plus que l’ombre de lui-même, et mendie son mélange comme les autres – comme notamment la Guilde Spatiale, qu’on pensait inamovible et toute-puissante, mais qui a dû elle aussi accepter sa réduction à un rôle de larbin ! Leto entretient donc toujours des liens ambigus avec le Bene Tleilax – avec Ix, aussi… Mais tous sont donc en position d’infériorité – ce qui n’exclut pas pour autant des complots : on a déjà évoqué le rôle du Bene Tleilax via ses gholas (mais aussi ses Danseurs-Visages, qui interviennent violemment à plusieurs reprises dans le roman), mais Ix procède d’une manière assez comparable, quoique probablement plus redoutable, en fournissant ici à Leto une ambassadrice façon femme-piège, Hwi Noree, conçue pour séduire le despote… et le conduire à sa perte. Là encore, pourtant, un « cadeau » que l’Empereur-Dieu accepte bien volontiers – au point, dans une illusion de son humanité passée (ou pas ?), de succomber (ou prétendre succomber ?) au caprice de l’amour, lui, le dieu asexué…

 

Mais tout cela fait partie d’un plan, tout cela renvoie au Sentier d’Or qui obnubile Leto, et qui est censé, à terme, sauver l’humanité d’elle-même. Leto, en être divin, est omniscient : ses mémoires ancestrales, remontant à des millénaires, lui procurent une connaissance parfaite du passé ; sa prescience, due à l’épice, lui fournit des aperçus catégoriques de l’avenir – il entend donc conduire l’humanité à sa possible survie, en décidant pour elle de ce qui doit être. Le Sentier d’Or, inflexible, et constitué, selon le schéma dunien classique, de plans dans des plans, intervient à chaque réplique, à chaque décision du tyran. Il semble tout justifier – des chamboulements à l’aube de son règne à ceux qui ne manqueront pas de survenir quand l’immortel Leto mourra, en passant par la stagnation qu’impose sa si longue dictature : le roman, ainsi, évoque avec la figure de Leto tant le progressisme le plus radical que le conservatisme le plus veule – mais pas tant que ça la tentation réactionnaire, plutôt moquée ai-je l’impression ? Ou du moins représentée comme l’imposture qu’elle est par nature – ainsi avec les pathétiques « Fremen de musée » qui ont succédé aux vigoureux et impitoyables guerriers du Jihad de Muad’Dib, une caricature presque douloureuse, quand bien même les zélotes du désert avaient quelque chose de malsain en définitive…

 

C’est que le Sentier d’Or est une leçon – et Leto, avec tous ses interlocuteurs, joue inévitablement au professeur. Ce qui, disons-le, le rend bien vite insupportable : l’arrogance du Dieu vivant est infecte, et ses enseignements cryptiques agacent toujours un peu plus à chaque nouvelle démonstration de pseudo-sagesse. En fait, c’est ici que pèche tristement L’Empereur-Dieu de Dune, à mes yeux en tout cas : on y retrouve bien trop souvent, même si avec un peu plus de pondération que dans le très lourd Les Enfants de Dune, ces envolées de mystique à dix balles, koan et aphorismes cryptiques qui s’affichent profonds mais sont loin de toujours l’être ; la mystique, heureusement, est compensée à l’occasion par des développements touchant davantage à la philosophie, surtout politique – ce qui me parle bien plus, aujourd’hui en tout cas : lors de ma première lecture, j’avais bien perçu cette dimension, et m’en souvenais, mais je n’avais sans doute absolument rien panné à tout ce qui était ici avancé… La religion est plus que jamais un thème essentiel, bien sûr – directement lié au thème politique, les deux sont fortement intriqués : Leto affirme sans cesse sa divinité tout en critiquant violemment les conséquences induites nécessairement par la foi… On notera aussi les nombreux éléments avancés sur les questions de « genre », disons – via notamment les Truitesses de Leto, sa garde personnelle uniquement féminine –, qui ne font cependant, à leur manière, que confirmer le caractère « sexiste » de l’univers dunien (au sens où les hommes comme les femmes ont des rôles et attributions déterminés par leur sexe et dès lors indépassables, le renversement censément induit par les Truitesses appuyant paradoxalement ce fait, au travers des justifications qu’entend y donner Leto à ceux qui ne manquent pas de l’interroger à ce sujet, Duncan Idaho au premier chef – le vieux mâle est leur commandant… Au cas où, je n’accuse pas l’auteur de sexisme, pas plus que je n’entends critiquer le procédé dont il fait usage dans ce cycle par principe – il fait globalement sens, mais aboutit donc trop souvent ici à quelques moments agaçants).

 

Bon. Que Leto soit insupportable, c’est sans doute dans l’ordre des choses : le gniard infect des Enfants de Dune, même au bout de 3500 ans de règne, reste à bien des égards le petit con qu’il était alors. Ce qui nous vaut, hélas, quelques chapitres franchement soulants – qu’ils aient leur raison d’être n’y change en définitive rien, là encore. C’est d’autant plus regrettable que le début du roman – disons les 150 ou 200 premières pages – est vraiment brillant, peut-être même au point de figurer parmi les meilleures pages de la littérature de science-fiction dont je me souvienne (et, oui, bien au-dessus de Dune lui-même). Tout n’est certes pas mauvais par la suite, il y a même de très bons moments (y compris lors de la fin, très prévisible donc, mais qui fonctionne). Mais ces dialogues pseudo-philosophiques interminables (enfin, dialogues… ça pue la prétention maïeutique, hein, seul le simili-sage s’exprime vraiment, au fond, les autres se contentant d’acquiescer ou de faire part de leur incompréhension bien légitime) peuvent susciter une déplorable réaction d’écœurement, voire de rejet. Ce qui est vraiment dommage, pour le coup…

 

L’Empereur-Dieu de Dune n’est donc pas le roman absolument génial dont je croyais me souvenir, non… Il ne tient en définitive pas vraiment les promesses ô combien séduisantes des premiers chapitres, et, si son propos global ne manque pas d’intérêt, quelques écueils propres au cycle – la mystique soulante et l’arrogance qui va de pair, pour l’essentiel – viennent hélas nuire à la qualité globale du roman. Il reste fascinant à bien des égards – monstrueux comme son personnage central –, et, s’il est une leçon que l’on devrait en retenir, bien plus que les soi-disant perles de sagesse dont nous bombarde péniblement le vrai despote faussement éclairé, c’est celle de cette science-fiction ambitieuse et démesurée qui, en usant habilement d’ingrédients divers, pouvant donner une illusion de simplicité quand ils s’avèrent au fond si complexes d’emploi, parvient à tétaniser le lecteur, à l’amener à succomber volontairement à un délicieux vertige. Dommage…

 

Restent deux tomes, Les Hérétiques de Dune et La Maison des Mères – qui, sauf erreur, se déroulent bien plus tard, et n’ont somme toute pas forcément grand-chose à voir avec les quatre premiers romans du « cycle de Dune ». Pour le coup, je ne suis pas certain d’avoir envie de les relire… Bon, on verra, plus tard, peut-être…

Voir les commentaires

CR Imperium : la Maison Ptolémée (06)

Publié le par Nébal

(Illustration de Khelren.)

(Illustration de Khelren.)

Sixième séance de la chronique d’Imperium.

 

Vous trouverez les éléments concernant la Maison Ptolémée ici, et le compte rendu de la première séance .

 

(Tous les joueurs étaient présents, et incarnaient les personnages suivants : le jeune siridar-baron Ipuwer, sa sœur aînée Németh, le Conseiller Mentat Hanibast Set, l’Assassin – Maître sous couverture de Troubadour – Bermyl, ainsi que le Docteur Suk, Vat Aills.)

 

Németh et Vat se rendent sur Khepri, une des deux lunes de Gebnout IV, qui est louée à la Guilde Spatiale, ainsi que convenu. La courtoisie leur impose de se présenter tout d’abord devant Iapetus Baris, le Navigateur représentant la Guilde sur le marché-franc – il n’a plus rien d’humain, et se montre par ailleurs assez hautain, à son habitude. Il balaie bien vite les formules de politesse et autres questions d’étiquette avancées par Németh pour lui demander d’en venir au fait – il dit être au courant de ce qui préoccupe présentement la Maison Ptolémée. Németh change donc de méthode, et évoque clairement le Bene Tleilax, suspecté d’avoir joué un rôle dans l’agitation sur Gebnout IV, et demande au Navigateur s’il sait quoi que ce soit à ce sujet. Iapetus Baris, après avoir rappelé qu’il n’entend pas se mêler de la politique intérieure de Gebnout IV, se braque quelque peu, et lui demande s’il s’agit d’une accusation… Németh s’en défend, mais, en tournant encore autour des implications de la venue du Bene Tleilax sur Gebnout IV, elle évoque à demi-mots la connaissance éventuelle de ce fait par la Guilde, et les graves conséquences que ce fait pourrait entraîner, ce qui plaît encore moins à Iapetus Baris : « Ce n’est donc pas une accusation, mais une menace ! » Németh s’en défend à nouveau, et le Navigateur semble accepter ses « excuses » et se calmer. Elle continue cependant d’évoquer le Bene Tleilax, en rapport notamment avec son infiltration supposée à l’Université de Memnon, mais aussi quant aux rumeurs évoquant le retour de défunts – dont le précédent siridar-baron Namerta. Iapetus Baris se montre plutôt sceptique : pour lui, le Bene Tleilax est une sorte de croquemitaine, que l’on accuse quand on ne sait pas qui accuser… Il veut bien cependant se pencher sur les dossiers de la Guilde pour enquêter sur cette possibilité, mais en prenant bien garde de ne pas révéler les secrets de ses clients – et en se concentrant sur Khepri, non sur Gebnout IV. Németh demande alors à Vat d’intervenir ; le Docteur Suk demande au Navigateur la permission de mener son enquête sur Khepri – il la lui accorde –, mais aussi s’il a quelques noms à suggérer, des pistes éventuelles : là encore, Iapetus Baris met en avant le secret des transactions commerciales sur le marché-franc, et n’entend pas compromettre ses clients. En quittant leur hôte, Németh et Vat essayent de tirer des conclusions de cette rencontre houleuse ; tous deux pensent que Iapetus Baris est sincère quand il se montre sceptique à l’égard de l’implication réelle du Bene Tleilax (même si, par nature, il est impossible d’analyser son langage corporel comme on le ferait pour un humain lambda…), mais n’excluent pas la possibilité qu’il en sache en fait davantage qu’il n’a bien voulu le dire – sans aller nécessairement jusqu’à l’impliquer dans une « manipulation », possibilité qu’on ne peut cependant totalement écarter. Vat entend chercher Druhr sur la lune, à tout hasard, mais, pour Németh, la priorité est de s’entretenir avec Ra-en-ka Soris, le dirigeant de la Maison mineure spécialisée dans la contrebande de haute technologie, qui fait office d’interface entre les Ptolémée et la Guilde sur le marché-franc.

 

Bermyl hésite quelque peu sur la suite des opérations. Hanibast rentre à Cair-el-Muluk, mais l’Assassin entend régler quelques détails à Memnon avant de partir. Il aimerait se rendre à Nar-el-Abid, s’occuper lui-même de la Maison mineure Arat, au sein de laquelle il a infiltré son agent Taho – il leur est par ailleurs impossible de s’entretenir dans l’immédiat, du fait de la paranoïa habituelle de la secte de zélotes (Taho recontactera son supérieur dès que possible). Bermyl a aussi toujours en tête l’idée de contacter son camarade Gilf Tehuti, de la maison Kenric et disposant d’un siège à la CHOM, mais cela prendrait du temps et il vaudrait peut-être mieux qu’il s’en entretienne d’abord avec Németh et Ipuwer. Dans l’immédiat, cependant, il envisage de placarder des avis de recherche du portrait-robot de Druhr ; ce serait dans ses attributions de prendre cette initiative sans en référer à quiconque, mais il préfère quand même en demander l’autorisation à Ipuwer – le siridar-baron approuve cette méthode, suggérant par ailleurs d’offrir une récompense pour tout renseignement utile concernant cette « disparition inquiétante ». Bermyl agit ainsi : la campagne d’affichage se concentre surtout sur les alentours de l’Université de Memnon, mais l’Assassin prend soin de communiquer le portrait-robot à l’ensemble des services de police de la planète et envisage même de prolonger l’affichage sur Khepri – mais la situation sur la lune est différente du fait du contrat avec la Guilde, et cela demandera donc davantage de temps. Tout compte fait, Bermyl décide alors de se rendre à Heliopolis plutôt qu’à Nar-el-Abid : ce sera l’occasion de voir Apries Auletes, le chef notoirement corrompu de la police sur Gebnout IV, mais aussi, éventuellement, de se renseigner auprès de la Maison mineure Nahab, qui contrôle l’ensemble de la pègre sur la planète.

 

Hanibast Set est donc rentré à Cair-el-Muluk – en même temps que les étudiants « suspects » Satemi Pa-heb et Femi Iseret, qui sont mis au secret, même s’il est sans doute encore trop tôt pour en tirer quoi que ce soit de plus. Le Conseiller Mentat, lors de son voyage de retour, insiste à nouveau sur la nécessité de réévaluer la situation – il ne croit plus guère à sa première hypothèse, selon laquelle Druhr serait aux abois et éprouverait des difficultés à se cacher. Ipuwer l’approuve, et l’urgence est bien à ses yeux de trouver son « réseau de soutien » ; il faudra voir comment Bermyl gèrera cet aspect de l’enquête… Dans l’immédiat, Hanibast entend cependant accompagner Ipuwer dans une nouvelle expédition sur le Continent Interdit, afin d’enquêter sur les divers éléments relevés par le siridar-baron lors de son excursion en ornithoptère. En attendant que le jeune siridar-baron se réveille (c’est un amateur de grasses matinées…), Hanibast travaille les dossiers, notamment les images satellite de la Guilde, et s’entretient avec les pilotes qui avaient accompagné Ipuwer lors de ce vol de reconnaissance. Le Conseiller Mentat est intrigué par le bâtiment « antique » repéré lors de ce premier vol. Il entend par ailleurs se montrer prudent : pas question d’y aller en petit comité vulnérable… Et le jeune siridar-baron apprécierait sans doute de mener une troupe ! L’opération, ainsi, prend de plus en plus une tournure militaire – et s’il paraît inopportun de déployer une légion entière à cet effet, Hanibast et Ipuwer comptent toutefois s’y rendre avec plusieurs centaines d’hommes, histoire de prévenir toute mauvaise surprise. Une première vague abordera le secteur – avec Hanibast en son sein –, qui sera rejointe le lendemain par le gros de la troupe, commandé par Ipuwer. Les capacités militaires de la Maison autorisent ce déploiement exceptionnel, et permettent de l’effectuer sans délai. Ipuwer se montre pourtant très maladroit dans l’organisation de l’expédition… Mais les conseils judicieux d’Hanibast, qui s’était livré à une analyse poussée de la situation, permettent de la mettre sur pied avec une efficience et des précautions suffisantes, palliant les maladresses du siridar-baron.

 

Bermyl, avant de monter à bord d’un ornithoptère à destination d’Heliopolis, ordonne à ses services de garder un œil sur le Troubadour Impérial Nadja Mortensen – qui l’avait accompagné à Memnon. Il arrive à Heliopolis en fin de journée, et va tâter le pouls de la ville dans un bar non loin des quartiers de la Maison Ptolémée. Il n’en retire pas forcément grand-chose : la Maison mineure Nahab n’est évoquée qu’à demi-mots, pas tant par crainte que du fait que sa puissance dans cette ville en particulier tient de l’ordre des choses. Le cas d’Ahura Mendes, sans surprise, n’est pas évoqué une seule fois par les consommateurs, et il est douteux que l’information à ce sujet soit remontée jusqu’ici. La question du sacrilège à Cair-el-Muluk est pour sa part à peine mentionnée, et plutôt à la blague… Bermyl endosse sa couverture de Troubadour, et va s’entretenir avec le barman des rumeurs à propos de morts qui seraient revenus ; son interlocuteur en a eu écho, en provenance de Cair-el-Muluk – il dit savoir que la Maison Ptolémée n’apprécie guère ces on-dit, surtout ceux concernant Namerta, et cherche donc à faire taire les importuns… Bermyl, se doutant qu’il n’en apprendra guère davantage, va se promener dans le quartier Ptolémée, puis part se coucher.

 

Németh insiste pour qu’elle et Vat se rendent auprès de Ra-en-ka Soris, sur Khepri, avant toute chose ; elle demande à Vat comment il compte enquêter sur Druhr, et pense que c’est là l’étape suivante. Le dirigeant de la Maison mineure se montre courtois, à son habitude – et sa fidélité aux Ptolémée n’a jamais fait le moindre doute. Il dit avoir entendu parler de troubles religieux, mais ne pas y avoir vraiment prêté attention : « C’est du domaine de la Maison Menkara. » Vat évoque alors les questions strictement commerciales, et Ra-en-ka se montre disposé à les aider de son mieux. Quand le Docteur Suk l’interroge sur le trafic éventuel de technologies interdites ou suspectes, notamment tleilaxu, Ra-en-ka dit qu’il y en a effectivement, mais rien d’inhabituel – même chose d’ailleurs pour les rapports commerciaux avec Ix, par exemple : dans les deux cas, les intermédiaires sont de toute façon nombreux, pour éviter d’établir un lien direct qui serait préjudiciable à tous. Quand Vat évoque la possibilité d’un trafic de cadavres, Ra-en-ka se montre stupéfait… surtout dans la mesure où il ne voit absolument pas ce que l’on pourrait en faire ! Il a certes entendu quelques rumeurs mystérieuses sur les activités du Bene Tleilax touchant à la « manipulation des corps », mais pour lui ce n’est rien d’autre que le bruit de fond usuel du marché-franc, et il n’en sait pas davantage. Vat lui montre alors le portrait-robot de Druhr, qui n’évoque rien à Ra-en-ka : il ne voit certes pas tout le monde sur Khepri, mais n’a en tout cas pas été personnellement en relation avec elle ; le nom de Druhr ne lui évoque rien non plus, même s’il veut bien éplucher ses dossiers à cet égard. Vat insiste sur le fait que les troubles actuels, et notamment l’implication éventuelle du Bene Tleilax, pourraient nuire aux intérêts de la Maison mineure Soris autant qu’à la Maison Ptolémée. Ra-en-ka demande alors si les Ptolémée ont des instructions particulières quant aux accords commerciaux négociés sur Khepri qui pourraient éventuellement avoir un lien avec les Tleilaxu (et notamment un éventuel trafic de cadavres, le cas échéant), mais Vat ne s’engage pas sur ce terrain-là : pour le moment, il ne cherche que des informations – et Ra-en-ka lui certifie qu’il fera de son mieux. Vat évoque la possibilité que Ra-en-ka se rende sur Gebnout IV s’il apprend quoi que ce soit, mais Németh pense que cela ne serait guère discret… Même s’il y a le risque que leurs communications de Gebnout IV à Khepri soient interceptées. Mais que chercher, et comment ? Németh et Vat étant « reconnaissables », ils ne peuvent pas « s’infiltrer » d’une manière ou d’une autre, où que ce soit… Németh pense qu’il vaut mieux qu’elle rentre sur Gebnout IV – sans aller auparavant « remercier » Iapetus Baris, comme le suggérait Vat : elle n’entend pas faire preuve d’un excès d’obséquiosité… Vat, pour sa part, restera encore un temps sur place.

 

Ipuwer, avant de partir rejoindre Hanibast sur le Continent Interdit, a réglé avec Bermyl la question de la surveillance de leurs « invités » Ophelion – mais il souhaite ne pas impliquer le « Maître-Assassin » Kibuz, les agents déployés à cet effet doivent faire leurs rapports au seul Bermyl. Ipuwer s’entretient toutefois avec ledit Kibuz avant son départ, et lui demande de placer quelques-uns de ses hommes au sein des Atonistes de la Terre Pure, « ces clochards qui donnent une mauvaise image ! » Il s’agit pour le moment de les infiltrer, et, le moment venu, si jamais, de leur nuire par une agitation intempestive… Le siridar-baron demande aussi au « Maître-Assassin » ce qu’il pense des Ophelion ; Kibuz ne relève rien de particulier, et s’étonne qu’Ipuwer semble émettre des doutes, notamment, sur l’ami proche qu’est censé avoir toujours été Antonin Naevius… Les Ophelion sont depuis longtemps des « amis » de la Maison Ptolémée, et certains de leurs membres venaient bel et bien régulièrement sur Gebnout IV, traditionnellement, que ce soit pour négocier des contrats commerciaux ou, le cas échéant, des alliances matrimoniales – ainsi avec Németh… Ipuwer lui fait part de ses doutes quant à la situation présente et se demande s’il en a toujours été ainsi ; Kibuz lui répond que cette sensation d’insécurité provient sans doute de la toute récente encore accession au pouvoir d’Ipuwer, dans les circonstances que l’on sait… Puis Ipuwer monte à bord de son ornithoptère, accompagné par une troupe conséquente.

 

Bermyl, à Heliopolis, se lève avant l’aube pour inspecter quelques quartiers « louches » de la ville, aux mains des Nahab – il aimerait entrer en contact avec la Maison mineure sous un prétexte futile (acheter une arme), mais ceci n’est possible qu’aux plus bas échelons de la pègre (Ngozi Nahab et ses principaux serviteurs le reconnaîtraient instantanément pour ce qu’il est). Bermyl trouve ainsi un vendeur d’armes de bas étage, et négocie avec lui l’acquisition d’une arme de poing banale – il joue à celui qui ne sait absolument pas comment se déroulent ce genre de transactions, et prétend vouloir se venger de sa femme (le dealer lui dit qu’il ne veut surtout pas savoir quoi que ce soit à ce sujet…). Puis Bermyl cherche à prendre le grouillot par surprise en le menaçant de son poignard (l’arme achetée à l’instant n’étant bien sûr pas chargée)… mais rate complètement son coup. Le truand (qui ne porte pas de Bouclier Holtzmann) réagit à toute vitesse, et le combat s’engage. Bermyl joue de malchance et est bientôt contraint de fuir, redoutant que le dealer rameute de ses semblables – mais ce dernier le suit… Bermyl, alors, tente une nouvelle manœuvre pour déstabiliser son adversaire, et, cette fois, y parvient. Il le neutralise, s’assure que personne ne les a entendus, et lui colle au nez le portrait-robot de Druhr – mais le délinquant ne l’a jamais vue et n’en a jamais entendu parler… Bermyl le tue d’un coup de poignard en plein cœur, et s’assure de ne pas avoir laissé de traces avant de s’en aller, laissant le cadavre adossé à un mur dans une ruelle obscure…

 

Quand Németh rentre à Cair-el-Muluk, après une escale à Heliopolis, Ipuwer est toujours présent – en pleins préparatifs pour son expédition. Elle lui demande s’il veut qu’elle l’informe des résultats de ses recherches matrimoniales, mais il trouve le moment plutôt mal choisi… Il dit n’attacher de l’importance qu’à la bonne « génétique » de son épouse, entendant par là qu’il souhaite avoir un héritier mâle aussitôt que possible, et se fiche totalement du reste – il entend se retirer bien vite, cette vie de siridar-baron ne lui convient vraiment pas… D’ici-là, il fera le nécessaire, mais il n’a aucune ambition de nature politique et est parfaitement conscient de ses faiblesses en la matière. Mais, pour une fois ! il a présentement quelque chose d’important à faire, et s’en va donc, laissant Németh seule… Celle-ci veut bien, dès lors, accélérer les choses… mais continue de se méfier des Kenric, et de la « coïncidence » de l’arrivée des époux Drescii avec les troubles affectant récemment Gebnout IV.

 

Vat, sur Khepri, se plonge dans les dossiers du marché-franc – d’un maniement guère aisé, du fait de leurs complexes circonvolutions juridiques, notamment (Vat s’y perd à plusieurs reprises). Il s’intéresse tout particulièrement à des « conditions d’emballage particulières » – entendant par-là la cryogénisation ou « l’entropie nulle », par exemple. Il repère quelques dossiers pouvant se montrer intéressants à cet effet, mais qui demanderont à être étudiés dans le calme et minutieusement. Il s’interroge aussi sur d’éventuelles « substitutions de personnalité », ou du moins dans l’immédiat des « disparitions », mais ne trouve cette fois rien d’intéressant – les archives de la Guilde pourraient être plus utiles, mais y accéder sera problématique… Il ne trouve globalement rien renvoyant d’une manière ou d’une autre à Druhr. Il pense dès lors rentrer à son tour sur Gebnout IV.

 

Hanibast s’est donc rendu sur le Continent Interdit avant Ipuwer – avec un contingent plus restreint mais comprenant tout de même plusieurs centaines d’hommes. Il a ainsi pu constater les traces d’engins lourds sur les berges de la baie où s’accumulent les bateaux des morts – nombreux, mais certainement pas assez au regard d’un rite plurimillénaire, comme cela avait déjà été déduit. Un vague « chemin » s’éloigne de la baie pour mener au « temple » de facture délibérément archaïque qu’avait entraperçu Ipuwer en survolant la zone. Hanibast s’y rend avec des soldats d’élite, progressant prudemment, tandis que d’autres troupes inspectent la baie et montent le camp. Le bâtiment monolithe s’avère bien vite être un mausolée, aux dimensions gigantesques, abritant les dépouilles des membres essentiels de la Maison Ptolémée depuis des siècles, et même des millénaires. Les tombeaux de la première pièce, les plus anciens, ont parfois été un peu dégradés par l’écoulement du temps, mais il est impossible d’y relever des traces d’une quelconque activité récente. Hanibast progresse avec prudence, et en usant au maximum de ses capacités d’observation – sa parfaite connaissance de la généalogie des Ptolémée le guide jusqu’aux salles les plus reculées, où se trouvent les tombes les plus récente : il se dirige ainsi vers la tombe de Namerta… qui s’avère profanée (c’est la seule dans ce cas qu’il ait pu repérer dans l’ensemble du mausolée). Tout semble indiquer que la violation de la sépulture remonte à deux ans, immédiatement ou presque après le rite funéraire. Les soldats qui ont inspecté la baie, par ailleurs, ont repéré une anomalie : un des plus gros bateaux, où s’entassent les dépouilles des plus pauvres, a été complètement vidé de ses cadavres – qui se comptaient sans doute par centaines –, contrairement aux autres alentour ; là encore, cela remonte à un peu moins de deux ans.

 

Ipuwer arrive sur place à son tour, tandis qu’Hanibast et ses hommes ont déjà rassemblé les éléments précédents. Le siridar-baron, intrigué par les traces d’engins, aimerait dénicher l’endroit où se dissimulent ces derniers. Hanibast lui résume le résultat de ses premières explorations ; il explique qu’ils se sont fourvoyés et doivent réévaluer leurs hypothèses : tout indique qu’il y a ici une « population » qui s’occupe de récupérer les morts de la Maison Ptolémée, mais dans une optique religieuse et empreinte de respect – ils servent les morts. Mais il y a aussi une « autre faction », qui s’est emparée de cadavres, dont celui de Namerta mais aussi bien d’autres, avec un tout autre objectif en tête… Hanibast pense qu’il est nécessaire d’installer des troupes ici afin « d’attendre la proie », et Ipuwer l’approuve.

 

À suivre…

Voir les commentaires

Sandman, vol. 3, de Neil Gaiman

Publié le par Nébal

Sandman, vol. 3, de Neil Gaiman

GAIMAN (Neil), Sandman, volume 3, [Sandman #29-39, The Absolute Sandman Volume 2, Sandman Midnight Theater #1, The Sandman Companion], illustré par Stan Woch, Bryan Talbot, Shawn McManus, Colleen Doran, Duncan Eagleson, John Watkiss & Teddy H. Christiansen, préface d’Alisa Kwitney, traduction [de l’anglais] de Patrick Marcel, [s.l.], Urban Comics, coll. Vertigo Essentiels, [1991-1992, 2007] 2013, 432 p.

 

Retour à Sandman, une des plus grandes BD de tous les temps, et clairement ce que Neil Gaiman a fait de mieux (oui, je sais, je le répète à chaque compte rendu, mais voilà, quoi). Dans la réédition Urban Comics, bénéficiant d’une vraie bonne traduction de Patrick Marcel, nécessaire, et débordant de matos complémentaire…

 

Le présent volume est construit autour de l’arc en six épisodes Le Jeu de soi, entouré par cinq récits courts tenant en un seul épisode chacun et adoptant un cadre historique – il est enfin prolongé, hors bonus, par un long épisode du Sandman Midnight Theater que je ne connaissais pas du tout…

 

Commençons par l’arc. Dans une très intéressante interview en fin de volume (tirée du Sandman Companion), tant Neil Gaiman que celui qui l’interroge tombent d’accord pour dire que Le Jeu de soi est probablement le récit long de Sandman le moins apprécié des lecteurs… même si Gaiman avance que c’est peut-être son préféré pour sa part. Ce rejet supposé me laisse un peu perplexe, tant le matériau est excellent, mûrement réfléchi et émouvant. Cela dit, maintenant que j’y repense, il n’est pas exclu que ma réaction lors de ma première lecture – il y a pas mal de temps de cela, et tout d’abord en anglais – ait été somme toute mitigée, oui… Là où, aujourd’hui, je n’ai plus la moindre prévention à cet égard, et admire la pertinence et la justesse du propos.

 

Gaiman parle, pour l’ensemble de Sandman, d’une alternance de récits « masculins » (où, accessoirement, le Sandman est bien davantage au centre de l’intrigue) et de récits « féminins » (où il se fait plus rare). Aux récits « masculins » de Préludes & Nocturnes et La Saison des Brumes (centrés sur Morphée) répondent donc les récits « féminins » La Maison de poupées et Le Jeu de soi… Je ne sais pas (ou plus) si cette grille d’analyse est pertinente sur la durée, ni si elle permet d’expliquer vraiment quoi que ce soit – même si une saynète dans un magasin de comics, ici, témoigne des difficultés du geek mâle de base à admettre qu’une femelle puisse lire des BD, voire avoir une âme… au point de se montrer bêtement lourd. Peut-être… On a souvent dit, par ailleurs, que Sandman avait attiré un public féminin assez conséquent, sauf erreur – mais sans doute ne faudrait-il pas en tirer de conclusions hâtives ?

 

Le Jeu de soi (où Morphée n’apparaît donc guère, finalement) est en tout cas effectivement centré autour des femmes, et questionne bien la féminité dans ses attributs réels ou supposés (fantasmes inclus, ou rêves si vous préférez, comme de juste). Nous sommes tout d’abord dans un immeuble new-yorkais, entièrement habité par des femmes (George est la seule vraie exception, mais il est sans doute « glauque » avant d’être un homme – si l’on peut même en parler comme d’un homme ; quant à Wanda, elle est peut-être née Alvin, et a toujours son « machin » entre les jambes, mais elle n’en est pas moins Wanda – quoi qu’en disent les pénibles, quoi qu’en dise aussi la lune…). On y croise ainsi un couple de lesbiennes, Hazel et Foxglove (cette dernière en rapport avec la Judy du traumatisant épisode de la cafeteria dans Préludes & Nocturnes), une mystérieuse petite demoiselle coincée derrière ses grosses lunettes, Thessaly, et – surtout, elle est au cœur de l’histoire, même si tous ces personnages secondaires sont admirablement conçus et rendus, et contribuent énormément à la justesse du propos de cet arc – on retrouve ici Barbie, entraperçue dans La Maison de poupées, du temps où elle était en couple avec Ken (forcément) ; elle donnait alors l’image d’une dinde superficielle au possible – image qu’entend dynamiter Le Jeu de soi, dont un des thèmes essentiels est que personne n’est un stéréotype ; et Barbie a effectivement une âme, au-delà de ses seules marottes un tantinet punk – son utilisation inventive et excentrique du maquillage, par exemple : elle se peint littéralement le visage –, tranchant déjà sur la façade lisse de la poupée normée qu’elle était censée être au premier abord.

 

Barbie, surtout, a de l’imagination. Ou en avait ? Fut un temps où elle arpentait sans cesse le même royaume onirique, dans une séquence de rêves à la façon d’une série. Là-bas, la fillette était une princesse – forcément ? Elle y avait en tout cas nombre de camarades, plus ou moins animaliers, qui peuplaient un monde de fantasy empruntant énormément à Oz comme à Narnia, même si on y trouve d’autres allusions en prime. Mais c’est le passé, tout cela… Et son royaume sombre dans un hiver perpétuel, ses vieux camarades sont en proie à la tyrannie du mystérieux et inquiétant Coucou…

 

Barbie n’en a pas conscience. Elle dit d’ailleurs ne plus rêver. Elle conserve bien quelques souvenirs de ce déferlement d’imagination enfantine, qui la caractérisait alors en partie et a sans doute contribué à la former telle qu’elle est, mais, non, elle n’en rêve plus – depuis sa liaison avec Ken, peut-être ? Ou encore avant ? Peu importe : le fait est que la domination du Coucou a mué le rêve en cauchemar… Et si elle ne rêve pas, alors le rêve doit revenir à elle – et c’est ainsi que le colossal Martin Dix-Os (un « gros chien », vraiment ?) fait son apparition à New York, tandis que les serviteurs du Coucou sèment le cauchemar dans l’immeuble de Barbie ; ce qui déplait fortement à Thessaly, elle aussi bien loin en définitive de son stéréotype de femmelette timide aux lunettes qui lui mangent le minois…

 

L’alternance entre le récit dans le Rêve et celui qui se déroule au sein de l’immeuble new-yorkais est menée avec une grande astuce par Neil Gaiman, qui sait enrichir chaque versant des apports de l’autre, les deux lignes narratives étant ainsi joliment intriquées pour appuyer un propos global d’une grande finesse. L’auteur y questionne la féminité autant que le rêve, et broie donc les stéréotypes d’une manière ô combien réjouissante. Les scènes frappantes ne manquent pas – j’ai bien entendu mes favorites, qui impliquent surtout Thessaly, excellent personnage autorisant quelques délicieuses cruautés baignant dans l’humour noir et le gore. Et puis il y a Wanda, bien sûr… Un très beau personnage que cette transsexuelle redoutant l’opération finale – là encore, Gaiman anéantit les clichés et développe une figure complexe et humaine, jusqu’à l’apothéose du dernier épisode de l’arc, ô combien émouvant et, d’une certaine manière, « politique » (ce qui était sans doute bien plus audacieux alors qu’aujourd’hui, où ces questionnements se sont quelque peu banalisés, même si la route est encore longue).

 

Au-delà, l’intrigue du « Pays » onirique ne manque pas d’intérêt non plus. L’imagination de Gaiman tourne à plein régime, versant tantôt dans l’hommage assumé, tantôt dans des inventions plus personnelles, avec une égale justesse. On y appréciera tout particulièrement les compagnons de la princesse Barbara – Wilkinson, par exemple, la musaraigne en trench-coat de détective privé… L’atmosphère amère qui envahit ce royaume idéal ne manque pas de toucher profondément, par ailleurs – et la confrontation avec le Coucou est très marquante, et là encore d’une grande astuce, en jouant habilement des préconçus et autres suppositions du lecteur pour mieux les tordre le cas échéant, ou, paradoxalement peut-être, surprendre justement en les affichant.

 

Le Jeu de soi est donc une vraie réussite – et peut-être un des moments les plus émouvants de Sandman. C’est probablement aussi un arc qui gagne à être relu – sans doute sa subtilité essentielle ne peut-elle guère être appréhendée, ou pas totalement du moins, au premier coup d’œil.

 

Les récits « historiques » qui entourent cet arc sont globalement bons à très bons… même si j’ai à vrai dire du mal avec « Thermidor », qui ouvre le volume, et est probablement un des récits de Sandman que j’aime le moins (voire celui que j’aime le moins ?) ; l’idée de base n’est pas mauvaise, loin de là – avec Lady Constantine, ancêtre de John, qui se voit confier une dangereuse mission par Morphée, qui la conduira dans la France en pleine Terreur… Le problème est à mon sens la représentation de cette Terreur – qui est complètement fantasmée. Oui, nous sommes dans Sandman, les fantasmes sont à propos… Mais là je trouve que ça ne marche pas, à force d’excès. Les figures cauchemardesques et unilatéralement haïssables de Robespierre et plus encore Saint-Just m’agacent plus qu’autre chose. Vague réflexe de Franchouillard qui s’est un temps intéressé à l’histoire de la Révolution française ? C’est très, très possible – et ce quand bien même je ne porte guère ces personnages dans mon cœur, au fond (tout en avouant une certaine fascination pour Saint-Just). Les dernières planches ont beau être très réussies, ce qui précède m’empêche d’adhérer au propos – bêtement, peut-être…

 

« Auguste » – sur l’Empereur romain, donc – est un récit plus fin, même si, pour le coup, il joue des stéréotypes. Le fin mot de l’histoire intéressera plus ou moins… Mais cette conversation entre l’Empereur vieillissant et un comédien nain, tous deux grimés en mendiants pour prendre incognito le pouls de Rome, a ses beaux moments et ne manque sans doute pas de pertinence.

 

De ces récits « historiques », mon préféré est cependant, et de loin, « Trois Septembres et un janvier ». Les jumeaux Désespoir et Désir y font un pari avec le Sandman, portant sur l’appartenance d’un homme à tel ou tel de ces Infinis ; l’homme en question n’est autre que Norton Ier, seul et unique empereur des États-Unis… Un récit touchant et stimulant, sur l’importance d’avoir un rêve – comme barrière ultime à l’autodestruction. Très fort et très juste.

 

Les deux épisodes historiques restants se trouvent après Le Jeu de soi. « La Chasse » (qui, dans mon exemplaire, souffre de fâcheux défauts d’impression, je ne sais pas si c’est généralisé…), récit d’un grand-père bougon à sa petite-fille téléphage, évoque un « peuple » russe qu’on devine bien vite lycanthrope, au travers d’un joli conte à la puissance d’évocation certaine (qui m’a fait penser, à certains égards encore que de manière nettement moins drôle, au chouette roman estonien L’Homme qui savait la langue des serpents). Très bien amené, et efficace.

 

J’y ai cependant préféré « Zones floues », complexe récit à la structure et aux implications vertigineuses, sur le temps et le rêve qui s’entremêlent sans cesse, autour de la figure du jeune Marco Polo – qui rencontre dans cet entre-deux rêves et fantômes, et un homme qui connaît déjà ce que Marco n’est toujours pas en mesure de raconter, pour la simple raison qu’il ne l’a pas encore vécu. Très malin, vraiment.

 

J’avais déjà lu tout cela – même si c’était il y a longtemps. « Le Théâtre de Minuit », par contre, m’était totalement inconnu (c’est un hors-série, ne figurant pas dans Sandman à proprement parler). Ce récit, co-scénarisé par Neil Gaiman et Matt Wagner, et très joliment illustré par Teddy H. Christiansen (son style très « peinture » tranche agréablement sur celui, plus commun et pas toujours irréprochable à mon sens, des nombreux dessinateurs qui se sont succédé sur la série – on y trouve de tout, en fait), est aussi futé qu’enthousiasmant – et délicieusement pervers à certains égards. Nous sommes dans l’entre-deux-guerres, alors que le Sandman est toujours captif d’un sous-Aleister Crowley (voir Préludes & Nocturnes). Enfin, « le Sandman »… Oui, le « vrai », le « nôtre » ! Mais les auteurs mettent ici en scène le Sandman originel – le super-héros masqué, qui endort ses adversaires… Wesley Dodds, de son vrai nom, se rend en Angleterre, en quête de justice, ou peut-être en quête de son ex-compagne. Tous deux, et bien d’autres encore, seront amenés à se mêler à la foule perverse et un brin ridicule conviée à une célébration ésotérique à la noix – la peinture de ce milieu, impitoyable, suscite quelques très beaux moments, parfois délicieusement malsains ; mais c’est aussi un théâtre de choix pour que les personnages révèlent leurs talents cachés : nombreux sont en effet ceux qui ont quelque chose à dissimuler, et l’on dissimule bien des choses dans cet intriguant manoir – dont le Sandman, le « vrai »… Le récit, brillamment écrit et bénéficiant d’une belle galerie de personnages hauts en couleurs, a en outre quelque chose de très anglais, et en même temps de très pulp, qui le rend particulièrement savoureux. Très chouette.

 

Restent encore de nombreuses annexes, dans lesquelles on retiendra surtout le long entretien avec Neil Gaiman décortiquant Le Jeu de soi. Et éventuellement une brève mais jolie histoire tournant autour du Désir…

 

Ce troisième volume est donc à nouveau excellent, riche de grands moments, confirmant que Sandman est une série immense et indispensable – et qui gagne probablement encore à être relue. Suite bientôt avec le quatrième volume…

Voir les commentaires

Insectes, de Lafcadio Hearn

Publié le par Nébal

Insectes, de Lafcadio Hearn

HEARN (Lafcadio), Insectes, préface d’Anne-Sylvie Homassel, textes traduits de l’anglais par Anne-Sylvie Homassel, Marc Logé et Joseph de Smet, Paris, Les Éditions du Sonneur, 2016, 325 p.

 

Si Lafcadio Hearn, écrivain voyageur qui semblait priser tout particulièrement les entre-deux, les marges floues séparant (ou liant ?) les différentes civilisations, est probablement surtout connu pour son recueil d’histoires fantastiques japonaises Kwaidan, ô combien recommandable, il a néanmoins exercé sa plume dans bien d’autres domaines, ainsi qu’en témoigne le présent ouvrage – encore que les liens directs avec Kwaidan ne manquent pas (certains textes en sont même issus, à vrai dire). Celui qui finit par se faire appeler Koizumi Yakumo avait décidément une passion des « petites choses délicates », et Insectes en témoigne assurément (qui se fonde sur Insect Literature, une anthologie compilée en 1921 par Masanobu Ôtani, un des étudiants confits d’admiration de Lafcadio Hearn, mais qui est ici complétée par d’autres textes sur le même thème).

 

« Petites choses délicates », oui, et à deux titres, car cela renvoie tant au sujet littéraire – les insectes, donc, avec peut-être une prédilection pour les insectes « musiciens » ou « chanteurs », mais n’excluant pas pour autant les autres, des lucioles aux fourmis en passant par les agaçants moustiques (on compte même quelques brefs détours du côté des arachnides) – qu’à la manière d’en rendre compte : essentiellement la poésie, tout particulièrement les formes courtes caractéristiques de la culture japonaise en la matière (des haïkus au premier chef, mais il y a d’autres structures), mais l’ouvrage se penche aussi sur le thème tel qu’il a été traité par les Grecs anciens, puis, bien plus tard, par quelques rares Anglais et Français contemporains. Cette longue absence du thème en Europe l’intéresse tout particulièrement – il en rend le christianisme responsable, à bon droit sans doute, ou du moins dans une opposition essentielle par rapport au bouddhisme, envisageant la question de l’âme d’une manière bien différente –, mais plus encore les similitudes qu’il entend dégager entre la poésie classique de la Grèce et celle du Japon au long des siècles.

 

Les vieux lecteurs de ce blog, s’il y en a, se souviennent peut-être de quelques allusions à mon incompréhension globale de la poésie, déguisée sous un vague mépris idiot. Je ne suis dès lors probablement pas le critique le plus indiqué pour extraire la substantifique moelle de cet étonnant recueil… D’autant que je comprends et apprécie sans doute encore moins les haïkus que les formes poétiques occidentales ! Pourtant, séduit tant par le personnage de l’auteur que par ma lecture de Kwaidan, j’étais très curieux de lire ce bel ouvrage des Éditions du Sonneur, conçu notamment par l’excellente Anne-Sylvie Homassel (un bon point supplémentaire). Et j’ai bien fait, puisque ça a parfaitement fonctionné…

 

Il faut dire que, comme dans Kwaidan à maints égards, Lafcadio Hearn se livre ici à un imposant mais toujours pertinent travail de collecte puis de transmission. Au fond, si sa plume délicate et ses commentaires enthousiastes sont toujours les bienvenus, bon nombre des textes ici compilés ne sont pas pleinement des créations personnelles (la question de la traduction, par lui puis par d’autres, changeant aussi probablement la donne)… Mais cela n’a finalement pas grande importance, tant le travail de passeur de Lafcadio Hearn est appréciable et admirable – et probablement salutaire.

 

On retrouve ici d’une certaine manière la dimension scientifique, au sens ethnographique du moins, qui présidait à la compilation de Kwaidan. Cependant, Insectes, en dépit de quelques fines observations occasionnelles, n’a pas d’ambitions « naturalistes » au sens le plus strict. Les insectes y sont surtout un sujet poétique, riche de questionnements métaphysiques et éthiques, édifiants pour l’homme à leur manière.

 

Parfois d’une manière un brin déconcertante, d’ailleurs – ainsi quand Lafcadio Hearn observe, sous la houlette d’un Spencer, le comportement politique et moral des « insectes sociaux » et notamment des fourmis, y cherchant des enseignements utiles à l’homme arrogant, convaincu de sa supériorité nécessaire quand il se montre en fait « en retard » sur les plus singuliers comportements sociaux des fourmis… La question de l’égoïsme et de l’altruisme, celle tout autant de l’individualité face à la communauté, aboutissent ici à des réponses parfois étonnantes, à la limite de susciter le malaise, peut-être…

 

On sera sans doute bien davantage séduit par ses riches articles – essentiellement japonais, donc, même s’il y a quelques retours en arrière occasionnels sur les autres pays dans lesquels l’auteur a vécu, et les cultures poétiques qui l’intéressent tout particulièrement – portant sur les papillons, les lucioles, les libellules, les sémi (cigales) et autres « insectes musiciens ». Les petits animaux y sont envisagés pour eux-mêmes, mais tout autant pour les rapports que les hommes entretiennent avec eux : les petits garçons qui les chassent habilement (et cruellement ?), les petites filles qui les pleurent et les ensevelissent quand – trop tôt, bien trop tôt – la mort frappe et s’empare de leurs délicats jouets (saisissant parallèle, ici, entre la Grèce antique – éventuellement « modernisée » ou plutôt perpétuée par un José-Maria de Heredia – et le Japon), les commerçants qui vendent aux bonnes familles des insectes en cage – des lucioles pour éclairer le jardin, des grillons ou cigales pour susciter un délicat et rassurant paysage sonore –, les poètes, enfin, qui déploient leur finesse d’observation dans de petits poèmes qui sont tous autant d’instants saisis sur le vif et gravés dans le marbre de leur beauté, les haïkus répondant ici aux estampes classiques d’un Hokusai…

 

Et c’est vrai qu’ils sont souvent… disons, « charmants », ces petits poèmes capturant le moment, notant le comportement au travers d’une intense observation fascinée. Il s’en dégage peut-être aussi – aux yeux d’un Occidental inculte tel que votre serviteur, du moins – une certaine naïveté… Mais bien souvent rafraichissante, au fond. Ce qui caractérise probablement tout autant la plume enthousiaste de Lafcadio Hearn compilant, comparant, analysant et transmettant.

 

C’est qu’il y a tout un monde derrière ces poèmes – et Lafcadio Hearn, le passeur, fait des merveilles avec son étonnant matériau, dressant pour ses lecteurs non japonisants un délicieux tableau empreint tant d’exotisme que de fascination, mais tout autant, pour ses étudiants nippons, un miroir enrichissant de leur culture séculaire, laissant çà et là la place à quelques curieux aperçus du thème tel qu’il a été traité en Europe. L’amour du Japon dont fait preuve l’auteur n’empiète pas sur sa dévotion originelle envers la Grèce classique – et c’est ainsi qu’il unit les deux mondes, dont la finesse et la qualité de perception s’avèrent étonnamment proches, produisant un même bouleversement ébahi chez le lecteur ou l’auditeur.

 

Insectes est bel et bien un très joli ouvrage, compilation de pièces charmantes autant qu’édifiantes. Relativement inclassable, il est cependant à même de toucher un public curieux mais pas nécessairement connaisseur – dont votre serviteur en principe rétif à la poésie –, en lui dévoilant des perspectives inattendues et insoupçonnées. Les nombreux « émaux et camées » qu’il renferme, témoignant tous d’une sensibilité et d’une empathie si rares (dans une ère où dominent le cynisme et l’indifférence au monde ?), font mouche (aha), séduisent et régalent. Des « petites choses délicates » qui se muent en un immense sujet – il y a beaucoup à en retirer.

Voir les commentaires

Akira, t. 1, de Katsuhiro Ōtomo

Publié le par Nébal

Akira, t. 1, de Katsuhiro Ōtomo

ŌTOMO (Katsuhiro), Akira, t. 1, original artwork reversed for the French edition, traduction de Sylvain Chollet, Grenoble, Glénat, [1984, 1999] 2015, 359 p.

 

Je ne peux pas prétendre être un fan, ni même un amateur, en matière de mangas. J’étais pourtant pile-poil dans la génération affectée par la grande vague, j’imagine – celle qui, après avoir zyeuté avidement nombre de japoniaiseries au Club Dorothée, s’est pris en pleine poire des traductions à foison dans les années 1990, développant en France une culture particulière qui y était peu ou prou inconnue jusqu’alors, et a acquis depuis l’importance que l’on sait. J’en ai lu, forcément – mais n’en ai finalement pas retenu grand-chose, et suis largement passé à côté de l’engouement généralisé de ces années-là, passant d’abord par la publication d’un peu tout et n’importe quoi, n’importe comment, avant de se montrer plus cohérent et intéressant, sans doute… Mais au fond, je n’y connais rien. Ce qui n’implique pas le moindre jugement de valeur : ce n’est pas que je n’aime pas ou trouve ça mauvais – une telle attitude englobante serait absurde –, c’est juste que je suis inculte en la matière, pour tout un tas de mauvaises raisons (c’est d’autant plus étrange que je me suis ultérieurement pris de passion pour le Japon, par périodes – m’intéressant notamment au cinéma et à la littérature, mais toujours guère aux mangas et animes, donc…)

 

Il y a quand même eu des exceptions, et au premier chef Akira – la BD puis le film qui ont tout changé, à maints égards. Il semble légitime de dire que l’œuvre culte de Katsuhiro Ōtomo a joué un rôle déterminant dans la transmission en Occident et notamment en France de cette culture jusqu’alors méconnue, et en même temps, d’emblée en fait, elle malmenait pourtant considérablement les codes hérités d’un Tezuka. Du jour au lendemain ou presque, en France, on est donc passé de la japoniaiserie dorothéenne d’une animation souvent rudimentaire, à la perfection technique d’une œuvre rude bien davantage tournée vers un public adulte (ou du moins plus âgé…), et prisant volontiers une certaine ultra-violence – qu’on a peu ou prou systématiquement accolée au « genre » (s’il est bien légitime d’employer ce terme pour recouvrir une réalité aussi complexe et variée, on est en droit d’en douter) pendant quelques années. Souvenir ému du générique promotionnel de Manga Vidéo, je crois, avec du Sepultura en fond sonore, ça tranchait quelque peu…

 

Cela dit, justement pour cette raison, j’ai découvert Akira avec un petit décalage. Le film, tout en étant loué pour sa réalisation parfaite, avait si je ne m’abuse choqué quelques bonnes âmes à l’époque de sa diffusion en France – des gens malins, qui n’arrivaient pas à concevoir qu’un dessin animé (donc un truc pour les pitinenfants, hein) pouvait être violent, cru et amoral… Il m’a donc fallu attendre encore quelques années pour le visionner et m’en régaler (ça reste un de mes dessins animés préférés, de très très loin, encore aujourd’hui – et un film que je ne peux m’empêcher de trouver unique en son genre, à l’instar de sa phénoménale bande originale signée Geinoh Yamashirogumi).

 

Cependant, Akira, avant d’être un film, était une BD – dans les deux cas de Katsuhiro Ōtomo, un grand nom du manga, entraperçu en France à l’époque avec sa précédente BD, Dōmu, ou Rêves d’enfants, qui préparait déjà pas mal le terrain (à vue de nez, j’ai l’impression que les publications françaises des deux BD et la diffusion du film ont été plus ou moins concomitantes – se renforçant sans doute mutuellement). Ōtomo avec son studio, MASH.ROOM – sans doute indispensable pour gérer une œuvre de cette ampleur. Et si la polémique, à l’époque, ne me facilitait guère le visionnage du film tout en aiguisant ma curiosité perverse de gamin pressé de grandir, la BD a probablement moins choqué le bourgeois, qui n’y a peut-être pas autant prêté attention – alors qu’elle était un bon million de fois plus violente et rude. Du coup, j’ai lu la BD (mais dans le désordre et de manière incomplète, c’est bien ce à quoi j’entends remédier avec cette relecture) avant de regarder le film.

 

Je m’en souviens encore : j’avais commencé naïvement (sans me douter un seul instant qu’il s’agissait d’une série à lire dans l’ordre, habitué que j’étais alors des histoires indépendantes…) par le sixième tome de l’édition cartonnée et, hélas, colorisée (on y a remédié aujourd’hui, ouf, mais la présente édition conserve cependant le sens de lecture occidental, impliquant l’inversion des planches, ce que l’on peut toujours regretter) ; j’étais donc passé totalement à côté de l’histoire, et je me prenais dans la face, sans préparation, une trentaine de pages dénuées de texte sur la destruction de Néo-Tokyo, puis l’amorce d’un cycle dans le cycle, sur « Akira, Empereur du Chaos », dont les implications m’échappaient totalement, tandis que le gore systématique me sautait à la gueule et me vrillait l’estomac – j’étais un petit être fragile, alors…

 

Cela dit, j’étais fasciné : je ne savais pas, alors, qu’une BD pouvait faire ça… J’en ai lu d’autres volumes, du coup – mais comme je les trouvais, ce qui ne me facilitait pas la tâche. Et puis j’ai enfin vu le film, brillant, parfait – mais aussi extrêmement condensé, à tel point qu’on était là vraiment en face d’œuvres très différentes en définitive.

 

Mais je n’ai toujours pas lu Akira dans l’ordre et en noir et blanc – sans la colorisation moche : le noir et blanc originel sert bien mieux les planches, notamment en accentuant leur dynamisme époustouflant. J’avais depuis très longtemps envie de m’y mettre – la récompense bien tardive de Katsuhiro Ōtomo lors de la précédente édition du Festival d’Angoulême m’ayant remis ce projet en tête. Je ne m’y mets pourtant qu’aujourd’hui, un an plus tard – je me suis procuré les deux premiers tomes sur six, voulant m’assurer que ce début me séduirait assez pour poursuivre le moment venu.

 

Et putain OUI !!!

 

Bon sang, je me suis pris une baffe monumentale, là. Avec le passage des années, et pour seul souvenir mon expérience tortueuse avec la vieille édition colorisée et lue dans le désordre, j’avais totalement oublié à quel point cette BD était brillante. Elle fait bel et bien partie des monuments du neuvième art – ayant conservé encore aujourd’hui toute sa singularité et son brio.

 

À simplement feuilleter ce premier tome, on est déjà saisi par la puissance du dessin : j’avais évoqué son dynamisme, tout particulièrement bluffant lors des scènes d’action et au premier chef – images inoubliables – lors des séquences de moto, où l’on frémit de bonheur devant cette incroyable sensation de vitesse pure, au moins autant que les protagonistes… Mais il s’accorde toujours avec un sens du cadrage proprement cinématographique, et d’autres effets semblablement connotés. Ōtomo n’est certes pas le seul auteur de BD à avoir usé de ce dispositif souvent casse-gueule, mais la réussite d’Akira sous cet angle est exemplaire. Je ne crois pas avoir jamais lu de BD aussi « mobile », au « montage » aussi vif, inventif et en même temps stupéfiant d’efficacité – amateur de comics, j’aurais pu mettre en avant mon goût des meilleures super-héroïqueries en la matière, mais, non, désolé, je n’en retiens rien qui approche de cette efficacité-là (sauf peut-être chez un Frank Miller, à l’occasion). Ceci étant, les comics ont peut-être en partie inspiré Ōtomo, au moins autant que le cinéma notamment d’action ; on peut supposer qu’il en va de même pour Mœbius, par exemple… Des infidélités relatives à la tradition du manga – même s’il en a probablement conservé un certain expressionisme. Mais tout cela contribue sans doute au caractère universel d’Akira. Et c’est parfait.

 

De ceci je ne doutais guère en entamant cette relecture. Ma crainte, si crainte il devait y avoir, portait plutôt sur le scénario… et s’est vite avérée totalement infondée, dans la mesure où, là encore, en tout cas pour ce premier tome, Akira ne se contente pas d’être irréprochable, mais se révèle bien vite brillante – en adoptant un dispositif très « série TV », déployant une grande intrigue aux ramifications innombrables, autorisant cependant nombre d’apartés et autres scènes de caractérisation toujours bien vues. Pour un résultat extrêmement palpitant – complexe, mais juste, intriguant mais remarquablement bien amené : on touche là encore à la perfection. Tout au plus pourrait-on relever l’accumulation des « coïncidences », qui amènent les personnages principaux à se croiser sans cesse dans la mégalopole de Néo-Tokyo, mais elles participent sans doute de l’atmosphère de la BD…

 

Les personnages y sont pour beaucoup – a fortiori en raison de leur approche tout sauf manichéenne, pour le moment en tout cas. Si un personnage, ici, pouvait prétendre au rôle de héros, ce serait probablement Kaneda ; or Kaneda est un infect petit con : macho, égoïste, autoritaire, violent – un chef parfait pour sa bande d’ados en déshérence et globalement défoncés qui écume les artères de Néo-Tokyo en moto (enfin, une de ces bandes, il y en a bien d’autres…). « No future » comme c’est pas permis (ou plutôt comme si le futur dans lequel ces gamins vivent, en 2019, était déjà une imposture, suite à l’explosion atomique de 1982 qui a plongé le monde dans la Troisième Guerre mondiale – annonçant le thème post-apocalyptique qui prendra cependant de tout autres dimensions par la suite ; mais la visite, d’emblée, du cratère originel, site théorique de futures Olympiades, abritant cependant bien des secrets dans ses souterrains, n’a à cet égard rien d’innocent).

 

Face à lui – enfin, d’abord à ses côtés, puis face à lui… –, Tetsuo est une figure tragique, un laissé pour compte (au sens le plus strict, d’ailleurs), qui doit sans doute tellement à Kaneda qu’il ne peut plus, à terme, que le haïr, laissant enfin s’exprimer sa jalousie et sa rancœur, contenues dans sa faiblesse antérieure, irrépressibles dès lors que sa rencontre (pour le moins brutale) avec Takashi, le gamin psychique à tête de petit vieux, réveille en lui un potentiel insoupçonné et incontrôlable… Si Tetsuo, dans sa soif inextinguible et gamine de vengeance et de domination, commet bien des horreurs, il parvient cependant toujours à émouvoir – sa condition de victime originelle ressort à l’occasion, et, à certains égards, si on ne va probablement pas jusqu’à l’excuser, du moins peut-on le comprendre…

 

Le duel entre Kaneda et Tetsuo, au cœur de l’histoire, ne doit cependant pas amener à négliger les autres personnages. Certains sont essentiels, et tout d’abord le Colonel : ce militaire intransigeant, bâti comme une montagne et constant dans ses gueulantes, a sans doute, dans ce premier tome, quelque chose d’un « méchant », d’autant que l’on se trouve encore dans une optique conspirationniste – mais le flou quant à l’objet exact de cette conspiration militaire (on mentionne bien Akira, mais sans savoir de quoi il s’agit ; on ne dispose guère pour le moment que de ces étranges aperçus de « mutants » à la peau blanche et fripée…) laisse entrevoir bien des possibilités quant à l’avenir ; et, au-delà du cliché quelque peu fascisant que l’on tend instinctivement à accoler au Colonel, on est d’ores et déjà en droit de se demander si, au fond, il n’avait pas raison, en fait, ce salopard – ne serait-ce que dans la mesure où, contrairement à tous les autres, il semble comprendre un minimum ce qui se passe autour de lui…

 

Il faut dire qu’on l’oppose ici à une sorte de « Résistance » dont les motivations sont au moins aussi floues que les siennes – une faction bien informée à certains égards, pourtant pas à l’abri de fâcheuses boulettes (ainsi quand elle se démène à exfiltrer Takashi en le prenant pour Akira, ce qui est peu ou prou la base…). Le lecteur a un réflexe, sans doute : dans un cadre tel que celui d’Akira, on prend instantanément le parti de la « Résistance », a fortiori si l’opposition a donc quelque chose de totalitaire, au moins en germe, comme ici. Alors on suit le sévère Ryû et, plus encore, la séduisante Kei… mais le secret, bien légitime, les entourant, en dissimulant totalement leurs objectifs, peut en définitive susciter un semblant de malaise – au moins autant que leur amateurisme occasionnel.

 

On ne sait toujours guère que penser de tout cela à la fin de ce premier tome – se concluant sur l’image improbable et lourde de menaces d’un Colonel souriant et accueillant… Mais on est pris, on a envie d’en savoir plus. Ça marche remarquablement bien, et l’accoutumance, bien vite, est délicieuse. Je ne tarderai pas à lire le tome 2…

 

En l’état, cependant, confirmation qu’Akira est à sa manière un monument, une BD affichant fièrement et à bon droit sa singularité et sa perfection. Un chef-d’œuvre, oui.

Voir les commentaires

Providence, t. 1 : La Peur qui rôde, d'Alan Moore & Jacen Burrows

Publié le par Nébal

Providence, t. 1 : La Peur qui rôde, d'Alan Moore & Jacen Burrows

MOORE (Alan) & BURROWS (Jacen), Providence, t. 1 : La Peur qui rôde, [Providence #1-4], couleurs de Juan Rodriguez, traduction [de l’anglais] par Thomas Davier, Nice, Panini France, coll. Best Of Fusion Comics, [2015] 2016, [n.p.]

 

Alan Moore est sans doute moins présent dans le monde de la BD ces dernières années – il faut dire qu’il a eu et a encore bien d’autres projets, dont son titanesque roman Jérusalem –, mais cela ne signifie pas qu’il n’y œuvre plus pour autant. J’ai l’impression que, dans le domaine des comics, il s’est essentiellement attelé à deux entreprises ces dernières années (en favorisant l’indépendance) : des suites/déclinaisons tordues de La Ligue des Gentlemen Extraordinaires, et des récits qui sont autant de variations autour de Lovecraft ; c’est bien sûr le dernier pan de cette œuvre récente qu’illustre ce premier tome de Providence, reprenant les épisodes #1-4 de la série originale – en cours de publication aux États-Unis, et illustrée par Jacen Burrows, dessinateur attitré d’Avatar Press (comme pour Neonomicon, d’ailleurs).

 

Je voue un véritable culte à Alan Moore – c’est de très loin mon scénariste fétiche, le meilleur, l’inégalable. Je l’ai probablement découvert avec From Hell, puis suis remonté en arrière, notamment bien sûr pour V pour Vendetta et surtout Watchmen (la meilleure BD du monde et de tous les temps, ah mais !). On aurait cependant bien tort de s’en tenir à ces seuls gros volumes (auxquels il faudrait sans doute rajouter le plus récent Filles perdues – sauf erreur la dernière publication française de l’auteur à m’avoir complètement retourné) : Moore a arpenté bien des domaines avec une constante réussite. Dans un registre un peu plus classique, on pourrait remonter encore plus haut, avec Swamp Thing par exemple, ou, plus récemment, au tournant du millénaire, baver d’admiration devant l’ambition délicieusement fun de la période où l’auteur hyperactif nous a régalés de ses « America’s Best Comics » (en toute humilité – au passage, je viens d’acquérir l’intégrale de Top 10, donc je vous en causerai probablement très vite). D’autres choses, aussi, en parallèle, comme Suprême

 

Ces dernières années, Moore s’est donc essentiellement consacré à d’autres domaines. Mais il est à l’occasion revenu à la BD, et notamment pour faire dans la lovecrafterie. Fan de Moore comme de Lovecraft (autour duquel le premier tournait de toute façon régulièrement depuis longtemps), j’étais très curieux de voir ce que cette étonnante association (ou peut-être pas si étonnante que ça, au fond) allait bien pouvoir donner…

 

Après The Courtyard, il y eut donc Neonomicon, qui a cependant été une déception… Ce n’est pas que j’ai trouvé cette BD « mauvaise » ; non, c’est simplement qu’elle ne m’a laissé absolument aucun souvenir – ce qui est pour le moins inacceptable dans le cas d’une BD d’Alan Moore (seuls ses quelques épisodes de Wildcats m’avaient auparavant fait le même effet, mais c’était clairement un travail mineur, fait pour s’amuser avec les copains). Je crois me rappeler qu’il y avait pas mal de cul, oui – mais au-delà, je ne sais tout simplement plus ce qu’il y avait dans cette BD tant attendue… Il faut dire que je l’avais probablement lue à une mauvaise période, ça pourrait valoir le coup de retenter l’expérience.

 

Depuis, cependant, il y a donc eu Providence. J’ai donc fait l’acquisition de ce tout récent premier tome français (sorti peu ou prou dans la foulée des épisodes américains !), pour redonner une chance à la lovecrafterie mooresque.

 

Et… Je ne sais pas vraiment quoi en penser. Je ne sais pas si c’est bon, pas davantage si c’est mauvais. Je me doute bien que c’est exécuté avec l’intelligence et le sérieux qu’on est en droit d’attendre de Moore (et tout autant probablement du dessinateur Jacen Burrows, dont le style assez conventionnel me laisse plutôt froid mais qui a clairement mis la documentation en avant, et ça fourmille de détails). Mais ai-je aimé Providence ? Je ne sais pas…

 

Évidemment, partir sur des bases pareilles pour livrer une chronique de cette BD est quelque peu problématique… Essayons cependant de voir le contenu d’une manière relativement « objective », ce qui pourra clarifier quelque peu les idées.

 

Nous sommes en 1919 – à New York tout d’abord. Robert Black (nom dérivé sans doute de Robert Blake, personnage de Lovecraft – dans « The Haunter of the Dark » – et référence limpide à son jeune disciple Robert Bloch – je ne reviens pas sur le jeu littéraire entre les deux, ce n’est sans doute pas le propos, pour le moment du moins) est un jeune journaliste et avant tout (encore que sa vie sexuelle soit régulièrement au premier plan elle aussi) un écrivain quelque peu frustré, à la recherche d’un sujet intéressant. La curiosité morbide de journaleux en manque de fait-divers sordides l’amène à se pencher sur des « livres qui rendent fous », voire poussent au suicide, à en croire leurs apôtres – notamment Sous le monde, roman décadent français qui aurait inspiré Robert W. Chambers pour Le Roi en Jaune. Sa petite enquête – auprès d’un personnage fascinant tout droit sorti de « Cool Air » de Lovecraft – l’amène à questionner la possibilité d’une Amérique occulte, où le savoir alchimique ou plus largement ésotérique aurait toujours ses sectateurs dans l’ombre. Il laissera alors tomber le journalisme à proprement parler pour écumer la Nouvelle-Angleterre, à la recherche d’un vieux grimoire arabe (un ersatz du Necronomicon qui s’inscrit davantage dans le réel) et de sujets littéraires macabres et décadents – dans la veine d’un Poe ou peut-être aussi d’un Hawthorne. L’occasion de rencontrer bien des personnages étranges…

 

Alan Moore déforme très légèrement les noms des protagonistes des nouvelles de Lovecraft, de manière cependant généralement tout à fait transparente (par exemple, nous avons un Willard Wheatley pour Wilbur Whateley, ce genre de choses) – procédé dont la raison d’être m’échappe quelque peu, mais admettons. Chacun de ces quatre épisodes est en tout cas centré essentiellement sur un récit de Lovecraft (ce qui ne prohibe pas des allusions à d’autres œuvres encore) : le premier a beau être titré « The Yellow Sign » (allusion à Chambers, donc), il renvoie pour l’essentiel à « Cool Air », comme dit plus haut ; « The Hook » évoque bel et bien « The Horror at Red Hook » (avec son flic viril et raciste) ; « A Lurking Fear » ne porte pas sur la nouvelle quasi éponyme, mais sur « The Shadow over Innsmouth » ; enfin, « White Apes » (le plus réussi à mon sens) repose clairement pour l’essentiel sur « The Dunwich Horror », en dépit des allusions du titre qui renverraient plutôt à « Arthur Jermyn ».

 

Je ne suis pas certain de bien comprendre le projet de Moore dans Providence, notamment donc dans son traitement de ces récits lovecraftiens classiques, avec ce léger travestissement des noms propres… Pour le moment, j’en retiens peut-être surtout l’impression d’une tentative ambitieuse d’établir un semblant de cohérence dans des récits lovecraftiens qui n’y prétendaient pas forcément (on sait ce qu’il en est depuis que le « Mythe de Cthulhu » façon Derleth a été quelque peu déconstruit) ; à intriquer ainsi les nouvelles, celles clairement au centre de chaque épisode ou d’autres simplement évoquées au passage, Moore parvient effectivement à obtenir un regard global sur cette Amérique occulte qui fascine tant le jeune héros. Procédé qui n’a sans doute rien de gratuit, en tout cas ainsi qu’il se déploie dans ces quatre premiers épisodes : il s’agit bel et bien, au fur et à mesure des découvertes ambiguës et étonnantes de Robert Black, de soulever le pan du réel pour dévoiler l’horreur cosmique sous-jacente dans tout ce qu’elle a de plus tétanisant – fascinant et terrible à la fois.

 

Il me paraît clair, d’ailleurs, que c’est dans les passages où la sensation de peur est au premier plan que Moore se montre le plus habile, et déploie sa finesse coutumière. La simple enquête riche d’allusions transparentes – pas besoin d’être un grand exégète lovecraftien pour les comprendre – est plus ou moins palpitante en tant que telle, mais quand « l’investigateur » (ben oui) pénètre une grotte cyclopéenne donnant sur un gigantesque océan souterrain, quand il se perd dans ses rêves malsains – et d’un contenu prophétique douloureux pour le lecteur, j’y reviens – ou même, avec un brio cette fois tout à fait remarquable, quand il ne fait qu’entrevoir le quotidien sordide des Wheatley, subissant la haine instinctive de l’inquiétant Willard sans comprendre le moins du monde ce qui se passe vraiment autour de lui (au-delà de la seule déduction d’un inceste évident…), tandis que le lecteur dispose pour sa part des clés qui lui manquent, là oui, ça marche, et très bien, même.

 

Sans doute est-ce dans cette optique également qu’il faut inscrire la volonté de Moore d’introduire d’autres sujets dans son récit – par exemple la sexualité oppressante de Robert Black, mais tout autant de ceux qu’il interroge (nécrophilie, bestialité, inceste… L’outrance, ici, se justifie peut-être d’autant plus par l’homosexualité du héros – avec les connotations qu’elle pouvait impliquer dans l’Amérique de 1919), qui amène à questionner la présence ou l’absence de ce thème dans les récits de Lovecraft (sujet à débattre, hein).

 

On peut sans doute évoquer, pour les mêmes raisons, les nombreux renvois à l’actualité de 1919, témoignages d’une érudition coutumière, peut-être même un brin m’as-tu-vu, mais qui peuvent à terme déboucher sur des choses intéressantes, sait-on jamais – ainsi par exemple de la signature du Traité de Versailles, du vote de la Prohibition ou de la grève des acteurs, peut-être aussi de l’immigration via Ellis Island, ce genre de choses.

 

Ça va même parfois plus loin : Moore, en se posant en 1919, traite d’un monde où le nazisme et la Shoah ne sont peu ou prou même pas envisageables, aussi ses allusions plus ou moins discrètes à ce que l’avenir allait réserver sous peu se montrent-elles particulièrement glaçantes pour le lecteur. Ça commence avec les institutions de suicide/euthanasie du premier épisode, tirées du Roi en Jaune, et évoquant clairement des chambres à gaz. Plus tard, surtout, dans l’équivalent mooresque d’Innsmouth (Salem ?), la purge des hybrides est envisagée au travers d’un cauchemar tenant peu ou prou de l’épiphanie, avec esquisses de camps de concentration et chambres à gaz là encore à peine entrevues. Mais, très concrètement, Black et son guide tombent aussi en cours de visite sur le « signe des anciens » tel qu’il avait été défini par Lovecraft dans « The Shadow over Innsmouth » (avant que Derleth ne fasse le ménage, donc), témoignant de la haine des puritains contre les métis dégénérés du front de mer : ledit signe est bien évidemment une swastika, symbole peu ou prou inconnu alors, car libre des connotations qui en deviendront ultérieurement indissociables, et que le guide, marqué dans son physique par son ascendance trouble, qualifie de « croix gommée » sans que Black soit en mesure de relever l’erreur. Ce qui m’a paru plutôt bien vu, pour le coup.

 

Un autre aspect est à signaler, qui n’a sans doute rien de surprenant chez Moore en tant que tel (il figurait déjà dans Watchmen, par exemple, et est devenu de plus en plus fréquent depuis Black Dossier) : chaque épisode se voit compléter par des « documents » textuels, de plusieurs sortes. Le principal, systématique, consiste en une sorte de « journal intime » de Robert Black – même s’il s’agissait à la base d’un cahier de notes, où rassembler phrases, thèmes et idées à travailler le cas échéant dans le cadre d’une nouvelle ou d’un roman. Ce dernier emploi a bien son importance, et nous vaut un intéressant travail sur l’inspiration et l’écriture, où les bonnes idées ne manquent pas (et peut-être tout autant les mauvaises, mais délibérément). L’aspect « journal intime » n’est cependant pas à négliger, et se révèle plutôt une bonne idée : si Alan Moore peut introduire ici des éléments complémentaires, ne figurant pas dans l’épisode à proprement parler ou tout juste esquissés (ainsi de la sexualité dévorante de Robert Black), c’est en fait surtout l’occasion de revenir sur les éléments narrés précédemment, cette fois en imposant un point de vue distinct de celui du lecteur, permettant dès lors d’envisager le récit d’une manière subtilement différente. Ce qui pourrait être laborieux, dit comme ça, mais s’avère en définitive étrangement pertinent – en participant là encore d’une sorte de mise en abyme, de la création littéraire en général comme de l’horreur lovecraftienne en particulier. Et il faut donc y ajouter des documents rassemblés au hasard par Robert Black, brochure ésotérique destinée à un public confidentiel, bulletin paroissial pas très chrétien, dessins lourdement évocateurs de la simplette Wheatley à jamais traumatisée… C’est toujours bien vu.

 

 

Bon, finalement, il y avait des choses à dire, hein. Au sortir de ce compte rendu, je ne peux que constater qu’il y a bel et bien des trucs très intéressants dans ce premier tome de Providence – des choses qui ne m’étaient peut-être pas apparues au premier coup d’œil, confirmant que cette nouvelle œuvre d’Alan Moore, comme bon nombre de celles qui l’ont précédée, demande à être creusée, approfondie, pour révéler tout son intérêt. Il y a sans doute encore de la marge, du coup. C’est juste que la première impression n’est pas aussi systématiquement bluffante que dans les grandes œuvres d’antan, alors ? Possible… La magie opèrerait-elle encore malgré tout ? C’est à voir – j’en doutais un peu à la première lecture, même si le quatrième épisode m’a bien davantage convaincu que les précédents (il est délicieusement pervers et authentiquement flippant), mais il me faudra probablement poursuivre l’expérience, oui. Et éventuellement relire ce premier tome avec un peu plus de distance – avec Moore, ça se révèle souvent payant.

Voir les commentaires

Rushmore

Publié le par Nébal

Rushmore

Rushmore, Mister Frankenstein, coll. Shooter, 2015, 52 p.

 

Il y a quelque temps de cela, je vous avais causé de Patient 13, jeu de rôle signe Anthony « Yno » Combrexelle qui m’avait fait forte impression… mais à tel point, en fait, que j’en avais conclu qu’il ne valait mieux pas pour moi y jouer, et ce quand bien même ça me parlait énormément tant dans le fond que dans la forme (ou justement pour cette raison, en fait). A la même époque, je m’en étais cependant procuré un autre titre – le plus récent, sauf erreur –, le présent Rushmore, d’un format bien différent, mais jouant là encore de l’horreur sordide et bizarre, encore que d’une manière sans doute autrement fun.

 

Mais parlons tout d’abord du format : Rushmore est ce que son auteur appelle un « shooter » (c’est le deuxième après Outer Space). Ce type de produit tient intégralement dans un tout petit bouquin (d’une cinquantaine de pages, donc), rassemblant tout le nécessaire pour jouer (ou presque ?) : on y décrit un cadre de jeu concis mais pourtant riche, avec quatre fiches de personnages prétirés, des pistes de scénarios en veux-tu en voilà (je me demande néanmoins si un scénario à proprement parler n’aurait pas été le bienvenu, d’où mon « ou presque » quelques lignes au-dessus), et un système de règles tout simple (une adaptation de Corpus Mechanica Plus) ; l’idée étant de pouvoir lire tout ça très vite et de s’y lancer rapidement – même si, à mon sens, au-delà de la concision du cadre et de la simplicité des règles, il me semble que le MJ a quand même un minimum de boulot préparatoire à accomplir.

 

Le cadre, maintenant – et ses inspirations. Rushmore propose de jouer les quatre enfants de la famille Rushmore (donc), tous prénommés en fonction des présidents dudit monument par un parent « facétieux ». Les Rushmore – trois frères et une sœur, entre 20 et 35 ans – sont les fossoyeurs du bled paumé de Desolation, Texas (forcément ?), et ce sont des gens totalement infréquentables, qui ont de nombreuses occupations douteuses au-delà du cimetière (qui se trouve cependant être un accessoire bien pratique) – cela dit, leurs voisins ne sont pas en reste : il y a plein de squelettes dans plein de placards… Mais restons-en aux Rushmore : leur charismatique matriarche, à la réputation de sorcière, vient de mourir, laissant derrière elle un cinquième enfant bien particulier, connu sous le seul nom évocateur de Fœtus, et des post-it sur le frigo qui sont autant d’indications testamentaires inspirant les actions à venir de la fratrie. Les Rushmore tiennent donc parfaitement du code propre à certains grands films d’horreur américains des 70’s – en priorité Massacre à la tronçonneuse et La Colline a des yeux –, de la famille dégénérée redneck/white trash, vautrée dans la crasse au moins autant que dans l’ultraviolence et la décadence, et foncièrement amorale. L’auteur évoque d’autres influences essentielles, comme l’excellente BD Preacher de Garth Ennis – je dirais probablement pour l’outrance, à base de pèquenots dont l’histoire est toujours d’une glauquitude invraisemblable – ou les films de Rob Zombie La Maison des 1000 Morts et peut-être plus encore The Devil’s Rejects, qui mettent ces dangereux maniaques bouseux au premier plan, en alternative aux classiques mais fades héros/victimes coutumiers du genre (mais, très bizarrement, je n’avais pas vraiment accroché à ces deux films, il faudrait peut-être que je retente l’expérience…). Yno cite d’autres influences qui me parlent moins (dont la série Six Feet Under, qui s’impose probablement), mais l’essentiel est là.

 

Je dois dire que la perspective d’offrir aux joueurs d’incarner des enflures pareilles ne manque pas de me séduire – en fait, ces derniers temps, je me suis quelque peu interrogé à ce sujet, cherchant un jeu ou une campagne qui permettrait de jouer « de l’autre côté de la barrière », en redoutant toutefois que cela tende à la caricature (sans même parler de la bourrinade). Sur ce plan, Rushmore s’en sort très bien – probablement parce qu’il est plus outrancier que véritablement caricatural : au-delà des seuls Rushmore et de leur maison aux tombes, chaque lieu, chaque PNJ décrit – il y en a un certain nombre, finalement – accumule, au-delà des mots-clés de caractérisation, les détails violemment sordides, mais avec un goût de l’excès mêlé d’inventions bienvenues qui en fait quelque chose de bien plus intéressant qu’un vulgaire cliché, même si la référence sous-jacente est régulièrement de mise ; on pourrait peut-être plutôt parler de « codes », dès lors ? C’est en tout cas très réjouissant, et offre déjà des opportunités de jeu bien différentes, selon que l’on entend mettre l’accent sur la répugnance voire le dégoût, ou sur l’humour (et il y a sans doute une voie médiane toute désignée pour exprimer pleinement le sel de Rushmore, avec sans doute toujours l’amoralisme au premier plan). Et peut-être même un peu d’empathie voire d’humanité ? Allons bon !

 

Je n’ai guère envie de m’étendre ici sur les règles – sans être particulièrement enthousiasmantes, elles sont a priori simples (des Aptitudes, quelques rares Spécialités autorisant des relances… ce dernier mécanisme, essentiel, n’est peut-être pas forcément si intuitif que cela, mais bon…) et devraient faire le job aisément… Je note par contre une mécanique complémentaire un peu plus originale, concernant les trois traits propres à chaque PJ, qui ont donc tous un Tic, un Vice et une Vertu, en rapport avec leur Ressource fluctuante ; le Tic, une indication de jeu, contraint le joueur, qui doit le mettre en scène : s’il n’y pense pas ou s’y refuse, un autre joueur peut (et doit ?) le « tacler », ce qui lui fait perdre de la Ressource… Ce qui, sur le papier, me laisse un brin sceptique : si pousser à l’interprétation est toujours bienvenu, je me demande si ce principe contraignant de tacle, d’autant qu’il implique les joueurs sans l’intermédiaire du MJ, dans un sens, ne risque pas d’introduire paradoxalement une dose de « méta » plus ou moins bienvenue – mais je peux me tromper, hein, c’est juste une interrogation à ce sujet. Cela dit, cette mécanique fonctionne sans doute d’autant mieux qu’elle est gérée par une table « mature » – mais au vu du sujet du jeu de toute façon, la maturité est essentielle pour mener à bien la partie, à tous les niveaux.

 

Que raconter, alors ? Il y a sans doute deux approches, complémentaires : les post-it de môman peuvent fournir autant de « missions » (j’ai failli écrire « quêtes »…), mais je suis nettement plus attiré (comme souvent ?) par la perspective d’un « bac à sable » autrement libre, où le MJ comme les joueurs puisent dans les très nombreuses indications ou suggestions contenues dans ce petit bouquin, inscrivant les personnages dans le quotidien et révélant ainsi tout un monde à travailler. Ce qui vient contrebalancer le bémol évoqué plus haut de l’absence de scénario en tant que tel – c’était sans doute plus une question de prise en main qu’autre chose…

 

Et peut-être, en fin de compte, est-ce mieux ainsi… Parce que le bref chapitre de « Révélation », exposant les secrets de « l’histoire », ou peut-être plus précisément les réalités sous-jacentes du cadre, ne m’a vraiment pas paru à la hauteur : le bizarre et le sordide si délicieux dans les pages précédentes, évoquant une sorte de bisserie lynchienne ou de Lynch bisseux, avec beaucoup d’astuce et une dose de réjouissant mauvais goût, débouche ici sur un canevas plutôt convenu, et passablement lourdingue à vrai dire – outre qu’il inscrit plus radicalement la storyline des Rushmore dans un registre « fantastique » (disons-le ainsi pour éviter d’en révéler trop) qu’on ne faisait jusqu’alors que subodorer sans trop y croire, ce qui, pour le coup, ne me parle guère (surtout sous cette forme…). Une déception à cet égard, donc.

 

Très relative et qui ne change sans doute rien à l’essentiel : en l’état, malgré cette faute de goût relative (à mon sens tout du moins), Rushmore est un chouette petit bouquin globalement très bien fait, et qui donne une furieuse envie de tenter l’expérience – je vais y réfléchir, en tout cas : avec une table adéquate, il y a sans doute de quoi s’amuser énormément.

Voir les commentaires

Darkest Dungeon

Publié le par Nébal

Darkest Dungeon

Darkest Dungeon (PC)

 

Voilà un jeu indé étonnant, reprenant des procédés classiques et chers à mon cœur, du combat au tour par tour à la gestion de héros en passant par une grosse dose de donjonnerie d’autant plus savoureuse qu’elle s’avère bien vite éminemment lovecraftienne, et donnant en définitive quelque chose de subtilement différent, pourtant. Qualifié de « rogue-like » (je n’avais aucune idée de ce que ça pouvait bien signifier il y a quelques jours à peine), Darkest Dungeon – qui a longtemps été disponible en version test avant sa sortie complète officielle toute récente – reprend en fait la base des combats au tour par tour, contre des ennemis largement aléatoires, d’une palanquée de RPG classiques. Cela dit, je n’en ferais pas un RPG pour autant : on n’a guère de prise sur « l’histoire », si tant est qu’il y en ait vraiment une, les personnages sont par nature éphémères (j’y reviendrai)… Non, seul compte ici le combat tactique – et la gestion stratégique qui l’accompagne.

 

Chouette ambiance, pourtant… Tout commence quand on reçoit une lettre d’un aïeul sous le coup de la panique : dans un manoir ancestral appartenant à la famille, il a fait preuve d’un peu trop de curiosité mal placée, et réveillé au fond du fond du « donjon » (au sens rôlistique) qui s’étend interminable sous la bâtisse un paquet d’horreurs sans nom. Alors il nous a demandé, à nous, l’héritier, de régler le problème, bien sûr… quand la seule réaction saine d’esprit serait de fuir en hurlant, sur un autre continent tant qu’à faire – voire une autre planète, on n’est jamais trop prudent. On arrive, pourtant, accompagné de deux héros, pour faire le ménage dans la région – oui, la région, pas encore le « Darkest Dungeon » à proprement parler, tout simplement parce que s’y rendre en l’état serait du suicide pur et simple (et c’est vraiment pas une blague). Alors on descend dans un hameau délabré au pied du manoir, qu’il s’agira de redévelopper pour lui rendre son lustre d’antan, à partir des ressources collectées dans quatre zones environnantes : les Ruines, les Tanières, la Futaie et la Crique (chacune a ses particularités, ses antagonistes, ses récompenses…). Au fur et à mesure de notre avancement (chaque quête, avec les événements parallèles au hameau, représente une semaine en temps de jeu), on aura l’occasion de percevoir bien autrement l’ancêtre aux abois qui a réclamé notre secours, et qui, à maints égards, a bien cherché ce qui lui est tombé sur le coin de la gueule ainsi qu’à toute la région, ce gros con… Mais bon : faut bien que quelqu’un fasse quelque chose, hein ?

 

À nous de jouer, donc : on va sélectionner en fonction des disponibilités une équipe d’aventuriers, au sein de laquelle on piochera, à chaque mission, quatre héros seulement – en tenant compte de leur position relative (lors des quêtes, la vue est latérale, notre groupe à la gauche de l’écran, celui des adversaires à la droite ; on passe donc des héros les plus éloignés des ennemis – place attitrée des guérisseurs et autres attaquants à distance – aux plus proches – les grosses brutes qui tranchent et encaissent). Chaque combat, lors de l’exploration de telle ou telle région (à chaque fois générée aléatoirement), opposera ainsi ce petit groupe à un groupe équivalent de monstres (quatre au maximum, parfois moins). Et il s’agira de vaincre, oui, mais peut-être avant tout de survivre…

 

Quelques mots sur les classes de héros ? Sauf erreur, il y en a quatorze (et on peut en avoir plusieurs représentants à la fois, c’est même sans doute indispensable au bout d’un moment). J’ai envie de commencer par mes préférées (dans l’ordre alphabétique) : l’Arbalétrière est une bonne combattante à distance avec une légère capacité de soin ; le Bandit est assez versatile, entre ses attaques au corps à corps qui peuvent faire saigner, et ses pistolets à distance (je crois en outre qu’il est plus doué que les autres pour repérer et désarmer les pièges ?) ; la Furie est peut-être la combattante la plus bourrine, mais ses techniques variées la rendent redoutable et capable de frapper partout ou presque, même si elle tend à s’exposer un peu trop ; le Lépreux, très brutal, assène des coups terribles aux premiers rangs, et bénéficie d’une capacité de soin personnelle assez intéressante (sa capacité de Purge, qui fait disparaître les dépouilles des ennemis, peut aussi s’avérer utile à l’occasion – le sort des dépouilles peut en effet être d’une grande importance dans la tactique à adopter) ; le Maître-Chien attaque où il le désire avec son molosse (qui peut voir ses capacités améliorées avec des os à ronger, qui prennent cependant une petite place dans l’inventaire commun – où les places sont chères) et bénéficie lui aussi d’une bonne capacité de soin personnelle ; l’Occultiste est un lanceur de sorts (tentaculaires, fgh’nwxl’ui) relativement versatile, mais sa capacité de soin est essentielle (c’est cependant à la roulette russe : c’est le guérisseur le plus efficace potentiellement, de loin, mais les points de vie rendus sont déterminés très aléatoirement, de 0 à un gros paquet – et il y a un risque non négligeable qu’il fasse en outre saigner ses patients, ce qui peut les handicaper dangereusement…) ; la Pillarde est très douée pour l’attaque à distance, ses dagues font des ravages (mais elle peut aussi employer une pioche au corps à corps) ; la Vestale, enfin, est une guérisseuse typique, moins puissante dans l’absolu que l’Occultiste, mais autrement plus régulière, ce qui peut éviter de fâcheuses surprises, et elle dispose de menues capacités d’attaque à distance, qui ont parfois pour effet secondaire d’améliorer la luminosité ambiante.

 

Au second rang, moins intéressants à mon sens, le Croisé est un guerrier saint brutal, avec une très légère capacité de soin (physique comme stress) ; le Docteur Lapeste a une petite capacité de soin (y compris du saignement et de l’infection, ouf), mais est sans doute plus utile à jeter des potions sur l’ennemi afin de l’infecter – ce qui ne fait guère de dégâts dans l’immédiat, mais peut s’avérer fatal à brève échéance ; l’Homme d’Armes et le Mercenaire sont des combattants lambda, qui me paraissent globalement moins intéressants que leurs comparses Furies et Lépreux (leur atout réside probablement dans leur positionnement, pas nécessairement aux premières loges).

 

Deux classes m’intéressent nettement moins a priori, même si elles peuvent s’avérer intéressantes voire cruciales : l’Abomination est à part, et c’est clairement la classe que j’ai le moins souvent employée (d’autant que les héros « religieux », en tout cas les Lépreux et les Vestales sauf erreur, refusent de partir en quête aux côtés d’une Abomination…) – ce métamorphe peut se montrer redoutable, mais ses transformations influent sur le stress de ses camarades, ce qui le rend d’un emploi délicat (et quand il ne se transforme pas, il est quand même assez faiblard)… Le Bouffon, enfin, peut faire des attaques de saignement (moins puissantes à vue de nez que celles du Bandit – plus toutefois que celles de l’Occultiste et du Docteur Lapeste, généralement plus efficaces dans d’autres techniques –, mais pouvant cibler plusieurs adversaires à la fois), mais se montre surtout utile avec son luth (notamment dans sa capacité à diminuer le stress, parfois fort utile) ; il tend aussi à se déplacer lors de ses actions, bouleversant l’ordre soigneusement établi des héros – ce qui, là encore, rend son emploi parfois délicat.

 

On sélectionne donc à chaque fois quatre personnages au sein de ces différentes classes (à condition qu’ils veuillent bien obéir, notamment au regard de leur compétence comparée au niveau de la mission : ainsi les personnages de niveau 3 refusent de participer à des quêtes inférieures à leur niveau, même chose plus tard pour les héros de niveau 5 – le « Darkest Dungeon » à proprement parler est niveau 6, a priori le maximum), on détermine leur ordre de passage, et on les envoie en mission, dans telle ou telle région – les récompenses de quête, utiles pour améliorer le hameau, sont déterminantes dans le choix du lieu de l’action, sans doute. Ils entrent alors dans un « donjon » généré aléatoirement, composé de salles et de couloirs – ces derniers reliant donc les premières. Les objectifs de la mission varient – il s’agit souvent d’explorer 90 % au moins des salles, ou de se livrer à tous les combats de salles, mais on trouve bien d’autres choses, comme l’activation d’objets particuliers (qui peuvent aussi bien se trouver dans des couloirs, attention), ou l’exécution de boss souvent redoutables (et qui tendent invariablement à se planquer dans les salles les plus éloignées de notre point de départ, on peut jouer là-dessus). Les salles comme les couloirs abritent leur lot d’adversaires, mais aussi de trésors et d’objets variés dits « curiosités », qui peuvent avoir des effets variés sur nos personnages – généralement, il vaut mieux utiliser un objet précis de notre inventaire pour en révéler le potentiel éventuellement bénéfique (là encore, sinon, ils peuvent constituer des pièges parfois très nocifs – c’est même le plus souvent le cas). La capacité de repérage de certains personnages (des particularités positives débloquées aléatoirement, en fonction des régions) permet parfois de deviner où il y aura un combat, où un trésor ou autre objet, où un piège, où un obstacle à dégager à la pelle (ou à mains nues, mais c’est dangereux…), où, enfin, une salle secrète (au trésor souvent considérable).

 

Alors on avance. Et on se livre régulièrement à des combats très dangereux – souvent fatals, en fait. Car c’est sans doute là l’aspect essentiel de Darkest Dungeon : nos héros meurent régulièrement – autant ne pas trop s’attacher à eux… Le péril est immense, la difficulté va de pair, et on a nécessairement des pertes – parfois très rageantes, ainsi quand on a fait progresser de niveau en niveau un vieux compagnon, qui n’en tombe pas moins comme une merde devant tel ou tel antagoniste particulièrement coriace… ou chanceux.

 

Alors il tombe, oui.

 

Définitivement.

 

Car – c’est là qu’est l’os – vous pouvez d’ores et déjà abandonner vos réflexes classiques à base de sauvegardes et de chargements rapides, gommant vos boulettes et autres malchances. Ici, ça ne marche tout simplement pas comme ça. Ce n’est pas vous qui décidez des sauvegardes : dans votre fichier (il y en a trois), c’est le logiciel qui gère, sauvegardant automatiquement à la moindre action, ce qui interdit tout retour en arrière. La moindre erreur se paye – parfois, à vrai dire, au point de tout foutre en l’air, ce qui peut s’avérer très agaçant quand on commence à atteindre un bon niveau… Mais on n’a pas le choix : il faut faire avec, c’est là que réside le cœur du jeu.

 

Je ne suis pas exactement un gamer frénétique et un champion du clavier/souris. Les jeux trop difficiles me saoulent vite. Mais là je me suis régalé – même si je m’accorde immédiatement une pause salutaire, parce que je n’en peux plus… Mais je ne doute pas d’y revenir un jour. Car Darkest Dungeon, s’il est cruel et sadique, est aussi étrangement addictif.

 

Les combats au tour par tour, centraux, font appel à des adversaires tous doués de capacités spéciales à bien prendre en compte pour établir notre propre tactique – au moins autant que les capacités propres à nos héros. Pour chaque personnage, on peut choisir quatre commandes dans un ensemble plus vaste ; toutes ont leurs conséquences particulières, clairement explicitées – les caractéristiques apparaissent également, au moins en partie : protection, précision, esquive, vitesse, sont toujours à prendre en compte, et, là encore, la moindre erreur d’inattention peut avoir des conséquences très lourdes – conduisant bien vite le personnage à 0 points de vie, c’est-à-dire en état d’agonie, qui, outre des malus nécessaires, rend sensible à la possibilité de coup fatal entraînant la mort du héros.

 

Mais tout cela devient bien vite palpitant et on apprend rapidement de nos erreurs – inévitables – lors des premières parties. Darkest Dungeon procure ainsi un plaisir tactique admirable, et sans doute la difficulté affichée du jeu participe-t-elle de la passion que l’on peut y investir – tenant peu ou prou de l’addiction, et ce quand bien même l’action a par nature quelque chose d’un poil répétitif. En tout cas, les paramètres à prendre en compte sont nombreux, ainsi qu’on s’en aperçoit lors de notre apprentissage à la rude dans les premières heures de jeu.

 

La mort, cependant, n’est pas le seul obstacle dans Darkest Dungeon. Il se montre par ailleurs assez sévère et pointu dans un autre aspect pas forcément très fréquent dans ce type de jeu : le stress. Chaque personnage dispose en effet d’une jauge de stress, qui commence à 0. Une attaque ratée, un coup critique reçu en pleine poire, la luminosité faible (la gestion des torches est un aspect important), l’impossibilité de se nourrir, sont autant d’aspects pouvant remplir peu à peu (mais surtout de plus en plus vite…) la jauge de stress de chacun, là où les possibilités de la vider en cours de quête sont somme toute assez rares (défaite d’un ennemi, coup critique porté, quelques rares capacités spéciales…) – il faut pour cela user de capacités spécifiques lors de la phase de camp s’il y en a une (j’y reviens), et surtout des possibilités offertes par la taverne et l’abbaye au hameau, entre les quêtes (j’y reviens aussi). Quand la jauge atteint 100, il peut se produire deux choses : exceptionnellement – très exceptionnellement –, le héros stressé y trouvera une occasion de puiser des forces tout au fond de lui-même, ce qui diminuera sa jauge et surtout le rendra plus puissant jusqu’à la fin de la mission (il en fait par ailleurs souvent profiter ses camarades) : on parle alors de « vertu ». Mais, le plus souvent, le héros développera une affection temporaire négative : par exemple, il deviendra craintif, ou masochiste, ou paranoïaque, ou injurieux… Ce qui l’amènera souvent à agir dans le sens de son trouble mental indépendamment des instructions qu’on souhaiterait lui donner. Et il y a ici un effet « boule de neige » (on en trouve de nombreux autres exemples dans ce jeu fort rude, mais c’est particulièrement sensible ici) : le comportement et les paroles du héros stressé stressent d’autant plus les autres, qui ne tarderont pas forcément à atteindre eux aussi un score de 100 avec ces conséquences fatidiques, ce qui contribuera encore à accroître le stress global – et précipitera bien souvent l’équipe entière vers sa ruine… D’autant que la jauge se remplit au-delà de 100 : en fait, son maximum est de 200 – et, une fois ce score atteint, le héros n’est plus en mesure d’encaisser le stress, il fait une crise cardiaque, bien souvent fatale (et qui accroît encore le stress des autres, etc.).

 

Les héros n’ont guère de possibilités de répit en pleine quête. Même la nourriture tient plutôt du préventif – nourrir ses personnages ne leur procure qu’un bien maigre réconfort, mais la famine est une alternative terrible, diminuant les points de vie et augmentant le stress… La seule vraie possibilité en la matière, c’est celle du camp – qui n’a rien de systématique : si l’on choisit où le poser, c’est toutefois en fonction de la durée supposée de la quête – il n’y a pas de camp dans les quêtes courtes, un seul dans les quêtes moyennes, deux dans les quêtes longues. Lors de cette phase d’une importance stratégique cruciale, les héros – outre le repos et la nourriture (qui se montre cette fois autrement plus gratifiante, améliorant bien plus le gain de points de vie et la diminution de stress), les personnages y font appel à leurs capacités de camp (parmi les quatre que l’on a sélectionnées pour chacun) : c’est l’occasion de soigner des camarades ou de diminuer leur stress (chose autrement impossible en dehors des combats – on ne peut pas utiliser, par exemple, les capacités de soin des Occultistes et des Vestales en se contentant d’arpenter les couloirs, ce qui, au fond, est certes absurde, mais participe des principes tactiques et stratégiques du jeu), mais aussi, par exemple, d’améliorer ses capacités, tant en matière de combat que de repérage. Organiser une veille, par ailleurs, peut prémunir d’un assaut surprise dans les ténèbres, toujours à redouter… Le choix pertinent du bon moment pour planter le camp, et celui des capacités à employer (leur nombre est limité par la durée du repos), peuvent décider du succès ou de l’échec de la mission.

 

Notons au passage que l’on est parfois contraint de fuir, soit dans un combat – ce qui peut échouer –, soit en phase d’exploration : les héros survivants rentrent alors au hameau la queue entre les jambes, et prennent encore plus de stress dans la face… mais au moins ils sont vivants ! Le gros problème de la fuite, à mon sens, c’est la perte d’argent : il n’y a aucune garantie, en fonction du moment où l’on fuit, que l’on pourra tirer suffisamment d’argent des ressources collectées pour financer l’expédition suivante (au moins la nourriture et les torches, peu ou prou indispensables, a fortiori si la quête est moyenne ou longue…) – on est alors contraint, au mieux, à vendre des « objets magiques »… ou à partir en quête dans le noir et le ventre vide, ce qui justifie amplement des nœuds cruels dans l’estomac.

 

Les héros ont cependant une vie, au-delà même des seules explorations de donjons. Ils se singularisent progressivement par l’acquisition de « manies », parfois positives (par exemple, untel a une bonne faculté de repérage dans la Futaie, un autre a 10 % de points de vie en plus, un troisième profite davantage que les autres des effets de la méditation…), souvent négatives (celui-ci passe son temps à boire au hameau, un autre est kleptomane et garde pour lui les trésors trouvés lors des quêtes, un troisième est plus sensible à la maladie que les autres, un quatrième a des pulsions irrépressibles d’ordre religieux…). De même, les héros sont parfois (assez souvent, en fait) exposés à des maladies qui les rendent moins efficients…

 

On traite tout ça, ainsi que le stress, au hameau – contre monnaie sonnante et trébuchante, et en fonction des places disponibles (qui s’accroissent au fur et à mesure que l’on développe le village). Le stress peut être combattu dans deux bâtiments : la taverne (boire, jouer, faire un saut à la maison close) ou l’abbaye (méditer, prier, se faire flageller), à choisir en fonction des profils de chacun et des nécessités de soin autant que des disponibilités. Ces bâtiments sont essentiels – indispensables, même, et on y fait souvent recours, tant qu’on a l’argent pour ça. Le sanatorium aussi est important, qui permet de guérir les maladies (souvent plusieurs d’un coup, ça ne se refuse pas), mais aussi, dans son aile « psychiatrique », de gérer les manies (véritablement mentales mais aussi physiques) : on peut verrouiller les manies positives que l’on entend conserver (la liste des manies positives comme négatives est en effet fluctuante, de nouveaux développements remplaçant les anciens), ce que j’avoue n’avoir jamais fait, mais surtout effacer les manies négatives – ce qui peut s’avérer très coûteux, a fortiori si la manie a été acquise il y a longtemps et s’est « installée »… mais on n’a pas forcément le choix.

 

D’autres « bâtiments » sont à développer au hameau : la diligence, accessible dès le départ (il faut attendre un peu pour les autres), permet de recruter (gratuitement !) des héros et d’accroître les places dans notre liste ; à la forge, on développera de nouveaux équipements, armes et armures (coûteuses, mais qui font toute la différence) ; la guilde permet de développer, choisir et améliorer les compétences de combat des héros, tandis que le campement permet de faire de même pour les compétences de camp ; reste la roulotte, où l’on peut se procurer des équipements spéciaux (en sus de ceux que l’on trouve lors des quêtes) – une possibilité dont je crois n’avoir jamais fait usage, c’est beaucoup trop coûteux et beaucoup moins profitable que les soins du stress, des manies et maladies, qui bouffent déjà pas mal de ressources, et il vaut bien mieux consacrer ce qui reste à la guilde et à la forge…

 

L’alternance entre les quêtes, oppressantes et régulièrement fatales, et la gestion au hameau, frustrante à force de compromissions et autres crève-cœur, procure un plaisir de jeu un brin pervers, relevant d’une certaine forme de masochisme, pourtant ô combien enthousiasmant. Le jeu, qui a bénéficié, donc, d’un long développement auprès des joueurs curieux, est mûrement réfléchi et bien conçu. Son principe – fort simple au fond, voire archaïque au premier coup d’oeil – est ainsi transcendé par une multitude de trouvailles bienvenues, au moins autant que par la difficulté assumée du software, qui fait de chaque quête ou presque un nouveau défi à relever (même si, au bout d’un moment, j’ai donc craqué, choisissant de faire une pause pour préserver mes nerfs : mes persos de niveau 5 crevaient tous les uns après les autres – ou en lot, en fait… –, je ne crois pas avoir pour le moment réussi une seule quête de ce niveau, et je n’ai donc même pas pénétré dans le « Darkest Dungeon » à proprement parler…).

 

La technique – au sens graphismes, animations et bande-son – n’est sans doute pas un élément forcément mis en avant dans ce type de produits, mais Darkest Dungeon s’en tire plus qu’honorablement dans l’ensemble. En fait, graphiquement, il est même très sympa – avec un style BD riche en ombres, façon dark fantasy, vraiment approprié et bien vu. Il en va de même pour les petites animations accompagnant les actions, sobres, minimalistes même, mais rythmées et pertinentes. Mon seul bémol, ici, porte sur le son : la musique se montre très répétitive, et vite soûlante ; et si les effets sonores sont réussis, les « commentaires sportifs » de l’aïeul sur ce qui se produit dans le donjon – coups critiques, luminosité faible, piège déclenché, et bien d’autres choses encore –, s’ils sont plutôt amusants dans un premier temps, deviennent à leur tour pénibles à force de répétitions…

 

Mais c’est très secondaire. L’intérêt est ailleurs – dans ce principe simple, presque convenu, pourtant sublimé par une ergonomie parfaite, riche de bonnes idées, car mûrement réfléchi de long en large. Darkest Dungeon n’est probablement pas un jeu à conseiller à absolument tout le monde, ne serait-ce qu’en raison de sa difficulté, bien sûr – même si, pour ma part, en petit gamer occasionnel et souvent effrayé par le moindre semblant de défi, j’y ai vraiment trouvé mon compte. Je vous invite cependant à y jeter un œil : ce « petit jeu » est sans doute bien plus riche et bien mieux pensé que nombre de gros machins plus frontalement époustouflants – et c’est ça qu’est bon.

Voir les commentaires

<< < 1 2