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Quartier lointain, de Jirô Taniguchi

Publié le par Nébal

Quartier lointain, de Jirô Taniguchi

TANIGUCHI Jirô, Quartier lointain, [Harukana machi-e], adaptation de Frédéric Boilet, traduit du japonais par Kaoru Sekizumi et Frédéric Boilet, préface de Jaco Van Dormael, [s.l.], Casterman, [1998-1999] 2006, 405 p.

 

LE MANGA D’AUTEUR, ET TOUTES CES SORTES DE CHOSES ?

 

Si j’ai longtemps ignoré ce qui se faisait en manga – et « ignorance » est bien le mot –, je n’ai pourtant pas manqué, au fil des années, de relever des noms d’auteurs qu’il me faudrait bien découvrir un jour… chose que je n’ai toujours pas faite aujourd’hui pour la plupart d’entre eux. Mais il s’agit de changer tout ça…

 

À ce compte-là, le nom de Taniguchi Jirô s’imposait en tête de liste ; j’en ai probablement entendu parler pour la première fois à l’époque de L’Homme qui marche, mais, quelque temps plus tard, c’est bien le phénoménal succès critique (et commercial ?) en France de Quartier lointain qui a achevé de me convaincre qu’il faudrait bien que je le lise un jour… Peu importe que l’auteur lui-même en ait été surpris, d’ailleurs.

 

À tort ou à raison, et sans doute via l’activisme essentiel en la matière de Frédéric Boilet (qui signe ici « l’adaptation », ce qui, au-delà de la traduction, concerne bien des choses, comme le sens de lecture et donc l’inversion ou pas des cases, leur disposition, celle des phylactères, ou encore le traitement des onomatopées, voire d’autres choses encore, moins bien définies, destinées à rendre la BD plus « sensible » ou « évocatrice » à un lecteur français – j’avoue ne pas avoir la moindre idée concernant la portée de cette « adaptation », et encore moins concernant la pertinence du procédé…), on a dès lors fait, ai-je l’impression, de Taniguchi Jirô l’incarnation même du mangaka-auteur – livrant une « bande dessinée d’auteur », avec tout ce que le qualificatif peut impliquer d’éventuellement désagréable, je ne vous fais pas un dessin (aha). Associé aux éditions Casterman, sous des labels affichant plus que jamais dès leur intitulé cette dimension « auteurisante » (« Écritures » ou « Sakka »), Taniguchi a, à tort ou à raison, développé en France quelque chose d’une icône, peut-être aussi d’une exception, qui le hisse hors de l’arène du manga « de divertissement », bouh le divertissement. Ceci dit, il serait sans doute malvenu de se fonder sur cette image pour dénigrer le travail d’un auteur – oui – qui n’en est sans doute en rien responsable…

 

Quoi qu’il en soit, nous sommes ici assez loin du manga d’horreur, « ero guro » ou SF que je découvre ces derniers temps. Et pas tout à fait, en même temps : d’une part, Taniguchi use ici d’un prétexte fantastique – même si ce n’est largement qu’un prétexte (et pourtant pas tout à fait, dans la mesure où l’auteur pèse avec précision les conséquences les plus puissantes, narrativement parlant, de son postulat) ; d’autre part, parmi mes découvertes récentes, il ne fait à mon égard aucun doute que des auteurs aussi divers que Umezu Kazuo (hop), Hino Hideshi (hop), voire dans un contexte plus radical Kago Shintarô (hop) le méritent bien, ce qualificatif d’ « auteurs » ; et un Maruo Suehiro (hop) en bénéficie sans doute déjà, sans la moindre ambiguïté.

 

Mais la différence de connotation demeure… Les auteurs cités restent globalement associés à des « mauvais genres », là où Taniguchi Jirô, même usant d’un filtre fantastique comme ici, donne plutôt l’impression de l’équivalent en manga d’un écrivain auteur de « blanche » s’encanaillant dans le genre… À tort ou à raison, encore une fois – et sans imputer la responsabilité de ce préjugé à l’auteur lui-même.

 

L’APPROCHE CINÉMATOGRAPHIQUE

 

L’association cinématographique est éloquente à cet égard : bien loin de la « J-horror » ou de l’ « ero guro », dont les déclinaisons essaiment dans tous les médias, j’ai l’impression qu’on évoque systématiquement, concernant Taniguchi Jirô (et lui-même n’est d’ailleurs pas le dernier à le faire), le cinéma d’Ozu Yasujirô – qu’il faudra bien que je découvre un jour, une fois de plus, ça fait bien longtemps que je me le dis sans passer à l’acte…

 

Connaissance des deux auteurs ou pas, cette assimilation suscite inévitablement des préconçus – certains positifs, d'autres moins... On insiste notamment sur la façon dont le travail graphique autant que narratif de Taniguchi Jirô a quelque chose de cinématographique, mais à la manière d’Ozu, en termes de cadrage, de point de vue, de découpage temporel, voire produit un délicat et habile « travail du son » dans le contexte même de la planche – ce qui n’est sans doute pas donné à tout le monde. La brève préface du réalisateur belge Jaco Van Dormael va dans ce sens.

 

À vrai dire, le (très) peu que je connais du manga m’a souvent incité à adopter ce genre de comparaisons – mais, cette fois, c’est encore autre chose… Prenons par exemple Akira, d’Ôtomo Katsuhiro – manga culte, inutile de vous le présenter, mais qui est entre autres caractérisé par une action débridée, à des années-lumière de Quartier lointain ; aussi, au-delà des seules questions cinématographiques de cadrage et de montage, communes, cette BD adopte et sublime un trait essentiel en découlant, que j’ai retrouvé dans la plupart des mangas qu’il m’a été donné de lire, bien plus marqué encore que dans les comics où on pourrait pourtant le juger capital, et peu ou prou incompatible avec les canons franco-belges : le dynamisme. Le découpage habile d’Ôtomo, le trait précis et vif impliqué par les choix narratifs, s’associent pour susciter un fantasme de mouvement rarement égalé – une symphonie chaotique, en tant que telle toute de bruit et de fureur, selon l’expression consacrée. Côté cinéma, nous serions peut-être du côté de Fukusaku Kinji, ou de tel ou tel maître du chanbara ? Voire un Kitamura Ryûhei, plus hystérique que jamais…

 

Mais pas Taniguchi – pas ici, du moins (mais il a pu s’exercer auparavant dans d’autres genres, dont le polar hard-boiled, sans doute plus propices à la mise en avant de cette dimension) : son cadrage est tout aussi habile, son découpage temporel – et donc son montage – est à son tour d’une pertinence impressionnante, mais c’est dans un registre autrement sobre et calme… et souvent serein, en définitive (je ne parle toujours que de Quartier lointain). Son trait admirablement épuré, à la fois très nippon, et pourtant pas forcément si éloigné que cela des principes de la « ligne claire », renforce cet aspect cinématographique, et sert au mieux le propos, d’une sobriété lumineuse.

 

Mais qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions quand j’oppose un dynamisme coutumier du manga (préjugé peut-être, sans doute même) à l’épure élégante de Taniguchi Jirô dans Quartier lointain : cette dernière œuvre n’a pour autant rien de statique – en fait, il est bien des occasions où le mouvement y est subtilement rendu par quelques traits bien placés ; rien à voir, de par chez nous, avec un Bilal, par exemple – que j’apprécie énormément, mais trouve globalement bien « monolithique ».

 

Par ailleurs, il ne s’agit surtout pas de déduire de ce constat (plus ou moins fondé…) un quelconque jugement de valeur, de légitimer ceci pour rabaisser cela, ou l’inverse : rien ne serait plus étranger à mes préoccupations. Ce n’est pas une quelconque subjectivité – que ce soit celle de l’auteur, ou celle, non moins redoutable et pourtant nécessaire, du lecteur – qu’il s’agit de mettre en avant, mais une nuance passablement objective : prétexte fantastique ou pas, auteur ou pas, avec Quartier lointain, nous sommes en présence… d’autre chose. Sans qu’il soit à propos d’en déduire davantage pour l’heure.

 

Mais il serait bien temps de parler du contenu de la BD, non ? Mes excuses, je m’étale à mon habitude, et peut-être bien pour raconter n’importe quoi…

 

LE PRÉTEXTE FANTASTIQUE

 

Adonc : Quartier lointain, qui est peut-être la BD la plus célèbre de Taniguchi Jirô (et la plus récompensée ? Belle liste, en tout cas – pour ce que ça vaut…), prolonge l’entreprise dont L’Homme qui marche avait été un jalon essentiel : il s’agit de livrer un manga « du quotidien » ; nul bruit, nulle fureur, décidément – plutôt une peinture subtile des petits riens qui font une vie, au travers de personnages entiers et d’une sensibilité joliment rendue. Ce qui n’exclut pas une éventuelle gravité, c’est flagrant ici, même si d’aucuns ont voulu mettre en avant ladite sensibilité, au risque toujours à craindre de la muer en sensiblerie…

 

Mais la BD se distingue – peut-être ? – par son prétexte fantastique ; « fantastique » au sens large… puisque c’est ici d’une variation sur le voyage temporel qu’il s’agit, thème plutôt associé en principe à la science-fiction. Toutefois, il s’agit ici d’une SF « sans boulons » (dirait un Pratchett...), et si le voyage, avec sa singularité, est au cœur du récit, sa « justification » s’avère parfaitement inexistante en dehors des seules et cruciales nécessités du récit – nulle machine, nul phénomène objectif, « explicable » ou pas, de quelque ordre que ce soit ; en fait, tout particulièrement ici, Quartier lointain me paraît plutôt tendre vers un fantastique « académique » (mais souvent bien trop intransigeant ou réducteur), au sens où le questionnement sur le point de vue du narrateur – son caractère éventuellement « non fiable » – sous-tend, classiquement une fois de plus, l’ensemble du récit, ce jusqu’à une conclusion attendue pour ne pas dire convenue, en forme de pirouette dont on pourra, au choix, déplorer l’artifice, ou bien l’apprécier au seul regard de la validité du récit.

 

LE VOYAGE DE HIROSHI

 

Nous avons donc, de nos jours, Hiroshi – 48 ans, et un cliché de Tokyoïte à sa manière, forcément sarariman, et dont quelques cases habilement conçues suffisent, sans trop en dire, à nous faire prendre la mesure de la médiocrité et de la monotonie d’une vie qui lui pèse, qu’il en ait bien conscience ou non. Ses excès de boisson de la veille n’ont sans doute pas d’autre origine…

 

Homme décidément fait d’actes manqués, il n’y a dès lors rien d’étonnant à ce qu’il « se trompe » de train : plutôt que de retourner comme prévu auprès de sa terne petite famille, le voilà qui s’engage sur la route de Kurayoshi, sa ville natale, très campagnarde – ou du moins elle l’était, jadis. Finalement, Hiroshi s’accommode bien de cette « erreur », et ne cherche guère à la réparer – comme s’il se laissait guider par son inconscient. Il n’était pas revenu sur place depuis bien longtemps… L’occasion de retourner sur la tombe de sa mère, de longue date délaissée.

 

Mais Hiroshi perd connaissance dans le cimetière – et, à son réveil, il a bien d’autres préoccupations que l’horaire de son train ; la prise de conscience est progressive, mais bientôt les « faits » sont là : Hiroshi est retourné dans le passé – non pas en tant que quadragénaire, mais dans l’enveloppe de l’ado qu’il était, l’année de ses quatorze ans…

 

REVIVRE – ET CHANGER CE QUI PEUT L’ÊTRE ?

 

Mais ce voyage est bien singulier, au-delà des codes communément associés au thème du voyage temporel, inévitables paradoxes inclus – encore que l’idée d’une évolution parallèle dans le passé à partir d'un point de divergence identifié, celle donc d’une uchronie au niveau intime plutôt qu’historique, pourrait-on dire, soit de la plus haute importance dans la BD.

 

En effet, pour avoir l’apparence d’un gamin de quatorze ans, Hiroshi a pleinement conservé sa conscience, ses souvenirs et ses principes de quadragénaire – ce qui n’est tout d’abord pas sans cruauté… Il n’est donc pas tout à fait juste de prétendre qu’il « revit » son enfance, au sens où on l’entend souvent : les événements extérieurs ne s’imposent pas forcément tant que cela à notre héros déboussolé, contraint au rôle de spectateur de sa propre vie. Car, à mesure qu’il prend conscience des possibles, il « revit » pleinement, au sens le plus fort – c’est-à-dire qu’il est libre de faire d’autres choix que ceux qu’il avait fait « la première fois ». Et des choix meilleurs ?

 

Possibilité qui a bien vite quelque chose de grisant, en tout cas ! D’autant qu’être à nouveau, pour un temps indéterminé, un ado de quatorze ans, n’est pas sans charme aux yeux de notre sarariman un tantinet aigri ; sans doute, « la première fois », avait-il peiné comme il se doit, dans ses examens comme dans ses relations sociales – je doute que l’adolescence, vécue sur le moment, soit véritablement un paradis pour qui que ce soit… Mais y revenir, après ces longues et tristes années en tant qu’adulte ! Ça, pour le coup, ça s’avère très enthousiasmant… L’adolescence de Hiroshi n’était pas un paradis ? Qu’à cela ne tienne ! Sachant la suite des événements, peut-être est-il en mesure de la vivre au mieux – de créer lui-même cet hypothétique paradis…

 

Car Hiroshi brille, dans cette nouvelle adolescence – il est bien meilleur élève qu’il ne l’avait jamais été, meilleur sportif également (il n’y avait pas de mal…), tant ce corps vif et jeune lui paraît une bénédiction, à lui qui a bien trop longtemps subi son corps d’adulte oppressé. C’est une occasion unique à saisir au vol. Et les copains sont là… et les copines aussi – fantasme adolescent inclus, inaccessible dans sa précédente vie, maintenant à sa portée sans qu’il sache bien ni comment ni pourquoi…

 

LE POIDS DES CONSÉQUENCES

 

Mais c’est sans doute ainsi que Hiroshi prend le plus conscience de la portée de ses choix dans cette « nouvelle occasion » : en tombant amoureux de la fraîche jeune fille, ne trahit-il pas la femme qu’il avait épousée dans sa « première vie » ? Et tout autant leurs filles ? Certes, il n’a aucune idée de quand il les reverra – s’il doit jamais les revoir, si ce voyage dans le passé n’a pas tout simplement annihilé cette « première vie », sinon dans ses seuls souvenirs…

 

Jamais sans doute le sarariman n’avait-il eu pareille occasion de peser ses responsabilités, et de les interroger au regard de la morale… D’autant qu’il apparaît bientôt, juste en face de lui, le modèle même de ses propres errances et de leurs conséquences éventuellement gravissimes. Car l’année de ses quatorze ans a aussi été celle de la disparition de son père – parti du jour au lendemain sans dire un mot, abandonnant femme et enfants, les condamnant au doute et à la crainte, peut-être aussi à terme à la rancune… au risque qu’ils trouvent le moment venu dans leurs propres ménages un terrain propice à l’expression plus ou moins bien admise de leurs douleurs les plus traumatisantes, se répercutant ainsi de génération en génération en une chaîne sans fin de remords et de ruminations…

 

À bien des égards, ce questionnement moral est sans doute central dans Quartier lointain. Résumé en quelques lignes malhabiles, cela a éventuellement de quoi effrayer, j’imagine… Et, sans doute, en interrogeant la possibilité même du choix au regard de ses conséquences à long terme dans le microcosme familial, la BD devient-elle elle aussi « morale »…

 

LA SUBTILITÉ DE L’ENSEMBLE

 

Mais on aurait tort de s’arrêter là – car c’est précisément dans cette dimension que l’art narratif de Taniguchi Jirô se révèle le plus subtil. Le postulat avait sans doute en lui-même amplement de quoi dégénérer du côté du sentimentalisme, éventuellement pesant, voire de la niaiserie « éthique », croulant sous les lourdeurs d’un « bon sens » toujours à craindre, et éventuellement d’une pseudo-sagesse, aux racines sans doute profondes, mais débouchant banalement sur un « conservatisme » des plus fatiguant, si ça se trouve…

 

Ce n’est pourtant pas le cas, en définitive, car Taniguchi est autrement habile et pertinent : le rapport au père, ici, est loin d’être aussi convenu qu’on pourrait le croire – et une « simple » (façon de parler…) conversation sur le fatidique quai d’une gare suffit à détourner le propos vers des sphères plus complexes, et par là même plus enrichissantes et enthousiasmantes.

 

Et, pour y parvenir, Taniguchi fait preuve d’un réel brio – Quartier lointain est de ces BD (les meilleures) où le dessin et le texte se renforcent sans cesse, le scénario participant dans une égale mesure des deux. C’est ainsi que l’auteur nous campe des personnages entiers mais aussi humains, dont la sensibilité n’a finalement pas grand-chose d’exagéré, et qui sont bien vite pour le lecteur bien davantage que quelques traits couchés sur une planche – aussi précis soient ces traits.

 

Et, en traitant ainsi de l’adolescence (sous mes yeux de lecteur, à moi qui en abomine le souvenir !), avec ses joies oubliées autant que ses douleurs persistantes, il croque la vie comme seul un immense artiste peut le faire – d’abord en étant un témoin ouvert et perceptif, ensuite en sachant communiquer au lecteur le fruit de ses observations, avec la fausse simplicité d’un véritable maître, et l’épure qui sied aux sages. Le tableau est profondément touchant, et d’une justesse admirable.

 

Voilà : touchant, et juste. Ce sont là les qualificatifs à retenir, bien avant les fausses pistes telles que « moral » ou « sentimental », ou a fortiori « naïf ».

 

OUI, C’EST AUSSI BON QU’ON LE DIT

 

Disons les choses : j’ai entamé la lecture de Quartier lointain à moitié par « devoir » ; ce qui est rarement une bonne idée… À chaque page ou presque, au départ, j’ai ressenti le besoin de pondérer mon enthousiasme naissant (d’abord purement graphique) par de bien cyniques critiques fondées sur du vide. Je me voulais dubitatif, détaché donc, mais j’ai bien fini par m’abandonner au récit – acceptant sans plus le questionner pour le principe le brio de l’artiste. Au départ, je me devais de douter – comme si Quartier lointain ne pouvait à l’évidence être le chef-d’œuvre que l’on prétendait. Mais à l’arrivée, le bilan est clair : Quartier lointain est bel et bien ce chef-d’œuvre, et je n’ai pas envie de lui reprocher quoi que ce soit – sans doute le devrais-je pourtant, pour me montrer aussi juste que possible… Mais je n’en ai pas envie. Na.

 

Il me faudra donc poursuivre avec d’autres œuvres de l’auteur – car celle-ci m’a complètement désarmé ; sentiment pas désagréable, ma foi…

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (30)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (30)

Trentième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo, dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Tous les joueurs étaient présents. Les PJ étaient donc Dwayne O’Brady, Michael Bosworth et la journaliste Kelly McGillian (très vite remplacée par une certaine Romy…), et, en ce qui me concerne, le garde du corps aux ambitions d’écrivain Anatole « Froggy » Despart (mon personnage a rattrapé en début de partie ses jets de SAN en attente depuis la précédente séance, lors de laquelle j’étais absent).

 

I : LIÈVRES TERRIFIÉS ET TORTUES PUGNACES

 

[I-1 : Dwayne : « n° 3 », « n° 2 »] Dwayne, guère discret, avait attiré l’attention de l’automate n° 3 en retournant à l’entrée de la mine avec ses deux outils… Et l’automate, jusqu’alors insensible à nos actions, se met à le suivre, de son pas lent et mécanique. L’automate n° 2 réagit un peu plus tard, de la même manière.

 

[I-2 : Dwayne, Anatole : Tess McClure, William Harris-Jones] Dwayne et moi ressortons sur la plateforme, baignée du sang de l’adorateur massacré par TessDwayne ferme la porte, du même métal étrange que nous croisons sans cesse, mais il n’y a a priori aucun moyen de la verrouiller ; il décide cependant de la bloquer, au moins temporairement, avec un des deux outils qu’il avait emportés – il garde le second. [Par ailleurs, en réponse à une interrogation de la séance précédente, je lui confie le Derringer de mon patron, William Harris-Jones ; je garde pour ma part mon .45 amélioré, ainsi qu’une matraque en cuir.]

 

[I-3 : Dwayne, Anatole] L’escalier continue de descendre dans l’abîme après la plateforme, et nous empruntons donc à nouveau les escaliers – la luminosité ne cesse de diminuer à mesure que nous nous enfonçons dans le trou béant…

 

II : FAUX DÉPART

 

[II-1 : Kelly : « Scott »] Kelly, dans son mystérieux hôtel, entend un prénom scandé dans la salle d’où proviennent rires et musique jazz : « Scott ! Scott ! » Ce qui génère bientôt des applaudissements.

 

[II-2 : Kelly : Hippolyte Templesmith] Mais Kelly a d’autres préoccupations : elle est en plein combat contre deux gros bras d’Hippolyte Templesmith, en provenance d’Innsmouth ! Elle s’étonne à vrai dire un bref instant de ce que les coups de feu échangés n’aient pas suscité la moindre réaction de la part des fêtards… Elle fonce, avec un tabouret en main pour se protéger, sur le type qui lui avait donné un coup de lame, mais rate totalement son coup – et en subit une nouvelle blessure : le sang coule abondamment de sa hanche… Elle lâche son tabouret, et fait feu de son Derringer – elle touche sa cible, mais celle-ci n’en est somme toute guère affectée… Et l’homme au couteau revient à l’assaut – il parvient à planter sa lame en plein cœur de la journaliste ! [Réussite critique, dégâts doublés…] Kelly s’effondre aussitôt, et perd connaissance avant que la douleur ne devienne insoutenable – elle meurt très rapidement…

 

III : SOUS L’AURA DU SIGNE

 

[III-1 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Dans l’enclos au flanc de la colline, Michael et Sarah sont rudement affectés par le symbole aklo, d’une lueur vermillonne, au plafond du couloir où le fourbe Pierce Hawthorne les a guidés par traîtrise. Leur chair et leur peau sont en effet comme « aspirées » par la rune, ce qui suscite des blessures terribles. Sarah tombe à genoux, sous le coup tant de la douleur que de la surprise. Les déchets humains s’amalgament au plafond, renforçant toujours davantage l’aura lumineuse générée par le symbole aklo. Michael voulait se jeter sur Pierce Hawthorne, mais les dégâts causés par la rune et la souffrance les accompagnant l’ont ralenti, et l’universitaire obèse, bien sûr épargné par le piège magique, n’avait eu aucun mal à l’éviter.

 

[III-2 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Michael a cependant le temps de constater que Sarah, directement sous l’aura du signe, est plus affectée que lui-même – qui n’est toutefois pas épargné par l’enchantement. Il ne peut s’empêcher de se demander ce qui se produira quand la jeune femme sera pleinement absorbée… Pierce Hawthorne fuit en courant vers la porte au bout du couloir, opposée à celle par laquelle ils sont entrés, mais Michael choisit de l’ignorer – il préfère voler au secours de Sarah : il retourne auprès d’elle, la saisit par la main, et l’enjoint à le suivre : il faut qu’elle sorte de l’aura du symbole aklo ! En même temps, Michael sait très bien que, plus il s’approchera de Sarah, plus il sera lui-même affecté par le phylactère… À peine retourne-t-il sous l’aura que la peau de son dos s’arrache et bondit vers le plafond ! Est-il seulement possible de sauver Sarah ? La serveuse, un temps secouée par les cris de Michael, tourne des yeux terrifiés vers son sauveur… mais la peau de son crâne est aussitôt écorchée, qui s’amalgame aux autres déchets organiques agglomérés au plafond, et elle retombe aussitôt à genoux, dans un terrible cri de souffrance pure. Michael continue de lui crier de le suivre… mais doit s’éloigner sous peine de périr dans d'horribles souffrances.

 

[III-3 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] Michael se concentre donc à nouveau sur Pierce Hawthorne. Il tente de lui jeter une de ses lames, mais la douleur l’empêche de se montrer aussi efficace que d’habitude, et c’est un échec. L’universitaire, poussé par l’adrénaline, avance à grandes foulées vers la porte du fond. Son trousseau de clefs en main, il s’empare de la bonne et la glisse dans la serrure – dans le chaos ambiant, Michael parvient à entendre le déclic. Il constate aussi que Sarah s’efforce, derrière lui, de se dégager de l’aura – elle est bien sûr toujours affectée (Michael également – le champ d’effet concerne le couloir entier, c’est seulement qu’il est plus puissant dans l’aura).

 

[III-4 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] Mais Michael a affaire avec Pierce Hawthorne, sur le point de fuir la pièce enchantée ; une autre lame, mieux lancée, atteint l’universitaire à la jambe, ce qui le ralentit. Mais Sarah, en dépit de son état de choc – elle est en outre à demi scalpée, et ses paupières ont été arrachées –, se précipite instinctivement sur Pierce Hawthorne et la porte : poussée par une force inconnue, elle dépasse Michael et rentre en plein dans l’universitaire paniqué, qu’elle pousse contre le mur – il laisse tomber son trousseau de clefs par terre. La serveuse se met à frapper sauvagement l’obèse, tandis que Michael récupère les clefs, et ouvre plus largement la porte – mais de la chair se décolle toujours de son dos…

 

[III-5 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Michael tire alors Sarah par ses vêtements, afin qu’elle franchisse elle aussi la porte – il la traîne à moitié, mais tous deux se retrouvent enfin en sécurité de l’autre côté de la porte : le signe n’y fait pas effet. Michael voit qu’une partie de la chair arrachée de son dos s’amasse contre la porte qu’ils viennent de franchir… Il la ferme, laissant Pierce Hawthorne blessé dans le couloir au hiéroglyphe – il l’entend reprendre son souffle. Sarah chancelle, sa respiration est plus affolée que jamais ; Michael n’avait pas encore eu l’occasion de s’en rendre compte, mais les deux tiers du visage de la serveuse ont été arrachés – au point qu’il voit ses dents à travers les lambeaux de ses joues…

 

IV : CELUI QUI SOUFFRAIT DANS LES TÉNÈBRES

 

[IV-1 : Dwayne, Anatole] Dwayne et moi descendons dans l’abîme, l’obscurité croissante. L’escalier est maculé de la bruine de sang résultant des sacrifices, mais un sang plus vieux s’est également incrusté dans la structure de métal. Je reconnais, distant mais présent, le rythme régulier des bruits de pas métalliques, derrière nous, plus haut. Dwayne quant à lui constate que la rambarde est de plus en plus humide, suintante, visqueuse. Nous descendons alors depuis plus de cinq minutes, prudemment – Dwayne s’aide de son bâton pour s’assurer qu’il y a bien une marche à chaque fois : l’obscurité est telle que nous n’en avons aucune certitude… Dix minutes, quinze… Nous entendons toujours les bruits de pas derrière nous. Vingt minutes… Nous ne distinguons presque rien. Je jette de temps en temps des coups d’œil en arrière, par réflexe, mais ne vois pas nos poursuivants ; au son, je suppose qu’ils se trouvent deux ou trois étages au-dessus de nous.

 

[IV-2 : Dwayne, Anatole] Puis Dwayne, tâtant le mur, y discerne une porte du même métal – avec une sensation de poussière par-dessus. L’escalier continue autrement à descendre. Pour Dwayne, la poussière indique que nous n’avons aucune raison d’ouvrir cette porte, que nous n’y trouverons pas derrière ce que nous cherchons. Je suis plus partagé… Dwayne colle son oreille à la porte, au cas où, tandis que je surveille nos arrières – persiste le pas monotone des automates… Sans doute ont-ils été tout d’abord retardés par l’outil employé pour bloquer la porte, mais, s’ils sont toujours en retard, ils poursuivent néanmoins dans notre direction. De l’autre côté de la porte, Dwayne entend faiblement des bruits évoquant des liquides ou des fluides, mais c’est très léger. La porte a une poignée, mais pas de serrure. Dwayne n’en a vraiment pas envie, mais je veux y jeter un œil – il se retire derrière moi.

 

[IV-3 : Anatole, Dwayne] Derrière la porte, l’habitude de la pénombre nous laisse deviner un couloir long de quelques mètres. Un peu plus loin se trouve cependant une lanterne accrochée au mur, qui nous permet de repérer des alcôves creusées à droite et à gauche (mais c’est un travail net et propre) ; par ailleurs, les murs (ainsi que le plafond), ici, ne sont plus constitués de terre, mais du métal omniprésent. Je vais ramasser la lanterne, et Dwayne me suit, à contrecœur. Je promène la lanterne pour balayer les alentours, en faisant signe à Dwayne de fermer la porte. Dans l’alcôve de droite, je repère l’extrémité d’un établi, tandis qu’à gauche résonne faiblement un ronronnement « visqueux », un léger bourdonnement qui a quelque chose d’insectoïde. On y trouve des plots de métal d’où jaillissent des câbles rejoignant une autre structure, qui a quelque chose de « plus ancien » : la source du ronronnement aqueux.

 

[IV-4 : Anatole, Dwayne] Je me tourne d’abord vers l’établi sur la droite – j’ai l’impression que le bourdonnement, à gauche, s’élève un peu tandis que nous franchissons le passage. Nous y trouvons pour l’essentiel des outils pour le travail du cuir. Une sorte de « cannette » d’un métal inconnu (et différent de celui auquel nous sommes maintenant habitués) est fixée au mur ; des câbles tranchés s’en extraient. Nous trouvons aussi sur l’établi comme des « reproductions » des petites boîtes de peau croisées à plusieurs reprises – mais donnant en fait l’impression de prototypes grossiers. Dwayne, qui s’y intéresse, en ramasse prudemment deux qui lui paraissent relativement plus sophistiquées que les autres – quand bien même elles sont elles aussi vieilles et poussiéreuses. S’y trouvent enfin des bougies, ainsi qu’une autre lanterne. Dwayne a un sentiment de profonde répugnance ; il me dit qu’il nous faut seulement trouver un portail pour rentrer chez nous… Mais je lui indique de prendre la lanterne, que nous allumons ; je suis curieux de voir ce qui émet ce bourdonnement…

 

[IV-5 : Dwayne, Anatole] La peur de l’inconnu s’empare toutefois de nous tandis que nous éclairons l’autre alcôve ; nous ressentons un profond désir d’identifier ce qui ne peut pas l’être… Il y a là un piédestal du même métal, surmonté d’un plateau ; dessus, ligoté par de vieilles bandes de métal, se trouve une étrange créature, évoquant tour à tour, ou tout à la fois, le crustacé et le champignon ; dotée d’une chitine semblable à celle d’un homard, elle fait environ un mètre cinquante de long pour moins d’un mètre de large ; sa tête est un bulbe fongique creusé d’aspérités et d’où jaillissent des appendices de taille variable – des antennes, etc. C’est la créature elle-même qui produit le bourdonnement. Des câbles sont plongés dans sa chair – et nous comprenons que, tout autour, ce sont ses appendices qui sont répandus, tels des trophées fixés au mur, ce qui inclut des ailes membraneuses… Nous avons même l’impression déconcertante que la disposition des lieux a été arrangée de sorte à faire voir à la créature ses propres membres et ce qu’on en a fait, dans une entreprise sadique d’humiliation… Dwayne a la chair de poule ; quant à moi, ce spectacle obscène m’inflige une minute de curiosité morbide sous le coup de la fascination. Dwayne me secoue enfin : « On se casse… » Il repart prudemment vers la porte. Je le suis, à moitié à reculons tant la vision m’obsède…

 

[IV-6 : Dwayne, Anatole] Dwayne passe la tête à travers la porte – et, cette fois, distingue les automates qui nous suivent, juste à l’étage au-dessus. Il faut qu’on y aille… Nous laissons la porte ouverte en grand derrière nous, et poursuivons notre descente dans l’abîme…

 

V : L’ASCENSEUR DANS LA COLLINE

 

[V-1 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Michael est fasciné par le spectacle horrible de Sarah défigurée ; elle le regarde, agitée de tremblements, la respiration très lourde. Ils entendent les bruits de pas de Pierce Hawthorne derrière la porte. De leur côté, un nouveau couloir s’enfonce dans l’obscurité, et il est impossible de rien y distinguer. Michael demande à Sarah si elle est en mesure de le suivre ; elle secoue un temps la tête, visiblement en état de choc, mais parvient finalement à acquiescer – elle donne l’impression d’être sempiternellement étonnée… Elle suit pourtant Michael, qui lui prend la main. Lui-même est dans un sale état…

 

[V-2 : Michael : Sarah] Michael et Sarah progressent prudemment dans les ténèbres. En tâtonnant, Michael repère un interstice dans un mur, et, en le longeant, il atteint une sorte de bouton pressoir : un ascenseur ? Il appuie sur le bouton, ce qui illumine légèrement les contours de la cage. Cela attire l’attention de Sarah, toujours chancelante. Au bout d’un moment, ils discernent le bruit d’un ascenseur qui descend vers eux – mais sur une longue distance : cela prend bien encore deux ou trois minutes.

 

[V-3 : Michael : Sarah] L’ascenseur arrive enfin, et la porte s’ouvre. Le sol est tapissé de moquette, les murs sont constitués de panonceaux en bois verni de qualité – et s’y trouve aussi un miroir : Sarah pousse un cri horrifié au spectacle de son reflet ; par ailleurs, elle traîne des lambeaux de chair détachés de sa jambe mais qui n’avaient pu être aspirés par la rune akloMichael fait un faux mouvement, marche dessus, et achève de les détacher du corps de sa compagne… Elle pleure – de douleur autant que de désespoir, probablement sans avoir bien conscience de la « faute » de Michael. Ce dernier cherche alors à briser le miroir, dont des éclats tombent près de Sarah, en sanglots, repliée dans une position fœtale. Il y a deux boutons, un pour le bas, un autre pour le haut. Michael aide Sarah à se redresser afin qu’elle entre dans la cabine – mais elle se débat tout d’abord dans un réflexe de défense. Michael lui dit d’arrêter, qu’il veut l’aider… Il chuchote son nom, palpe son faciès – ne le voit-elle pas ? Elle se calme un peu, tandis que Michael presse le bouton du haut. Il prend la tête de Sarah, l’appuie contre son épaule – il comprend qu’elle ne va pas tarder à mourir de ses innombrables blessures… Il essaye de la réconforter, usant de mots apaisants – il distingue enfin un faible « merci » d’une indéniable sincérité… après quoi Sarah meurt. Michael repose son cadavre dans un coin de la cabine – constatant seulement maintenant que des giclures de matière grise sortaient des narines et des oreilles de la jeune femme…

 

[V-4 : Michael] Cela fait bien trois minutes que l’ascenseur monte – il va pourtant assez vite : Michael ressent un changement de gravité quand il atteint sa vitesse de pointe. Autour résonnent alternativement des bruits évoquant le métal ou la terre. Michael est abattu au possible ; il ressasse sans cesse : « Tant d’innocents… » Mais il ne succombe pas au désespoir : bien décidé à en découdre jusqu’au bout, il se munit d’un couteau – quoi qu’il se trouve en haut, il fera face !

 

[V-5 : Michael : Dwayne O’Brady/« Leonard Border », Anatole « Froggy » Despart ; Leonard Border] Après une dizaine de minutes, pour autant que Michael puisse en juger, la vitesse diminue, et l’ascenseur s’arrête enfin, émettant un tintement caractéristique quand ses portes s’ouvrent – Michael prend soin à ce moment de se coller contre une paroi sur le côté. Une dizaine de secondes s’écoulent, et un nouveau « ding ! » retentit, indiquant que le passager doit sortir… Michael s’exécute. Il y a de la lumière dans la cage d’ascenseur, mais rien à l’extérieur : Michael réapparaît dans l’abîme, sur une plateforme liée à l’interminable escalier en colimaçons que Dwayne et moi descendons depuis un bon moment. Michael entend un bruit distant sur sa gauche. Il s’avance dans cette direction, et aperçoit des lanternes de l’autre côté de l’abîme, juste un peu plus haut : il reconnaît la silhouette de Leonard Border, accompagné d’un inconnu à la carrure autrement massive – ce sont bien Dwayne et moi…

 

VI : ROMY, BUNNY

 

[Introduction de Romy, le nouveau personnage de la joueuse qui incarnait Kelly McGillian en début de séance.]

 

[VI-1 : Romy : Kelly McGillian] Romy travaille dans la réserve, à côté du « salon de détente » où les fêtards se réjouissent – elle leur prépare cocaïne et alcool à volonté… Mais elle entend des détonations – qui ne semblent pas susciter l’attention des convives. Elle associe instinctivement ces bruits à Kelly McGillian – elle sait que la journaliste se trouve ici ; fût un temps où elle appréciait sa prose… Mais Romy ne s’attarde pas sur la question et ses implications éventuellement tragiques. Elle pense à la chance incroyable qu’elle a de travailler ici…

 

[VI-2 : Romy : Nathaniel Sanders ; « Scott », Hippolyte Templesmith] La musique résonne dans le salon tout proche. Romy sait que c’est bientôt l’heure où Nathaniel Sanders va faire son numéro. C’est généralement le moment où elle a pour consigne de nettoyer les chambres des invités – mais pas celle de Sanders lui-même, dont elle n’a cependant jamais pu voir le spectacle… Les invités à côté réclament à grands cris un certain « Scott ». Sanders monte sur scène, dit que quelques préparatifs doivent encore être assurés, mais qu’il n’y en a plus pour longtemps… À côté de lui, un automate joue de la musique, vêtu d’un smoking – elle sait qu’il s’agit d’une invention de Hippolyte Templesmith. Nathaniel Sanders entrevoit Romy, et lui adresse un regard interrogateur – il s’assure qu’elle sait bien quelle est sa tâche. Romy se munit du matériel de ménage dans la réserve, et quitte la pièce, rejoignant le couloir donnant sur les différentes chambres. Elle passe au milieu des invités – l’un d’eux lui pince les fesses au passage… Sa tenue, qu’elle-même trouve sans doute indécente, très « bunny » de Playboy, semble un bon prétexte pour autoriser ces gestes déplacés…

 

[VI-3 : Romy : Kelly McGillian] Romy n’a aucunement le désir d’attirer l’attention, et s’empresse de gagner le couloir. À peine est-elle sortie qu’elle tombe sur ces deux types de la sécurité qui sentent le poisson, en train de tirer par terre le cadavre de Kelly McGillian, un poignard planté en plein cœur – laissant sur le passage une répugnante traînée de sang… Les brutes disent à Romy de nettoyer le désordre sans même lui accorder un regard. Mais le spectacle de ce cadavre fait tiquer Romy – d’une manière ou d’une autre, elle se sentait une certaine complicité avec la journaliste… Elle se met péniblement au travail dans le couloir.

 

[VI-4 : Romy : Kelly McGillian, Hippolyte Templesmith, Nathaniel Sanders] Mais Romy est perturbée – sans forcément bien savoir pourquoi ; la vue du cadavre de Kelly McGillian a-t-elle joué le rôle de la goutte d’eau qui fait déborder le vase ? Alors même qu’elle nettoie comme elle peut le plancher maculé de sang, elle se rend compte qu’elle cherche une issue – et se rend compte aussi que cela ne lui était jamais passé par la tête… Elle n’a en fait aucune idée de comment partir d’ici. Certes, il y a cette porte, verrouillée, au bout du couloir – mais seul Hippolyte Templesmith l’emprunte (ou parfois Nathaniel Sanders, mais à la condition que Templesmith soit avec lui). Romy fait l’effort de pénétrer dans une chambre pour la nettoyer… Mais elle a la tête ailleurs.

 

[VI-5 : Romy : Anya] Romy laisse bientôt là son travail, et retourne à la double-porte du salon de détente ; elle y colle l’oreille, désireuse de savoir ce qui s’y passe… Elle perçoit, sous les acclamations et les rires, des gémissements de douleur, assez sourds… Elle colle alors son œil au trou d’une serrure, mais ne voit rien, si ce n’est sa collègue Anya, au comptoir, en train de nettoyer des verres – mais elle adresse régulièrement des coups d’œil en direction de la scène, qui suscitent sur ses traits un rictus de jubilation sadique ! Oui, quelqu’un souffre sur scène… et ça ravit sa collègue Depuis qu’elle travaille ici, Romy a appris un certain nombre de « secrets », mais là, c’est encore autre chose…

 

[VI-6 : Romy : Nathaniel Sanders] Romy décide alors d’aller jeter un œil à la chambre de Nathaniel Sanders – mais elle est verrouillée, bien sûr. Elle y essaye ses clefs à tout hasard – et l’une semble en fait pouvoir passer, mais à condition de forcer un peu ; c’est comme si elle n’activait qu’une partie seulement de la serrure… Romy s’assure que personne ne la voit, force sur la serrure et parvient à ouvrir la porte – mais un flash lumineux l’éblouit un bref instant : elle sait qu’il s’agit d’un appareil photo conçu pour prendre automatiquement une photo quand on force la porte…

 

[VI-7 : Romy : Nathaniel Sanders] Elle jette rapidement un œil à l’intérieur. C’est une petite chambre – en fait, peu importe le statut particulier de Nathaniel Sanders, elle donne l’impression d’être plus petite que celles des invités. Le plus étrange est cependant qu’elle dégage malgré tout une impression de grandeur – peut-être due aux larges fenêtres en tous sens… qui donnent toutes sur des lieux inconnus et incroyables, contrastant avec le caractère bien tenu de la pièce : on y voit un soleil bleu, une terre dorée… des arbres aux formes bizarres et fourchues, arborant des feuilles rouges qui tremblent sous le vent…

 

[VI-8 : Romy : Scott Ederman] Mais Romy veut s’en tenir pour l’heure au mobilier : il y a un grand placard sur la droite, un lit au fond de la pièce, une table basse avec un carnet dessus, un bureau avec des casiers ouverts débordant de documents divers. Romy sait que le flash va la trahir… Elle n’a sans doute plus rien à perdre. Elle s’approche du bureau, et survole les documents des casiers – des chemises plus ou moins garnies, où elle repère quelques noms : des gens du bottin d’Arkham, des industriels ou des financiers… Mais les dossiers contiennent des informations inattendues – sur leurs habitudes, ce qu’ils aiment, ce qu’ils détestent, leurs possessions, leurs familles, leurs proches… Le premier dossier est au nom de Scott Ederman. Romy remet ces documents dans l’état où elle les avait trouvés, puis va jeter un œil au carnet posé sur la table basse – contrastant avec les dossiers, ou l’entretien méticuleux de la pièce, ce carnet est très mal tenu, arborant de nombreuses ratures qui ont creusé le cuir de la couverture. Elle en tourne les pages, et c’est encore pire à l’intérieur : des multitudes de gribouillis et autres dessins absurdes, obscènes, et des phrases complètement folles, d’une écriture dérangée ; tout cela évoque un sale gosse particulièrement agité… Romy s’attarde sur quelques pages, qui semblent recueillir des idées de nouvelles tortures, qui seraient autant de spectacles. Par exemple :

 

utiliser des limaces pour torturer, il en existe des cannibales ??!, PLUS DE MIEL !!! JAMAIS ASSEZ faire un cHapeAu EN vers de TERrE,et si dieu etait un insecte ? Je veux marcher sur vos yeux

 

Certaines phrases sont tout simplement trop absurdes pour être réellement saisies… Romy referme le carnet ; elle cherche l’appareil photo de l’entrée, mais ne peut pas faire grand-chose : elle localise bien sa position, mais il est incrusté dans le mur et hors d’atteinte…

 

[VI-9 : Romy : Nathaniel Sanders] Romy ressort de la chambre de Nathaniel Sanders, et en referme la porte à clef – faisant mine de la nettoyer. Surgit peu après un type de la sécurité qui la reluque un instant, puis va s’asseoir sur une chaise devant la double-porte du salon de détente. Une fois la porte bien astiquée, Romy, qui n'a guère le choix, retourne au ménage des chambres des invités

 

VII : PARFAIT SUBJECTIF

 

[VII-1 : Dwayne, Anatole, Michael : Tess McClure, Chris Botti, Leah McNamara] Dwayne et moi avons entraperçu un éclat de lumière de l’autre côté de l’abîme : c’est Michael sortant de l'ascenseur. Nous le rejoignons – et constatons qu’il est dans un très vilain état, à moitié écorché et pissant le sang… Dwayne lui demande ce qui lui est arrivé – puis se reprend : pas le temps pour les explications, il nous faut descendre, nous sommes poursuivis ! Des espèces d’automates… Je surveille instinctivement nos arrières : ils sont à l’étage au-dessus, plus proches que jamais… Dwayne saisit Michael par le bras pour l’entraîner avec lui, sans considération pour ses terribles blessures, mais l’interroge quand même sur l’ascenseur – où mène-t-il ? « En enfer, un autre enfer, ça ne sert à rien de le prendre… » Mais il n’a pas trouvé de « portail » ? Non, seulement un « signe » qui lui a arraché la peau, et a tué une amie… Michael suit Dwayne, la conversation se poursuit en descendant l’escalier. Des nouvelles des autres ? Dwayne n’a vu que Tess… mais elle est passée « de l’autre côté » ! Michael est plus perdu que jamais… [Sauf erreur, il ne mentionne pas la mort de Chris et de Leah] Mais Dwayne l’incite prestement à avancer : il faut descendre, ils sont suivis !

 

[VII-2 : Dwayne, Michael, Anatole] Nous poursuivons donc… Après dix à quinze minutes, nous parvenons à une sorte d’embranchement, où l’escalier se divise en deux : une échelle permet en effet de rejoindre un autre escalier, plus bas. Nous avons l’impression étrange qu’en dessous les deux escaliers se chevauchent ou se coupent, mais peut-être n’est-ce que la fatigue, et l’étrangeté de l’endroit… Peut-être cependant l’escalier accessible par l’échelle descend-il plus bas ? Dwayne propose de passer par là, dans l’espoir de semer nos malhabiles poursuivants – mais peut-être l’autre escalier serait-il plus sûr ? Michael est prêt à suivre Dwayne ; moi de même, encore qu’avec un semblant d’hésitation : « Je te suis, patron… » Le mot le fait tiquer.

 

[VII-3 : Dwayne, Anatole, Michael] Nous prenons donc l’échelle. Dwayne pense pouvoir s’occuper de nos poursuivants avec ses lames, le cas échéant – mais je doute que ça fasse grand mal à ces êtres de métal. Par contre, l’outil ramassé par Dwayne, peut-être ? À mesure que nous progressons, nous avons l’impression que la luminosité de nos lanternes s’amenuise. Quant aux escaliers, ils ne se chevauchent a priori pas, contrairement à ce qu’il nous semblait vu de haut, mais ils ondulent, montent tantôt, redescendent, etc. Et quand Dwayne lève les yeux, il ne voit plus au-dessus de nous l’escalier d’où nous venons ! Simplement l’échelle, mais c’est comme si elle disparaissait dans les ténèbres et ne donnait sur rien… Dwayne est aussi curieux que paniqué, et aurait envie de revenir en arrière ; mais, quant à moi, je vois parfaitement le premier escalier… Michael voit encore autre chose : une intersection, et pas une échelle reliant deux escaliers distincts… Il le signale à Dwayne : pour une raison inconnue, nous avons tous notre propre perception, incompatible avec celles des autres, de notre environnement…

 

[VII-4 : Michael, Dwayne, Anatole] Michael est plus décidé que Dwayne et moi ; il s’engage dans la direction de l’intersection qu’il est le seul à voir : « Par ici ! » dit-il à Dwayne. Je décide de le suivre, et finalement Dwayne aussi, mais sur ses gardes, un peu en arrière. Nous entendons le bruit de pas des automates, pas très loin de l’échelle que nous avons empruntée – que nous la voyions ou non. Et un des automates descend, posant les pieds sur chaque échelon : ce n’est pas ainsi que nous leur échapperons…

 

[VII-5 : Anatole, Michael, Dwayne] Tandis que je progresse, j’ai l’impression d’un escalier qui part sur la gauche, et rejoint l’autre paroi en passant au centre de l’abîme. Mais quand je repose mes yeux sur Michael, je le vois marcher dans le vide ! Instinctivement, je m’arrête aussitôt, voyant Dwayne derrière moi, et plus loin encore un premier automate… Je demande à Dwayne si nous voyons bien la même chose – mais Michael nous interrompt : « Venez ! » Et il nous tend la main… depuis le vide qu’il arpente à mes yeux. Je jette un œil au second automate en train de descendre l’échelle – je me dis que, finalement, ce n’était peut-être pas une si bonne idée que cela, de suivre les deux autres… Je décide dès lors de suivre « mon » escalier.

 

[VII-6 : Dwayne, Anatole] Ce sont autant de sensations étranges qui nous assaillent tous, si elles sont toutes différentes… Dwayne croit reconnaître une « ombre » qui descend de tout en haut – celle de la grande statue humanoïde ; et cette perception s’accompagne de la conviction d’être observé par quelque chose de foncièrement malveillant… Tandis que moi, si je distingue bien à mon tour une ombre – même dans ces couches de ténèbres ! –, c’est plutôt celle d’une autre statue, sphérique, amas d’yeux fixés sur moi…

 

[VII-7 : Dwayne, Anatole, Michael] Dwayne se donne une claque pour reprendre ses esprits, puis poursuit son chemin – de nous trois, il est le seul à descendre. Indécis, j’envisage de le suivre à nouveau – mais il marche dans le vide ! Le rejoindre impliquerait de passer par-dessus une rambarde qu’il ne voyait pas, et je ne vois rien au-delà… Que Dwayne s’arrête à nouveau pour faire le point ne m’aide en rien. Michael, de son côté, a atteint une nouvelle échelle, conduisant à un escalier au-dessus – escalier qui redescend ensuite ; peut-être pour rejoindre Dwayne ? Celui-ci, à mes yeux, se tient toujours debout dans le vide… Il ferme les yeux une bonne minute, et respire calmement.

 

[VII-8 : Anatole, Dwayne] Quant à moi, je choisis enfin de revenir sur mes pas : j’ai dans l’idée de me dissimuler dans un recoin, lanterne éteinte, sans un bruit, pour laisser passer les androïdes devant moi – et les suivre à mon tour. Ils me dépassent en m’ignorant, j’attends de leur laisser un peu de marge, puis marche discrètement à leur suite. Dwayne, de là où il se trouve, voit ce que je suis en train de faire. Nous progressons très lentement…

 

[VII-9 : Dwayne, Michael, Anatole] Dwayne poursuit sur « son » escalier, mais ce dernier s’interrompt brusquement, donnant sur une plateforme où sont fixées à deux grosses anses de métal de grandes chaînes qui s’enfoncent dans les ténèbres. Il voit autrement un passage sur sa gauche qui traverse l’abîme, puis remonte – jusqu’en haut ? Et qu’en est-il de l’ombre de la statue qui le suivait ? Michael, de son côté, voit « son » escalier descendre encore. Quant à moi, dans la foulée des automates, j’aperçois un escalier conduisant à une échelle, laquelle donne sur un autre escalier plus bas, qui ne tarde cependant pas à remonter…

 

[VII-10 : Dwayne, Anatole, Michael] Dwayne, sur sa plateforme, cherche un hypothétique « portail »… Si je progresse lentement dans cette direction, calant mon pas sur celui des androïdes, Michael, lui, parvient bien à rejoindre Dwayne – il lui signale qu’il voit pour sa part un chemin qui continue à descendre après la plateforme avec les anses de métal. Dwayne se concentre sur les chaînes, se penchant par-dessus la rambarde pour voir où elles mènent – mais elles descendent à perte de vue. Il les touche toutes deux, elles émettent chacune un petit tintement, et leurs maillons relativement épais grincent ; les chaînes, pour être imposantes, sont cependant de ce métal léger omniprésent, et Dwayne suppose qu’il se trouve un poids, tout au bout – pas énorme, quelques kilos tout au plus. Dwayne fait alors usage de son outil, dont il fait couler de l’acide – mais il se contente de tomber à perte de vue… Les automates s’approchent maintenant de Dwayne et Michael ; derrière eux, je fais signe à mes camarades de m’imiter – qu’ils se fassent petits ! J’espère qu’ils me verront… Mais Dwayne a une autre idée en tête : il redoute que les automates le suivent lui précisément, probablement désireux de récupérer leur outil…

 

VIII : LA CAVERNE DES IDÉES (VARIATION TONY MONTANA)

 

[VIII-1 : Romy : Kelly McGillian, Anya] Romy se trouve dans la chambre d’un invité qu’elle n’a pas encore vu. Elle voulait se rendre dans la chambre de Kelly McGillian, mais les gardes le lui ont interdit. Elle en a encore pour une heure de travail, après quoi elle pourra prendre sa pause. Sa collègue Anya ne l’aidera pas aujourd’hui pour ce faire, mais la remplacera le lendemain. Romy travaille donc, puis les invités, tout sourires, retournent tous à leurs chambres.

 

[VIII-2 : Romy : Anya ; Nathaniel Sanders] Romy retourne alors au dortoir, où se trouve Anya. En chemin, nombre d’invités lui ont fait des propositions salaces et éventuellement rémunératrices, qu’elle a refusées… Anya s’endort très vite, et ronfle. Leur rythme de vie est fatigant… Anya a pris l’habitude de s’endormir en quelques minutes à peine – il lui suffit de s’allonger sur un lit, et elle dort bien vite comme une brique… Mais la pause d’Anya touche à sa fin, et Romy la réveille. Elle lui demande ce qui se passe, au juste, pendant ces spectacles auxquels elle n’a pas le droit d’assister… Anya, bien vite réveillée et fraiche comme il se doit, arbore alors un sourire inquiétant, évoquant une certaine complicité avec ses supérieurs… et, de manière tout aussi marquée, une forme de condescendance à l’égard de Romy. Anya assure cette dernière qu’elle en parlera à Nathaniel Sanders, si c’est ce qu’elle désire – avec de la chance, ils pourront bientôt l’initier… Mais elle refuse d’en dire plus pour l’instant : ce serait gâcher tout le sel de la surprise !

 

[VIII-3 : Romy : Nathaniel Sanders, Anya] Plus tard, jouant toujours l’ingénue, Romy aborde en fait d’elle-même la question avec Nathaniel Sanders. Ce dernier la détaille, avec aux lèvres un sourire pincé, auquel Romy répond par une moue timide et gênée. Il lui demande depuis combien de temps elle travaille ici, et Romy répond que cela fait un mois – c’est bien la vérité, pour autant qu’elle le sache. Sanders joue visiblement avec elle : « Vous savez, voir certaines choses peut s’avérer troublant… Connaissez-vous l’allégorie de la caverne, de Platon ? » Non… Sanders la lui explique, non sans condescendance lui aussi. Mais Romy le convainc qu’elle est prête, quoi que cela veuille dire. Très bien : Nathaniel Sanders fera en sorte de l’initier prochainement… Après quoi Sanders se retire – il a fait signe à Anya, présente mais discrète, qu’il avait des consignes à lui donner en privé…

 

[VIII-4 : Romy] Romy se rend à son poste de travail – cette fois, il s’agit du comptoir, où elle doit servir les invités. Elle guette des indices du spectacle sur la scène, mais n’en trouve pas… L’automate musicien en smoking, par contre, s’est remis à jouer. Ne se trouvent pour l’heure dans le salon de détente que deux crétins, les plus jeunes de l’assemblée, qui se lancent le défi de plonger la tête dans une vraie montagne de cocaïne et d’en inspirer le plus possible… et ils demandent à Romy d’arbitrer leur compétition ! Elle trouve ça parfaitement stupide, mais n’a guère le choix : elle obéit, sans mot dire…

 

IX : TOUS LES CHEMINS MÈNENT À ROMY

 

[IX-1 : Anatole, Michael, Dwayne] Je suis toujours les automates, tandis que Michael progresse sur son escalier, qui descend à nouveau. Dwayne est resté sur la plateforme d’où pendent les longues chaînes ; il pose son bâton dans le coin opposé à l’escalier qu’il perçoit, et tente à son tour de se faire tout petit dans un autre coin diamétralement opposé, en éteignant sa lanterne. Les automates progressent jusqu’à l’outil volé (le précédent avait déjà été récupéré par l’un d’entre eux), le ramassent… et repartent en nous ignorant complètement.

 

[IX-2 : Anatole, Dwayne, Michael] Je vois un chemin qui fait une boucle avant de remonter ; l’escalier que voit Dwayne, par contre, ne remonte pas autant. Mais nous voyons tous les deux les chaînes – avoir quelque chose en commun est finalement rassurant. Dwayne propose de tirer dessus – j’en profite pour jauger l’épaisseur des maillons, à peu près de la taille d’un poing humain. L’escalier de Michael donne sur une paroi de terre humide : il est bloqué. Mais, en se retournant, il aperçoit maintenant une petite échelle qui descend, et qui conduit à un nouvel escalier, lequel repart en boucle vers le haut et la droite ; aussi continue-t-il dans cette direction… et, finalement, c’est ainsi qu’il nous retrouve Dwayne et moi – peu importe que nous le voyions à nouveau marcher dans le vide ! Lui aussi voit les chaînes, par ailleurs.

 

[IX-3 : Anatole, Michael, Dwayne] Quand les automates se sont suffisamment éloignés, je rallume ma lanterne. Nous étudions les deux chaînes – elles ont chacune au bout quelque chose du même poids. Tandis que Michael prend enfin le temps de se soigner – l’adrénaline lui avait jusqu’alors permis d’ « oublier » temporairement ses horribles blessures –, Dwayne et moi tirons sur la chaîne de gauche ; et, si le métal des maillons est léger (de plus en plus, même), ma force est néanmoins la bienvenue. Nous parvenons à la remonter entièrement… et au bout, suspendue, se trouve une porte en bois avec son cadre.

 

[IX-4 : Anatole, Dwayne : Hippolyte Templesmith] Nous tirons la porte, et je la dispose verticalement contre la paroi, et Dwayne y colle son oreille – au travers, il perçoit une musique jazz étouffée… Dwayne cherche s’il s’y trouve un emplacement pour une des petites boîtes de Templesmith, mais il n’y en a pas : simplement une poignée, d’une substance un peu suintante et d’un âge vénérable. J’hésite à tirer sur l’autre chaîne, curieux de ce qui pourrait bien s'y trouver, mais Dwayne est rassuré par le jazz, et a envie de quitter ce lieu maudit au plus tôt – c’est là le « portail » qu’il cherchait en vain !

 

[IX-5 : Dwayne, Anatole, Michael : Anya] Dwayne ouvre la porte contre la paroi – il faut la forcer un peu. Elle débouche sur un couloir, là où il n’y avait auparavant qu’une paroi de terre – un couloir bien éclairé, ce qui nous change après tant d’errances dans la pénombre, et par ailleurs luxueusement décoré : de nombreux objets d’art, de provenances et d’époques très diverses, à l’évidence d’une immense valeur. Mais Dwayne entraperçoit aussi un garde, en train de lire un journal, affalé sur une chaise – il a la tête d’un type qui ne pense pas avoir quoi que ce soit à craindre… Mais la bosse dans sa poche témoigne de ce qu’il est armé. Il n’a cependant pas prêté la moindre attention à l’ouverture de la porte. Depuis une double-porte sur notre gauche, proviennent des éclats de voix, ceux de personnes prenant du bon temps, ainsi que la musique jazz qui avait appâté Dwayne ; ce dernier s’avance discrètement, moi juste après lui, Michael en peu plus en arrière – qui referme doucement la porte derrière lui.

 

X : LE TRAVAIL C’EST LA SANTÉ (MENTALE)

 

[X-1 : Romy : Anya ; Nathaniel Sanders] Romy, bien obligée, arbitre le duel débile des priseurs de cocaïne… Puis Anya vient la voir, qui lui dit que Nathaniel Sanders a accepté de lui dévoiler les secrets de l’établissement. Elle lui demande de la suivre, et Romy obéit. Anya lui tend un fin foulard de qualité, d’une teinte rouge bordeaux : elle doit se bander les yeux, après quoi Anya la conduira sur scène. Romy, inquiète, avance qu’on peut sans doute se passer de tout ce rituel, et tout particulièrement de ce foulard… Mais Anya insiste. Non, vraiment – Romy se rebiffe : « J’aime bien les surprises, mais là c’est trop… » Dommage… Anya est visiblement déçue : pourquoi donc ce changement d’humeur ? Romy lui dit qu’elle n’aime pas avoir ses mouvements et sa vision entravés – ça l’angoisse, c'est tout… Mais Anya semble se rendre compte inopinément de quelque chose, et lui passe la main sur le visage ; étonnée, elle constate : « Tu n’as plus d’aphtes ? » Romy avait cessé depuis quelque temps de boire du Miska-Tonic !, sur une impulsion… Elle ne le dit pas – se contentant de relever qu’elle en a été guérie, oui, « et tant mieux, c’était vraiment douloureux »… Anya s’en tient là, disant qu’elle a une tâche à accomplir dans la réserve… mais elle est tellement fatiguée ! Romy ne pourrait-elle pas s’en charger à sa place ? Elle le veut bien…

 

[X-2 : Romy, Dwayne, Michael, Anatole : Anya] Tandis que Romy se rend dans la réserve, Dwayne, Michael et moi, depuis l’encadrement de la porte que nous venons tout juste de franchir, apercevons une serveuse blonde, aux traits slaves et vêtue façon « bunny », échanger quelques mots avec le garde distrait sur sa chaise…

 

À suivre…

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Lâche ta caillasse : H.P. Lovecraft, au cœur du cauchemar

Publié le par Nébal

Et si, pour une fois, je vous DEMANDAIS DE LA GROSSE THUNAS…

 

Broumf.

 

Et si, pour une fois, je portais votre attention sur un ouvrage en financement participatif qui pourrait vous intéresser ?

 

Les Éditions ActuSF ont lancé il y a peu un financement participatif pour un beau livre consacré à (l’immense) H.P. Lovecraft et à son œuvre (indicible et cyclopéenne).

 

Il se trouve que j’y participe, pour trois articles… Mais rassurez-vous, on y trouve plein de gens bien aussi !

 

Voici, pour vous faire une idée, une première ébauche de sommaire (figurant dans les premiers commentaires de la page du financement participatif, elle est encore susceptible de quelques rajustements) :

  • L’histoire éditoriale de H.P. Lovecraft aux USA, de son vivant et après sa mort – par Christophe Thill
  • Les influences de Lovecraft – par Francis Valéry
  • H.P. Lovecraft et Edgar Allan Poe – par Christophe Thill
  • H.P. Lovecraft et la fantasy – par Christophe Thill
  • Les héritiers de Lovecraft – par Francis Valéry
  • Biographie – par votre serviteur
  • Bibliographie raisonnée – par votre serviteur
  • Lovecraft et la science – par Elisa Gorusuk
  • H.P. Lovecraft rewriter – par Todd Spaulding
  • Lovecraft au cinéma - par Sam Azulys
  • Les traductions de H.P. Lovecraft – par Marie Perrier
  • Robert E. Howard et H.P. Lovecraft – par votre serviteur
  • Traduction de lettres de H.P. Lovecraft sur Robert E. Howard – par Patrice Louinet
  • Lovecraft, correspondance d’un homme de lettres – par Todd Spaulding
  • Interview de François Bon sur les traductions de Lovecraft
  • Lovecraft héros de fiction – par Patrick Marcel
  • Lovecraft raciste – par William Schnabel
  • Lovecraft en images – par Nicolas Fructus et François Launet
  • Lovecraft en jeux vidéos

 

Bref : ça se passe sur Ulule, plus précisément ici, l’ouvrage est d’ores et déjà financé, mais vous avez encore douze jours pour participer, et permettre qu’il soit encore mieux.

 

À votre bon cœur !

 

Yog-Sothoth vous le rendra.

 

(Mais sous quelle forme…)

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20th Century Boys, t. 1 (édition Deluxe), de Naoki Urasawa

Publié le par Nébal

20th Century Boys, t. 1 (édition Deluxe), de Naoki Urasawa

URASAWA Naoki, 20th Century Boys, t. 1 (édition Deluxe), [20 seiki shônen, vol. 1-2], scénario coécrit par Takashi Nagasaki, traduction [du japonais par] Vincent Zouzoulkovsky, lettrage [de] Lara Iacucci, Nice, Panini France, coll. Panini Manga – Seinen, [2000] 2e éd. 2014, [416 p.]

 

PREMIÈRE IMPRESSION… ET PRÉJUGÉS

 

Hum.

 

J’ai pris du retard dans mes chros, ce qui ne me facilite pas exactement la tâche. Enfin, c’est un aspect du problème – l’autre, c’est que je ne suis pas bien certain de la pertinence de ce compte rendu consacré au seul premier tome (dans l’édition dite « Deluxe », reprenant en fait les deux premiers tomes de l’édition « normale » dans un plus grand format) de cette série au long cours (suivent onze autres volumes – mais la série est terminée ; à noter que sur la fin elle change – logiquement ? – de titre, pour devenir 21st Century Boys). Peut-être est-il trop tôt pour en dire quoi que ce soit – d’autant plus que l’auteur, assisté au scénario par son complice de toujours Nagasaki Takashi, prend son temps pour bien poser les choses…

 

Or j’ai souvent eu le même son de cloche concernant les mangas de Urasawa Naoki : s’il s’agit visiblement d’un mangaka tout particulièrement bankable à l’heure actuelle, j’ai régulièrement lu, ici ou là, qu’il avait tendance à se perdre dans ses longues séries – au point où elles ne se montraient pas toujours, dans leur développement, à la hauteur des belles idées introduites dans les premiers tomes…

 

Ici, j’avoue donc une crainte ; car si j’ai aimé ce premier tome « Deluxe » de 20th Century Boys (sa série la plus connue avec Monster et Pluto), ce n’était pas sans un certain nombre d’a priori, portant justement sur la « temporalité », disons, et l’habileté ou pas dans le développement de la trame.

 

Par certains côtés, on m’avait dit tellement de bien du tout début de cette série que j’en attendais énormément dans les premières pages – qui se sont du coup avérées un peu décevantes (sans pour autant être mauvaises – et, bien sûr, cette idée initiale du rock qui aurait dû tout changer, alors que bon, n’est certes pas sans charme…) ; et là où je redoutais un développement hasardeux (en tout cas, il m’a paru prendre un peu trop son temps – mais peut-être ai-je appuyé sur cet aspect en raison de ces préconçus, donc), c’est finalement dans les dernières pages de ce premier tome que j’ai commencé à me montrer franchement enthousiaste…

 

Bizarre… ou pas.

 

RÊVES DE GOSSES ET ROUTINES ADULTES

 

Bon, parlons quand même de ce premier tome – et des éléments de fond essentiels qu’il introduit, assurant la thématique de base de la série.

 

Il s’agit pour l’auteur de jouer avec les rêves de gosses. Un gamin normalement constitué envisage presque par essence un futur héroïque, où il aura l’occasion de briller en sauvant la Terre des horribles entreprises des méchants – nos héros, ici, ne font pas exception. L’association héroïque, bien sûr, passe par l’établissement d’une base secrète – cabane dans les bois ou autre, ici on fait plutôt dans le champ destiné à disparaitre sous les coups de boutoir d’un urbanisme galopant –, éventuellement associée à un mot de passe identifiant les initiées, lesquels ont par ailleurs leur langage secret au-delà, mêlant signes kabbalistiques (ça sonne mieux que « logos », non ?) et tentatives ambitieuses mais naïves de cryptographie enfantine ; il faut au moins ça pour suer en groupe au feuilletage de telle ou telle revue porno... D’aucuns considèrent que la réussite dans la vie se mesure à la Rolex ou au costume, les imbéciles – mais une enfance réussie (réussie même avec ses inévitables drames) est quand même autrement enthousiasmante.

 

Triste monde tragique, toutefois, qui, non seulement ne permet pas à ces rêves de gosses de se réaliser, mais, pire encore, les voue à l’oubli… les annihile à leur source même. Le héros d’hier, aux superpouvoirs à la mesure de son infaillible bonté, se retrouve du jour au lendemain à exercer un boulot de merde qui devient son principal mode d’identification, à peine tempéré éventuellement par la fonction familiale, qui n’en est guère qu’une variante. Aux rêves de gloire se substitue la routine, et il n’y a plus rien à attendre de la vie – rien qui compte, en tout cas. Attendre… C’est sordide – et parfaitement hideux.

 

KENJI ET SES COPAINS

 

Tel est le sort de Kenji. Gamin hardi à l’inévitable casquette, il a comme tout un chacun nourri ce genre de rêves, et ne s’en est pas moins retrouvé, adulte, à gérer un « konbini » (une sorte d’épicerie ouverte 24 heures sur 24), sous enseigne, remplaçant la boutique de spiritueux familiale – sordide, vous dis-je. La gamine de père inconnu que lui a confiée sa sœur avant de disparaître dans la nature rajoute tout juste une touche de fantasque dans un quotidien qui ne saurait cependant être autre que morne, tandis que la vieille mère est toujours là pour pester : la fonction familiale guette, si elle ne frappe pas tout à fait.

 

Dans son malheur, pourtant, qu’il ne perçoit pas forcément comme tel – c’est ce qui se montre si répugnant dans la notion de « normalité » –, Kenji n’a pourtant pas coupé tous les ponts avec son enfance ; et plusieurs de ses camarades, des meilleurs, sont toujours à portée, eux aussi engoncés dans leur triste banalité, à même néanmoins d’échanger sur de vagues souvenirs quand l’occasion s’en présente.

 

OUI, IL Y A BIEN UNE MENACE MILLÉNARISTE

 

Les occasions… Il ne s’en présente pas souvent. Et elles sont loin d’être toutes réjouissantes… Ici, c’est bien un drame qui renoue vaguement les liens que les années ont inévitablement rendus plus lâches – le décès de « Donkey », comme on le surnommait : un camarade de l’époque, souffre-douleur attitré mais qui avait pu s’émanciper de ce statut terrible en s’associant à la bande de Kenji.

 

Mais le plus terrible est sans doute que Kenji et ses camarades ont presque tout oublié – jusqu’au logo de leur bande, largement conçu par Otcho, le plus vif et intelligent d’entre eux, perdu de vue depuis. Ce logo représentait tant de choses…

 

Mais il n’en a pas fini : au crépuscule du XXe siècle (dans les fantasmes scénarisés de la bande de mioches, l’apocalypse était prévue pour le 31 décembre 2000, marquant la fin du millénaire – c’est original), le logo ressurgit… et Kenji ne le reconnaît même pas. Il sait qu’il y a dans ce dessin quelque chose de bien particulier, qui devrait lui parler, instinctivement, mais il ne retrouve pas ce dont il s’agit…

 

Pourtant, les pièces du puzzle s’assemblent progressivement, et le tableau commence à prendre forme – tableau qui est autant une validation des rêves héroïques des gamins, qu’un dévoiement particulièrement sinistre de la même matière.

 

Car le logo ressurgit pour l’essentiel autour de l’activité foncièrement inquiétante d’une secte millénariste comme il y en a (eu) tant, dirigée par un mystérieux « Ami », gourou autrement anonyme et qui, dans ses saillies cryptiques d’une pseudo-sagesse horrible de vacuité, semble comme de juste promettre salut et même mieux, gloire, à ses fidèles de plus en plus nombreux… On y devine un mal terrible, latent, mais qui ne tardera guère à s'exprimer ; bientôt, ce seront des meurtres...

 

La BD adopte alors des airs de thriller, mais en mêlant astucieusement cette dimension avec des tableaux autrement sensibles (et prenant leur temps, approche guère associée au genre thriller le plus souvent) de cette enfance perdue et qui paraît par nature impossible à retrouver…

 

AUTANT DE PROPHÉTIES

 

À moins que toute cette confusion riche de regrets pour un passé oublié et forcément meilleur ne soit justement l’occasion de leur donner corps ? Car il y a plus que le logo – et la menace représentée par Ami, car c’est bien d’une menace qu’il s’agit. Il y a en fait la réalisation des rêves d’antan ; pas sur un mode mineur, « matériel » au sens le plus vulgaire, de satisfaction des désirs – même si ce mode mineur, en tant que tel, apparaît déjà inaccessible. Se profile plutôt l’idée que les rêves des gamins étaient d’authentiques prophéties – quelle que soit la part de leur subjectivité dans cet état de fait. Et il ne s’agit pas de coïncidences – puisqu’il s’agit d’un récit (avec éventuellement mise en abyme du support ?) : le fil des événements, les rencontres faussement impromptues, les réminiscences instinctives ou conditionnées, tel objet ici, tel dessin là, sont autant d’occasions pour Kenji d’apprendre, enfin d’admettre, que lui, le petit tenancier de konbini, est bien plus que cela…

 

Car, enfant, il a contribué à écrire le futur.

 

Or il lui faut du temps pour l’appréhender… jusqu’à l’intervention de « Dieu », un clochard qui rechigne à ce surnom, mais semble absolument tout savoir. Si un héros crucial peut se déguiser en tenancier de konbini, après tout, pourquoi Dieu ne serait-il pas un clochard – ça serait même plus crédible, non ? Plus conforme éventuellement aux attentes d’un lecteur/spectateur confronté à un récit…

 

LE TEMPS ET LE THRILLER

 

Ce rapport au temps – je ne parle pas ici, même si elle est déterminante, de la seule alternance entre présent (2000) et passé (dans les années 1960-1970 pour l’essentiel) – ce rapport au temps, donc, me paraît essentiel, dans ce premier volume tout du moins. Mais je ne sais pas encore déterminer s’il est une force ou une faiblesse de 20th Century Boys…

 

Bon, probablement plutôt une force – notamment en ce qu’il permet, peut-être pas de casser véritablement les codes du thriller, mais du moins de les subvertir. Ou peut-être de les sublimer, au fond ? À vrai dire, la temporalité n’est pas le seul domaine où Urasawa Naoki en joue, et très habilement encore – voyez la scène terrible autant que jubilatoire du policier sur le point d’aboutir, mais qui se confie à la mauvaise personne… C’est là du vrai thriller – au sens le plus hitchcockien du terme : le frisson ne provient pas tant de la surprise que de l’expectative, éventuellement de l’appréhension ; dans cette scène où l’on attend toujours, où l’on réclame même, que le policier lâche enfin le morceau, tandis que mille et un obstacles censément insignifiants se dressent sur la route du personnage réduit à sa fonction purement narrative, l’auteur joue habilement avec les nerfs du lecteur, pour un effet optimal – et extrêmement réjouissant…

 

D’autres saynètes, sans doute, ont cet étrange pouvoir – et notamment, sur le tard, toutes celles mettant en scène « Dieu ».

 

Peut-être Urasawa Naoki en abuse-t-il à mesure que ses séries prennent de l’ampleur – on l’a dit, en tout cas –, mais, à s’en tenir à ce premier tome, il déploie l’habileté d’un maître du suspense, alternant avec une belle astuce entre cliffhangers et dilatations de l’intrigue, avec une bonne dose de McGuffin pour le compte : il joue, et le lecteur avec – pour l’heure, 20th Century Boys est une série essentiellement ludique.

 

DES ENFANTS, MAIS AUSSI DES ADULTES

 

Et puis, bien sûr, il y a le traitement de l’enfance… Ici, l’auteur se montre d’une admirable justesse – et ses évocations ont une force indéniable, suscitant des échos nécessaires chez le lecteur, amené par le fil d’une intrigue s’affichant comme un « divertissement » (bouh le vilain mot !) à procéder à une anamnèse éventuellement réconfortante, éventuellement douloureuse.

 

L’identification est forte, en tout cas, avec, au-delà du seul Kenji (je parle de lui depuis le début, mais, à ce stade du récit, il n’est guère plus qu’un personnage parmi tant d’autres, éventuellement primus inter pares, mais même pas sûr ; la multiplicité des personnages est en tout cas essentielle à ce stade du développement), toute cette petite bande – ces gamins qui ont, en apparence du moins, bien plus de caractère que les adultes qu’ils sont devenus…

 

Mais en apparence seulement : c’est un autre atout de la BD, dans un registre plus subtil – elle accorde de la vie, de la chair, à des figures qui auraient pu n’être qu’archétypales. Et si la problématique des rêves de gosses contribue à dessiner un arrière-plan nostalgique (mais sans exclure pour autant les authentiques malheurs que tout enfant subit en égale mesure – ne serait-ce que les brutes qui persécutent les plus faibles, il y en a nécessairement dans toutes les écoles, dans toutes les enfances), elle ne s’en tient cependant pas là, et dessine (si j’ose dire, aha) en tous ces personnages un vécu qui, pour anodin qu’il puisse paraître, n’en est pas moins le vécu authentique d’un humain qui ne l’est pas moins.

 

Parmi les copains de Kenji, Croacroa et peut-être aussi, plus étrangement, Mon-Chan, sont ceux qui s’en tirent le mieux ; mais de ces personnages jaillissant en bloc d’un passé éventuellement oublié, à moins qu’il n’en soit devenu que plus mythique, mon préféré est sans l’ombre d’un doute, d’apparition plus tardive, Yukiji – « la fille la plus forte du monde »… dans une BD globalement guère féminine il est vrai (pour l’heure du moins).

 

C’est là une possibilité essentielle, que permet l’alternance des scènes présentes et passées ; rien à voir sous cet angle avec Quartier lointain, de Taniguchi Jirô, que, par le plus grand des hasards, j’ai lu peu après, et qui, pour traiter de l’enfance telle qu’elle est perçue par un adulte amené à s’y replonger, adopte évidemment une optique on ne peut plus différente – c’est, dans un genre radicalement distinct, une belle réussite là aussi, et probablement un chef-d’œuvre, qualificatif que je n'emploierais par pour l’heure concernant 20th Century Boys ; faudra que je vous en cause, et en comptant mes mots…

 

Notons enfin, même si c’est pour l’heure relativement marginal (encore que… bon, disons en volume sinon en intensité), d’autres flashbacks sont aménagés qui permettent d’entrevoir le passage d’un état à l’autre – car, entre l'enfance et l'âge adulte, l’adolescence, bien sûr, a elle aussi ses rêves… Même si elle se montre sans doute plus douloureuse, teintée d’une noirceur épargnant largement l’enfance aux atours d’ « âge d’or ». La rock star avortée en Kenji est probablement au moins aussi importante que le gamin imaginatif à casquette pour décider du Kenji « actuel », trimant contre vents et marées dans son minable konbini, la gamine de sa sœur en permanence sur son dos…

 

LE DESSIN

 

Et le dessin ? Il est bon, oui – voire plus que ça. Plus sobre éventuellement que dans beaucoup de mangas, notamment pour ce qui est des décors j’ai l’impression (mais ce n’est qu’une impression, hein…), il sait se montrer hautement convaincant pour exprimer le dynamisme des scènes autant que la vie émotionnelle des personnages – dans un registre peut-être un peu moins expressionniste que d’habitude (vague impression, que je ne saurais finalement guère fonder…), mais qui, en contrepartie, gagne en fluidité et en lisibilité autant qu’en personnalité : le trait de Urasawa Naoki affirme à chaque page sa singularité, et la BD ne manque pas d’en profiter.

 

FINALEMENT…

 

 

Eh bien, ce n’est certes pas la première fois que ça m’arrive, mais le développement de l’article m’amène à reconsidérer sous un jour plus favorable cette BD que j’avais d’abord présentée sous un jour mitigé… Bon, n’exagérons rien : je suis convaincu que ce tome est bon, et très riche à sa manière ; mais, pour l’heure, je ne peux pas prétendre avoir pris une « baffe ». C’est bon, oui – mais mes attentes étaient probablement plus élevées, au regard de la réputation globalement très flatteuse des mangas de Urasawa Naoki. Toutefois, j’ai suffisamment apprécié pour souhaiter poursuivre l’expérience – ça n’est pas toujours le cas…

 

À un de ces jours, donc, pour le tome 2 (de l’édition « Deluxe »).

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (29)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (29)

Vingt-neuvième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo, dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Un compte rendu un peu spécial : j’étais absent… J’ai rédigé ultérieurement ce compte rendu à partir de l’enregistrement audio de la séance.

 

Étaient présents Dwayne O’Brady, seul PJ survivant de la séance précédente, et des remplaçants pour les autres : Michael Bosworth, qui n’est donc plus un PJ temporaire mais est adopté par le joueur qui incarnait jusqu’alors Chris Botti, et Kelly McGillian, jusqu’alors PNJ à peine mentionné mais désormais incarnée par la joueuse de Leah McNamara. Mon personnage de Tess McClure, sombré dans la folie, était devenu un PNJ lors de la séance précédente ; mon nouveau PJ, Anatole « Froggy » Despart, apparu la dernière fois, a été joué par le Gardien des Arcanes pour cette séance, et figure donc à la troisième personne dans ce compte rendu.

 

I : NÉGOCIER DANS L’OMBRE

 

[I-1 : Dwayne : Tess McClure/« Tess la Rouge », Radzak, Anatole « Froggy » Despart] Tess s’approche de la vieille dame et de l’enfant, qu’elle a « choisis » à la demande de Radzak. Ces prisonniers ont sans doute été enfermés depuis trop longtemps pour avoir entendu parler de « Tess la Rouge », mais son allure et plus encore sa démarche sont inquiétantes quoi qu’il en soit ; en même temps, elle est plus élégante que jamais… Armée d’une dague sacrificielle à la main droite, elle avance directement sur l’enfant. Dwayne ne veut pas agir, il ne veut même pas regarder la scène qui s’annonce – il garde plutôt un œil sur Radzak. Mais il entend le coup de pied de Tess qui projette la vieille au sol, et cette dernière qui hurle quand Tess lui arrache l’enfant des bras… Puis c’est un bruit d’éviscération – et des organes qui tombent au sol. La vieille hurle à l’aide… Mais Dwayne demeure passif. Un des prisonniers, pourtant, veut tenter quelque chose, et fait un pas dans la direction de Tess ; Dwayne voit que Radzak se prépare à sauter à la gorge du prisonnier. Anatole, décontenancé, se contente d’observer les réactions de Dwayne – dans son esprit, il demeure le seul ici à comprendre ne serait-ce que vaguement ce qui se passe, et à ne pas vouloir le tuer pour autant, aussi calque-t-il son comportement sur le sien.

 

[I-2 : Dwayne : Tess McClure] Dwayne entend alors des bruits d’asphyxie – et il jette un œil sur la scène, par réflexe : Tess a vidé l’enfant de ses organes et se sert de sa cage thoracique désormais vide pour étouffer la vieille – comme si elle lui mettait la tête dans un sac ! Son regard est fixe, mais son sourire exprime combien elle prend son pied.

 

[I-3 : Tess McClure, Radzak] Le prisonnier continue d’avancer vers Tess, et cette fois Radzak lui saute dessus : en fait, après son bond initial, il disparaît littéralement en vol ; mais le prisonnier voit tout à coup son ventre gonfler, comme si quelque chose était subitement apparu à l’intérieur – puis des pattes velues et griffues en jaillissent… Le prisonnier crache du sang et tombe à genoux – ses organes internes se répandent par terre. Mais Radzak n’en a pas fini avec lui : c’est comme s’il cherchait maintenant à occuper l’intérieur de son crâne ! Et il y parvient, en jaillissant de la tête explosée… Le chat ressort du corps de sa victime avec un sourire ravi ; il est tâché de sang, mais se livre à une toilette toute féline…

 

[I-4 : Radzak, Anatole « Froggy » Despart ; William Harris-Jones] Les autres prisonniers, tétanisés, s’effondrent sous le coup de l’horreur de la scène – l’un d’entre eux se suicide même en se plantant une dague sacrificielle dans le torse. Les bruits d’accouplement se sont interrompus dans la pièce du fond. [Contradiction par rapport à la séance précédente : Anatole n’est donc pas allé chercher son patron William Harris-Jones une fois que celui-ci avait fini de prendre du bon temps avec la prisonnière nymphomane.]

 

[I-5 : Dwayne : Radzak, Tess McClure] Radzak revient tranquillement à sa place initiale, en marmonnant, satisfait, qu’il avait depuis bien longtemps songé à employer cette méthode, mais n’en avait jusqu’alors jamais vraiment eu l’occasion – ça lui a plu. Dwayne, abattu, va s’asseoir tandis qu’il entend la vieille suffoquer – Tess prend son temps pour l’achever, sans doute lui laisse-t-elle de temps à autre reprendre quelque peu son souffle, à seule fin de prolonger son agonie… Mais elle finit par achever sa victime. Elle reprend sa respiration, puis s’allume une cigarette – comme après l’amour…

 

[I-6 : Dwayne/« Leonard Border » : Tess McClure, Radzak ; Leonard Border] Tess et Radzak balayent des yeux le dortoir et les survivants. Puis Radzak adresse à Tess un regard amusé autant qu’interrogatif – il lui dit alors qu’il lui laisse encore le choix… Mais Dwayne parle enfin, leur demandant s’il ne serait pas possible de « discuter », ce qui attire leur attention. Le regard de Tess se pose sur lui : elle le reconnaît visiblement – même sous son apparence de Leonard Border – et le scrute littéralement ; peut-être cette reconnaissance provoque-t-elle des débats intérieurs, qui la troublent un minimum…

 

[I-7 : Dwayne : Radzak ; Hippolyte Templesmith] Radzak dit à Dwayne qu’il l’écoute… Dwayne lui dit qu’il suppose qu’il est ce « Radzak » dont il a entendu parler ; « son groupe » avait une tâche à accomplir pour lui ? Radzak est heureux de voir que sa réputation le précède… Mais les prédécesseurs de Dwayne ont échoué. Dwayne répond qu’ils sont allés aussi loin qu’ils le pouvaient. Mais ils n’ont pas tué Hippolyte Templesmith, c’est vrai… Toutefois, maintenant que sa véritable nature a été dévoilée au grand jour, il sera sans doute plus aisé d’en finir avec lui – même si Dwayne ne doute pas que la tâche demeurera ardue. Il sait par ailleurs que Templesmith ne le laissera jamais tranquille… Mais le problème est d’abord qu’il ne sait pas où il se trouve, et qu’il lui faut partir d’ici. Radzak, fielleux : « Tu me prends pour un assistant social ? » Mais pas du tout !

 

[I-8 : Dwayne/« Leonard Border » : Tess McClure, Radzak ; Leonard Border, Hippolyte Templesmith/« 6X »] Tess regarde Dwayne, perdue dans ses pensées ; puis elle avance vers lui de son pas élégant. Dwayne lui demande si elle le reconnaît. Oui… Elle lui caresse la joue de la main – perçant l’apparence de Leonard Border. Dwayne suppose que cela ne jouera pas en sa faveur ? Pourtant, elle veut toujours tuer « 6X » ? Tess répond qu’elle a largement fait sa part… Mais, dans ce cas, pourrait-elle aider Dwayne à retourner là-bas pour qu’il en finisse ? Tess regarde Radzak, hésitante, un peu paumée, même… Dwayne comprend qu’elle a envisagé de le massacrer, mais se retient – ce qui génère en elle une intense frustration. Radzak demande à Dwayne s’il a bien la prétention d’achever « 6X ». Dwayne lui répond que ce n’est pas une prétention : si le tuer lui permettra de rester lui-même en vie plus longtemps, rien d’autre ne compte.

 

[I-9 : Dwayne : Radzak, Tess McClure ; Brienne, Elaine] Radzak explique à Tess qu’il a du mal à appréhender le sens de la temporalité humaine. Dwayne comprend par-là qu’il demande combien de temps il doit lui laisser pour agir… Tess tourne autour de Dwayne en l’observant sous toutes ses coutures, elle prend son temps pour réfléchir (à un moment, elle lui pince même les fesses, ce qui le fait frissonner…). Tess répond enfin : « Disons… une petite semaine… s’il arrive à sortir d’ici… » Dwayne acquiesce de la tête. Tess ajoute que, s’il accomplit sa tâche dans ce délai, elle n’ira pas voir Brienne et Elaine (mais Dwayne se fout d’Elaine…). Elle repasse devant Dwayne et fait un pas de côté, comme pour lui laisser le passage ; et Dwayne traite Radzak avec respect, ce qui plaît au chat.

 

[I-10 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart, Radzak, Tess McClure] Mais Dwayne lance un coup d’œil en arrière sur Anatole : serait-il possible d’avoir l’aide de quelqu’un dans cette pièce pour sortir d’ici ? Radzak et Tess comprennent de qui il parle – le seul disposant d’une carrure physique et d’une assurance utiles. Tess lui tourne autour, comme elle l’avait fait avec Dwayne auparavant. Mais sa voix est beaucoup moins courtoise et familière : « Lui, je ne le connais pas… » La main d’Anatole tremble dans sa poche, il hésite visiblement à sortir son arme, tandis que Tess hésite quant à elle à le planter de sa dague sacrificielle… Dwayne intervient : « Je sais que tu ne le connais pas, mais laisse-lui sa chance ; il ne peut qu’être utile pour cette tâche. » Il se tourne pour voir la réaction de Radzak, puis revient sur Tess. « Si tu as de l’aide, tu as besoin de moins de temps… Quatre jours. »

 

[I-11 : Dwayne : Radzak, William Harris-Jones, Tess McClure ; Leonard Border, Butch, Hippolyte Templesmith] Dwayne n’a pas vraiment envie de négocier davantage. Radzak n’a pas l’air contre – c’est surtout qu’il s’en fout un peu : il est bien plus intéressé par les autres prisonniers, dont William Harris-Jones enfin venu dans le dortoir… Dwayne, toutefois, sent qu’il doit encore plaider sa cause auprès de Tess, qui demeure hésitante. À moitié désespéré, il avance qu’il ne s’en sortira pas sans aide – c’est une chance supplémentaire… Il lui rappelle tout ce qu’ils ont vécu ensemble – et le fait est que Tess et lui ont été assez complices, ont accompli nombre d’actions à deux – incluant le kidnapping de Leonard Border, la préparation du rituel, ou encore le désir de vengeance contre le bar Chez Butch… Tout cela joue en sa faveur – tout particulièrement quand il avance que ce serait l’occasion de faire sauter enfin ce bar : il ne joue donc pas que sur leur complicité passée, mais aussi sur leurs rancœurs communes, virant à la haine pure chez Tess… Cette approche fonctionne : Tess est désormais moins hésitante, plus favorablement disposée envers Dwayne. Son regard se précise toutefois sur la bague de fiançailles de Dwayne, qu’elle trouve jolie… Dwayne la lui donne sans hésiter. Tess la prend avec plaisir, et lui adresse un sourire sincère – qui a quelque chose d’enfantin et d’étrangement décalé. Elle le remercie. Puis elle dit qu’elle repassera les voir tous deux d’ici quatre jours, et, en fonction de ce qu’ils auront fait à Hippolyte Templesmith

 

[I-12 : Dwayne : Radzak, William Harris-Jones, Anatole « Froggy » Despart] Radzak libère le passage d’un vif et puissant coup de patte. Mais William Harris-Jones invective Anatole, son garde du corps : il ne peut pas le laisser ici ! Son salaire sera doublé ! Anatole lui fait face, hésitant – Dwayne comprend qu’il y a plus qu’un lien « professionnel » entre les deux hommes, une vague complicité, sinon véritablement de l’amitié… Mais Dwayne dit à Anatole que c’est maintenant ou jamais – rappelant qu’il a sacrifiés trois jours de sa propre vie pour assurer que le garde du corps pourrait le suivre… Anatole pousse un profond soupir, mais n’a guère le choix : « Désolé, patron… Le soldat se doit de vivre pour combattre un jour de plus – c’est une cruelle leçon de ces tranchées que tu n’as jamais connues… »

 

[I-13 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; William Harris-Jones] Anatole suit Dwayne, même si c’est à contrecœur. Il est toujours vigilant, attentif à tout ce qui se passe autour de lui – et il est conscient que ce n’est que grâce à l’intervention de Dwayne, même intéressée, qu’il a échappé à une mort horrible. Dwayne est sur le pas de la porte, donnant sur la cuvette : « Bon, où est la sortie, maintenant ? », dit-il dans le vide, espérant vainement une réponse… Mais rien – si ce n’est, derrière eux, les cris de souffrance de William Harris-Jones… Sur la plateforme surplombant l’abîme, c’est comme si les statues les observaient…

 

II : ALLIANCE DE CIRCONSTANCES

 

[II-1 : Michael : Pierce Hawthorne ; Hippolyte Templesmith] Michael essayait de secourir Pierce Hawthorne quand le jour s’est levé, entraînant le ressac de la marée de crabes. L’arbre où s’était réfugié Hawthorne tremblait sous l’assaut des monstrueux crabes « centaures », mais ils se sont eux aussi retirés. Hawthorne n’est pas des plus leste, il est même peu ou prou obèse… Il hésite à saisir la corde que lui tend Michael, et jette des coups d’œil au reflux des crabes. Michael sait que l’homme figurait sur la liste trouvée chez Hippolyte Templesmith, et avait entendu son discours lèche-cul au gala...

 

[II-2 : Michael : Pierce Hawthorne ; Hippolyte Templesmith] Pierce Hawthorne décide enfin de tenter le coup. Il se montre très prudent, et prend donc tout son temps. Impossible pour Michael de déterminer si Hawthorne sait qui il est. Mais, alors que ce dernier se trouve à mi-parcours environ, Michael fait vibrer la corde – pas suffisamment pour que Hawthorne tombe, mais amplement assez pour le faire paniquer… « Qu’est-ce que vous faites ?! » Michael répond posément : « Pas si vite, l’ami ; j’aimerais savoir à qui j’ai affaire ! Si je me souviens bien, vous disiez encore il y a peu le plus grand bien de Hippolyte Templesmith ? » Il refait vibrer la corde… Pierce Hawthorne est très mal à l’aise : « Qui êtes-vous ? Et en quoi est-ce que cela vous dérange ? » Michael répond que, s’ils se trouvent ici, c’est à cause de lui, non ? Il n’a pas de sympathie particulière pour Templesmith ou ses amis, alors il aimerait bien savoir qui il est en train d’aider… Hawthorne ne le reconnaît visiblement pas. Il répond qu’il est la seule personne à pouvoir l’aider pour sortir d’ici – il a le ton de quelqu’un désireux de négocier, mais conscient de ne pas être en position de force… Michael dit que ça l’intéresse – mais il veut en savoir davantage avant de le laisser le rejoindre. Il secoue à nouveau la corde, et Hawthorne chancelle : à prolonger encore ce petit jeu, il ne manquera pas de tomber… Ses yeux sont terrifiés – à la manière de ceux d’un lapin pris dans les phares d’une voiture. Michael lui demande comment sortir d’ici ; Hawthorne répond : « Ça va vous paraître fou, mais je connais un moyen de nous téléporter… » Est-ce un objet ? Un lieu ? Les deux, en fait : un objet dans un lieu… Et comment a-t-il obtenu cette connaissance ? Cela serait bien trop long à expliquer ! Michael laisse Hawthorne monter, et va même l’aider – non sans préciser qu’il compte ensuite en apprendre davantage, et il est armé… Hawthorne acquiesce et reprend son ascension – il est épuisé à l’arrivée.

 

III : DANS L’HÔTEL MAUDIT

 

[La joueuse incarnant précédemment Leah McNamara joue désormais la journaliste Kelly Gillian – en fait McGillian, mais elle avait pris soin de transformer son nom en raison des préjugés ethniques à Arkham. Longtemps comparse de Leonard Border, elle avait été renvoyée de la Gazette d’Arkham, en partie en raison de son ascendance irlandaise, plus précisément parce qu’elle avait refusé de sombrer dans l’enthousiasme béat pour Hippolyte Templesmith – et avait même envisagé d’enquêter sur le passé de la nouvelle coqueluche de la ville. Les PJ n’en savent pas davantage, n’ayant eu aucune nouvelle d’elle depuis son licenciement. Elle, cependant, n’était pas restée sans rien faire. Elle avait mené sa petite enquête, et établi plusieurs choses : sur un plan relativement légal, elle avait découvert que l’usine de Miska-Tonic ! appartenait à Hippolyte Templesmith, qui avait eu recours aux services de Diane Pedersen ; là-bas, des chimistes ont semble-t-il constaté « des choses étranges », mais on les a payés pour qu’ils se taisent. Par ailleurs, Templesmith avait recours à des gros-bras : des types d’Innsmouth, à la très mauvaise réputation, et qui sentent le poisson – elle a eu l’occasion d’en croiser… Ils sont responsables d’une bonne partie des disparitions en ville – le reste, c’est semble-t-il le fait de la mafia irlandaise. Elle sait par ailleurs qu’il se trouvait de nombreux cadavres à la ferme des Tulliver, mais qu’ils ont été subtilisés par les hommes de Templesmith – pour les « étudier », peut-être ? Quoi qu’il en soit, elle est très bien placée pour savoir que personne n’osera dire quoi que ce soit contre Templesmith : les témoins gênants sont apeurés, et on achète leur loyauté ; sinon… Kelly, pleine de rancœur à l’encontre de Hippolyte Templesmith, et ayant en outre tendance à boire plus que de raison, avait trouvé à s’infiltrer dans le gala à l’Omni Parker House, où elle souhaitait susciter le scandale, sans même penser aux conséquences pour elle-même. Personne ne l’avait reconnue là-bas. La journaliste avait commencé à boire des cocktails pour se donner du courage, dans le dancing room, mais, alors même qu’elle retournait dans la salle principale pour mettre son plan à exécution, elle a vu Diane Pedersen (en fait Tess McClure, mais elle n’en savait rien) embrasser à pleine bouche Templesmith… puis a vu tout ce qui a suivi. Comme tout le monde, elle a fini par perdre connaissance…]

 

[III-1 : Kelly : Bert Rockerson] Kelly se réveille, avec une certaine gueule de bois, couchée sur un lit, dans une sorte de chambre particulière qu’elle ne connaît pas. Les meubles et la décoration donnent plutôt l’impression d’une chambre masculine, et assez luxueuse – les meubles sont anciens mais bien entretenus. Kelly retrouve son déguisement, mais aussi son Derringer. Elle se lèvre, cherche à déterminer à qui appartient cette chambre. Elle est encore un peu déboussolée… mais finit par rassembler des éléments : il s’agit d’une chambre destinée à un invité qu’elle comprend être Bert Rockerson, un magnat pétrolier de la région de Boston – elle trouve des effets personnels à ses initiales, et ses vêtements dans une armoire. Elle trouve aussi sur les meubles diverses statuettes de toutes origines, qu’elle sait être d’une grande valeur tant pécuniaire qu’historique. Puis, tendant l’oreille, elle entend des bruits festifs en provenance d’une autre pièce – de la musique jazz, des éclats de rire…

 

[III-2 : Kelly] Kelly sort de la chambre, guidée par la musique. Elle se trouve à l’extrémité d’un couloir d’hôtel, avec de nombreuses portes conduisant suppose-t-elle à d’autres chambres similaires à la sienne. Elle relève aussi une étrange odeur de terre, mais très diffuse au milieu des parfums de qualité… Se fiant à la musique, elle avance dans le couloir – à la décoration riche (de nombreux tableaux de toutes provenances) mais un brin déconcertante… d’autant qu’elle prend conscience de la texture « métallique » des murs autant que du sol. Un peu plus loin devant elle, le couloir bifurque à angle droit sur la droite. Kelly sent une légère odeur de poisson pourri aux environs… Et elle entend des bruits de voix dans cette direction : elle ne distingue pas vraiment les paroles ; mais il y a une voix assez distinguée qui semble donner des consignes – « temporiser », « gardez-les » ? Les autres voix sont plus « coassantes », en tout cas soumises et affirmatives.

 

[III-3 : Kelly] Kelly, avant d’aller plus loin, est prise de l’envie de retourner dans sa chambre – afin de jeter un œil par la fenêtre pour déterminer où elle se trouve. Elle ne se montre pas spécialement discrète… Et elle entend des bruits de pas un peu empressés, qui vont dans sa direction. Elle n’y prête pas attention et continue, mais tourne enfin rapidement la tête, comme par réflexe : se trouve derrière elle un individu, qui lui demande d’une voix courtoise et polie si tout va bien. Elle répond qu’elle s’est réveillée ici, et ne sait pas où elle se trouve… Peut-il la renseigner, lui dire quel est cet hôtel ? Elle discerne plusieurs réactions chez son interlocuteur – un mélange de surprise, de légère angoisse… et finalement un sourire machiavélique. Passé la surprise initiale, l’homme se montre enjoué – ce qui, en fait, lui fait d’autant plus froid dans le dos… « Ne vous inquiétez pas, Mademoiselle ; la soirée d’hier a été un peu arrosée… Restez dans votre chambre, je vais vous faire porter un remontant. » L’homme semble prêt à repartir sur ses pas, mais Kelly insiste : quel est cet hôtel ? Il ne lui a pas répondu… L’homme s’étonne de cette réaction, et joue sur son amnésie – allant jusqu’à lui demander, avec un plaisir sadique de manipulateur, si elle sait en quelle année elle se trouve, quel est le nom du président de la République, etc. Kelly, qui comprend son petit jeu, lui dit que tout va bien – elle a dû s’endormir elle ne sait où, après quoi quelqu’un de charitable l’a portée dans cette chambre… L’homme répond enfin : « Vous êtes à l’Omni Parker House. » Et il s’en va. Mais ça ne ressemble pas du tout à l’Omni Parker House

 

[III-4 : Kelly] Kelly s’en tient pour l’heure à son idée, et va jeter un œil par la fenêtre de sa chambre… sauf qu’elle se rend compte maintenant qu’elle donne sur de la terre. S’y trouve en outre un caractère d’une écriture inconnue, gravé en plein milieu. Puis elle perçoit une brève oscillation, comme des ronds concentriques dans l’eau quand on y jette un caillou… Et, en quelques instants, la vue à travers la vitre change du tout au tout : elle ne donne plus sur de la terre, mais sur une sorte d’archipel étrange, avec un point de vue relativement élevé. Mais les astres sont étranges – le soleil est comme mordu par deux lunes, et la luminosité est irréelle… Sur une île à quelque distance, elle perçoit des tranchées – mais croit aussi voir deux hommes au sommet d’un arbre ? Elle est toutefois trop éloignée pour pouvoir en dire davantage… Elle voit par contre de très nombreux crabes, de toutes tailles, qui s’avancent sur la plage et disparaissent bientôt dans la mer… Le spectacle la perturbe – inconsciemment, Kelly porte la main à la fiasque de whisky dans sa poche de poitrine. Ce paysage est irréel, pire encore, il a quelque chose de fou…

 

IV : L’ÉCHELLE D’HIPPOLYTE

 

[IV-1 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; Radzak] Dwayne et Anatole laissent le dortoir derrière eux – Radzak leur demande poliment de fermer la porte derrière eux, mais Dwayne ne comptait de toute façon pas faire autre chose… Anatole est perturbé par le spectacle des statues sur la plateforme – mais il l’est tout autant par les deux escaliers, celui qui s’enfonce dans l’abîme, et celui qui semble monter vers le ciel et s’interrompt étrangement… Il suppose que Dwayne a déjà vu tout cela ; mais sait-il quel chemin il leur faut emprunter ? Si seulement ! Derrière eux, les hurlements en provenance du dortoir les incitent à s’éloigner – mais pour aller où ? Anatole observe les cadavres d’adorateurs qui jonchent le sol ; il hausse enfin les épaules, prend une profonde inspiration : « OK… » Il suit Dwayne.

 

[IV-2 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart] Dwayne décide tout d’abord de monter, vers l’escalier disparaissant dans le ciel ; il se demande en effet s’il ne s’y trouverait pas quelque chose d’invisible depuis leur position – il suppose aussi, à voix haute, que, s’ils se mettent à descendre, ils ne remonteront plus… Rejoindre l’escalier prend du temps : la pente est assez raide, et il leur faut couvrir une certaine distance. Ils y parviennent enfin, et s’attardent sur la très complexe décoration de l’escalier, dont les rambardes sont gravées de dessins représentant des nuées de serpents – ce n’est pas du « copier-coller », chaque motif est distinct de tous ceux qui l’environnent, et il en va probablement ainsi jusqu’au bout… C’est un travail parfait, d’une exécution sans faille et par ailleurs étonnamment lisible : la décoration n’a rien de confus. Anatole en est stupéfait : « Putain, c’est foutrement ancien… » Sans se poser en archéologue confirmé, il identifie sans peine un style gréco-romain.

 

[IV-3 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart] Ils montent l’escalier ; là encore, cela demande du temps, mais ils parviennent enfin aux dernières marches, à environ 50 mètres de hauteur. Et l’escalier s’interrompt bien abruptement – mais de manière délibérée et nette. Cela évoque à Anatole l’idée du « saut de foi »… puis il ajoute : « C’est con… Il y a plein de cadavres en bas qu’on pourrait jeter pour voir ce qui se passe… On va en chercher un, pour voir ? Ou bien ça serait une perte de temps ? » Il n’est pas sûr de lui. Mais Dwayne suppose qu’on pourra obtenir le même résultat en jetant un objet – Anatole n’a-t-il rien à délaisser au cas où ? Mais le garde du corps désigne la dague sacrificielle dont s’était emparé Dwayne… Ce dernier acquiesce, et jette l’arme archaïque… qui disparaît illico. D’une certaine manière, Anatole aurait préféré voir le couteau tomber… Dwayne a-t-il déjà vécu ce genre de trucs ? Oui – mais il y avait chaque fois « quelque chose », une sorte de « portail » ; ici, c’est le vide, et ça lui fait peur : s’ils tombent, ils tombent… Mais peut-être serait-il possible de passer simplement la tête, voir ce qui se trouve de l’autre côté ? Anatole enlève sa veste, la découpe par le centre, et confectionne une sorte de cordage de fortune ; il vérifie que c’est suffisamment solide, en attache une extrémité à sa ceinture, puis tend l’autre à Dwayne : « Tu tiens bien – je suis pas léger… »

 

[IV-4 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; Hippolyte Templesmith] Anatole s’avance ; il se contente tout d’abord de passer la tête au bout de l’escalier, mais ça ne donne rien. Dwayne suppose qu’il est possible d’attacher la « corde » aux petits piliers de la rambarde, mais il a besoin de plus de longueur – il utilise ses propres vêtements. Anatole prend une profonde inspiration, puis avance d’un pas courageux – et, cette fois, il disparaît. Le tissu, qui s'interrompt dans le vide mais sans être coupé, continue de se tendre encore un peu. Dwayne tire ensuite dessus, et sent une réponse de l’autre côté ; quelques secondes plus tard, Anatole revient, les yeux grands ouverts et bouche bée : « Je… Ça… Ça mène ailleurs… J’ai vu la lune… Il y a… Un autre escalier… Qui mène à un château… Un château de contes de fées ! Un château… dans l’espace ! » Dwayne n’a pas confiance – c’est sans doute la demeure de Templesmith… Mais Anatole est stupéfait, et répète : « Un château dans l’espace ! »

 

V : LA FOULE DANS LA CIME

 

[V-1 : Michael : Pierce Hawthorne ; Hippolyte Templesmith] Pierce Hawthorne est enfin parvenu au niveau de Michael ; il est épuisé, la fatigue musculaire le contracte – il reprend son souffle en s’étalant sur la branche donnant sur le réseau de lierre. Puis il observe Michael : « Merci… » Ce dernier répond, détaché : « Pas de quoi, l’ami, mais maintenant faut nous conduire à la sortie comme promis… » Hawthorne lui demande s’il a des jumelles, ou quelque chose d’équivalent, mais ce n’est pas le cas. Peu importe : Hawthorne dit savoir où se trouve un enclos, protégé, permettant d’accéder à la colline (il l’indique, pointant le nord-ouest), et de quitter les lieux. Michael suppose qu’il leur faudra encore « jouer les Tarzan »… Ça n’enchante pas Hawthorne, bien sûr, mais il n’y a pas d’autre solution a priori. Michael va l’aider – il sait que c’est sa dernière chance de quitter cet enfer… Il ressent une méfiance instinctive à l’encontre de Pierce Hawthorne, il y a peu encore ardent partisan de Templesmith, mais suppose qu’il lui faudra faire avec. C’est parti !

 

[V-2 : Michael : Pierce Hawthorne] Michael, nettement plus agile, passe devant, afin d’ouvrir la voie ; mais il distancie régulièrement Pierce Hawthorne, et est alors obligé de l’attendre – parfois même de revenir en arrière pour l’assister. Ils progressent ainsi une dizaine de minutes… et la nuit retombe déjà ! Le cycle du jour et de la nuit semble aléatoire, en tout cas impossible à conceptualiser de manière fiable. Sur l’ensemble de la durée de leur périple, l’alternance se reproduit trois fois… Ils entendent parfois des cris d’effroi ou d’agonie alentour.

 

[V-3 : Michael : Pierce Hawthorne] Et ils entendent enfin, tout près, une jeune femme appeler à l’aide. Et Michael entend répondre à cet appel – même si Hawthorne est visiblement inquiet qu’il « perde ainsi du temps » à secourir une inconnue… Michael cherche à localiser la voix ; il en a une vague idée, surtout en se fiant aux branches secouées… Hawthorne insiste : ils n’ont pas le temps, et le risque est trop grand ! Michael lui répond que, oui, c’est un risque, mais ça peut aussi être une chance – quelqu’un qui pourrait les aider en cas de coup dur… Hawthorne se tait ; il comprend qu’il vaut mieux ne pas contrarier Michael… Ce dernier parvient enfin à apercevoir la jeune femme : à en juger par son uniforme, c’est une serveuse de l’Omni Parker House. Elle est perchée sur un tronc d’arbre, crispée ; ses jambes saignent, entaillées à plusieurs endroits. Son appel à l’aide relève plus de la prière que de tout autre chose ; elle garde les yeux fermés…

 

[V-4 : Michael : Pierce Hawthorne] Michael l’appelle – et ça la surprend, il redoute même un moment qu’elle tombe de l’arbre… Une fois la jeune femme remise de sa surprise, et à nouveau fermement assurée sur la cime de son arbre, il lui demande dans quel état elle se trouve – mentionnant ses jambes. Elle va mal ! Mais, à vrai dire, elle n'y prêtait plus vraiment attention… Michael dit qu’il peut peut-être l’aider : « Je suis avec un autre gus de l’hôtel, on a peut-être une chance de s’échapper de cet endroit de merde… » Viendrait-elle avec eux ? Michael demande à Hawthorne de fabriquer une corde avec le lierre endémique à cet endroit ; il n’est pas très doué, mais, après quelques minutes, parvient à un résultat convenable. En s’aidant de la corde, après que Michael s'est assuré de ce qu'elle était solide, ils parviennent à ramener la jeune femme auprès d’eux.

 

[V-5 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] Elle les prend tous deux dans ses bras, les remerciant en larmes… Savent-ils comment partir d’ici ? « Attends… Juste une chose, d’abord : Michael. À qui avons-nous l’honneur ? » Elle s’appelle Sarah. Pierce Hawthorne se présente également par son prénom. Michael dit à Sarah que Pierce a un moyen de les faire sortir d’ici, et qu’ils l’ont croisée en route – coup de bol… Elle est prête à les suivre. Hawthorne dit qu’il faut seulement qu’ils atteignent l’enclos sur la colline. Et Michael dit à Sarah : « Si jamais ce type nous a raconté des craques, je l’envoie rejoindre les crabes en bas… » Hawthorne est surpris de cette menace, mais comprend bien dans quelle situation il se trouve… Il indique à nouveau la direction où il suppose que se trouve l’enclos.

 

[V-6 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Ils repartent. Sarah est plus agile que Pierce Hawthorne, mais moins que Michael. Il lui dit de passer derrière Hawthorne, afin qu’ils puissent tous deux l’aider le cas échéant. Sarah opine de la tête – et elle a visiblement compris le sous-entendu : elle doit demeurer vigilante à l’égard de Hawthorne… Le cycle du jour et de la nuit reprend – il leur faut une bonne heure pour atteindre la limite des arbres avec la plage, d’autant que Hawthorne, prudent et inquiet, progresse généralement à quatre pattes. L’effort les fatigue, et ils ont faim…

 

[V-7 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] L’universitaire désigne enfin l’enclos, à la base de la colline ; les autres ont tout d’abord du mal à l’apercevoir, mais y parviennent à l’aide des indications de Hawthorne – la murette est de la même couleur que la terre de la colline, un endroit pareil ne peut être distingué que par quelqu’un de conscient de son existence. Michael constate que l’enclos existe bien – sur ce point du moins, Hawthorne ne leur a pas raconté des conneries. Il dit à Sarah qu’il y a donc peut-être un espoir… mais il se tourne aussitôt vers Hawthorne : qu’il ne s’avise pas de leur fausser compagnie !

 

[V-8 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Ils ne sont toutefois pas au bout de leur peines : une fois le dernier arbre atteint, il leur faudra redescendre, parcourir bien 150 mètres de plage, puis nager sur 200 mètres environ… Pour l’heure, il fait encore nuit, et les crabes sont sous leurs pieds – sans doute aussi deux ou trois « centaures », à en juger par la végétation agitée… Il leur faut attendre une bonne demi-heure avant que le soleil ne les éclaire de nouveau. Michael demande à Sarah et Pierce Hawthorne s’ils savent nager : oui… Mais il vaudra mieux qu’ils se débarrassent de l’essentiel de leurs vêtements, pour progresser plus efficacement. Sarah a tout d’abord un réflexe pudique, mais est bien consciente de leur situation : elle déchire son uniforme. Hawthorne enlève sa veste, et lacère le bas de son pantalon. Mais Michael perçoit chez l’universitaire un geste de dissimulation quand il ôte sa veste – il y a saisi discrètement un objet… Il lui attrape le bras, et s’empare de ce qu’il avait caché : c’est un Derringer. Michael le lui brandit sous le nez : « Tu nous en prépares d’autres, des comme ça ? » Mais Hawthorne lui dit : « Si vous me tuez, vous êtes perdus ! » Michael se calme – disant qu’il espère que le professeur nage bien… Ils se reposent d’ici au « lever » du soleil.

 

VI : SERVICE D’ÉTAGE

 

[VI-1 : Kelly] Kelly se remet de son étrange vision. Elle entend des bruits de pas dans le couloir, qui approchent de la porte de sa chambre. Elle s’assure que son Derringer est chargé – elle ne fait pas confiance au type qui l’avait accostée dans le couloir ; mais elle entend aussi se montrer discrète, et attend aux aguets près de la porte.

 

[VI-2 : Kelly] On toque à la porte. Une voix féminine : « Madame ? Mademoiselle ? » Kelly lui dit d’entrer. Il s’agit d’une serveuse, en tenue de soubrette française – pas tout à fait un fantasme, mais pas loin… Elle porte un plateau avec une théière et une tasse en porcelaine chinoise, et explique que cela lui est offert par l’hôtel, en raison de ses « troubles » ; par ailleurs, si Kelly le souhaite, la direction lui laisse disposer de la chambre le temps qu’elle se remette. La serveuse dépose le plateau sur une table basse, et demande si Kelly a besoin d’autre chose – ce n’est pas le cas. La serveuse lui indique toutefois une clochette sur le plateau – qu’elle n’hésite pas à en faire usage. A-t-elle besoin d’un médecin ? Non, merci, elle récupère… La serveuse s’en va.

 

[VI-3 : Kelly] Kelly renifle alors le thé : il sent bon… mais elle décide de ne pas le boire. Elle plaque son oreille contre la porte pour s’assurer que la serveuse est partie, et compte ouvrir ensuite la porte pour sortir à son tour ; mais elle entend aussitôt d’autres bruits de pas, puis quelqu’un toquer à une autre chambre. Elle tend l’oreille, mais ne perçoit pas grand-chose de plus – si ce n’est la porte qui s’ouvre, quelques paroles échangées qu’elle ne distingue pas, après quoi la porte se referme, et les bruits de pas s’éloignent à nouveau.

 

[VI-4 : Kelly : Hippolyte Templesmith] Cette fois, Kelly sort de sa chambre. Elle progresse prudemment dans le couloir en faisant le moins de bruit possible, et garde la main sur le Derringer dans sa poche. Alors qu’elle parvient à nouveau à l’endroit où le couloir bifurque, elle sent à nouveau cette désagréable odeur de poisson pourri – une odeur qu’elle reconnait très bien : ce sont les gros-bras de Templesmith, en provenance d’Innsmouth… Elle perçoit aussi un ronflement dans une chambre à la porte entrouverte, mais ne s’y attarde pas : elle ne compte certainement pas fouiller partout – ce qu’elle veut, c’est se barrer d’ici : le type de tout à l’heure lui a fait une très mauvaise impression… Elle jette un œil à l’angle du couloir ; elle aperçoit un homme affligé du « masque d’Innsmouth », même si c’est encore léger, qui lit sans enthousiasme le journal, assis sur une chaise – il ne fait pas attention à elle. Au-delà se trouvent d’autres portes – notamment une double porte, et c’est de là que proviennent la musique jazz et les rires.

 

[VI-5 : Kelly] Kelly retourne une fois de plus à sa chambre. Elle essaye d’ouvrir la fenêtre, mais c’est impossible ; elle se résout à agiter la clochette pour appeler la serveuse. Celle-ci revient – Kelly remarque alors qu’elle a de nombreux aphtes. Et il y a quelque chose d’étonnant dans son allure – c’est comme si elle avait d’autres vêtements sous sa tenue de soubrette française, et comme si cette dernière n’était destinée qu’à elle… Kelly fait l’idiote, demandant à nouveau à la serveuse où elle se trouve : elle lui répond à son tour que c’est ici l’Omni Parker House… Visiblement, Madame ne se sent pas très bien ! La serveuse va chercher un médecin, c’est bien la moindre des choses… Mais elle la baratine clairement : Kelly comprend qu’il s’agit avant tout de la garder ici, cloitrée et calme. Mais elle ne s’y oppose pas. La serveuse s’en va ; Kelly attend…

 

[VI-6 : Kelly : « Dr Anton »] Après quelque temps, Kelly voit arriver un homme vêtu d’une blouse de médecin – mais avec la même impression que pour la soubrette, de vêtements passés sur d’autres et destinés seulement à déguiser le personnage pour qu’il corresponde bien à son rôle supposé… D’une voix très gentille, l’homme dit à Kelly qu’il est au courant de ce dont elle souffre, et qu’il a ce qu’il faut pour elle. Il sort une seringue de sa trousse de médecin, et dit à Kelly de s’allonger. Elle lui dit que ce n’est vraiment pas nécessaire, tout va bien, elle n’a pas besoin de traitement… Mais le médecin lui rétorque que, dans son état, il n’ y a rien d’étonnant à ce qu’elle se leurre, et prenne éventuellement des décisions pas toujours bienvenues… Il entend au moins prendre sa température – et tend un thermomètre buccal à Kelly, qui obtempère. Il lui demande si elle a mangé des choses étranges, si elle a bu de l’alcool, etc., tout en marchant autour d’elle ; mais non, rien d’autre que ce qui avait été servi à l’hôtel… Elle tend le thermomètre au médecin. À en croire ce dernier : « Ça ne va pas. Fermez les yeux et dites 33… » Mais Kelly lui demande où il a fait ses études : à l’Université Miskatonic – il est le Dr Anton… Mais Kelly refuse de fermer les yeux.

 

[VI-7 : Kelly : « Dr Anton »] « Bon, puisqu’il le faut… » Le « Dr Anton » se jette sur Kelly. Celle-ci dégaine son Derringer et fait feu aussitôt. Elle lui loge une balle dans le bras droit, celui qui tenait la seringue, au niveau du coude – il en résulte un orifice impressionnant, et l’avant-bras devient aussitôt flasque. Le « médecin » tente alors de lui donner un coup de poing de sa main gauche encore valide – il ne fait pas semblant, ce n’est visiblement pas la première fois qu’il cherche à assommer quelqu’un… Mais elle parvient à esquiver l’assaut. Elle s’empare alors de la seringue, et la lui injecte aussitôt. Il pousse un cri, que Kelly devine davantage lié à l’anticipation de ce qui l’attend qu’à la souffrance sur le moment. Il tente un dernier coup, mais c’est peine perdue : il tombe à genoux, saisit par réflexe son bras droit… Kelly le délaisse, et cherche comment barricader sa porte – éventuellement en faisant tomber une armoire. Mais le « Dr Anton », même sédaté, n’a pas dit son dernier mot : lui aussi est armé d’un Derringer, mais il est incapable de viser avec précision, et ses tirs manquent leur cible. Il ne pourra rien faire de plus.

 

[VI-8 : Kelly : « Dr Anton »] Kelly perçoit des bruits de pas qui s’approchent dans le couloir ; elle cherche plus que jamais à faire basculer l’armoire, mais sans succès : elle ne fait guère que s’y esquinter les doigts… Elle n’a pas le temps. Elle s’empare alors de la table basse, dans l’idée de défoncer la vitre. Mais, une fois la vitre cassée, la « vision » l’est tout autant : la fenêtre donne à nouveau sur de la terre, qui s’écoule dans la chambre… Elle récupère le Derringer du « médecin », s’empare à nouveau de la table basse dont elle se sert comme d’un bouclier, puis prend les devants et sort de sa chambre.

 

[VI-9 : Kelly] Kelly tombe aussitôt sur deux hommes d’Innsmouth, juste derrière sa porte – l’un est celui qui lisait le journal dans le couloir, l’autre émerge visiblement tout juste d’une sieste. L’un est équipé d’un Derringer, l’autre d’un couteau de chasse. Ce dernier s’approche, sur ses gardes, mais laisse à l’autre du champ pour qu’il fasse feu. C’est ce dernier que vise Kelly – elle le touche à la jambe gauche, ce qui le fait reculer un peu, mais la douleur ne l’empêche pas de tirer à son tour, et sa balle effleure la hanche de Kelly. L’autre se lance alors au corps à corps, mais sa lame ne fait pour l’heure que raser Kelly

 

VII : DU CIEL AUX ENFERS

 

[VII-1 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart] Dwayne a pris sa décision : Anatole et lui vont tenter de passer par le portail de l’escalier céleste. Il demande à Anatole s’il se sent prêt : oui, et Dwayne a l’air de mieux savoir que lui quoi faire… Anatole défait le nœud à sa ceinture. Tous deux passent le portail, sont aveuglés l’espace d’un instant par un bref éclat de lumière pâle, après quoi ils se retrouvent face au château décrit par Anatole. Dwayne constate que la poche où il avait son .38 est déchirée, et y sent quelque chose de très lourd et d’un métal froid à la place – son pistolet s’est transformé en une épée bâtarde, tandis que son chargeur supplémentaire est devenu un couteau de lancer ; il ramasse par ailleurs la dague sacrificielle qu’il avait jetée à travers le portail. Même effet pour Anatole, dont le .45 amélioré est devenu… une épée à deux mains ! Il l’avait laissée sur place après le premier passage, incrédule, mais la ramasse maintenant – c’est une lame à la garde travaillée, et qui se termine par de petites fourches…

 

[VII-2 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart] L’escalier continue, d’abord dans le même style gréco-romain à la thématique reptilienne, mais il change d’aspect au bout de 50 mètres : il a dès lors une allure plus irrégulière, voire « biscornue » ; le métal est relativement similaire, pourtant plus sombre ; la frise ne représente plus des serpents. Le château, par ailleurs, est tout à la fois étrangement beau et anxiogène, notamment dans son mélange de différent styles architecturaux (gréco-romain, gothique, victorien…) : cet accord étrange donne une impression de patchwork assez déconcertante. Quand ils parviennent au nouvel escalier, ils peuvent voir de plus près les motifs des rambardes : ce sont davantage des tentacules, maintenant, mais on y trouve également des bouches ornées de crocs impressionnants et disparates, des yeux, d’autres organes indéfinissables… Tous mélangés n’importe comment, sans schéma ou ordonnancement. Tout autour d’eux, enfin, c’est l’espace – la lune est énorme.

 

[VII-3 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart] Avant de poser le pied sur le nouvel escalier, Dwayne veut le tâter de sa lame ; à l’endroit où il en a posé l’extrémité, c’est comme si les formes gravées autour s’animaient soudainement, en tremblant ; un petit tentacule s’extraie même de l’escalier et s’entortille autour de la lame, que Dwayne ne peut plus retirer. Bientôt, tout s’anime alentour, dans un bruit spongieux ; même l’escalier gréco-romain semble trembler à son tour… Dwayne abandonne son épée, et repart en arrière, Anatole sur ses talons. Les tentacules de la rambarde essayent de les attraper, mais c’est trop tard – ils ont déjà refranchi le portail, et s’écroulent sur l’escalier partant de la colline ; Anatole fait un faux mouvement, et est à deux doigts de tomber dans le vide, mais Dwayne le rattrape in extremis par sa ceinture [échec critique suivi aussitôt d’une réussite critique !]…

 

[VII-4 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; William Harris-Jones] Anatole a récupéré son .45, l’épée à deux mains ayant à son tour été métamorphosée quand ils ont refranchi le portail, mais Dwayne a perdu son épée bâtarde – et donc son .38… Anatole lui rappelle qu’il y a de nombreuses lames en bas, et ils redescendent l’escalier. Dwayne trouve enfin une bonne dague, une sorte de main gauche, aux mêmes motifs tentaculaires. [Il souhaitait qu’Anatole lui donne une arme à feu, dans la mesure où le garde du corps français est à même de se débrouiller avec des armes de contact, tandis que ce n’est pas son cas… Le Gardien des Arcanes a cependant préféré me laisser la décision, que j’ai prise lors de la séance suivante : il se trouve que j’avais ramassé le Derringer de William Harris-Jones, et je le confie donc à Dwayne, conservant pour ma part mon .45 amélioré ; pour ce qui est des armes de contact, Dwayne dispose de sa dague, et moi d’une matraque en cuir.]

 

[VII-5 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; Tess McClure] Tous deux regagnent la plateforme au-dessus de l’abîme : l’escalier qui s’enfonce dans les ténèbres semble être la seule issue possible… En chemin, ils entendent des bruits de torture en provenance du dortoir – et Tess chante avec une joie toute gamine une petite comptine… Dwayne et Anatole se tiennent à carreau et ne s'attardent pas. Ils suivent les traces de sang du cultiste massacré par Tess dans l’escalier jusqu’à parvenir à son cadavre, sur une petite plateforme où se trouve une porte (l’escalier descend encore, sinon). Dwayne ramasse le cristal étrange de Tess, abandonné dans une flaque de sang, et le met dans sa poche.

 

[VII-6 : Dwayne : Anatole « Froggy » Despart ; Tess McClure] Des bruits spongieux leur parviennent de derrière la porte, entrouverte. Tandis qu’Anatole, toujours vigilant, dresse l’oreille, Dwayne y jette un œil, et voit la même scène que Tess précédemment : c’est une sorte de mine, aux parois de cet étrange métal omniprésent ; y travaillent deux automates numérotés (2 et 3), qui ne semblent pas pourvus des petites boîtes logées dans leurs interstices crâniaux, à la différence des précédents que nous avions pu rencontrer. Dwayne, se fondant sur les descriptions qu’on lui avait faites, cherche des points faibles, mais ils sont donc différents – et ont une plaque de fer vissée à l’arrière de leurs crânes… De leur pas monotone, d’une régularité métronomique, ils passent sans cesse des parois à des sortes de cuves d’acide, en utilisant de longs outils qui semblent fractionner le métal extrait de la roche. Dwayne ramasse une boulette de terre et la jette dans la vaste salle, afin de voir comment ils réagissent, mais ils n’y prêtent pas la moindre attention. Dwayne dit à Anatole qu’ils n’ont probablement pas d’ouïe – à moins qu’ils s’en moquent… Tandis que le Français fait le guet à l’entrée de la mine, Dwayne s’avance en quête d’une autre issue – mais n’en trouve pas : seulement de la terre et du métal. Il va alors jeter un œil aux outils rassemblés dans un placard non loin, qui ont un peu la forme de serpillères s’achevant sur un rectangle (à peu près de la taille d’un clavier) ; de l’acide en goutte, issu d’un petit réservoir, quand on presse un bouton – le reste de l’outil semble destiné à racler les parois. Ils sont faits du même métal étonnamment léger – le poids provient surtout de la réserve d’acide. Dwayne prend un de ces outils pour lui-même, et un autre pour Anatole. Mais il ne se montre guère discret tandis qu’il retourne auprès du Français [échec critique], et un automate semble prendre en considération sa présence, et se mettre à le suivre…

 

VIII : NAGER POUR SURVIVRE

 

[VIII-1 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] Le moment de nager jusqu’à l’île centrale est bientôt arrivé. Michael le sait… mais il sait aussi qu’il n’est pas certain que tous y parviennent. Pierce Hawthorne, tout particulièrement… Aussi doit-il leur dire, à Sarah et à lui-même, quoi faire une fois là-bas – dans l’hypothèse où l’universitaire n’aurait pas réussi à traverser jusqu’à l’île. Mais Hawthorne dit que, du fait de son instruction, il est le seul à même de comprendre ce qu’il faut faire… Michael se tourne vers Sarah : « Partons du principe que ce type ne nous dit pas n’importe quoi ; il faut qu’on y arrive tous… ou pas du tout. » Il faudra donc l’aider. La serveuse acquiesce.

 

[VIII-2 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Le « jour » se lève. Ils descendent aussi vite que possible des arbres, puis courent sur la plage afin de se jeter dans la mer. 200 mètres de nage les y attendent… et Michael a vu ce qui pouvait se trouver dans ces eaux étonnamment limpides et profondes tout à la fois. Sarah et Michael veillent à ce que Hawthorne les suive, quitte à l’aider. Sarah se débrouille bien, et l’universitaire sans doute mieux que ce que Michael supposait, mais, à l’évidence, il s’essouffle rapidement… Bientôt, il supplie Michael de l’aider, et paraît sur le point de boire la tasse. Michael l’aide comme il peut, demandant à Sarah de s’y mettre aussi. Ils parviennent à maintenir l’universitaire en surface, mais doivent progresser de front : Hawthorne n’est visiblement pas en mesure de se débrouiller seul – et il faut qu’il survive…

 

[VIII-3 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne] Au bout d’un moment, Michael sent une surface sous ses pieds – et ce n’est clairement pas la plage… Il distingue des crabes « centaures » en dessous ; l’un sort même des flots, semble les observer, puis prend la direction de l’île où eux-mêmes se rendent. Michael redoute que la « nuit » tombe avant qu’ils aient regagné la terre ferme… Mais il leur faut tous y parvenir ! Impossible de se débarrasser de qui que ce soit pour avancer plus vite… Sarah, pourtant, n’aurait visiblement pas hésité à se débarrasser de Hawthorne

 

[VIII-4 : Michael : Pierce Hawthorne, Sarah] Le crépuscule tombe quand ils atteignent la plage. Pierce Hawthorne a beau être exténué, il a encore assez de souffle pour dire qu’il leur faut courir vers l’enclos – ils n’ont pas le temps de récupérer ! Ils se précipitent vers le petit bâtiment, et la porte peinte qui donne à l’intérieur, tandis qu’une nouvelle marée de crabes s’amalgame et se lance sur leurs trousses… Hawthorne, qui n’en peut plus, sort une clef de sa poche, et ouvre la porte – qui donne sur un couloir obscur, semble-t-il à l’intérieur même de la colline. La vague de chitine n’est plus qu’à dix mètres derrière eux. Michael pousse Hawthorne et Sarah dans le couloir : « On y va ! » Ils pénètrent tous à l’intérieur, et Pierce Hawthorne verrouille la porte derrière eux en reprenant son souffle.

 

[VIII-5 : Michael : Sarah, Pierce Hawthorne ; Tess McClure, Dwayne O'Brady] Mais, soudain, Michael et Sarah repèrent dans la respiration hachée de Pierce Hawthorne des marmonnements indistincts. Or Michael avait entendu Tess et Dwayne s’entraîner à prononcer des incantations bizarres, et croit y reconnaître de ces mots étranges, « Sothoth », « Nyarlathotep »… Et Sarah hurle. Au plafond se trouve un large caractère aklo, qui émet bientôt une luminescence vermillonne tandis que Pierce Hawthorne achève son sortilège – et Michael et Sarah sentent leur peau qui se fragmente, et dont des lambeaux sont littéralement arrachés ! leur chair gicle de leurs propres corps pour s’agglomérer au symbole akloPierce Hawthorne reste en arrière, et n’est pas affecté. Michael se jette sur lui : « Qu’est-ce que tu fous ? » Mais la douleur de la chair arrachée à sa jambe droite l’empêche de courir, et, même épuisé, Hawthorne n’a aucun mal à esquiver quand Michael cherche à le saisir par le col…

 

À suivre…

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Le Chrysanthème et le Sabre, de Ruth Benedict

Publié le par Nébal

Le Chrysanthème et le Sabre, de Ruth Benedict

BENEDICT (Ruth), Le Chrysanthème et le Sabre, [The Chrysanthemum and the Sword], traduit de l’américain par Lise Mécréant, préface de Jane Cobbi, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier poche, [1946, 1974, 1987] 1995, 355 p.

 

Le Chrysanthème et le Sabre, publié originellement en 1946, dans le contexte que l’on sait, est probablement le plus célèbre ouvrage d’anthropologie consacré aux Japonais ; son influence a été considérable (en fait, cela s’applique aux travaux « japonais » de l’auteure avant même la parution de l’ouvrage – on a dit que, si le régime impérial avait été conservé après la capitulation, c’était en partie du fait de son action et de son analyse), et on en a tôt fait un classique aux États-Unis – mais aussi au Japon, où il a été très rapidement traduit, et abondamment discuté. Bizarrement, il aura pourtant fallu attendre 40 ans pour en avoir une traduction française… ce qui est assez fâcheux pour un ouvrage « de circonstance », caractère que son statut postérieur de « classique » ne saurait lui enlever.

 

CIRCONSTANCES DE LA RÉDACTION ET DIFFICULTÉS MÉTHODOLOGIQUES

 

Décrire l’Ennemi : une anthropologie à distance

 

Car cet essai a été élaboré dans un contexte particulier. L’anthropologue américaine Ruth Benedict, disciple de Franz Boas et figure du mouvement culturaliste ou du relativisme culturel, s’était vue demander par l’armée américaine une étude permettant de comprendre les Japonais en pleine guerre du Pacifique, avec aussi dans l’idée de préparer le terrain de l’après-guerre. En cela, on peut la comparer à Edwin O. Reischauer, qui a conçu la première version de son Histoire du Japon et des Japonais dans des conditions similaires. Mais cette entreprise hardie posait pour l’anthropologue des difficultés bien particulières, et propres à sa discipline. On n’en était plus, alors, à l’anthropologie « de bureau » ou « de bibliothèque » ; on ne concevait plus qu’un anthropologue digne de ce nom puisse parler de manière pertinente d’une société dans laquelle il n’avait pas lui-même vécu. Or Ruth Benedict n’avait jamais mis les pieds au Japon, et était bien sûr dans l’impossibilité de s’y rendre pour étude en plein conflit… Par ailleurs, elle ne connaissait pas la langue japonaise.

 

Les Japonais interrogés

 

Pour construire son essai, elle a donc dû se soumettre à des biais méthodologiques éventuellement fâcheux : les Japonais qu’elle a pu interroger étaient, soit des immigrés aux États-Unis avant la guerre (de ceux qui étaient donc parqués dans des camps…), soit des prisonniers de guerre – et il est difficile de dire quelle situation est la plus biaisée des deux… On a beaucoup critiqué cette approche – on a pu dire, par exemple, que le modèle « totalisant » construit par Ruth Benedict (c’était son ambition et celle de son courant méthodologique, même dans ces conditions) ne renvoyait pas à un « Japonais idéal », mais à un « soldat japonais idéal », ce qui change radicalement la donne… Quant aux immigrés japonais, la guerre les a amenés à couper radicalement des ponts avec le Japon, mais sans doute le fait de vivre loin de l’archipel, éventuellement jusqu’à l’extranéité, les a-t-il considérablement changés par rapport à cet hypothétique « Japonais idéal » que souhaite décrire l’auteure…

 

Les témoignages écrits et la langue japonaise

 

Pour pallier à ces difficultés, mais en en soulevant en fait d’autres, Ruth Benedict a également fait appel à des sources littéraires ou plus globalement écrites – le problème étant donc qu’elle ne lisait pas le japonais : dès lors, il lui fallait avoir recours à des traductions parfois anciennes et sans doute plus ou moins précises, ou des rendus récents mais de seconde main, éventuellement via les Japonais immigrés ou prisonniers mentionnés plus haut, ce qui en rajoutait dans les biais…

 

En fait, c’est d’autant plus fâcheux que le cœur de l’ouvrage interroge des notions d’une extrême complexité renvoyant à l’obligation et à la dette ; or l’anthropologue fait ici usage de termes « spécifiques » qu’aucune traduction en anglais (ou en français, d’ailleurs) ne saurait rendre avec suffisamment de précision…

 

L’ambition culturaliste/relativiste

 

Pour autant, si elle doit composer avec ces difficultés, Ruth Benedict n’est pas une anthropologue de second ordre, et elle procède avec le plus grand sérieux – laissant toujours le champ ouvert à la contestation (qui ne manquera pas, mais ultérieurement). Si l’ambition « totalisante » peut s’avérer problématique, au regard de ses schémas éventuellement trop rigides, l’approche culturelle porte ses fruits – même si de manière un brin étrange parfois.

 

L’anthropologie d’alors ne pouvait bien sûr se permettre des jugements de valeur induisant une hiérarchie des modèles culturels. Ceux-ci doivent être envisagés le plus objectivement possible, et dans une relation d’égalité sinon d’identité. On ne saurait bien sûr se contenter d’un lapidaire « les Japonais sont bizarres » (voire « dingues »), réflexe qui laisse encore des traces aujourd’hui… Et peut-être d’autant plus en pleine guerre, où le réflexe est forcément de déshumaniser l’Ennemi, sous les traits d’un archétype essentiellement maléfique ou du moins barbare ! Danger considérable, que l’étude de Ruth Benedict doit justement circonvenir.

 

Il s’agit donc de définir un modèle japonais cohérent, et qui, pour être différent, n’en a pas moins sa logique propre et sa valeur intrinsèque. L’approche culturaliste a cependant quelque chose d’ambigu à cet égard, en appuyant sur les différences – et peut-être trop ? C’est un trait saillant du livre de Ruth Benedict, qui, pour « scientifique » qu’il soit en dépit de ses biais méthodologiques, n’en a pas moins parfois quelque chose de « spectaculaire » : on a l’impression, à lire Le Chrysanthème et le Sabre, que les Japonais font systématiquement tout à l’inverse des Américains… Cette perception un peu faussée doit donc être prise en compte, et, à son tour, relativisée le cas échéant.

 

La douteuse pérennité du modèle

 

Enfin, cette ambition « totalisante » dans un cadre circonstancié amène à un relativisme circonstancié : cet ouvrage a maintenant 70 ans, et, s’il reste pertinent à bien des égards, même en étant très justement critiqué notamment, mais pas seulement, par des chercheurs japonais, il n’en reste pas moins qu’il constitue un cliché à un instant T, d’une société déjà portée à l’évolution rapide, et qui, dans le contexte précis de l’immédiat après-guerre, ne pouvait qu’évoluer davantage et éventuellement plus vite encore…

 

LES JAPONAIS DANS LA GUERRE

 

Ruth Benedict débute donc son étude, et sur commande de l’Office of War Information, en pleine guerre du Pacifique. Pour expliquer « l’Ennemi », l’anthropologue se penche donc en premier lieu sur les motivations des belligérants. Or, dans l’optique évoquée juste un peu plus haut, mettant l’accent sur les différences, Ruth Benedict les envisage comme fondamentalement opposées, au point où elles sont incompréhensibles de part et d’autre – ce qui, au-delà du seul combat, peut avoir des conséquences paradoxales, ou, plus exactement dans l’approche de l’ouvrage, qui paraissent paradoxales aux Américains, mais qui ont leur cohérence propre selon le modèle japonais.

 

La supériorité de l’esprit japonais

 

Mais des traits saillants peuvent d’ores et déjà être ainsi mis en avant. On a beaucoup glosé sur la supériorité de « l’esprit » japonais sur le matérialisme américain, par exemple – et c’est effectivement un trait qui ressort souvent, tant des interrogatoires de prisonniers de guerre (rares – j’y reviendrai) que des sources écrites (tout particulièrement dans la presse ?).

 

Du point de vue occidental, au regard de l’évolution du conflit à cette époque (nous sommes nettement plus proches d’Iwo Jima et Okinawa, sinon Hiroshima et Nagasaki, que de l’expansion irrépressible du Japon, avec Midway pour faire la balance), on serait tenté d’y voir un déni de réalité – mais les choses sont évidemment plus complexes que cela.

 

Tout est prévu

 

Pourtant, ce déni a d’autres implications, peut-être plus sensibles cette fois sur le sol même du Japon, et non seulement chez ses soldats : l’idée que tout est « prévu » ; à chaque revers militaire, le commandement militaire japonais assure la population qu’il ne s’agissait pas vraiment d’un revers, dans la mesure où l’avancée alliée avait été « prévue », l’idée étant donc que les mesures pour y répondre ont été établies de longue date, et que leur efficacité à terme ne saurait faire de doute : dès lors, nulle raison de s’inquiéter des victoires alliées (temporaires) et pas davantage des bombardements américains…

 

Le respect dû à l’empereur

 

Dans un autre registre – mais peut-être plus essentiel encore aux yeux de l’anthropologue, au regard de l’anecdote mentionnée d’emblée quant au maintien de la dynastie impériale ? –, Ruth Benedict note bien sûr qu’on ne saurait, au Japon, critiquer l’empereur.

 

Mais cela tient du réflexe, héritage sans doute d’une longue histoire, et n’est en rien hypocrite, comme on pourrait le croire. Ruth Benedict note d’ailleurs, chose étonnante, que même dans le Japon militariste et totalitaire en plein conflit, un certain espace de liberté d’expression subsiste – sans doute inenvisageable dans les autres pays de l’Axe, et de même en URSS. En fait, les militaires au pouvoir sont du coup parfois critiqués – mais pas l’empereur : il est dans une autre sphère. Et, parmi les Japonais interrogés, tant ceux qui soutiennent l’effort militariste que ceux qui le conspuent une fois défaits, semblent dans l’incapacité d’établir une relation quelle qu’elle soit entre cette politique et l’empereur.

 

Le principe hiérarchique fondamental y a sans doute sa part – ainsi que la notion de « dette » ou de « responsabilité » : j’y reviendrai ultérieurement, c’est là le cœur de l’ouvrage.

 

Mais c’est aussi une manière d’expliquer le comportement étonnant des Japonais (aux yeux des Américains) après Hiroshima et Nagasaki. Nombre de prophètes de mauvais augure prédisaient une guerre longue avant de mater le Japon, et une occupation difficile, en proie à l’hostilité irrépressible des Japonais. Mais c’est le contraire qui s’est produit : une fois que l’empereur a annoncé la capitulation, même en disant que c’était une chose « impossible » qu’il fallait faire néanmoins (là encore, il faut sans doute renvoyer aux développements ultérieurs sur « l’obligation » et la « dette »), les Japonais ont aussitôt déposé les armes… et même accueilli avec déférence, respect voire enthousiasme les troupes d’occupation, leur facilitant la vie sur place à tous points de vue !

 

Mourir pour l’empereur : l’impossibilité de la reddition

 

Pourtant, auparavant, une conséquence notable de cette conception de l’empereur devait être soulignée, dépassant peut-être même le conditionnement totalitaire : les soldats, quelles que soient leurs idées sur la question de la guerre (car ils pouvaient éventuellement se permettre d’en avoir, même s’il leur fallait composer avec de nombreux biais, bien sûr), étaient tout disposés à « mourir pour l’empereur ».

 

C’est là un trait essentiel du comportement des soldats japonais durant la guerre du Pacifique – au point où il est devenu un cliché, j’imagine. Côté fictions, je vous renvoie par exemple à Mourir pour la patrie de Yoshimura Akira, ou côté essais à Morts pour l'empereur de Takahashi Testuya.

 

Mais ce trait fait sens tout particulièrement au regard de la question des prisonniers de guerre. Pour le soldat japonais « idéal », la reddition est inenvisageable – mieux vaut mourir, dans une charge suicidaire par exemple, plutôt que de se rendre, car il ne saurait y avoir pire honte (cela rejoint les notions essentielles de « dette » et de « responsabilité », tant au regard de la dette envers l’empereur que de la nécessité de laver son nom, voir plus loin ; il faut ici rajouter la fameuse distinction, quand bien même controversée par la suite, mais qui me paraît tout à fait intéressante, opposant « culture de la culpabilité » et « culture de la honte », j'y reviendrai également).

 

Dès lors, les soldats japonais sont dans l’incapacité de comprendre les soldats alliés qui se rendent : ils devraient avoir honte ! Et pourtant ça n’est visiblement pas le cas… La tentation, dès lors, est grande de les déshumaniser encore un peu plus. En résultent des traitements particulièrement sévères… mais avec des aspects parfois étonnants : ceux qui violent ouvertement les règles sont impitoyablement châtiés – mais ceux qui dissimulent, agissent en douce, sont bien mieux tolérés, même quand ils sont pris… Ceci provient d’un questionnement moral essentiellement différent, là encore avec les notions de « dette » et de « responsabilité » ainsi que de « culture de la honte ».

 

Mais ce rapport aux prisonniers de guerre peut avoir des conséquences bien autrement étonnantes : sans doute la supériorité de « l’esprit » nippon y joue-t-elle un rôle, mais on a souvent relevé que les conditions médicales des prisonniers de guerre, autrement maltraités comme tant de livres ou de films en témoignent, étaient en fait régulièrement meilleures que celles des soldats japonais qui les gardaient…

LE PRINCIPE HIÉRARCHIQUE : CHACUN À SA PLACE

 

La hiérarchie contre l’égalité

 

La société japonaise, depuis longtemps, est caractérisée par un très fort principe hiérarchique, résumé dans un mot d’ordre lapidaire : « Chacun à sa place. » C’est là la structuration essentielle du monde nippon. Et c’est une chose tout particulièrement incompréhensible pour les Américains, qui mettent en avant, instinctivement, la notion d’égalité (au-delà bien sûr des disparités de fortune...).

 

Ruth Benedict évoque ainsi le voyage d’Alexis de Tocqueville, qui allait déboucher sur la publication de sa fameuse analyse De la démocratie en Amérique – le jeune noble, après le chaos révolutionnaire, était naturellement porté à priser le modèle antérieur d’essence inégalitaire, mais a vu ainsi qu’un modèle différent, fondamentalement égalitaire, était possible et parfaitement viable. Cela reste une description essentielle de la mentalité américaine. Ici, le rapport au Japon est pour le coup inverse – mais sans voyage sur place, donc…

 

Un principe général, de la famille aux relations internationales

 

Ce principe est susceptible de bien des applications, dans tous les domaines. Il peut être réduit à la seule dimension familiale (notons au passage que le culte des ancêtres ne doit pas leurrer à cet égard, la famille japonaise honorée est considérablement restreinte par rapport au clan chinois englobant des dizaines de milliers de personne), mais aussi bien étendu à la scène internationale : en fait, c’est là un trait essentiel de l’effort colonial puis militaire du Japon en Asie continentale et dans le Pacifique, et une raison profonde de l’alliance au sein de l’Axe avec l’Allemagne et l’Italie.

 

Le chef responsable et non despote

 

Pour autant, ce principe admis, il ne faut pas se méprendre sur la conception de l’autorité au Japon – plus diffuse qu’on pourrait le croire. Ainsi, le chef de famille japonais n’est pas le chef de famille prussien : il n’a rien d’un autocrate, et son pouvoir n’a rien d’arbitraire – il s’inscrit dans les traditions, mais celles-ci, justement, ménagent une part importante à la consultation. Plutôt qu’un « chef » à proprement parler, le père de famille – mais tout autant le fils aîné – est avant tout un responsable.

 

Le système de castes des Tokugawa

 

Le principe hiérarchique au Japon, le « chacun à sa place » fondamental, a sans doute trouvé son expression la plus radicale dans le système de castes élaboré sous le shôgunat Tokugawa (période d’Edo) : les samouraïs, nobles combattants, y ont en fait une place à part et non seulement supérieure ; le système hiérarchise par contre, dans l’ordre, les paysans, puis les artisans, puis les commerçants ; quant aux parias (du fait de leur occupation, mais le statut est hérité), ils sont hors système. Ce système avait ses implications, nombreuses et plus ou moins faciles à appréhender ; on y voyait toutefois un garant essentiel du maintien de la paix, d’autant qu’il s’accompagnait de mesure visant à affaiblir le pouvoir des daimyos.

 

Mais ce système de castes n’était pas aussi rigide qu’on pourrait le croire au premier abord – à l’instar de la « fermeture » du Japon à laquelle on le relie, comme autant d’éléments caractéristiques de l’ère Edo. La « fermeture » n’a pas empêché l’économie monétaire de se développer, et a ainsi favorisé la mobilité sociale (au niveau de la génération sinon de l’individu). D’où, en fait, des intérêts liés entre les samouraïs pauvres et les marchands en quête de noblesse – élément crucial du mouvement de Meiji.

 

LES IMPLICATIONS DE MEIJI

 

Ce lien, voire cette alliance, permet de comprendre que le mouvement de Meiji n’a rien de révolutionnaire : il n’y a pas alors de lutte ouverte entre aristocrates et bourgeois, comme en France. Qualifier exactement le mouvement est délicat, mais, à la base, il tient donc plus de la « restauration » que de la « révolution » : on affiche en tout cas une volonté de retour en arrière – en ce sens, nous sommes donc aux antipodes de la révolution.

 

Mais Meiji est un mouvement paradoxal – et il entraîne des évolutions extrêmement rapides, et souvent inattendues. L’alliance d’intérêts des samouraïs pauvres et des riches marchands a favorisé l’émergence d’une nouvelle classe de dirigeants : « leurs excellences », dont on s’accorde à dire qu’elles savent ce qu’elles font… Mais l’absence de caractère révolutionnaire se constate à ce que le principe hiérarchique demeure, au-delà de la rigidité supposée des castes : « chacun à sa place » est un mot d’ordre qui a toujours pleinement son actualité sous Meiji.

 

Le nouveau système est d’ailleurs susceptible de variantes à cet égard. Ainsi, la démocratie a d’abord une place extrêmement limitée dans le système central, mais bien plus importante à l’échelon local… et, aussi stupéfiant que cela puisse paraître, dans l’armée ! D’autant que celle-ci est globalement constituée au niveau local.

 

Pour autant, c’est un des passages où Ruth Benedict n’appuie pas systématiquement sur les différences inconciliables ; elle note en effet que ce système n’est pas nécessairement si original que cela : il peut évoquer, par exemple, les royaumes de Hollande ou de Belgique de l’époque (même si les modèles anglais, surtout, et éventuellement américain, ont pu intriguer les Japonais d’alors).

 

Il faut enfin relever le rôle du shintô d’État qui s’affirme alors. Pour Ruth Benedict, il ne fallait pas alors le considérer comme une religion – et, dès lors, il ne posait aucun problème au regard de la liberté des cultes : finalement, il pouvait davantage être comparé à une pratique patriotique plutôt que religieuse stricto sensu, comme le salut au drapeau américain… Mais c’est une question assez subtile, dont traite Takahashi Tetsuya dans Morts pour l’empereur, et je vous y renvoie donc.

 

LE CŒUR DU MODÈLE CULTUREL JAPONAIS : LES NOTIONS D’ « OBLIGATION » ET DE « DETTE »

 

Un lexique subtil : on, gimu, chu, ko, nimmu, giri

 

Mais nous en arrivons au cœur de l’ouvrage, qui consacre plusieurs chapitres relativement complexes à ce qui, selon Ruth Benedict, constitue l’essence même du modèle culturel japonais : la, ou plutôt les, notions de « dette » et d’ « obligation. Car plusieurs notions sont en fait en jeu, désignées sous des termes précis par les Japonais, usant d’un lexique subtil et riche de nuances intraduisibles en anglais (et probablement tout autant en français).

 

En partant de la notion de on, renvoyant à toutes les « obligations » contractées passivement, elle-même susceptible de variantes (le on général se subdivise éventuellement en plusieurs on spécifiques, renvoyant le cas échéant à l’empereur et à la patrie qui lui est liée, ou encore à la famille et aux ancêtres, etc.), on en arrive à plusieurs formes de « responsabilités », dont le règlement des « dettes » diffère, notamment entre gimu « infini » et donc impossible à jamais pleinement rembourser (le gimu renvoie ainsi au chu pour l’empereur et la patrie qui lui est associée, au ko pour la famille et les ancêtres, au nimmu pour le travail…), et giri, « dette » de quelque autre ordre que ce soit susceptible quant à elle d’être « remboursée » (pas forcément en numéraire, même si on tend à le présenter sous la forme d’une équation mathématique), mais se subdivisant à son tour en deux catégories, le « giri envers le monde » (par exemple devoir envers le suzerain ou la belle-famille), et le « giri envers son nom » (lequel décide du comportement irréprochable en société au regard de la honte éventuelle, mais aussi de toutes les occasions de « laver son nom », ce qui, dans une éthique radicalement différente de celles que nous connaissons en Occident, légitime éventuellement la violence, par exemple en cas de vengeance, et quitte à recourir à des comportements que nous aurions tendance à juger fourbes et guère honorables – mais dans l’optique japonaise, ces comportements, en tant qu’ils visent à « laver le nom », sont justement parfaitement honorables, et j'y reviendrai).

 

Une opposition spectaculaire

 

Ce système complexe aboutit à des comportements ou réactions franchement surprenantes pour un Occidental – c’est sans doute ici, dans ce cœur de l’ouvrage donc, que Ruth Benedict appuie le plus sur les différences entre modèles culturels, au risque de la systématisation « spectaculaire ».

 

Un exemple éloquent en est fourni, trouvé dans un magazine, dans une sorte de rubrique du « courrier du cœur », censément tenue par un psychiatre – qui répond à un vieil homme l’interrogeant sur le comportement à adopter (en l’espèce, le vieil homme, après avoir consacré bien des années après la mort de sa femme à élever ses enfants, souhaiterait, sur ses vieux jours, s’installer avec une jeune femme, et s’interrogeait sur la réaction des enfants) en lui prescrivant point par point un comportement parfaitement antithétique à celui que nous attendrions et apprécierions aux États-Unis et en Europe ! Et d'autant plus de la part d'un psychiatre...

 

Imposer le on

 

Mais c’est que le on a des implications terribles. Le on est reçu passivement, par principe ; en tant que tel, il peut être imposé, en fin de compte ; aussi un service rendu n’a-t-il pas du tout les mêmes implications qu’en Occident, où des notions de charité et de générosité viennent d’une certaine manière appuyer la gratuité du geste accompli.

 

Or le on pose toujours la question du « remboursement » ; aussi, imposer un on, bien loin de figurer un acte altruiste, est un comportement invasif, pouvant éventuellement passer pour une insulte ! Cela explique en partie les formules « de politesse » japonaises qui consistent en autant d’excuses, et franchissent régulièrement la limite de l’autodénigrement ; cela explique aussi un certain nombre d’institutions ou rites sociaux venant pondérer le poids global de l’obligation afin d’éviter autant que possible les réactions extrêmes (violentes, notamment – contre soi ou contre les autres). Ceci est vrai dans le cadre du gimu, impossible à rembourser, mais aussi, et de manière plus fourbe à certains égards, dans le cas du giri, « envers le monde » ou « envers son propre nom » : le giri, après tout, est par essence remboursable, mais « contre son gré », et, littéralement, désigne « la chose la plus dure à supporter »…

 

Aussi est-il, dans la société japonaise d’alors (je ne saurais dire ce qu’il en est aujourd’hui), d’une importance cruciale de ne pas s’imposer ou même s’immiscer ; les conséquences, éventuellement redoutables, sont presque impossibles à envisager pour un Occidental qui s’égarerait dans ce système… Je ne doute pas que ces chapitres ont joué un rôle essentiel dans le cadre de l’occupation américaine.

 

Pour mémoire, Ruth Benedict déploie notamment cette analyse en se fondant sur le roman Botchan, un des plus célèbres de Natsume Sôseki.

 

Une casuistique complexe

 

Les implications du on, et de toutes les notions liées, subalternes ou dérivées, sont innombrables. Mais ce lexique subtil autorise en sus une casuistique complexe – et qu’un non-Japonais pourrait trouver spécieuse.

 

Ainsi, le rapport d’obligation à l’empereur n’était pas le même que celui à l’égard du shôgun : aussi, si les complots contre l’empereur étaient jugés impossibles de manière générale, la trahison du shôgun n’avait pas les mêmes implications, et pouvait quant à elle être envisagée.

 

Le point a été évoqué plus haut, mais le rapport à l’empereur, dans cette perspective, a joué un rôle essentiel dans la capitulation du Japon en 1945, et plus encore dans le comportement – jugé « incompréhensible » par les Américains – du peuple japonais dans son ensemble : quand l’empereur s’est prononcé, la défaite est aussitôt devenue un fait acquis et incontestable, et le on envers l’empereur impliquait dès lors de faire bon accueil aux ennemis d’hier et de leur ménager une occupation paisible et volontaire, voire enthousiaste.

 

On comprend d’autant mieux que Ruth Benedict ait pu plaider la cause du maintien de l’institution impériale devant les autorités américaines… Et, à l’en croire, c’est dans ce modèle culturel de l’ « obligation » et de la « dette » que réside le « secret » de la capitulation japonaise et de l’occupation paisible qui a suivi (laquelle en était encore à ses débuts quand Le Chrysanthème et le Sabre a été publié, mais les années ultérieures ne feraient que confirmer ce premier contact), bien plus que dans l’ascendance divine supposée de l’empereur, souvent mise en avant.

 

Cette casuistique, ces subtilités diverses, se rencontrent bien sûr à d’autres niveaux de l’ « obligation » ; il y aurait tant de cas à citer… Je ne peux sans doute me le permettre dans ce compte rendu déjà trop long. Mais, à titre d’exemple, voyez le « culte des ancêtres », comme autre trait japonais souvent mis en avant : en fait, ce respect, s’inscrivant dans les schémas du on, etc., ne porte véritablement, ou concrètement, que sur les ancêtres immédiats – la famille est une unité relativement restreinte, les clans immenses à la chinoise n’ont guère leur place ici. Par contre, ce respect a des conséquences appréciables dans un vaste système réciproque d’ « obligations », par exemple en ce que le respect dû aux parents « se paye » par l’attention à l’éducation des enfants, etc. J'aurai là encore l'occasion d'y revenir.

 

LA VERTU ET LES CONFLITS D’OBLIGATIONS

 

Le héros japonais, écartelé entre les obligations contradictoires

 

Ce complexe système d’ « obligations » génère inévitablement des tensions, de l’ordre du conflit d’intérêts ou même de l’opposition radicales de deux « remboursements » incompatibles. Les loyautés partagées sont particulièrement redoutables dans ce cadre, et le « Japonais idéal » de Ruth Benedict est forcément, à un moment ou à un autre, déchiré entre deux « obligations » s’excluant mutuellement.

 

Cependant, dès lors qu’une au moins de ces « obligations » est « remboursée », le comportement y aboutissant est jugé honorable à sa manière. C’est là un trait culturel majeur, qui a par exemple son importance dans le traitement des récits, notamment littéraires ou cinématographiques : le happy end n’est guère recherché – voire supposé impossible ; par contre, les héros qui intéressent les Japonais sont déchirés entre des obligations incompatibles. La manière dont ils payent, éventuellement au prix du sacrifice, fournit la substance du drame.

 

Le gimu étant impossible à rembourser, le giri a ici un rôle particulier – mais, au fond, c’est l’entrelacement de toutes ces notions qui fait sens en rendant la vie impossible, au point éventuellement de justifier un sacrifice ultime.

 

Une illustration : les 47 rônins

 

Le thème classique des 47 rônins permet de mettre en lumière cette particularité : à tout prendre, ce « mythe » (mais attention, il est fondé historiquement) des 47 rônins est à maints égards incompréhensible pour un Occidental, qui plus est baigné de culture chrétienne ; au Japon, pourtant, cette histoire de loyauté poussée jusqu’au sacrifice, mais dans une optique de vengeance, et passant par de nombreuses ruses que nous jugerions intuitivement guère honorables, représente le sommet ultime de l’héroïsme… Je vous renvoie, tant que j’y suis, à la belle nouvelle d’Akutagawa Ryûnosuke « Un jour, Ôishi Kuranosuke », dans La Vie d’un idiot et autres nouvelles (ledit Ôishi Kuranosuke est le personnage central de la conspiration).

 

On trouverait cependant bon nombre d’exemples moins « héroïques », mais également jugés honorables selon les critères japonais – car leur société est peut-être moins attachée à la pureté des moyens, dès lors qu’il s’agit de parvenir à la fin honorable : les moyens, eux, n’ont pas nécessairement à être honorables.

 

CULTURE DE LA CULPABILITÉ ET CULTURE DE LA HONTE

 

C’est là un autre point crucial de l’essai de Ruth Benedict – et qui a été âprement discuté… L’idée est cependant tout à fait intéressante, si sa systématisation est effectivement contestable. L’anthropologue, dans son élaboration d’un schéma général japonais par essence antagoniste au schéma général américain, avance qu’un trait culturel fondamental explique la distinction et les incompréhensions qu’elle suscite. En effet, à l’en croire, les États-Unis (en l’espèce – mais les causes étant essentiellement religieuses, dans les monothéismes bibliques, on peut étendre la qualification bien au-delà) seraient une « culture de la culpabilité », là où le Japon serait une « culture de la honte ».

 

La culture de la culpabilité

 

Or culpabilité et honte ne vont pas forcément de pair. La notion essentielle de la « culture de la culpabilité » est celle de péché ; dans une optique chrétienne, elle résulte d’une codification ancienne du « bien » et du « mal », permettant de qualifier objectivement les comportements : certains sont par essence fautifs et, en tant que tels, appellent à l’introspection ; la faute est caractérisée autant par le fait accompli que par son intégration intime, génératrice de remords.

 

Mais c’est bien ce tourment interne qui compte, outre la commission objective de l’acte : la honte ressentie par le coupable, dans cette perspective, n’est qu’un épiphénomène – au mieux : l’attachement excessif à la honte, perçue comme rapport social aux autres, ne manque pas, bien souvent, d’être taxé d’égocentrisme ou de narcissisme, avec le sentiment de superficialité mesquine que nous tendons à y accoler.

 

La culture de la honte

 

La mentalité japonaise serait tout autre. L’opposition codifiée entre bien et mal n’y est pas aussi prégnante – en fait, on tend plus à considérer qu’ils font tous deux partie du monde tel qu’il est, sans que cela appelle à un jugement quel qu’il soit, ou encore moins à un affrontement eschatologique. L’essentiel est bien plutôt le rapport de l’individu au système d’obligations qui le baigne. Dès lors, la faute en tant que fait objectif se voit relativiser son importance – et, surtout, l’intériorisation de la faute n’a guère de sens. Ce qui en a, c’est le rapport de l’individu à la société qui l’entoure : c’est ce qui en fait une « culture de la honte ».

 

La honte fait ici figure de châtiment suprême, non la conviction de la culpabilité ; et elle appelle à entreprendre tout ce qui est possible pour la faire disparaître – en « lavant son nom ». Mais, dans cette perspective, l’honneur au seul sens social est de la partie : les moyens pour « laver son nom », dès lors, ne peuvent pas être objectivement qualifiés d’ « honorables », ou plus exactement n’ont pas à l’être. Autant pour le bushido, construction anachronique, ou plus exactement son fantasme occidental ? En tout cas, c’est ainsi la honte qui, aussi étrange que cela puisse nous paraître, est là-bas à l’origine de la vertu.

 

Envisagé sous cet angle, on comprend mieux la permanence du thème des 47 rônins avec tout ce qu’il peut avoir d’étonnant pour des Occidentaux. Mais, là encore, nul besoin de recourir immédiatement à cet exemple « mythique » : au quotidien, la honte serait de toute façon de bien plus de poids que la culpabilité.

 

Un éclairage utile

 

Je ne suis pas certain de bien appréhender ces notions – et peut-être mon résumé est-il contestable dans cette optique. Le sujet m’a intéressé, toutefois – si j’ai bien conscience de ce que sa systématisation a de hardi et sans doute d’inacceptable : en conjuguant ce thème avec celui plus global des « obligations » et des « dettes », j’ai l’impression de mieux saisir certains comportements japonais tels qu’ils s’expriment au cinéma ou en littérature – mais aussi au-delà : j’ai l’impression, à lire ces développements, de mieux comprendre par exemple les scènes de « micro-trottoir » dans l’excellente novella de Ken Liu L’Homme qui mit fin à l’histoire. Je retiens par exemple ce bref témoignage d’un quidam déclarant que les anciens membres de l’Unité 731 avouant leurs exactions avaient déshonoré leur pays, non par ce qu’ils avaient fait, mais par ce qu’ils avaient dit… La question peut éventuellement être prolongée dans les stratégies adoptées par la droite pour rendre sa gloire au sanctuaire du Yasukuni, ainsi que les évoque Takahashi Tetsuya dans Morts pour l’empereur

 

LE CERCLE DES ÉMOTIONS HUMAINES ET LES PLAISIRS

 

Il ne faudrait sans doute pas pour autant développer à l'excès cette image, à nos yeux éventuellement névrotique (le rapport entre la psychologie/psychanalyse et l’anthropologie pourrait être ici une autre piste fructueuse) : le Japonais, même le « Japonais idéal » de Ruth Benedict, est bien plus que cela, et dispose dans sa vie d’occasions détachées le cas échant des systèmes du on et de la honte toujours à craindre.

 

C’est tout particulièrement le cas en ce qui concerne les loisirs, et même plus précisément les plaisirs. Nous sommes ici aux antipodes du modèle chrétien – et plus encore du sous-modèle protestant, notamment américain via le puritanisme. Le christianisme, disons, tend à réfréner le plaisir, à lui trouver forcément quelque chose d’immoral : cela imprègne la conception des sept péchés capitaux, mais va bien au-delà, et joue un certain rôle au quotidien. L’intention prime ici à nouveau – et on ne saurait, dans cette perspective, considérer le plaisir comme une fin en soi ; c’est même pire que cela : il est par essence suspect… et appelle donc à cette introspection de la faute envisagée à l’instant.

 

La conception japonaise est tout autre – même si l’on aurait tort de vouloir y déceler une opposition d’ordre symétrique. Sans doute le plaisir n’est-il pas, dans le Japon de Ruth Benedict, une fin en soi. Mais il occupe une autre sphère des comportements humains, où il a sa place et s’apprécie en tant que tel. Certes, un commandement moral demeure, qui impose de ne pas attacher trop d’importance à ce « cercle des émotions humaines », jugé d’essence secondaire. Toutefois, dès lors que cet écartement de la sphère principale des activités humaines est bien compris, le plaisir en soi n’a absolument rien de répréhensible : bien au contraire ! Sans être donc une fin en soi, le plaisir est apprécié pour ce qu’il est. Il n’y a aucun mal à aimer manger, même beaucoup, ou boire, éventuellement jusqu’à l’ivresse, ou dormir, ou faire l’amour (dans le cadre conjugal ou pas, cela n’a aucune importance, dès l'instant que les obligations au sein du mariage, au regard du système évoqué plus haut, sont respectées ; l’érotisme est autrement valorisé ; notons d’ailleurs que cela vaut aussi traditionnellement pour l’homosexualité ou « l’auto-érotisme »)… Tout cela fait partie de l’humain, et, dès lors, pourquoi le réprimer ?

 

Pour autant, l’espace mental japonais ne relève pas de « la quête du bonheur ». Mais le réconfort de la chair n’a rien d’obscène : il est appréciable, et l’art y trouve nombre de sujets à sublimer, sans pour autant reléguer aux orties sa dimension matérielle, pleinement assumée. Un trait japonais, qui, pour le coup, me séduit…

 

LA DISCIPLINE DE SOI

 

Ces considérations amènent à des développements concernant la perception japonaise de la discipline de soi. Sans doute ici le risque est-il grand de sombrer dans les clichés d’un zen mal compris… Mais j’en retiens d’autres aspects plus intéressants – et tout particulièrement, en rapport direct avec ce qui précède, le questionnement de l’efficacité : au Japon, contrairement à ce que nous connaissons, on ne considère pas le sommeil comme une « nécessité pour se montrer efficace le lendemain » ; cette optique performative n’a pas lieu d’être : on apprécie le sommeil en soi, sans le rattacher nécessairement (en le rabaissant au passage) à une finalité d’ordre éthique. Pour autant, la discipline de soi permet bien plus sereinement de parvenir à des résultats appréciables, si l’esprit de compétition a des connotations toutes différentes.

 

L’autodiscipline à la japonaise passe par un certain nombre de méthodes utiles, qui entretiennent une relation complexe avec les « émotions humaines » et les plaisirs envisagés à l’instant. La privation est en fait envisageable, voire approuvée, mais comme un mode de détachement ; et c’est bien sûr un nouveau témoignage de la supériorité de l’esprit sur le corps – mais avec donc cette nuance inédite quand j’avais envisagé cette question tout à l’heure, voulant que le corps ait après tout lui aussi sa place.

 

L’ÉDUCATION DES ENFANTS

 

Une culture n’a rien d’inné, bien sûr : elle s’apprend, comme le reste. C’est sans doute pourquoi Ruth Benedict consacre en définitive un long chapitre (le plus long, même, de l’essai ; reste ensuite un bref chapitre sur les Japonais depuis la capitulation, toute récente, mais cela tient de la conclusion) à la question de l’éducation des enfants. Sujet traité de long en large, et je ne me sens pas de rentrer dans les détails ici – d’autant que leur caractère d’opposition « spectaculaire » me paraît une fois de plus un peu trop forcé ; mais c’est peut-être surtout que j’ai tendance à croire (sans pouvoir me fonder sur rien de précis, certes) que c’est là un domaine où les mentalités japonaises ont tout particulièrement évolué depuis 1946.

 

Quelques points à relever, cela dit – notamment, bien sûr, la perpétuation de la famille conçue comme une « obligation » pleinement inscrite dans les systèmes du on, et permettant à chaque génération de s’insérer dans ledit système au niveau familial ; par exemple quand l’enfant « paye » ses parents en ayant lui-même des enfants, leur éducation étant une contrepartie de celle qu’il a reçue.

 

Mentionnons aussi le caractère très vite ultra-différencié de l’éducation des garçons et des filles – qui consiste déjà à les placer dans le monde. On tolère dès lors des choses que nous jugerions inacceptables – tout particulièrement la violence chez le petit garçon, sous la forme d’insultes ou même de coups portés contre sa mère. Laquelle est par ailleurs en conflit permanent avec la belle-mère (non, ce n’est pas une blague), situation difficile dont elle se remboursera en devenant elle-même belle-mère…

 

Par ailleurs, l’enfance peut être perçu comme un grand moment de liberté – ce que sera aussi la vieillesse. C’est entre les deux que le Japonais se retrouve tributaire du principe hiérarchique et du système impitoyable du on

 

CONCLUSION

 

Au-delà de ses biais méthodologiques éminemment contestables, au-delà de ses partis-pris théoriques qui ne le sont pas moins (notamment concernant la systématisation d’un modèle général du « Japonais idéal »), au-delà enfin de l’évolution de la société japonaise depuis 1946, Le Chrysanthème et le Sabre reste une lecture tout à fait passionnante. On aurait sans doute tort de balayer cet ouvrage, qui fut en outre d’une grande importance historique au moment de l’occupation du Japon par les forces américaines, mais aussi par la suite en diffusant une représentation commune du Japon et des Japonais, comme nul et non avenu en raison des progrès de la science.

 

En fait, à certains égards, on peut d’autant plus saluer le travail de l’anthropologue qu’il a été accompli dans ces circonstances guère propices – et son essai fait preuve d’une hauteur de vue appréciable, en développant le modèle d’une société certes différente mais pas moins cohérente et n’appelant en rien la bêtise des jugements de valeurs de « ceux qui sont nés quelque part », alors même que le conflit du Pacifique était propice à la déshumanisation de l’Ennemi.

 

On peut dès lors voir Le Chrysanthème et le Sabre comme une porte ouverte à d’autres analyses – que Ruth Benedict elle-même appelait de ses vœux. Que cet ouvrage ait été abondamment critiqué depuis ne fait que renforcer son statut de « classique », dont la lecture est sans doute nécessaire encore aujourd’hui à qui s’intéresse à l’anthropologie du peuple japonais. Le plus fort étant qu’en un certain nombre de points il reste tout à fait pertinent…

 

Un bel ouvrage, donc – malgré tout. Et une lecture aussi passionnante qu’instructive, au carrefour de l’anthropologie culturelle et de la sociologie des représentations. À lire !

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Dolls, de Takeshi Kitano

Publié le par Nébal

Dolls, de Takeshi Kitano

Titre : Dolls

Titre original : Dolls

Réalisateur : Kitano Takeshi

Année : 2002

Pays : Japon

Durée : 114 min.

Acteurs principaux : Kanno Miho, Nishijima Hidetoshi, Mihashi Tatsuya, Matsubara Chieko, Fukada Kyôko, Takeshige Tsutomu…

 

DOLLS ET ZATOICHI : LE JOUR ET LA NUIT (OU L’INVERSE)

 

Dolls précède immédiatement Zatoichi dans la filmographie de Kitano Takeshi, et c’est un peu le jour et la nuit – à vrai dire, ça l’est autant dans le ton que dans la réception, si ça se trouve : Dolls a été un peu boudé à sa sortie… là où le succès de Zatoichi a dépassé la mesure.

 

Je n’ai (pour l’heure…) vu aucun film de Kitano postérieur à ces deux-là – j’ai l’impression que le cinéaste a été nettement moins bien diffusé en France après coup –, aussi ai-je tendance à les envisager d’un œil bien particulier… Mais c’est au bénéfice de Dolls, film délicat, sensible, triste, émouvant, et surtout bien davantage personnel que la commande Zatoichi (que j’apprécie quand même, hein, et probablement plus aujourd’hui qu’au premier visionnage).

 

Film de Kitano Takeshi, et pleinement, quand bien même sans Beat Takeshi à l’écran (je suppose que ça a pu jouer dans sa réception), Dolls bénéficie d’une plastique irréprochable sublimant son propos – que d’aucuns ont pu trouver « naïf », mais j’ai du mal avec ce qualificatif (que je ne parviens jamais à associer à la tristesse ou à la cruauté), j’y reviendrai en temps utile… C’est enfin un film imprégné d’âme japonaise, qui puise dans la culture de l’archipel, et tout autant dans ses représentations, pour nous éventuellement incongrues, mais n’en a pas moins une admirable portée universelle.

 

LA STRUCTURE DU FILM

 

Kitano n’aime semble-t-il pas trop l’expression de « film à sketches » associée à Dolls. Il n’en reste pas moins que le film, passé un important prologue, développe trois petites histoires, mais finalement plus entrelacées que successives – la première constituant même le « fil rouge » (aha) liant l’ensemble pour assurer l’indéniable cohérence du film, de bout en bout.

 

PROLOGUE : LE BUNRAKU

 

Mais commençons par le commencement, et donc le prologue – qui inscrit Dolls, au titre déjà éloquent, dans la tradition toute japonaise du bunraku (on disait autrefois plus exactement jôruri, le nom bunraku vient d’une salle emblématique), c’est-à-dire l’art du théâtre de marionnettes. Pas vraiment le Guignol lyonnais : le bunraku est un des trois grands genres théâtraux japonais, avec le et le kabuki (lequel lui est d’ailleurs lié), et, s’il avait sans doute une dimension populaire, cela allait pourtant bien au-delà.

 

C’est tout particulièrement vrai des nombreuses pièces qu’a consacrées à ce répertoire le fameux Chikamatsu Monzaemon (on dit parfois « le Shakespeare japonais », si ça veut dire quelque chose…), dont j’avais lu il y a peu, à titre d’exemple, La Mort des amants à Sonezaki (dans l’anthologie Mille Ans de littérature japonaise), célèbre pièce « bourgeoise » illustrant le thème essentiel pour l’auteur du « double suicide » ; thème qui a marqué Kitano – le superbe Hana-bi, notamment, en témoigne –, mais il semble cependant porter un regard un brin ambigu sur le célèbre dramaturge, et insiste sur son image d’auteur « à la mode » en son temps ; mais quoi de mieux, pour un auteur, que de conjuguer reconnaissance artistique et succès populaire ?

 

Quoi qu’il en soit, c’est justement sur un (assez long) extrait d’une pièce de Chikamatsu, Le Courrier pour l’enfer (encore une variante sur le « double suicide ») que s’ouvre Dolls. Choc culturel considérable (et souhaité comme tel ?) : le spectateur occidental est probablement décontenancé par cet étonnant spectacle, et si les costumes et les grandes marionnettes, superbes, réjouissent son œil, leur manipulation peut davantage le déconcerter – mais pas autant cependant que l’accompagnement musical, où les notes saccadées du shamisen sont accompagnées d’un récitatif très expressif et surtout atonal, chose à laquelle nous ne sommes sans doute guère accoutumés… au point où c’en est presque douloureux.

 

Pour autant, ce prologue, avec sa rigueur éventuelle, n’est pas dépourvu d’un plaisir esthétique, sublimé par une caméra habile faisant ressortir les couleurs du spectacle, et ce plaisir, passé le choc initial, s’affirme de plus en plus tandis que le spectateur se met dans le bain de la représentation et en devine peu à peu les traits saillants.

 

L’image de ce couple torturé par un amour impossible, vêtu des superbes costumes conçus par Yamamoto Yôji (on y reviendra), donne le ton de la suite – et, forcément, devant chacun des couples au cœur des trois histoires qui suivront, nous reconnaîtrons les marionnettes : l’assimilation est flagrante avant tout pour le couple des mendiants enchaînés – qui en viennent à terme à porter les costumes des marionnettes du prologue –, mais c’est en fait vrai de tous.

 

Quant à Kitano, dont la grand-mère était conteuse de bunraku et jouait du shamisen, autant dire qu’il baignait dans cet art depuis son plus jeune âge, il est peut-être d’autant plus le marionnettiste qu’il choisit cette fois, à l’instar de certains manipulateurs des « poupées » du bunraku, de demeurer invisible…

 

LES MENDIANTS ENCHAÎNÉS

 

L’image originelle : à la base du film

 

Le premier récit du film, celui des mendiants enchaînés, est cependant sa véritable base : le thème du bunraku ne s’y est ajouté qu’après coup.

 

Il provient d’une image demeurée dans la mémoire de Kitano, d’une scène à laquelle il avait assisté et avait ensuite longtemps ruminée : deux mendiants, un homme et une femme, avançant silencieusement, liés ensemble par une corde, et suscitant les quolibets des spectateurs (et les mauvaises blagues des enfants, notamment), mais n’y prenant pas garde.

 

L’image était aussi intrigante que belle et forte, et Kitano voulait en traiter sans savoir trop comment – il redoutait notamment que ce matériau initial soit insuffisant pour constituer un long-métrage. D’où, plus tard, cette idée d’associer ce premier récit à d’autres, dans un film placé en outre sous le patronage du répertoire du bunraku – dans lequel il s’insère il est vrai parfaitement, d’autant que l’on devine d’emblée, dans le périple morne des mendiants enchaînés, le terme inévitable du « double suicide ».

 

Bien sûr, la scène est « modernisée », ce qui vaudra aussi pour les deux autres récits : il ne s’agit pas d’adaptations littérales de pièces du bunraku, mais d’histoires originales et contemporaines, que leurs thématiques et peut-être plus encore leur association rapprochent de l’influence du théâtre de marionnettes.

 

La scène exposée, il s’agit de l’expliquer – d’où un long flashback, caractéristique de l’art de Kitano, qui aime souvent mêler les temporalités, mais peut-être jamais autant que dans Dolls. Bien sûr, c’est une histoire d’amour tragique qui a suscité ce pénétrant tableau…

 

Vers l’enchaînement et l’errance

 

Matsumoto (Nishijima Hidetoshi) et Sawako (Kanno Miho, parfaite) formaient un jeune couple heureux, et envisageaient de se marier. Mais, comme d’usage au Japon (ou du moins c’était l’usage, ça l’est peut-être moins, je suppose), les parents de Matsumoto avaient une autre idée en tête : ils ont arrangé son mariage avec une autre jeune fille, issue d’une bonne famille – alliance lucrative aux allures d’ascenseur social. Matsumoto a d’abord refusé, engagé qu’il était auprès de Sawako qu’il aimait – l’autre, il ne la connaissait même pas… Mais il a fini par céder.

 

Or, le jour même du mariage, on l’informe que Sawako a fait une tentative de suicide – elle est toujours vivante, mais elle a perdu la tête… et sans doute ne le reconnaîtra-t-elle pas, même lui. C’est sa faute, pourtant !

 

Affligé par le remords, le jeune homme fuit son propre mariage et se rend à l’hôpital, où sa fiancée est plongée dans une transe catatonique, dont elle ne s’éveille guère qu’au spectacle de couleurs qui l’émeuvent vaguement. Ils ne se parlent pas – à ce stade, ils ne le peuvent tout simplement pas…

 

Matsumoto, plus morne que jamais, a beau adopter un faciès de marbre, on devine, sous-jacente, l’émotion et la culpabilité qui va de pair – il craquera, mais à terme. Mais si lui n’est guère démonstratif, c’est tout le contraire pour sa compagne – superbe performance de Kanno Miho, d’une expressivité douloureuse au point d’en être insoutenable…

 

N’ayant nulle part où aller – principe de base des récits de « double suicide » ? –, les ex-amants s’installent dans la voiture de Matsumoto, garée tout au fond d’un parking. Scènes terribles et déchirantes où Sawako, retombée en enfance, joue à longueur de journée avec un petit gadget dérisoire… même une fois celui-ci cassé (je crois que je ne connais pas pire douleur que celle d’un enfant devant un jouet cassé…). Mais, parfois, Sawako, sous le coup d’une pulsion, s’éloigne, et, dans son état, suscite invariablement des scènes « gênantes ». D’où cette décision que prend Matsumoto… de l’attacher. D’abord avec une cordelette fixée au siège de la voiture, plus tard par une corde plus ample (et rouge…) reliée à lui-même, quand ils abandonnent le véhicule pour arpenter au hasard le monde : c’est ainsi qu’ils deviennent « les mendiants enchaînés », « légendaires » dit-on – tout le monde les connaît, d’une certaine manière –, avançant en silence et d’un pas égal, en dépit des obstacles, vers leur fin inévitable.

 

L’irréalité du fil rouge

 

Leurs costumes fantasques, aux couleurs franches, les distinguent des mendiants communs, et affirment l’irréalité du spectacle qu’ils procurent. Kitano a beaucoup joué sur les couleurs dans Dolls, notamment dans l’optique d’illustrer les quatre saisons, que traversent indifférents les mendiants – j’y reviendrai. Mais les costumes de Yamamoto Yôji sont également de la partie – d’une étrange beauté. Pour des mendiants, leur garde-robe est fournie, et avec goût – mais leur périple n’en est que plus connoté de surnaturel ; et plus encore quand nos mendiants se retrouvent vêtus des costumes des marionnettes du prologue. À terme, ce jeu surréaliste sur les couleurs et les costumes, et la composition des tableaux où figurent les mendiants, m’ont ramené à l’extraordinaire Kwaïdan de Kobayashi Masaki… La relative sobriété de l’image initiale se déploie en effet de manière de plus en plus faste au fil des saisons, jusqu’à l’inévitable apogée.

 

Mais c’est ainsi que Kitano nous guide jusqu’aux autres récits – qui seront ensuite entrelacés plutôt que successifs, mais ce sont bien les mendiants enchaînés qui captivent l’écran, et justifient, de par leurs errances, les passages d’une histoire à une autre.

 

LA FEMME DU PARC

 

Le deuxième récit est probablement le plus discret – s’il n’est pas dénué d’émotion. Peut-être aussi est-il un peu plus convenu ?

 

Hiro (Mihashi Tatsuya) est un vieux boss yakuza, porté à la morne contemplation du passé à mesure que sa santé connaît des défaillances présageant la mort. C’est ainsi que lui revient en tête une scène essentielle de sa vie – celle, probablement, qui en a constitué le tournant fatidique.

 

Il y a bien longtemps de cela (c’est le plus gros flashback du film, faisant logiquement intervenir d’autres acteurs), jeune ouvrier, il avait une jolie fiancée qu’il retrouvait tous les samedis dans un parc ; la jeune fille enjouée, du nom de Ryoko, lui apportait son repas, et ils déjeunaient ensemble, heureux d’être là…

 

Mais Hiro a mis un terme à cette idylle – s’y sentant contraint, encore que l’hypocrisie, de sa part, ne soit sans doute pas à exclure… Incapable de vivre décemment en tant qu’ouvrier, Hiro lâche à demi-mots à sa compagne qu’il va rejoindre le crime organisé. Il dit ne pouvoir imposer cette vie violente à la jeune femme – à moins que ce ne soit plus prosaïquement qu’il ne veut pas s’encombrer d’elle… Le lâche Hiro fuit le parc, tandis que la jeune femme lui promet, larmes aux yeux, qu’elle sera toujours là à l’attendre – avec son repas, dans le parc, la même heure chaque samedi…

 

Le vieux Hiro, sous le coup d’une bien tardive épiphanie, demande à ce qu’on le conduise au parc – laissant ses gardes du corps l’attendre sur le parking. Et la femme (Matsubara Chieko) est toujours là… Elle aussi, comme les mendiants enchaînés, est qualifiée de « légende » par les habitués du parc – mais sans doute se montrent-ils moins moqueurs que pour les mendiants enchaînés : la fidélité improbable de cette femme maintenant âgée, qui vient chaque semaine attendre sur le même banc que son fiancé hypothétique la rejoigne, les intrigue et peut-être même les charme…

 

Si l’on arrêtait ici, ce segment pourrait peut-être justifier la critique de la « naïveté » du film de Kitano. Cela me paraît pourtant inapproprié – car il s’agit alors pour Hiro d’aborder Ryoko, après toutes ces années… et ce ne sont pas des retrouvailles colorées, en forme de happy end à un long mélodrame.

 

Car Ryoko ne reconnaît pas Hiro – ou peut-être feint-elle de ne pas le reconnaître ? Quoi qu’il en soit, le vieux yakuza n’ose pas se présenter pour ce qu’il est ; et s’il gagne un ultime réconfort à retourner ainsi régulièrement au parc auprès de sa fiancée fidèle, la sensation demeure d’un triste gâchis… Il n’y manque guère que la mort pour accentuer encore la douleur de ces destins qui se sont irrémédiablement séparés, au-delà des promesses – elle sera forcément au rendez-vous ; presque comme une concession, à vrai dire…

 

Ce récit ne manque pas de charme, et s’avère donc plus subtil qu’on pourrait le croire. Pour autant, il me paraît le moins intéressant des trois – j’ai d’ailleurs l’impression que c’est celui auquel Kitano consacre le moins de temps ?

 

LE FAN ET LA STARLETTE

 

Le troisième récit m’a bien davantage emballé – qui a tout à la fois quelque chose d’émouvant, de grotesque, d’inquiétant, de drôle, de terrible… Savoir mêler ainsi des sentiments aussi contradictoires sans pour autant nuire à la cohérence de l’ensemble n’est sans doute pas à la portée du premier venu.

 

Yamaguchi Haruna (Fukada Kyôko) est une starlette de la J-Pop – dont le tube principal est finalement bien plus insupportable que l’expressivité atonale du prologue… Cette soupe immonde, mais sans doute encore davantage son joli minois d’adolescente ou peu s’en faut, lui valent cependant bien des fans. Parmi eux, le plus acharné est probablement Nukui (Takeshige Tsutomu) ; à vrai dire, passablement loser, le bonhomme n’a aucune vie en dehors de sa passion dévorante pour la jolie poupée (si j’ose dire).

 

La temporalité de ce segment est probablement la plus complexe des trois – les flashbacks et flashforwards s’enchaînent avec un certain brio, qui n’est pas pour rien dans la variété des ressentis évoquée plus haut. Mais s’il y a des scènes finalement comiques, ou du moins légères – a fortiori si l’on compare aux autres récits du film, et tout particulièrement à celui des mendiants enchaînés –, le propos est en définitive tragique là encore, mais avec quelque chose d’horrible et même malsain qui tranche sur le reste.

 

Car Haruna a été victime d’un accident de la circulation, et, si elle en a réchappé vivante, elle en est toutefois ressortie défigurée – ou du moins est-ce ainsi qu’elle conçoit les choses (pour le spectateur, c’est seulement qu’elle est borgne, avec un patch blanc sur l’œil gauche – elle n’a certainement rien de hideux). Peut-être Kitano y a-t-il mis un peu de lui-même ? Son accident de moto a joué un rôle certain dans sa carrière, même s’il a pu en surmonter le traumatisme…

 

Quoi qu’il en soit, la starlette à l’avenir médiatique dès lors plus que jamais incertain ne veut plus voir personne – absolument personne : elle ne laissera pas voir les ravages de son visage.

 

Pour Nukui, horrifié par le sort de son idole, c’est en fait l’occasion de la « voir »… encore que le mot soit mal choisi : pour apporter le réconfort à la starlette, en témoignant de sa passion dévorante de fan, il va jusqu’à s’automutiler : aveugle, il pourra se rendre auprès de Haruna et la consoler – peu importe s’il ne la « voit » pas à proprement parler, ou s’il ne voit pas davantage les superbes parterres de fleurs au milieu desquels il se promène avec la jeune accidentée – car celle-ci accepte effectivement que l’aveugle l’approche.

 

Aussi l’idée de Nukui, aussi grotesque et folle soit-elle, fonctionne, en fin de compte. Et les deux accidentés vivent un moment d’exception, à même si ça se trouve de les réconcilier avec le monde. Bien sûr, ça ne peut pas se terminer aussi bien – la vie est d’une ironie…

 

LES REMORDS DES HOMMES ET LA FIERTÉ DES FEMMES

 

Ces trois récits, bien sûr, ne manquent pas de points communs – en fait, ils sont autant de variations, subtilement différentes, sur les mêmes thèmes : dans chacun de ces trois couples, ou couples virtuels puisque témoignant toujours d'un amour impossible, les hommes se caractérisent par leurs remords, de manière frontale ; mais les femmes ont elles aussi un caractère commun : une fierté affirmée. Et, finalement, les deux attitudes confinent à l’égocentrisme, sinon au narcissisme. La collision de ces deux aspects explique ces rencontres souvent de peu de mots, vaguement ou moins vaguement gênées, riches de sentiments contraires, qui portent une part essentielle du tragique du film – outre sa mise en valeur esthétique.

 

Les hommes

 

Matsumoto, bien sûr, culpabilise pour le suicide de Sawako. Mais souffre-t-il d’abord pour elle, ou pour lui ? Même ambiguïté chez Hiro : est-ce avant tout sa vie qu’il a gâchée, ou celle de Ryoko ? Et qu'est-ce donc qu'il regrette vraiment ? Quant à Nukui, il arbore comme un blason – ou un badge à l’effigie de son idole, il en a toujours un – une culpabilité projetée, compassion délicieuse pour les malheurs d’une autre ; mais son geste fou d’automutilation, est-il avant tout pour Haruna, qu’il est ainsi le seul à pouvoir consoler, ou bien n’est-il que l’ultime caprice d’un fan prêt à tout pour faire la démonstration de sa passion dévorante ?

 

En fait, dans tous ces gestes, il y a une part indéniable d’orgueil : cela peut paraître paradoxal pour Matsumoto, qui abandonne une vie luxueuse pour sombrer dans la déchéance de la mendicité, en habitant l’épave de sa belle voiture, mais on peut finalement y voir le désir d’un homme d’affirmer sa probité contre les us et coutumes d’un monde matérialiste qu’il peut enfin mépriser pleinement, avec éventuellement une certaine pose. Hiro trouve peut-être un certain réconfort flatteur à l’idée d’avoir pu susciter chez Ryoko une fidélité toute canine par-delà les années. Quant à Nukui, il a tout du sauveur, trop heureux de mettre en avant son sacrifice pour en recevoir des éloges…

 

Les femmes

 

Mais les femmes ne sont pas en reste, forcément – en faire de simples victimes au regard de la culpabilité des hommes aurait quelque chose d’insultant à leur encontre. Bien sûr, le suicide de Sawako, comme nombre de suicides sans doute, a sa part plus ou moins avouée, plus ou moins consciente, de chantage affectif – pour elle, cependant, la fierté s’arrête peut-être là… faute de trouver encore à s’exprimer après coup, du fait de sa ruine psychique – à moins que ses arrêts intempestifs, en dépit de la corde qui le lie à Matsumoto comme une chienne en laisse, témoignent d’une liberté qu’elle entend toujours conserver ? Mais c’est probablement, des trois personnages féminins, le plus difficile à cerner sous cet angle – et que penser, par exemple, de cette scène déchirante où elle semble enfin reconnaître Matsumoto, et passe en quelques douloureuses secondes du rire aux larmes, jusqu’à ce qu’enfin l’homme craque et pleure – au prix si ça se trouve de sa propre fierté ?

 

Mais Ryoko et Haruna sont peut-être plus lisibles sous cet angle. La femme dans le parc ne se rengorge-t-elle pas de sa fidélité, d’autant plus démonstrative qu’elle se montre absurde ? En mettant en avant son « devoir », qu’elle s’est imposée seule, contre un monde qui dit priser ce comportement mais sans bien le comprendre, c’est sa propre dignité qu’elle défend – non celle de l’homme qui l’a lâchement abandonnée, au prétexte d’une carrière ne pouvant s’encombrer de la présence envahissante d’une femme… Dès lors, qu’elle ne reconnaisse pas Hiro, ou feigne de ne pas le reconnaître, c’est de toute façon son orgueil qui en bénéficie ; la pointe de cruauté éventuelle de cette situation arbore ainsi des traits de vengeance, qui viennent en définitive compenser sa fidélité canine. Il y avait, dans la situation initiale, une part de chantage affectif, bien sûr – mais le déroulé de l’histoire diffère somme toute assez vite de celui de Sawako.

 

Quant à Haruna, son narcissisme tient de l’évidence – la starlette ne fait cependant qu’attacher à sa beauté la même admiration sans faille que lui vouent ses fans. Son caprice de diva après son accident relève d’un auto-apitoiement qui tourne en définitive à l’autosatisfaction. Le sacrifice incommensurable de Nukui, dont elle a peut-être conscience (elle connaît son nom, et sait qu’il n’était pas aveugle auparavant), n’en est que davantage la consécration de son pouvoir – que l’accident, bien loin de ternir, n’a fait que renforcer, si c’est d’une manière inattendue…

 

La naïveté ?

 

On le voit : la psychologie de ces personnages est autrement plus complexe que celle de vulgaires archétypes, de « marionnettes » au sens péjoratif ; affirmer la « naïveté » du film de Kitano, à mon sens, c’est ainsi faire l’impasse sur sa subtilité dans la peinture des caractères, et s’aveugler – davantage encore que Nukui – sur son contenu profondément humain, car peignant les hommes et les femmes sous des couleurs très diverses, faisant ressortir toutes les dimensions de l’être, telles qu’elles trouvent à s’exprimer dans un amour qui ne saurait être s’il n’était pas avant tout douloureux.

 

LES SAISONS ET LEURS COULEURS

 

En parlant de couleurs… Il faut bien sûr revenir sur la virtuosité esthétique de Kitano dans Dolls – dont c’est peut-être, à cet égard, le plus beau film avec Hana-bi (certes, il m’en manque plein, je m’en tiens à ce que je connais…). Cette virtuosité, en accord avec le brio narratif du film, notamment dans le jeu sur les temporalités, s’exprime ici tout particulièrement dans un savant usage des couleurs – quitte à saturer les filtres.

 

On avait semble-t-il dit de Kitano qu’il privilégiait certaines teintes (le bleu, tout particulièrement – j’imagine que les scènes de plage récurrentes chez lui n’y sont pas pour rien), et en sous-exploitait d’autres (comme le rouge ?). Dolls a tenté de remédier à cela, mais d’une manière particulière, associée aux représentations propres à l’espace mental japonais. Quitte à verser dans le cliché… encore que le mot « code », moins connoté, soit probablement plus approprié.

 

Le film voit ainsi se succéder les quatre saisons, associées à des couleurs immédiatement significatives : le printemps a ses cerisiers en fleurs, l’été est le moment des plages jaunes plongeant dans le bleu infini de l’océan, l’automne est emporté par ses tapis de feuilles rouges, l’hiver enfin implique la neige.

 

Cela a un impact immédiat sur l’allure globale du film : d’abord relativement sobre, en dépit des cerisiers entourant les mendiants enchaînés quand nous les rejoignons dans leur périple, le métrage devient de plus en plus fantasque à mesure que le temps passe – et c’est toujours via les errances des mendiants enchaînés que nous sommes amenés à le vérifier. Mon moment préféré correspond sans doute à l’automne – avec ce rouge chatoyant qui envahit l’écran, composant des tableaux irréels où la nature saigne littéralement. Mais la neige de l’hiver a également ses atouts – notamment en ce qu’elle offre tout naturellement de nombreuses possibilités de contraste ; et les luxueux costumes de marionnettes alors endossés par Matsumoto et Sawako n’en ressortent que davantage. Même s’il faut ici compenser le blanc de la neige par le noir de la nuit – puisque les scènes hivernales sont presque systématiquement nocturnes, à la différence de la plupart de celles qui précédaient : augure d’une fin tragique ? Le noir et le blanc évoquent ensemble le deuil ; et il est vrai que le costume rouge de Sawako a quelque chose d’une trainée de sang sur cet espace immaculé…

 

CONCLUSION

 

Dolls n’est probablement pas le meilleur film de Kitano, mais c’est peut-être le plus beau visuellement. On aurait tort, cependant, de s’en tenir à cette maestria esthétique et de reléguer le récit et le fond dans quelque oubliette : le jeu sur les représentations japonaises est bienvenu, la psychologie des personnages bien plus fouillée qu’on pourrait le croire, le propos sincèrement émouvant, quitte à appuyer parfois sur le pathos. Une réussite, donc, qui mérite bien d’être vue et revue – une de plus à l’actif d’un immense réalisateur, à la sensibilité admirable.

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Le Dit de Hôgen – Le Dit de Heiji

Publié le par Nébal

Le Dit de Hôgen – Le Dit de Heiji

Le Dit de Hôgen – Le Dit de Heiji. Cycle épique des Taïra et des Minamoto, [Hôgen monogatari. Heiji monogatari], traduit du japonais et présenté par René Sieffert, Lagrasse, Verdier, coll. Verdier/Poche, série Littérature japonaise, [1976, 2007] 2013, 310 p.

 

Poursuivant ma découverte de la littérature japonaise classique, je change pour le moins de registre, après la lecture de plusieurs œuvres essentiellement poétiques, et généralement galantes, tels les Conte d’Ise et Le Dit de Heichû : place maintenant à la littérature épique, avec ce « cycle épique des Taïra et des Minamoto », comprenant trois ouvrages : Le Dit de Hôgen et Le Dit de Heiji, ici rassemblés en un unique volume, puis Le Dit des Heiké, le plus volumineux et aussi le plus célèbre des trois.

 

LA FIN D’UN MONDE

 

Mais ce passage d’un registre littéraire à un autre a des implications bien plus radicales : en fait, il témoigne de la fin d’un monde, et du début d’un nouveau… même si les contemporains, devant la brutalité du changement dont ces œuvres témoignent, étaient portés à y voir tout bonnement la fin du monde. Ils en ont livré plusieurs fameux comptes rendus – parmi lesquels je distingue forcément les splendides Notes de ma cabane de moine (Hôjôki) de Kamo no Chômei, à peine postérieures : leur introduction, qui traite aussi de catastrophes naturelles et de conditions climatiques désastreuses débouchant sur des famines et épidémies (dont le rôle dans cette affaire n’est pas négligeable, à en croire Pierre-François Souyri dans son Histoire du Japon médiéval : le monde à l’envers, que je viens d’entamer), s'étend volontiers sur le chaos politique de l'époque.

 

Les Dits de Hôgen, de Heiji et des Heiké sont en effet des chroniques historiques (ce qui n’enlève rien à leur valeur littéraire, j’aurai amplement l’occasion d’y revenir) rapportant, sur le vif ou presque, comment le système « classique » ou « antique » du Japon de Heian (nom alors de Kyôto, et donné plus globalement à cette ère bénie entre toutes), cet « âge d’or » d’un État centralisé autour d’une cour impériale d’un extrême raffinement, a cédé la place à un système ô combien différent, que les historiens japonais à partir de Meiji ont eu tendance à qualifier de « Moyen-Âge ». Ce qui se tient à bien des égards, mais la succession entre « Antiquité », de l’introduction relativement tardive de l’écriture à la crise qui fait l’objet de ces Dits, « Moyen-Âge » de ces événements à la mise en place du shôgunat Tokugawa, « Époque Moderne » pour tout le Japon d’Edo, et « Ère contemporaine » depuis Meiji, a potentiellement quelque chose d’un calque européen…

 

Quoi qu’il en soit, un changement drastique a alors eu lieu, et que les contemporains ont semble-t-il très vite vécu comme tel. La cour centralisatrice y cède la place aux « Guerriers » issus de la province, qui mettent en place un nouveau système de relations, susceptible de prendre bien des formes (dont celle du shôgunat), mais où les liens féodo-vassaliques occupent une place essentielle.

 

LE CYCLE ÉPIQUE DES TAÏRA ET DES MINAMOTO

 

La scène a lieu durant le du XIIe siècle de notre ère (vers le milieu ici, la deuxième moitié dans Le Dit des Heiké). Les crises de Hôgen puis de Heiji (du nom de deux très brèves ères) consistent en gros en deux coups d’État, qui révèlent l’importance inédite mais désormais cruciale dans les affaires intérieures de deux « clans » guerriers provinciaux, les Taïra (ou Heiké) et les Minamoto (ou Genji) ; rivaux plutôt qu’adversaires au départ, les clans se retrouvent, au fil des alliances de circonstance et des représailles qui suivent inévitablement, pris dans un engrenage terrible qui les oppose bientôt dans une lutte à mort : si ces deux premiers Dits témoignent de l’ascension irrépressible des Taïra, Le Dit des Heiké rapportera les circonstances dramatiques de leur chute, et la prise du pouvoir par leurs ennemis Minamoto.

 

LES INSTITUTIONS AVANT LA CRISE

 

Ce résumé très hâtif est néanmoins insuffisant. Pour comprendre la portée du changement radical rapporté par ce « cycle épique des Taïra et des Minamoto », il faut revenir un peu en arrière, et esquisser au moins à gros traits l’état des institutions quand la crise de Hôgen débute.

 

Les régents Fujiwara

 

Depuis bien longtemps déjà, l’empereur ne règne plus vraiment sur le Japon – s’il est toujours respecté. Dans l’atmosphère feutrée et raffinée de la cour de Heian, où l’aristocratie de fonction accumule les titres et offices, une famille s’est tout particulièrement bien débrouillée : celle des Fujiwara, qui en sont venus à constituer une dynastie parallèle de régents, et qui, par une habile politique matrimoniale, ont su placer leurs filles dans la famille impériale – le beau-père de l’empereur n’en a que davantage de poids. Les Fujiwara accaparant l’essentiel des plus prestigieux titres de l’administration, ils sont longtemps, à maints égards, les vrais maîtres du Japon.

 

Les empereurs retirés

 

Toutefois, cette situation est loin de satisfaire tout le monde, et une nouvelle institution va apparaître, au sein même de la dynastie impériale, afin de contrebalancer la toute-puissance des Fujiwara – une institution qui, pour relever de la famille de l’empereur descendant d’Amaterasu, n’en adopte pas moins des atours que d’aucuns jugent despotiques… Il s’agit de la pratique de l’ « empereur retiré » : l’empereur abdique, cède le pouvoir officiel à son successeur, son fils en principe, mais tire en fait largement les ficelles du pouvoir…

 

L’époque précédant immédiatement la crise de Hôgen voit se succéder six règnes impériaux, mais où le pouvoir appartient en fait à deux empereurs retirés (chacun sur trois règnes officiels) : Shirakawa (1053-1129, règne 1073-1086) et Toba (1103-1156, règne 1108-1123), et il faut y ajouter un troisième empereur retiré, pendant les événements ici décrits, Go-Shirakawa (1127-1192, règne 1156-1158).

 

C’est la mort de Toba (et ses décisions quant à sa succession) qui suscite la crise. La succession se passe mal, et deux camps s’affrontent, l’un autour de l’empereur régnant (qui, sauf erreur, est aussi le camp des Fujiwara), l’autre autour du récent empereur retiré.

 

Les clans guerriers provinciaux

 

Pour assurer leur pouvoir, tous deux font appel aux clans guerriers des Taïra et des Minamoto – dont les membres se partagent en fait entre les deux antagonistes, et c’est peut-être cela qui aura les conséquences les plus dramatiques…

 

Ces pouvoirs « guerriers » régionaux ont longtemps été ignorés, mais ils font cette fois irruption en plein Heian – ici, on parle toujours de la Ville, comme d’un microcosme essentiellement différant du reste, et qu’on aurait voulu croire intouchable. Ils témoignent de ce que, sans que la cour en ait bien conscience, le monde autour d’elle a déjà changé…

 

Je ne me sens pas d’entrer ici dans les détails extrêmement complexes de cette évolution des provinces (mais la fiscalité, les places relativement limitées à la cour a fortiori tant que les Fujiwara accaparent les fonctions les plus prestigieuses, la nécessité enfin de s’armer pour faire face aux troubles et notamment au brigandage et à la piraterie endémiques, y ont toutes leur place, entre autres…).

 

Quoi qu’il en soit, les Taïra et les Minamoto sont désormais des acteurs de la politique impériale d’un poids équivalent sinon supérieur à tous les autres. La crise le révèlera de manière incontestable.

 

LE DIT DE HÔGEN

 

Le tableau politique – et les choix éditoriaux

 

Le Dit de Hôgen commence par poser cette situation politique complexe, où magouilles et complots sont de rigueur, qui font parfois intervenir des personnages hauts en couleurs, tel notamment Shinsei, un bien curieux moine à la culture encyclopédique et d’une grande intelligence… mais aussi extrêmement ambitieux et porté aux solutions radicales, dans une optique « réaliste » (j’aurai l’occasion d’y revenir).

 

Mais j’avouerai que cette entrée en matière est un peu rude – pour un lecteur occidental d’une ignorance crasse tel que votre serviteur… René Sieffert, qui traduit ces œuvres brillamment sans doute – il en a traduit bien d’autres, dans un style qui en rajoute volontiers dans l’archaïsme, mais je suppose que c’est à bon escient –, entendait en faire une édition « littéraire » plutôt que « scientifique », d’où en particulier l’absence de notes, ou de répertoire des très, très nombreux protagonistes ; or leurs noms sont parfois (souvent) très proches, et ils sont prompts à mettre en valeur leur gloire en s’étendant sur leur imposante généalogie (rappelons au passage que tant les Taïra que les Minamoto descendaient de la famille impériale), qui s’accompagne à chaque étape des titres complexes et ronflants d’une cour envahie de prérogatives et d’offices hermétiques (héritage du modèle chinois via le confucianisme ?) ; si l’on y rajoute leurs liens familiaux complexes, et leur goût des épithètes (par ailleurs variables), on a tôt fait de s’y perdre…

 

Pourtant, la subtilité des complots politiques de la première partie ne laisse pas indifférent – même si leurs tenants et aboutissants peuvent nous échapper, tant il s’agit plus de luttes entre des personnes qu’entre des programmes politiques…

 

La bataille dans la Ville

 

Mais la guerre change la donne – s’invitant, au grand dam des contemporains, en pleine Ville ! En fait, cette unique bataille ne fait pas intervenir des effectifs colossaux, et doit composer avec le plan de Heian et les particularités du combat urbain – pas grand-chose à voir, somme toute, avec une bataille rangée opposant des contingents conséquents.

 

Pour autant, elle ne manque pas de caractère épique – et d’un souffle propre à ce genre d’épopée. D’autant sans doute que la bataille, plutôt que d’être envisagée dans sa globalité, est plutôt ici l’occasion de saynètes particulières, presque des duels en fait, opposant tel vaillant guerrier à tel autre. Invariablement, l’attaquant fait étalage de sa généalogie, laisse son adversaire répondre sur le même ton, et les deux livrent combat – mais il y a des particularités à noter : tout d’abord, contre l’image classique (mais sans doute ultérieure) du fier samouraï habile au sabre, ces affrontements, ici, tout en conservant ce caractère de duel, opposent avant tout des archers ; mais il faut aussi noter combien ces affrontements entretiennent une relation ambiguë au point d’honneur – la morale de l’archer pourrait être fluctuante, mais l’on voit ici, en maintes occasions, de vaillants guerriers choisissant de ne pas décocher telle flèche particulièrement stratégique parce que cela ne serait « pas honorable »... De même, on croise régulièrement des combattants admiratifs des dons martiaux de leurs adversaires, au point de demander à leur hommes… de les empêcher de les tuer ! Car ce seraient de bien trop grandes pertes… Tout cela ne tardera guère à changer.

 

Cette forme particulière singularise l’affrontement, sans pour autant lui faire perdre en intensité dramatique – bien au contraire ? Mais il est aussi l’occasion de comportements auxquels on s’attend davantage en pareil cas – ainsi de la fougue de ces jeunes combattants, dont la bravoure est admirable, mais qui demande à être parfois un brin contenue…

 

Une figure épique : Hachirô Tamétomo

 

Par ailleurs, on y trouve bien des héros (et des lâches tout autant, encore que cette dernière dimension me paraisse plus sensible dans Le Dit de Heiji, plus loin). Le plus remarquable guerrier lors de cette longue et complexe séquence, le plus « bigger than life » si vous m’autorisez cette expression barbare, est probablement Hachirô Tamétomo, dans le camp du nouvel empereur retiré (qui est donc vaincu) : de tous, il est le plus brave, mais aussi le plus efficace – et peut-être parce que sa morale est moins rigide ?

 

Quoi qu’il en soit, cet homme est d’une tout autre stature que ses compagnons et adversaires – il est une figure hors-normes ; aussi, plus loin, se verra-t-il réservé un triste sort à l’avenant : un temps brigand, et avec ô combien de fougue, il est enfin capturé par ses ennemis ; ceux-ci n’osent exécuter un si brillant archer… Mais, en même temps, lui laisser la possibilité d’user de son arc serait bien trop dangereux ! On se contente donc de l’exiler – mais non sans lui avoir brisé les membres au préalable… Ce dont le bravache héros s’accommode semble-t-il très bien, lui qui continue imperturbablement de railler ses ravisseurs !

 

L’heure des représailles

 

Toutefois, le grand moment à mon sens du Dit de Hôgen, et celui qui m’a en tout cas le plus fasciné, vient après la bataille, qu’on aurait pu croire le sommet du récit épique. Car le camp vainqueur, celui de l’empereur, se livre bientôt à des représailles extrêmement cruelles – mode d’action éventuellement inspiré par les rigoureux conseils de Shinsei. Et c’est alors, en fait, que l’on en arrive à mon sens au contenu pleinement littéraire du texte – le ton relativement détaché de la chronique politico-militaire laisse en effet la place à autant de tableaux poignants voire déchirants, que le narrateur met joliment en scène.

 

Le plus terrible est sans doute quand ces représailles en viennent à s’exercer dans une même famille – et en l’occurrence celle des Minamoto… En effet, si, comme dit plus haut, les clans des Taïra et des Minamoto ne se sont pas engagés en bloc pour tel ou tel parti, il n’en reste pas moins que la majorité des Minamoto ont servi le camp défait. Mais pas Yoshitomo, qui ne se contenta pas de se battre pour le camp vainqueur : c’est en effet à lui que l’on devait la stratégie d’attaque nocturne qui a décidé de la victoire !

 

Sans doute en a-t-il été bien mal récompensé… puisqu’on n’en a pas moins exigé de lui qu’il s’occupe personnellement d’éliminer les « rebelles » de sa famille. Parmi lesquels… son propre père, Taméyoshi ! Et peu importe que le vieil homme soit entré en religion… Yoshitomo a obéi aux ordres, ce qui a considérablement choqué alors – à vrai dire, on prétendait que c’était sans précédent…

 

Mais il y a plus terrible encore – car Taméyoshi avait une abondante descendante : Yoshitomo avait de nombreux frères… Et la scène la plus pathétique (au bon sens du terme) du Dit de Hôgen le voit donner l’ordre – ou plus exactement le transmettre – d’exécuter ses quatre plus jeunes frères, encore des enfants, mais pas moins considérés « dangereux »…

 

Yoshitomo obéit, oui… mais il en garde une profonde rancune : bientôt, à ses yeux, le triste sort qu’on lui a imposé de faire subir à son propre sang émane d’une manigance des Taïra ; or leur chef, Kiyomori, se montre toujours plus arrogant – et Yoshitomo compte bien en obtenir vengeance…

 

La fin du nouvel empereur retiré

 

La dimension pleinement littéraire de la fin du Dit de Hôgen s’affirme enfin dans un autre registre, s’il est tout aussi volontiers lacrymal, quand il s’agit de dépeindre la fin du nouvel empereur retiré : lui n’a pas été exécuté, famille oblige, mais simplement exilé. Le tableau de cet homme qui avait tout et n’a plus rien ne laisse pas indifférent, d’autant qu’il se mêle d’une touchante introspection poétique, alors même que l’allure du renégat, de plus en plus négligée, lui confère en ultime ressort une stature mythologique – on dit même qu’il en était venu à ressembler à un tengu !

 

Là encore, le récit s’éloigne du simple compte rendu factuel, pour dégager une atmosphère toute romanesque, imprégnée également de considérations philosophiques sur le thème classique de « l’inconstance du monde », qui n’est jamais aussi pertinent qu’à cette période précise… Par ailleurs, j’ai l’impression que l’auteur a ménagé des effets dans son récit (ou ceux qui l’ont repris ultérieurement, y compris les vagabonds aveugles qui chantaient l’épopée en s’accompagnant au biwa) : le sort du nouvel empereur retiré, et la froideur de Yoshitomo, laissent entendre que les choses ne s’arrêteront pas ainsi – dès lors, la nécessité d’une suite s’impose, et ce sera Le Dit de Heiji.

 

LE DIT DE HEIJI

 

Le Dit de Heiji se déroule quelque temps plus tard, sur une période là encore assez brève. Il rapporte le véritable commencement de l’affrontement entre les Taïra et les Minamoto – mais pour l’heure au bénéfice des Taïra et de leur chef avide de pouvoir, Kiyomori. Il faut en effet que les Minamoto se retrouvent plus bas que terre pour que, dans une perspective épique, leur vengeance ne soit que plus saisissante… Par ailleurs, les commentaires distinguant le récit d’un simple compte rendu factuel sont ici plus flagrants – on a l’impression, beaucoup plus assumée, d’un narrateur qui prend parti, et tire volontiers des leçons tant politiques qu’éthiques des événements qu’il rapporte ; et ce dès le tout début, en fait, qui tient plus de la dissertation politique abstraite que de la chronique, et, dès lors, donne un cap au récit qui suivra.

 

Shinsei contre Nobuyori

 

On retrouve ici le moine Shinsei, qui n’était pas pour rien dans la victoire de Hôgen et dans l’évolution de la politique intérieure depuis. L’ambitieux religieux avait acquis un pouvoir considérable, qui ne pouvait que susciter l’envie – a fortiori chez des plus ou moins parvenus au moins aussi arrivistes que lui-même… C’est le cas d’un certain Nobuyori, qui avait connu une ascension fulgurante ; il n’avait pas manqué d’attirer l’attention de Shinsei, qui y voyait un homme dangereux, et sans doute à abattre au plus tôt… De ceci Nobuyori était bien conscient, qui a décidé de frapper le premier.

 

Pour cela, il lui fallait un allié de poids. Il était tout désigné : Yoshitomo lui-même, qui vouait une haine mortelle aux Taïra dans l’entourage de l’empereur et de Shinsei, leur imputant la ruine de sa famille…

 

Ils lancent l’assaut sur la demeure de Shinsei, qu’ils incendient – stratégie semble-t-il très commune alors. L’assaut est d’une grande brutalité, et les hommes de Yoshitomo ne font pas de quartier : ils massacrent tous ceux qui tentent de fuir la demeure, femmes et enfants compris, au prétexte improbable que Shinsei aurait pu se déguiser !

 

En fait, Shinsei, confronté à ce drame, ne pouvait pas en réchapper indemne ; mais il choisit de mourir de sa propre main, encore que l’expression ne soit pas très pertinente, du fait du procédé incongru : il demande à ses serviteurs de l’enterrer vivant !

 

Shinsei, jusqu’alors, n’avait rien d’un personnage très sympathique. Mais le conteur, désireux d’appuyer sur ce qui le distinguait de son rival Nobuyori, revient longuement sur son immense culture et sa remarquable intelligence : c’était bien un homme hors du commun… et que, dans ces circonstances, on en vient à admirer d’autant plus que son rival nous est dépeint comme un lâche (Yoshitomo lui-même ne mâche pas ses mots à son encontre), et par ailleurs un arriviste beaucoup trop pressé d’arriver. Ses excès en la matière lui valent bientôt la haine de tout un chacun…

 

En fait, bientôt, tant l’empereur que l’empereur retiré en viennent à se méfier de l’ambitieux fonctionnaire – et alors même que Nobuyori comptait s’assurer de leurs personnes, les monarques fuient la ville ! L’affrontement recommence, désastreux pour le camp de Nobuyori, qui disparaît comme un pleutre, sans que personne ne le regrette.

 

Les ultimes malheurs de Yoshitomo

 

Mais le grand perdant dans cette affaire est Yoshitomo, sans doute – lui qui avait déjà dû massacrer, de sa propre main ou presque, nombre des membres de sa famille, dont son père, est maintenant un « renégat », avec les innombrables forces des Taïra à ses trousses…

 

À la différence de Nobuyori qu’il méprise, Yoshitomo n’a rien d’un couard – et rien non plus d’un imbécile. Mais sa fuite éperdue – il y est contraint par les circonstances – sera émaillée de nouveaux drames qui achèveront de faire du personnage, à son tour, une figure quasi mythologique. Ce qui vaut aussi sans doute pour un de ses fils, Yoshihira, surnommé « Genda le Mauvais » ; en fait, c’est ce Genda qui, dans une certaine mesure, reprend ici, et dans les mêmes dispositions littéraires, le rôle de Hachirô Tamétomo.

 

Il faut dire que la défaite est rude… et que Yoshitomo semble toujours porté à massacrer les siens, si c’est pour des raisons bien différentes : sa route est émaillée de meurtres afin d’éviter que ses proches ne tombent aux mains des Taïra, quand ils ne se suicident pas d’eux-mêmes…

 

Ce qui devait arriver arrive : Yoshitomo est enfin trahi par un féal – en outre lié par le sang et l’alliance matrimoniale avec le compagnon que le chef des Minamoto s’était choisi dans les derniers moments de sa fuite. Le traître abject est conspué de tous – Taïra compris : l’homme a trahi son suzerain dans l’espoir de s’accaparer ses domaines, et ose trouver toute récompense inférieure insuffisante ? Il n’aura rien du tout ! Aucun personnage ici sans doute, pas même Nobuyori, ou Yoshitomo lui-même après avoir fait tuer son propre père et ses petits frères encore enfants dans Le Dit de Hôgen, ne suscite autant la haine du conteur…

 

Les fils de Yoshitomo contre les Heiké

 

Mais le triste sort de Yoshitomo, là encore de manière très littéraire, fait quelque peu office d’ultime justification à la vengeance de ses fils – annonçant à terme le complet renversement de la situation, les Minamoto alors réduits à rien ou presque écrasant enfin les Taïra plus que jamais superbes…

 

Nous avions donc déjà croisé Genda le Mauvais. Guerrier habile et d’un courage sans faille, il entend se venger des Taïra – et peu importe qu’il soit tout seul contre le pouvoir central entier ! Évidemment, l’entreprise hardie échoue – mais cela ne fait que confirmer sa stature mythologique, à son tour : la malédiction qu’il jette à la face de ses bourreaux, et qui semble se produire ultérieurement (vague élément surnaturel, mais surtout d’un grand potentiel romanesque), laisse deviner la fin proche des Heiké.

 

C’est pourtant un autre fils de Yoshitomo qui accomplira l’ultime vengeance : Yoritomo, plus jeune que Yoshihira, mais que leur père lui préférait, y voyant un futur grand guerrier ; aussi lui avait-il, par exemple, confié le sabre familial. Pourtant, dans ces pages, Yoritomo n’a pas grand-chose d’un vaillant samouraï : nettement moins charismatique que son frère Genda le Mauvais, il est même à la limite du ridicule, à plusieurs reprises – notamment pour s’être endormi à cheval, et avoir été ainsi distancé par les siens dans leur fuite éperdue : c’est dans ces circonstances guère glorieuses qu’il est arrêté par les Taïra. Par miracle, ou au prix d’une argumentation spécieuse qui paraîtrait ne pouvoir porter ses fruits que dans le moins crédible des romans, Yoritomo échappe à la mort ; il n’est qu’exilé – et, là-bas, fait un rêve annonciateur de la suite…

 

Car Yoritomo, s’il ne sera pas le grand guerrier qu’imaginait son père, sera par contre un brillant politicien, et suffisamment sage pour tenir compte de la parole de ses conseillers plutôt que de se lancer dans telle ou telle action malencontreuse à force d’être précipitée ; et c’est en homme politique au moins autant qu’en stratège qu’il scellera le sort de ses rivaux : il écrasera enfin les Taïra (récit au cœur du Dit des Heiké, donc, que je lis prochainement), et, bien loin de reproduire les erreurs de ses prédécesseurs dans ces complexes affaires, comprendra qu’il est nécessaire de chambouler entièrement le système du Japon de Heian pour assurer le pouvoir des siens et sa pérennité – c’est lui qui, en définitive, mettra le terme à l’ère Heian, et inaugurera pleinement le Moyen-Âge japonais en instaurant le shôgunat de Kamakura en 1185.

 

L’ASTUCE D’UN GRAND RÉCIT LITTÉRAIRE

 

J’y suis revenu à plusieurs reprises, et peut-être dis-je des bêtises, mais c’est vraiment dans ces dimensions-là que les Dits de Hôgen et de Heiji acquièrent à mes yeux une allure pleinement littéraire. L’auteur anonyme, les auteurs peut-être, et peut-être aussi faut-il y rajouter les moines aveugles chantant l’épopée dans les châteaux en s’accompagnant au biwa, équivalents de nos trouvères et troubadours à peu près à la même époque, tous n’entendent pas seulement exposer des faits, mais en faire des récits. Si le tout début du Dit de Hôgen peut laisser redouter la sécheresse d’un rapport factuel, la donne change avec les grands gestes de la bataille, mais peut-être plus encore avec le tableau poignant et peut-être même cauchemardesque des représailles.

 

Or cette structure se répète dans Le Dit de Heiji (encore qu’avec plus de subtilité pour le livre premier – en témoignent tout particulièrement l’introduction au ton philosophique et l’apologie au moins intellectuelle de Shinsei), et les mêmes causes y produisent les mêmes effets : le souffle des batailles transporte le lecteur, mais, surtout, loin de l’honneur supposé du champ de bataille, ce sont bien plutôt l’horreur et la douleur des vaincus qui font le sel de l’œuvre. Ce contenu n’a rien de froid ou de sec : il se veut émouvant, et y parvient sans peine.

 

En soi, on n’est déjà plus ici dans l’œuvre d’historien – et quand, dans les deux ouvrages, de discrètes annonces des temps à venir se faufilent dans le récit, la conviction se fait nette de ce qu’on est en présence d’une narration pleinement conçue comme telle, qui entend distraire et toucher, peut-être aussi édifier, mais dans une perspective peu ou prou romanesque.

 

UNE CULTURE QUI ÉMERGE

 

C’est à mon sens ce qui rend ces Dits fascinants. J’en avais entamé la lecture « pour ma culture », disons, et ne m’attendais pas à ce que son contenu me touche autant – qui plus est en dehors des scènes de bataille que la qualification « épique » du cycle tend peut-être à mettre en avant, quand ce n’est pas forcément ce qu'il s’y trouve de plus remarquable.

 

Une très bonne surprise, donc – et dont on peut, j’imagine, tirer des enseignements ? Les contemporains choqués par ces crises y voyaient la fin du monde – mais c’était bien plutôt la fin d’un monde… Et la culture guerrière qui, dès lors, devient prépondérante au Japon, jusqu’à l’apogée du Sengoku plus de trois siècles après, avant que Tokugawa Iéyasu n’inaugure l’ère Edo et ses deux siècles et demi de paix, est pleinement culture : elle substitue sans doute au raffinement de la cour de Heian, à ses poèmes de circonstance, à ses journaux semi-intimes et aux galanteries du Dit du Genji d’autres formes littéraires – mais celles-ci ont leur valeur propre, et peut-être un raffinement propre, si essentiellement différent…

 

Je lis prochainement Le Dit des Heiké, on verra bien.

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La Bête aveugle, d'Edogawa Ranpo

Publié le par Nébal

La Bête aveugle, d'Edogawa Ranpo

EDOGAWA Ranpo, La Bête aveugle, [Môjû], traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle, Arles, Philippe Picquier, coll. Picquier poche, série L’Asie en noir, [1931, 1992] 1999, 157 p.

 

Où je poursuis la découverte de l’œuvre d’Edogawa Ranpo, après L’Île panorama (le roman, mais aussi son adaptation en manga par Maruo Suehiro) ; inutile, donc, de revenir ici sur la présentation de l’auteur, esquissée à gros traits dans ces précédentes chroniques.

 

LE GENRE (SI NÉCESSAIRE…)

 

Rappelons seulement, car cela fait sens ici, que, pour être considéré comme le père du roman policier japonais, Edogawa Ranpo a en fait créé une œuvre finalement très personnelle, et pas toujours très évidente à classer dans telle ou telle case – c’est pas plus mal. Chose qui se vérifie ici : La Bête aveugle est présenté comme un roman policier, et la collection comme la couleur de la tranche appuient sur cette dimension. Pourtant, j’ai bien du mal à y voir un récit policier… d’autant qu’il n’y a guère d’enquête ici, voire pas du tout – moins encore que dans L’Île panorama, qui ne jouait pourtant qu’in extremis de cette carte, comme une concession aux attentes du lecteur. Et le « noir » au sens le plus large n’est finalement guère plus de la partie.

 

Thriller, peut-être ? Le terme fait vaguement anachronique, j’imagine, mais ça se tient quand même davantage.

 

Horreur, éventuellement ? Oui, en fait – pas fantastique, non, mais horrifique quand même, on peut le dire.

 

Cela nous renvoie en fait davantage à l’autre courant dont on attribue la paternité à Edogawa Ranpo : le genre « ero guro » (éventuellement complété par « nansensu »), soit « érotique/grotesque ». La Bête aveugle – récit réputé, et qui a eu doit à une assez célèbre adaptation cinématographique en 1969, par Masumura Yasuzô (je ne l’ai pas vue…) – joue en fait de ces deux cartes… mais plutôt alternativement qu'en même temps, en fin de compte.

 

Et c’est bien ce qui m’a décontenancé ; j’aime bien être décontenancé… mais, en l’espèce, j’ai peut-être été surtout déçu, en définitive. Mais il y a bien des bonnes choses dedans, hein ! Essayons d’expliquer la raison de ce retour un brin mitigé…

 

UN DÉBUT BRILLANT

 

En fait, le (court) roman souffre peut-être, à mon sens, et aussi paradoxal que cela puisse paraître, de ce que son début est parfaitement brillant – la suite ne m’a dès lors pas semblé à la hauteur… Je me suis même demandé si, à s’en tenir à une « nouvelle » correspondant en gros au tiers du livre (jusqu’à la page 60, plus précisément), on n’aurait pas pu qualifier la chose de véritable chef-d’œuvre ; sa continuation au-delà, à mon sens, lui nuit tristement…

 

Mais pour parler de tout ça au plus juste, je vais devoir SPOILER comme un porc – tenez-vous-le pour dit !

 

Mizuki Ranko, star harcelée

 

Au départ, nous avons donc Mizuki Ranko, danseuse de music-hall réputée pour la beauté de son corps (ce qui en fait véritablement une star – le récit se développant, nous apprenons qu’elle n’a pas une jolie voix, ne chante ni ne danse vraiment bien… Elle est un corps, et pas grand-chose d’autre – ce qui suffit amplement à ses admirateurs, et sans doute tout autant à elle-même) ; elle n’est pas peu fière de ce qu’un sculpteur ait aussi fidèlement reproduit la perfection de ses courbes pour une exposition bien fréquentée. Mais elle y croise un amateur d’art bien saugrenu… Un aveugle, qui, bien évidemment, ne peut pas voir la statue, mais ne se prive par contre pas de la toucher – sensation ô combien désagréable pour la jeune beauté, qui ne manque pas de relever l’obscénité de ce comportement guère à propos dans une exposition…

 

Hélas, elle n’en a pas fini avec ce mystérieux aveugle – individu retors et littéralement obsédé, qui harcèle on ne peut plus vicieusement la starlette ; ainsi en se faisant passer pour un masseur, ce qui lui permet de pétrir avidement le corps de la belle ; et plus tard en l’enlevant purement et simplement…

 

La fascination

 

Le roman joue jusqu’à présent, et avec brio, de la carte du suspense ; la suite immédiate change pourtant la donne, en appuyant sur d’autres thématiques – même s’il en est bien une qui constitue le fil rouge du roman : la perversion… C’est là que le roman brille – en parvenant, quand bien même dans un style éventuellement « daté » (on a lu bien pire, ceci dit), à insinuer un sentiment permanent de malaise et d’angoisse, teinté de fascination érotico-artistique.

 

Car nous apprenons à connaître l’aveugle – qui est bien le véritable « héros » du roman : la danseuse, en fin de compte, est une Mary/Marion Crane dans Psychose. Notre Norman Bates nippon est autrement plus riche – à tous points de vue. Littéralement, sa fortune lui a permis de concevoir une utopie de l’enfermement, sadienne à maints égards, mais qui, plus simplement, renvoie sans doute à l’utopie artistique (et « factice ») de L’Île panorama, le rapport me paraît flagrant ; en effet, cet abri souterrain, « aveugle » lui aussi, est tout dédié au culte du corps, ou plus précisément du toucher – ce sens si crucial pour les aveugles, bien plus que tout autre, et qui leur permet de « voir » comme des « voyants » ne verront jamais… C’est là l’obsession du sinistre personnage, qui a fait appel à un talentueux sculpteur pour susciter un décor fou où les membres et les lèvres et les fronts et les dos, etc., sont tout à la fois parfaitement reproduits dans leur essence, et en même temps parfaitement difformes, dans leur agencement chaotique comme dans leurs proportions fantasques – sans même parler de leurs couleurs hideuses : car, à l’œil, la chose est d’une laideur qui n’a d’égale que celle de l’aveugle lui-même – l’auteur ne cesse d’y insister. Mais la vue est par nature superficielle – le toucher seul révèle la vérité cachée de cette construction hallucinée.

 

Et le roman d’adopter un nouveau tournant, quand la recluse, que tout incite à haïr son kidnappeur, sombre en fait insidieusement sous son charme, et prise à son tour les délices inimaginables du toucher… jusqu’à ce que leur relation développe quelque chose d’amoureux peut-être, de pervers assurément, dans un jeu de fantasmes sensuels à la tournure de plus en plus sado-masochiste – et qui ne peut que mal finir (enfin : « mal », ça dépend pour qui et c’est à débattre…).

 

Jusqu’ici, La Bête aveugle m’a fait l’effet d’un texte admirable – aussi inquiétant que dérangeant, avec un art consommé de la manipulation du lecteur, jusque dans les plus improbables délires de l’utopie artistique et sensuelle de l’aveugle. Très, très fort.

 

Mais si les retournements, jusque-là, ont été bien négociés, et même de main de maître, j’ai le sentiment que la suite n’est vraiment pas à la hauteur – quand l’érotisme, grotesque ou pas, cède la place au grotesque seul…

 

LE RETOURNEMENT GROTESQUE

 

L’aveugle, bien sûr, en vient à tuer Ranko. Et il s’amuse, de manière très puérile, à disposer de son cadavre dans un petit jeu macabre qui a tôt fait de susciter les rumeurs les plus folles sur le « tueur en série » (car, au fond, c’est bien vite de cela qu’il s’agit). L’aveugle a en effet découpé le corps de Ranko en plusieurs morceaux, qu’il sème çà et là, dans un enchaînement de brèves scènes grotesques, au sens humoristique cette fois – ce qui, à mes yeux (si j’ose dire), ne fonctionne tout simplement pas.

 

LA RÉPÉTITION D’UN MÊME SCHÉMA

 

Or c’est là un schéma qui se répète dans la suite du roman. Passé l’intermède (qui n’en est donc pas un, mais plutôt la deuxième scène de l’acte dont l’aventure avec Ranko constituait la première scène), l’aveugle – devenu cette fois bel et bien masseur, mais pas vraiment Zatoichi pour autant – s’en prend à une deuxième femme, Mme Pearl.

 

Et l’on procède en gros de la même manière : le masseur en dit sans trop en dire, semant ses dialogues inquiétants avec sa cliente d’allusions transparentes pour le seul lecteur (ce qui marche plutôt bien voire très bien), et ne laissant guère de doute sur la suite des opérations – inévitablement, Mme Pearl est tuée… et, c’est plus gênant, l’aveugle reproduit le même petit jeu idiot avec ses restes.

 

Suit un troisième acte, reprenant largement ce schéma, même s’il se montre peut-être plus habile – en ce que la victime, la jeune veuve Ouchi Reiko, a cette fois bien identifié la véritable nature du masseur aveugle, et, animée sans doute elle aussi par une certaine perversion, cherche à le prendre à son propre jeu…. Enfin, trait tout sadien mais qui me paraît d’ores et déjà être caractéristique d’Edogawa Ranpo (bon, après deux lectures, hein, ça sera à creuser…), elle cherche en outre à en faire un spectacle…

 

Je supposais, et redoutais, que ce soit l’occasion de ramener de force un semblant de « moralité » dans l’intrigue – à la fin, le « méchant » se doit de perdre… Mais Edogawa Ranpo est plus fin – et sans doute audacieux – que ça : finalement, que la jeune veuve périsse comme les autres a quelque chose d’assez jubilatoire… Aussi ce troisième acte est-il globalement plus satisfaisant que le deuxième – malgré le jeu des morceaux qui s’ensuit, toujours aussi lourd…

 

Schéma qui se répète enfin avec les plongeuses, et là ça m’a vraiment paru de trop – et notamment en ce que la répétition du procédé devient franchement lassante…

 

LA MORALE AUX ORTIES (OUF !)

 

Heureusement, la (véritable) fin du roman évite donc cet écueil de la moralité – et, en cela, elle peut renvoyer à nouveau au triomphe du « méchant » (ou « héros »...) de L’Île panorama, qui, même démasqué et acculé, a suffisamment de ressource et de foi dans son utopie pour se rendre inaccessible à quelque chose d’aussi vain que le châtiment.

 

C’est à nouveau le cas ici – l’aveugle obtenant d’un commissaire d’exposition la visibilité (eh) de son œuvre, qui boucle la boucle : nous finissons dans le monde de l’art, comme nous y avons commencé, et le masseur produit aux yeux de tous une sculpture empruntant à toutes ses victimes – grotesque, forcément ; laide pour qui ne la perçoit qu’au travers de ses yeux ; extraordinaire pourtant quand on la touche...

 

Et le roman de s’achever sur ultime éclat de rire sardonique, avec la scène où tous ces aveugles, jusqu’ici rejetés par l’art, en viennent à imposer, par leur seule présence et leur perception bien particulière – et bien plus fine ? –, de nouveaux standards de la beauté et de la sensibilité…

 

CONCLUSION

 

Oui, il y a bien des bonnes choses dans La Bête aveugle, roman qui s’avère toujours joliment angoissant et plus joliment encore dérangeant, après toutes ces années – et je suppose que publier une chose pareille dans le Japon de 1931 n’était pas sans audace.

 

Mais, en ce qui me concerne, ce court roman n’est pas pour autant le chef-d’œuvre que l’on a parfois voulu y voir – c’est que j’ai vraiment le sentiment que les (interminables…) scènes « burlesques », disons, nuisent en définitive à son propos, initial ou sublimé dans une conclusion irréprochable, mais j’imagine que ça se discute.

 

Le fait est que leur humour m’a paru lourdingue, et bien plus grossier que les scènes d’angoisse qui les environnent, lesquelles font preuve d’une étonnante subtilité dépassant le simple effet « presse-bouton ».

 

La répétition du même schéma me paraît encore moins défendable, mais sait-on jamais…

 

Aussi y a-t-il en définitive à boire et à manger dans cette œuvre étonnante, qui séduit par sa perversion et son audace, mais pèche quand elle veut se montrer plus « légère », même si c’est de manière tordue.

 

C’est dommage, je trouve… Cela reste une lecture intéressante, mais j’ai quand même l’impression qu’Edogawa Ranpo, avec La Bête aveugle, est passé à côté de quelque chose de très grand – vraiment très grand… et vraiment juste à côté.

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CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (28)

Publié le par Nébal

CR L'Appel de Cthulhu : Arkham Connection (28)

Vingt-huitième séance de la campagne de L’Appel de Cthulhu maîtrisée par Cervooo, dans la pègre irlandaise d’Arkham. Vous trouverez les premiers comptes rendus ici, et la séance précédente .

 

Un joueur, celui incarnant l’avocat Chris Botti, est arrivé en retard – il avait toutefois donné des instructions pour son personnage, le temps qu’il nous rejoigne, à la joueuse incarnant la violoniste et chanteuse Leah McNamara… et s’est par ailleurs retrouvé à jouer ensuite (temporairement ?) le PJ abandonné Michael Bosworth. Était également présent le joueur incarnant Dwayne O’Brady. Quant à moi, j’ai tout d’abord joué « Classy » Tess McClure (ou plutôt « Tess la Rouge »…), mais il faut noter qu’elle avait déjà 0 en SAN au début de la séance (c’était également vrai pour la précédente, d’ailleurs) ; j’ai cependant continué de l’incarner un temps, jusqu’à ce que l’on décide d’en faire un PNJ, après quoi j’ai joué un nouveau personnage, Anatole « Froggy » Despart, garde du corps d’un écrivaillon…

 

I : LE MASSACRE DES ADORATEURS

 

[I-1 : Dwayne, Tess : Alexis Ranley] Dwayne a fait tomber des lits superposés, avec l’aide d’Alexis Ranley, pour bloquer le passage donnant sur la cuvette, mais un adorateur a néanmoins pu passer – et, à l’évidence, ça ne bloquera pas éternellement ses comparses. Mais je me suis positionnée en face de l’ouverture, pour disposer d’une bonne position de tir, et aligne automatiquement celui qui s’était avancé précipitamment, et qui est littéralement submergé sous les aphtes, au point où je me demande s’ils n’ont pas dévoré jusqu'à l’intérieur de son crâne. Je lui loge une balle dans la poitrine ; il ne meurt pas pour autant, mais le choc lui fait lâcher sa dague sacrificielle (usée mais à la garde étonnamment brillante).

 

[I-2 : Dwayne, Tess : Alexis Ranley] Alexis Ranley couine de terreur et se réfugie derrière un des lits superposés encore debout. Dwayne s’occupe d’en faire chuter un autre, et lui crie : « Bats-toi si tu veux survivre ! » Mais il est trop affolé, et ne peut rien faire d’autre que hoqueter de terreur. Dwayne aurait voulu faire s’écrouler un des meubles sur l’adorateur que j’avais amoché, mais n’en a pas eu le temps – d’autant qu’il s’est empêtré dans les débris qu’il avait déjà fait tomber dans le passage. Du coup, aussi abîmé soit-il, le cultiste blessé essaye de le saisir au cou des deux mains – il ne constitue toutefois pas une véritable menace. On entend alors des protestations fatiguées et des coups derrière la porte. Je m’approche du blessé au sol et l’achève à coups de pied, lui plantant le talon dans la tempe ! Sa blessure par balle l’avait déjà considérablement affaibli, tant elle saignait, et il meurt dans un répugnant gargouillement.

 

[I-3 : Dwayne, Tess] La porte grince et s’ouvre lentement – les autres adorateurs pourront bientôt passer, et, s’ils sont physiquement faibles, ils font preuve d’une certaine détermination. Dwayne continue à faire tomber des meubles dans le but de les ralentir – on ne les empêchera pas de passer, mais cela nous permettra de nous en débarrasser l’un après l’autre. Dwayne dégaine une lame et s’empare d’un tabouret dont il compte se servir en guise de bouclier ; après quoi il se place sur le côté tandis que je reste en face de la porte, arme au poing, bras tendu. Deux cultistes parviennent à se faufiler dans les débris en s’entraidant, mais nous sommes bien placés et nous en débarrassons sans le moindre souci ; même chose pour un troisième arrivant.

 

[I-4 : Dwayne : « le Maître »] On entend alors chuchoter ceux qui se trouvent toujours à l’extérieur. Dwayne avance prudemment la tête et parvient à entendre ce qu’ils disent : ils ont finalement compris qu’ils se feraient tous tuer à continuer ainsi, et ont décidé d’aller prévenir « le Maître ». S’avançant encore un peu, Dwayne en repère un qui se précipite vers l’escalier remontant le long de la cuvette, tandis qu’un autre emprunte la plateforme au-dessus de l’abîme pour descendre l’escalier en colimaçons qui s’y enfonce.

 

[I-5 : Dwayne, Tess] Dwayne se lance aux trousses de l’homme qui tente de monter – il est très lent… Mais un de ses comparses s’était caché sur le côté de la porte ! Voyant surgir Dwayne, il le frappe aussitôt à la tête – mais ça ne lui fait pas grand-chose, et il lui tire dessus par réflexe, l’atteignant au ventre. Le cultiste tombe sous le coup de la douleur et saigne abondamment ; il essaye de ramper vers l’escalier de l’abîme… Je suis Dwayne ; étant plus fine, je me faufile sans problème parmi les débris, et avance d’un pas détaché vers la plateforme ; j’achève au passage l’adorateur blessé par Dwayne, en lui écrasant la trachée du pied. Dwayne reprend son ascension.

 

[I-6 : Tess : Dwayne O’Brady] Je me retrouve devant les statues de la plateforme – je n’avais pas encore eu l’occasion de les voir. Autour sont disposés les quatre grands becs de poulpes, de dix à douze mètres de hauteur, qui font cercle autour de l’abîme. La plateforme est d’un gris argenté sous la faible luminosité grisâtre qui demeure, les lunes ayant dissimulé le soleil. Je constate que la structure est parsemée de petits trous, et suppose que c’est pour laisser s’évacuer le sang – d’ailleurs, celui de ma dernière victime s’insinue dans des rigoles avant de tomber dans le vide… Il y a trois statues ; mais, comme Dwayne avant moi, je sais qu’il devrait y en avoir quatre – en restent d’ailleurs quelques vestiges, évoquant des pieds griffus et écailleux, dotés de deux orteils seulement et d’un ergot…. Quant aux autres statues :

- La première lévite, c’est une sorte d’amas de bulles ne reposant pas sur un socle physique. Elle est façonnée dans une matière métallique évoquant les matériaux étranges que nous avons déjà vus plusieurs fois (et cela vaut d’ailleurs aussi pour la plateforme). Les bulles, de taille très variable, sont légèrement animées, elles semblent se tourner autour les unes des autres.

- La deuxième statue représente un gigantesque homme noir, dont la tête dépasse les becs de poulpes ; il n’y a pas de signe distinctif sur son visage, tout au plus le vague dessin d’un nez, mais pas de bouche ; il n’en a pas moins une allure hautaine et arrogante… Ses bras sont croisés sur son torse, tandis qu’un troisième membre semble jaillir de la tête, entouré de couronnes d’yeux plus ou moins ouverts ou fermés. Et il faut y ajouter le sentiment désagréable que ces yeux nous suivent quoi que nous fassions…

- La troisième statue représente un grand bouc, avec les cornes et les sabots de rigueur. Toutes les statues sont recouvertes de lanières de peau plus ou moins anciennes et putréfiées, mais, sur la « fourrure » du bouc, c’est comme si ces lanières constituaient un amalgame dont la créature se nourrirait – permettant son développement.

Toutes ces statues m’évoquent clairement des divinités, probablement celles qui apparaissaient dans mes récentes lectures ésotériques – ces sons étranges me reviennent en tête, « Sothoth », « Nyarlathotep », etc. Et je ressens alors le besoin irrésistible de tuer ! Faire souffrir me paraît le seul moyen de résister à la folie incarnée des statues…

 

[I-7 : Tess, Dwayne] Par chance, je ne m’en prends pas à Dwayne, qui, tandis qu’il poursuit le cultiste grimpant la paroi de la cuvette (lequel lui jette des mottes de terre à la figure pour le ralentir), m’indique celui qui descend dans l’abîme. Ce dernier fera bien l’affaire… Je me lance à sa poursuite. Mais mes jambes tremblent, en écho de la vision des statues – j’ai l’impression que l’exécution du rituel de change-forme, en faisant appel à ces divinités, a tacitement impliqué mon allégeance à leur égard…

 

II : LA MARÉE DE CHITINE

 

[II-1 : Leah : Chris Botti ; Charles Reis] Leah et Chris, devant la frénésie « nocturne » des crabes évoquée par Charles Reis dans son carnet (qu’ils n’ont du coup pas pu lire intégralement), se sont précipités dans la direction de la plateforme que le défunt avait tant bien que mal conçue. Ils se sont toutefois gênés dans leur course… Or des crabes apparaissent partout autour d’eux, visiblement agressifs. Il y en a de toutes tailles, notamment sur la plage. Toute ambiguïté quant au bruit de chitine disparaît, s’il en était encore besoin, alors même que tous deux arrivent à la base de l’arbre dans lequel a été bâtie la plateforme : ils sont entourés par des rangées innombrables de crabes très divers, qui se marchent dessus, s’entredévorent même (les plus gros massacrent les plus petits), et cette marée avance sur eux comme un titanesque rouleau compresseur vivant…

 

[II-2 : Leah : Chris Botti ; Charles Reis] Leah, paniquée, essaye d’escalader le tronc… mais une mauvaise prise la fait tomber à côté du squelette de Charles Reis. Les crabes sont alors à moins de quinze mètres. Elle tente de réessayer mais est trop affolée par l’imminence de la marée de chitine, et n’arrive à rien… L’adrénaline a un effet tout différent sur Chris, pourtant bien moins leste en temps normal : lui parvient à grimper. Il se retourne aussitôt pour tendre la main à Leah – les crabes sont alors à moins de dix mètres. Leah saisit la main secourable de l’avocat, mais ressent bientôt une douleur à la cheville – cinq à sept tout petits crabes la mordillent à cet endroit. Elle essaye de les faire tomber, mais n’est pas dans une position très assurée pour ce faire… Elle parvient toutefois à se hisser sur la plateforme aux côtés de Chris.

 

[II-3 : Leah : Chris Botti : Charles Reis] En dessous s’étale un tapis de chitine, qui semble attendre patiemment… Ces crabes sont plus ou moins vieux – la couleur et l’usure de la carapace, combinées à la taille, permettent de le déterminer. Bon nombre de ces crabes, de taille moyenne à grande, restent à s’agiter sous l’arbre où ils s’entredévorent ; mais certains sont minuscules – de la taille d’un pouce – qui parviennent à grimper aux arbres. Leah et Chris essayent de s’en débarrasser avec leurs lances rudimentaires ; il est possible de percer la carapace des crabes un peu plus gros qui tentent également l’escalade. Leah et Chris constatent aussi que les plus gros crabes ont des sortes de reflets métalliques étranges, comme si l’on avait « réparé » leur carapace trop usée… Le nombre est pour beaucoup dans la menace des crabes arboricoles ; mais pour l’heure Leah et Chris parviennent à s’en débarrasser sans trop de soucis – ils tombent directement entre les pinces des plus gros, qui restent en dessous… Ils brisent tout de même assez vite une des trois lances, trop fragile. Leah aimerait faire comme Charles Reis, concevoir de nouvelles lances en taillant au canif (récupéré dans le baluchon du défunt) des branches environnantes, mais elle ne dispose, ni du matériau adapté, ni des compétences nécessaires… Par ailleurs, c’est l’occasion de constater que la plateforme n’est prévue que pour une seule personne : en se déplaçant, Leah la fait grincer ; elle a le réflexe de revenir en arrière, mais l’endroit où elle se trouvait une seconde plus tôt s’affaisse puis tombe sur les crabes en dessous, qui ne tardent pas à submerger ce débris. S’ils répartissent mal leurs poids, il ne fait aucun doute que la plateforme finira par lâcher…

 

[II-4 : Leah : Chris Botti, Michael Bosworth, Pierce Hawthorne ; « 6X »/Hippolyte Templesmith] Ils entendent également des voix humaines, hurlant de souffrance, un peu partout autour d’eux. Mais ils n’ont pas le choix : ils ne sont pas en mesure de quitter la plateforme… Ils identifient trois de ces voix : tout d’abord, celle de Michael, qui jure en irlandais (il doit se trouver à une trentaine de mètres à l’ouest) ; ensuite, celle de Pierce Hawthorne (Chris avait assisté à son discours au gala), qui, hurle, affolé : « À l’aide ! ʺ6Xʺ ! » Le sortilège instinctif de Templesmith a donc affecté tout le monde au gala, y compris ses alliés… Hawthorne se trouve à plus de quarante mètres au nord. Dernière voix identifiée : celle d’un célèbre animateur radio… à l’agonie : il est à l’évidence dévoré vivant ! Au bout d’un moment, ils n’entendent plus la voix de Michael, tandis que les suppliques de Pierce Hawthorne persistent. Impossible de toute façon de venir en aide à qui que ce soit, et la plateforme est déjà bien trop petite comme cela ! Ils n’ont pas le choix : ils attendent… Les deux lunes sont dans l’alignement parfait du soleil ; une cependant semble s’en éloigner un peu, mais pas encore au point de susciter un rayon de lumière.

 

[II-5 : Leah : Chris Botti, Pierce Hawthorne ; « 6X »/Hippolyte Templesmith] Leah et Chris ne cessent de toute façon pas de dégager les petits crabes qui grimpent autour d’eux… Mais ils devinent aussi que des choses bien plus massives se déplacent dans la végétation tout autour de l’île (c’est au mouvement des arbres et des buissons qu’ils s’en rendent compte), et Leah n’en est que plus désespérée encore… Une de ces créatures semble prendre la direction de Pierce Hawthorne, qui continue d’appeler « 6X » au secours ; mais une autre vient dans leur direction : à treize ou quatorze mètres, des buissons s’écroulent littéralement… Puis des antennes gigantesques en dépassent, de la taille approximative de mains humaines, et d’une couleur rouge foncé mat. Leah dit à Chris de la boucler, il ne faut pas attirer son attention ! Mais surgit alors un crabe immense qui s’insinue dans la « clairière » formée par les crabes déjà présents sous l’arbre ; il fait plus d’un mètre cinquante de largeur pour deux mètres de longueur. Il traverse la marée de chitine sans crainte et se positionne sous l’arbre, en dégageant nonchalamment ses congénères bien plus petits. Ses antennes sont visiblement fixées sur Leah et Chris. Au centre de sa carapace, sur son dos, la chitine paraît plus souple, moins dure et dense, constituant comme une articulation – et, effectivement, cette partie du corps du crabe géant se soulève, et en sort un torse surmonté d’une tête et doté de deux membres, d’allure humaine, évoquant à sa manière un centaure…

 

III : LES MYSTÈRES DU CRATÈRE

 

[III-1 : Dwayne] Dwayne se débarrasse des mottes de terre que lui jette le cultiste qu’il poursuit – à peine à cinq mètres devant lui, la corniche est encore loin. Dwayne accélère le rythme… et le fuyard dérape ! Lui aussi s’est appuyé sur une terre trop humide… Il tombe, roulé en boule, et risque de faucher Dwayne au passage – lequel, cependant, est tout prêt à « l’aider à redescendre »…

 

[III-2 : Tess] Mon état mental désastreux me ralentit… Il faut que je me force pour dépasser la plateforme ; l’effort me fait saigner du nez, et je suis contrainte à me griffer pour garder conscience… J’atteins cependant l’escalier qui s’enfonce dans l’abîme ; mon apparition au sommet surprend ma proie, qui s’écroule… Je rejoins l’adorateur calmement, et le roue de coups, lui faisant descendre l’escalier marche après marche – il souffre horriblement, et est visiblement terrorisé : je m’en délecte. Je remarque que des lampes sont disposées irrégulièrement, qui éclairent vaguement l’escalier – lequel fait tout le tour de l’abîme, soit environ trente mètres de diamètre, c’est long… Le sang ruisselle dans l’escalier, ainsi que depuis la plateforme – cela fait comme une petite bruine rouge…

 

[III-3 : Dwayne] Dwayne évite l’adorateur qui dévale la pente dans sa direction, et saisit au passage sa chemise, tentant de le décoller de la paroi d’un coup sec, mais il se contente de tomber juste en dessous de lui. Dwayne lui saute alors dessus, éclatant sa poitrine en y atterrissant à pieds joints – les côtes craquent et se logent dans les organes vitaux : à peine le cultiste a-t-il le temps de cracher du sang qu’il meurt… Dwayne fouille le cadavre à tout hasard, mais n’y trouve guère qu’une pièce de 1 $...

 

[III-4 : Tess : Hippolyte Templesmith, Patrick] J’ai poursuivi ma descente dans l’abîme, et suis maintenant une dizaine de mètres plus bas – le cultiste à mes côtés n’est pas encore mort, mais je le traine avec moi… J’arrive devant une porte métallique, accessible depuis un palier de l’escalier. Je m’assure cette fois que l’adorateur est mort, puis m’approche de la porte ; j’entends derrière un bruit à la fois étrange et familier – comme une serpillère au sol ? Mais il y a des nuances plus déconcertantes, évoquant un couinement métallique et automatique… Je pense d’ailleurs à l’automate chez Hippolyte Templesmith. J’ouvre la porte, qui donne sur un tunnel où les étais renforcés évoquent une mine – un peu comme dans le souterrain où je m’étais retrouvé avec Patrick après avoir fouillé la résidence de Templesmith. Il y a d’ailleurs comme des gisements de ce métal étrange ; et deux automates en forme de mannequins d’anatomie font des allers-retours entre ces gisements et des cuvettes que je suppose remplies d’acide – ces automates sont du même métal, ont chacun un numéro sur la tête (2 et 3), et usent de leur « serpillère » contre les parois riches en minerai ; c’est comme si elles suintaient l’acide afin de « désépaissir » le métal pour le récolter ensuite, et le porter dans les cuves après coup, ou dans des chariots. Ces automates se distinguent de ceux que j’avais vus précédemment dans la mesure où il n’y a pas de « boîte » organe logée à l’arrière de leur crâne, ou où que ce soit ailleurs.

 

[III-5 : Dwayne : Tess McClure, Alexis Ranley] Dwayne est retourné dans la salle du dortoir où je m’étais éveillée. Il y fouille les cadavres des adorateurs, mais il n’y a pas grand-chose à y ramasser : un briquet qui ne marche plus, etc. Mais il trouve enfin la clef qu’il cherchait – pendant seule d’un anneau rouillé. Il ramasse également une dague sacrificielle – la moins abîmée ; mais c’est plus un outil d’apparat qu’une véritable arme, et elle n’est guère maniable. Alexis Ranley est toujours là, qui pleure et gémit, mais Dwayne s’en moque. Il essaye la clef sur la porte au fond de la pièce : il prend bien soin de ne pas l’ouvrir, il s’agit seulement de voir si c’est la bonne clef – et c’est le cas. À peine a-t-il fait jouer la serrure qu’il est assailli par une violente odeur d’excrément de l’autre côté ; il entend également des gémissements et des suppliques : « Pitié ! » Il referme la porte et sort du dortoir pour m’appeler.

 

[III-6 : Tess : Dwayne O’Brady] J’entends Dwayne qui m’appelle… mais n’y prête pas la moindre attention ; je pénètre à l’intérieur de la mine…

 

[C’est alors que je perds définitivement le contrôle de Tess ; celle-ci est désormais un PNJ, gérée par le Gardien des Arcanes, et n’apparaîtra donc plus dans ces comptes rendus qu’à la troisième personne. Quant à moi, j’incarnerai désormais un nouveau personnage, Anatole « Froggy » Despart, et c’est donc lui que je désignerai en employant maintenant la première personne, dès la scène V-1 de cette séance.]

 

IV : CLIFFHANGERS

 

[Sauf erreur, c’est en gros à partir d’ici, ou un peu avant, que le joueur incarnant Chris Botti nous a rejoints. En tout cas, il l’incarnait dans les scènes qui suivent.]

 

[IV-1 : Leah, Chris] Leah et Chris sont obnubilés par la figure du crabe « centaure ». A priori, la bête est trop grosse pour monter dans les arbres ; elle en a bien après eux, ainsi qu’en témoignent ses tentatives pour hisser ses gigantesques pinces en direction de la plateforme, mais les extrémités de ses membres ne parviennent qu’à peine à racler les rondins – et elle ne semble pas assez intelligente pour défaire l’armature de la plateforme ; après avoir insisté un moment, elle s’en prend toutefois au tronc soutenant pour l’essentiel l’abri arboricole, et ses violents coups de pinces font trembler la structure…

 

[IV-2 : Chris, Leah] Chris et Leah, confrontés à ce nouveau péril, cherchent des moyens de fuir : ils pourraient peut-être continuer à grimper, ou tenter un saut pour rejoindre un autre arbre sur la droite… Ils constatent par ailleurs que s’y trouve un réseau d’une sorte de lierre solide, qui pourrait faire office de lianes. Chris suggère à Leah de monter, et il va tenter de la suivre. Mais Leah retombe bien vite sur la plateforme, qui n’en tremble que davantage – une corde lâche, un rondin tombe sur les crabes toujours amassés en dessous : s’ils insistent, tout finira par s'écrouler… et la plateforme commence à pencher vers la droite sous les assauts du « centaure ».

 

[IV-3 : Chris, Leah] Chris tente alors, très prudemment, de rejoindre le lierre, tout en restant suffisamment près pour venir en aide à Leah le cas échéant. Ce qui fonctionne tout d’abord – mais Leah retombe pourtant lourdement sur ce qui reste de la plateforme, dont un quart s’écroule, alors qu’elle penche de plus en plus sur la droite ! Chris lui tend la main, et parvient à la hisser ; mais, d’ici une minute ou deux, le « centaure » aura fini son œuvre…

 

[IV-4 : Chris, Leah] Chris poursuit son ascension… mais c’est cette fois lui qui tombe, et il ne parvient pas à se rattraper à ce qui reste de la plateforme : il s’écroule plusieurs mètres en dessous, au milieu des crabes ! Et il est à portée des pinces du « centaure »… Les crabes s’en prennent aussitôt à lui ; pour l’heure, c’est plus douloureux que fatal, mais ils commencent à le submerger – ils arrivent presque à hauteur de poitrine ! Leah se trouve à plus de cinq mètres au-dessus, elle ne peut rien faire pour lui venir en aide. Le « centaure » se retourne alors vers Chris, et, de ses gigantesques pinces, déblaie le passage qui les sépare. Chris tente de s’agripper à un autre arbre, et y parvient malgré les morsures sans nombre ; son instinct de survie l’incite à marcher sur les carapaces des plus grands crabes, ce qui lui permet de remonter un peu – mais à peine à trente centimètres au-dessus de la marée de chitine : il est toujours à portée du « centaure », qui s’avance…

 

V : SANG FRAIS

 

[V-1 : Dwayne, Anatole : Tess McClure, William Harris-Jones] Dwayne a continué d’interpeller Tess plusieurs fois, mais sans en obtenir de réponse. Il retourne donc dans le dortoir, tendant l’oreille aux bruits en provenance de l’autre côté de la porte ; il remarque alors une voix à l’accent français : « Ici ! ici ! Ouvrez-nous ! » [Il s’agit d’Anatole, mon nouveau PJ.] Il entend aussi d’autres appels à l’aide, sans accent cette fois, évoquant plutôt un WASP : « Aidez-nous ! J’ai de l’argent ! Beaucoup d’argent ! » [Il s’agit de William Harris-Jones, mon employeur.]

 

[V-2 : Dwayne] Dwayne ouvre la porte. L’odeur d’excréments est insoutenable, et la pièce, dans le fond, fait visiblement office de fosse d’aisance ; non loin se trouvent des débris d’un métal noir, où il reconnaît des fragments humanoïdes de peau écailleuse – les vestiges de la quatrième statue ? Mais la pièce abrite aussi des cellules – et des prisonniers. La première cellule est plus vaste que la seconde : elle fait environ deux mètres sur cinq, et s’y trouvent six individus émaciés, enchaînés pour certains, parfois la bouche cousue, et visiblement traumatisés. La deuxième cellule n’abrite que deux personnes : un homme très élégamment habillé, avec une nuance d’excentricité artistique ; à ses côtés, un homme à la carrure autrement massive, figurant quelque malfrat et/ou garde du corps (et c’est ce dernier qui a l’accent français).

 

[V-3 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones] L’homme élégant s’approche des barres de la cellule, et répète qu’il a plein d’argent, tout en se nommant : « Je suis William Harris-Jones ! L’écrivain ! » Dwayne lui répond que son argent ne pèse pas bien lourd ici… Je lui demande quel est cet endroit, comment y sommes-nous arrivés – Dwayne n’a pas grand-chose à répondre… Peut-il nous ouvrir ? Cela dépend – peut-il nous faire confiance ? William Harris-Jones sort de sa veste un paquet de tissu ; l’entrouvrant, il montre qu’il contient de la cocaïne, et il en propose à Dwayne – au cas où cela pourrait remplacer l’argent… Mais Dwayne lui dit de ranger son paquet, ça ne lui sera pas davantage utile ici… Harris-Jones s’exécute, non sans s’accorder d’abord un petit rail. Me fixant, Dwayne dit qu’il aurait bien besoin de bras en plus, mais il me faudra suivre ses instructions – j’acquiesce. Dwayne ouvre alors la cellule (avec la même clef que pour la pièce), tandis que je me colle contre le fond du mur pour l’assurer que je ne lui causerai pas de soucis. Harris-Jones, lui, cherche aussitôt à se précipiter dehors, ce qui interpelle un bref moment Dwayne, qui comprend cependant bien vite que le riche prisonnier ne présente pas de danger. Il se contente de se palper en criant : « M’ont tout piqué ! » Dwayne nous fait signe de sortir.

 

[V-4 : Dwayne] Dwayne jette alors un œil à l’autre cellule – en quête de quoi que ce soit d’utile. Il y a une femme assez jeune, une plus vieille avec un enfant, trois hommes adultes – qui lui demandent : « Vous n’êtes pas avec eux ? » Ils ont l’air infiniment surpris…

 

[V-5 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones ; Tess McClure] Dwayne continue son tour d’horizon, et repère une armoire dans le coin de la pièce ; son attitude effraie un peu William Harris-Jones, qui le suit cependant – supposant que ses affaires manquantes seront dans le placard. Je suis également. Nous y trouvons des montres, des portefeuilles, des cigarettes, des briquets… mais aussi mes armes (un .45 amélioré, sans chargeur de rechange, et une matraque en cuir), ainsi que le Derringer de William Harris-Jones – il se jette dessus. Dwayne le contient et lui dit de se calmer – je l’appuie, mon patron doit arrêter les conneries. Prenant soin d’accorder un signe de tête à Dwayne, je m’avance vers l’armoire, et y récupère posément mes armes, qu'il avait bien identifiées comme telles ; quant à lui, il ramasse le Derringer de William Harris-Jones, et le lui tend en personne – l’écrivain est méfiant… Nous entendons un rire féminin, un peu hystérique, à l’extérieur – Dwayne reconnaît la voix de Tess… Indiquant nos armes, il nous dit qu’il nous faudra bientôt nous en servir…

 

[V-6 : Dwayne] Dwayne retourne alors à la cellule, où on le supplie plus que jamais : qu’il les fasse sortir ! Dwayne n’y voit pas d’inconvénient, mais leur dit qu’il ne fera en aucun cas leur nounou – et pas de précipitation ! Le suivront qui le veulent, mais ils devront alors suivre ses instructions. Il ouvre la porte ; la vieille se redresse aussitôt, l’enfant dans les bras – il faut de la nourriture au petit ! Quant à la femme plus jeune, elle se jette les bras ouverts sur Dwayne, qui l’évite, craignant le coup fourré – mais elle voulait seulement le serrer dans ses bras, l’embrasser… et peut-être un peu plus que cela. « Doucement ! C’est bon, c’est bon ! » Il la repousse.

 

[V-7 : Anatole : William Harris-Jones] De mon côté, je me montre plus professionnel que jamais – calmant mon patron, et prenant soin de bien vérifier que mon .45 est chargé et en état de fonctionner...

 

VI : HÉCATOMBE

 

[VI-1 : Chris : Charles Reis] Chris, submergé par les crabes et face au « centaure », tente, en se hissant sur les côtés, de contourner l’arbre pour atterrir ensuite sur le dos de la monstrueuse créature et lui crever les yeux. Mais il ne saurait rater davantage son coup [échec critique : 100] : le « centaure » l’empêche d’aller bien loin en broyant puis tranchant sa jambe droite d’une de ses pinces ! Chris s’effondre, pissant le sang, et la nuée de crabes le dévore alors qu’il est encore vivant… Accessoirement, c’était lui qui avait le baluchon de Charles Reis, dès lors inacessible et peut-être perdu.

 

[Le joueur incarnant Chris récupère maintenant, au moins temporairement, le personnage de Michael Bosworth, PJ abandonné depuis quelque temps, son joueur ne pouvant plus assurer sa participation à la campagne. La scène qui suit immédiatement est du coup un bref flashback.]

 

[VI-2 : Michael : Pierce Hawthorne, Chris Botti] Quand Michael est arrivé sur l’archipel, il a fait une courte chute, mais des branches l’ont amortie. Il était bien dans des arbres, et a pu bénéficier du réseau de lierre pour se déplacer sans risques excessifs. Il avait tout d’abord entrepris de descendre – il lui avait semblé avoir repéré des gens à distance, mais la végétation était trop touffue pour en être certain. Il n’a toutefois guère eu les temps d’arpenter les environs : la « nuit » n’a guère tardé, et Michael avait vite compris le danger représenté par les crabes – il est aussitôt remonté à la cime de son arbre (dans les huit ou neuf mètres), continuant de guetter pour trouver des signes d’autres personnes. Il a notamment vu, au loin – dans les 500 mètres ? – des survivants inconnus qui avaient confectionné un radeau de fortune ; ils partaient vers l’horizon, semblant fuir la colline centrale. Il y avait bien d’autres signes, mais guère encourageants : il a entendu les suppliques de Pierce Hawthorne, ainsi que la mort de l’animateur radio… mais aussi, à l’instant, l’agonie de Chris – immédiatement identifié comme tel.

 

[VI-3 : Michael : Radzak, Tess McClure] Par ailleurs, au loin, dans la direction de la colline, il a cru voir quelque chose d’assez petit tomber du ciel… [Il s’agit de Radzak, le chat onirique, que Tess a invoqué – elle avait systématiquement son cristal sur elle, qui chauffait…] Michael est cependant davantage attiré par un grand navire surgi à l’horizon, d’allure médiévale voire antique, et doté de nombreuses voiles, qui s’approche du radeau improvisé…

 

[VI-4 : Michael, Leah : Chris Botti] Mais, à guetter de toutes parts, Michael repère enfin Leah, là où Chris vient de mourir. Il se met à naviguer dans les branches pour tenter de la rejoindre – il est habile à ce petit jeu. Il interpelle Leah, qui l’entend, crie à son tour, et lui fait de grands signes pour indiquer sa position. Michael la rejoint bientôt, et lui demande ce qui s’est passé, et où est Chris ? Leah se contente de répondre : « Dans l’estomac d’un crabe… » Michael fait de son mieux pour l’aider, confectionnant notamment une corde de lierre pour qu’elle puise grimper plus haut et le rejoindre. Mais c’est trop tard : un faux mouvement de trop fait chuter Leah sur les crabes… Ceux qui se disputaient les restes de Chris (parmi lesquels un nouveau « centaure » ?) se tournent aussitôt vers elle et lui infligent d’innombrables morsures. Michael est sept ou huit mètres plus haut ; il essaye de redescendre aussi vite que possible, sa corde de fortune en main… Mais Leah, bien que relativement épargnée par sa chute, se noie sous les crabes qui la déchiquètent comme ils avaient déchiqueté Chris quelques instants plus tôt à peine…

 

[Mort de Leah. Sa joueuse n’a pas incarné de personnage temporaire jusqu’à la fin de la séance, un nouveau PJ sera créé d’ici à la prochaine séance.]

 

VII : LE RETOUR DU CHAT

 

[VII-1 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones ; « 6X »/ Hippolyte Templesmith] Dwayne et moi nous dirigeons vers la sortie, William Harris-Jones derrière nous, après toutefois avoir jeté un œil aux débris de la statue ; la tête évoque un peu à Dwayne la véritable apparence de « 6X », mais en plus reptilien encore, avec des yeux en amande et une langue bifide… Pourtant, ce faciès n’est pas sans noblesse, et évoque une divinité aux traits de serpent. Que la statue ait été abandonnée dans une fosse d’aisance n’est sans doute pas anodin…

 

[VII-2 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones] Mais la femme qui s’était jetée sur Dwayne me vise désormais : « Mon sauveur ! » Je n’ai pourtant absolument rien fait pour la sauver… Mais elle commence à me déshabiller ! Je la repousse d’abord calmement, mais, quand elle insiste, je la projette par terre. La vieille, de son côté, ne cesse de se plaindre que l’enfant mourra s’il ne mange pas, très vite… Dwayne ne peut rien faire pour elle. Mais son comportement me plaît : c’est visiblement le seul ici à savoir ne serait-ce qu’un minimum quoi faire – je calque mon comportement sur le sien.

 

[VII-3 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones, Alexis Ranley, Tess McClure, Radzak] Dwayne et moi quittons les cellules pour aller au dortoir. Derrière nous, les gémissements ne laissent aucun doute : William Harris-Jones, lui, a accepté les avances de la femme… Nous n’y prêtons pas davantage attention, même si je ne peux retenir un soupir. Dwayne s’arrête, disant à Alexis Ranley de sortir de sa cachette : ou il vient, ou il crève ici ! Nous l’entendons ramper au sol, et il s’extrait de sous un lit. Il s’approche, conscient qu’il ne peut faire autrement. Dwayne nous indique la sortie, et nous le suivons – mais, à travers la porte entrouverte, nous parvient une voix féminine, que Dwayne reconnaît pour être celle de Tess, engagée dans une conversation enjouée avec une autre voix aux accents étranges…

 

[VII-4 : Dwayne, Anatole : Radzak, Tess McClure ; Johnny « La Brique », Moira] Dwayne jette un œil dans l’entrebâillement de la porte… et aperçoit un gros chat qui se dandine et parle avec Tess. Il se souvient de ce qu’avait raconté le gamin à la ferme, quand il avait rapporté la mort de « La Brique » et de Moira, et confié le cristal à Tess… Le chat pose des questions à Tess – portant sur ce qu’elle aimerait faire à l’avenir. Dwayne se fraye un passage aussi discrètement que possible… mais le chat se tourne aussitôt vers lui, et, d’une voix sèche : « Deux secondes. On discute. » Et il repousse la porte ! J’ai eu un vague aperçu du chat en train de parler, et je regarde Dwayne d’un air stupéfait, en quête d’explications, mais il n’a rien à me dire…

 

[VII-5 : Dwayne, Anatole : William Harris-Jones] Nous restons donc dans le dortoir pour l’heure. La vieille a fouillé dans les boîtes de conserve abandonnées, et en nourrit le gosse. Les autres sont avec nous, à l’exception de William Harris-Jones et de son amante. Nous n’avons que de très vagues échos de la conversation de l’autre côté de la porte, mais le volume est fluctuant – ils se déplacent tout en parlant. Dwayne nous dit de fouiller les cadavres pour trouver quoi que ce soit d’utile, mais, à l’évidence, il ne s’y trouve rien pour moi. Quand les gémissements s’interrompent, je laisse un peu de battement puis vais chercher mon patron… Après quoi je demande à Dwayne si nous allons attendre encore longtemps – mais il me dit qu’on attendra qu’ils aient fini de discuter, et qu’il ne vaut mieux pas les déranger… Le temps passe…

 

[VII-6 : Dwayne, Anatole : Radzak, Tess McClure] Au bout d’un moment, la conversation s’amenuisant, Dwayne toque à la porte : « Vous avez fini ? » Nous entendons le chat… exploser de rire. Puis Tess, joviale : « Oui, mais peut-être vous aussi ! » Leurs bruits de pas se rapprochent de la porte, ils ne discutent plus. Dwayne se recule, et je fais comme lui – en position pour tirer sur ce qui franchira la porte.

 

[VII-7 : Dwayne, Anatole : Tess McClure/« Tess la Rouge », Radzak] La porte s’ouvre. Les paupières de Tess sont agitées d’un mouvement perpétuel. Elle entre en compagnie du chat, qui se présent solennellement sous le nom de « Radzak ». Ils se comportent comme deux vieux amis… Dwayne avance qu’il a entendu parler de Radzak. Le chat dégage les débris du passage, tandis que les prisonniers se chient dessus – littéralement – à cette scène improbable et étrangement angoissante… Puis Radzak monte au sommet d’une pile de débris, il tourne un regard amusé vers Tess, puis lui dit : « Alors ? Choisis… » Dwayne demande à Tess si ça va, et elle répond : « Oui, mieux que jamais… » Son sourire est cette fois irrémédiablement celui de « la Rouge »… Elle « choisit » enfin la vieille et l’enfant. Dwayne me fait signe de ne pas intervenir – je me plie à ses instructions muettes… d’autant que j’ai le souvenir de « Tess la Rouge » telle qu’elle était dépeinte dans les journaux.

 

VIII : LE RESSAC, ENFIN

 

[VIII-1 : Michael : Leah, Pierce Hawthorne : « 6X »/Hippolyte Templesmith] Michael horrifié a vu Leah périr sous les assauts des crabes ; il est totalement perdu… Il entend toujours la voix de Pierce Hawthorne appeler « 6X » à l’aide. Au loin, il ne voit plus le radeau – sans savoir comment il a disparu. Il fixe un moment l’eau très claire, très pure, mais aussi très profonde… et finit par distinguer une ombre massive sous les flots, dotée de nombreux appendices – une immense pieuvre ? Elle se rapproche du bateau antique. Effaré, Michael prend toujours un peu plus conscience des dimensions colossales de la créature : elle doit faire des kilomètres pour qu’il la voie ainsi ! En comparaison, le bateau, pourtant volumineux, n’est plus qu’un point à l’horizon… Puis la silhouette disparaît dans les profondeurs – mais c’est alors que jaillissent ses tentacules, qui environnent le bateau puis se resserrent sur lui pour le broyer comme une coquille de noix ! Des passagers tentent de rallier des éclats de bois faisant office de petits radeaux, mais les tentacules achèvent leur office : ils disparaissent tous dans les profondeurs, et bientôt les tentacules de même…

 

[VIII-2 : Michael : Pierce Hawthorne] Michael a beau être terrorisé par l’enchaînement des événements sinistres, il tente de se reprendre et de faire quelque chose. Il se dirige donc vers la voix de Pierce Hawthorne. Au bout de quelque temps à naviguer dans les branches, il aperçoit sa silhouette obèse – il y a aussi des reflets sur sa barbe ainsi que dans l’armature de ses lunettes. Hawthorne ne l’a pas encore aperçu, et reste crispé sur sa branche – cela fait au moins une bonne heure qu’il appelle vainement à l’aide… Michael le surplombe à quelque distance. Les vêtements du chercheur sont abimés et imprégnés de sang – il a fait connaissance avec les crabes… Michael l’interpelle enfin – et lui demande si ça va. Hawthorne, pris par surprise, lui demande qui il est – il n’a pas l’air très rassuré… Mais il en revient bien vite aux suppliques : « Aidez-moi, je vous en supplie, je ne vais pas pouvoir tenir encore longtemps ! » Michael confectionne une nouvelle corde pour permettre au chercheur de le rejoindre à son niveau… tandis que son arbre tremble, victime à son tour des assauts d’un « centaure ». Hawthorne cède à la panique : « Vite ! » Michael accélère : « Ça vient, ça vient ! » Puis, alors même qu’il vient d’achever son travail et s’apprête à lancer la corde à Hawthorne, la luminosité change : un croissant de soleil très fin apparaît, se dégageant des lunes… Les chocs contre le tronc s’arrête presque aussitôt, et c’est comme un ressac de chitine…

 

À suivre…

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