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CR Imperium : la Maison Ptolémée (29)

Publié le par Nébal

Le Navigateur Iapetus Baris, représentant de la Guilde Spatiale sur le marché-franc de la lune de Khepri.

Le Navigateur Iapetus Baris, représentant de la Guilde Spatiale sur le marché-franc de la lune de Khepri.

Vingt-neuvième séance de ma chronique d’Imperium.

 

Vous trouverez les éléments concernant la Maison Ptolémée ici, et le compte rendu de la première séance . La séance précédente se trouve ici.

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Ipuwer, le jeune siridar-baron de la Maison Ptolémée, sa sœur aînée et principale conseillère Németh, le Docteur Suk Vat Aills, et l’assassin (maître sous couverture de troubadour) Bermyl.

 

I : TIRER LE BILAN, PRÉVOIR LA SUITE

 

[I-1 : Ipuwer, Bermyl, Németh, Vat] Ipuwer et Bermyl sont au Palais de Cair-el-Muluk, où ils tirent le bilan de la catastrophe, une fois l’alerte tombée (soit aux environs de 23h ou minuit). Németh, quant à elle, se trouve au relais de chasse de Darius, au nord-est de Memnon, avec les invités de la Maison Ptolémée et quelques notables. Tenue au courant des événements durant son voyage en ornithoptère, sitôt arrivée, après une brève allocution destinée à rassurer ses compagnons de voyage, elle s’isole dans une pièce pour entrer en communication radio avec le Palais – dès lors, c’est comme si elle se trouvait avec Ipuwer et Bermyl. Le Docteur Suk Vat Aills, quant à lui, est encore en route – il vient de monter à bord d’un ornithoptère à la base du Mausolée, sur le Continent Interdit, et survole actuellement l’océan à l’ouest de Cair-el-Muluk ; sitôt arrivé, il se joindra aux autres.

 

[I-2 : Ipuwer, Bermyl : Vat Aills, Apries Auletes, Ngozi Nahab] Ipuwer et Bermyl, d’ici-là, font le point sur les informations reçues – et tout d’abord le bilan des victimes dans les grandes villes : on compte plusieurs milliers de morts à Cair-el-Muluk, le nombre précis est encore à déterminer ; il s’agit pour l’essentiel de victimes des mouvements de panique et des bousculades, puisque le tsunami n’a finalement pas frappé la ville ; néanmoins, les pluies diluviennes ont provoqué des inondations dans une agglomération clairement pas conçue pour affronter ce genre de catastrophes impensables – si la partie « somptuaire » de la ville, soit le Palais, le Sanctuaire d’Osiris, et les jardins qui les ceinturent, n’a pas été vraiment affectée, plusieurs zones des quartiers populaires sont quant à elles sous les eaux, ce qui les rend inhabitables et pourrait présenter des risques sanitaires : au Docteur Suk de prendre en charge la situation (déjà, en vol, il réfléchit aux mesures à prendre – aux effectifs à déployer, à la mise en place de point de ravitaillement et de traitement, à la sécurisation des points d’eau, à la prévention des épidémies...). La situation est bien moins préoccupante à Heliopolis : il y a eu des victimes, mais moins d’une centaine ; là encore, il s’agissait de mouvements de panique, mais d’une ampleur bien moindre qu’à Cair-el-Muluk, puisque seulement provoqués en écho de ce qui se passait là-bas – la tempête n’a jamais véritablement menacé la capitale administrative. Ce qui peut s’avérer préoccupant, sur place, c’est la manière dont la crise a été gérée : le chef de la police, Apries Auletes, s’est avéré totalement inefficace (sans doute parce qu’il avait peur… pour lui), et ce sont en définitive les hommes de Ngozi Nahab, autant dire la pègre, qui ont fait régner l’ordre dans la ville... Mais les pertes les plus lourdes ont été subies en dehors de ces grands centres urbains, dans les archipels à l’est de Cair-el-Muluk et au nord-ouest d’Heliopolis, qui ont eux été balayés par le tsunami ; la zone n’est guère peuplée, mais il s’y trouve tout de même nombre de villages de pêcheurs, et les premiers ornithoptères à avoir survolé la zone après la levée de l’alerte ont fait état d’une situation apocalyptique…

 

[I-3 : Ipuwer, Vat, Bermyl : Ngozi Nahab] Se pose la question des camps de réfugiés, à Cair-el-Muluk, car il faut prévoir l’hébergement temporaire des victimes qui ne sont pas en mesure de regagner leurs quartiers inondés – ce qui inclut nombre de logements tout simplement inhabitables, même si les destructions au sens propre sont finalement assez rares ; il faut cependant compter avec des fondations fragilisées, etc. Outre les infrastructures, telles que les égouts qui ont débordé, autre problème à prendre en compte... Il est difficile pour l’heure de chiffrer les besoins – mais, dans l’immédiat, on peut tabler sur 500 000 personnes qui auraient besoin d’un hébergement d’urgence, à très court terme : une fois les inondations jugulées, l’affaire de quelques jours en principe, le nombre des réfugiés devant rester dans les camps tombera sans doute à 50 000 personnes, 100 000 au plus. Les jardins semblent appropriés pour établir ce genre de campements temporaires (éventuellement aussi les cours du Sanctuaire d’Osiris et du Palais qui accueillent encore les femmes et les enfants suite à la décision d’Ipuwer). L’urgence de la situation, et les capacités limitées de réaction de la Maison Ptolémée en l’espèce, compliquent la tâche… Il y a bien, à ce moment même, 500 000 personnes sans logis à Cair-el-Muluk, en proie à la nuit froide et à la pluie inhabituelle, dans les jardins, le Palais et le Sanctuaire ! Dans l’immédiat, ce sont des moyens militaires qui vont être déployés ; mais ça ne suffira pas – il faudra faire appel à des aides extérieures : on envisage des « appels d’offre », dans l’urgence, mais Ipuwer suppose que le plus efficace dans l’immédiat serait de faire appel directement… à la Maison mineure Nahab, qui n’aurait certes aucun scrupule à tirer profit de la situation – Ipuwer lui-même dira à Ngozi Nahab qu’il pourra sans doute, le moment venu, tirer de juteux profits de la reconstruction… et il a déjà des fantasmes haussmanniens et somptuaires en tête ! Ceci étant, la ville n’est pas détruite, loin de là, elle n’est pas à reconstruire intégralement… Vat approuve cette politique : ce serait un très bon moyen de s’assurer la fidélité de la Maison mineure Nahab durant cette période de crise – car les Ptolémée ne peuvent se l’aliéner : un prétexte tout trouvé, donc ! Et le Docteur Suk serait à vrai dire tout disposé à jouer de la table rase dans les quartiers les plus populaires et insalubres, des nids à vermine… Il est très optimiste, au fond, Ipuwer en fait même la remarque – non sans une vague gêne ? Mais il est vrai que Vat n’a pas assisté au phénomène et à la panique qu’il a suscité, à la différence d’Ipuwer et Bermyl… Dans l’immédiat, cependant, le Docteur Suk relève aussi que, outre ces campements dans les jardins, on peut sans doute abriter une partie de la population réfugiée dans des bateaux attachés au port de Cair-el-Muluk – c’est effectivement une solution bien pensée, et qui plaît à Ipuwer, même si, suite au traumatisme de la tempête, certains des habitants de la ville rechignent à s’installer ainsi sur la mer…

[I-4 : Bermyl, Ipuwer : Taho, Vat Aills, Elihot Kibuz, Kiya Soter, Németh, Hanibast Set] Se pose aussi, bien sûr, la question de la sécurité : Bermyl rappelle les soucis de loyauté dans ses services, et son manque d’agents fiables – a fortiori depuis la mort du fidèle Taho (dont il a fait transférer le cadavre dans les services du Docteur Suk)… Il lui faut retrouver des agents fiables, et il va s’atteler à la tâche ; mais, d’ici-là, il ne quittera pas Ipuwer d’une semelle. Le risque d’assassinat est non négligeable en cette période, et, d’ailleurs, on a tenté de tuer Bermyl via Taho, quelques heures à peine plus tôt ! Ipuwer en convient – que Bermyl mène son enquête, et, s’il le juge bon et dispose de preuves convaincantes, on se débarrassera d’Elihot Kibuz, plus suspect que jamais ; Ipuwer aimerait le faire parler, mais si Bermyl doit le tuer, qu’il n’hésite pas ! Maintenant, organiser une épuration en pleine crise risque d’être très problématique, et cela pourrait aggraver encore la situation… En même temps, sous le coup de la panique, les agents déloyaux pourraient commettre des erreurs dont il serait possible de tirer parti. Enfin, la sécurisation de la ville et du Palais est aussi une question militaire : il faut y associer le général Kiya Soter. Et, d’ores et déjà, rapatrier des troupes, plus utiles à Cair-el-Muluk que partout ailleurs – ainsi celles de la base du Mausolée sur le Continent Interdit.

 

[Je demande alors des jets à chaque PJ, en guise d’actions longues : Sécurité pour Bermyl, Stratégie pour Ipuwer, Médecine pour Vat Aills, et Lois pour Németh (à défaut de Commerce, l’apanage du Conseiller Mentat Hanibast Set, encore indisponible), pour voir comment ils gèrent la crise en tâche de fond. La réussite de Vat en Médecine garantit une situation sanitaire au pire correcte dans les jours qui viennent ; les autres jets sont bons sans être exceptionnels, ils appelleront à être complétés sans bonus ni malus en fonction des actions précises entreprises.]

 

[I-5 : Bermyl, Ipuwer] Bermyl fait aussi la remarque à Ipuwer qu’il ne faut pas laisser l’avantage en matière de communication à leurs adversairesIl faut se rallier la population, en lui faisant comprendre qui sont ses véritables ennemis ! Ipuwer le sait bien, il l’avait prévu – sans doute lui faudra-t-il parler lui-même à son peuple… même s’il déteste cet exercice pour lequel il sait ne pas être doué.

 

[En termes de jeu, Ipuwer a beau être un noble et même le siridar-baron de sa Maison, il est totalement inepte en matière sociale – il ne dispose d’aucune Compétence en l’espèce, à l’exception d’un Niveau de Maîtrise de 4 en Étiquette, qui est en soi déjà insuffisant pour son rôle ; en pareille affaire, c’est encore pire, puisqu’il ne peut se reposer que sur son score de 2 en Aura, sans Compétence liée… Ce handicap est en fait une dimension essentielle du personnage.]

 

[I-6 : Ipuwer : Abaalisaba Set-en-isi, Németh, Suphis Mer-sen-aki, Hanibast Set] Il lui faudra prononcer un discours dans la journée du lendemain ; incapable de l’écrire lui-même, il devra se reposer pour ce faire sur quelqu’un d’autre – en l’occurrence, même si la décision ne sera prise que bien plus tard, il s’agira en définitive d’Abaalisaba Set-en-isi (Németh et le grand prêtre Suphis Mer-sen-aki avaient d’abord été envisagés, avec l’assistance d’Hanibast Set) ; or Abaalisaba, même surchargé de travail ces derniers jours, est toujours à même de faire des merveilles !

 

[Concrètement, Abaalisaba obtient un score proprement exceptionnel de 10 succès à son jet de Rhétorique ! Mais Ipuwer n’a pas son aisance pour s’exprimer : même sur la base d’un discours aussi parfait, même en prenant la précaution d’éviter de s’exprimer en direct, en définitive, l’Aura limitée d’Ipuwer pourra anéantir tous ces efforts… On verra bien lors de la prochaine séance ; par ailleurs, j’ai demandé au joueur incarnant Ipuwer de rédiger lui-même un bref discours.]

 

[I-7 : Ipuwer, Németh, Vat : Hanibast Set] Ipuwer et Németh se posent aussi la question, plus que jamais pressante, du retour du Conseiller Mentat Hanibast Set – isolé dans une institution de repos à quelque distance de Memnon par ordre du Docteur Suk Vat Aills, afin d’y récupérer de son « gel du Mentat »… Il n’est pas totalement remis, ses capacités ne sont pas optimales, mais, devant la gravité de la situation, et quoi qu’en disent les soignants, il décide de lui-même de retourner à Cair-el-Muluk pour faire bénéficier la Maison Ptolémée de son assistance.

II : CE QU’IL EN EST DE LA GUILDE

 

[II-1 : Németh : Iapetus Baris] Németh, ulcérée par le comportement de la Guilde dans cette affaire, considère qu’il est bien temps de tirer les choses au clair, et donc d’avoir une petite conversation avec le Navigateur Iapetus Baris, représentant de la Guilde Spatiale sur le marché-franc de la lune de Khepri.

 

[II-2 : Németh : Iapetus Baris] Mais Németh aimerait « court-circuiter » Iapetus Baris, même si elle doute de pouvoir le faire, car il est le plus haut gradé de la Guilde sur place, pour autant qu’elle sache, et elle ne dispose pas d’autres contacts ; toutefois, un rapport lui avait fait part que deux Navigateurs anonymes s’étaient rendus sur la lune de Khepri il y a quelque temps de cela… Mais comment les joindre, le cas échéant ? Ils pourraient être d’un grand secours, dans l’hypothèse où ils seraient des représentants sur place de la Guilde intègre, et Iapetus Baris seulement un agent d’une faction interne corrompue, sur lequel ils seraient venus enquêter… Mais ce n’est qu’une hypothèse : au fond, la Maison Ptolémée n’en sait absolument rien.

 

[II-3 : Ipuwer, Németh : Iapetus Baris] Mais ce serait un pari, quitte ou double, qui permettrait peut-être d’être fixé sur la question – Ipuwer suggère qu’une visite très démonstrative et en grande pompe pourrait décider ces Navigateurs anonymes à contacter Németh, car ils en auraient forcément vent. Iapetus Baris, à l’évidence, prohibera tout contact direct du fait de ses prérogatives, mais ce serait un moyen indirect de s’entretenir quand même avec eux, et d’en savoir un peu plus quant aux éventuelles factions au sein de la Guilde Spatiale.

 

[II-4 : Németh, Ipuwer : Nathifa, Mandanophis Darwishi, Abaalisaba Set-en-isi ; Iapetus Baris] Mais le timing est important dans cette affaire ; ils en discutent, et décident enfin que Németh se rendra sur Khepri et s’entretiendra avec Iapetus Baris (au moins…) avant que le discours d’Ipuwer ne soit diffusé par radio dans tout Gebnout IV, dans la journée du lendemain (probablement en milieu de journée, éventuellement dans la soirée, mais ce serait peut-être jugé un peu tardif dans ce cas). Németh quitte donc Darius pour se rendre à Heliopolis, et y monter à bord d’un vaisseau d’interface pour gagner Khepri (ce qui devrait prendre au moins six heures). Elle fait brièvement ses adieux à ses « invités », les rassure quant à leur prochain rapatriement à Cair-el-Muluk, confie à un des rares militaires sur place, la commandante Nathifa, la tâche de les chaperonner (pour rien au monde elle ne laisserait Mandanophis Darwishi s’en occuper), et à Abaalisaba Set-en-isi, pourtant surchargé, la tâche de travailler sur les contrats liant la Maison Ptolémée à la Guilde. Quatre heures plus tard, arrivée à Heliopolis, elle prévient cette dernière de sa visite (officiellement ; officieusement, la Guilde le savait déjà, puisqu’elle gère les vaisseaux d’interface entre Heliopolis et Khepri).

 

[II-5 : Ipuwer, Bermyl : Németh, Iapetus Baris] À Cair-el-Muluk, et quoi qu’en dise Bermyl, Ipuwer ne pense décidément pas avoir grand-chose à craindre, aussi ordonne-t-il finalement à son maître assassin réticent de gagner lui aussi Heliopolis pour assurer la protection de Németh sur Khepri (il n’a aucune confiance en « ce con de Baris »…) ; ils se rejoindront à l’astroport, où ils arriveront en gros en même temps. Bermyl renâcle un peu, mais obéit, après avoir désigné deux gardes du corps qu’il suppose fiables, chargés de suivre partout Ipuwer.

 

III : LES MAÎTRES D’HELIOPOLIS

 

[III-1 : Ipuwer : Bermyl, Apries Auletes, Németh, Iapetus Baris] Sitôt Bermyl parti, Ipuwer contacte Apries Auletes à Heliopolis. Il explique au chef de la police que Németh va arriver, et qu’il faut assurer sa sécurité à l’astroport. Mais Ipuwer ne veut pas d’un protocole « discret » : il s’agit cette fois de faire sentir qu’un personnage important va arriver, et se rendre officiellement sur Khepri, en grande pompe même – expressément, pour dénoncer la responsabilité de la Guilde et plus particulièrement de Iapetus Baris dans la catastrophe qui vient de se produire. Apries Auletes sait qu’il n’a pas été à la hauteur lors de la tempête, et cela ressort dans son comportement : à ce stade, il n’est même plus mielleux, mais très obséquieux, et sa consommation de zha ne suffit pas à masquer sa nervosité.

 

[III-2 : Ipuwer : Ngozi Nahab ; Apries Auletes] Après quoi Ipuwer contacte Ngozi Nahab, à Heliopolis également, et lui tient le même discours, à ceci près qu’il le félicite en outre pour sa « gestion de l’événement… ou plutôt du non-événement ». Il sait que la Maison mineure Nahab est désormais en position de force dans la ville – et Ngozi Nahab sait qu’il le sait… Il impute devant lui également la responsabilité du drame à la Guilde. Mais c’est le jour et la nuit, par rapport à Apries Auletes : Ngozi Nahab est digne, froid, austère, compétent… et un peu inquiétant aussi – comme il a toujours été. Ipuwer essaye de lui faire croire que la menace ayant pesé sur Heliopolis, de la part de la Guilde, était délibérément dirigée contre la Maison mineure Nahab, mais il n’est guère doué pour ce genre de subterfuges, même s’il s’applique ; Ngozi Nahab n’y croit pas deux secondes. Il ne s’embarrasse pas de répondre, d’ailleurs – de manière générale, il ne le fait pas s’il n’y a pas absolue nécessité ou demande expresse. Mais Ipuwer devine son avis sur la question ; il devine aussi que le chef de la Maison mineure Nahab n’a pas manqué de noter que le siridar-baron s’adressait maintenant directement à lui, plutôt que de passer par Apries Auletes en guise d’intermédiaire avec la pègre… D’ailleurs, Ipuwer conclut sa communication en disant qu’il « ne sera pas oublié » quand il faudra songer à la reconstruction, à Cair-el-Muluk – et cette fois Ngozi Nahab laisse passer, délibérément à l’évidence, un large sourire.

IV : UN POISON

 

[IV-1 : Vat] Vat Aills a convoqué à Cair-el-Muluk des médecins compétents pour s’occuper des questions sanitaires et épidémiologiques dans la capitale, qu’il déploie afin de quadriller au mieux les zones sensibles – il faut porter une attention particulière aux points d’eau. Ses bons réflexes en arrivant, et sa capacité à s’entourer de médecins compétents, jouent en sa faveur, mais il n’est guère formé à gérer des opérations de cette ampleur : ça devrait aller, mais quelques délais sont sans doute à envisager.

 

[IV-2 : Vat : Taho ; Bermyl] Mais Vat a d’autres tâches à effectuer – et il lui faut notamment se livrer à un examen du cadavre de Taho (qui avait été déposé à la morgue dans ses services ; dans l’agitation de la tempête, personne ne s’en est encore occupé) ; le Docteur Suk connaît les circonstances de la mort du loyal agent en raison du rapport de Bermyl il s’est précipité sur lui dans la rue, l’air affolé, s’est effondré dans ses bras et a rendu son dernier soupir ; Vat sait aussi que Bermyl a été affecté par le poison responsable de la mort de Taho, mais trop faiblement pour que cela présente un réel danger – la mithridatisation à laquelle se livre le maître assassin a pu le protéger ; hélas, Bermyl est parti pour Heliopolis sans que le Docteur Suk ait pu lui prélever du sang ou d’autres échantillons… Cela peut laisser supposer une transmission cutanée – mais on peut envisager des modes plus précis, le sang, la transpiration, etc.

 

[IV-3 : Vat : Taho ; Bermyl] Vat avait pu croiser Taho dans le Palais : un beau jeune homme, aux traits quelque peu androgynes, voire elfiques… Le cadavre témoigne cependant de son empoisonnement, au-delà de la rigor mortis : il a les traits tirés, des rides marquent son front, le pourtour de ses yeux est très sombre, et ses veines, sur tout son corps, ressortent, bleues et saillantes (ce dernier symptôme était également sensible chez Bermyl, mais pas les autres). Mais impossible de déterminer quoi que ce soit sur la base de ces seuls symptômes très apparents, même s’ils vont dans le sens d’un principe de transmission cutanée.

 

[IV-4 : Vat : Bermyl, Elihot Kibuz] Vat se livre donc à un examen plus approfondi. Très vite, sans même identifier très précisément le toxique, il peut supposer qu’il n’y a pas lieu de redouter un poison particulièrement rare : ces symptômes laissent plutôt envisager l’emploi d’une substance somme toute banale (plusieurs pourraient correspondre), ce qui ne rendra que plus difficile la tâche de désigner un mode opératoire particulier – propre à telle Maison, par exemple ; ceci, de toute façon, ne serait pas du ressort du Docteur Suk, mais plutôt de Bermyl (évidemment, Elihot Kibuz, en tant que principal suspect, est hors-jeu…). Ce poison mis à part, comme de juste, le corps de Taho était celui d’un jeune homme en bonne santé. L’examen du Docteur Suk n’a guère d’autres résultats médicaux à livrer – et l’approche plus « policière » ne donne pas grand-chose, Vat ne sait pas dans quelle direction chercher.

 

[IV-5 : Vat : Taho ; Bermyl] Cependant, les poisons qui pourraient correspondre, à la connaissance du Docteur Suk, ont un effet rapide, et Bermyl n’a donc rien à craindre maintenant : si le poison avait dû le tuer, il l’aurait déjà fait. Par contre, on peut supposer que l’empoisonnement de Taho avait sans doute été calibré pour affecter aussi Bermyl – la durée, peut-être, et la résistance aux poisons du maître assassin, lui ont permis de s’en tirer à bon compte, mais il était probablement une cible indirecte.

 

[IV-6 : Vat : Bermyl, Hanibast Set] Vat sait qu’il n’en tirera rien de plus – pour l’heure, du moins. Il rédige un rapport à destination de Bermyl (qui est en route pour Khepri), mais aussi pour Hanibast Set – le Docteur Suk suppose que les capacités de déduction du Conseiller Mentat pourraient s’avérer utiles pour en savoir davantage.

 

[IV-7 : Vat, Ipuwer] Vat retourne ensuite à ses tâches d’ordre sanitaire – en liaison avec Ipuwer, qui gère (avec compétence, si guère d’autorité) le rapatriement des troupes du Mausolée et des autres bases temporaires dont le maintien n’est pas prioritaire en cette heure de crise ; il s’adjoint les services de Kiya Soter à cet effet.

 

[IV-8 : Vat : Ipuwer, Anneliese Hahn] Quand Vat lui fait son rapport, Ipuwer l’enjoint aussi à se rendre au chevet d’Anneliese Hahn, ce qu’il fait aussitôt. Un examen médical superficiel confirme qu’elle n’a pas de blessures physiques – tout au plus quelques égratignures. Sur ce plan, elle est en parfait état. Au moral, c’est autre chose… Mais son état empêche d’en savoir plus pour l’heure ; elle a de toute évidence besoin de repos, et le Docteur Suk lui donne un tranquillisant. Il redoute une chose, cependant – s’agit-il bien de « la vraie » Anneliese Hahn, de « l’originale » ? Un examen plus approfondi serait nécessaire pour avoir une certitude à cet effet, examen auquel il ne peut pas se livrer maintenant.

V : UN POISSON

 

[V-1 : Németh, Bermyl : Apries Auletes, Ipuwer, Iapetus Baris] Après la poussée d’adrénaline qui les avait maintenus éveillés jusqu’alors, Németh et Bermyl, conscients que leur corps ne pourra pas encaisser longtemps pareil surplus d’activité, profitent de leurs voyages respectifs à destination d’Heliopolis, de quatre heures environ, pour se reposer un peu. Ils arrivent peu ou prou en même temps à l’astroport, où Apries Auletes a suivi à la lettre les consignes d’Ipuwer. La Guilde, avertie de la venue de Németh et Bermyl, a tenu à leur disposition un vaisseau d’interface spécial, et ils montent à bord, direction la lune de Khepriet un entretien tendu avec Iapetus Baris.

 

[V-2 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris, Ra-en-ka Soris, Ipuwer] Montés à bord de la navette à destination de Khepri, Németh et Bermyl discutent de leur approche. Németh doit rencontrer Iapetus Baris – mais ce sera un entretient de pure forme, car chacun sait très bien ce qu’il en est. Peut-être Bermyl devrait-il alors enquêter auprès de Ra-en-ka Soris ? Toute information serait bonne à prendre – mais tout particulièrement concernant les deux mystérieux Navigateurs qui s’étaient rendus sur Khepri il y a quelque temps de cela… Bermyl a cependant de nombreuses questions de sécurité en tête, et souhaite veiller sur Németh – il ne pense pas que la Guilde, ou du moins Baris (car il ne conçoit par ailleurs pas que la Guilde puisse être « inféodée » au Bene Tleilax), tentera quoi que ce soit ici, mais, dans ces circonstances, on n’est jamais trop prudent… Il souhaite donc accompagner Dame Németh auprès du représentant de la Guilde Spatiale ; ils pourront voir Ra-en-ka Soris ensemble par la suite – elle a beaucoup de choses à voir avec lui, il serait regrettable que Bermyl soit seul à s’entretenir avec le chef de la Maison mineure marchande Soris… Par ailleurs, la « couverture » de Bermyl ne leurre certainement pas la Guilde, il n’a rien à perdre à cet égard. Németh est d’abord hésitante, mais se plie enfin aux recommandations de son maître assassin. Mettre ainsi en avant que la Maison Ptolémée « se méfie » pourrait d’ailleurs inciter des éléments « secrets » (les Navigateurs anonymes ?) à passer à l’action et à les contacter ? C’était ce qu’Ipuwer pensait...

 

[V-3 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris, Ipuwer, Ra-en-ka Soris, Vat Aills, Soti Menkara, Ngozi Nahab] Difficile de « présager » grand-chose concernant Iapetus Baris (Bermyl est cependant convaincu que le Navigateur a, de son côté, prévu leur visite, et la possibilité qu’ils « déballent tout », comme Ipuwer le leur avait suggéré avant leur départ)… mais Németh et Bermyl profitent de ce trajet pour faire le point concernant Ra-en-ka Soris et l’aide qu’il pourrait leur apporter. Le vieux bonhomme s’est toujours montré très sympathique à leur égard (Németh et Vat lui ont rendu visite à plusieurs reprises), loyal (même s’il faut prendre en compte son rapprochement récent avec Soti Menkara contre Ngozi Nahab ; cela n’affecte pas directement ses relations avec la Maison Ptolémée mais c’est tout de même un aspect à prendre en compte – en relevant que, dans cette affaire, Soris n’était visiblement pas très enthousiaste et donnait à tout prendre l’impression d’un homme à qui on avait forcé la main…), et éventuellement de bon conseil. Mais Németh et Vat ont eu l’occasion de percevoir une dimension déconcertante du personnage – qui est certes un bon marchand, mais relativement aveugle sur les plans social et politique : un peu « autiste », Ra-en-ka Soris est souvent totalement inconscient de ces réalités qui le dépassent – ou, plus exactement, il n’en mesure pas la portée, généralement. Il bénéficie par contre d’une force de concentration et d’une capacité de calcul, disons, hors du commun (pour un non-Mentat, mais sans doute use-t-il de divers expédients pour accroître encore ses capacités de calcul et de projection, des drogues notamment) : s’il est un bon marchand, c’est parce qu’il sait compter. Mais il est aux premières loges, sur Khepri : peut-être ne pensera-t-il pas de lui-même à « révéler » des choses importantes – mais, en le « guidant », il devrait être possible d’en retirer bien des informations intéressantes : il faut simplement le mettre sur la bonne voie – les Ptolémée ont eu l’occasion de voir ce que cela pouvait donner concernant les « cargaisons disparues ».

 

[V-4 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Németh et Bermyl arrivent sur Khepri. Sans plus attendre, ils se rendent très officiellement à la représentation de la Guilde sur le marché-franc, exigeant de voir Iapetus Baris. Mais le Navigateur et ses services, à leur habitude, les font d’abord patienter un bon moment… Leur moyen habituel de rappeler qui est le maître, ici. Németh n’est pas reçue avant trois quarts d’heure – durant lesquels elle fulmine et ne cesse d’interpeller les agents de la Guilde, afin de susciter le scandale ; ce qui ne produit certes aucun effet : « le représentant Iapetus Baris vous recevra bientôt... » Pas d’autre réponse. C’est la Guilde : elle « accorde » des audiences, elle « octroie » des faveurs… Il en a toujours été ainsi, et c’est bien une chose qui ne changera jamais : Németh, et les Ptolémée avec elle, peuvent être tentés de se poser en « partenaires » de la Guilde, mais cette dernière est plus pragmatique – elle se sait infiniment supérieure à la médiocre Maison Ptolémée, qui n’est certes pas en position « d’exiger » quoi que ce soit : la Guilde est surpuissante, aussi n’a-t-elle pas à se montrer courtoise, et les faufreluches ne s’appliquent pas vraiment à son cas.

 

[V-5 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Puis un domestique – même pas déférent – annonce que le représentant Iapetus Baris va recevoir Németh et Bermyl dans la salle d’audience. Les Ptolémée s’y rendent, et y trouvent le Navigateur, indescriptible, flottant dans sa cuve – deux de ses agents, d’apparence encore humaine, restent à ses côtés. La salle est bien sûr sécurisée, et entièrement protégée par des cônes de silence propres à la Guilde (et qui empêchent tout enregistrement). Baris salue froidement « Dame Németh », sans s’enquérir de la raison de sa visite. Németh réclame des « éclaircissements » sur la cause des milliers de morts qui ont endeuillé Gebnout IV la veille, et rappelle les « engagements » de la Guilde en matière de contrôle climatique ; à sa connaissance… Baris l’interrompt – indéchiffrable sous son aspect résolument non humain, mais clairement pas le moins du monde impressionné : « À votre connaissance ? » Németh est un peu déstabilisée, mais poursuit : ces phénomènes ne sont pas normaux sur Gebnout IV, ils ne peuvent qu’avoir été provoqués. « Et ? » Németh insiste : ils ont un contrat, dont les termes doivent être respectés ! Iapetus Baris lui demande si elle compte intenter un procès à la Guilde devant le Landsraad. Németh dit que la Maison Ptolémée « étudiera toutes les possibilités ». Silence… Puis Iapetus Baris ajoute laconiquement : « Bien. Autre chose ? » Németh s’attendait à ce genre de discussion, mais n’en est pas moins décontenancée par la sécheresse du Navigateur ; cependant, elle parvient dans l’ensemble à se contrôler – sa discipline paye en définitive. Toutefois, il est impossible de le « lire », du fait de son apparence, et les agents mutiques qui l’accompagnent, s’ils ont toujours un aspect humain, ne sont guère plus déchiffrables – c’est comme s’ils n’avaient pas d’âmes, d’une certaine manière. Németh avance enfin que les Ptolémée ont « des alliés ». Iapetus Baris ne répond pas.

 

[V-6 : Bermyl, Németh : Iapetus Baris] Bermyl glisse à l’oreille de Németh qu’elle devrait lui demander de s’expliquer sur le « dysfonctionnement » qui a provoqué la tempête, de manière plus précise – car elle est restée très évasive à ce sujet. Ce que fait Németh – qui décide d’évoquer en outre la Tempête permanente dans le Continent Interdit : s’il ne leur dit rien à ce propos, alors elle saura à quoi s’en tenir ! Mais Baris lui rétorque qu’elle sait déjà à quoi s’en tenir… « Un dysfonctionnement. Un léger dysfonctionnement. Un problème vite réglé, et tout va maintenant pour le mieux. Les satellites de la Guilde, en orbite autour de Gebnout IV depuis des millénaires, ont pu connaître un léger raté – c’est dans l’ordre des choses : ces technologies vous dépassent, de toute façon. » Németh exige un rapport écrit et détaillé sur ce « dysfonctionnement ».

 

[V-7 : Bermyl, Németh : Iapetus Baris ; Rauvard Kalus IV] Bermyl, qui perçoit bien que Németh est contenue par le protocole, décide de brusquer les choses en prenant la parole, en surjouant l'homme du commun : Iapetus Baris se moque d’eux ! La Tempête du Continent Interdit, est-ce encore un « dysfonctionnement » ? Et la catastrophe climatique qui a affecté Cair-el-Muluk et les archipels à l’est de la capitale, elle n’a bien évidemment aucun rapport avec les investigations menées par la Maison Ptolémée sur ce phénomène clairement artificiel dans le grand désert de sable ? La Maison Ptolémée est certes de peu de poids face à la Guilde – mais l’affaire sera bien portée devant l’Imperium, car elle dépasse la seule Gebnout IV ; et aussi puissante soit la Guilde, elle ne pourra s’en tenir à ce mépris inqualifiable quand la Maison Corrino et le Landsraad lui demanderont des comptes, ce qu'ils ne manqueront pas de faire ! Iapetus Baris prend son temps, mais répond – sur un ton différent : « Je crois que vous n’avez pas compris comment les choses fonctionnent dans l’Imperium. Vous n’arriverez certainement à rien de cette manière. Je ne vous présenterai pas d’excuses. La Guilde ne vous présentera pas d’excuses. Elle n’en présentera à personne, pas même à l’empereur Rauvard Kalus IV, pas même au Landsraad. Elle n’en a pas besoin. Nous sommes la Guilde. Nous sommes le pouvoir. » Bermyl rétorque qu’il n’attend pas d’excuses – ce qu’il dénonce, c’est que la Guilde « fricote » avec des « ennemis de l’Imperium », et ceci sera porté à l’attention des autres pouvoirs de la galaxie. Iapetus Baris émet comme un soupir : « C’est bien ce que je disais, vous ne comprenez pas comment les choses fonctionnent. Vous avez l’air horripilé par cette idée d’un simple dysfonctionnement, vous mettez en avant que c’est totalement improbable… Bien sûr que c’est totalement improbable. Mais c’est justement ce qui est magnifique dans cette situation : si d’autres factions venaient à enquêter sur ce qui s’est passé sur cette planète, nous leur répondrions exactement la même chose – qu’il s’agit d’un dysfonctionnement… Et tous comprendraient les implications de ce terme. » Bermyl l’interrompt : tous comprendraient que la Guilde s’est compromise avec le Bene Tleilax ? « Inutile d’envisager cette hypothèse. Non, ils comprendrait simplement que c’est la Guilde qui tire les ficelles – depuis le début, et pour l’éternité encore. Ils comprendraient que si la Guilde "ment" en parlant d’un "dysfonctionnement", ma foi, elle peut se le permettre, étant la plus puissante… Les autres intérêts de l’Imperium ne souhaiteront certainement pas souffrir à leur tour de ce genre de "dysfonctionnements" ; clairement, ils ne feront… rien. Personne ne fera jamais rien contre la Guilde. Ne le comprenez-vous toujours pas ? Croyez-vous que la menace d’un procès au Landsraad, ou que sais-je, dissuaderait d’autres "dysfonctionnements" ? Plus conséquents le cas échéant ? Vous le croyez vraiment ? » Bermyl est plus colérique que jamais – mais sait ne pas avoir d’arguments à lui opposer…

 

[V-8 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Németh n’est guère plus à l’aise… mais, si son « visage » demeure indéchiffrable, elle perçoit bien que Iapetus Baris, attiré sur un terrain moins protocolaire par Bermyl, jubile, d’une certaine manière, à faire la démonstration de sa puissance écrasante. Ce n’est certes pas un imbécile qui se laissera prendre au piège de la conversation, et sans doute ne dira-t-il pas davantage que ce qu’il devrait, mais il y a peut-être moyen de le titiller ?

 

[V-9 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Németh tente donc une autre approche : les choses sont claires, dit-elle, à un point près – est-ce à la Guilde qu’elle s’adresse, ou au Bene Tleilax ? À moins qu’il n’y ait pas de différence ? Qui dirige vraiment cet univers ? Iapetus Baris reprend, sur un ton subtilement différent : « Voyez les choses autrement. Nous autres à la Guilde n’avons aucun intérêt à nous... "séparer" des Ptolémée. Les Ptolémée ne sont certes pas grand-chose, mais, ma foi, en 5000 ans de présence conjointe sur cette planète, nous avons pu conclure des arrangements profitables aux deux partis – dans la mesure bien sûr où ces deux partis sont totalement asymétriques. Il n’y a aucune raison pour que cela cesse. Vous devez prendre conscience de ce que la Guilde peut faire en pareil cas – sur cette planète, sur d’autres, peu importe. Vous semblez croire que l’on peut nous menacer – or vous ne le pouvez pas, personne ne le peut. Personne ne peu arguer d’un vieux bout de papier et de quelques considérations éthiques ou religieuses en sus pour dire que la Guilde ne respecte pas ses "engagements" et qu’elle doit être sanctionnée : il n’y aura pas de procès, de quelque manière que ce soit, il n’y en aura jamais. Soyons francs – la Guilde pourrait atomiser la Maison Corrino, et on ne dirait pas autre chose, dans l’Imperium entier, que ceci : la Guilde a le pouvoir… Ce qui est la vérité. Et c’est la seule chose qui compte. Encore une fois, ce petit… "dysfonctionnement"… est un simple "rappel" de la situation dans laquelle se trouve la Maison Ptolémée, qui ne peut pas, ou ne devrait pas, succomber à la folie des grandeurs, ne serait-ce qu’en s’imaginant régner sur "sa" planète, non, nous savons très bien, vous et moi, ce qu’il en est. Quand un… "domestique" tend à devenir pénible de par son ambition, eh bien, on le remplace. Cela pourrait se produire – les candidats à la succession ne manquent pas. Mais pourquoi se séparer autrement d’un… disons, par exemple, un bon maître d’écurie, qui connaît ses chevaux, qui sait les soigner, les maintenir au meilleur de leur forme ? Si les relations entre la Guilde et la Maison Ptolémée peuvent demeurer cordiales, tout le monde en profitera. Ce "dysfonctionnement", dès lors, pourrait être perçu non pas comme une menace, ou un avertissement, mais comme… une main tendue. »

 

[V-10 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Mais Németh fait alors valoir que, si la Maison Ptolémée n’est rien aux yeux de la Guilde, ce n’est visiblement pas le cas de Gebnout IV. Pour le coup, Iapetus Baris marque un temps d’arrêt, puis revient à sa sécheresse originelle : « Et ? » Bermyl chuchote à l’oreille de Németh que c’est bien joué de sa part… et elle poursuit – en gardant pour elle le contenu implicite de sa remarque, mais peut-être le Navigateur la comprend-elle très bien : elle menace en fait la Guilde, peu ou prou, de faire sauter Gebnout IV ! Et, techniquement, c’est tout à fait possible... Németh poursuit donc dans cette voie : la Guilde fait aux Ptolémée la faveur de s’adresser à eux comme à des domestiques raisonnables ; sans doute sont-ils des domestiques, guère plus… mais sont-ils si raisonnables que cela ? Iapetus Baris, sur un ton plus nerveux, répond : « Vous êtes des marchands – il n’y a rien au monde de plus raisonnable que des marchands. Je ne peux toutefois exclure qu’avec le temps vous soyez devenus de mauvais marchands – et, encore une fois, on peut remplacer un employé devenu incompétent. Cela peut être désagréable, car il est toujours délicat de se séparer d’un petit personnel auquel on s’est attaché avec le temps… S’il faut le faire, nous le ferons. »

 

[V-11 : Németh, Bermyl : Iapetus Baris] Németh répond qu’elle le laisse à ses spéculations quant à ce que sont au juste les Ptolémée, et lui fait ses adieux – avec un signe de la tête à Bermyl pour qu’il la suive hors de la salle d’audience. Lequel s’exécute, non sans un dernier regard courroucé à l’adresse du Navigateur, accompagné d’un sarcasme sur le poisson dans son aquarium…

VI : AU CHEVET DE LA FINE LAME

 

[VI-1 : Ipuwer : Anneliese Hahn, Vat Aills] Après une courte nuit, trop courte sans doute, mais qui a permis à chacun de reprendre un peu ses forces après la tension de la veille, Ipuwer considère de son devoir de se rendre au chevet d’Anneliese Hahn – laquelle a réintégré ses quartiers, sous surveillance médicale. Il a pris connaissance du rapport de Vat Aills témoignant de ce qu’elle ne souffrait pas de traumatismes physiques.

 

[VI-2 : Ipuwer : Ludwig Curtius ; Anneliese Hahn, Namerta] Toutefois, avant d’aller la voir, Ipuwer prend soin de se renseigner auprès de son maître d’armes Ludwig Curtius (un Delambre également), qui l’a bien plus souvent vue que lui-même. Sans doute est-il meilleur escrimeur que psychologue, mais n’aurait-il pas quelque conseil concernant Anneliese Hahn ? Comment la sent-il ? Curtius a un temps d’arrêt, puis, assez froidement, concède qu’il a déjà vu ce genre de réactions – de la part de ces gens qui se croient infiniment supérieurs au reste du monde, et qui découvrent au pire moment qu’ils sont en fait comme les autres, ni plus ni moins… C’est ce qui s’est produit avec la jeune femme – et le choc en retour est proportionnel à la morgue qu’elle avait déployée durant toutes ces années. Et à raison, pour partie du moins : c’était assurément une brillante épéiste, probablement une des meilleures de tout l’Imperium… et issue d’une des meilleures familles… Consciente de ce qu’elle était un très beau partie, mais compensant ce statut par ce qu’il fallait de rébellion pour la rendre plus séduisante encore, et pimenter une existence qui lui aurait été autrement insupportable, car bien trop monotone. Mais elle n’était certes pas habituée à ramper dans la boue, à être bousculée par la populace, presque écrasée par elle, sans même avoir la moindre opportunité de faire la démonstration de ses talents avec une rapière en main… Qu’y a-t-il de plus à en dire ? Ipuwer suppose que Curtius a raison – et songe que son père Namerta avait très bien fait de l’envoyer, au cours de sa formation, auprès des militaires lambda de sa Maison, ce qui l’a beaucoup instruit : oui, il faut de temps en temps ramper dans la boue… Il va aller la voir – et lui proposer un entraînement commun ; Ludwig Curtius lui souhaite bonne chance…

 

[VI-3 : Ipuwer : Anneliese Hahn] Ipuwer se rend donc dans les quartiers d’Anneliese Hahn – dont il fait se retirer les domestiques présents (mais des gardes restent toujours à la porte). La jeune femme a pris une bonne douche et changé ses vêtements – ce qui produit un contraste avec le tableau pitoyable de la veille, et elle a récupéré un peu de son aura… mais guère, car tout cela demeure superficiel : dans ses yeux, dans ses attitudes et ses gestes, elle reste visiblement très affectée par son expérience. Et la morgue n’est plus de la partie : jusqu’à présent, chaque fois qu’Ipuwer l’avait rencontrée, elle se montrait d'emblée arrogante, et ne tardait guère, soit à lancer avec brutalité quelque remarque salace et crue, soit à offrir de manière insistante de lui livrer une humiliante leçon d’escrime… Ce n’est plus du tout le cas.

 

[VI-4 : Ipuwer : Anneliese Hahn ; Clotilde Philidor, Németh, Ludwig Curtius] Ipuwer s’enquiert de la santé d’Anneliese Hahn : tout va bien ? Comment se sent-elle ? Sans être totalement bloquée, sans être hostile non plus, elle est atone – et, assise au bord de son lit, elle garde les yeux fixés sur le sol. Ipuwer constate que son corps est rétabli, mais pas son âme… Veut-elle lui raconter ce qui lui est arrivé ? On l’avait fait chercher quand la tempête s’était mise à menacer, mais il avait été impossible de la trouver à temps pour qu’elle évacue Cair-el-Muluk avec sa cousine Clotilde Philidor ainsi que d’autres notables, sous la protection de NémethIl s’en excuse, un peu confusément, mais Anneliese Hahn perçoit sa sincérité sous la maladresse, ce qui n’est pas plus mal. Mais elle lui fait comprendre qu’elle n’a pas envie, pour l’heure du moins, d’en parler – nulle hostilité dans ces paroles : c’est factuel, d’une certaine manière. Ipuwer sent bien que ce n’est pas le moment, et il sait tout autant ne pas être le plus apte à la réconforter... Elle se confiera sans doute à un moment ou à un autre – mais probablement pas à lui, et certainement pas maintenant. Il se contente donc de lui offrir, quand elle sera remise, dès demain le cas échéant, d’échanger quelques coups d’épée en compagnie de Ludwig Curtius.

 

[VI-5 : Ipuwer : Anneliese Hahn ; Clotilde Philidor, Németh] Il précise enfin que Clotilde Philidor est en sécurité et en bonne santé, et qu’elle a fait part de son inquiétude la concernant – elle a été mise au courant de ce que sa cousine se trouve maintenant au Palais, loin de toute menace. Cela éveille très vaguement Anneliese Hahn, mais surtout car cela la surprend – et peut-être cela lui fait-il un peu honte ? Clotilde Philidor, dans l’ornithoptère avec Németh, avait fait part de son inquiétude concernant le sort de sa cousine – mais Anneliese Hahn n’a visiblement pas pensé un seul instant à Clotilde Philidor ; c’est comme si on lui rappelait son existence, et leurs liens familiaux… Et Ipuwer comprend bien que c’est la honte qui domine chez son invitée – la honte qui l’affecte depuis les tragiques événements de la veille, et qui se trouve encore renforcée, maintenant, par la prise de conscience de ce qu’elle n’a jamais pensé à qui que ce soit d’autre qu’elle-même sur le moment ; et, maintenant, elle s’en veut – ce qui ne se serait jamais produit un jour plus tôt. Ipuwer le comprend – et lui assure que « la boue, ça se lave » ; la veille, elle aura probablement réagi en lui collant une gifle, mais ce n’est plus le cas maintenant. Il insiste : elle se relèvera plus forte.

 

À suivre...

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Les Tragédies bourgeoises, t. 1, de Chikamatsu

Publié le par Nébal

Les Tragédies bourgeoises, t. 1, de Chikamatsu

CHIKAMATSU, Les Tragédies bourgeoises, t. 1, textes présentés et traduit du japonais par René Sieffert, [s.l.], Publications Orientalistes de France, coll. Les Œuvres capitales de la littérature japonaise, 1991, 301 p. [+ 8 p. de pl.]

 

« LE SHAKESPEARE JAPONAIS » ?

 

Je poursuis ma découverte progressive de la littérature classique japonaise avec, disons-le, un gros, un très gros morceau : Chikamatsu Monzaemon (1653-1725), né Sugimori Nobumori, considéré comme faisant partie des trois grands auteurs, globalement contemporains, de l’époque Edo, à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècles – si Bashô est le poète de son temps (et, non, merci, sans façon, en ce qui me concerne...), et Saikaku son romancier (là, oui !), Chikamatsu est son dramaturge.

 

L’Occident, toujours porté aux comparaisons jugées flatteuses mais mettant en avant sa propre culture, n’a dès lors pas manqué de qualifier Chikamatsu de « Shakespeare japonais », si tant est que cela veuille dire quelque chose. L’expression revient souvent, et jusque dans la longue et passionnante introduction de l’éminent traducteur et passeur René Sieffert (aux Publications Orientalistes de France, soit sa propre maison d’édition). Mais il en joue différemment, au fond, en reprenant le mot d’un traducteur et critique anglais qui, tout admirateur de Chikamatsu fût-il, affirmait et non sans raison qu’il n’y avait eu et qu’il n’y aurait jamais qu’un seul Shakespeare ; René Sieffert abonde, mais subvertit le mot : il n’y a eu et il n’y aura jamais qu’un seul Chikamatsu. Tâchons de voir pourquoi…

 

UNE ŒUVRE ABONDANTE, POPULAIRE ET INFLUENTE

 

Au fil d’une longue carrière s’étendant sur une cinquantaine d’années, Chikamatsu a livré plus de 150 pièces dans deux des trois registres classiques du théâtre japonais, le kabuki et, ce qui nous intéressera davantage, le jôruri, ou plus précisément le ningyô jôruri, c’est-à-dire le théâtre de marionnettes (que l’on appelle aujourd’hui le plus souvent bunraku, mais c’est une désignation bien plus récente) ; pour ce qui est du , ce n’est pas vraiment son registre, et il vaut mieux se référer, par exemple, à Zeami, qui lui est antérieur.

 

Mais cela va en fait plus loin que cela : concernant tout particulièrement le jôruri, Chikamatsu n’a pas seulement contribué, même abondamment, au répertoire – il a largement défini le genre même, qui acquiert avec lui ses lettres de noblesse, et tous les auteurs ultérieurs reprendront sans cesse les codes qu'il a dégagés.

 

Et ce sans véritablement avoir de prédécesseur : si Shakespeare, etc., pouvaient se référer aux tragédiens grecs, notamment, les auteurs japonais n’avaient semble-t-il pas vraiment ce genre de modèles prestigieux – même avec la Chine à côté, dont l’influence culturelle a bien sûr été cruciale. Qui plus est, outre ces modèles classiques absents, Chikamatsu devait composer avec la fermeture du Japon d’Edo (même avec ses quelques arrangements via les « études hollandaises ») ; pour René Sieffert, c’est là une dimension essentielle de l’auteur, et qui fait de son travail un tour de force sans commune mesure – ce qui justifie donc son « mot » concernant Shakespeare : Chikamatasu a fondé peut-être, remodelé au moins (et sur un mode définitif), codifié, critiqué, embelli, dépassé le théâtre japonais tout seul, d’une certaine manière, au cours d’une seule vie humaine…

 

À maints égards, Chikamatsu a d’ailleurs imposé dans ce domaine une forme de prédominance de l’auteur, là où, avant lui, on mettait en avant uniquement l’interprétation – par des acteurs qui étaient aussi chanteurs, et qui se livraient régulièrement à l’improvisation, ainsi dans le kabuki, et d’une manière qui peut rappeler, en Europe, la commedia dell’arte. Avec Chikamatsu, on s’attache davantage à un texte conçu à l’avance, et laissant moins de marge à l’improvisation, du moins en ce qui concerne les répliques – car ce texte demeure muet, le plus souvent, sur les indications de jeu, à la discrétion des interprètes, par ailleurs toujours à même de faire la démonstration de leurs talents de chanteurs, puisque chaque pièce comprend des passages chantés (les plus délicats à appréhender pour un lecteur occidental, par ailleurs…). Mais l’auteur a donc maintenant droit de cité – et la riche carrière de Chikamatsu, son succès populaire sur le moment, son influence incommensurable sur le théâtre ultérieur, doivent en fait pour une bonne part à une heureuse conjonction associant le bon auteur, le bon gérant de théâtre et le bon interprète (les deux derniers étant éventuellement une seule et même personne).

 

L’AIR DU TEMPS : LA BOURGEOISIE SUR LE DEVANT DE LA SCÈNE

 

Heureuse conjonction qui, bien sûr, doit aussi à l’air du temps… Chikamatsu, comme Bashô, comme Saikaku, était bien un homme de son temps, sans doute en était-il conscient d’ailleurs, et il a donc joué un rôle crucial dans l’évolution soudainement « bourgeoise » de la littérature classique japonaise – la parenté avec Saikaku est tout particulièrement marquée, car tous deux, loin de se complaire dans le seul registre « historique » avec ses nobles guerriers par paquets de douze (même s’ils ont aussi travaillé cette matière), ont eu l’audace de mettre en scène des bourgeois, des courtisanes, presque la lie de la société d’Edo dans le rigide système de castes des Tokugawa, d’inspiration néo-confucianiste – où il n'y avait guère que les burakumin pour être encore plus stigmatisés ; la lie, à ceci près que, principes ou pas, cette bourgeoisie de marchands disposait de la richesse... et bientôt du pouvoir ? Car, dans ce « monde flottant », celui de l’ukiyo-zôshi de Saikaku, mais aussi l’ukiyo-e des peintres, mouvement qui débute en gros à cette époque, si son âge d’or est un peu ultérieur, les bourgeois ont assurément leur place ; même plus au premier rang... mais sur la scène !

 

Il ne faut cependant pas s’y tromper : les vingt-quatre Tragédies bourgeoises rassemblées par René Sieffert dans cette édition en quatre tomes, dont voici le premier, comprenant six pièces comme les suivants, ne constituaient pas, du temps de Chikamatsu même, le versant de son œuvre qui suscitait le plus l’admiration des foules. En fait, à l’origine de ces pièces aujourd’hui jugées fondamentales, les circonstances ont eu un rôle crucial, et les textes en soi, d’abord des pis-aller d’une certaine manière, n’étaient pas tant considérés comme des œuvres en soi que comme des « bouche-trou » permettant de compléter une représentation autrement un peu courte.

 

« Un peu courte »… Selon les critères japonais du temps ! Car il faut bien intégrer que le théâtre japonais d’alors s’exprimait au travers de très, très longues représentations, durant une journée entière ! Quand on allait au spectacle, ce n’était pas à moitié…

 

Mais ces Tragédies bourgeoises, donc, ne constituaient pas, aux yeux mêmes de Chikamatsu comme des spectateurs de ses pièces alors, le cœur et l’essence de son œuvre (pour tout le monde, alors, ce sont les pièces historiques qui sont jugées prestigieuses, ce sont celles « qui comptent vraiment », le seul véhicule possible de l’art du dramaturge, avec ses codes, ses références et ses morceaux de bravoure). Ces pièces « vulgaires », si l’on ose dire, n’en ont pas moins eu, très tôt, un immense succès : la première pièce de Chikamatsu dans ce registre, Double Suicide à Sonézaki, était donc clairement conçue comme un bref bouche-trou, mais elle avait beaucoup plu – ce qui justifiait assurément que l’auteur, certes pas indifférent au succès commercial dans ce monde bourgeois, ait écrit vingt-trois autres pièces de jôruri dans le même registre… dont dix sur le même thème exactement, celui du « double suicide » (shinjû) ; « l’air du temps », plus que jamais...

LE THÈME ESSENTIEL DU SHINJÛ

 

Car ces Tragédies bourgeoises sont des sewa-mono, c’est-à-dire des pièces empruntant un cadre contemporain, et essentiellement inspirées par des faits-divers très récents, qui font l’actualité ou plus encore le scandale. Telle histoire qui passionne les bons bourgeois d’Ôsaka peut ainsi être mise en scène un ou deux mois seulement après les faits, et devenir œuvre théâtrale… Les noms sont parfois modifiés, ce n’est pas systématique, mais le propos demeure de toute façon limpide – au point où l’on ne peut plus parler d’allusions.

 

Le sewa-mono n’est pas à proprement parler une invention de Chikamatsu ; jeune homme, il assiste à des représentations de kabuki où les plus grands acteurs du temps improvisent sur de semblables faits-divers récents et que l’assistance entière connaît. Mais Chikamatsu, à partir de 1703 et du Double Suicide à Sonézaki, importe la matière dans le jôruri, et en imposant donc un texte en lieu et place de la seule improvisation virtuose.

 

Dès cette pièce, il use donc, et dès le titre, du thème du double suicide, ou shinjû, qui deviendrait emblématique du procédé, et serait par la suite presque tout naturellement associé à Chikamatsu (pas le seul cela dit à en faire usage). Sans trop m’étendre sur la question (je vous renvoie éventuellement à mon compte rendu de La Mort volontaire au Japon, de Maurice Pinguet), rappelons simplement que, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, le Japon a connu comme une « épidémie » de « doubles suicides », c’est-à-dire des « suicides amoureux », où les amants malheureux car victimes des circonstances préfèrent mourir ensemble plutôt que de vivre séparés.

 

Or c’est aussi l’époque des pièces de Chikamatsu – et onze d’entre elles, donc, mettent en avant ce thème précisément (dont cinq dans ce seul premier tome). Il n’est certes pas le seul à en faire usage, au théâtre ou dans une forme d’édition populaire qui se développe alors, et c’est au point où le shinjû devient littéralement omniprésent, devient, autant le dire, une mode – sous deux aspects, le geste suicidaire initial, et son exploitation littéraire ultérieure. Dès lors, on n’a pas manqué de supposer que ces pièces, etc., avaient leur part de responsabilité dans cette vague de « doubles suicides » ! Et si, par nature, les pièces de Chikamatsu ne sont intervenues qu’après les premières occurrences du fait-divers (tout spécialement celle de Sonézaki, sur laquelle il reviendrait sans cesse, et d’autres comme lui), il y a tout de même là une certaine ambiguïté…

 

Je crois que ce n’est pas tout à fait la même chose que les accusations idiotes que ne cessent encore de porter, contre ce qui les dépasse, tels imbéciles à la vue courte, pour qui le théâtre, les romans, les films, les jeux de rôle, les jeux vidéos, en attendant la suite, ne sauraient être autre chose que des catalyseurs de violence ou d’autres comportements antisociaux… Peut-on exclure, dans le cas des Tragédies bourgeoises de Chikamatsu (et de ses nombreux collègues, ou dans les feuilles populaires, etc.), l’éventualité que le traitement artistique du shinjû ait pu le rendre « séduisant » ? On peut supposer, j’imagine, et sans se montrer trop hardi, qu’il a pu y avoir comme une boucle de rétroaction en l’espèce – rendant comme telle parfaitement vaine la quête de la causalité, en définitive… Ce qui a peut-être été alors le point de vue des autorités – au niveau du shogunat d’Edo, ou à Ôsaka : elles ont fini par critiquer cet engouement morbide, et par en rendre responsable les théâtres – allant même, je crois, jusqu’à prohiber l’emploi du terme de shinjû au moins dans les titres des pièces, expédient éloquent quant à son impuissance en l’affaire.

 

Ceci étant, pour s’en tenir à Chikamatsu, les onze pièces traitant du « double suicide » ne se contentaient pas d’être de simples redites. Dans le présent premier tome, comportant six pièces (comme chacun des trois qui suivent), c’est le thème primordial, mais il est susceptible de divers avatars : le Double Suicide à Sonézaki en est l’expression la plus « pure » et, d’une certaine manière, la plus « sèche » ; Une chanson de Satsuma n’y renvoie que par la bande, et est à la lisière du sewa-mono – c’est par ailleurs une pièce « positive », « de début d’année » (j’y reviendrai), comportant des éléments marqués de comédie ; Deux Livrets illustrés pour un double suicide joue de l’ambiguïté d’un cas-limite, où le double suicide n’est pas « complet », puisque pas accompli au même endroit, et entame par ailleurs une forme de réflexion méta-textuelle sur le thème du shinjû depuis Double Suicide à Sonézaki ; les deux pièces qui « se suivent », Crêpe écarlate rutilant feuillage de la lune des deutzies (oui, c'est le titre) et Crêpe reteint à la lune des deutzies, présentent cette fois un double suicide « authentique », mais d’une certaine manière décalé dans le temps, puisque l’homme survit à sa tentative de suicide de la première pièce, pour mettre fin à ses jours dans la seconde, bien après son amante donc. La dernière pièce de ce premier tome, À Horikawa le tambour des vagues, ne traite pas d’un cas de double suicide, exceptionnellement.

 

Mais toutes ces pièces, en tant que sewa-mono, se fondent bien sur des faits-divers le plus souvent très récents, quelques mois à peine – à l’exception d’Une chanson de Satsuma, qui renvoie à quelque chose de plus ancien, d’une quarantaine d’années environ ; c’est décidément un texte à part dans ce recueil, et j’ai du mal à le qualifier de « tragédie bourgeoise ». En fait, cette désignation retenue par René Sieffert est éventuellement critiquable...

 

BOURGEOISES

 

La dimension bourgeoise, globalement, est indéniable. Le fait est que la plupart des personnages de ces pièces sont des bourgeois – mais ne pas se tromper sur le terme, en y associant des connotations de fortune pas toujours pertinentes : si les marchands occupent une place de choix dans ces pièces, certains d’entre eux sont passablement pauvres – et l’argent, pour un homme qui s'avère en fait démuni, peut avoir un rôle déclencheur dans le double suicide. C’est le cas, de manière marquée, dans Double Suicide à Sonézaki, mais aussi dans les deux pièces, qui se suivent, du Crêpe… D’autres marchands sont plus « confortables », mais les deux types, ensemble, constituent une représentation finalement assez étendue de la bourgeoisie d’Ôsaka – surtout : c’est la capitale économique du pays, et sauf erreur la ville japonaise la plus peuplée alors (la carrière de Chikamatsu a débuté à Kyôto, où il a beaucoup écrit pour le kabuki, mais il s’installe à Ôsaka à peu près à l’époque des pièces de jôruri compilées dans ce volume – et il n’y a probablement pas de hasard à cet égard, si d’autres dimensions, économiques ou même personnelles, expliquent ce « déménagement »).

 

En fait, la dimension bourgeoise peut, tout autant et éventuellement davantage, être envisagée comme mettant en avant la roture, disons – opposée aux samouraïs, aux bushi ; d'autant plus opposée, en fait, que les marchands représentent la caste la plus basse de la société d'Edo. Chikamatsu lui-même était issu d’une famille de samouraïs, mais cela faisait plusieurs générations que ses ancêtres s’étaient tournés vers la médecine – ce qui était à l’origine sa propre vocation. Mais, visiblement, il ne porte pas les samouraïs dans son cœur… Il les raille volontiers dans ces pièces de jôruri, ces sewa-mono plus précisément (je suppose qu’il n’en va pas de même pour ses pièces historiques – même si l’actualité pouvait en fait ressurgir là encore : ainsi de l’affaire des quarante-sept rônin, toute récente, et qui a inspiré à Chikamatsu plusieurs pièces – un volume des Publications Orientalistes de France, sous la direction de René Sieffert, en rassemble sauf erreur deux, associées à deux autres pièces sur le même thème qui ne sont elles pas dues à notre auteur ; j’ai ça, je le lirai un de ces jours). Bien sûr, on peut supposer qu’il en rajoute un peu – car son public bourgeois se régalait sans doute à ces moqueries pour ces bushi intransigeants et hautains, qui les spoliaient du pouvoir politique alors même que leur fonction de guerriers avait quelque chose de totalement absurde dans le Japon pacifié d’Edo… Deux de ces six pièces usent de semblables personnages : Une chanson de Satsuma, pas tout à fait un sewa-mono donc, et une pièce « de début d’année », et À Horikawa le tambour des vagues ; la première a quelque chose de léger et propice à la comédie, grivoise le cas échéant, là où la seconde, même si pas totalement dénuée d’aspects humoristiques, est globalement bien plus grave, et, surtout, perfide, voire colérique : Chikamatsu se moque de ces samouraïs qui semblent juger « honorable » de massacrer des femmes ou des bourgeois sans défense – mais c’est une raillerie imprégnée de fiel… Reste que ces deux pièces sont « à part » dans ce volume, et, pour le coup, pas vraiment « bourgeoises », ou pas totalement dans le second cas – outre qu’Une chanson de Satsuma n’est pas une tragédie à mes yeux.

 

Mais ces considérations sur la bourgeoisie et la roture s’appliquent bien sûr avant tout aux hommes, dans ces pièces. Le cas des femmes est tout autre – car elles sont reléguées peu ou prou à deux rôles, l’épouse ou la courtisane ; leur statut « bourgeois » ou « samouraï » relève alors de la répercussion via les hommes en cause. Ces deux archétypes, cependant, peuvent prendre des formes en définitive assez variées, tout particulièrement sur le plan éthique – des plus admirables aux plus méprisables. Noter une chose, toutefois : dans les pièces de shinjû, ce sont systématiquement les femmes qui proposent le double suicide à leurs amants – ce qui correspondait parfois aux faits, mais pas toujours : Chikamatsu, dans ses sewa-mono, se montrait généralement assez fidèle aux événements, mais pas au point d’abandonner toute marge de manœuvre ; bien au contraire, dans l’intérêt de l’art, il se ménageait toujours des espaces de liberté – et à bon escient, parce que c’est souvent dans ces entorses à la réalité que se situent les plus beaux moments des pièces...

 

DES TRAGÉDIES ?

 

Mais qu’en est-il donc de la dimension « tragédie », mise en avant dès le titre par René Sieffert ? Elle me paraît beaucoup plus critiquable – j’aurais plutôt parlé de « drames » pour ma part, mais, certes, je manque de bagage et c’est peu dire…

 

À l’évidence, ce que nous raconte ici Chikamatsu n’est guère joyeux – a fortiori avec un thème omniprésent comme le double suicide ! Mais, ne pas s’y tromper, ces pièces ne sont pas unilatéralement « tragiques » : en fait, nombre d’entre elles (à l’exception notable de la première, d’où cette impression de « sécheresse » que je mentionnais plus haut) comprennent des éléments de comédie – et je suppose que cela peut bel et bien, cette fois, rapprocher Chikamatsu de Shakespeare ? Mais je ne devrais pas m’avancer sur ce terrain que je ne maîtrise pas le moins du monde…

 

Quoi qu’il en soit, ces inserts comiques peuvent prendre des formes très diverses : dans Deux Livrets illustrés pour un double suicide, par exemple, Chikamatsu s’auto-parodie (j’y reviendrai, c’est un point qui me paraît très intéressant à relever) ; les deux pièces du Crêpe..., peut-être pourtant les plus « tragiques » et poignantes du lot, contiennent une part non négligeable de satire, visant tant les bourgeois obsédés par leur commerce que les devineresses qui, au fond, sont leurs collègues en cupidité ; et dans À Horikawa le tambour des vagues, l’héroïne sous l’emprise du saké, car elle a un faible pour l’alcool, suscite quelques moments cocasses… même si, bien sûr, le spectateur/lecteur sait qu’il en découlera en fait des conséquences tragiques.

 

Il est un cas à part, et c’est la deuxième pièce, Une chanson de Satsuma. Même si elle use du thème (ou du procédé) du shinjû, cette pièce, dont j’ai déjà noté qu’elle n’était pas vraiment, voire pas du tout, « bourgeoise », ne me paraît pas davantage « tragique ». La comédie l’emporte clairement, avec la revue des valets qui ouvre la pièce et, surtout, des travestissements nombreux au sous-texte salace ; et le double suicide qui conclut la pièce « finit bien », puisqu’une intervention totalement miraculeuse, à la façon d’un deus ex machina, permet aux deux suicidants de survivre à leur geste fatal, et, mieux encore, de vivre ensemble et très heureux après cet « écart » ! Il y a une raison à cela : il s’agissait d’une pièce « de début d’année », et l’on jugeait qu’il aurait été « de mauvais augure » qu’elle se termine mal, dans ces circonstances : le public de la pièce désirait une fin heureuse, et une fin triste l’aurait sans doute « choqué », d’une certaine manière… Chikamatsu, et sans forcément que ce soit à regret, s’est donc plié à cette tradition plus ou moins formalisée. Notons au passage que Saikaku, quelques années plus tôt, avait raconté la même histoire dans un de ses romans, et lui avait lui aussi conféré une fin positive pour des raisons éditoriales assez proches (rappelons que l’anecdote fondant les deux récits était relativement ancienne, d’une quarantaine d’années à l’époque de la pièce, le roman de Saikaku ayant été publié vingt ans plus tôt ; elle avait d’ailleurs été traitée par bien d’autres auteurs que nos deux illustres « grands », et notamment sous la forme de la chanson populaire d’où dérive le titre de la pièce de Chikamatsu). Aussi ne puis-je envisager cette pièce comme une tragédie, et comme bourgeoise – par rapport au titre du recueil, elle est clairement en porte-à-faux.

LA STRUCTURE DES PIÈCES

 

Est-ce alors la « technique » qui fait que l’on peut qualifier ces pièces de « tragédies » ? C’est ce qu’avance semble-t-il René Sieffert, mais je ne suis guère plus convaincu. Cela implique d’envisager la structure des pièces dans leur ensemble – après quoi il faudra envisager leur forme, qui est liée.

 

Un point colle, sans doute, et c’est la structure en trois actes, systématique dans ces pièces. Le problème est ailleurs, et concerne les canons de l’unité de temps, et de l’unité de lieu. Sous ces deux aspects, la première pièce, Double Suicide à Sonézaki, fait illusion – elle respecte bien ces deux procédés, délai très bref et espace restreint, avec juste une petite variante, mais d’ordre essentiellement symbolique : le « cheminement » des amants vers le lieu où ils se donneront la mort, c’est-à-dire le michiyuki, qui est une des parties chantées de la pièce – c’est là un modèle qui sera sempiternellement repris dans les pièces suivantes, et le michiyuki était souvent perçu comme le point d’orgue des pièces, car celui où l’interprète pouvait exprimer sa virtuosité dans le chant. L'absence de décor dans le jôruri d'alors pouvait d'ailleurs renforcer cette impression d'unité de lieu.

 

Mais les autres pièces ne me paraissent pas correspondre à ce supposé principe : Une chanson de Satsuma s’étend sur plusieurs années, et implique des distances notables (c’est même un thème de la pièce, car le lointain fief de Satsuma, tout au sud de Kyûshû, y fait presque figure de terre barbare, et d’autant plus qu’il y est associé aux îles Ryûkyû, plus lointaines encore, et même pas japonaises à l’époque). Deux Livrets illustrés pour un double suicide affiche dans son principe même, et éventuellement dans son titre, que l’unité de lieu n’est pas respectée (même si Chikamatsu en joue pour la scène du michiyuki, de manière très maligne). Crêpe écarlate rutilant feuillage de la lune des deutzies pourrait à nouveau faire illusion, mais sa « suite », Crêpe reteint à la lune des deutzies, se déroule en deux endroits complètement différents, et s’étend là encore sur plusieurs mois. De même pour À Horikawa le tambour des vagues. Noter enfin que, dans plusieurs de ces pièces, on change de lieu à l’intérieur même d’un acte (le cas le plus flagrant étant peut-être l'acte II de Crêpe reteint à la lune des deutzies.

 

Mais c’est du pinaillage, j’imagine...

 

LA FORME DES PIÈCES

 

Quelques mots toutefois sur la forme des pièces – ce qui va au-delà de leur structure en trois actes, systématique.

 

Un point important à noter est que figure, dans chacune de ces pièces, plusieurs parties chantées, dont deux sont plus particulièrement importantes : celle qui ouvre la pièce, et celle qui, dans les pièces de shinjû, correspond au michiyuki. C’était un élément capital dans le jôruri, car le moment où l’interprète pouvait faire la démonstration de toute sa virtuosité – au point parfois où ces parties chantées étaient ensuite reprises par les spectateurs, devenant ainsi des chansons populaires ; c’est même une chose que Chikamatasu mentionne expressément – et par rapport à ses propres pièces, à deux reprises au moins dans ce volume ! Mais, pour un lecteur français, ces parties chantés – identifiées par l’emploi des italiques et l’absence de ponctuation – sont très problématiques… En effet, les codes japonais voulaient qu’elles soient d’une certaine manière hermétiques – ce qui peut renvoyer au théâtre , pour le coup, dont René Sieffert explique en introduction qu’il fascinait d’autant plus les Occidentaux qu’ils n’y comprenaient tout d’abord rien… En outre, ces parties chantées sont, dans le texte original, très riches de jeux de mots absolument intraduisibles (et éventuellement un peu gratuits…). C’est au point où, parmi les traducteurs du japonais, s’est posée la question : qu’en faire ? Plusieurs solutions ont été envisagées – incluant l’omission pure et simple ! Sinon, le rendu du « sens » s’il y en a un, le rendu phonétique, le rendu littéral – c’est ce dernier choix qui a été ici celui de René Sieffert. Et… Oui : c’est parfaitement incompréhensible.

 

D’autant, mentionnons-le à tout hasard, que René Sieffert, qui évoque la question dans son excellente introduction, a fait le choix de ne pas alourdir sa traduction par des notes – et ce de manière générale ; il y a bien un paratexte, consistant en une longue introduction et une très brève présentation, en deux pages à chaque fois, de chacune des pièces (en associant toutefois celles du Crêpe…), mais rien de plus ; le quatrième et dernier tome, semble-t-il, contiendrait un paratexte d’ensemble revenant sur les vingt-quatre Tragédies bourgeoises. On peut certes s’en passer pour les parties « normales » de la pièce, même si certaines assurément auraient été éclairantes – mais ces parties chantées, riches de clins d’œil et d’allusions accessibles aux seuls spectateurs japonais d’alors, n’en sont que plus hermétiques…

 

Cette difficulté mise à part, il faut relever un aspect peut-être étonnant pour les lecteurs occidentaux – car ces pièces de Chikamatsu ne sont pas formellement présentées comme le théâtre que nous connaissons, ainsi avec l’identification systématique des personnages en train de s'exprimer, ou les didascalies. Tout passait à l’origine, sauf erreur, par un unique interprète manipulant les marionnettes ; dès lors, cet interprète, « l’acteur » de la pièce, en récitait le texte (et le chantait parfois, donc), à la manière d’un chœur, décrivant le cas échéant les actions de ses marionnettes, mais aussi le décor brillant par son absence, en sus de tout ce que les pantins ne sauraient pouvoir exprimer : de fait, les pièces ont plutôt une allure de nouvelles, avec un narrateur omniscient, des répliques identifiées par les guillemets ou les tirets, des « dit-il », etc. Par contre, on ne trouve pas du tout d’indications de jeu dans le texte – cela, ce n’était pas à la charge de l’auteur, mais de l’interprète, qui, pour le coup, retrouvait dans ce domaine une marge de manœuvre dont le texte de Chikamatsu pouvait le priver en revenant sur le principe classique d’improvisation des répliques. L’impression de lire des nouvelles n’en est que plus forte.

 

L’AUTEUR RÉFLÉCHISSANT SUR SON ART

 

Enfin, un autre aspect fascinant de l’art de Chikamatsu est sa capacité à l’interroger lui-même. Dans cet ouvrage, cela ressort d’abord d’un très curieux texte dont René Sieffert donne quelques extraits dans son introduction – un entretien (posthume) avec l’auteur, le fait d’un passionné de théâtre et notamment de jôruri du nom de Hozumi Ikan, qui en avait fait la préface de son livre Naniwa miyagé, paru en 1740 (soit quinze ans après la mort de Chikamatsu). C’est une occasion saisissante de découvrir combien Chikamatsu a révolutionné le théâtre japonais, au travers d’une œuvre qu’il n’hésitait par ailleurs pas à remettre lui-même en question – et l’occasion aussi, peut-être, de témoigner de ce que les contemporains de Chikamatsu, ou certains d’entre eux du moins, pouvaient avoir conscience d’avoir affaire à un génie, dont le succès commercial n’avait d’égal que le talent artistique. Un document du plus bel intérêt, dont je ne sais s’il existe une traduction complète… Mais en voici un passage qui m’a semblé tout particulièrement intéressant :

 

« L’art est quelque chose qui se tient dans l’infime membrane qui sépare la vérité du mensonge. Il est exact que l’on s’ingénie de nos jours à reproduire la réalité au plus près, et que l’on prétend, par conséquent, dans un rôle de karô, reproduire le comportement et le discours d’un véritable karô, mais alors, a-t-on jamais vu le vrai karô d’un daïmyô se barbouiller le visage, comme le fait l’acteur, de rouge et de blanc ? Que si, par contre, sous prétexte qu’un vrai karô ne se farde point, l’acteur voudrait interpréter le rôle en se présentant sur la scène avec une barbe hirsute ou le crâne dégarni, où serait le divertissement ? L’infime membrane se situe dans l’espace qui sépare les deux, précisément. L’art est mensonge qui n’est pas mensonge, vérité qui n’est pas vérité, et le divertissement est dans l’intervalle entre les deux.

 

« Certaine dame du Palais avait un amant et ils éprouvaient l’un pour l’autre une vive passion, mais comme la femme vivait tout au fond des somptueux appartements auxquels l’homme n’avait pas accès, et qu’elle-même n’avait que très rarement l’occasion de l’entrevoir par les interstices d’un store, son désir de l’avoir près d’elle fut si fort qu’elle fit sculpter une image en bois de cet homme, image qui, à la différence d’une statue ordinaire, ne s’écartait pas d’un poil du modèle ; elle en avait fait reproduire les couleurs et le teint, cela va sans dire, et jusqu’au moindre pore de sa peau, de sorte que les orifices du nez ou des oreilles, ainsi que les dents de la bouche, avaient la forme et les dimensions exactes de l’original. Comme on avait façonné ce simulacre en présence de l’homme, la seule différence entre l’un et l’autre était dans le fait que l’un était animé, et l’autre non, mais lorsque la femme put voir l’image à ses côtés, cette imitation, pour parfaite qu’elle fût, la déçut au point qu’elle en éprouva une indicible horreur. Tant et si bien que son amour s’éteignit sur l’heure et que, ne pouvant supporter la présence de cet objet, elle le fit jeter dehors, dit-on.

 

« Tout bien réfléchi, à la lumière de cet exemple, quiconque prétendrait reproduire tel quel un être vivant, fût-ce une beauté comme Yô Kihi [Yang Guifei], ne manquerait pas de décevoir. Voilà pourquoi, et encore que toute image soit chose vaine, si, tout en reproduisant les formes par le pinceau ou le bois sculpté, et en s’attachant à le faire ressembler au modèle, on en traite néanmoins certaines parties à grands traits, c’est ceci, en définitive, qui sera le germe de la séduction qu’elle opérera sur les esprits. Le talent consiste donc, dans la recherche de la ressemblance avec l’original, à laisser subsister des parties tout juste esquissées, et c’est cet artifice même qui touchera les cœurs. Dans un dialogue dramatique de même, l’on aura souvent intérêt à user de pareils procédés. »

 

Mais, dans le cadre même de ce premier tome, cela va en fait bien plus loin, et c’est une chose qui m’a… fasciné ? Le mot n’est peut-être pas trop fort… Car Chikamatsu, dans ces six pièces, se livre parfois à une forme de méta-récit qui interroge directement son art, mais aussi le théâtre en général et son impact sur les spectateurs. On le voit ainsi faire des allusions à ses propres pièces, et notamment le Double Suicide à Sonézaki, mais aussi éventuellement à ses pièces historiques – le cas échéant, il s’auto-parodie, avec la complicité narquoise de ses spectateurs ! Mais il se montre parfois plus simplement factuel, en ce qui le concerne au premier chef, pour envisager de manière plus sérieuse l’art théâtral, ses procédés, ses effets sur le public – en fait, dans ses pièces de shinjû, Chikamatsu lui-même « s’inquiète » (sincèrement ?) de la « mode » du double suicide, et de l’attrait morbide éprouvé par les spectateurs pour ces faits-divers sordides à l'origine de ses propres pièces…

 

En fait, Chikamatsu est d’une certaine manière impitoyable – pour son art, pour ses sujets, pour ses personnages, pour son public. Et, tout en s’acquittant de sa tâche avec tout le brio que l’on est en droit d’atteindre d’un immense artiste tel que lui, qui était tout autant un auteur populaire, il n’épargne pas ses « clients » de ses piques, et au-delà des seules perfidies portant sur l’éthique bourgeoise – ainsi dans À Horikawa le tambour des vagues, pièce dont le titre, si « poétique » à nos yeux, déborde en fait de significations ; car l’histoire met bien en scène un maître de tambour… à ceci près que Horikawa, par contraste, désigne un ruisseau certes pas à même de produire des vagues, tambour ou pas ; dès lors, ce titre se veut d’une certaine manière une critique du contenu même de la pièce, basée sur une anecdote scabreuse mais, hélas, banale également – et on pourrait donc le rendre par… Beaucoup de bruit pour rien ? C'est en tout cas ce que suggère René Sieffert...

 

Je vais maintenant tâcher de dire quelques mots de ces six pièces.

DOUBLE SUICIDE À SONÉZAKI

 

Double Suicide à Sonézaki (que j’avais déjà lue sous le titre La Mort des amants à Sonézaki, dans la très bonne anthologie Mille Ans de littérature japonaise conçue et traduite par Nakamura Ryôji et René de Ceccatty) est donc la première des Tragédies bourgeoises de Chikamatsu, et donc une pièce de jôruri. Chikamatsu n’y accordait à la base guère d’importance, et c’est peu dire : la pièce était envisagée comme un expédient pour compléter une pièce historique – la « vraie » pièce de la représentation – qui s’était avérée un peu trop courte. Ça n’en est pas moins une pièce d’une grande importance – dans l’œuvre de Chikamatsu, et dans le cadre plus large du théâtre japonais, voire de la littérature japonaise… et pourquoi pas au-delà ? Très vite, en tout cas, c’est un succès, particulièrement inattendu, mais non moins palpable – les parties chantées notamment déchaînent l’enthousiasme des spectateurs. Pour Chikamatsu, son théâtre et son interprète, c’est là le signe qu’il faut persévérer dans cette voie.

 

La pièce, élaborée un peu à la va-vite, s’appuie donc sur un fait divers très récent. Comme dit plus haut, ce genre de sewa-mono n’était pas totalement inédit, et les représentations de kabuki, notamment, pouvaient y faire allusion, mais au travers de séquences improvisées par les acteurs. En jôruri, par contre, c’est une première – et surtout dans l’optique où le sujet était donc traité au travers d’un texte conçu préalablement, plutôt que d’être laissé aux aléas de l’inspiration des acteurs sur le vif.

 

L’histoire est on ne peut plus simple (et la pièce très courte à s’en tenir au seul volume du texte : une trentaine de pages ; les suivantes sont plus longues, mais guère) : un bourgeois, Tokubyôé, et une courtisane, O.Hatsu de la maison Tenma, s’aiment d’un amour impossible. L’hostilité du monde les incite à mourir ensemble et de leur propre main. À ce stade, c’est presque une épure…

 

Pourtant, la pièce n’est pas exemple de rebondissements, à même de susciter et d’entretenir l’enthousiasme des spectateurs. Et il y a par ailleurs cet ajout de Chikamatsu – un de ses « espaces de liberté » qu’il entendait conserver dans ses sewa-mono : l’ajout d’un personnage totalement fictif, du nom de Kuheiji, un très beau salaud qui, en fait, détourne complètement les motivations réelles du double suicide, à moins qu’il ne s’agisse de les sublimer dans un symbole éloquent. Kuheiji est censément un ami de Tokubyôé ; ce dernier, naïf, lui a prêté une forte somme d’argent, sous la promesse de la rembourser assez tôt, condition nécessaire au salut des deux amants… Mais Kuheiji s’avère un escroc : non seulement il ne rend pas l’argent à Tokubyôé, mais il va jusqu’à l’accuser d’être un menteur et, pire encore, un faussaire qui se serait emparé de son propre sceau pour forger une reconnaissance de dette totalement fictive ! Tokubyôé, du fait de ses accusations, est moqué, battu même, définitivement humilié – c’est bien pour cela qu’il n’a plus d’autre alternative que le suicide… De plus, en mettant ainsi une somme d’argent au cœur de la scène sentimentale, Chikamatsu appuie encore un peu sur la dimension bourgeoise du drame, pour un effet aussi douloureux que révoltant.

 

Double Suicide à Sonézaki s’avère bel et bien une très bonne pièce, et qui produit son effet – même si je suis assez logiquement passé à côté des deux parties chantées, la « visite touristique » qui ouvre la pièce (procédé qui reviendra souvent), et, bien sûr, le michiyuki.

 

UNE CHANSON DE SATSUMA

 

Une chanson de Satsuma est une pièce à part dans ce volume, comme je l’avais déjà avancé plus haut – et pas seulement parce que c’est, de loin, la plus longue du recueil en volume de texte. La distance par rapport aux événements narrés (distance temporelle, une quarantaine d’années, mais aussi distance au sens spatial, car nous sommes alors en partie dans la lointaine province de Satsuma) joue un rôle essentiel, presque au point de disqualifier la désignation de sewa-mono, outre que le thème n’avait rien d’inédit, ayant été abondamment traité avant Chikamatsu (notamment dans l’optique de la chanson populaire à laquelle le titre fait référence, mais aussi, donc, par le grand romancier Saikaku, vingt ans plus tôt). La pièce, en outre, concerne davantage le monde des samouraïs (même s’il s’agit de les railler) que celui des bourgeois. Enfin, la pièce se finit bien, par une intervention de type deus ex machina, qui vient invalider l’idée même de shinjû – tout cela, donc, parce qu’il s’agit d’une pièce « de début d’année », je n’y reviens pas.

 

J’insisterai uniquement ici sur la dimension comique de la pièce, qui ressort notamment, en ouverture, du « défilé des valets », autant de canailles en quête d’emploi, gouailleuses et moralement suspectes, plus globalement de la moquerie sur les bushi, enfin et probablement surtout dans le jeu sur les travestissements des personnages : deux couples sont présents, en miroirs, dont un où l’homme se déguise en femme et l’autre où la femme se déguise en homme, pour des raisons trop compliquées pour être rapportées ici ; bien sûr, ces travestissements débouchent largement sur les grivoiseries que vous supposez, même si le rapport du Japon d’Edo à ces procédés n’avait sans doute pas grand-chose à voir avec la lourdeur éventuellement beauf à laquelle nous sommes habitués dans ce registre.

 

La pièce n’est pas mauvaise en soi – en fait, malgré nombre d’éléments cryptiques, elle demeure assez drôle… Chikamatsu construit habilement son récit (mieux que Saikaku son roman, à en croire René Sieffert – chose à vérifier dans Cinq Amoureuses, volume qui patiente dans ma bibliothèque de chevet), et, dans cette pièce aux allures de farce jusque dans le michiyuki, il s’accorde aussi de créer un beau personnage avec O.Ran, la coiffeuse de Koman, la femme d’un des deux couples centraux ; on peut noter la parenté des noms, qui est un procédé au cœur de la pièce, mais, de manière plus constructive peut-être, il faut s’attarder sur O.Ran, car elle est typique des personnages de femmes inventés de toutes pièces par Chikamatsu pour « humaniser » quelque peu ses sewa-mono qui risqueraient autrement d’être un peu trop « secs » ; car ces femmes sont peu ou prou les seuls personnages unilatéralement sympathiques de ces pièces (et souvent d’extraction humble, mais pas toujours, ceci dit).

 

Mais Une chanson de Satsuma, même avec ces quelques aspects notables, est donc une pièce à part dans ce premier tome des Tragédies bourgeoises – car ni tragique, ni bourgeoise.

DEUX LIVRETS ILLUSTRÉS POUR UN DOUBLE SUICIDE

 

Avec Deux Livrets illustrés pour un double suicide, Chikamatasu revient sans ambiguïté à la manière du sewa-mono… sinon à celle du shinjû, car, s’il se fonde à nouveau sur une anecdote très récente d’un nouveau cas de double suicide, il en présente pourtant une variation étonnante, lui permettant d’éviter de simplement livrer un « remake », si j’ose dire, du Double Suicide à Sonézaki… tout en faisant explicitement le lien avec sa propre pièce, et avec la mode du shinjû déjà bien amorcée ! On voit bien ici combien Chikamatsu, en plus d’être un poète habile, était un dramaturge particulièrement retors et en même temps lucide et pertinent…

 

En effet, le présent double suicide n’est pas « canonique », car les deux amants, l’homme Ichirôémon et la femme O.Shima, ne meurent pas au même endroit ; toutefois, s’ils ne meurent pas ensemble au sens spatial, ils meurent bien ensemble au sens temporel – avec cette idée étonnante mais forte des amants chronométrant à distance leurs gestes, par la récitation de la formule « Namu Amida-butsu ! » tout en égrenant un chapelet ; l’art de Chikamatsu, ici, ressort tout particulièrement de ce michiyuki fantasmatique, où les amants se rejoignent en rêve, quand bien même ils meurent séparément…

 

S’ils meurent véritablement ? Car il y a une ambiguïté dans la pièce, ou plus exactement dans son titre – qui ne fait pas seulement référence au double suicide, mais d'abord aux « deux livrets » qu’il a suscités. En effet, l’affaire avait d’autant plus passionné les bourgeois d’Ôsaka qu’elle avait quelque chose de suspect : c’est que le corps d’Ichirôémon n’avait pas été retrouvé… On a parlé de double suicide parce qu’Ichirôémon avait laissé une lettre d’adieu y faisant directement référence ; mais l’absence du cadavre n’en était pas moins problématique. Et les « livrets » rapportant le fait-divers s’opposaient donc : certains, dans l’optique romantique du shinjû, ne mettaient pas en cause la réalité du geste d’Ichirôémon, mais d’autres avançaient qu’il s’agissait peut-être d’un escroc, qui aurait poussé son amante au suicide et fait croire au sien pour disparaître et ne pas avoir à régler quelques fâcheuses dettes… Chikamatsu fait donc référence à cette ambiguïté dès le titre de la pièce, mais le contenu semble préférer la thèse d’un Ichirôémon parfaitement sincère, et mourant bel et bien en même temps que sa chère O.Shima – par ailleurs, dans la pièce, c’est comme toujours cette dernière qui fait la proposition de double suicide, et non Ichirôémon comme dans la version « suspicieuse » du fait-divers.

 

Mais cette question des « deux livrets » a bel et bien son importance – simplement, d’un autre registre : il s’agit de témoigner de la passion des bourgeois pour ce genre d’affaires scabreuses, passion qui a justifié, après le succès du Double Suicide à Sonézaki, que Chikamatsu remette en scène un shinjû avec la présente pièce. Or « l’histoire vraie », ici, fait la démonstration qu’elle est régulièrement plus improbable que la fiction, en servant à l’auteur un sujet tellement parfait qu’il en devient presque suspect à son tour : c’est que l’amante d’Ichirôémon, O.Shima, était comme O.Hatsu une courtisane… et dans la même maison Tenma ! Maison dans laquelle on évoque avec douleur, crainte, et parfois un certain égoïsme, le drame de Sonézaki, en faisant autant que possible en sorte qu’il ne se reproduise pas – mais en vain. Et ce n’est pas seulement le drame de Sonézaki qui est rappelé et constitue une forme de point de départ aux pires tragédies – mais tout autant, et explicitement, la pièce de Chikamatsu elle-même ; lequel en profite à nouveau pour s’auto-parodier !

 

Ce semblant de « méta-récit », dont nous aurons d’autres exemples par la suite, n’est pas le moindre intérêt de cette pièce habile – presque au point de la perversion...

 

CRÊPE ÉCARLATE RUTILANT FEUILLAGE DE LA LUNE DES DEUTZIES/CRÊPE RETEINT À LA LUNE DES DEUTZIES

 

Deux pièces sont ensuite à envisager ensemble, Crêpe écarlate rutilant feuillage de la lune des deutzies (oui) et Crêpe reteint à la lune des deutzies, car la seconde est la suite directe de la première : en fait, le premier acte de la seconde est à quelques lignes finales près le dernier acte de la première pièce, au point qu'il n'est pas reproduit ! On pourrait donc très bien y voir un ensemble en cinq actes. J’ai cru comprendre, du coup, qu’il y avait peut-être là une entorse à la chronologie des pièces, autrement respectée sur l’intégralité de cette édition en quatre tomes ? Le fait est, en tout cas, que les événements narrés dans la première pièce sont d’une certaine manière « complétés » dans les faits quelque temps plus tard, ce qui justifie une suite.

 

Car les deux pièces se fondent là encore sur des événements très récents, mais, outre l’âge des protagonistes (le couple engagé sur la voie du shinjû est peu ou prou adolescent), les circonstances du shinjû sont très particulières, qui expliquent cette séparation en deux pièces. En effet, la première narre le double suicide des jeunes Yohei et O.Kamé… mais ce shinjû échoue, puisque Yohei survit ; la deuxième pièce narre donc après coup comment Yohei prendra enfin sa vie, avec du retard sur ce qui était prévu...

 

On peut relever un autre trait singulier – mais peut-être dû à une déformation, tenant à ce que je suis un lecteur occidental, et du XXIe siècle ? En effet, les deux pièces usent de procédés que l’on serait tenté de qualifier de « fantastiques » : dans les deux pièces, on trouve la même devineresse, qui évoque tout d’abord, à la demande d’O.Kamé, l’esprit d’un Yohei pourtant bien vivant, tandis que dans la seconde pièce, à la demande de sa famille, elle évoque l’esprit d’O.Kamé morte – lequel esprit rend ensuite visite au survivant Yohei, ou plutôt Jokyû, car tel est son nom de religieux (sa famille l’a fait rentrer dans les ordres pour éviter le châtiment réservé aux suicidants de shinjû qui se « rateraient » – la peine de mort, bien sûr…). Mais les spectateurs nippons d’alors n’y voyaient pas forcément quelque chose de fantastique, du moins concernant l’activité de la devineresse (que Chikamatsu raille un peu au passage pour son goût du lucre, qui en fait bel et bien un personnage « bourgeois ») ; la visite du fantôme d’O.Kamé à Jokyû, je tends par contre à croire qu’il ne faut pas la prendre au pied de la lettre, et que le public de Chikamatsu était porté à l’envisager pour ce qu’elle est : un pur effet dramatique.

 

Il y aurait sans doute beaucoup à dire sur ces deux pièces liées, très riches… Je note tout de même avant tout que leurs personnages ne sont globalement guère sympathiques – en fait il n’y en a pas un pour rattraper l’autre… ou plutôt si, il y en a un : comme O.Ran dans Une chanson de Satsuma, le personnage le plus aimable de la pièce a été entièrement inventé par Chikamatsu – il s'agit de la tante, anonyme et aveugle, tant de Yohei que d’O.Kamé (une histoire d’adoption complique largement la donne dans cette affaire, le lien avec Yohei est indirect).

 

Et le pire est peut-être aussi dans ce cas : la marâtre d'O.Kamé, Ima, ô combien détestable, manipulatrice et haineuse ; mais est-elle finalement bien pire que son odieux frère cadet Denzaburô, arriviste sans cœur ?

 

Mais le problème dans cette pièce – en fait un atout essentiel de la narration –, c’est que les autres personnages, tous, ne sont pas forcément beaucoup plus positifs, et ont des choses à se reprocher… Ainsi d'abord de Yohei, pourtant le « héros » des deux pièces : il est tout à la fois un personnage éminemment tragique… et un bourgeois jusqu’à l’os, mais au point où sa mesquinerie et sa défiance le conduisent à l’humiliation, et seulement celle-ci, ensuite, au suicide – qu’il rate, donc, la première fois, humiliation supplémentaire. Déjà, son esprit évoqué par O.Kamé de son vivant, dans la première pièce, livrait un étonnant discours, où la sagesse associée aux esprits est bizarrement pondérée par un pragmatisme petit-bourgeois : finalement, il parle bien plus de brocante que de son amour censément passionnel pour O.Kamé… Certes, il est trompé ensuite dans une sombre histoire de testament par les odieux Ima et Denzaburô – mais, à tout prendre, Chikamatsu nous montre un homme qui s’est laissé piéger, parce qu’il le voulait bien d’une certaine manière, parce qu’il était trop faible et mesquin pour se prémunir de cette tromperie… Peut-il vraiment se contenter de dire que tout cela est de la faute d’Ima et de Denzaburô ? Il tente bien d’avancer cette « excuse »… mais, sous la plume de Chikamatsu, on a le sentiment que lui-même n’y croit guère.

 

Ce qui produit une scène très douloureuse, proprement déchirante, à mon sens plus encore que celles de doubles suicides à proprement parler – où la vraie « victime » n’est peut-être pas tant Yohei, ou O.Kamé presque reléguée alors au second plan, pour le coup, mais bien Kasaya Chôbei, soit le père d’O.Kamé et « l’oncle » de Yohei, brocanteur de son état. Assurément aussi bourgeois que ce Yohei au départ censé lui succéder, ce qui le conduit lui aussi à la mesquinerie (O.Kamé morte lui en fera la démonstration éclatante et terrible dans la seconde pièce), il n’en exprime pas moins une souffrance poignante et même insupportable, à chaque fois dans les actes II des deux pièces (il y a une certaine symétrie dans leur construction, avec donc cet acte III de la première pièce qui est aussi l’acte I de la seconde, et, dans les deux cas, l’intervention de la devineresse).

 

Mais, donc, Yohei échoue dans son shinjû – scène terrible là aussi, car Chikamatsu évoque avec des mots puissants le tourbillon de cet homme, pris entre résolution et impuissance… C’est ce qui détermine, et ici Chikamatsu respecte les faits, l’orientation de la seconde pièce, Crêpe reteint à la lune des deutzies, laquelle ne peut donc que mettre en scène le suicide cette fois « réussi » de Yohei/Jokyû. Seulement, d’ici-là – essentiellement donc dans la première partie de l’acte II de la seconde pièce –, Chikamatsu peut donc traiter d’une chose peu ou prou absente de ses pièces jusqu’alors : les remords et la souffrance des proches des suicidés… Dans la scène de la devineresse, pourtant pas épargnée par quelques traits comiques, mais très allusifs, les récriminations d’O.Kamé défunte, impitoyables, suscitent les larmes de ses parents : son aimable tante bien sûr, son père Chôbei de manière particulièrement marquée, et même, même ! d’une certaine manière, sa marâtre Ima et le perfide Denzaburô, qui semblent ployer l’échine sous les accusations du fantôme, et être bien obligés de reconnaître qu’ils ont eu leur part dans les tragiques événements…

 

Mais la structure de la pièce, ici, laisse en fait tomber la symétrie que l’on devinait jusqu’alors, pour tenter tout autre chose. En effet, l’acte II se partage en deux scènes considérablement éloignées : la première fait donc figurer la famille d’O.Kamé dans l’échoppe de la devineresse, mais la seconde nous conduit à l’ermitage où s’est retiré Jokyû – et c’est donc le fantôme d’O.Kamé qui fait le lien entre les deux scènes. Comme c’est dans cet acte, au final, que les personnages des amants sont réunis par-delà la mort, le michiyuki « interrompu » peut reprendre, et notre « héros » meurt donc à la fin de l’acte II, et non comme d’usage à la fin de l’acte III. Reste pourtant ce dernier acte… De manière presque « anti-théâtrale », il consiste en une lettre de Yohei expliquant son geste – ce qui, bien plus que son évocation spirituelle dans le premier acte de la première pièce, lui permet d’exprimer enfin un vrai discours plus digne, faisant en même temps écho aux récriminations de la défunte O.Kamé, encore que sur un mode absolument pas vindicatif, différence essentielle. La structure peut paraître un peu branlante (surtout si l’on y ajoute un premier acte entièrement repris d’une pièce antérieure – de là à accuser l’auteur de « fainéantise »…), l’effet est pourtant remarquable, et tout à fait poignant. Avec de très beaux moments jusque dans cette ultime lettre… et jusque dans ses ultimes ressorts bourgeois, qui persistent malgré tout : « Vieille poussière déposée sur la roue du destin, plutôt que d’être vendu à perte sur le nocturne marché de l’obscure ignorance, cette nuit même, au jour anniversaire du trépas de l’épouse, le rasoir qui, l’an dernier, fit mourir O.Kamé, aiguisé à la jonction de son destin et du mien, je vais, délivré des songes d’un sommeil de vingt-deux années, l’appliquer au milieu de mon front et, ce mois et ce jour, me détruire par sa lame acérée, ah, tristesse ! »

 

Notons enfin que Chikamatsu poursuit ici le petit jeu de la pièce précédente consistant en allusions au jôruri d’alors, débordant de shinjû, et au premier chef bien sûr à ses propres pièces, d’une responsabilité accrue

 

L’ensemble a peut-être quelque chose d’un peu bancal, mais, pour tout un tas de raisons, ce sont ces deux pièces enchaînées qui m’ont le plus ému dans ce premier tome – ému au point de la douleur.

À HORIKAWA LE TAMBOUR DES VAGUES

 

Reste une dernière pièce dans ce premier tome, intitulée À Horikawa le tambour des vagues ; j’ai expliqué plus haut le sens de ce joli titre… Mais cette pièce, comme Une chanson de Satsuma plus haut, tranche un peu, encore que d’une manière toute différente, sur le reste de ce premier tome – surtout en ce qu’il ne s’agit pas cette fois d’un shinjû, si la pièce demeure tragique… Par ailleurs, comme Une chanson de Satsuma, cette dernière pièce fait intervenir au premier plan des samouraïs, plutôt que des bourgeois. La charge n’en est pas moins sévère : Chikamatsu ne se contente pas ici de moquer gentiment les ridicules de la caste supérieure, il en dénonce la laideur – une laideur d'autant plus hideuse qu'elle se fait passer pour honneur…

 

En effet, la pièce traite avant tout d’un adultère et de ses sanglantes conséquences. À Kyôto, la noble dame O.Tané, toujours fidèle à son samouraï d’époux Ogura Hikokurô, et ce en dépit de ses longues absences en raison de son service à Edo, a un fâcheux penchant pour le saké, qui lui fait facilement tourner la tête… Un peu ivre, ce qui suscite d’abord des moments comiques, elle s’abandonne, elle qui protestait de sa pureté, à une passion d’un instant, dans les bras du maître de tambour (un bourgeois, donc) Miyaji Gen.émon – lequel est un personnage en fait très effacé, par ailleurs pas présenté comme un mauvais bougre lui non plus ; mais il a bu, certes, et ne résiste guère aux pressions malvenues de la charmante O.Tané qui s'oublie dans un instant fatal… La scène a un ton badin plutôt charmeur – mais le lecteur/spectateur sait au fond très bien ce qu’il en est : tout cela finira mal…

 

Effectivement : averti par les commérages (ceux notamment de la propre sœur d’O.Tané, O.Fuji, plus qu’ambitieuse, ceux aussi d’un samouraï à son service, Isobé Yaka.émon, figure odieuse d’hypocrisie, d’autres encore qui ne cachent pas qu’O.Tané, à son crime charnel, a ajouté celui de l’avortement clandestin…), Hikokurô réagit comme un samouraï devant cette inqualifiable atteinte à son honneur : avec la brutalité d’un homme de guerre en cette longue ère de paix, il tue son épouse, puis part chasser le maître de tambour terrorisé, et l’élimine à son tour.

 

Et là, d’une certaine manière, on a l’impression que l’auteur se fâche, et que sa pièce, encore que sans excès démonstratifs, vient poser à son audience bourgeoise cette question : quel honneur y a-t-il, pour un prétendu guerrier, à tuer une femme sans défense et un musicien entre deux âges et que la loi désarme ? Chikamatsu, bien sûr, ne peut pas se montrer aussi frontal, et il n’est certes pas exclu que je surinterprète... Il me semble quand même que le regard porté sur les bushi a changé, depuis Une chanson de Satsuma : là où cette pièce pouvait se montrer badine et joyeusement légère jusque dans les éclats de larmes d’un shinjû heureusement contrecarré, le ton aimable, souriant, presque libertin de l’ouverture de la présente pièce tranche, si j’ose dire, sur le massacre qui doit en résulter, commis par l’époux bafoué – et finalement pas si jaloux : on a l’impression qu’il n’obéit que par automatisme, n’accordant au fond à son épouse O.Tané, ni son amour, ni même le luxe de sa haine…

 

Mais le pire, dans tout cela, c’est peut-être ce qu’exprime le titre ? Le théâtre et les feuillets se sont emparés de la sordide affaire, et Chikamatsu comme les autres – il le dit, d’une certaine manière. Mais le plus terrible est peut-être que ce drame, loin de l’aura romantique du shinjû à la mode, est d’une affligeante banalité… À Horikawa le tambour des vagues, ou Beaucoup de bruit pour rien ?

 

FASCINANT

 

Je ne vous cacherai pas m’être engagé dans ce premier tome un peu à reculons – je redoutais, après avoir déjà lu, sous une autre traduction et un autre titre, La Mort des amants à Sonézaki, d’enchaîner des pièces répétitives, sans doute brillantes aux yeux d’un public japonais lettré, mais plus hermétiques et plus « sèches » pour un lecteur occidental contemporain ; je craignais un peu, en fait, d’être complètement insensible à leur propos – que Chikamatsu, en somme, me fasse l’effet de son contemporain Bashô… Autant dire que je me « forçais » un peu – parce que je ressentais une forme de nécessité extérieure à lire ce grand classique de la littérature japonaise, pour en avoir au moins une vague idée, mais sans en attendre forcément grand-chose de très palpitant...

 

Rien de plus faux, pourtant : au fil de ces six pièces, et en prenant en compte ma totale incompréhension ou presque des parties chantées, j’ai découvert un auteur habile, roué, lucide et pertinent, un manipulateur de premier ordre, une plume à l’avenant, un maître du récit et de ses rebondissements, sachant satisfaire à la fois son public et la postérité au travers d’œuvres bien moins innocentes et prosaïques que ce que lui-même semblait croire, ou prétendre.

 

J’ai en fait pris beaucoup de plaisir à lire ces six pièces, qui sont tout à fait fascinantes, outre qu’elles sont souvent poignantes. Me reste trois tomes et dix-huit pièces ? Rien que pour Les Tragédies bourgeoises ? Eh bien, je vais m’y mettre – et avec beaucoup plus de confiance, du coup ! En tâchant éventuellement de voir aussi l’auteur s’exercer à d’autres registres, comme dans Le Mythe des quarante-sept rônin...

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CR Imperium : la Maison Ptolémée (28)

Publié le par Nébal

Le tsunami déferle sur les archipels à l'est de Cair-el-Muluk.

Le tsunami déferle sur les archipels à l'est de Cair-el-Muluk.

Vingt-huitième séance de ma chronique d’Imperium.

 

Vous trouverez les éléments concernant la Maison Ptolémée ici, et le compte rendu de la première séance . La séance précédente se trouve ici.

 

Tous les joueurs étaient présents, qui incarnaient donc Ipuwer, le jeune siridar-baron de la Maison Ptolémée, sa sœur aînée et principale conseillère Németh, le Docteur Suk Vat Aills, et l’assassin (maître sous couverture de troubadour) Bermyl.

 

I : APPRENDRE DU DÉSERT

 

[Lors de la partie précédente, le joueur incarnant le Docteur Suk, Vat Aills, était absent ; j’avais intégré dans le compte rendu quelques indications tenant aux instructions qu’il m’avait fournies, mais il fallait revenir sur quelques points corollaires en début de séance.]

 

[I-1 : Vat : Taharqa Finh, Nofrera Set-en-isi] Vat dirige donc une expédition dans le Continent Interdit afin de percer les secrets de la Tempête ; il est accompagné de l’archéologue et historien Taharqa Finh, de la climatologue Nofrera Set-en-isi, de deux guides atonistes de la Terre Pure, et d’une petite troupe de commandos d’élite habitués au désert.

 

[I-2 : Vat] Vat s’intéresse à plusieurs points de cet environnement très particulier – à la lisière du grand désert de sable au centre duquel se trouve la Tempête, sachant que leur camp de base, dans une grotte, se situe environ à 300 kilomètres de la limite du phénomène ; c'est, à en croire les Atonistes, l’abri le plus proche que l’on puisse trouver. Par ailleurs, ils n’ont jamais pu dépasser un rayon de 150 kilomètres environ, l’endroit où la violence des vents et le sable qu’ils transportent empêchent de s’approcher davantage sans un équipement adéquat (au moins une sorte d’armure, sans doute complétée par des suspenseurs afin de faciliter les mouvements), dont ils ne disposent pas sur place.

 

[I-3 : Vat] Premier point : la flore. Elle est très rare, mais il y en a tout de même un peu – généralement là où l’on trouve de l’eau, et donc souvent dans les abris rocheux (rien de la sorte dans le désert de sable environnant la Tempête). On trouve essentiellement des sortes de fougères, ou quelques plantes grasses, outre des champignons et moisissures assez variés ; seuls ces derniers semblent pouvoir être éventuellement comestibles. Mais, de manière générale, il n’y a aucune trace d’une quelconque agriculture, cette végétation est très limitée et clairement sauvage.

 

[I-4 : Vat : Thema Tena] Concernant la faune, elle consiste a priori uniquement en insectes – et Vat manque un peu de bagage zoologique pour apprécier leur singularité ; toutefois, cela correspond bien à ce que Thema Tena avait évoqué. Ces insectes sont propres au désert du Continent Interdit, on n’en trouve pas de semblables sur la face habitée de Gebnout IV. Ils sont somme toute peu nombreux, mais on en trouve souvent là où il y a de l’eau, et donc essentiellement dans les abris rocheux tel que celui où l’expédition a installé son camp de base ; ce sont des insectes fouisseurs, et par ailleurs des insectes sociaux, qui vivent en colonies pouvant évoquer des ruches – mais celles-ci ne semblent pas leur être imposées par la crainte de prédateurs ou le besoin de protection contre des phénomènes climatiques, seule la proximité systématique de l’eau peut être notée. Vat, attentif, a cependant pu remarquer, dans les mouvements les plus avancés de l’expédition, à environ 150 kilomètres de rayon de la Tempête, qu’on trouvait de semblables insectes dans le sable.

 

[I-5 : Vat] Vat se demande si les Atonistes n’auraient pas quelques « légendes » concernant cette flore et cette faune, mais on le détrompe très vite : le mouvement atoniste, par ailleurs assez récent, a une approche largement pragmatique de son Pèlerinage Perpétuel, et ne s’est pas construit sur une base folklorique…

 

[I-6 : Vat] Concernant la structure géologique du sol, elle est assez difficile à déterminer – même si l’expédition avait pris soin de se munir de matériel de forage. Mais le désert de sable ne facilite pas exactement les opérations ; il y a sans doute une couche plus dure, probablement de roche, sous le sable, mais c’est très profond – et rien à la surface ne permet de déterminer des variations à cet égard. Pas de sables mouvants, par contre. Mais, en surface, la morphologie du désert de sable est très variable, car les dunes sont poussées par le vent et sans cesse remodelées – elles vont donc toujours dans le même sens ; mais, à la lisière des zones rocheuses, des turbulences récurrentes peuvent propulser les particules de sable dans l’atmosphère et les ramener au cœur de la Tempête, ainsi auto-alimentée. Vat envisageait d’user d’une technologie de pointe, probablement ixienne, pour creuser des tunnels sous le sable, mais il ne dispose pas sur place de ce genre de matériel très pointu, et sans doute n’y en a-t-il pas à la base sur Gebnout IV ; maintenant, il est sans doute possible de s’en procurer via le marché franc de la lune de Khepri, mais ça ne s’annonce pas forcément évident… d’autant que la Guilde surveille les transactions, bien sûr. Le même problème se pose concernant les « sondes » que Vat aimerait envoyer dans la Tempête pour y rassembler des données (même si envoyer des projectiles, avec du matériel de mesure, pourrait être envisagé sans trop de difficultés ; le problème serait alors de récupérer les données).

 

[En termes de jeu : la Maison Ptolémée a un Niveau Technologique (NT) de 4, ce qui est le meilleur score envisageable pour une Maison noble créée par des PJ ; le NT 5 existe, mais n’est accessible qu’aux Maisons plus puissantes et davantage engagées dans la voie de la science et de la technologie, par exemple la Maison Wikkheiser (certaines technologies, dites NT X, sont inaccessibles aux Maisons quelles qu’elles soient, et réservées à des factions très spécifiques telles que la Guilde Spatiale ou le Bene Tleilax – forcément…) ; via Khepri, se procurer du matériel NT 5 est envisageable (contrairement au NT X), mais coûteux, long, et éventuellement dangereux.]

 

[I-7 : Vat] Par ailleurs, au fil des observations, les membres de l’expédition n’ont pas constaté de phénomène particulier tels que des « objets » qui « entreraient » ou « sortiraient » de la Tempête ; ils ont donc pu s’approcher dans un rayon d’environ 150 kilomètres, mais pas plus loin – cependant, les armures envisagées plus haut (avec suspenseurs, boucliers, etc.) pourraient sans doute être conçues sur Gebnout IV, sans nécessiter des transactions sur le marché franc de Khepri. À vrai dire, les armures des commandos pourraient être « bricolées » dans ce sens. Vat communique donc avec Cair-el-Muluk pour « passer commande » de tous ces éléments.

 

[I-8 : Vat : Nofrera Set-en-isi] Vat discute avec Nofrera Set-en-isi de la Tempête, mais la climatologue n’est pas forcément en mesure d’apporter grand-chose de neuf pour l’heure. En tout cas, elle confirme l’évidence : ce phénomène n’a absolument rien de naturel, et c’est forcément la Guilde qui l’a suscité à l’origine et entretenu depuis, via ses satellites de contrôle climatique. Elle analyse cependant le fonctionnement très concret du phénomène, avec sa nature de tourbillon, la formation des dunes, le circuit d’auto-alimentation, etc.

 

[I-9 : Vat : Taharqa Finh ; Taa] Vat s’entretient aussi avec Taharqa Finh de ses conclusions concernant le Mausolée des Ptolémée, qu’il avait étudié avant que l’expédition s’enfonce dans le désert. L’archéologue, fasciné par cette structure, confirme que « tout colle » au niveau des dates : le Mausolée a sans doute été construit il y a quatre ou cinq millénaires de cela, à l’époque où les Ptolémée ont progressivement déplacé le centre du pouvoir sur Gebnout IV dans la ville somptuaire de Cair-el-Muluk – d’abord en y transférant le Palais, ensuite en y bâtissant, avec l’accord voire à terme la complicité du Culte Épiphanique du Loa-Osiris, le Grand Sanctuaire d’Osiris ; c’est donc à la même époque que le rituel du « voyage des morts » a été mis en place, avec ses spécificités concernant les siridar-barons défunts, justifiant l’implantation secrète dans la région de l’ordre des Sœurs d’Osiris, dont Taa est aujourd’hui la dirigeante (Taharqa Finh s’est longuement entretenue avec elle – dans une discussion bien trop pointue pour qui n’est pas spécialiste de la matière) ; corrélativement, c’est donc l’époque où le « tabou » concernant le Continent Interdit a été formulé puis est devenu canonique, sans que l’on n’y change rien jusqu’à ces dernières semaines...

 

II : UNE AFFAIRE DE POISONS

 

[II-1 : Bermyl : Taho, Vat Aills, Németh Elihot Kibuz] Bermyl a fait évacuer le cadavre empoisonné de son agent Taho, confié aux services du Docteur Suk Vat Aills, même en l’absence de ce dernier. Il s’interroge sur le sens des paroles du défunt, affirmant que leurs ennemis connaissaient leurs mouvements (ou en tout cas ceux de Bermyl) à l’avance : auraient-ils recours à la Prescience ? Il lui faut communiquer aussitôt cette information à Németh, et l’assassin retourne de ce pas au Palais ; il soupçonne Elihot Kibuz, le maître assassin fantoche, dont il sait les talents en matière de poison, d'être le responsable de la mort de Taho

 

[II-2 : Bermyl : Németh] Mais, alors même qu’il rentre au Palais, Bermyl perçoit à son tour qu’une tempête approche – littéralement, qu’il y a de l’électricité dans l’air, ce qui n’est pas normal… Bien sûr, il n’est pas le seul à s’en rendre compte : la foule de Cair-el-Muluk, tout autour de lui, partage cette surprise, qui tourne immédiatement à l'inquiétude, voire à la panique – mais peut-être d’autant plus que, parmi cette foule, bien rares sans doute sont ceux qui ont pu se rendre sur d’autres planètes que Gebnout IV, et assister de leurs yeux à pareil phénomène, inédit sur le fief planétaire des Ptolémée Il n’est que plus urgent de discuter de tout cela avec Németh – de cette certitude que leurs ennemis ont au moins une longueur d’avance sur eux. Il lui adresse un message à cet effet, lui demandant aussi si elle a la moindre idée de comment leurs ennemis pourraient procéder (Prescience ou autre méthode).

III : RÉUNION DE CRISE

 

[III-1 : Németh : Bermyl, Taho] Németh est alors sur le balcon océanique, où elle regarde les yeux exorbités la tempête qui approche ; elle avait déjà reçu une laconique notification de Bermyl, rapportant la mort de Taho, mais les communications les plus récentes de l’assassin en route pour le Palais lui sont alors apportées sur le balcon par une estafette. Németh retourne à l’intérieur, prend connaissance du message, et congédie l’estafette après lui avoir confié la tâche de donner à Bermyl l’ordre de rentrer immédiatement au Palais.

 

[III-2 : Németh, Ipuwer : Apries Auletes, Ngozi Nahab, Clotilde Philidor] Une réunion de crise s’impose, dans un endroit approprié. Németh se rend compte alors qu’elle ne sait même pas où se trouve son frère Ipuwer, à impliquer forcément, depuis son retour d’Heliopolis où il s’était entretenu avec le chef de la police Apries Auletes (notamment concernant Ngozi Nahab) – même si elle lui avait communiqué, sans entrer dans les détails, l’incident survenu avec Clotilde Philidor la veille au soir. En fait, il se trouvait au bord de sa piscine… où il a lui aussi perçu la tempête qui s’annonçait ; dans le plus simple appareil ou peu s’en faut, il s’est aussitôt précipité dans les couloirs du Palais pour retrouver Németh, et les deux se rencontrent donc au détour d’un couloir, chacun en quête de l’autre.

 

[III-3 : Németh, Ipuwer, Bermyl : Clotilde Philidor, Abaalisaba Set-en-isi] Németh dit alors à son frère que Clotilde Philidor avait vu juste… Ils se rendent ensemble dans la « salle de guerre » du Palais (après avoir envisagé un temps de tenir conseil dans la bibliothèque, généralement délaissée – sauf qu’Abaalisaba Set-en-isi, ces derniers temps, y travaille beaucoup –, mais la situation impose un lieu de réunion tout autre). Déjà, en chemin, ils s’interrogent sur les mesures d’urgence à prendre : ils parlent d’évacuation, de déterminer les lieux en altitude et à l’intérieur des terres les moins susceptibles d’être affectés par le tsunami qui s’annonce (car Németh précise alors la vision de Clotilde Philidor, ce qu’elle n’avait pas fait jusqu’alors : c’est bien le tsunami qui est surtout à craindre, plutôt que la tempête à proprement parler), etc. Des idées échangées à la volée, sous la pression des événements, et sans données concrètes – qu’ils espèrent pouvoir rassembler dans la « salle de guerre », avec l’équipement et leurs subordonnés pour les assister dans cette tâche ; Bermyl est également en route pour cette réunion de crise – il suspecte quant à lui une diversion...

 

[III-4 : Ipuwer : Iapetus Baris] Ipuwer, comme de juste, contacte aussitôt la Guilde Spatiale, sur la lune de Khepri – car c’est la Guilde qui, via ses satellites, modèle le climat de Gebnout IV, ce qui devrait prohiber ce genre d’incidents. Il est impossible d’entrer directement en communication avec le représentant Iapetus Baris ; les services de la Guilde se contentent d’évoquer laconiquement « un léger dysfonctionnement », qui ne durera guère, et tout sera bientôt sous contrôle…

 

[III-5 : Ipuwer, Németh] Ipuwer pose donc la question de l’évacuation. Mais, même à s’en tenir aux seuls grands centres urbains sous le coup de la menace de la tempête, cela représente environ onze millions de personnes, réparties entre Cair-el-Muluk, quatre millions et demi d’habitants, et Heliopolis, six millions et demi d’habitants… même si la menace sur cette dernière ville est plus lointaine, et pour l’heure simplement hypothétique. Mais c’est oublier les très nombreuses petites villes réparties sur les côtes ou dans les archipels à l’est de Cair-el-Muluk, en plein sur le chemin de la tempête ! Organiser une évacuation de masse semble inimaginable – d’autant que Gebnout IV, en principe épargnée par toute menace du genre, ne dispose pas vraiment des infrastructures adéquates ; par ailleurs, pareille opération d’évacuation nécessiterait, en l’absence d’organisations dédiées, de déployer les forces militaires de la Maison en urgence – or ces troupes sont très limitées en nombre, si elles bénéficient d’une capacité de déploiement relativement efficace du fait de son équipement plus que correct en transports de troupes [concrètement, en termes de jeu, la Maison Ptolémée a un niveau de 2 en Guerre, ce qui est au mieux moyen ; une opération d’une telle envergure impliquerait de mobiliser au moins un de ces deux points pendant une durée indéterminée – puisqu’il faudra prendre en compte aussi les secours, en temps utile] ; et l’urgence complique encore la donne : la tempête va frapper ces zones dans quelques heures au plus tard ! En fait, ce genre d’évacuation est totalement inenvisageable ; Németh avance d’ailleurs que cela risquerait de susciter un mouvement de panique… mais comprend aussitôt qu’il y aura forcément des mouvements de panique, quoi que fasse la Maison Ptolémée.

 

[III-6 : Németh, Ipuwer, Bermyl : Elihot Kibuz, Clotilde Philidor, Namerta, Bahiti Arat] Németh suppose donc que la seule évacuation envisageable est celle du « gratin » de Cair-el-Muluk – les plus hauts responsables de la Maison Ptolémée dont la présence n’est pas requise (ce qui exclut pour partie les dirigeants militaires et ceux des services de renseignement – mais, suite aux derniers rapports de Bermyl, Németh envisageait de faire arrêter immédiatement Elihot Kibuz ; Bermyl, d’ailleurs, reste, sans l’ombre d’une hésitation, d’autant qu’il suspecte un coup fourré...), les invités de la Maison, éventuellement d’autres notables des Maisons mineures ou indépendants… Très peu de monde, somme toute, car il faut se livrer à un tri drastique, pas le temps de satisfaire tout le monde. Pour elle, c’est une évidence, Ipuwer, qui est « la personne la plus importante sur cette planète », doit être évacué. Mais Ipuwer entend rester sur place, « auprès de son peuple » (en rigolant, il rappelle à sa sœur qu’il a « une cote de popularité à soigner »...), et envisage aussi la possibilité que cette catastrophe tourne à la tentative de coup d’État, auquel cas les séditieux « le trouveront sur leur route » ; quoi que puisse lui dire Németh, il restera. Par contre, il sait qu’il ne faut pas que la Maison Ptolémée conserve tous ses œufs dans le même panier… En fait, il enjoint sa sœur, « la véritable dirigeante de cette Maison », dit-il, de partir, elle, et immédiatement, de Cair-el-Muluk Ipuwer va jusqu’à dire que, si lui mourait, la Maison Ptolémée pourrait s’en relever, mais qu’elle ne se relèverait pas de la perte de Németh ! Elle doit donc partir, elle, avec « leurs invités » (il ne cite expressément que Clotilde Philidor), à destination d’un relais de chasse à l’intérieur des terres, du nom de Darius, à quelque distance au nord-est de Memnon, dans les montagnes – une installation hautement sécurisée, conçue également pour ce genre de situations (plus précisément dans l’hypothèse d’une guerre).

 

[Note : les joueurs, dans cette discussion, se sont posé la question des règles de succession de la Maison Ptolémée, à laquelle nous n’avions jamais défini de réponse jusqu’alors, même si elle était sous-jacente à plusieurs développements de la chronique ; ainsi, Ipuwer avait succédé à Namerta, et non Németh, même si cette dernière était son aînée ; par ailleurs, les tractations matrimoniales, de longue date dans la partie, étaient motivées par le fait qu’Ipuwer n’avait pas d’héritier (légitime, du moins…), problème dont Németh elle-même considérait qu’il devait être réglé au plus tôt, et probablement par ses soins. Cependant, cela laisse une certaine marge de manœuvre aux joueurs pour déterminer le système en vigueur – de nombreuses solutions peuvent être envisagées, précisant la seule primogéniture masculine qui semble quant à elle acquise, et ce même dans un univers aussi fondamentalement sexiste (au sens le plus strict) que celui de Dune (y compris en se basant sur la thématique égyptienne de la Maison Ptolémée on avait déjà introduit dans la campagne l’idée du mariage entre frère et sœur, par exemple, avec les partisans d’Isis, et la variante propre à Bahiti Arat se voyant elle-même en Isis). J’ai préféré laisser cette question à la discrétion des joueurs, et tiendrai compte de leurs choix en la matière le moment venu.]

 

[III-7 : Németh, Ipuwer : Clotilde Philidor, Taestra Katarina Angelion, Labaris Set-en-isi, Abaalisaba Set-en-isi, Suphis Mer-sen-aki ; Anneliese Hahn, Hanibast Set, Vat Aills] Németh, un peu sceptique, peut-être aussi surprise, accepte enfin de se plier aux injonctions de son frère, et ne tarde guère à partir, avec les autres réfugiés notables, à bord d’ornithoptères, qui prennent la direction du sud tant qu’il leur est encore possible de voler… Les invités de la Maison l’accompagnent (ce qui inclut notamment, outre Clotilde Philidor, la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion ainsi que Labaris Set-en-isi, proche ami d’Ipuwer qui loue volontiers ses talents) – à l’exception toutefois d’Anneliese Hahn, qui ne se trouve alors pas dans le Palais, et il est impossible de déterminer où elle se trouve précisément (même si c’est à Cair-el-Muluk, elle n’a semble-t-il pas quitté la ville insulaire)… Sont aussi du lot quelques autres notables, tel qu’Abaalisaba Set-en-isi ; mais le Grand Prêtre Suphis Mer-sen-aki demeure à Cair-el-Muluk, Ipuwer l’exige, car il a besoin de ses services. En tout, 200 personnes environ quittent Cair-el-Muluk avec Németh, accompagnés de quelques troupes d’élite pour assurer leur sécurité (d’autres gagnent directement Darius). À noter, le Conseiller Mentat Hanibast Set n’est pas du voyage, car il ne se trouve pas à Cair-el-Muluk : le Docteur Suk Vat Aills l’a placé dans une institution psychiatrique isolée, au nord de Memnon, trop loin dans les terres pour être menacée par le tsunami, afin qu’il récupère de son « gel du Mentat ».

IV : AUX RAPPORTS

 

[IV-1 : Bermyl : Ipuwer] Bermyl, dès lors, suit Ipuwer comme son ombre – car il redoute que l’on ne profite de la situation pour tenter de s’en prendre à lui, et il remplit donc son office de garde du corps.

 

[IV-2 : Bermyl : Taho] Par ailleurs, Bermyl comprend, un peu tardivement (du fait de la précipitation des événements), que le poison qui avait tué Taho l’avait lui-même atteintsans doute quand le fidèle agent s’était écroulé dans ses bras ; mais sa connaissance des toxines, et sa pratique de la mithridatisation, lui ont permis de ne pas en subir les effets au-delà de quelques signes éloquents mais pas fatals – ses veines qui ressortent, notamment.

 

[IV-3 : Bermyl] Mais Bermyl joue aussi sa part dans la gestion de la crise : en tant que chef officieux des services de renseignement des Ptolémée, il reçoit de très nombreux rapports, en permanence, en temps réel – mais en ayant bien conscience que ses services ne sont pas fiables, de manière générale… Ces rapports confirment l’évolution de la tempête, qui semble devoir passer à l’est de Cair-el-Muluk, en plein sur une zone d’archipels, et éventuellement à terme dans la direction d’Heliopolis ; impossible cependant d’avoir des informations plus précises, car la tempête prohibe le survol de la zone par des ornithoptères – tandis que la Guilde, forcément, demeure muette, s’en tenant à la seule mention d’un « léger dysfonctionnement »… Par ailleurs, la zone couverte par la tempête, si elle est habitée, ne bénéficie gère d’infrastructures permanentes, et notamment de moyens de communication, permettant d’avertir Cair-el-Muluk de ce qui se produit dans les archipels.

 

[IV-4 : Bermyl] Des rapports d’un autre ordre lui parviennent : la situation demeure gérable pour l’heure à Heliopolis, encore à quelque distance de la tempête, mais, à Cair-el-Muluk, la population commence à succomber à la panique – il y a déjà eu des mouvements de foule, des bousculades… À l’évidence, il y a déjà des morts, et en nombre ! Car les habitants sont d’autant plus terrorisés que cet événement est pour la plupart d’entre eux, qui n’ont jamais quitté Gebnout IV, totalement incompréhensible, et d’une certaine manière apocalyptique – ce n’est pas censé pouvoir se produire sur le fief planétaire de la Maison Ptolémée ; laquelle, à l’évidence, ne dispose pas des troupes permettant de juguler ces mouvements de panique…

 

[IV-5 : Bermyl : Ipuwer, Namerta] Bermyl sait qu’il ne pourra probablement pas disposer de renseignements fiables, dans ces circonstances, portant sur d’éventuels mouvements de troupes (en provenance par exemple du Continent Interdit, ou dans sa direction ?) ; rien ne va dans ce sens. Par contre, dans ce contexte apocalyptique, même si cela ne semble pas pour l’heure témoigner de mouvements organisés, des rapports l'informent que, çà et là, des « prêcheurs » expriment et entretiennent la colère de la foule terrifiée en imputant la catastrophe à « la colère des dieux », et n’hésitent guère à accuser Ipuwer d’être le responsable de ce drame – certains allant jusqu’à dire que c’est là la preuve que Namerta doit remonter sur le trône de la Maison Ptolémée... Ce qui n’était jusqu’alors que latent dans les rues de Cair-el-Muluk devient subitement très concret : la tempête joue le rôle de la proverbiale goutte d’eau qui fait déborder le vase, et l’on passe des ragots et moqueries à la sédition.

V : GÉRER LA FOULE

 

[V-1 : Bermyl, Ipuwer : Kiya Soter] Kiya Soter est présent quand Bermyl communique ces informations à Ipuwer, et ne s’embarrasse pas de précautions : en pareil cas, il lui faut des instructions précises de son siridar-baron – comment doit-il gérer la foule, la panique, la sédition ? Il y a un risque non négligeable que tout cela vire à l’émeute…

 

[V-2 : Ipuwer : Suphis Mer-sen-aki] Pour Ipuwer, il faut d’abord communiquer – et pour cela, il a besoin de Suphis Mer-sen-aki, dont il exige la présence au Palais ; le Grand Prêtre se trouvant au Sanctuaire d’Osiris tout proche, il peut venir aussitôt. Ipuwer le charge de calmer la foule en communiquant à la radio et par hauts-parleurs.

 

[V-3 : Ipuwer] Ipuwer lui-même ne s’exprime pas directement sur les ondes, mais donne les grandes lignes d’une communication officielle jouant de la voix de la raison (et de la vérité), donnant des mesures de sécurité concrètes, et rappelant à ceux qui pourraient, dans la panique, l’oublier, que le climat sur Gebnout IV est géré par les satellites de la Guilde, temporairement affectés par un « dysfonctionnement », bientôt réglé, selon ses propres termes – mais certes dangereux, il faut donc garder la tête froide et se conformer aux consignes de sécurité.

 

[V-4 : Ipuwer] Mais Ipuwer s’implique directement dans la gestion de la crise au plan stratégique – ce qui influe sur la communication officielle au fur et à mesure que les événements progressent et que les réponses de la Maison Ptolémée se précisent. Ainsi, il faut réfléchir d’ores et déjà à « l’après ». Ipuwer met en place des points de collecte éloignés des côtes pour que la population affectée puisse obtenir des vivres et des soins une fois la tempête passée, et envisage notamment d’utiliser à cet effet les grands jardins ceinturant le Palais et le Sanctuaire d’Osiris.

 

[V-5 : Ipuwer : Kiya Soter] Mais Kiya Soter, s’il reste courtois, trépigne visiblement : Ipuwer ne lui a toujours pas répondu concernant la gestion de la foule et du risque d’émeute ! Sans le dire frontalement, il suppose qu’il lui faudra prendre des initiatives – quelles qu’elles soient. Mais tous deux savent que la Maison Ptolémée ne dispose pas d’effectifs militaires suffisants pour véritablement juguler les mouvements de panique… Dès lors, Ipuwer décide de concentrer les troupes autour du Palais et du Sanctuaire d’Osiris pour en assurer la protection. Mais il faut autant que possible s’abstenir de recourir à la force !

 

[V-6 : Ipuwer, Bermyl : Kiya Soter] En même temps, Ipuwer veut cependant... ouvrir le Palais et le Sanctuaire d’Osiris, ou plus exactement leurs immenses cours bien protégées, à certains habitants de Cair-el-Muluk – les femmes et les enfants. Décision qui n’enchante pas Bermyl et Kiya Soter – c’est faire entrer la menace dans le Palais même ! Bermyl loue la noblesse d’âme de son siridar-baron, désireux d’assister et protéger son peuple – mais ledit peuple se méfie de plus en plus de lui, et il en est même qui appellent à le renverser ! Et, bien sûr, il faut prendre en compte la panique… Ipuwer doit rester à distance, au moins – protégé à l’intérieur du Palais.

 

[V-7 : Ipuwer] Mais sa décision est prise : Ipuwer ouvre les cours du Palais et du Sanctuaire d’Osiris (voire l’aile est du Palais, de toute façon en perpétuels travaux de réfection – mais ses conseillers l’en dissuadent : personne à l’intérieur du Palais proprement dit !) aux femmes et aux enfants ; il envisage aussi d’y transférer les patients des hôpitaux, mais l’urgence comme la panique rendent une évacuation de ce type particulièrement improbable – à vrai dire, même concernant les femmes et les enfants se pressant dans les cours, ces problèmes se produiront de toute façon : les troupes doivent gérer l’accès aux cours, et la tâche s’annonce délicate et susceptible à chaque instant de déraper… Ipuwer prend donc les choses en mains, et obtient des résultats très concrets.

 

[En termes de jeu, sept succès à son jet de Stratégie, ce qui est admirable ; Ipuwer pâtit toujours de son Aura très faible – il n’a que 2 – mais obtient tout de même un succès, ce qui, dans ces conditions, s’avère suffisant, le jet de Stratégie compensant ce petit score.]

 

VI : LA MENACE SUR HELIOPOLIS

 

[VI-1 : Bermyl] Bermyl reçoit alors un nouveau rapport – en provenance des derniers ornithoptères en vol, qui doivent maintenant se poser car les conditions sont devenues trop dangereuses. Ils confirment que des tsunamis se sont bel et bien formé, qui ont déjà submergé des villages de pêcheurs dans les archipels à l’est de Cair-el-Muluk – ce qui confirme aussi que, si la situation continue de progresser de la sorte, Heliopolis aussi sera menacée.

 

[VI-2 : Ipuwer : Apries Auletes, Ngozi Nahab] Suite à ce rapport, Ipuwer communique aussitôt avec Apries Aletes à Heliopolis ; à lui de gérer la situation sur place – avec l’assistance le cas échéant de Ngozi Nahab, qu’Ipuwer décrit comme étant « son fidèle vassal ». Mais Ipuwer perçoit bien que son chef de la police n’est pas à l’aise – il a peur, et avant tout pour lui, ce qu’il ne dit bien sûr pas, mais le siridar-baron s’en rend compte.

 

[VI-3 : Ipuwer : Ngozi Nahab, Apries Auletes] C’est pourquoi il décide de contacter lui-même Ngozi Nahab – dans les mêmes termes : il faut qu’il protège la population au mieux, et prévienne les désordres d’émeutiers éventuels. Plus froid et stoïque, le chef de la Maison mineure Nahab a aussi l’air plus confiant que sa marionnette Apries Auletes – d’autant qu’Ipuwer insiste sur ce qu’ils ont tous à perdre dans cette affaire, pour leurs « sujets », dit-il, mais Ngozi Nahab les envisage surtout comme des « clients »… Qu’importe le terme : oui, leurs intérêts se rejoignent.

VII : « LES FEMMES ET LES ENFANTS D’ABORD ! »

 

[VII-1: Ipuwer, Bermyl : Kiya Soter ; Namerta] Kiya Soter, très sceptique mais loyal, organise et prend en charge, sur place, le plan d’Ipuwer visant à offrir un refuge aux femmes, aux enfants et aux malades (mais sans guère de succès pour ces derniers) dans les cours du Palais et du Sanctuaire d’Osiris – les incidents sont de la partie, mais, dans ces circonstances, et avec l’aide d’Ipuwer (qui pour l’heure demeure dans le bunker, mais se montre très efficace), il obtient finalement de bons résultats. Cependant, la panique complique la tâche – et, aux abords du Palais où l’on laisse entrer les seules femmes et enfants, et où les cordons de sécurité sont particulièrement difficiles à mettre en place, des éléments séditieux se manifestent, qui dénoncent l’incompétence d’Ipuwer et prônent un soulèvement visant à ramener Namerta sur le trône !

 

[VII-2 : Bermyl, Ipuwer] Bermyl, cependant, qui participe à toute cette gestion (et ça n’a rien d’évident, car la sécurité du Palais dépend pour une bonne partie de ses services, qu’il sait pas des plus fiables...), reconnaît alors que le choix d’Ipuwer, à terme, est sans doute le meilleur, afin de ne pas se mettre toute la population à dos (ou plus qu’elle ne l’est déjà) ; mais Ipuwer est très premier degré : il fait ça pour protéger sa population, pas pour en retirer à terme un éventuel bénéfice politique… Tout au plus concède-t-il que son choix de se limiter aux femmes et aux enfants doit aussi dissuader d’éventuels rebelles de tirer dans le tas – mais cela sent la justification « pragmatique » après coup : son premier mouvement était bien de pure compassion et générosité désintéressée. Bermyl n’en fait pas moins la remarque qu’ils ont déjà eu affaire à des « clones, des machines sans âme », ayant pris l’apparence de femmes…

 

[VII-3 : Bermyl] Mais c’est avant tout la panique qui règne dans les cours et aux abords. Les rapports de Bermyl ne peuvent se montrer très précis, mais, à l’évidence, il y a déjà eu des bousculades suscitées par la panique, et il y a déjà eu des morts : outre les victimes dans les archipels à l’est de Cair-el-Muluk, dans la capitale politique même, sans doute se comptent-elles déjà par milliers…

 

VIII : L’AUTRE TEMPÊTE

 

[VIII-1 : Vat] Pendant ce temps, sur le Continent Interdit, aux environs de la Tempête (de sable…), le Docteur Suk Vat Aills n’est pas du tout conscient de ce qui se passe de l’autre côté de la planète : pour lui, le ciel est parfaitement « normal ».

 

[VIII-2 : Vat] Mais un curieux phénomène se produit néanmoins alors qu’il observe à distance la Tempête : l’espace de quelques secondes à peine, quinze au plus, avec une vitesse qui tient lieu de la brutalité, le phénomène climatique s’interrompt totalement ! Le ciel est bleu, la vision est presque totalement dégagée – mais pas au niveau du sol, du fait du sable qui retombe à une vitesse anormale… Impossible, pour le coup, de repérer d’éventuels bâtiments à l'intérieur.

 

[VIII-3 : Vat : Nofrera Set-en-isi] Nofrera Set-en-isi, qui se trouvait non loin de Vat, a observé en même temps que lui l’improbable phénomène – et elle est visiblement terrorisée. En bafouillant, elle avoue au Docteur Suk que, même avec toutes ses connaissances en matière de climatologie, et sa compréhension des technologies employées par la Guilde pour gérer le climat de Gebnout IV, elle n’aurait jamais cru que ce contrôle pouvait aller à ce point, être d’une telle précision – à la seconde près, c’est proprement surréaliste ! Elle y voit, d’une certaine manière, une forme de moquerie – la Guilde, consciente de leur présence, les nargue… Elle a du mal à comprendre la raison d’être de ce comportement que l’on pourrait juger bien trop puéril de la part de pareil antagoniste, si ce n’est, bien sûr, de les effrayer – et, en ce qui la concerne, ça marche ! Sans doute faut-il y voir un avertissement…

 

IX : DE LA STRATÉGIE À LA TACTIQUE

 

[IX-1 : Ipuwer, Bermyl] À Cair-el-Muluk, Ipuwer et Bermyl n’ont plus guère de rapports sur le suivi direct de la tempête, car les ornithoptères de la région ne peuvent plus voler dans ces conditions ; la ligne permanente avec la Guilde Spatiale sur la lune de Khepri s’en tient toujours aux mêmes réponses, sur un ton froid et mécanique : il y a un dysfonctionnement, qui sera bientôt réglé. D’autres rapports, par contre, proviennent des troupes basées dans la ville, et chargées d’assurer que les femmes et les enfants trouvent à s’abriter dans les cours du Palais et du Sanctuaire d’Osiris ; l’affaire est compliquée, il y a des bousculades dues à la panique, il y a donc des morts (impossibles à chiffrer), mais, un bon point qui n’avait rien d’évident, les rapports semblent témoigner de ce que le risque que la cohue tourne à l’émeute est jugulé – pour l’heure, du moins ; cette politique semble donc bel et bien la meilleure, et être à même de porter ses fruits. Pourtant, il y a eu un moment où des rumeurs délirantes avaient commencé à circuler : pourquoi seulement les femmes et les enfants à l’intérieur ? Sans doute que les Ptolémée, voire Ipuwer lui-même, entendaient leur faire « quelque chose »… Mais ça n’a pas vraiment pris – peut-être, en fait, parce que la panique était déjà bien trop élevée pour cela.

 

[IX-2 : Ipuwer] Ipuwer continue de s’investir dans les opérations de protection de la population. Il réfléchit à d’autres lieux susceptibles d’accueillir des habitants de Cair-el-Muluk, mais il y en a très peu (il les fait néanmoins aussitôt communiquer par radio et hauts-parleurs) : c’est que la ville est une île, pour partie artificielle d’ailleurs, et clairement pas conçue pour ce genre de catastrophe normalement inenvisageable – l’océan n’est jamais bien loin, et les bâtiments les plus hauts ne résisteraient pas forcément à un tsunami qui pourrait les faire s’écrouler en détruisant leurs fondations… Le Palais et le Sanctuaire d’Osiris demeurent les endroits les plus sûrs, parce qu’ils bénéficient de leur architecture monumentale – avec de grandes murailles, etc. En prenant en compte toutefois que, sous cet angle, le Palais est plus sûr que le Sanctuaire – lequel, en effet, est aussi un port, du fait de son rôle dans les cérémonies mortuaires de la grande fête d’Osiris… Cependant, il est vaste, et les cours les plus éloignées de la côte devraient pouvoir abriter nombre d’habitants en cas de tsunami.

 

[IX-3 : Ipuwer : Kiya Soter] Ipuwer agit aussi à un niveau plus tactique, pour assister Kiya Soter dans la gestion concrète des troupes à Cair-el-Muluk, en charge de l’opération dans les cours du Palais et du Sanctuaire d’Osiris ; mais, sans être inutile, il n’est pas d’un grand secours – car le général Soter, d’abord très sceptique concernant les instructions de son siridar-baron, s’est cependant attelé à la tâche et avec une très grande efficacité [en termes de jeu, il a obtenu huit succès à son jet de Stratégie] ; il gère au mieux, et maintient l’ordre tant au sein de ses troupes (il est très ferme, ses soldats comprennent bien qu’il leur arrivera malheur s’ils ont la mauvaise idée d’ouvrir le feu) que dans les rues de la ville submergées par une foule terrorisée : pour ce faire, il a quitté le bunker, même s’il demeure en liaison permanente, pour superviser lui-même les opérations de secours depuis le grand balcon du Palais, qui donne sur la cour – il a fait jouer autant que possible l’autorité militaire, sur un ton très sec, très autoritaire, celui qu’il fallait adopter sur le moment (même si, à terme, cela pourra avoir d’autres répercussions). La vitesse à laquelle il donne ses ordres est ahurissante, de même que la précision et la pertinence de ces derniers, évoquant presque les capacités d’un ordinateur interdit.

X : QUESTIONS D’ÉCHELLE

 

[X-1 : Németh : Taestra Katarina Angelion, Clotilde Philidor, Abaalisaba Set-en-isi, Labaris Set-en-isi] Németh sont en vol pour le relais de chasse de Darius. Dans son ornithoptère se trouvent notamment la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion, Clotilde Philidor, Abaalisaba Set-en-isi et Labaris Set-en-isi. Elle est tenue au courant de l'évolution de la situation en temps réel, par radio.

 

[X-2 : Németh : Taestra Katarina Angelion, Clotilde Philidor] Si la Révérende-Mère réagit à la situation avec sa sévérité coutumière (le visage fermé, elle n’a pas prononcé un mot depuis le décollage), Clotilde Philidor est quant à elle visiblement abattue – elle ne parle pas davantage, mais ses yeux errent dans l’habitacle, en quête d’un réconfort que nul ne semble en mesure de lui prodiguer. Németh s’en rend compte, bien sûr – et sait très bien ce qu’il en est : si la jeune Delambre est aussi désemparée, ce n’est pas en raison des événements eux-mêmes, mais du fait de la confirmation de ce que sa vision, comme toujours, s’est réalisée, et qu’elle n’a rien pu y faire – adoptant par la force des choses un rôle pathétique de Cassandre… Németh ne peut pas faire grand-chose pour réconforter Clotilde Philidor, elle le sait – elle lui passe néanmoins le bras autour des épaules, et la presse contre elle. Elle lui dit aussi qu’il ne faut pas s’inquiéter davantage, qu’elles sont en sécurité, qu’elle retrouvera bientôt sa famille, ce genre de choses. Ça ne produit pas beaucoup d’effet...

 

[X-3 : Németh : Clotilde Philidor ; Anneliese Hahn] D’effet positif, du moins ; la mention par Németh de la famille de Clotilde Philidor amène cette dernière à s’inquiéter pour Anneliese Hahn, absente, quand elle aurait à l’évidence dû se trouver dans cet appareil : elle ne semblait pas faire grand cas, jusqu’alors, de sa famille en générale et de son expansive cousine, mais les circonstances ont changé tout cela – ce qui la surprend peut-être plus que quiconque. Németh l’assure qu’il n’arrivera rien à sa cousine ; simplement, elle en est désolée, mais, ne sachant pas où se trouvait la jeune épéiste, et les événements devenant toujours plus menaçants, l’attendre n’était pas une option – il fallait décoller au plus tôt pour gagner le relais de chasse de Darius, au risque de sacrifier « tous les autres »… Clotilde Philidor le comprend bien, hochant la tête doucement, sans dire un mot...

 

[X-4 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Ipuwer] Németh guette aussi les réactions de la Révérende-Mère Taestra Katarina Angelion – ce qui n’échappe bien sûr pas à cette dernière ; elle se tourne vers Németh, la dévisage à son tour, puis dit : « Bien évidemment, tout ceci n’est qu’un avertissement. » Németh lui demande de se montrer plus explicite – savait-elle ce qui allait se passer ? Savoir… À la réflexion, probablement : la « bombe climatique », dans le contexte de Gebnout IV, est la meilleure arme de la Guilde Spatiale – on pouvait supposer, avec une grande marge de certitude, qu’elle en ferait usage à partir du moment où les investigations de la Maison Ptolémée à son encontre deviendraient plus flagrantes ; elle ne pouvait pas déterminer que cela se produirait aussi vite et aussi brutalement, cependant. Mais... ce n’est donc qu’un avertissement. Très bientôt, dans quelques heures au plus, la Guilde contactera la Maison Ptolémée, s’excusera faussement pour ce « léger dysfonctionnement », l’assurera que le problème a été réglé, et que tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes… Peut-être la Guilde fera-t-elle durer le plaisir, seulement pour étudier comment tournent les choses à Cair-el-Muluk, histoire de voir comment Ipuwer résistera face à la panique et à la colère d’une population de quatre millions et demi d’habitants chauffés à blanc ? Mais cela demeure un avertissement plus qu’un assaut décisif. Bien sûr, cet avertissement aura d’ici-là provoqué la mort de plusieurs milliers de personnes, et ils n’en tiendront absolument aucun compte. Que Németh ne s’y trompe pas, bien sûr : Taestra Katarina Angelion elle-même, et d’autant plus du fait de son rang dans le Bene Gesserit, est certes portée au cynisme, et ces milliers de morts ne l’affectent guère plus ; ce qui la perturbe, c’est justement cette nature d’avertissement, qui est en même temps la démonstration d’un pouvoir inouï, à même d’obliger à une redistribution des cartes… Pour dire les choses : ce qui l’effraie, c’est qu’elle ne sait pas comment il faudrait réagir face à un pouvoir pareil.

 

[X-5 : Németh : Taestra Katarina Angelion] Ces paroles de la Révérende-Mère laissent Németh un peu sceptique : elle sait, comme tout le monde à vrai dire, que le Bene Gesserit est par essence impliqué dans ce genre d’affaires, avec autant de compétence que de cynisme – comme la Guilde, comme le Bene Tleilax ; croire, alors, que l’ordre ne saurait pas comment réagir ? Taestra Katarina Angelion lui répond que c’est une question d’échelle : le Bene Gesserit s’implique à l’évidence dans ce genre d’affaires – dans l’ombre, il lutte, recule parfois, progresse souvent… Mais ces « plans dans des plans » s’inscrivent souvent dans des durées très longues, sur des millénaires, même. Ce qui pose problème ici, pour l’ordre, c’est l’immédiateté – elle parle d’une affaire où, subitement, tout est amené à se jouer en l’espace de quelques heures – et, à cette échelle-là, à l’en croire, le Bene Gesserit n’est finalement pas beaucoup plus compétent que quiconque. À terme, il pourra agir, et il pourra l’emporter ; mais concrètement, sur le moment… Les prochains jours, voire les prochaines heures, sur Gebnout IV La Révérende-Mère l’avoue sans peine : cela la dépasse – et elle n’a pas honte de le dire.

 

[X-6 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Bermyl] Mais Németh passe alors à autre chose – et évoque devant Taestra Katarina Angelion le rapport que lui avait adressé Bermyl, selon lequel leurs adversaires « prévoyaient » leurs actions. Ils bénéficieraient donc eux aussi du don de Prescience, dès lors plus l’apanage du Bene Gesserit ? La Révérende-Mère le savait-elle ? Taestra Katarina Angelion répond que ce n’est pas de la Prescience : il y a « d’autres moyens ». Ce qui laisse Németh pantoise… Mais la Révérende-Mère développe : la Prescience est une faculté que personne ne comprend très bien, et qui permet d’aboutir, sans que l’on sache comment, à des certitudes concernant l’avenir. Mais la science est une autre voie : sur la base du recoupement des observations et de l’analyse psychologique, sociologique, etc., elle peut aboutir, sinon à des certitudes à proprement parler, du moins à des probabilités telles qu’elles deviennent quasiment des certitudes ; c’est, après tout, ainsi que procèdent les Mentats dans leurs analyses projectives. Pas de la Prescience, pas de la précognition à proprement parler, mais de l’extrapolation à partir de données « objectives », « scientifiques », et selon des méthodes éprouvées de spéculation. Or circulent des rumeurs selon lesquelles le Bene Tleilax aurai produit des « Mentats déviants », échappant au conditionnement normal de l’Ordre des Mentats, et donc à leur limitations à la fois éthiques et techniques… Bien sûr, il ne s’agit que de rumeurs – et Taestra Katarina Angelion, avec un sourire narquois, souligne devant Németh qu’elle-même, ici, joue avec les probabilités… Mais elle croirait volontiers que le Bene Tleilax, dans le cadre de ses opérations sur Gebnout IV, disposerait d’un « groupe » de Mentats déviants, focalisés sur la prospective, lesquels, en s’associant dans leurs extrapolations, parviendraient à obtenir des analyses projectives avec un très haut degré de probabilité, touchant à la quasi-certitude.

 

[X-7 : Németh : Taestra Katarina Angelion ; Bermyl, Elihot Kibuz] Németh demande alors à Taestra Katarina Angelion si, à cet égard, elle doit se méfier de son entourage… Eh bien, en tant que véritable « tête » de la Maison Ptolémée, elle doit certes se méfier de tout le monde. Mais précisément eu égard à cette question ? Pas spécialement… Ils n’ont guère besoin de s’infiltrer, au fond – au-delà, disons, des services de renseignement de Bermyl, ou d’Elihot Kibuz, notoirement corrompus – lesquels transmettent alors leurs informations sensibles (ou moins) aux Mentats déviants, à charge pour eux de déchiffrer l’avenir au milieu des données ; ces fuites leur sont indispensables, mais, au-delà ?

 

[X-8 : Németh : Taestra Katarina Angelion] Németh lâche qu’elle a bien compris que la Maison Ptolémée et les habitants de Gebnout IV ne sont guère que des pantins sans âmes pour le Bene Tleilax et la Guilde – elle précise non sans rancœur qu’il en va également de même pour le Bene Gesserit Mais pourquoi ? Pourquoi se sont-ils emparés de la planète ? Pourquoi s’en prennent-ils à la lignée des Ptolémée ? La Révérende-Mère, sans hostilité, répond que la lignée des Ptolémée est à l’évidence totalement secondaire… Ce qui est certain, c’est que le Bene Tleilax, avec la complicité de la Guilde, ou, il faut l’espérer, de partie seulement de la Guilde (ce qu’elle tend à croire, mais on ne peut pas évacuer ainsi l’hypothèse contraire), a initié sur Gebnout IV un plan millénaire, qui semble approcher de sa conclusion. Le Bene Gesserit n’est pas en mesure de savoir ce qu’il en est au juste de ce plan… Mais, dit-elle, au risque d’effrayer Németh – et à raison, car elle devrait en être effrayée –, tout porte à croire, chose qui était encore improbable somme toute peu de temps auparavant, que Gebnout IV est, métaphoriquement, au centre de l’univers ; et qu’elle l’est en fait depuis des milliers d’années, sans que personne ou presque n'y ait prêté attention… Ce qui se passe ici décidera du destin de l’Imperium. L’alliance du Bene Tleilax et de la Guilde, les moyens mis en œuvre, les technologies de pointe testées in situ, le système de contrôle climatique comme garant de ce que la Maison Ptolémée demeure inoffensive, une armée de clones, une ou des bases secrètes çà et là et tout particulièrement sur le Continent Interdit, protégé par des tabous et des superstitions savamment élaborées et entretenues depuis des millénaires, des cargaisons étranges qui se volatilisent, des Mentats déviants spécialement affectés à la tâche de déterminer les moindres faits et gestes de leurs adversaires… Le Bene Tleilax ne gaspillerait pas ainsi ses ressources si ce qu’il avait entrepris sur cette planète n’était que d’une importance secondaire. À vrai dire, Taestra Katarina Angelion avance qu’elle a toujours été convaincue de ce que la partie qui se jouait là était capitale… Mais, à ce stade, cela devient incontestable – et tout particulièrement effrayant, mais notamment parce que les événements se précipitent. Cependant, elle l’avait déjà dit, cette précipitation peut devenir un atout… La démonstration de ce soir est toutefois éloquente : leurs adversaires ont des moyens, et pas de scrupules.

XI : Y A-T-IL UN MÉDECIN DANS LA SALLE ?

 

[XI-1 : Ipuwer : Vat Aills] Vat Aills n’avait pas été tenu au courant des événements sur l’autre face de la planète – dans la précipitation, l’informer n’était pas urgent… Mais Ipuwer, qui peste que le Docteur Suk soit absent quand on a besoin de lui – car un docteur aura beaucoup de travail à accomplir dans les jours qui viennent –, décide enfin de lui envoyer un message, que Vat reçoit donc aussitôt. Bermyl, par ailleurs, soupçonne que la catastrophe a quelque chose d’un avertissement – sans doute lié à ce que Vat a pu faire sur le Continent Interdit.

 

[XI-2 : Vat : Nofrera Set-en-isi] Le Docteur Suk n’hésite guère, et contacte la base du Mausolée pour qu’on lui envoie un ornithoptère ; il demande par ailleurs à être tenu informé de la situation exacte à Cair-el-Muluk, dès l’instant qu’il sera possible de faire un bilan des blessés, des possibilités d'accueil des hôpitaux, etc., afin qu’il coordonne les opérations de secours. Et concernant le reste de son expédition ? Doit-il laisser sur place les scientifiques et les commandos qui l’avaient accompagné ? Il hésite tout d’abord – mais la gravité de la situation à Cair-el-Muluk, et à vrai dire aussi l’effroi manifesté par Nofrera Set-en-isi, l’incitent à plier bagage – ils reviendront plus tard, mieux équipés, aucun intérêt à laisser qui que ce soit dans le désert de sable pour l’heure ; toutefois, leur rapatriement n’étant pas aussi urgent, ils pourront rester quelque temps à la base du Mausolée, et ne rentrer que plus tard, dans d’autres appareils – seul Vat Aills rentre aussitôt.

 

XII : « CHERCHEZ LA FEMME ! » (1)

 

[XII-1: Bermyl : Ipuwer, Kiya Soter ; Druhr, Ahura Mendes, Taa, « Lætitia Drescii »] À Cair-el-Muluk, tandis qu’Ipuwer et Kiya Soter supervisent les opérations de secours depuis le grand balcon du Palais (car Ipuwer a décidé de se montrer, sans se mettre pour autant en avant), Bermyl s’inquiète de la possibilité que le Palais lui-même, sinon seulement la grande cour, ait pu être infiltré par leurs ennemis. Il a tout spécialement en tête cette femme appelée Druhr, la responsable de l’assassinat d’Ahura Mendes, ou ses semblables, puisque les sœurs de Taa, au Mausolée, ont parlé d’une armée entière de clones ayant semble-t-il cette même apparence. Pour cette raison, l’accueil qu’a fait Ipuwer aux seuls « femmes et enfants » ne lui semble pas le moins du monde rassurant… D’autant qu’il faut y ajouter la fausse « Lætitia Drescii », elle aussi disparue sans la moindre trace !

 

[XII-2 : Bermyl : Kiya Soter] Bermyl rôde donc dans les couloirs du Palais, censément hermétique, quand il n’ausculte pas la foule des réfugiés depuis le balcon, voire directement depuis la cour. Dans le Palais, Bermyl ne repère pas de visages suspects – et il s’est appliqué à la tâche. Mais, dans la cour, les réfugiés sont déjà plusieurs milliers, et les risques de bousculades toujours à craindre – repérer un suspect quelconque dans ces conditions est peu ou prou impossible… Par contre, Bermyl constate que les semeurs de troubles mentionnés dans les rapports à lui adressés (ou à Kiya Soter) ne sont pas rentrés dans la cour, ou bien ont cessé d’y attiser la colère des victimes, plus ou moins réceptives ; en fait, les femmes et les enfants rassemblés dans la cour expriment avant tout une forme de résignation fataliste – au milieu des sanglots…

 

[XII-3 : Bermyl : Elihot Kibuz ; Németh, Taho] Mais Bermyl garde aussi un œil sur Elihot Kibuz – qui les avait rejoints dans la « salle de guerre » dès le début de la crise, et semble s’être depuis acquitté de sa tâche avec loyauté et compétence. Reste que la présence de ce traître plus ou moins notoire dans un lieu aussi stratégique n’était pas sans poser problème – en fait, Németh, avant de partir pour Darius, avait été sur le point de réclamer son arrestation immédiate ! Mais la pression des événements a fait que cet « ordre », si c’en était bien un, n’a pour l’heure toujours pas été exécuté. Or la mort de Taho, bien sûr, n’a fait que renforcer la défiance de Bermyl, porté à croire que le maître assassin fantoche a ainsi tenté de l’empoisonner lui-même – franchissant un pas supplémentaire dans sa traîtrise…

 

XIII : APRÈS LA PLUIE…

 

[XIII-1 : Vat Aills, Nofrera Set-en-isi] Quatre heures environ se sont écoulées depuis le début de l’alerte, et la tempête commence à tomber – mais « normalement », pas avec la soudaineté impossible de la Tempête de sable du Continent Interdit, sous les yeux mêmes de Vat Aills et Nofrera Set-en-isi. Le ciel commence à se dégager au large de Cair-el-Muluk (mais la nuit est tombée, pas de ciel bleu faisant contraste, donc) ; il pleut toujours, et à un volume inhabituel pour Cair-el-Muluk, dont certains quartiers sont inondés, mais sans plus constituer une menace, et le tsunami n’a donc pas affecté la capitale. Et, bientôt, la Guilde communique que « le dysfonctionnement a été réglé », sans plus d'explications...

 

[XIII-2 : Ipuwer : Ngozi Nahab, Apries Auletes] Les ornithoptères, du coup, peuvent à nouveau décoller – et reçoivent aussitôt d’Ipuwer l’ordre de le faire, pour tirer un premier bilan de la catastrophe. Cair-el-Muluk doit certes pleurer des milliers de morts, mais qui ne sont qu’indirectement les victimes de la tempête – le tsunami redouté n’a pas eu lieu, ce sont la panique et les bousculades qui ont tué. Quant à Heliopolis, elle a finalement toujours été trop loin pour être directement affectée par la tempête ; il y a bien eu quelques mouvements de panique, mais tenant surtout aux informations en provenance de Cair-el-Muluk ; quelques bousculades, oui, des morts sans doute, mais rien d’ampleur : Ngozi Nahab, plutôt qu’Apries Auletes, y a veillé – et il ne manque pas de le signaler à Ipuwer. Ambiance étrange dans la capitale administrative, du coup, où les agents de la pègre se sont substitués aux forces de l’ordre pour gérer la crise – et les habitants sont loin de leur en vouloir… Voilà pour les grands centres urbains – mais le tableau est on ne peut plus différent dans les archipels à l’est de Cair-el-Muluk : là-bas, le tsunami a frappé de plein fouet nombre de petites communautés, de pêcheurs essentiellement, ne bénéficiant pas des infrastructures des grandes villes ; et, très vite, les ornithoptères confirment que la situation sur place est catastrophique, voire apocalyptique – les villages ont été littéralement rayés de la carte, la quasi-totalité sans doute de leurs habitants ont été emportés par la vague : on comptera sans doute les morts par dizaines de milliers ; quant à venir au secours d’éventuels survivants, sur une zone aussi vaste, cela s’annonce compliqué…

 

[Se pose donc à nouveau, en termes de jeu, la question de la dépense temporaire d’un point de Guerre. Même si les éventuels survivants seront tous retrouvés dans les 72 heures, pas au-delà, l’implication des troupes mobiliserait énormément de ressources, surtout dans les premiers jours, mais aussi sans doute pour quelques semaines ensuite – probablement deux à trois. À l’évidence, l’offensive contre la Maison Arat devra être reportée, et peut-être d'autres opérations çà et là.]

 

XIV : À DARIUS

 

[XIV-1 : Németh] Németh arrive à Darius à peu près au même moment – son voyage n’a pas été émaillé de difficultés imprévues. Tenue au courant de l’évolution des événements en temps réel, elle rassemble ses 200 convives dès l’atterrissage pour leur récapituler la situation. L’alerte est terminée – mais il faudra attendre la confirmation de ce que la capitale est sécurisée avant de rentrer à Cair-el- Muluk.

 

XV : « CHERCHEZ LA FEMME ! » (2)

 

[XV-1 : Ipuwer, Bermyl : Anneliese Hahn, Ludwig Curtius] Ipuwer et Bermyl, par ailleurs, depuis le balcon où ils surveillent la situation dans la cour du Palais, constatent peu ou prou en même temps que, parmi les femmes réfugiées, se trouve Anneliese Hahn. La Delambre se remarque, car elle conserve même dans cette situation une certaine aura aristocratique – mais ce qui frappe bien vite les observateurs, pourtant, c’est qu’elle a perdu toute sa morgue dans l’épreuve : s’ils ne l’avaient jamais vue auparavant, ils n’auraient certainement pas pu la distinguer dans la foule de toutes ces femmes pauvres, sales, hagardes, blessées parfois, désespérées toujours… Des traces de boue partout, jusque sur le visage en temps normal si apprêté, des vêtements déchirés, aussi luxueux soient-ils, çà et là des griffures et peut-être d’autres blessures… Elle est visiblement traumatisée : la peur l’a brisée, la panique même, mais aussi, de toute évidence, la honte. Ipuwer envoie Ludwig Curtius la chercher, avec une escorte, pour qu’elle se remette dans le PalaisLa foule atone laisse faire – après avoir ressenti une vague crainte pendant un très bref laps de temps : ces femmes, ces enfants, sont tous plus abattus les uns que les autres.

 

À suivre...

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